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25 novembre 2024
Opinions
Texte Collectif
UN PARTI PRIS DÉCONCERTANT
Nous nous désolidarisons du communiqué indigent par la forme et indigne par son contenu, publié le 10 mai 2024 par la Coordination SAES du Campus de Dakar sur l'affectation à l'IFAN d'Ismaïla Madior Fall
« Affaire Ismaïla Madior Fall » : le communiqué de la Coordination du SAES détonne et étonne de par ses partis pris
Le professeur Ismaïla Madior Fall a admis avoir « introduit une demande auprès du recteur » de l'UCAD, le professeur Ahmadou Aly Mbaye pour son affectation à l'IFAN Cheikh Anta Diop. Le professeur Fall a par ailleurs ajouté à cela que le recteur « ne peut que soumettre sa demande aux instances délibérantes des deux institutions (IFAN et FSJP) pour avis avant de prendre une décision ». Avant lui, le porte-parole du recteur, professeur Mbaye Thiam, avait soutenu à travers un communiqué : « si jamais son département d'origine ne veut pas le libérer ou que le département de l'IFAN visé ne veut pas l'accueillir, le Recteur ne pourra nullement l'y affecter ».
Ainsi donc, de l'aveu même du rectorat et du requérant, le recteur n'est en rien souverain en matière d'affectation des personnels d'enseignement et de recherche à l'IFAN Ch. A. Diop. Cette absence de souveraineté du recteur en la matière est même codifiée par le décret 84-1184 qui régit l'Institut puisque celui-ci dispose que la décision d'affectation non seulement échoit au comité scientifique de l'IFAN Ch. A. Diop mais qu'au cas où le recteur venait à assister aux délibérations de cette instance : « il les préside mais ne prend pas part aux votes » (article 8).
Pourquoi, le recteur de l'UCAD a-t-il tenu à « consulter » le directeur de l'IFAN sur une « affectation » du professeur Fall sans que le comité scientifique de l'Institut n'ait été saisi ?
Pourquoi le directeur de l'IFAN a tenu à faire part de cette « information » relative à « une consultation pour affectation », lors de l'Assemblée de l'IFAN du 30 avril 2024 alors que le département d'origine du requérant à la FSJP n'a pas délibéré sur la question, ni du reste le comité scientifique de l'IFAN ? Pourquoi nulle part dans les communiqués du professeur Fall et du professeur Thiam, porte-parole du recteur, il n'est curieusement pas fait mention d'une autre condition sine qua non à toute affectation : « un arrêté du ministre de l'Enseignement supérieur » qui doit nécessairement survenir « après avis de l'Assemblée de l'Université » (article 24) ? Face à autant de questions sans réponses, face à autant de violations patentes du décret 84-1184, nombreux ont été les acteurs du monde académique à se réjouir du communiqué d'un syndicat qui a jugé utile d'alerter contre toute velléité d'affectation irrégulière. Tout aussi nombreux ont-ils été à se demander pourquoi la Coordination SAES du campus de Dakar a manqué d'être à l'avant-garde d'un combat pour le respect du décret sur la mobilité des PER à l'IFAN, dans un contexte de violations récurrentes des règles de fonctionnement de l'institution universitaire par l'autorité.
C'est pourquoi, la surprise a été grande de voir la Coordination SAES du Campus de Dakar rendre public un communiqué dans lequel elle allègue de « rumeurs persistantes », « d'informations non fondées » et pis, elle crie son « indignation » avant de dénoncer des « délits d'opinion ». Ladite Coordination va même jusqu'à reprendre la rhétorique du professeur Fall qui parle de « règlement de compte » à son encontre. Pourquoi de tels parti pris ? A la faveur de qui se font ces petits arrangements avec les faits qui demeurent pourtant implacables et irréfutables ?
En conséquence, nous, enseignants-chercheurs et chercheurs de l'UCAD, tous membres réguliers du Syndicat Autonome de l'Enseignement supérieur (SAES), portons à la connaissance de la communauté scientifique et de l'opinion publique que :
- nous nous désolidarisons du communiqué n°8, indigent par la forme et indigne par son contenu, publié le 10 mai 2024 par la Coordination SAES du Campus de Dakar ;
- nous demandons au Bureau national du SAES de mener une enquête sur la délibération qui a entouré ce dérapage ;
- nous exigeons du bureau du SAES de la Coordination du Campus de Dakar de convoquer dans les plus brefs délais une Assemblée générale et d'inscrire à l'ordre du jour « l'affaire de l'affectation du professeur Ismaïla Madior Fall à l'IFAN Ch. A. Diop » afin de donner à la base la possibilité de se faire entendre sur cette affaire.
Mouhamed Abdallah Ly (IFAN)
Anna Marie Diagne (IFAN)
Ibrahima Thiaw (IFAN)
Doudou Diop (IFAN)
Maurice Ndeye (IFAN)
El Hadj Samba Ndiaye (FSJP)
Mouhamed Badji (FASEG)
Alioune Gueye (FASEG)
Moshe Léopold Tendeng (FASEG)
Abdoulaye Mbaye (ESP)
Aliou Ndiaye (FST)
Mamecor Faye (FST)
Bacary Manga (FST)
Yankoba Seydi (FLSH)
Serigne Seye (FLSH)
Moussa Sagna (FLSH)
Mame Sémou Ndiaye (FLSH)
Lamine Bodian (FLSH)
Ibrahima Niang (FLSH)
Pape Chérif Bertrand Bassène (FLSH)
Mamadou Thior (FLSH)
par Jean-Luc Mélenchon
À L'ÉCOUTE DE LA LEÇON SÉNÉGALAISE
Notre thème en marge de mon séjour dakarois sera l’étude des causes ayant provoqué l’insurrection populaire et des méthodes ayant permis la victoire électorale contre le régime libéral de Macky Sall devenu autoritaire
Du 14 au 19 mai, je séjourne au Sénégal, à l’invitation du chef du gouvernement et président du Pastef, monsieur Ousmane Sonko, et de l’École supérieure de commerce de Dakar (SUPDECO). Depuis, une université publique nous fait aussi l’honneur de nous recevoir pour une conférence avec Ousmane Sonko.
Les deux premiers m’avaient invité depuis plusieurs mois. Nous étions dans le feu de la première phase de l’insurrection. D’abord poursuivi, dans un pur lawfare (coup monté judiciaire à finalité politique), Ousmane Sonko avait été emprisonné. On retrouva là le scénario traditionnel qui a frappé au Brésil, en Mauritanie, aux Philippines, en France (contre moi et mes proches), et récemment en Espagne, d’abord contre Podemos, puis contre Pedro Sánchez du PSOE : lancement d’une campagne médiatique prétexte à « autosaisine » judiciaire.
Divers agents d’influence nous approchèrent en vain pour nous alerter sur « le cas Sonko » et des « graves révélations » qui devaient intervenir. Dans le contexte de manifestations et de répression ultra-violente, l’École supérieure de commerce avait accepté de reporter son invitation à tenir ma conférence de sciences politiques. Mais, tout au long des évènements, les Insoumis avaient soutenu de toute leur force Ousmane Sonko et ses camarades dans leur combat pour la démocratie. Nous avons d’ailleurs tenu une conférence Skype, Arnaud Le Gall et moi avec Sonko et son équipe pour faire le point.
Depuis, le peuple a eu le dernier mot au Sénégal. Le prisonnier politique Ousmane Sonko est devenu Premier ministre, son parti et son candidat ont gagné l’élection présidentielle. Le pays s’est apaisé en s’engageant vers un tout nouvel horizon. De la sorte, les établissements d’enseignement supérieur, gardiens de la liberté d’esprit, sont en excellente situation pour m’accueillir en toute liberté. Heureuse différence d’attitude avec la France, où j’ai déjà été interdit de conférence par les universités de Bordeaux, Rennes et Lille, à la demande de groupes racistes ou de personnalités de la droite et de la macronie, universitaires ou pas.
Mon objectif était d’abord de présenter mon livre Faites mieux, comme j’avais prévu de le faire dans les universités francophones. J’avais commencé au Maroc, à Casablanca, et continué à Kinshasa. Très récemment, j’étais en Arménie à Erevan, dans le même but. Mon premier projet était d’enchaîner la conférence de Casablanca et celle de Dakar. Je voulais m’adresser aux intellectuels et universitaires sénégalais qui souhaiteraient connaître les nouveaux paradigmes d’analyse de notre époque que je propose depuis la publication de L’Ère du peuple et mes trois candidatures pour la campagne présidentielle. Mais vite, nous en fûmes au début de la mobilisation populaire. Rien n’aurait été plus contre-performant pour chacun que de donner l’impression d’une ingérence de ma part.
L’instrumentalisation de la justice contre Ousmane Sonko et ses amis, les violences gouvernementales qui ont suivi ont fait craindre la fin de la démocratie au Sénégal. On a vu alors la magnifique mobilisation engagée par le peuple mobilisé. Elle a non seulement permis d’éviter le pire, mais surtout ouvert de toutes nouvelles perspectives pour le Sénégal. Ce dénouement, autant que ses prémices, sont un cas concret de révolution citoyenne. Et il aura conduit ses porte-paroles au pouvoir. Leur rude tâche est dorénavant d’assurer la mise en œuvre du programme des attentes populaires. Ce processus nous intéresse au plus haut point. Le moment est favorable pour l’étudier auprès de ceux qui en ont été les principaux porte-paroles.
Mon séjour et celui de ma délégation prévoient un ensemble d’activités partagées. Nous aurons donc deux conférences et diverses interventions retransmises sur ma chaîne YouTube et celle de l’Insoumission des rencontres avec les hautes autorités de l’État, des temps symboliques, des rencontres avec le monde politique et associatif. Notre thème commun sera l’étude des causes ayant provoqué l’insurrection populaire et des méthodes ayant permis la victoire électorale contre le régime libéral de Macky Sall devenu autoritaire.
