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25 novembre 2024
Opinions
Par Mounirou FALL
REFORMER L’OFNAC ET REVISER LES CRITERES DE DESIGNATION DES MEMBRES
Le vrai vainqueur des élections de février 2024 est la lutte contre l’impunité faisant de la moralisation de la vie publique et du renouveau politique son cheval de bataille
Les changements des mentalités des dernières années n’ont pas été compris à temps par ceux qui nous dirigeaient. C’est ainsi que le vrai vainqueur des élections de février 2024 est la lutte contre l’impunité faisant de la moralisation de la vie publique et du renouveau politique son cheval de bataille. La nouvelle loi adoptée par l’Assemblée nationale le 9 février 2024 après sa promulgation par l’ancien chef de l’Etat le 30 janvier 2024 plombe toute la politique de lutte contre la corruption. Telle que libellée, ces nouvelles lois qui régissent la lutte contre la corruption portent en elles-mêmes les germes du laisser-aller et de la corruption à outrance.
DU MODE DE NOMINATION DES MEMBRES DE L’OFNAC
Il n’existe pas, comme cela se fait dans les autres pays, un appel à candidature pour sélectionner les membres de l’OFNAC. Leur désignation relève de la «volonté» du Chef de l’Etat. Cette démarche constitue le premier biais dans la lutte contre la corruption. Ceux qui doivent lutter contre la corruption ne doivent pas être choisis selon le bon vouloir du prince, selon un critère de «rétribution pour services rendus» mais plutôt pour la valeur ajoutée qu’ils doivent apporter à la lutte contre la corruption. Mais plus grave encore, la présente loi confère au Président de l’OFNAC une stature de super procureur «au-dessus des 14 autres procureurs de la République» qu’il peut dessaisir à tout moment en un claquement de doigts. Par ailleurs, au vu des pouvoirs que lui confère cette loi, les critères de sélection des membres et du président de l’OFNAC restent biaisés car seuls des magistrats devront diriger l’OFNAC pour avoir le pouvoir d’émettre des mesures de «gardes à vue». Cependant, l’OFNAC est une Autorité Administrative Indépendant (AAI), la première présidente de l’OFNAC était Inspecteur Général d’Etat (IGE) suivi d’une Magistrate. Avec l’actuelle configuration de la loi, l’OFNAC ne peut être dirigé que par un «super procureur» au-dessus de tous les procureurs de la République. La loi 2012-30 prévoit que les membres de l’OFNAC sont issus de l'administration de la hiérarchie Al ou assimilée au moins, les enseignants de rang magistral, des Universités, les membres de la société civile et du secteur privé titulaires d'un diplôme de l’enseignement supérieur de niveau master ou équivalent au moins. Ce qui n’est plus possible avec la configuration de la loi du 2024-06 du 30 janvier 2014. L’institution peut être dirigée par un IGE, un magistrat, un diplomate, un économiste, un gendarme, un journaliste, un professeur d’universités ou un ingénieur des ponts et chaussées comme cela se fait dans les autres pays. Quoiqu’il en soit l’accession à la position de membre de l’OFNAC devrait faire l’objet d’un appel à candidature pour être certain de la valeur ajoutée à apporter dans la lutte contre la corruption. La station de Vice-président aussi a été totalement dévoyée par la nouvelle loi du 30 janvier 2024. En effet, alors que pour la loi de 2012-30 le vice-président assure la suppléance du Président. Dans la nouvelle loi, concernant les investigations, le président a le loisir de choisir un autre membre pour sa suppléance qui devrait échoir au vice-président. Ce qui ne donne plus de raison d’être au poste de vice-président.
VOUS AVEZ DIT «GARDES A VUE?»
La nouvelle loi votée promulguée et finalisée en février, juste avant les élections présidentielles donne à l’OFNAC le pouvoir d’émettre des «gardes à vue» ! Au nom du respect des droits de la personne, la garde à vue est strictement encadrée par le Code de Procédure Pénale (loi n°2016-30 du 08 Novembre 2016). Aussi, il appartient aux officiers de police judiciaire qui travaillent sous la direction du Procureur de la République le placement en garde à vue, le renvoi devant le tribunal compétent pour jugement, ou classer le dossier sans suite. L’OFNAC étant une Autorité Administrative Indépendant (AAI) ne jouit pas de ces prérogatives-là qui sont dévolues au seul procureur de la République, pardi !
UNE PRESTATION DE SERMENT DEVANT LES MEMBRES DE L’OFNAC !
Autre incongruité, les enquêteurs de l'OFNAC devront prêter allégeance à l’Assemblée des Membres. En effet, en lieu et place des prestations de serment devant la Cour d’appel de Dakar conformément au serment fixé par décret d’application, les enquêteurs devront prêter serment, devant l'Assemblée des membres. Le serment dont la teneur suit : «je jure solennellement de bien et fidèlement remplir mes fonctions, en toute impartialité, de façon digne et loyale et de garder le secret des enquêtes.» Quid des agents de l’OFNAC qui gèrent au quotidien les déclarations de patrimoine ou le système de sécurité ? S'il estime que les faits pendants au niveau d'une autorité d'enquête sont de sa compétence, (enrichissement illicite, soupçons de corruption, ...) le Président de l'OFNAC peut, par réquisitions écrites, en dessaisir cette autorité (IGF, IGE, Cour des Comptes, Centif, procureur) qui est tenue de se conformer auxdites réquisitions dès qu'elle en a connaissance, quel que soit le moyen. Les dossiers des prédations effectuées avec la complicité de fonctionnaires milliardaires sont connus de tous et les rapports existent. Face à cela le coude sera levé pour l’instruction des dossiers et l’exigence de rembourser les sommes détournées. Ceci explique en partie pourquoi les ordonnateurs de dépenses ont tout fait pour se soustraire à l’exercice de déclaration de patrimoine, se sachant protégés par un coude. Les nouvelles lois de lutte contre la corruption qui devraient chercher à mieux sauvegarder et préserver les ressources et intérêts financiers de l’Etat, constituent la couche de trop qui vient torpiller toutes les velléités de lutter efficacement contre ce fléau. Ces lois recèlent en elles-mêmes les limites qui ne vont pas dans le sens d’une lutte efficace contre la corruption. Elles créent plutôt une confusion dans les rôles et prérogatives de l’OFNAC, à vouloir étendre ses prérogatives à l'enrichissement illicite, qui relevaient d’autres autorités d'enquête.
DE LA REPRESSION DES ACTES DE CORRUPTION
Ce que la proposition de loi déposée en juin 2022 avait demandé à l’ancien Président Macky Sall était de permettre à l’Office de mettre en œuvre les mesures de répression. Dans son exposé des motifs, la loi devra permettre à l’OFNAC, dans le cadre de ses missions d’investigations de «procéder à des perquisitions et saisies de tous objets matériels ou immatériels ayant servi à la commission des faits…solliciter le juge d’instruction saisi de procéder à des mesures de gel de biens, la confiscation des avoirs fonds et autres ressources détenus possédés ou contrôlés par toute personne contre qui existent des indices de commission des faits visés à l’article 2». Enfin, l’OFNAC peut se constituer partie civile pour les faits visés à l’article 2. Au lieu de cela, la nouvelle loi propose de dessaisir tout procureur qui traiterait de faits de corruption et/ou d’enrichissement illicite !
LA SAISINE DE L’AUTORITE JUDICIAIRE
En respect de la loi, l’OFNAC avait proposé, à l’issue de ses investigations, si les informations collectées et analysées font présumer l’existence de l’une des infractions visées à l’article 2, de transmettre à l’autorité de poursuite compétente le rapport. Dès réception du rapport et des pièces l’autorité, saisie ordonne immédiatement les poursuites appropriées en saisissant un juge d’instruction ou la juridiction de jugement compétente. A l’expiration d’un délai de six (6) mois sans aucune poursuite, l’OFNAC saisira directement le juge d’instruction d’une plainte de constitution de partie civile conformément aux dispositions du Code de procédure pénale.
DU TRAITEMENT DES RECALCITRANS A LA DECLARATION DE PATRIMOINE
Le projet de loi relatif à l’encadrement de la déclaration de patrimoine avait prévu des sanctions. Ces sanctions ne verront cependant jamais jour. En effet, l’inobservation de l’obligation de déclaration d’entrée en fonction ou de mise à jour, après mise en demeure de l’OFNAC, par exploit d’huissier restée sans suite au bout d’un mois, devrait entraîner les sanctions telle la retenue du ¼ de sa rémunération mensuelle, voire être démis de ses fonctions par l’autorité de nomination dans les 30 jours à compter de la notification par l’Office. Les fausses déclarations de patrimoine sont, elles punies d’un emprisonnement de 6 mois à 3 ans. Ce qui rejoint l’article 25 des dispositions pénales de la loi 2012- 30 qui stipule que «est punie d’une peine d’emprisonnement de 1 à 3 ans et d’une amende, tout acte qui constitue une entrave à la mission de l’OFNAC par suite d’une sommation, un refus de communiquer toute information ou tout document utile dûment réclamé». Un seul article de presse ne saurait retracer le recul extraordinaire constaté que subit le Sénégal avec le vote en mode «Fast Track» des lois 2024- 06 et 2024-07 modifiant de fond en comble la lutte contre la corruption dans notre pays. Des lois promulguées et adoptées par l’Assemblée nationale à 15 jours de la date prévue de l’élection présidentielle.
CONCLUSION
Sur quoi déboucheront ces mutations des exigences de redevabilité ? Il est difficile de le présager. Tout dépendra de la capacité des nouvelles autorités à répondre aux aspirations collectives sur les plans de la reddition des comptes et d’une bonne gouvernance. Les nouvelles autorités n'auront d'autres choix que d'appliquer la loi. Macky Sall avait averti en disant que «la CREI est pour l'ancienne équipe mais l’OFNAC est pour nous». Le contrôle de la Déclaration de patrimoine pour la sortie est non seulement une exigence de la loi mais aussi une demande sociale expresse des Sénégalais. Il est temps que les dossiers de corruption et de détournements de deniers publics perpétrés depuis plus d’une décennie sans impunité soient réglés. La reddition des comptes n’est pas négociable. C’est une demande sociale. Enfin, la fameuse Stratégie Nationale de Lutte Contre la Corruption (SNLCC) qui a fait l'objet d'un long processus consensuel est oubliée dans les tiroirs alors que l’OFNAC l'avait piloté avec beaucoup d'enthousiasme. Tous les dossiers d'enquête doivent être exhumés et des juges d'instruction commis pour la poursuite de la procédure.