Comme d’habitude, nous formons une délégation très organisée. Elle forme une équipe de travail. Elle est coordonnée par Lise Maillard. Elle est composée à notre mode demi-institutionnel, demi-militant de Nadège Abomangoli, députée insoumise de Seine-Saint-Denis, secrétaire de la commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale, Arnaud Le Gall, député insoumis du Val-d’Oise, coordinateur du livret international de LFI, Manuel Bompard, député insoumis des Bouches-du-Rhône, coordinateur général de LFI. Paola Collado assurera la chronique pour notre site d’info « l’Insoumission » et notre site international « le Monde en commun » ainsi que le compte rendu pour le laboratoire Révolution citoyenne de l’Institut La Boétie qui assure la documentation technique de la délégation. Se joint à nous Aurélien Taché, député du Val-d’Oise, membre du groupe parlementaire EELV, en charge d’un rapport pour l’Assemblée nationale sur l’avenir de la Francophonie.
Par Hamidou ANNE
DU MULTILATÉRALISME INCLUSIF PRÔNÉ PAR MACKY SALL
La presse sénégalaise et étrangère a donné un large écho à la tribune du président Macky Sall publiée sur le média en ligne Context. Le style fait l’homme, disait un célèbre penseur.
La presse sénégalaise et étrangère a donné un large écho à la tribune du Président Macky Sall publiée sur le média en ligne Context. Le style fait l’homme, disait un célèbre penseur. Le style de l’homme Macky Sall est indiscutablement dans la constance du combat qu’il mène pour redonner à l’Afrique sa juste place dans le concert des nations. Ce combat, il l’a mené douze ans durant à la tête du Sénégal avec un point culminant pendant sa présidence de l’Union africaine. Ce légitime combat, il le poursuit encore aujourd’hui sur la scène internationale en tant qu’homme d’Etat qui a transmis le flambeau et aussi en tant qu’Envoyé spécial du Pacte de Paris pour les peuples et la planète (4P). D’ailleurs, il convient ici de lever une équivoque : les 4P ne sont pas une organisation française, mais une plateforme internationale à laquelle ont adhéré 54 pays pour une réforme de la gouvernance mondiale. Le Président Macky Sall a accepté d’en être le facilitateur, afin de faire dialoguer les pays à faible revenu et ceux industrialisés, d’Est en Ouest, du Nord au Sud, sur des sujets comme la dette, la finance inclusive, la transition écologique, l’accès plus équitable aux finances…L’objectif est d’ériger un multilatéralisme inclusif censé promouvoir un développement inclusif et durable.
Le monde doit se rendre à l’évidence et à la sagesse de l’impérieuse nécessité d’intégrer une Afrique active dans sa marche. La riche expérience du Président Sall dans la gestion d’un Etat désireux de sortir de la nasse dans laquelle, avec nombre d’autres Etats, il a été enfoncé par un système inique et obsolète. Sa démarche constitue un levier important pour l’aventure historique du droit et de la dignité des peuples. Il y a là donc une dynamique pour un nouvel itinéraire de sens pour le progrès, la paix et la justice mondiale.
Si la mondialisation a contribué à l’accès à la prospérité dans de nombreux pays sur toutes les régions du monde, il n’en demeure pas moins que les inégalités ne cessent de s’accroître entre pays riches et pays pauvres. Le Président Sall cite à ce propos le rapport annuel 2021 du Fmi, qui jugeait que «les pays les plus pauvres prenaient encore plus de retard» sur les nations industrialisées. Or ce creusement des inégalités ne peut générer qu’un monde fragmenté, en proie à des convulsions allant des violences communautaires aux migrations incontrôlées, et au sentiment d’injustice qui touche de nombreux citoyens des pays du Sud.
Le monde sort à peine de la pandémie du Covid19 dont le surgissement aussi violent qu’inédit a eu des conséquences graves sur les économies africaines déjà fragiles. Si de nombreuses études prévoyaient la catastrophe pour l’Afrique, le continent a plutôt bien résisté. Le Sénégal a pu atténuer le choc grâce au Programme de résilience économique et sociale de 1000 milliards de francs Cfa, qui a permis de soutenir les entreprises et les ménages les plus vulnérables. Notre pays a également décidé de réorienter la mise en œuvre du Plan Sénégal émergent à travers le Pap2a, afin d’intégrer les leçons de la pandémie et de prendre en charge les priorités relatives à l’industrialisation durable et inclusive, l’accélération de la souverainet́é alimentaire, sanitaire et pharmaceutique, le renforcement de la protection sociale et l’accroissement de l’intervention du secteur priv́e dans l’économie.
La croissance initialement prévue à 0,7%, a pu résister à hauteur de 1,5% en 2020. Dans cette situation d’exception, la campagne internationale initiée par le Président Sall pour l’annulation de la dette africaine, a permis de lever 20 milliards de dollars à réinvestir dans la relance économique. Il s’est aussi beaucoup investi pour la réallocation des droits de tirage spéciaux qui ont généré environ 33 milliards de dollards pour l’Afrique en 2022.
De manière plus structurelle, le Covid et la guerre russo-ukrainienne ont eu des conséquences dramatiques pour de nombreux pays africains. Or tout est urgent en Afrique au regard de la faiblesse structurelle de nos économies, des demandes croissantes en matière d’emploi et d’accès aux services sociaux de base.
Les Etats africains ont un immense besoin de financements pour investir dans des services publics de qualité et accessibles comme l’eau, l’électricité, l’école, la santé, etc. Paradoxalement, l’Afrique, qui souffre d’un gap conséquent dans quasiment tous les secteurs économiques et sociaux, n’attire pas suffisamment de financements du fait d’une défaillance structurelle de la gouvernance internationale qu’il faut corriger.
Les conditionnalités excessives imposées par les riches bailleurs ne permettent pas un accès facile aux crédits. L’autre difficulté récurrente, longtemps dénoncée par le Président Sall, relève des taux de risque très élevés auxquels les pays en développement font face. Ils sont imposés par les agences de notation et ont un effet négatif sur le financement des économies africaines. Ces deux facteurs ont très concrètement un impact direct sur les taux d’endettement et freinent la capacité des Etats à lever un volume important d’argent des institutions multilatérales et des structures financières privées.
Le Président Sall a raison dans sa tribune de rappeler qu’en moyenne, «les pays africains paient leurs emprunts quatre fois plus que les EtatsUnis et huit fois plus que les économies européennes les plus riches». Ceci dans un contexte où l’Afrique, pour accélérer sa trajectoire vers l’émergence, a besoin d’un important plan de réalisation d’infrastructures modernes et structurantes dont le besoin est estimé à près de 200 milliards de dollars par an. L’industrialisation, la transformation numérique et la transition énergétique par exemple constituent de grandes priorités pour l’Afrique, nécessitant un volume massif d’investissements.
Par l’appel à un «multilatéralisme inclusif», le Président Macky Sall lance une doctrine qui esquisse les contours d’un nouvel ordre international devant prendre le relais de la configuration actuelle des relations internationales. Cette doctrine invite à mettre fin à la discrimination financière que subissent les pays en développement par une urgente réforme du système financier international. Il n’est plus acceptable, selon lui, que les Etats africains soient obligés, au nom du remboursement de leur dette, de réduire leurs dépenses en matière d’éducation, de santé, hypothéquant ainsi l’avenir des enfants dans un continent où 400 millions d’individus sont âgés entre 15 et 35 ans. Aussi, 60 % des Africains ont moins de 24 ans.
Dans la même veine, au nom de l’urgence climatique, il ne saurait y avoir la même responsabilité pointée pour chacun. Les économies industrialisées ont, des décennies durant, profité des énergies fossiles pour asseoir leur domination industrielle, base de leur développement actuel. Tandis que l’Afrique pèse quantité négligeable dans les émissions de CO2, qu’elle doit lancer sa dynamique d’industrialisation pour effectuer son rattrapage économique, il ne saurait lui être appliqué les mêmes règles qu’à ceux-là qui portent la responsabilité du réchauffement climatique actuel. Il est possible par des investissements massifs dans l’innovation, de concilier progrès économique et transition écologique.
Le «multilatéralisme inclusif» prôné par le Président Sall consiste aussi à faciliter l’accès aux marchés des capitaux pour financer le développement et rendre la dette africaine plus soutenable. En effet, la dette s’élève à 365 milliards de dollars et son service annuel a un impact négatif sur les politiques budgétaires des Etats. De facto la dette rétrécit les marges de manœuvre des Etats face aux urgences économiques et sociales nombreuses.
Pour rappel, le Sénégal avait accueilli en décembre 2019 la conférence sur la dette, en présence de nombreux chefs d’Etat et de la Directrice générale du Fmi. Le «Consensus de Dakar» adopté à l’issue de cette rencontre prônait une gouvernance financière mondiale plus équitable, une viabilité de la dette africaine en tenant compte de ses spécificités et une meilleure reconnaissance du rôle de l’Afrique comme locomotive de la croissance mondiale.
Le «multilatéralisme inclusif» auquel le Président Sall appelle le monde est conforme à la dimension de notre pays, Nation qui a toujours été au cœur de l’agenda international pour penser les ruptures profondes en vue de rendre l’humanité plus juste et plus habitable. Cette volonté réitérée par l’Envoyé spécial du Pacte de Paris pour les peuples et la planète signifie un grand souci de l’histoire. Elle suit d’autres engagements majeurs comme celui d’avoir fait de l’adhésion de l’Afrique au G20, une priorité de son mandat à la tête de l’Ua. En Inde, en septembre 2023, l’Union africaine est devenue formellement un membre permanent du G20.
En signant cette tribune, sa première prise de parole publique depuis son départ du pouvoir le 2 avril dernier, le Président Macky Sall pose le curseur sur sa priorité dans les prochains mois, à savoir donner un nouveau souffle au multilatéralisme face aux enjeux de notre époque. Homme d’Etat, Africain, il est ainsi dans son rôle, celui d’être un défricheur de chemins d’espérance pour que l’Afrique occupe toute la place qu’elle mérite sur la scène internationale. Elle doit devenir la locomotive de la croissance mondiale au regard de la vitalité de sa jeunesse, de ses immenses ressources naturelles, de sa capacité de résilience face aux chocs et aussi et surtout grâce à son nouveau leadership incarné par des hommes et femmes d’Etat visionnaires, courageux et ouverts sur le monde.
Le «multilatéralisme inclusif» est un appel à la réforme pour bâtir une éthique de la relation qui rendra la gouvernance mondiale plus juste, plus inclusive et plus durable.
Par NDIONE Joseph Etienne
LES RETOURS DE PAQUET OU L'INTERMINABLE NAVETTE
Les interviews données et les témoignages recueillis lors de la vague de libérations de détenus politiques, il y a quelques semaines, m’ont contraint à remettre au goût du jour l’épineuse question sur les retours de parquet
J’avais entamé l’écriture de cet article mais avais arrêté, absorbé que j’étais, par le travail. Que toutefois, les interviews données et les témoignages recueillis lors de la vague de libérations de détenus politiques, il y a quelques semaines, m’ont contraint à remettre au goût du jour l’épineuse question sur les retours de parquet.
Question d’une brûlante actualité, au regard des nombreux cas d’abus dont les personnes arrêtées ont été l’objet. Les détenus politiques Waly Diouf Bodian, Cheikh Bara Ndiaye, Mohamed Lamine Djiba, Pape Abdoulaye Touré et d’illustres anonymes ne diront pas le contraire. Sans oublier Clédor Sene, Assane Diouf, les journalistes Pape Alé Niang, Pape Sané et Serigne Saliou Gueye l’ont appris à leur dépens. L’ancien détenu politique, devenu Président de la République, Son Excellence Monsieur Bassirou Diomaye Diakhar Faye, n’a pas échappé à l’impitoyable “règle” du retour de parquet.
L’honorable député Guy Marius Sagna, pour avoir connu plusieurs retours de parquet lors de ses multiples séjours en prison, pourrait admirablement, j’en suis persuadé, dispenser un cours magistral sur cette pratique, illégale, qui a fini par être imposée.
Les dames, dans la longue liste des victimes ont, également, été durement frappées et ont payé un lourd tribut à cause de cette pratique détestable. Elles n’ont pas été épargnées. C’est le cas de Maïmouna Dieye, maire de la Patte d’oie devenue ministre, de la journaliste Thioro Makhou Mandela née Thioro Diouf, de Ndèye Fatou Fall plus connue sous le nom de Falla Fleur, de Ndèye Amy Dia, de Pascaline Diatta, de Fatima Sonko et de dizaines d’autres femmes.
J’avoue que j’ai vainement compulsé le lexique des termes juridiques, fouiné inlassablement dans le Code de Procédure Pénale du Sénégal et indéfiniment recherché dans les textes spéciaux mais n’ai, une seule fois, pas trouvé la notion « Retour de Parquet» ou «R.P.» en abréviation.
Pas découragé pour autant, j’ai remonté mon passé récent d’étudiant, voilà 33 ans, mine de rien et me suis rappelé de mes cours de procédure pénale. Que toutefois, je ne me souviens, mais pas une seule fois, avoir entendu mes brillants professeurs (dont Elisabeth Michelet) parler de “Ordre de mise à disposition ” autre nom, moins connu, du «Retour de parquet «
Un concept juridiquement… sénégalais ?
Aussi, je me suis posé des questions : ce concept n’existerait-il pas qu’au Sénégal ? N’est-il utilisé que par le Procureur de la République, ses substituts et quelques fois, par le juge d’instruction après réception du dossier accompagné du réquisitoire introductif ?
A ces questions, je réponds, de manière péremptoire, par : Oui ! Un «oui» appuyé.
Et c’est tellement vrai que je n’ai également pas rencontré ledit terme en droit français. Et même si le R.P. existait en France ou ailleurs en Afrique et que les parquetiers sénégalais l’aient emprunté ou copié, il (le retour de parquet) n’en serait pas moins illégal et ce, pour plusieurs raisons.
Non seulement, parce qu’il n’est prévu par aucun texte au Sénégal, comme dit plus haut, mais surtout, parce qu’il est incontestablement une violation flagrante des droits de l’homme. C’est une violation des droits des personnes qui en sont l’objet, pour ne pas dire les victimes. C’est tout simplement, une violation des droits de la défense, une entrave au travail de l’avocat que je suis.
C’est une vraie nébuleuse dans laquelle surfent, tranquillement et sans coup férir, le procureur, ses substituts et le juge d’instruction.
Sauf que, et à la décharge de certains, ils sont plus ou moins tenus de procéder de la sorte au regard des conditions difficiles de travail dans lesquelles ils opèrent. A ce titre, je prendrai le cas du Tribunal d’instance de Rufisque qui, pour une juridiction d’un département aussi important, en termes de ressort territorial, ne compte dans ses effectifs qu’un seul magistrat du parquet, le Délégué du Procureur de la République et ce, depuis près de quatre (04) ans. Inadmissible !
C’est l’exemple que je connais le mieux pour en parler mais suis sûr que d’autres juridictions, d’égale envergure et même de plus grande taille, sont logées à la même enseigne et souffrent terriblement d’un manque criant de bras.
Et c’est le lieu de plaider ou de lancer un appel pressant aux nouvelles autorités pour le recrutement, en nombre important, de magistrats surtout avec l’annonce faite de l’érection de nouvelles juridictions. Les magistrats croulent sous le poids des dossiers. Ils font un travail ardu, sans gros moyens pour ne pas dire en l’absence de moyens. Une tâche difficile, qui ne finit jamais, comme celle de Sisyphe.
Cela dit, j’ai, pour en avoir le cœur net, interrogé, des confrères, des pénalistes chevronnés, qui ont blanchi sous le harnais mais, personne n’a été en mesure de me raconter «l’histoire» du retour de parquet et trivialement, de ce machin. Toujours est-il que le constat est là. C’est une vieille pratique, une pratique vieille de plus de 25 ans qui s’est imposée par la force des choses et qui a fini par être érigée en règle non écrite.
Que signifie « Retour de parquet » ?
D’ailleurs, en quoi consiste-t-il ? Autrement dit que signifie «Retour de parquet»? En l’absence de définition tirée de la loi ou d’un texte, de la doctrine et encore moins de la jurisprudence, essayons d’en donner une tirée de la pratique des magistrats du parquet et des juges d’instruction. Elle se présente dans quatre cas, pouvons-nous dire.
On ne devrait, en vérité, parler de «Retour de parquet ” que dans le cas où la personne présentée au procureur ne connaît pas son sort le jour où elle est ou a été déférée. En effet, lorsqu’une personne est déférée, elle est, par le procureur, soit placée sous mandat de dépôt, soit mise en liberté provisoire. La personne peut aussi voir son dossier faire l’objet d’un classement sans suite ou voir une information (instruction) ouverte contre elle. Et lorsque le procureur ne peut, le jour du déferrement, prendre une des mesures qui précèdent, il est obligé de demander aux agents de l’administration pénitentiaire de lui présenter, à nouveau, le “déféré” le lendemain ainsi que les jours qui suivront et ce, jusqu’à ce qu’il statue sur son sort. C’est le premier cas de R.P. Parfois, et c’est le deuxième cas, on l’appelle improprement «Retour de parquet « alors que juridiquement, la personne n’est plus entre les mains du procureur mais sous la responsabilité du juge d’instruction chargé du dossier. Et c’est précisément le cas lorsque le procureur ouvre une information judiciaire par un acte appelé “réquisitoire Introductif ” et confie le dossier à un juge d’instruction par lui choisi, s’il y a en plusieurs dans la juridiction. Il est souvent arrivé, et c’est fréquent, pour ne pas dire que c’est pratiquement la règle, que le juge d’instruction désigné, pour diverses raisons, ne puisse entendre la personne, le même jour. Ce qui explique, comme le procureur dans le premier cas, qu’il soit obligé de «confier” la personne aux policiers jusqu’au lendemain et les jours suivants si la situation venait à persister.
Il existe un troisième cas de Retour de parquet. C’est lorsque les parties elles mêmes ou par leurs avocats représentées (et c’est souvent à la demande de la personne arrêtée) souhaitent une médiation pénale alors que le dossier est entre les mains du procureur, qui peut accepter ou rejeter la demande.
Une demande aux fins de consignation des montants en jeu peut également justifier un R. P. Et c’est un quatrième cas.
Que toutefois, et il est important de le relever, que ce sont les deux premiers cas qui entraînent le plus, et dans une grande proportion, les R.P. C’est donc un abus de langage, hormis le premier cas, de parler de «Retour de parquet». On devrait plutôt parler de «Retour d’instruction». Laissons, cependant, les choses comme telles appelées et ne changeons rien quant à la dénomination. Conformons-nous à cet abus et continuons, improprement, dans tous les cas de figure et pour faire simple, à utiliser le mot Retour de parquet ou R.P.
En termes simples, si l’on prend les différentes situations, le R. P. est le cas d’un individu qui est dans l’attente de la désignation d’un cabinet d’instruction en vue de son inculpation. Ces R.P sont tout simplement des pratiques attentatoires aux libertés ; pratiques honnies à bannir.
D’ailleurs, certains, durant cinq (05) jours consécutifs, ont été l’objet de retours de parquet. Les plus malheureux ou les moins chanceux font plus, pour avoir été l’objet de six (06), sept (07) voire huit (08) retours de parquet.
Douze (12) retours de parquet, un record !
Les journalistes Serigne Saliou Gueye, Pape Sané et Pape Alé Niang l’ont connu et subi. Le sieur Lamine Ndao, fils du célèbre Procureur général de la Crei à la retraite, Alioune Ndao, aujourd’hui engagé en politique, l’aura appris à ses dépens ou l’aura vécu dans sa chair pour avoir connu dix (1O) de retour de parquet. Le sieur Mohamed Lamine Djiba, plus haut cité, aura été l’objet de onze (11) retours de parquet.