MOUNIROU FALL ÉCONOMISTE.
Par Mounirou FALL
MACKY ENTERRE LES RAPPORTS DE L’OFNAC
L'ancien président a fait voter par l’Assemblée nationale, le 30 janvier 2024, en mode «fast track», deux lois qui risquent d’éteindre 34 dossiers d’enquêtes ficelés et déposés par l’OFNAC et aux autres corps de contrôle devant le Procureur
«La CREI est pour l'ancienne équipe mais l’OFNAC est pour nous». Cette déclaration de l’ancien président de la République, Macky Sall, avait été appréciée par l’opinion mais aussi les organisations luttant contre la corruption. Paradoxalement, avant de quitter le pouvoir, le même Macky Sall a fait voter par l’Assemblée nationale, le 30 janvier 2024, en mode «fast track», deux lois qui risquent d’éteindre 34 dossiers d’enquêtes ficelés et déposés par l’OFNAC et aux autres corps de contrôle devant le Procureur de la République. Sud Quotidien propose à ses lecteurs cette contribution de Mounirou Fall, Economiste et ancien chef de Desk du même journal qui sonne l’alerte afin d’éviter que la corruption ne continue à gangréner notre pays.
REFORMER LE PARADIGME DE GOUVERNANCE AU SENEGAL
L’ancien président de la République Macky Sall a signé le 30 janvier 2024 deux lois modifiant les bases de la lutte contre la corruption au Sénégal. Il s’agit des Lois n° 2024- 06 modifiant la loi n° 2012- 30 du 28 décembre 2012 portant création de l'Office national de lutte contre la fraude et la corruption (OFNAC), ainsi que la loi n° 2024-07 modifiant la loi n° 2014-17 du 02 avril 2014 relative à la déclaration de patrimoine. Les projets de loi portés par le ministre des Finances et du budget (en lieu et place du ministre de la Justice), modifient totalement toute la stratégie de lutte contre la corruption au Sénégal. Ils ont été adoptés par l’Assemblée nationale en sa séance du 9 février 2024, soit deux semaines avant le 25 février 2024, la première date fixée pour la dernière élection présidentielle. A y voir plus clair, les modifications apportées par ces lois, au lieu de renforcer la lutte contre la corruption, risquent d’enterrer les dossiers d’enquêtes déjà réalisées par l’OFNAC, mais aussi les autres corps de contrôle qui s’occupent d’enrichissement illicite. En effet, depuis les rapports sur les soupçons de corruption du COUD, de l’affaire Petrotim, celle des 94 milliards, des 29 milliards ou des 1000 milliards des fonds COVID, l’ensemble des 34 dossiers d’enquêtes ficelés et déposés par l’OFNAC et les autres corps de contrôle devant le Procureur de la République risquent d’être éteints. Si l’on y prend garde, la corruption au Sénégal, avec ces nouvelles lois votées en février 2024, a encore de beau jour devant elle.
LA REDDITION DES COMPTES EST NON NÉGOCIABLE
Conformément à la loi n° 2014-17 du 02 avril 2014, relative à la déclaration de patrimoine, le Président de l'Assemblée nationale, le Premier Questeur de l'Assemblée nationale ; le Premier Ministre, les Ministres ; le Président du Conseil économique, social et environnemental ; tous les administrateurs de crédits, les ordonnateurs de recettes et de dépenses, les comptables publics, effectuant des opérations portant sur un total annuel supérieur ou égal à un milliard (1.000.000.000) de Francs CFA, doivent effectuer à l'échéance d'un délai de trois (3) mois qui suivent leur nomination ou leur cessation de fonction une déclaration de patrimoine. Pour ceux qui quittent leur fonction, il s’agit d’une déclaration dite de «sortie». Cette déclaration de sortie est valable pour ceux qui avaient effectué au préalable, c’est-à-dire au moment de leur prise de fonction, une déclaration de patrimoine d’entrée ! Qui ne se rappelle de ministres et autres DG qui, non seulement n’ont pas effectué leur déclaration de patrimoine après moults interpellations par voie d’huissier, mais après que leur gestion a été épinglée par les rapports de l’OFNAC, ont jugé utile sur les plateaux de télévision d’affirmer «qu’ils ne répondront pas aux convocations de l’OFNAC». La reddition des comptes est et demeure une demande sociale forte et ne saurait se négocier. L’institutionnalisation de la redevabilité, l’application des décisions de justice dans la lutte contre la corruption ainsi que l’établissement d’une veille citoyenne sur la redevabilité dans la lutte contre la corruption marquerait sans nul doute une évolution dans le sens de la bonne gouvernance tant chantée au Sénégal. Dans ce contexte, le recouvrement des avoirs détournés implique une nouvelle approche fondée sur la différenciation des enjeux. D’une part, les défis posés au traitement des rapports d’investigation des corps de contrôle et qui dormaient «sous le coude» devrait faire l’objet d’un traitement diligent ainsi que la saisine d’un juge pour instruction. D’autres part, le changement du paradigme de gouvernance au Sénégal au vu des insuffisances décelées dans la loi qui a été promulguée le 30 janvier 2024 par le président de la République et adoptée par l’Assemblée nationale en sa séance du 9 février 2024 sont à corriger dans les meilleurs délais.
A cette étape, disons-le tout net, les Loi n° 2024-06 du 30 janvier 2024 modifiant la loi n° 2012-30 du 28 décembre 2012 portant création de l'Office national de lutte contre la fraude et la corruption (OFNAC) et celle n° 2024-07 du 09 février 2024 modifiant la loi n° 2014-17 du 02 avril 2014 sont contreproductives et créent plus de confusion qu’elles ne règlent de problèmes. Plus clairement, il s’agit d’abroger cette loi et de réfléchir sur les textes les plus à même d’assurer la bonne gouvernance au Sénégal, évacuer les rapports des corps de contrôle restés «sous le coude» depuis 2012. La nouvelle loi prévoit, dès lors qu’un procureur ou un juge traite d’un dossier de soupçons de corruption ou d’enrichissement illicite, il sera immédiatement dessaisi par l’OFNAC qui en assure un monopole
La loi 2012-30 du 28 décembre 2012 portant création de l'Office national de lutte contre la fraude et la corruption (OFNAC) n'était certes pas parfaite. Le décret d'application de cette loi (qui permet sa mise en œuvre opérationnelle) n'a été signée qu'en 2018. Soit 6 ans après..
Cependant, l’OFNAC a su traiter les cas de dénonciations et d’auto-saisine issus de faits de corruption. Le principal blocage issu de cette loi, venait du fait que le «maître des poursuites», à savoir le procureur de la République, avait la pleine latitude de donner suite (ou pas) aux rapports d'investigations réalisés par les enquêteurs de l'Office. Ce qui a plombé les dossiers de corruption d’agents publics corrompus car «la saisine du procureur dessaisi l’OFNAC».
LES CHANTIERS DE LA REFORME
Déjà en 2016 avec l’appui des partenaires de l'OFNAC, l'Union Européenne et le système des Nations Unies, des propositions de réforme des lois 2012-30 et 2014-17 sur la déclaration de patrimoine ont été appuyées afin de conformer le Sénégal aux standards internationaux.
Des Comités de relecture des textes fondateurs de l’OFNAC (CORTEF) ont été mis en place, impliquant dans un long processus participatif des juristes, des acteurs de la société civile, des parlementaires de la Commission des lois à l’Assemblée nationale l’expertise interne de l’OFNAC ainsi que les autres membres des corps de contrôle. A l’issue des travaux, des avant-projets de loi et de décrets avaient été soumis en juin 2022 afin de parachever le corpus de la lutte contre la corruption au Sénégal. Parmi les avancées proposées et non des moindres, l'obligation faite au Procureur de saisir un juge pour l’ouverture de procédure concernant les cas de soupçons de corruption, par suite des enquêtes de l'OFNAC. (Notons que pour ce qui concerne la CENTIF, les présomptions de blanchiment sont encadrées par les Directives de l’UEMOA qui obligent à l’ouverture d’une procédure par un juge). Le cas échéant, dans les propositions qui avaient été faites, l'OFNAC se porte partie civile pour le suivi des rapports.
Malheureusement, la mouture qui avait été déposée n’a pas été prise en compte. La nouvelle loi promulguée et adoptée par l’Assemblée nationale entre le 30 janvier et le 9 février 2024 est aux antipodes d’une lutte efficace contre la corruption. La nouvelle loi réformant le cadre institutionnel de l'OFNAC, la déclaration de patrimoine et plus globalement de la lutte contre la corruption a totalement dévoyée les orientations premières. A vouloir trop embrasser, la loi.... dessert la lutte contre la corruption.
VEILLE CITOYENNE ET PROTECTION DES LANCEURS D’ALERTE
L’application des décisions de justice dans les affaires de corruption est devenue une exigence sociale. Que de rapports d’enquête de présomption de corruption dorment dans les tiroirs ! Ces rapports réalisés aussi bien par l’OFNAC, la Cour des Comptes, l’Inspection Générale des Finances (IGF) ou l’Inspection Générale d’Etat (IGE), depuis l’affaire du COUD, ne peuvent être passées en pertes et profits au nom de la cohésion nationale. Non !
La lutte contre l’impunité issue des détournements a été bien portée par cette frange de la population qui a mené à la victoire de la coalition Diomaye Président, au premier tour. Cette même population n’hésitera pas à se retourner et lutter contre les actuels tenants du pouvoir, si la reddition des comptes n’est pas effective. Que l’on s’entende bien, cependant. Il ne s’agit nullement d’effectuer une «Chasse aux sorcières» qui serait à la limite contreproductive. Il s’agit de recouvrer ces centaines de milliards subtilisés au trésor public et utilisés dans des conditions non-orthodoxes par des fonctionnaires «milliardaires».