Le plus frustrant est que les jours passés en R. P. ne comptent pas pour le temps de détention qui ne commence à courir qu’à compter de la date de placement sous mandat de dépôt. A titre d’exemple, celui qui a fait cinq (05) RP aura passé. Cinq jours, soit du Lundi au Vendredi, sans que son cas ne soit traité. Si l’on y ajoute le samedi et le dimanche, aura fait sept (07) jours de détention. Sept jours de détention qui ne comptent ou qui ne seront pas pris en compte dans la peine à purger en cas de condamnation.
La dame Yacine Diagne, arrêtée lors des manifestations politiques, n’a certes pas battu le record de R. P. mais a fait l’objet de douze (12) retours de parquet. Et cela pour ne citer que son exemple.
Des « déférés » ballotés comme des sacs à ordures, c’est injuste !
C’est, et le mot n’est pas trop fort, cruel ! Et c’est la raison pour laquelle j’estime que le retour de parquet est, tout simplement, une détention arbitraire. Je martèle et dis que c’est de la détention arbitraire et une violation extrêmement grave du principe selon lequel la liberté est la règle et la détention l’exception. Au Sénégal, le retour de parquet est devenu, malheureusement, une règle.
Toujours est-il, qu’il s’agisse, de «Retour de parquet « ou de «Retour d’instruction», il faut noter que c’est une situation, comme dénoncé plus haut, illégale.
Il est rarement arrivé qu’une personne déférée et contre laquelle le procureur entend ouvrir une information judiciaire soit inculpée le même jour surtout pour les infractions qualifiées de crimes ou délits. Ce n’est pas impossible mais c’est un cas que je n’ai pas encore connu et même s’il existe, cela n’arrive pas souvent.
Pendant que le Procureur de la République attend, en vertu des dispositions de l’article 74 du Code de Procédure Pénale, que le Président du Tribunal de Grande Instance ou le Tribunal d’instance, choisisse ou plutôt exactement propose un cabinet chargé du dossier, la personne ou «le déféré» est ballotté comme un sac à ordures pendant un ou plusieurs jours voire durant plus d’une semaine, s’il est à Dakar, entre la «Cave» (le lieu de détention qui se trouve au Palais de Justice de Dakar) et les commissariats de police (le commissariat communément appelé «Police Centrale» pour les hommes et le commissariat du Plateau, aujourd’hui, auparavant, le poste de police de GrandDakar, pour les femmes).
A préciser, qu’une fois acheminés dans ces lieux, les R. P. ne subissent pas un autre interrogatoire. Ils y sont simplement “déposés” car, les auditions, perquisitions et autres actes nécessaires à la manifestation de la vérité ont déjà été faits et la procédure bouclée, du moins, en ce qui concerne l’enquête préliminaire. Et durant cette période, et la question mérite d’être posée, quel est le statut de la personne ? C’est “l’apatride judiciaire”!
La personne est dans une situation de non droit. Elle est entre le marteau et l’enclume. C’est également difficile pour les parents qui tous les jours pendant les retours de parquet viennent au tribunal pour y rester du matin au crépuscule.
Toujours est-il que pour l’individu entre les mains du procureur ou du juge d’instruction, le nombre de R.P, que j’appelle l’interminable navette, est fonction de la célérité ou du bon vouloir du procureur ou du juge d’instruction surtout que, pendant cette période, les magistrats (juge d’instruction ou le parquet) ne sont enfermés dans aucun délai. Ils peuvent prendre tout leur temps ! Logique me diriez-vous, puisqu’aucun texte ne règle cette situation. C’est un vide juridique.
Cette situation, bien qu’ancienne et connue de tous, n’a, jusqu’ici, malgré les différentes réformes pénales intervenues, connu aucun changement même si, comme dit plus haut, elle préjudicie gravement aux droits des personnes. Et d’ailleurs, rien ne sera fait tant qu’elle ne constitue pas une entrave au travail du parquet ou même du juge d’instruction. Durant cette période, les avocats ne peuvent ou peinent à communiquer avec leur client. Car, s’ils se présentent à la police précisément au poste de police, il leur est opposé cette rengaine : « Désolé Maitre, on nous l’a simplement confié ! C’est un Rp ! Il faut, pour que vous puissiez le voir et communiquer, obtenir l’autorisation du Procureur ou du Commissaire ».
Et lorsque c’est le weekend, c’est pire !
Et lorsque c’est le weekend, c’est pire, surtout que le parquet ne communique pas sur le nom du substitut de permanence. Rien ! Comment, dans ce cas alors, joindre le procureur qui est de permanence ? Ne serait-il pas judicieux ou plus simple que son nom et son numéro de téléphone soient communiqués à l’avocat venu voir son client et, comme dans le cadre de la garde-à-vue, lui permettre de s’entretenir avec lui ?
Et si on le permet durant la garde-à-vue (Règlement 05 CM.Uemoa relatif à l’harmonisation des règles régissant la profession d’avocat dans l’espace Uemoa), pourquoi le refuser lors des R.P. alors que l’enquête a été déjà faite et bouclée ?
C’est une entrave, qui ne dit pas son nom, au travail de l’avocat qui doit pouvoir communiquer avec son client à tout moment et précisément à ce stade. La défense, tant que la personne est privée de liberté ou dans les liens de la détention, est continue. Elle ne doit, en aucun cas, surtout pas pour le motif tiré de l’état ou de la situation de R.P, être nullement interrompue ou suspendue. Elle doit être exercée sans discontinuité.
Et quand le commissaire est absent ou n’est pas sur place, c’est encore plus décourageant. C’est la croix et la bannière lorsque notamment vous n’avez pas son portable. Les policiers refusent parfois de l’appeler. Ils vous disent de le faire mais, en même temps, refusent de vous donner son numéro si vous ne l’avez pas. Etsi vous insistez, ils poussent le ridicule jusqu’à vous dire qu’ils n’ont pas son contact téléphonique. N’est-ce pas de l’obstruction déguisée ?
Et si vous avez la chance de voir le commissaire, votre problème n’en est pas pour autant réglé. Au gré de ses humeurs, il peut refuser ou vous autoriser à voir le «Retourné de parquet « ou R.P. Et souvent, le commissaire refuse. Il invoque le statut du «R.P.» et vous demande de solliciter l’autorisation du procureur sans autre forme de motivation. On revient à la case départ.
Vous tournez en rond et perdez beaucoup de temps, pour ne pas dire, on vous tourne en bourrique. Peut-on, à ce stade de la procédure, interdire à un avocat, en vertu de la loi, le droit d’assister son client ? Le statut, inacceptable mais surtout illégal de «R.P.», fait-il ou devrait-il faire exception ? Le plus grave, c’est que durant cette période, l’avocat, même s’il le veut, ne peut voir le dossier et encore moins en avoir une copie.
Meme le dossier se perd dans les retours de parquet…
Le dossier lui est «caché» pourrait-on dire. Il n’a même pas la possibilité de le lire. Au Parquet, s’il y est encore, il faut un trésor d’efforts et d’ingéniosité pour savoir lequel d’entre les substituts s’en occupe, s’il n’est, le dossier, entre les mains du patron du parquet qui le gère en personne. Vous ne savez même pas à qui vous adresser pour la «localisation» du dossier. Aucune information n’est donnée à l’avocat constitué une fois la personne est déférée, sinon que par les gardes pénitentiaires qui, gentiment, vous livrent des bribes d’informations.
C’est aussi, le même calvaire que subit l’avocat qui s’est constitué dès l’interpellation et/ou qui a même accompagné son client venu répondre à la convocation de la police ou de la gendarmerie. Et pourtant, le procureur le sait bien, puisque l’identité de l’avocat ainsi que ses coordonnées tirées de sa carte professionnelle qu’il présente (sans compter son numéro de téléphone), sont mentionnées dans le procès-verbal d’enquête préliminaire de police ou de gendarmerie. Et parfois, l’avocat a fait des réserves et a même eu à assister son client lors de la perquisition ordonnée pendant l’enquête.
Cette phase du retour de parquet peut être cruciale car, l’avocat peut, au dernier moment, disposer d’informations ou de documents pouvant radicalement et favorablement changer la donne et amener le procureur à changer les mesures qu’il entendait prendre. Ces documents produits peuvent justifier un classement sans suite, laisser la porte ouverte à une médiation pénale (possible dans certains cas) ou amener le procureur, dans son réquisitoire introductif, en lieu et place du mandat de dépôt, à solliciter la mise en liberté provisoire, le placement sous contrôle judiciaire etc.
La logique aurait également été pour le parquet, après avoir recueilli l’avis du président du tribunal, d’aviser, par tout moyen pouvant laisser traces, l’avocat ou les avocats constitués depuis l’enquête préliminaire, sur le cabinet d’instruction choisi.
D’ailleurs, je propose que cette étape, pour recueillir l’avis du président de la juridiction, malheureusement obligatoire et qui, dans la pratique, alourdit considérablement la procédure, soit purement et simplement supprimée. Elle n’est d’aucune utilité. C’est superfétatoire. En effet, non seulement le choix du cabinet ou précisément la proposition du Président du Tribunal ne lie pas le Procureur de la République ou son Délégué, qui peut l’ignorer royalement mais surtout, participe à allonger la situation «bâtarde» du «Retourné de Parquet»
Et souvent, et sans qu’on ne le confesse, c’est une arme redoutable utilisée pour casser de l’opposant, pour brimer des activistes, des célébrités-récalcitrants et ce, en jouant sur leurs nerfs. Ces personnes emprisonnées, récemment, en ont fait l’amère expérience.
Au total, le R.P. est une gangrène à vite expirer, non pas de nos textes puisqu’ils n’existent pas, mais de notre pratique judiciaire.
Les concertations qui auront lieu dans le cadre des réformes hardies envisagées, seront l’occasion de plancher sur de nombreux points relevés par les sénégalais et par les autorités et entre autres, sur celui relatif au retour de parquet. Il sera alors question de proposer une ou des solutions pour que, plus jamais, un sénégalais ne souffre du retour de parquet.