Les lanceurs d’alerte, signalant des informations sur des actes répréhensibles dans un contexte professionnel contribuent à prévenir des dommages et à détecter des menaces ou des préjudices pour l’intérêt public. Ce que l’OFNAC avait proposé depuis juin 2022 est de protéger les dénonciateurs, témoins, plaignants ou l’expert collaborant avec l’OFNAC. Ces derniers ne devraient faire l’objet de représailles, d’aucune sanction ou discrimination dans leur travail du fait du signalement. Aussi, toute mesure, acte hostile, intimidation, outrage, menaces, chantage divulgation de l’identité du témoin ou dénonciateur directement ou indirectement est puni par les peines prévues à l’article 25
Alors que la Stratégie Nationale de Lutte contre la Corruption (SNLCC) réalisée de manière inclusive et participative propose la protection des lanceurs d’alertes, la nouvelle loi n’en pipe mot. Le blocage dans la lutte contre la corruption est venu d’un manque de volonté pour donner suite aux conclusions des rapports d’enquête. Ne nous y trompons pas, ces jeunes (et moins jeunes) qui ont fait la force du changement du régime suivent de près ces dossiers de corruption à coup de milliards.
Ces milliards à recouvrer pourraient servir à financer ces hordes de jeunes (qui ont joué leur partition dans l’élection de l’actuel Président de la République) en leur fournissant un appui conséquent ainsi que des intrants - ou tout autre outil de production à même de réaliser une transformation locale des produits, d’assurer l’optimisation des chaines de valeur tant dans le secteur agricole, industriel qu’extractif.
Il s’agirait aussi avec ces avoirs recouvrés d’appuyer la part nationale dans les entreprises. En effet, l’imposition d’une participation (sénégalaise) supérieure ou égale au seuil de 51% pour toutes ces entreprises qui évoluent en se font du chiffre d’affaires dans les secteurs de la pêche ou des industries permettrait de fournir des emplois à ce qui reste des 40 000 jeunes sénégalais restés à jamais dans l’océan Atlantique, le désert du Sahara ou dans la mer Méditerranée, selon les statistiques de l’OIM. Ce n’est que dans ces conditions que l’arrêt de la maltraitance de ces «élites qui ne misent que sur leurs intérêts», permettra de libérer cette population moins âgée à qui on fait croire, par une illusion sirupeuse qui les élites sans scrupules qui les ont gouvernés depuis 2012 et qui détournent leurs ressources sans vergogne, travaillent pour eux.
par Jean Pierre Corréa
PASSATION DE SÉVICES ?
EXCLUSIF SENEPLUS - La reddition des comptes s'annonce très sportive, avec peu de place pour l’esquive. Ce ne sont pas les déclarations de patrimoine comme celle de « Monsieur Frère », qui feront baisser le niveau de cette exigence sociale
« Pour qu'on ne puisse abuser du pouvoir, il faut que, par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir. » - Montesquieu De l'esprit des lois
Cette semaine s’ouvre effectivement une nouvelle ère au Sénégal. Mais le bon sens commande au chroniqueur attentif à la vie politique de notre pays, de savoir qu’il n’est pas encore utile de voler au secours de la victoire. Aujourd’hui, l’heure est aux passations de services, avec toute la charge de ce mot rattaché à la rupture encore une fois promise par les nouveaux tenants du pouvoir. Alors, honneurs aux sortis, et au premier d’entre eux, Macky Sall, qui, sans rire, aurait lors de son dernier Conseil des ministres, recommandé à ceux-ci de ne surtout point transhumer… Venant de celui qui a joué le rôle de meilleur chargé de communication de son successeur, ça ne manque pas de piquant.
Le président Bassirou Diomaye Faye a été soutenu par toute une coalition et un parti en ordre de bataille. Il est clair que, a contrario, le nouveau citoyen marocain a lui surtout joué contre son candidat, voire contre les hommes de son camp, malgré les lettres qu’il leur a écrites et qui leur sont certainement allées, droit au cœur. Il aura soutenu Amadou Ba comme une corde soutient un pendu, et celui-ci est tout de même arrivé à faire mieux que lui en termes de voix, ce qui lui donne l’idée très démocratique de continuer le combat à travers une nouvelle offre qu’il aura tout le temps de peaufiner s’il arrive à bien incarner une opposition nette et constructive.
Serons-nous gouvernés par des « terroristes » ?
Dans la série de tâtonnements qui ont jalonné le second quinquennat de Macky Sall, il y aura eu, c’est sûr les innombrables et maladroites tentatives de tordre les règles constitutionnelles, pour lui permettre de se représenter, mais surtout la sensation que nous étions devenus un pays qui emprisonnait sans cause ses citoyens et les libérait sans conséquences. Qui ne se souvient de l’hilarante conférence de presse de la ministre de la Justice qui à la libération injustifiable de centaines de détenus, s’est tout de même réjouie d’avoir fait libérer des « terroristes », lesquels nous dirigeraient donc aujourd’hui ? Peu rassurant non ?
Ces passations de services entre sortis et entrants seront parfois empreintes de sentiments laissant entrevoir qu’ils devront bientôt se revoir, au vu de tous les dossiers appelant à une reddition des comptes et à un éclaircissement de certains dossiers qui ont contribué à pourrir le règne des Républicains, dont certains membres avaient des comportements kleptocrates qui ont alimenté cette colère aboutissant à cette raclée électorale du 24 mars 2024.
Des Oryx du Niokolo Koba transformés en « dibi haoussa », aux 1000 milliards du fonds Covid évaporés et perdus, pas pour tout le monde cependant, en passant par les explications douteuses de certains soudain fortunés, la reddition des comptes risque d’être très sportive, avec peu de place pour l’esquive, et ce ne sont pas les déclarations de patrimoine comme celle d’une étonnante tranquillité de « Monsieur Frère », qui feront baisser le niveau de cette exigence sociale, qu’il faudra mener de pair avec la satisfaction des attentes d’une population, que les baisses souvent impossibles des prix des denrées, n’arriveront pas toujours à combler. L’essentiel n’étant pas que les prix des denrées et du loyer soient bas, mais que les Sénégalais soient, grâce à un emploi et un travail rémunérateur, en mesure de se les payer.
Une page se tourne. Celles qui vont être écrites par ce nouveau et très attendu gouvernement, devront l’être avec le sentiment qu’il vaut mieux gouverner avec le sens du service qu’avec l’indifférence des sévices que l’on a pu infliger à tant de monde en toute désinvolture.
PAR Oumou Wane
LETTRE À MAHAMMED BOUN ABDALLAH DIONNE
Nous avons échangé tant de mots, mais aujourd'hui, je veux te parler de toi. De l'homme, l'ami, le mari, le compagnon, le bon talibé... Que ceux qui liront ces mots sachent quel homme tu étais
Je m'adresse à toi avec une émotion si profonde que mes mots peinent à exprimer. Je suis là, face à ma feuille blanche, prête à te livrer ces lignes, pour te rendre hommage, pour témoigner de l'homme exceptionnel que tu étais.
Aujourd'hui, les larmes brouillent ma vue alors que je trempe ma plume dans l'encre. C'est un exercice difficile, mais nécessaire. J'ai tant de choses à te dire, à toi en premier lieu. Nous avons échangé tant de mots, mais aujourd'hui, je veux te parler de toi. De toi, l'homme, l'ami, le mari, le compagnon, le bon talibé... Que ceux qui liront ces mots sachent quel homme tu étais.
Je me souviens encore de ces moments où tu illuminais nos vies de ta présence. Ma dernière visite sur la terrasse de ton appartement, où tu imitais avec esprit la posture d'un homme politique, reste gravée dans ma mémoire. Cette image, si joyeuse, contraste avec la douleur de ton absence.
Mais aujourd'hui, le rire est absent. Dans le futur, lorsque la douleur s'atténuera, je pourrai mieux évoquer ta personne. Le temps, ce compagnon impitoyable, apaisera peut-être cette douleur, mais jamais nos souvenirs.
Je me souviens de nos débuts, alors que tu étais déjà un cadre brillant à IBM et moi une étudiante à Paris. Ces jours insouciants où je venais te rendre visite à ton bureau pour déjeuner avec toi restent gravés dans mon esprit. Je me souviens de nos vacances à Dakar, de nos sorties dans les salons de thé, à Gentina et Bruxelles...Nous étions jeunes, beaux, même si la vie avait déjà laissé ses marques sur toi.
Tu te souviens sûrement, de là où tu es, de ce petit livret de Coran que tu m'avais offert. Tu l'avais tiré de la poche de ton boubou en bazin. Lorsque je t'ai demandé pourquoi tu en avais autant dans tes poches, tu les as tous sortis et posés sur la table. Avec un sourire, tu m'as lancé :"Ma sœur, la protection ne suffit pas à contrer tous les missiles !"
C'était une tranche de vie !
Tu vois, Mahammed, dans cette vie effrénée, nous avons perdu l'habitude de nous écrire, de nous dire les choses essentielles. Pris dans le tourbillon du quotidien, nous oublions souvent de dire à ceux que nous aimons combien nous les aimons.
Il y a quelques jours, alors que tu étais en pleine campagne électorale à Gossas, je t'ai appelé.
J'avais entendu à la télévision qu'il faisait une chaleur insupportable là-bas. Tu m'as rassuré, m'envoyant ton programme de campagne et me disant que tu étais en pleine forme.
Je savais bien que tu étais épuisé par la rudesse du climat et le rythme de la campagne. Mais quand on aime quelqu'un, on le laisse faire ce qui le rend heureux, même si cela peut lui nuire.
L'amour et l'amitié vraie ont deux règles : l'une insiste, l'autre respecte et se plie.
Il y a des choses que l'on dit et des choses que l'on vit.
Comment raconter, comment vivre...
Lorsque j'ai reçu ce coup de fil, ce vendredi 5 avril 2024, une partie de moi s'est effondrée.
Mon interlocuteur, connaissant notre lien fraternel, m'a demandé de vérifier l'information avec tact.
Mon cœur s'est serré, comme si une partie de ma vie disparaissait devant moi. Une intuition m'a envahie, confirmant l'inconfirmable.
Ce vendredi 5 avril 2024, restera gravé à jamais dans ma mémoire. Les vendredis sont censés être saints, mais pour moi, celui-là restera marqué par la perte d'un être cher. Ton vendredi fut saint, le dernier du Ramadan, le vendredi de la nuit de l'Haylatoul Khadr... Les portes du paradis s'étaient ouvertes pour toi.
C'est le début d'une longue période d'acceptation, d'absence et de deuil. Peut-être que ces vers de Birago Diop apaiseront nos cœurs, peut-être pas, mais je les dis quand même.
Souffles
Ceux qui sont morts ne sont jamais partis :
Ils sont dans l'Ombre qui s'éclaire
Et dans l'ombre qui s'épaissit.
Les Morts ne sont pas sous la Terre :
Ils sont dans l'Arbre qui frémit, Ils sont dans le Bois qui gémit, Ils sont dans l'Eau qui coule,
Ils sont dans lEau qui dort,
Ils sont dans la Case, ils sont dans la Foule :
Les morts ne sont pas morts....
Il redit chaque jour le Pacte, le grand Pacte qui lie,
Qui lie à la Loi notre Sort, Aux Actes des Souffles plus forts
Le Sort de nos morts qui ne sont pas morts,
Le lourd Pacte qui nous lie à la Vie.
La lourde loi qui nous lie aux Actes
Des Souffles qui se meurent
Dans le lit et sur les rives du Fleuve, Des Souffles qui se meuvent
Dans le Rocher qui geint et dans l'Herbe qui pleure.
Tu vois mon cher frère, je n'avais pas la force de t'écrire aujourd'hui mais le pacte de quarante ans qui nous lie est si fort que je ne pouvais pas me dérober devant la violence de la nouvelle pour t'adresser ces premiers mots. C'est un exercice difficile, je n'arrive pas toujours à le faire par lâcheté à chaque fois que la mort frappe mes proches de peur de remuer le couteau dans la plaie de ma souffrance. Il me faudrait un livre entier pour parler de toi.
Repose en paix au paradis cher frère et ami
Oumou Wane est présidente Citizen Media Group-africa7.
par Oumar Ndiaye
QUELLE NOUVELLE POLITIQUE ÉTRANGÈRE DU SÉNÉGAL ?
Le Sénégal et le Cap Vert avec des trajectoires politiques et démocratiques similaires marquées par des alternances récurrentes et fréquentes, peuvent être les fers de lance d’une nouvelle renaissance ouest-africaine et même africaine
Allier la démocratie et l’économie dans une approche souverainiste , panafricaniste et internationaliste
À chaque changement de régime, les politiques intérieures comme extérieures sont scrutées pour savoir dans quelle direction un pays sera dirigé et drivé. La politique étrangère d’un pays est marquée par des constantes et des variables. Celle du Sénégal, ces deux dernières décennies , a été caractérisé par les constantes du bon voisinage ouest africain avec le président Wade et surtout théorisé par le président Sall par sa métaphore du « craton ouest africain » en référence à cette structure géologique de notre espace géographique sous régionale. Il y a sous Macky et Wade, comme constante, la consolidation de nos partenariats traditionnels (Maroc, France, Usa, Arabie Saoudite, etc). Il y a aussi et surtout la diversification de nos partenariats avec d’autres pays comme la Chine, la Turquie, l’Inde , le Brésil, Émirats Arabes Unis, etc, entamée par Wade et poursuivie et prolongée par Macky Sall jusqu’à faire du Sénégal , un pivot et une place de choix dans ce qui est appelé le Global South. S’agissant des variables, elles n’ont pas trop évolué sinon que cette ouverture vers d’autres partenaires. Ce qui permet de donner une direction ou encore des indications de ce que sera la politique extérieure d’un dirigeant à la quête du pouvoir, c’est dans doute son programme de gouvernance ou encore son projet de société.
La nouvelle équipe dirigeante du Sénégal a ainsi un programme qu’ils ont présenté aux électeurs, même si cette exercice dans notre démocratie est réservé à une certaine élite sachant lire et surtout comprendre les enjeux.
Connu pour leur approche souverainiste, nationaliste et panafricaniste, les nouveaux tenants du pouvoir au Sénégal dont la plupart viennent de l’ex parti Pastef, n’ont pas, à proprement parlé, penser une politique étrangère qui prend en compte la place et la dimension du Sénégal dans le monde. Dans le document qu’ils ont partagé, juste quelques lignes, sur 84 pages, sont réservées à ce qu’ils appellent : « Pour une véritable intégration sous régionale et africaine » avec entre autres des vœux pieux et radieux toujours déclarés et déclamés sous le vocable de la CEDEAO des peuples avec des reformes envisagées : « Nous porterons une initiative de réforme de la CEDEAO à travers le renforcement du Parlement de la Communauté, de la Cour de justice de la Communauté et une atténuation de la prépondérance de la Conférence des chefs d’État et de gouvernement ». Il n’en demeure pas moins que la CEDEAO est une Communauté économique régionale (CER) que partagent 15 pays. Dans cette organisation, l’Article 9 du Traité qui parle de la Conférence des Chefs d'État et de Gouvernement des États Membres qui est l'institution suprême, dispose que : « Sauf dispositions contraires du présent Traité ou d'un protocole, les décisions de la Conférence sont prises, selon les matières, à l'unanimité, par consensus, à la majorité des deux tiers des États Membres ».
Donc quelque soit la volonté d’un pays, la valeur et la teneur de ses propositions, il sera difficile de les faire adopter dans une organisation qui traverse une crise conjoncturelle avec des contingences politiques et des divergences linguistiques. La CEDEAO qui, nous le rappellons, malgré les reproches qui lui sont faits, est l’une des meilleures sinon la meilleure Communauté économique régionale d’Afrique eu égard de plusieurs facteurs comme ces 17 % de commerce intrarégional (au-dessus de beaucoup d’autres organisations régionales) ; une libre circulation des personnes et des biens, même si les tracasseries persistent ; un attrait économique certain, etc.
La vision panafricaniste reste aussi présente et prégnante dans ce document programme avec cette phrase : « Nous renforcerons les missions diplomatiques du Sénégal dans les pays africains par la construction d’ambassades à la mesure du rayonnement international du Sénégal et l’affectation d’ambassadeurs et de diplomates expérimentés ». A voir si ce ne sera pas en contradiction avec cette volonté de réduire le train de vie de l’Etat tant chantée lors de la période de conquête du pouvoir, vu que l’élargissement de la carte diplomatique aura un coût même si le rayonnement international d’un pays n’a pas de prix.
A défaut d’avoir suffisamment d’éléments qui indiquent la direction que va prendre la politique extérieure d’un nouveau président, sa première visite officielle à l’étranger est aussi illustrative du sentier que sa diplomatie va prendre et le chantier à construire dans ce domaine. Si d’habitude, sous Wade et Macky, un pays de la sous-région et la France ont été les premières destinations, pour Bassirou Diomaye Faye, vu l’approche panafricaniste déclinée dans son programme, il est sûr qu’il se rendra en premier dans un État ouest-africain. Ce qui sera une continuité du craton cher au géologue Macky Sall. A ce niveau, nous estimons que le Cap Vert peut être un choix judicieux et aussi audacieux pour le premier déplacement du président Faye. Ce pays insulaire dont nous sommes le seul voisin immédiat, est à une heure de vol de Dakar. En plus de partager avec nous l’océan Atlantique, il est, comme le Sénégal, l’un des rares pays de notre espace ouest africain à de ne pas subir de Coup d’Etat. Cette longue tradition démocratique et de transmission pacifique du pouvoir du Sénégal et le Cap Vert doit être une phare qui illumine l’espace ouest africain assombri par des ruptures de l’ordre institutionnel qui ne font qu’occasionner un recul de la démocratie. Avec l’expérience ajoutée de nos deux pays, l’Afrique de l’Ouest peut être une terre où l’accession au pouvoir par les urnes serait une règle et non une exception.
Il sera ainsi facile d’opérer les changements souhaités à la CEDEAO qui par manque de moyens de coercition et de correction n’a pas pu juguler cette propension de conservation du pouvoir par les urnes avec les troisièmes mandats et sa conquête par les armes avec les Coups d’Etat. Depuis les années 90, l’Afrique de l’Ouest a traversé des crises majeures avec en toile de fond, la question de la démocratie. Lors de cette période, la plus grande menace venait des pays dits du Mano River (Libéria, Sierra Leone, Guinée) avec des rébellions sanglantes et des coups d’État à répétition. Ces pays ont pu sortir la tête de l’eau et amorcer une vague de démocratisation qui est en train de faire son chemin malgré quelques houles. Il y a eu aussi, depuis le début des années 2000, le terrorisme djihadiste qui est en train de consumer certains États ouest-africains. Aujourd’hui les crises ont changé de fusil d’épaules pour ne plus provenir des armes mais plutôt des urnes.
Il nous faut donc une stabilité institutionnelle dans tous les pays ouest africains afin de faire face à tous les défis sécuritaires, humanitaires, climatiques et économiques qui se posent avec avec acuité et dont la résolution ne sera pas sans difficultés.
Nos deux pays, le Sénégal et le Cap Vert, partagent surtout un espace maritime qui peut et va être prochainement un pivot de notre économie avec l’exploitation des hydrocarbures. Même si nous partegons avec la Mauritanie un des nos plus grands gisements de gaz, Grande Tortue Ahmeyim (GTA), il reste toujours dans notre bassin sédimentaire des poches pas encore explorées et qui pourraient être proches des côtes Cap-verdiennes. Sans ajouter que le Sénégal abrite depuis des siècles une diaspora cap-verdienne qui s’est totalement intégrée avec dans ses bagages son patrimoine culturel surtout musical que nous avons aussi adopté.