Par Mbagnick DIOP
IL FAUT DECANTER ET DECAPER LA NEBULEUSE DES HYDROCARBURES ET DES MINES
A l’heure où les Sénégalais s’indignent des scandales révélés par les rapports des corps de contrôle (Ige, Cour des comptes, Contrôle financier), il leur est aussi loisible d’exiger que la lumière soit faite sur les contrats gaziers, pétroliers et miniers
A l’heure où les Sénégalais s’indignent des scandales révélés par les rapports des corps de contrôle (Ige, Cour des comptes, Contrôle financier), il leur est aussi loisible d’exiger que la lumière soit faite sur les contrats gaziers, pétroliers et miniers. En langage technique, il est nécessaire de décanter et décaper la nébuleuse des hydrocarbures et des mines. Cette exigence citoyenne est d’autant plus légitime que le Sénégal est décrit comme un futur eldorado avec une croissance à deux chiffres.
Monsieur Macky Sall, prédécesseur du Président Bassirou Diomaye, s’offusquait d’entendre le commun des Sénégalais s’exprimer sur ces questions qu’il a délimitées comme étant la chasse gardée des sachants de son acabit. Dans sa vision des choses, les citoyens sont tenus de croire, sans exprimer le moindre doute, aux promesses d’une vie meilleure avec l’exploitation de nos ressources naturelles, principalement le gaz et le pétrole.
Entre l’espoir et la naïveté, il n’y a qu’un pas que nos compatriotes, exigeants sur eux-mêmes et sur leur gouvernement, se garderont de franchir. Leur circonspection est fondée car aucune communication clairement déroulée ne leur permet de saisir la justesse et la fiabilité des projections faites concernant cette exploitation desdites ressources naturelles.
En attendant de voir les premiers barils de pétrole et les premiers mètres cubes de gaz dépotés dans les raffineries et centrales électriques, il convient d’abord de mettre de l’ordre dans le secteur minier où les exploitants trainent les pieds, font de la résistance abusive pour s’acquitter de la redevance minière et d’autres taxes dûment exigées au titre de l’appui aux collectivités locales dont ils accaparent les terres arables au détriment de l’agriculture.
Sous prétexte qu’elles appliquent, pour des montants dérisoires du reste, une politique de responsabilité sociétale, les entreprises minières appauvrissent démesurément les populations dont les revendications entraînent une répression inadmissible des forces de sécurité réquisitionnées pour faciliter la tâche aux capitalistes sans état d’âme. Et il n’est nul besoin d’aller jusqu’à Kédougou pour voir des exemples de ces exactions des compagnies minières au détriment des populations sur les terres desquelles elles exercent. A titre d’exemple, non loin de Dakar, dans l’arrondissement de Méouane (région de Thiès), des groupes miniers comme Indorama et Grande Côte Opération (Gco) décapent, à qui mieux- mieux, des milliers d’hectares pour exploiter des phosphates et du zircon. Les impacts sur l’environnement et la santé sont nuisibles et les populations riveraines des installations n’en peuvent plus de suffoquer sans une prise en charge médicale adéquate. Et sans bénéficier des retombées de l’exploitation de leurs terres.
L’attrait de l’or a dépeuplé les champs…
A Kédougou, dans la région naturelle du Sénégal-Oriental, l’exploitation de l’or a réduit les surfaces agricoles comme peau de chagrin. Dans cette région jadis propice aux cultures du coton, du riz et du fonio, la soif de l’or a désorienté les priorités économiques. Naguère engagées dans une stratégie d’intensification des cultures, sous l’encadrement de la société de développement des fibres et du textile (Sodefitex), les populations de cette région se contentent aujourd’hui d’une production vivrière minimale. L’attrait de l’or a dépeuplé les champs et cette ruée vers le métal jaune a compromis les perspectives de développement agricole offertes par l’Organisation pour la mise en valeur du fleuve Gambie (Omvg).
Or, de cet or (sans jeu de mots !), les Sénégalais n’en ont qu’une vague connaissance. Pour ne pas dire qu’ils n’en voient pas les retombées. Depuis plus qu’un quart de siècle, ils en entendent parler sans que leur quotidien en ait été transformé qualitativement.
Au nord de notre pays, dans la circonscription administrative de Matam (région naturelle du Fouta-Toro), l’exploitation du gisement de phosphate de Ndéndory, Orkodiéré et Ouali-Diala est réellement un énorme gâchis. Concédé sur des bases nébuleuses pour enrichir des hommes de paille, ce gisement est malheureusement exploité selon des procédés aux antipodes de choix économiques raisonnables. Résultat, les affairistes se disputent sans cesse les panneaux miniers au mépris des dispositions réglementaires. D’où l’impératif d’un redressement sur la base d’un code minier judicieusement élaboré pour mieux situer les intérêts de l’État dans la constitution des sociétés concessionnaires.
Parallèlement aux erreurs de l’exploitation minière, le gouvernement doit se pencher résolument sur la complexité des contrats établis pour l’exploitation des hydrocarbures. Il est évident qu’il aura fort à faire pour déjouer les coups fourrés des majors dans l’exploitation du gaz et du pétrole. Les coûts cachés et les sociétés-satellites induisent une répartition inappropriée des profits. Les sociétés satellites sont créés pour l’évasion fiscale et l’usurpation des ressources théoriquement destinées au contenu local. Ces facteurs doivent être cernés et corrigés de sorte que les gisements ne deviennent pas un marais dans lequel le Sénégal s’enlisera.
En bonne intelligence avec la République de Mauritanie, et dans une dynamique de réajustement sans ambiguïté, les autorités de notre pays ont l’impérieux devoir de normaliser le processus qui doit aboutir à un partage convenable des recettes de l’exploitation de notre pétrole et de notre gaz.
Mbagnick Diop
Par Mamadou Ndiaye
FIGURES HYBRIDES
Une campagne peut en cacher une autre. Le délitement du monde urbain ne se limite plus aux villes. Il affecte le monde rural qui reproduit un mode de vie loin d’être le sien.
Une campagne peut en cacher une autre. Le délitement du monde urbain ne se limite plus aux villes. Il affecte le monde rural qui reproduit un mode de vie loin d’être le sien.
Cet incompréhensible mimétisme fausse le jeu des rapports et ôte à la ruralité son identité propre. En gommant, par ce biais, les différences, donc les spécificités, les deux univers se rapprochent au détriment de l’espace rural qui perd ainsi sa personnalité, son caractère et peut-être même sa géographie s’en trouve profondément modifiée.
Des voix s’élèvent pour flétrir l’effacement des facteurs de distinction. Mais qui les écoute pour les entendre ? Et pourtant elles ont raison d’alerter en se fondant sur les dangers qui guettent, l’engorgement dans les villes, et la ruée vers les campagnes comme zones de déversoir du trop-plein des centres urbains.
Désormais, la ville s’étend à la campagne dont les terres arables se rétrécissent en termes de superficies. Peu de monde s’en aperçoit. Conséquence immédiate : l’agriculture paysanne se modifie entrainant une baisse de la production familiale qui nourrit encore les ruraux.
Rien, pour l’instant, ne semble inverser la tendance. Or il urge d’agir pour mieux protéger l’espace rural que tous s’accordent à considérer comme « lieu stratégique de rayonnement » d’une économie recentrée. L’agriculture sera la base du décollage industriel de l’Afrique. A cet égard le débat est clos.
En plaidant pour une souveraineté alimentaire, il importe de définir une politique agricole ajustée à cet objectif. D’abord sauver les terroirs ruraux avec les vies et les activités qui s’y mènent en impliquant davantage les acteurs locaux dans la transformation graduelle et non brusquée de leur environnement. Le rythme de ce processus obéit à des facteurs endogènes qu’il importe de maîtriser pour ne pas reproduire des effets indésirables.
Dans quelques semaines, notre pays va renouer avec un hivernage pluvieux, annonce la météo nationale. Elle prédit même de fortes pluies, durables et largement réparties. Donc l’eau de pluie sera abondante. Une fois cela dit, que reste-t-il à faire ? Beaucoup.
La première attitude qui convienne est d’anticiper en mettant sur la table les vrais scénarios de prise en charge du phénomène attendu. Lequel, faut-il le rappeler, ne s’appréhende pas de la même manière en ville et à la campagne. De part et d’autre, le sourire est soit enjôleur ou carnassier.
Ces émotions furtives seront de peu d’effet face aux enjeux de protection, de projection et d’injection de moyens pour ne pas vivre dans la hantise comme les fois précédentes. La pluie n’est pas une menace mais un espoir. Elle représente un risque mineur si, en amont, les mesures appropriées sont prises pour canaliser les circuits de ruissellement.
En campagne l’abondance d’eau ne nuit pas. Mieux, elle est souhaitée. Et une fois qu’elle tombe, elle soulage, pondère les tempéraments et fouette les orgueils au sens d’amour-propre en direction des travaux champêtres. Aux autorités politiques et aux dirigeants des institutions faîtières de se hâter sans toutefois se précipiter pour amorcer la conduite des changements dans la vaillante lutte pour se nourrir de ce qu’on produit. Entre eux et les agriculteurs, les vrais, les passerelles peuvent s’établir avec moins d’intermédiation.
Ceux qui s’adonnent à cette pratique sont décriés. Ils sont nombreux, organisés. Ils se protègent en se couvrant pour mieux survivre. En outre, ils sont connectés à tous les centres de décision qu’ils tentent d’influencer par divers stratagèmes. Les affinités, les accointances, les valeurs, les origines, les appartenances et les liens familiaux se conjuguent avec subtilité si ce n’est avec habileté pour pérenniser des faveurs iniques.
Or ce cri du cœur est partout entendu, relayé dans les médias, amplifié dans les foyers religieux et fredonné par des artistes de renom à « l’âme bien paysanne. » Des semences aux intrants en passant par le matériel agricole, tout le circuit est court-circuité par ces indélicats qui n’ont que trop sévi.