Dans le domaine sécuritaire, la mer est devenue un espace criminogène et le terreau fertile de plusieurs trafics (drogue, migrants, piraterie maritime). Il s’y ajoute qu’après leur implantation dans la zone continentale, les groupes terroristes visent le littoral c’est-à-dire la mer comme leur nouvel espace de projection. D’où l’importance de développer et de densifier notre coopération avec le Cap Vert avec qui beaucoup de choses nous lient : de la démocratie à l’économie.
Nous osons espérer que ces deux pays dans l’espace ouest-africain, le Sénégal et le Cap Vert avec des trajectoires politiques et démocratiques similaires marquées par des alternances récurrentes et fréquentes, peuvent être les fers de lance d’une nouvelle renaissance ouest-africaine et même africaine.
Oumar Ndiaye est journaliste, diplômé en Relations internationales et études de sécurité.
LE SÉNÉGAL DE SENGHOR À SONKO, UNE GESTION PARADOXALE DE L'ÈRE POSTCOLONIALE
Nous assistons à l’ouverture de la troisième République, celle de la renaissance, mais surtout de la fierté d’être africain avec ou sans l’onction de l’ancien maître. On survivra sans le dessert. Et l’on retrouve ici comme la réhabilitation de Mamadou Dia
Gaston Kelman et Jemal M Taleb |
Publication 07/04/2024
Le Sénégal ne laisse aucun Africain indifférent parce qu’il s’est toujours présenté comme un modèle unique. Unique, il l’a été dans l’approche mémorielle de l’histoire de l’Afrique. En effet, avec la porte de non-retour de l’île de Gorée, on a le mémorial qui a su imposer à tous les présidents américains de s’incliner devant le drame de la traite négrière. On se serait attendu à ce que chaque côte africaine ait le sien. Le Sénégal l’a fait. L’honneur est sauf. Un jour peut-être… Un jour qui sait… Les autres comprendront que les âmes des déportés attendent cela de nous pour devenir respectables au pays des ombres. Après le mémorial pour l’histoire, la bien nommée Statue de la Renaissance dont l’espérance de vie est plus que millénaire, pointe le doigt vers un avenir radieux et offre au continent qui en manque cruellement, une trace de notre génération pour la postérité.
Mais le Sénégal est aussi unique dans sa gestion paradoxale de l’ère postcoloniale, mélange d’une aliénation outrancière à l’Occident et du plus bel espoir de changement. En effet, la gouvernance des nations africaines postcoloniales s’inscrit sur quelques axes majeurs. Les frontières entre ces axes ne sont pas étanches. Nous allons nous contenter d’en illustrer trois ici, parce qu’ils comportent des des éléments assez forts non perceptibles à première vue. Tous ces axes sont des suites bien logiques d’une histoire unique, celle de l’Afrique et de l’Afrique francophone en particulier, faite de violence, de soumission, d’humiliation, d’aliénation, de traumatisme. Il y a au cœur de tout cela, cette difficulté de la France à comprendre que le monde évolue, même l’Afrique. Puis on voit poindre quelque chose comme une aube nouvelle au pays des énigmatique Signares.
Premier axe : le temps des coups d’état.
Le coup d’état est un mode assez répandu d’accès au pouvoir en Afrique. C’était le modèle le plus logique. Le colon avait fait signer des accords iniques par des dirigeants dont il avait organisé l’accession au pouvoir. Si quelqu’un ne correspondait pas ou plus à son modèle, il le faisait déposer par un plus docile. Tenus par la peur, les dirigeants espéraient ne pas devoir assister à la destruction programmée de leur pays comme ce fut le cas pour la Guinée, parce que Sékou Touré avait osé dire non au plan unilatéral de la France sur son pays.
Un autre aspect justifiait le coup d’état. Le colon a usé de la violence comme seul modèle d’exercice de pouvoir sur les indigènes. Le gouverneur venu d’un pays démocratique n’était pas élu par ceux qu’il dirigeait. Il leur était imposé par la force et exerçait cette force sur eux comme unique outil de gouvernance. C’est donc le seul modèle de dévolution et de conservation de pouvoir que le dirigeant africain connaissait.
Il convient de noter que le coup d’état n’est pas mort. Il reprend même de la vigueur. Pourtant, le concept a très fortement évolué. Jadis, c’est l’Occident qui fomentait des coups d’état pour mettre des dirigeants à sa solde. Il n’a d’ailleurs pas abandonné cet axe. Mais aujourd’hui, les coups d’état sont aussi organisés localement pour déposer les dirigeants que l’on juge trop à la solde de l’Occident.
Deuxième axe : la tentation dynastique.
Il y a quelques années, le coauteur de ce texte, Gaston Kelman, publiait un article intitulé « La tentation dynastique ». Il soutenait que c’était le modèle de gouvernance le plus conforme aux aspirations des humains. C’est celui dont on trouve la trace dans tous les peuples non acéphales. En Occident, il était déjà en cours pendant la période de barbarie médiévale. On le retrouve à la renaissance et il assure le développement de l’Occident. La démocratie inventée cinq siècles avant l’ère chrétienne ne séduit personne et n’a absolument pas ébranlé ce modèle qui allait de pair avec la monarchie. C’est quand il a achevé son développement avec ce système aux contours clairs – je suis le chef et je lègue le pouvoir à mon fils – que l’Occident a mis en place ce fourre-tout qui a pour nom « démocratie » dont on ne trouve pas une application identique dans deux pays. Ici, on a recours à la votation-référendum, ailleurs la démocratie est dite représentative, avec une élection par les individus ou par les grands électeurs, au scrutin uninominal ou de type proportionnelle, elle même totale ou partielle. Et après avoir démocratiquement élu ses représentants, le peuple est obligé de descendre dans la rue tous les jours pour se faire entendre, pour faire respecter ses droits, parce que quelques lobbies n’en font qu’à leur tête et se paient la sienne.
La tentation dynastique est logique dans les nations en construction comme les nations africaines ou les… Etats-Unis d’Amérique. Qui peut imaginer que Georges W. Bush aurait été président si son père ne l’avait été avant lui ! Hilary Clinton aurait-elle rêvé de la Maison blanche si elle ne l’avait connue à travers son Bill ! On sait que Barack Obama y a pensé – et peut-être y pense encore – pour sa Michelle et que les Kennedy un instant ont été convaincus qu’ils allaient se céder le bail les uns après les autres, par ordre d’aînesse sur plusieurs générations. En Occident et en France en particulier, les présidents de la république créent souvent une véritable cour familiale autour d’eux.
Fort logiquement, le modèle dynastique a le vent en poupe en Afrique. Il ne s’agit point d’approuver ou de désapprouver. Personne ne se félicitait des coups d’état. Ils étaient logiques parce que le dominant ne voulait pas lâcher le dominé. Le modèle dynastique qui s’insinue dans le paysage africain charrie toute la panoplie de personnages qui va avec, le dauphin, le régent et même Brutus. Parfois elle prend des formes qui pourraient échapper aux statistiques. Sur une vieille photo en noir et blanc des années 1960/1970 (à voir en illustration 2), on voit divers personnages. Ce qui les caractérise, c’est qu’ils ont tous exercé le pouvoir suprême et continuent à se léguer le palais présidentiel. Il y a la Jomo Kenyatta, premier président du Kenya (1964/1978) qui tient un gamin de cinq ans par la main. On y voit Daniel Arap Moï qui sera le deuxième président (1978/2002) et Mwaï Kibaki (2002/2013) qui sera le troisième. L’enfant que Jomo tient en main, c’est son fils Uhuru, qui avait été élu en 2013.
Point n’est besoin de faire l’inventaire de la situation actuelle. Les cas sont nombreux. On a – ou on a eu – au pouvoir des régences, des Brutus et des dauphins. Il paraît que le président camerounais, un modèle assez exceptionnel de longévité, caresserait le rêve – ou y serait poussé par la courtisanerie – de voir son fils Franck lui succéder.
L’axe majeur : les nervis de l’Occident et de la France en particulier.
L’Afrique est secouée par des mouvements de révolte. On a l’impression d’assister au deuxième acte des indépendances. Ces mouvements sont-ils identiques partout ? Ce qui est certain, ils sont tous placés sous un commun dénominateur, le sentiment anti français. C’est ce bel euphémisme qu’ont choisi les médias hexagonaux. Mais hélas, la situation est bien plus explosive, beaucoup plus préoccupante qu’un pâle sentiment. Il s’agit de la haine suscitée et entretenue par l’arrogance des gouvernants français, leur autisme face aux évolutions en Afrique. Cette situation est décriée même par certains élus et inconditionnels de la France. Cette situation a créé un sentiment de ras-le-bol qui frise l’asphyxie au sein de la jeunesse.
Il existe sur le continent des dirigeants que l’on considère à la solde de la France. Ils seraient plus là pour les intérêts du maître que pour le développement de leur pays. Ce sentiment a été renforcé récemment par le soutien que ces dirigeants on apporté à l’Eco, cette monnaie que l’on a proposé pour remplacer le CFA.
La colère a franchi un cran avec la levée de bouclier de la CEDAO contre le coup d’état au Niger. La lecture que le continent a fait de la position de la CDEAO était qu’elle obéissait à la France qui gigotait dans des positionnements ubuesques, d’un comique troupier. Certains de ces présidents vont jusqu’à dire qu’ils doivent tout à la France et que leurs pays vivent sous perfusion grâce à l’aide au développement. L’obstination de la France à s’appuyer sur ces nervis, plutôt que de concevoir un autre système de relations avec l’Afrique, voilà le carburant du ressentiment de la jeunesse africaine. Et parmi cette jeunesse, on compte le nouveau pouvoir du Sénégal.
Le Sénégal, un cas à part.
Puis il y a le Sénégal qui apparaît au départ comme la terre de l’aliénation et de l’adaptation simiesque au modèle occidental, et français en particulier. Paradoxalement au fil de l’évolution de la gouvernance de ce pays, on observe un mouvement ascendant, comme irrésistible, espoir de désaliénation. Avec l’avènement du nouveau pouvoir, nous avons réparti l’ère post coloniale du Sénégal en trois républiques.
1. Senghor et la république de l’aliénation.
Qu’est-ce qui a pu pousser ce Sérère dans cet inattendu degré d’aliénation pour un intellectuel ! En effet, l’on conçoit fort bien que le traumatisme de l’impérialisme pousse le dominé à se croire inférieur. Mais dans toutes les situations, l’essence de l’intellectuel est de prêcher la libération, ce bien vers lequel aspire tout individu. Et du temps de la lutte pour la libération, on n’imaginait pas un intellectuel digne de ce nom qui ne soit pas « engagé ». L’engagement était le signe distinctif de l’intellectuel colonisé et toutes les dissertations de français tournaient autour de ce thème.
Des compagnons de route de Senghor qui ont connu la même histoire (Mamadou Dia le colonisé) ou même des situations plus complexes (Césaire, descendant d’esclave et colonisé) ont eu des discours plus libres, plus engagés. On n’oubliera pas Le discours sur le colonialisme de Césaire et son cri selon lequel, le malheur de l’Afrique c’est d’avoir rencontré la France. On n’oubliera pas non plus le Cahier d’un retour au pays natal, véritable manifeste de la libération et de la grandeur future de l’Afrique qu’il voit « multiple et une, verticale dans sa tumultueuse péripétie, avec ses bourrelets et ses nodules, un peu à part, mais à portée du siècle comme un cœur de réserve ».
Senghor ne voit l’Afrique que sous la tutelle de la France. Il est dans une allégeance assumée, revendiquée, professée. Il veut y embarquer le Sénégal et toute l’Afrique qui pour lui est «attachée à la France par le nombril». Le plaidoyer du premier président par rapport à la langue française est tout simplement inqualifiable. Le Français, cet outil merveilleux qu’il aurait trouvé dans les décombres du colonialisme, il voudrait l’ériger en trésor africain, dont les langues maternelles occuperaient désormais la même place que le basque ou l’occitan. La fascination de Senghor par rapport à la langue française – et l’allégeance à la France qu’elle reflète – est sans borne. « Le français, offre une variété de timbres dont on peut tirer tous les effets : de la douceur des alizés la nuit sur les hautes palmes, à la fulgurance de la foudre sur la tête des baobabs_ ». Désormais, après avoir fait verdir les chênes et rougir les vignes, la poésie française sifflera sur la cime des palmiers et des baobabs d’Afrique. On a l’impression que pour lui, son sérère natal, le wolof, le bambara, la langue de Servantes ou celle de Dante ne peuvent pas exprimer la poésie. En un mot, c’est la France et la colonisation qui ont créé l’Afrique. La France elle-même n’en demandait pas tant.
On a de la peine a penser qu’un intellectuel, de surcroit président d’un état, ignore que les deux fondements d’une nation sont justement le territoire et la langue ; que comme le lui opposera Sembene Ousmane, «on ne décolonisera pas l’Afrique avec les langues étrangères». Justement, Senghor ne demande pas la décolonisation de l’Afrique, mais son effacement et sa dissolution dans la francophonie. Vous avez dit francophonie ! On lui offre généreusement d’avoir été le créateur de cette supposée unité culturelle. On lui offre une place à l’Académie française et un peu partout, on pense au timeo danaos_ du grand prêtre troyen Laocoon. Après le poète qui voudrait assujettir le culture africaine à la francophonie, l’homme politique va défendre les intérêts de la France et pour atteindre cet objectif, rien ne va l’arrêter.
Même pas son compagnon de route, Mamadou Dia. Avec le père de la Négritude, il fonde en 1948 le Bloc Démocratique Sénégalais (BDS). Les rôles sont repartis. Senghor sera président de la république et lui Président du conseil des ministres dès 1956. C’est lui qui signera quatre ans plus tard les accords d’indépendance du Sénégal. Le modèle de gouvernement est un régime parlementaire bicéphale où les deux hommes se partagent le pouvoir exécutif. Senghor président de la République et gardien de la Constitution, a une fonction de représentation, surtout au niveau international. Mamadou Dia élabore la politique intérieure et économique du pays. Plus radical que Senghor, il veut rompre le vis-à-vis avec la France en diversifiant les partenaires. Pour Senghor c’est non-négociable. Il organise le renversement de Dia pour sauvegarder les intérêts de la France et le condamnera à la prison à perpétuité dont il purgera douze années.
En quoi la position du poète président est-elle exceptionnelle ? L’Afrique a connu et connaît encore des dirigeants assujettis. Mais chez les uns et les autres, on sent plus la peur que la conviction. Il y a parfois aussi des aliénés naïfs qui pensent que l’aide de l’occident leur est nécessaire. Avec Senghor, nous sommes en présence du complexe du dominé qui n’arrive pas à se libérer de l’emprise du maître. L’aliénation de Senghor est unique. Il n’a pas peur de la France, il l’aime. Il lui est dévoué. Il est convaincu qu’elle est supérieure et que l’Afrique doit l’accepter et s’arrimer à elle, faire partie comme au temps jadis, de l’empire colonial, de la même façon que la Martinique ou Wallis et Futuna.
L’ère de l’aliénation Senghorienne se terminera avec l’appendice Abdou Diouf, roi fainéant, qui récoltera lui aussi pour services rendus, une retraite dorée au sommet de l’organisation de la… francophonie.
Abdoulaye Wade le bâtisseur ou la deuxième république.
Après l’intermède Diouf, un géant de l’Afrique contemporaine prend le pouvoir au Sénégal. C’est aussi un ancien et permanent opposant à Senghor. Abdoulaye Wade arrive au pouvoir à la faveur de la démocratie, ce canevas de la culture occidentale supposé universel et panacée du développement. C’est occidental, donc c’est excellent pour cette annexe de l’Occident que le Sénégal a toujours rêvé d’être. Les longues années de l’opposition, et l’indéniable intelligence de Gorgui, cet homme plein d’ambition pour son pays, vont faire le reste. L’homme est un prince bâtisseur. Il ne veut rien de moins que de changer la face du Sénégal. Il ouvre des chantiers pharaoniques dans l’urbanisme et les infrastructures. La puissance symbolique de certaines de ses réalisations est inégalée. La statue de la Renaissance est la première merveille de l’Afrique contemporaine et les monuments qu’il envisage de bâtir sous le nom des sept merveilles sont une ambition de grand homme.
Abdoulaye Wade va solliciter un troisième mandat pour terminer l’œuvre engagée. Il ne l’aura pas. Si Senghor a réussi à positionner son dauphin, Wade sera éjecté par le sien, Brutus Macky Sall. L’homme mènera une campagne farouche contre son ancien mentor pour soutenir contre vents et marrées cette nouveauté qu’est la limitation des mandats. Le Sénégal y tient mordicus, car ce doit être un indicateur des sociétés civilisées. Le discours le plus courant de Dakar à l’époque était le suivant. « Wade est excellent. On n’aura pas mieux, mais il a fait ses deux mandats, il doit partir ».
Que retiendrons-nous du règne appenditiel de Macky Sall ? Qu’il a poursuivi vaille que vaille quelques chantiers de Wade ; qu’il a construit un TER trop utile mais trop coûteux, ou qu’il se félicitait de l’amour que la France a toujours manifesté pour le Sénégalais, puisque les soldats sénégalais avaient le dessert et les autres rien. Peut-être on retiendra aussi cet alignement caricatural et attristant à l’option dictée par Paris sur les coups d’état qui secouent le Sahel. Mais on retiendra surtout sa volonté farouche de ne pas s’appliquer la limitation de mandats. Et tout y est passé, l’interprétation très opportuniste des textes constitutionnels, le harcèlement et l’emprisonnement arbitraire des opposants, la répression sanglante des soulèvements populaires…
Bassirou Diamoye Faye et la rupture de la troisième république.
Une image a fait le tour de la planète. Un jeune homme arpente une plateforme, une femme à sa droite, une femme à sa gauche. Cet jeune homme, c’est le nouveau président du Sénégal le soir de son élection. Et ces deux jeunes dames, ce sont ses épouses. Nous sommes au Sénégal, un pays africain où la polygamie est autorisée. Nous sommes en présence de Bassirou Diamoye Diakhar Faye, le tout nouveau président de la république et de deux jeunes dames, en beauté, en grâce et au port altier. On écrirait une encyclopédie en plusieurs volumes pour analyser la puissance de cette image. En Afrique, beaucoup de présidents ont plusieurs épouses. Mais la pensée unique leur interdit d’assumer leur culture. La même pensée unique ici vante parfois son charme et l’appelle affectueusement « poly amour ». Alors, ces présidents et hauts responsables tartuffent à qui mieux-mieux et laissent leurs épouses dans l’ombre. Le jeune président assume. Mais ce n’est pas tout.
Le jeune homme qui parade avec ses deux épouses n’est pas celui qui était prévu à cette place. En fait, le père de cette aventure se nomme Ousmane Sonko, l’homme a abattre du régime Sall. Il aurait pu mettre le Sénégal à feu et à sang. Il a choisi une voie inédite. Puisqu’il est l’homme a abattre, puisqu’il ne cherche pas le pouvoir mais le bien du Sénégal, il trouve parmi ses compagnons celui que le magnat Sall ne pourra pas récuser. Et comme l’équipe est porteuse d’une vision et que nous sommes au Sénégal où on ne court pas derrière un messie mais derrière un programme de changement, le choix du parti est plébiscité par le peuple. On a connu des situations en Afrique où des candidats demandaient le boycott des élections présidentielles quand ils ne pouvaient pas se présenter ou celui des autres scrutins pour qu’il n’y ait pas un conseiller municipal de leur parti, encore moins un maire ou un député qui pourraient leur faire de l’ombre.
Quelle que soit la suite que ce gouvernement donnera à son aventure, nous assistons à une authentique révolution dans le modèle de gestion du pouvoir en Afrique. Nous assistons à l’ouverture de la troisième république, celle de la renaissance, mais surtout de la fierté d’être africain avec ou sans l’onction de l’ancien maître. On survivra sans le dessert. Et l’on retrouve ici comme la réhabilitation de Mamadou Dia.