Cela suffit à renforcer la perspective puisque désormais l’opinion s’empare de la problématique. Ces objections leur donnent chair avec une fougue combative inconnue jusque-là. Les céréales locales ont la côte. Une prise de conscience entérine la reconnaissance de leur valeur nutritive. Les femmes, véritables vecteurs de promotions, les plébiscitent.
Les recettes culinaires qui en découlent désarçonnent plus d’un, notamment parmi le réticents de moins en moins dubitatifs. Cet élan de sympathie en faveur d’une réinvention diffuse de nos patrimoines devrait être perçu comme une opportunité pour accentuer les ambitions affichées.
Tout concourt à une réelle émancipation qui, pour être effective, devrait se traduire par un relèvement du niveau de vie des populations et un accroissement conséquent des revenus ruraux, élevage et pêche inclus. A cette fin il est attendu du nouveau gouvernement, principalement au Ministère de l’Agriculture, de nouveaux repères adossés à de nouveaux codes pour fluidifier les rapports en élaguant les lourdeurs qui ont longuement vicié l’atmosphère au sein du secteur agricole.
Le combat à mener ne sera pas de tout repos. Cela va sans dire. Car ceux qui sont mis à l’index disposent encore d’arguments de puissance : connaissance des milieux ruraux, facilité d’adaptation (pour laisser passer l’orage), reconversion et leviers de connivence pour des ententes secrètes à l’abri des regards de suspicion.
A leurs yeux, changer les règles se ferait contre eux et contre leurs intérêts. Ils n’ont pas l’intention de céder et ne videront pas facilement les lieux. Pas plus qu’ils ne déserteront ces juteux secteurs au sein desquels ils sont des notabilités connues. Et reconnues ? Eux rasent les murs sous peine d’attirer encore plus d’hostilité. Et comble du paradoxe, ils n’excluent pas de prendre une part active à l’élaboration d’une politique agricole émancipée ! Ils savent naviguer même en eaux troubles en haute mer.
En revanche, le seul sujet légitime de la politique agricole reste et demeure le monde paysan qui ne se dépeuple pas malgré la sévérité des conjonctures. Des vocations se comptent par milliers chez les Sénégalais qui renouent par nécessité avec la terre.
Assiste-t-on à l’émergence de figures hybrides, nées en ville et adorant la campagne ou d’extraction rurale et à forte culture périurbaine ? Ce travail revient aux sociologues spécialistes des mutations et des dynamiques socio-économiques. Dès lors, il leur appartient de cerner les nouveaux pouvoirs d’influence au sein d’un monde rural qui change de nature, de vocation et d’échelle de perception.
Par Mamadou SECK et Ababacar FALL
RATIONALISATION ET FINANCEMENT PUBLIC DES PARTIS POLITIQUES
Le président Sarkozy, dans son ouvrage récent intitulé « Le temps des combats »1 affirmait que « dans une démocratie, le débat comme le contradictoire sont la règle. Et l’excès de ceux-ci sera toujours préférable à leurs insuffisances »
Mamadou SECK et Ababacar FALL |
Publication 14/05/2024
La crise des partis politiques : faillite ou crises d’identité
Le président Sarkozy, dans son ouvrage récent intitulé « Le temps des combats »1 affirmait que « dans une démocratie, le débat comme le contradictoire sont la règle. Et l’excès de ceux-ci sera toujours préférable à leurs insuffisances ». Ceci pour camper le décor quant à la pertinence, dans une démocratie, d’un pluralisme politique, mais scrupuleusement encadré.
Les partis politiques contribuent, dans un contexte de pluralisme politique, à la formation et la diffusion des opinions, à l’invention et à l’apprentissage des répertoires d’actions légitimes ainsi qu’à la transmission de croyances sur le pouvoir. Tous les travaux consacrés aux partis politiques privilégient, parmi leurs diverses caractéristiques, leurs tendances « à procurer à leurs chefs le pouvoir » (Max Weber), « à conquérir le pouvoir » (Georges Burdeau), à faire bénéficier leurs membres de « l’exercice du pouvoir c’est – à – dire soit de la conquête, soit de la conservation du pouvoir » (Raymond Aron).
Le Sénégal n’échappe pas à cette règle. Il convient toutefois de souligner que la situation qui sévit dans les partis politiques mérite une analyse assez pointue tant du point de vue de leur fonctionnement que de leur rapport au pouvoir et aux populations.
A la survenue de la première alternance démocratique en 2000, le nombre des partis politiques était de 45 environ ; en avril 2017, ce nombre est passé à 260 environ. Le quotidien « Le Soleil », dans un document exclusif daté du 06 avril 2018, informait de l’existence de 299 partis politiques avec un état des lieux du nombre de partis créés sous le magistère de chaque Président depuis Léopold Sédar Senghor(03) jusqu’à Macky Sall (111), en passant par Abdou Diouf (41) et Abdoulaye Wade (143). En février 2024 sous le magistère du Président Macky Sall, ce nombre est passé à 366 dont 70 seulement avaient une adresse précise selon le Ministre de l’Intérieur Sidiki KABA. Il y a très certainement des demandes de reconnaissance en cours d’instruction.
QU’EST CE QUI A PU FAVORISER UNE TELLE SITUATION ?
Analyser une telle situation de foisonnement de partis politiques impose de jeter un regard critique sur le militantisme, l’échec des partis politiques. Les partis politiques, comme nous l’avons affirmé supra, ont trois missions essentielles : ils sont des machines pour la conquête et la conservation du pouvoir, des espaces de dialogue et de confrontation d’idées et enfin des cadres de socialisation. Ces trois missions peuvent être des critères pertinents à l’aune desquelles les 366 partis politiques officiellement reconnus devraient être passés au crible. Il est évident qu’une crise du fait partisan impacte de manière « pavlovienne » la qualité de notre système politique qui a encore des résultats à réaliser, tant les acquis sont fragiles.
Par ailleurs, il convient d’emblée de préciser que les coalitions politiques ont une reconnaissance et un fondement constitutionnel. En effet, la Loi fondamentale actuelle, en son Article 4 affirme que : « Les partis politiques et coalitions de partis politiques concourent à l’expression du suffrage dans les conditions fixées par la Constitution et parla loi. Ils œuvrent à la formation des citoyens, à la promotion de leur participation à la vie nationale et à la gestion des affaires publiques ».
L’alternance survenue en 2000, par le fait d’une coalition autour de la principale force politique de l’opposition que constituait le PDS, a fini de convaincre nombre d’acteurs politiques – à tort ou à raison – que seule une coalition politique peut venir à bout du pouvoir. Du reste, le parti dominant qui s’installe a tendance à élargir sa sphère d’influence avec le slogan « gagner ensemble, gouverner ensemble » pour rallier autour de lui les partis l’ayant soutenu, car ayant nécessairement besoin d’un nouveau socle pour conforter son pouvoir. Pour le cas du PDS, c’est dans ces conditions que l’idée de création d’un cadre organisationnel fut agitée et prit forme avec la mise sur pied de la Convergence autour des actions du président de la République pour le troisième millénaire (CAP 21) qui, jusqu’à la veille de l’élection présidentielle de 2012, ne comptait pas moins de 80 partis qui prétendaient soutenir le Président Wade.
A la survenue de la seconde alternance, cette pratique prit une tournure beaucoup plus pernicieuse avec la création à une cadence plus accélérée de partis politiques qui vont faire acte d’allégeance au nouveau pouvoir en intégrant la Coalition Benno Bokk Yaakaar. On retrouvera dans cette coalition de nombreux partis qui, dans le cadre de la CAP 21, avaient pourtant soutenu le Président Wade.
Aujourd’hui, la Coalition Diomaye Président regrouperait selon certaines déclarations environ 200 partis, mouvements et personnalités indépendantes à la seule différence par rapport aux coalitions précitées que les partis qui la composent ont rejoint la Coalition dans un moment de grande incertitude politique où le principal parti dominant était encore dans l’opposition. Qu’en sera-t-il maintenant qu’il exerce le pouvoir ? L’avenir nous édifiera.
Ce regroupement dans des coalitions, il faut l’avouer contribue à ternir l’image, voire à décrédibiliser grandement la pratique politique, du fait d’une tendance des partis lilliputiens et des organisations sans consistance à rejoindre les coalitions avec la seule préoccupation de profiter des avantages et faveurs que cela procure.
CADRE JURIDIQUE OBSOLETE, UN DETERMINANT PRINCIPAL A LA CRISE DU FAIT PARTISAN
La floraison de partis politiques qui a dépassé la barre des trois cents soixante-six formations enregistrées dans les livres du Ministère de l’Intérieur, partis dont les lignes idéologiques ou doctrinales restent vagues, confuses et non adossées à des programmes clairs et cohérents constitue une des modalités de l’essoufflement de la démocratie au Sénégal.
Rappelons que, si l’on se réfère au cadre juridique actuel, les partis politiques sont régis par la Loi n° 81/17 du 6 mai 1981 qui a marqué la fin de la limitation du nombre de partis ainsi que la suppression à la référence à un courant de pensée. Cette modification a constitué en son temps une avancé par rapport à la Loi constitutionnelle n° 76- 01 du 29 mars 1976 qui instituait un régime de tripartisme assorti de l’obligation pour chacun des partis politiques, de représenter l’un des courants de pensée suivants : libéral, socialiste, marxiste-léniniste ou communiste auxquels va s’ajouter un quatrième courant conservateur suite à la modification de certaines dispositions de la Loi constitutionnelle n° 78-60 du 28 décembre 1978.
Cette Loi sera modifiée plus tard par la Loi n° 89-36 du 12 octobre 1989 qui modifie les articles 4 et 5 de la Loi de 1981 qui font ainsi obligation aux partis de déposer auprès du Ministre de l’Intérieur qui leur en donne récépissé, toute modification intervenue dans les statuts et règlements intérieurs, sous peine de dissolution. Ainsi la dissolution vise les subsides reçus de l’étranger ou d’étrangers établis au Sénégal, l’application d’une modification statutaire refusée par le Ministre de l’Intérieur et enfin dans les cas où le parti politique par son activité générale ou par des prises de position, a volontairement exprimé un mépris aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 3 de la Constitution.