Tout le monde peut se revendiquer de Mamadou Dia puisque l’aliénation senghorienne ne fait plus recette. Le baptême d’un bâtiment ou d’une rue en son nom, c’est bon à prendre. Mais l’ancien président du Conseil posait l’autonomie de son pays par rapport à la France comme un impératif. Depuis son éviction, aucun président sénégalais, même pas Abdoulaye Wade, n’a osé relever le défi, viser ce niveau d’émancipation mentale. C’est donc à ce rendez-vous avec l’histoire que l’on attend de cette équipe de jeunes au profil de baba cool. Elle aussi revendique l’héritage de Dia. Le discours de campagne allait dans ce sens. Ousmane Sonko et ses camarades ont martelé leur exigence : que la France nous laisse tranquille comme les autres anciennes puissances coloniales le font pour leurs anciennes colonies. Les premiers gestes de la nouvelle équipe sont prometteurs et portent une puissance symbolique novatrice. Et en filigrane, on croit entendre comme ces mots d’Aimé Césaire quand il hurle aux autres, accommodez-vous de moi, je ne m’accommoderai point de vous.
Gaston Kelman est écrivain.
Jemal M Taleb est avocat au barreau de Paris, Diamantis & Partners.
PAR Ismaila Madior Fall
ANNULATION DES DÉCRETS EN CONSEIL SUPÉRIEUR DE LA MAGISTRATURE : UNE DÉCISION À RECONSIDÉRER
Il ne peut, aux termes de la loi organique relative au statut des magistrats, être mis fin aux fonctions du Premier Président de la Cour suprême et du Procureur général près ladite Cour qu'avec leur consentement
Il nous est revenu que les décrets de nomination du premier président de la Cour suprême et des membres du Pool judiciaire financier (PJF) lors du dernier conseil supérieur de la magistrature (CSM) ont été abrogés. Je souhaite vivement, en ma qualité de Professeur de droit et 2 fois Garde des Sceaux, que la mesure d'abrogation (ça devrait d'ailleurs être de retrait) soit reconsidérée pour plusieurs raisons :
D'abord, les mesures abrogées ont été prises dans le strict respect de la loi: décrets pris en CSM présentiel alors qu'une consultation à domicile aurait suffi.
Ensuite, il s'agit de décrets intervenant dans l'intervalle temporel du mandat du président de la République Macky Sall, soit avant le 2 avril 2024. Aucune disposition de la Constitution n'empêche la prise de ces mesures courantes qui pouvaient, au surplus, être prises quelques jours auparavant et destinées à assurer la continuité du service public de la justice.
Enfin, il ne peut, aux termes de la loi organique relative au statut des magistrats, être mis fin aux fonctions du premier président de la Cour suprême et du Procureur général près ladite Cour qu'avec leur consentement.
Au total, le président de la République, si, telle est sa volonté, peut bien, en vertu du parallélisme des formes, revenir sur la nomination des membres du PJF et les affectations en nommant d'autres magistrats auxdits postes dans le cadre d'un CSM régulièrement convoqué ou par consultation à domicile.
Cependant, pour ce qui concerne le premier président de la Cour suprême, il est juridiquement impossible de revenir sur sa nomination. Ce serait une première et un précédent dangereux sur lesquels il faut attirer l'attention du nouveau gardien de la Constitution. Aussi est-il souhaitable que ces décrets d'annulation soient retirés de l'ordonnancement juridique pour éviter, de la part des ayant intérêt à agir (les intéressés ou tout membre du CSM ou de l'UMS), un recours contre le décret d'un président fraîchement élu. La magistrature suprême ne s'inaugure pas par un contentieux de l'excès de pouvoir.
par Ndongo Samba Sylla
SORTIR DU SYSTÈME DETTE : FAYE-SONKO FACE AU LEGS DE L’ÉMERGENCE
EXCLUSIF SENEPLUS - Près de 18 milliards de dollars, soit environ 11 000 milliards de francs CFA devront être payés aux créanciers du Sénégal en 2024-2029. Dans ce contexte, tenir ses promesses sur les plans social et économique sera une gageure
L’arrivée au pouvoir de Bassirou Diomaye Faye, président fraîchement élu, et de son ami et mentor, Ousmane Sonko, nouveau Premier ministre, charrie les espoirs de la majorité des Sénégalais. La jeunesse, en particulier, a consenti de lourds sacrifices pour la réalisation de l’alternance politique. Elle attend avec impatience des ruptures majeures qui pourront accélérer les transformations économiques sans lesquelles chômage, sous-emploi, marginalisation et précarité continueront d’obérer son avenir.
Le duo Faye-Sonko a pu bénéficier de la confiance de nos compatriotes pour avoir articulé un discours et un programme en résonance avec les préoccupations des jeunes et des segments les plus vulnérables et avec les demandes de bonne gestion et de transparence publique. Les ambitions louables et la vision socioéconomique progressiste de leur mouvement devront cependant composer avec le bilan financier « salé » de l’« émergence » qui a été promise par le régime précédent.
Si Macky Sall peut se prévaloir d’avoir obtenu durant ses deux mandats un taux annuel moyen de croissance économique supérieur à ceux observés pour ses prédécesseurs, cela est dû notamment au fait qu’il a bénéficié d’un contexte international plus favorable (ce dont témoignent les performances assez similaires de quelques pays voisins) et qu’il ne s’est pas privé de recourir activement à l’endettement extérieur. En 2012, Macky Sall a hérité d’un stock de dette publique extérieure (public and publicly guaranteed) de 4,2 milliards de dollars, soit 23,7 % du Produit Intérieur Brut (PIB), qu’il a porté à 14,5 milliards de dollars en 2022, soit 52,5 % du PIB, selon les données de la Banque mondiale.
Certes, au regard des perspectives de croissance économique associées à l’exploitation du pétrole et du gaz, le ratio entre le stock de dette publique et le PIB pourrait diminuer, se diront certains, pour se rassurer. Mais ce raisonnement ne serait pas tout à fait approprié, notamment parce que le ratio dette publique/PIB est un indicateur pratiquement inutile, quand bien même il serait fort prisé.
Les gouvernements souverains sur le plan monétaire (qui ne s’endettent que dans leur propre monnaie et qui évoluent en changes flottants) n’ont pas de contrainte de solvabilité tandis que ceux dont la souveraineté monétaire est moindre peuvent faire défaut à tout moment. En 2022, le gouvernement du Pérou était endetté en monnaie étrangère et pour partie en monnaie nationale. Il a fait défaut avec un ratio dette sur PIB de l’ordre de 33,4 % tandis que le gouvernement japonais, avec un ratio d’endettement de 254 %, cette même année, ne peut jamais faire défaut, du fait de sa souveraineté monétaire.
En matière de solvabilité extérieure, le taux de croissance économique agrégé est moins important que l’évolution des revenus extérieurs, notamment la croissance des revenus d’exportation contrôlés par le gouvernement. Parce que la dette extérieure est payée en devises fortes. Si vous avez par exemple un service de la dette de 100 dollars, le fait de pouvoir taxer votre économie pour obtenir l’équivalent en monnaie nationale de cette somme (aspect budgétaire) ne résout pas votre problème (le paiement en dollar). Si les 100 dollars ne sont pas disponibles dans le système financier domestique, la dette extérieure ne pourra pas être honorée.
Entre 2010 et 2021, le ratio entre le stock de dette extérieure et les recettes d’exportation s’est empiré, passant de 136 % à 466 %. Sur la même période, la part du service de la dette dans les revenus d’exportation a bondi de 5 % à 28 %. En d’autres termes, l’évolution de l’endettement extérieur a été beaucoup plus rapide que celle des revenus d’exportation.
L’un des péchés économiques des plans d’« émergence » au Sénégal, comme sur le reste du continent, a été de stimuler des dynamiques d’endettement en monnaie étrangère qui n’ont ni vraiment dopé leurs exportations ni permis de réduire relativement leurs factures d’importations (par le biais de leur substitution avec la production locale). S’il en a ainsi été, c’est parce que les plans d’« émergence » ont souvent consisté à prendre des dettes en devises fortes pour financer des projets d’infrastructures exécutés par des entreprises étrangères.
Le problème est le suivant : ces projets ont beau être très rentables, pour la plupart ils ne génèrent que de la monnaie nationale, pas des dollars ou des devises fortes. C’est-à-dire que ces projets, financés en devises fortes, ne peuvent pas se rembourser d’eux-mêmes en devises fortes. Pour payer le service de la dette extérieure qui leur est associé, et également permettre la conversion en devises fortes puis le rapatriement des profits et des dividendes obtenus en monnaie nationale par les entreprises étrangères, les gouvernements doivent compter sur les sources traditionnelles de revenus extérieurs et/ou sur de nouveaux emprunts en monnaie étrangère.
Quand la plupart des projets financés par l’emprunt étranger ont ce type de profil, il suffit d’un choc négatif sur les sources traditionnelles de revenus (baisse des prix des matières premières) ou d’une hausse des taux d’intérêt sur les marchés financiers internationaux pour qu’une crise de dette souveraine pointe son nez.
Alors que les paiements cumulés au titre du service de la dette extérieure ont atteint 7,8 milliards de dollars entre 2012 et 2023, le duo Faye-Sonko fera face entre 2024 et 2029, c’est-à-dire d’ici à la prochaine élection présidentielle, à un service de la dette publique extérieure de l’ordre de 11,6 milliards de dollars. Jamais, auparavant, dans l’histoire du pays, un gouvernement n’aura été confronté à une charge de la dette aussi importante en termes absolus et en un temps aussi court. De 1960 à 2017, le service annuel de la dette publique extérieure n’a jamais dépassé 300 millions de dollars. Depuis 2021, le cap du milliard de dollars a été franchi et a continué d’augmenter. Si le service de la dette intérieure est pris en compte, c’est près de 18 milliards de dollars, soit environ 11 000 milliards de francs CFA qui devront être payés aux créanciers du Sénégal durant la période 2024-2029. De telles sommes représentent une ponction importante à la fois sur les finances publiques et les ressources du pays.