De même, cette loi garantissait l’accès des partis politiques aux antennes de l’Office de radiodiffusion télévision du Sénégal (ORTS- chaine de télévision public d’alors) pour la diffusion de leurs communiqués de presse et la couverture de leurs manifestations statutaires.
Dans une communication d’une grande valeur scientifique présentée à l’occasion d’un panel organisé parle GRADEC sur la rationalisation des partis politiques, le Docteur Mamadou Moustapha Thioune ancien directeur des libertés publiques au ministère de l’Intérieur concluait en ces termes :
« La problématique de la rationalisation de l’espace politique s’installe progressivement dans le débat public national. En effet, il y a, actuellement 300 partis politiques officiellement reconnus. Mais, il est évident que ces formations politiques ne sauraient présenter aux citoyens sénégalais autant de projets de société cohérents et distincts. Dès lors, leur rationalisation démocratique devient nécessaire afin de permettre une meilleure lisibilité de l’arène politique. Il ne s’agira pas d’instaurer une démocratie sans partis politiques comme ce fut le cas avec la démocratie en mouvement en Ouganda sous Yoweri Mousséveni, car comme l’affirme avec raison Hans Kelsen, « la démocratie moderne repose entièrement sur les partis politiques, dont l’importance est d’autant plus grande que le principe démocratique reçoit une plus large application ». 2 Il s’agira plutôt d’instaurer un cadre juridique permettant d’avoir des partis politiques viables et compétitifs. En définitive, les partis politiques sont pour la démocratie ce que le sel est pour la cuisson : ils sont nécessaires, mais il faut en éviter l’excès.
Le débat sur la rationalisation des partis politiques n’est pas seulement celui des politiciens ou des politiques, mais un débat de société qui interpelle, au-delà des considérations partisanes, le citoyen tout court. »
Dans le contexte du Sénégal d’aujourd’hui, il convient de souligner que cette Loi de 1989 est devenue obsolète et qu’il faille repenser la création des partis politiques en créant les conditions d’un large dialogue en vue de rationaliser et de moderniser les partis politiques. Sur les 366 partis officiellement déclarés, force est de constater que beaucoup n’ont plus d’existence pour diverses raisons.
A cet effet, les propositions que voici pourraient constituer une base de discussions pour arriver à des résultats probants.
1 – Faire l’état des lieux des partis légalement reconnus et supprimer du fichier tous les partis qui n’existent que sur le papier (partis ayant fusionné avec d’autres ou qui n’ont plus de présence sur l’échiquier politique du fait de la volonté ou du décès de leur fondateur) 2 – Exiger une caution non remboursable au dépôt de demande de reconnaissance pourtoute nouvelle création ainsi qu’une liste de membres fondateurs jouissant d’une bonne moralité et résidant dans la moitié des régions 3 – Exiger le respect des dispositions de l’article 04 de la Constitution en son dernier alinéa qui impose des règles de bonne gouvernance et de la loi sur les partis concernant le dépôt obligatoire des états financiers à la fin du premier trimestre de l’année suivante. 4 – Obliger tous les partis politiques à participer seul aux élections territoriales dans un dixième des collectivités territoriales et dissoudre tous ceux qui n’auront pas deux fois de suite atteint 2 % des suffrages globaux ; 5 – Dissoudre tout parti politique qui n’a participé à aucune élection au moins une fois depuis sa création ; 6 – Légiférer sur les coalitions de partis politiques en exigeant leur portage par un des partis qui la compose et qui a participé à deux élections au moins.
La question de la rationalisation des partis risque de rester un serpent de mertant elle a été évoquée moult fois, sans action concrète. La Charte de gouvernance des Assises nationales de même que des voix très autorisées du milieu académique, de la société civile, etc. y ont réfléchi et ont proposé des pistes de solutions fort intéressantes. Le changement proposé parles actuels tenants du pouvoir pourrait être une grosse opportunité pour en finir avec une anarchie qui brouille la lisibilité de l’espace politique, donne l’impression d’un espace politique lieu de prédation et décourage l’engagement de profils très intéressants du fait de la mauvaise image de certains acteurs engagés dans la compétition politique.
De fait, si la question de la rationalisation des partis politiques n’est pas réglée, il sera difficile, voire impossible de trouver une solution au financement public ; problématique qui suivra dans la deuxième partie de notre contribution.
1.Nicolas Sarkozy, « Le temps des combats », Fayard, 2023, p. 60
2. H. KELSEN, La démocratie, Paris, Librairie du Recueil Sirey, 2ième éd., 1932, p.19. Hans Kelsen est un des théoriciens de l’institutionnalisation des partis politiques. Il estime que « la démocratie ne peut sérieusement exister que si les individus se groupent d’après leurs fins et affinités politiques, c’est-à-dire si entre l’individu et l’Etat viennent s’insérer ces formations collectives dont chacun représente une certaine orientation commune à ses membres : les partis politiques. La démocratie est donc nécessairement et inévitablement un Etat des partis ». in, La démocratie, sa nature, sa valeur, Paris, Economica, 1988, p.29
par Ousmane Sy
BOUBACAR BORIS DIOP ET LES LANGUES : TOUT N’EST PAS FICTION
EXCLUSIF SENEPLUS - La lettre ouverte co-écrite avec Ngugi Wa Thiong'o laisse entrevoir une tendance sous-jacente à la hiérarchisation des langues sénégalaises, avec une mise en avant du wolof
Il est très difficile pour un passionné de lecture de résister à la plume et au style ô combien soignés de Boubacar Boris Diop. Lire cet homme procure un plaisir immense tant son cocktail est savamment bien dosé. Au-delà de ce style soigné et très souvent hautement intellectuel, il est naturel qu’on ne partage pas des fois ses positions, ses angles d’attaque et conséquemment ses conclusions.
Si la première partie de cette lettre a été dithyrambique à l’égard du destinataire, ce qui en fait peut relever d’un engagement politique, la seconde partie, par contre pose problème. Cette partie qui traite de questions et de planification linguistiques est à approfondir et à améliorer du fait qu’elle comporte en certains endroits des légèretés.
Au paraitre, elle serait bien teintée de subjectivités qui altèrent la rigueur scientifique et linguistique requise pour un tel sujet. Faire un plaidoyer pour les langues en soi est déjà une bonne chose mais la conception de l’organigramme des langues est malheureusement trahie par l’envie manifeste d’imposer le wolof comme langue officielle à la place du français.
La réflexion réfute sans ambages « toute hiérarchisation des langues » mais retombe aussitôt dans le même panneau. Le décret de 1971 avait élevé six langues (joola, mandinka,pulaar, serere, Soninke et wolof) au rang de langues nationales et pourtant malgré cette décision, la pratique linguistique aura plutôt penché pour une wolofisation tacite.
Une politique de laissez-faire qui permet sans décision administrative de donner tacitement tous les statuts à cette langue. Pour illustration, l’utilisation de nos langues dans nos médias officiels est éloquente à plus d’un titre quant à la volonté de faire du wolof la langue du travail. De fait, comme le montrent les articles de (D. C O’Brien) « the shadow-politics of wolofisation et de (Fiona Mc Laughin), Haalpulaar identity as a response to wolofisation, cette tendance à la hiérarchisation des langues entrainent des réponses communautaires. On est bien dans la hiérarchisation des langues depuis des décennies et la réflexion aurait pu relever cet état de fait, attirant ainsi l’attention du destinataire et décideur.
Le wolof est bien une lingua franca au Sénégal mais, selon les ères géographiques, nous avons encore d’autres lingua franca. Au Sud, le joola et un manding peuvent échanger en créole. Au nord, un soninke et wolof peuvent échanger en pulaar. On ne peut pas faire fi de toutes ses richesses.
Pour rappel, les recommandations du CNRF de 1983 parlaient déjà de la langue de la communauté dans un organigramme des langues à l’école qui faisait ni plus ni moins que le bilinguisme soustractif qui au fait ne promeut qu’une seule langue. La conception est bien celle-là : « la langue maternelle, d’abord. Et ensuite, disons le wolof. Ensuite, disons le swahili, le français, etc. ». On note bien la subtile et volontaire gradation vers le dessein caché. Ainsi, la réflexion part de la base des langues sénégalaises, (ce que nous partageons fort bien) mais dérive doucement vers un parti pris. A y voir de près, les autres langues ne seraient là que pour le décor. Cette conception pas loin de celle de 1983 rappelle le bilinguisme soustractif qui se résume à l’équation : L1 + L2 – L1 = ?
En effet, le wolof étant une langue maternelle, viendrait d’abord en tant que langue maternelle et ensuite reviendrait en vertu de quel statut ? Et pour quelle fonction ? Et que deviendront les autres langues nationales étant toutes celles codifiées avec les nouvelles dispositions constitutionnelles de 2001 ? Promouvoir les langues ne peut se limiter à les nommer et à les présenter pour un faire-valoir. Les promouvoir revient à les moderniser et à introduire au moins les six d’entre elles qui ont connu des études soutenues (Dr Sylla Yero 1991) dans divers domaines dont la linguistique et la production à l’école comme langues d’instruction. Le principe est d’introduire ces langues à l’école et de les y maintenir. Ce qui nous aiderait à avoir des enfants sénégalais aptes à parler au moins trois langues nationales. Cet effort qui serait renforcé de voyages d’immersion de petits locuteurs joola en pays serere et de petits locuteurs soninke en pays wolof, renforçant ainsi ce brassage culturel qui fait que le Sénégal est un havre de paix.
On voit apparaitre en filigrane dans la perception, le Sénégal (wolof) l’Afrique (le swahili) et le monde par d’abord le français. Thiong’o est Gikiyu voisin des luwo dans une région où le swahili est presque la grande langue de communication avec environ trente et soixante millions de locuteurs dont quinze pour langue première. Elle a un statut officiel dans quatre pays et au moins dans deux organisations. Le gikiyu ne s’est pas contenté de sa langue maternelle mais a suivi des principes autres que l’émotion et la subjectivité. Si nous parlons de l’Afrique, il est difficile que le mot langue soit au singulier d’une part. Et d’autre part, nous devons parler des langues africaines et point de nos langues maternelles. Même si la planification linguistique a des aspects politiques, il n’en demeure pas moins que l’arbitraire ne peut prévaloir dans ce contexte précis. Elle obéit tout au moins à une logique linguistique et sociolinguistique donc à des études soutenues sur lesquels se fondent un décideur sérieux. L’honnêteté intellectuelle de reconnaitre que le wolof est une lingua franca au Sénégal est celle-là qui nous met devant l’évidence de reconnaitre que, dans le cadre africain, le wolof n’est pas répandu. Force est de reconnaitre qu’en dehors des frontières de la Sénégambie et de la Mauritanie, le wolof reste une langue étrangère qui n’est parlée que par les ressortissants de la Sénégambie et de la Mauritanie dans une moindre mesure. Toutefois, le Sénégal a cette grande opportunité de compter parmi ses langues le mandinka et surtout le pulaar plus connu sous le vocable fulfude. On estimait déjà en 2010 le nombre de locuteurs à vingt-cinq millions de locuteurs (M. Barro 2010)[1] dans plus d’une vingtaine de pays avec des variétés dialectales mutuellement intelligibles. Ce n’est pas un hasard si nous avons aujourd’hui RFI mandenkan et RFI fulfulde. La toute nouvelle chaine Pulaagu sur le bouquet Canal+ passe des productions de plusieurs pays africains où le fulfulde est bien présent.
En Afrique de l’ouest, elles sont de loin les deux langues les plus transfrontalières et peuvent servir de moyens de communications dans tous les pays de cette région. En Afrique centrale, le fulfulde est très présent et constitue la langue véhiculaire dans le nord du Cameroun. Compte tenu de cette situation, le mandinka et le fulfulde occupent une place de choix pour figurer dans le cercle des langues de communication dans nos pays, notre sous-région et notre continent. Elles allient deux principes fondamentaux à savoir, le nombre de locuteurs et la répartition géographique. Ignorer ces données, c’est négligé un outil linguistique très important dans l’unification culturelle de l’Afrique si chère à Cheikh Anta Diop.
Ousmane Sy, ès-didactiques des langues, enseignant au lycée de Donaye Taredji.
La déception peut être naturelle après une défaite électorale et la perte de membres clés, mais c’est aussi une opportunité de renouveau. C’est le moment de réaffirmer nos valeurs, notre vision et notre engagement envers notre parti et envers les citoyens
La déception peut être naturelle après une défaite électorale et la perte de membres clés, mais c’est aussi une opportunité de renouveau. C’est le moment de réaffirmer nos valeurs, notre vision et notre engagement envers notre parti et envers les citoyens que nous servons.
Pour remobiliser les militants, nous devons écouter leurs préoccupations, reconnaître leurs efforts et leurs sacrifices, et leur offrir un espace pour contribuer activement à la réflexion et à la reconstruction du parti. Nous devons également réaffirmer notre engagement envers la transparence, la démocratie interne et la responsabilité, afin de restaurer la confiance au sein de notre base militante.
Enfin, nous devons nous concentrer sur l’avenir, en élaborant une stratégie solide pour renforcer notre parti, élargir notre base de soutien et préparer nos militants pour les prochaines échéances électorales. Cela nécessitera un leadership fort, une communication efficace et une collaboration étroite entre tous les membres du parti.
Ensemble, en tant que militants de Rewmi, nous pouvons surmonter les défis actuels et continuer à travailler pour un avenir meilleur pour notre pays et ses citoyens.
par Cheikh Kasse
NOS LANGUES, À CONDITION QU’ELLES PARLENT FORTEMENT NOS IMAGINAIRES
EXCLUSIF SENEPLUS - Il y a un rapport idéologique à reconstruire avec sa propre langue : celle de sortir de la vision d’un Universel qui aplatit et détruit les divers cultuels, sociologiques, anthropologiques
Ces deux écrivains, dans leurs prescriptions, posent la centralité d’une langue dans la continuation anthropologique d’une communauté pour la sauvegarde de son imaginaire. C’est par la langue que l’essence d’une communauté se prolonge. Pourquoi il n’y a pas de mots wolofs pour désigner millions, milliards ? La réponse est dans l’absence de propension exagérée d’accaparement et de richesses au-delà des besoins de survie. Pourquoi le mot « mbok » signifie de nos jours « parents » alors qu’il est de la même famille que « bokk » qui veut dire : « se partager, ou ce qui est à tous » ?
Dans la réalité du carnage foncier sous le régime de Macky Sall, ce qui est agité contre son illégalité est une expression, ce qui est à tous, « li ñepp bokk ». La communauté dépose dans les mots le sens fort d’un en- commun. Dans les autres langues africaines, longtemps résilientes aux valeurs capitalo-libéralistes, il y a des traces - mémoires d’un en-commun tenace. Donc, l’enseignement et la pratique de nos langues prolonge leur lente et forte volonté de porter l’identité, les cultures, les imaginaires propres à nos sociétés africaines.
Donc, aujourd’hui, parler, écrire nos langues sont, certes, un palier important dans la reconquête de nos cultures, de notre souveraineté. Mais sont-ils suffisants pour ne pas parler la culture dominante de l’autre ?
Nous vivons dans ce que Patrick Chamoiseau nomme un monde-relié où règne, de nos jours, une domination furtive. Dans la domination brutale, l’injonction était de remplacer sa langue, sa culture par celles des dominateurs. Aujourd’hui, la domination furtive se fait par la cybernétique, les réseaux « sociaux ». Les centres dominateurs ont anesthésié les communautés. Patrick Chamoiseau décrit l’époque dans laquelle nous vivons en ces termes : /…/ La domination furtive ne s’oppose à rien. Ses forces uniformisantes naissent de puissances dématérialisées qui se moquent des vieilles armes. Je pouvais parler ma langue. Hisser mon drapeau. Clamer mon Dieu./…/ Je demeurais la proie de pouvoirs commerciaux : images, médias, finances, médicaments, consommation… Leurs points d’impulsion ne sont plus seulement des États-Territoires, mais, au cœur du cyberspace, des nodules d’interactions qui propagent des standards auxquels tu devrais adhérer.
Si nous sommes dans ce monde de domination furtive du capitalo-libéralisme, parler et écrire sa propre langue ne suffisent plus. Les valeurs standards (l’individu, l’atomisation même en étant en groupe, l’argent, la marchandise, le marché, etc.) passent aussi dans et par nos langues.
Il y a, à mon avis, un rapport idéologique à reconstruire avec sa propre langue. Et Chamoiseau dit qu’il y a lieu de dire contre et à l’endroit de la langue dominante : « Cette langue, c’est ma patrie. Cette langue m’a choisi ou j’habite cette langue. » Cette bifurcation te met en garde de la parler en l’infusant d’énormément de mots d’emprunt d’autres langues comme le français, le wolof, etc. Le présentateur de télévision, de radio, le discoureur dans sa propre langue refuse sciemment le processus de créolisation de leur-s langue-s par des langues dominantes (français, wolof, etc. Ce rapport idéologico- affectif est tout aussi une conscience de se défaire des normes standardisées propagées par la domination furtive qui sont les filets de notre déshumanisation. Alors que nos langues nous parlent autre pour nous rappeler la tradition de notre en-commun : « Nit nitëy garabam », ((traduit difficilement par l’homme est le remède de l’homme), la préservation de notre patrimoine identitaire : ku wacc sa ànd ànd bo dem fekko mu toj » (celui qui abandonne sa culture est sans culture ». Et beaucoup, beaucoup d’autres choses.
L’autre bifurcation fondamentale est le recentrage dans nos langues de nos imaginaires, de nos cosmogonies qui pourtant se démerdent encore par des grouillements païens, traditionnels parce qu’il y a le contrôle d’autres langues, d’autres croyances religieuses. C’est dans ce sens que la prescription de Boubacar Boris Diop et de Ngugi wa Thiong’ o de mettre aux programmes de nos classes les thèses de Cheikh Anta Diop, de traduire nos monuments littéraires en langues nationales pour que les traces-mémoires de nos traditions qui s’y trouvent participent de la re-fondation de notre identité. Césaire nous parle de ne pas nous en faire des clichés de racisme, populisme : « Ce n’est pas par haine des autres races que je m’exige bêcheur (arrogant) de cette unique race (les noirs). »
Dans ce monde-en-relation, des langues disparaissent sous l’œil joyeux des langues dominantes. Des cultures, des cosmogonies aussi par le processus de l’unité universalisante, donc par la négation ou l’uniformisation de ces divers. La bataille idéologique est de sortir de la vision d’un Universel qui aplatit et détruit les divers cultuels, sociologiques, anthropologiques. À ce niveau, la bifurcation se fait par une conscience d’être comme dit Édouard Glissant (écrivain nègre) l’oiseau de son propre divers qui vole vers d’autres lieux qui cherchent pourtant à imposer leurs divers derrière le masque de l’Universel.
C’est quoi le divers que chacune de nos langues doit porter ? Hélas, je cite encore Chamoiseau (oiseau de Cham, l’ancêtre des noirs brûlés par Dieu selon l’imaginaire européen mais principalement méditerranéen, Chamoiseau est un fils de descendants d’esclaves noirs de Martinique). Il écrit : « le divers est ce qui me densifie et me disperse, m’éloigne et me ramène, me nomme et me dilue, m’a précédé et me prolongera. » Le seul véhicule des divers d’une communauté qui entre en relation avec d’autres est sa langue. Et pour continuer ce que nous fûmes, « les fils aînés du monde », sans se faire absorber et sans le faire à d’autres, Édouard Glissant nous parle : « Maintenir notre lieu dans le monde pour signifier le monde entier. »
Dr Cheikh Kasse est Enseignant-chercheur en littérature orale.