Avec la Côte d’Ivoire et le Bénin, le Sénégal fait partie des rares pays africains pour lesquels le montant du service de la dette attendu pour la période 2024-2029 est supérieur au cumul du service de la dette observé pour la période 2012-2023. La responsabilité du système CFA dans l’endettement extérieur chronique des pays membres n’est pas difficile à établir. L’absence de financements adéquats, notamment en ce qui concerne les secteurs agricole et industriel, décourage la production intérieure. La surévaluation du taux de change pénalise les exportations, rend la production locale peu compétitive et facilite les importations. Ce qui crée une situation de déficit permanent de la balance commerciale et plus généralement de perte chronique de devises dans les transactions courantes.
Dans la plupart des pays du Sud, les déficits prolongés de la balance courante entraînent souvent une dévaluation/dépréciation de leur taux de change. Dans le cas des pays de l’UEMOA, le maintien des déficits extérieurs et de la parité fixe vis-à-vis de l’euro n’a été possible qu’à la condition de renforcer la dépendance financière extérieure (dettes en monnaie étrangère et investissements directs étrangers). Nulle surprise dès lors que dans tous ces pays la croissance économique ait pour carburant le capital étranger et qu’elle soit « extravertie ».
À côté d’une dette extérieure de plus en plus pesante, il faut tenir compte des passifs contingents – c’est-à-dire des engagements financiers qu’un État prévoit d’honorer au cas où un scénario non désirable se produit – qui sont légion dans les contrats de partenariat public privé (PPP) signés par le régime précédent et qui sont de véritables bombes à retardement budgétaires.
Par ailleurs, les rapatriements de profits et de dividendes sont censés augmenter considérablement avec l’entrée du Sénégal dans l’économie pétro-gazière, selon les projections du FMI (décembre 2023). Dans la balance des paiements, les « revenus primaires » renvoient aux intérêts sur la dette extérieure, aux profits et dividendes rapatriés et aux rémunérations des travailleurs expatriés.
En 2022, les revenus primaires transférés depuis le Sénégal s’élevaient à 944 milliards de francs CFA dont 323 milliards au titre des intérêts sur la dette publique. En 2028, ils devraient atteindre 1159 milliards de francs CFA (dont 428 milliards pour les intérêts sur la dette publique). Cette exportation du surplus économique constitue ce que les économistes du développement appelaient « sous-développement ». À l’ère néolibérale, le même phénomène est qualifié d’ « émergence » du fait de l’illusion créée par le constat de taux de croissance économique élevés !
Dans un tel contexte, tenir ses promesses sur les plans social et économique sera d’autant plus une gageure que les dispositions du budget 2024 ajoutent quelques difficultés supplémentaires. Ce dernier a été présenté d’une manière qui exclut du calcul des dépenses et du déficit publics des amortissements d’un montant de 1248 milliards de francs CFA devant être refinancés. Il prévoit notamment une réduction de moitié des subventions à l’énergie et une élimination graduelle de celles portant sur les produits alimentaires. Si ces mesures sont conformes avec les exigences des bailleurs de fonds qui réclament un « retour à l’orthodoxie budgétaire », elles sont cependant en porte-à-faux avec l’engagement du nouveau gouvernement de soulager les ménages par rapport à la cherté de la vie.
En marge du « système » politicien, le duo Faye-Sonko devra faire face à un adversaire plus coriace : le séculaire « système dette », c’est-à-dire les conditions qui maintiennent les pays du Sud dans un schéma structurel de dépendance financière et de crises économiques récurrentes.
Outre la nécessité d’une gestion transparente et rationnelle des ressources publiques, il faudra un plus grand contrôle technique et fiscal sur les secteurs exportateurs, un modèle économique davantage orienté sur l’élargissement des marchés intérieurs ainsi que la souveraineté monétaire, un pilier nécessaire, quoique non suffisant, pour s’extirper graduellement du « système dette ».
Par Mouhamadou Lamine BOB
OSER LA DECENTRALISATION
Je demeure convaincu qu’une décentralisation assez poussée est gage de développement à la base et donc garantissant plus de stabilité et de possibilités de voir les populations bénéficier des retombées tout en étant acteurs à part entière
Au vu de tout ce qui a été développé pour mettre en place une politique de décentralisation accompagnée de lois et règlements, je reste sur ma faim quant à la concrétisation. Je demeure convaincu qu’une décentralisation assez poussée est gage de développement à la base et donc garantissant plus de stabilité et de possibilités de voir les populations bénéficier des retombées tout en étant acteurs à part entière.
Ma réflexion a comme point de départ, le niveau d’opérationnalisation de cette politique de décentralisation avec peut-être un agenda dont le rythme d’exécution reste assez lent. Il est évident que si cette opérationnalisation doit passer uniquement par des mesures et décisions devant concerner l’ensemble des collectivités territoriales en même temps, leur niveau varié en termes de capacités organisationnelles, de gestion (programmatique et financière) et de redevabilité ne permet pas une application simultanée et intégrale.
Ainsi et de manière concrète, il serait plus judicieux de penser à une approche par échelle. Il s’agit en effet de pouvoir stratifier ou catégoriser, les mesures et décisions d’application de la politique et de les mettre en œuvre en fonction des capacités de chaque collectivité territoriale. Cette approche nécessitera d’emblée une concertation et des travaux pour sortir avec une matrice d’application des mesures liées à la décentralisation (domaines et sous domaines liés aux compétences transférées) incluant les programmes prévus par l’Etat et les budgets y afférents, en fonction du niveau de capacité des collectivités territoriales. Les évaluations des collectivités territoriales seront faites pour les catégoriser selon leurs capacités afin de leur allouer des responsabilités accrues en matière de transfert effectif de compétences (programmes et budget pour exécution), mais ce sera aussi l’occasion d’identifier les lacunes et de proposer des actions de remédiation pour permettre à chaque localité, de bénéficier de l’encadrement nécessaire pour progresser. Il sera possible de mettre à contribution les services techniques déconcentrés, la société civile locale pour planifier et réaliser les actions d’évaluation, mais aussi d’encadrement, de suivi et de supervision. Evidemment, la tutelle sera toujours présente pour assurer le lead et un bon déroulement des actions avec les moyens appropriés.
Cela va permettre de progresser dans l’opérationnalisation de la politique de décentralisation avec un accompagnement de ces dernières sous forme d’encadrement afin de progresser et être capable dans le futur, de démontrer les capacités à gérer plus de programmes à exécuter dans la localité concernée. Ainsi, on pourrait progressivement se retrouver avec des collectivités territoriales capables de gérer l’intégralité des programmes (budget et exécution) prévues dans leurs localités et cela va booster la dynamique économique avec une administration locale de plus en plus capable. Au niveau central, les rôles et responsabilités vont progressivement se focaliser sur la supervision, l’encadrement et le suivi de ces programmes que les collectivités territoriales vont gérer. Dans le long terme, il est possible que certaines instances de niveau régional n’aient plus leur raison d’être puisque tout pourra se faire au niveau départemental ou communal.
Texte Collectif
PLAIDOYER POUR LA SAUVEGARDE DU PATRIMOINE SENGHORIEN
La bibliothèque personnelle de Léopold Sédar Senghor, reflet de ses lectures et de ses relations intellectuelles, sera dispersée aux enchères à Caen en avril 2024, risquant de voir disperser un pan de l'histoire littéraire africaine
Le 16 avril 2024 à l’hôtel des ventes de Caen en France, est programmée la vente d’« une – grande – partie de la bibliothèque personnelle » (pas moins de 304 lots composés d’un à plusieurs ouvrages) du premier président de la République du Sénégal, Léopold Sédar Senghor. En regardant à la loupe ces ouvrages, l’on découvre avec stupeur que seront vendus entre autres : l’exemplaire du prodigieux Discours sur le colonialisme de l’ami Aimé Césaire dédié à « ce vieux Léopold Sédar Senghor, (…) parce que je suis sûr que malgré les appartenances politiques, il déteste le colonialisme, destructeur de culture, de finesse [sic] et de civilisations », des ouvrages du poète Aragon, également adressés à Ginette Eboué son épouse, ou encore l’exemplaire d’un ouvrage déterminant dans la construction de sa pensée, Ainsi parla l’oncle de l’Haïtien Jean-Price Mars, qui rend « un fervent hommage d’admiration au grand poète noir » …. Ces ouvrages sont dédiés au poète, au député, au Président de la République ou encore à l’ami Senghor. Sans viser l’exhaustivité, évoquons aussi les ouvrages d’Ousmane Sembène, d’Ousmane Socé Diop, de Birago Diop, de Fily Dabo Sissoko ou encore de Joseph
Zobel, de Paul Niger, de Léon-Gontran Damas et de Richard Wright…. Ils disent autant sur les lectures de Senghor que sur ses relations avec les auteurs et le réseau amical, politique et intellectuel qu’il a tissé et dans lequel il s’insère. Ajoutons enfin des ouvrages de son ami René Maran, le premier Goncourt noir avec Batouala. En première page du livre Les Pionniers de l’Empire, Maran désigne Senghor comme « l’une des gloires de la race à laquelle je suis fier d’appartenir ». Camille Maran avait d’ailleurs eu la généreuse et visionnaire idée en son temps de donner à celui qui venait d’être élu président de la République du Sénégal une partie importante de la bibliothèque et des archives de son époux : le fonds René Maran est à la disposition des étudiants et des chercheurs à la Bibliothèque Centrale de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar. Il y existe aussi un fonds Senghor que pourraient enrichir ces ouvrages. Dans le cas contraire, c’est tout un pan de l’histoire littéraire sénégalaise, ouest-africaine et afro-américaine qui risque d’être dispersé à travers l’éclatement promis de cette bibliothèque de la négritude inédite et unique.
Cette vente intervient à peine quelques mois après l’annonce de celle des cadeaux diplomatiques, décorations militaires et autres bijoux personnels de Senghor, en octobre 2023, vente à laquelle l’État du Sénégal est parvenu à sursoir, après avoir racheté l’ensemble des lots, désormais conservés au Musée des
Civilisations Noires à Dakar. La commissaire-priseuse Me Solène Lainé avait elle-même convenu, non sans une pointe d’enthousiasme, « qu’on ne voit jamais ce type de vente aux enchères » (cité dans l’article du parisien du 20 octobre 2023, Bertrand Fizel, « Des objets rares ayant appartenu à Léopold Sédar Senghor aux enchères à Caen »).
La dispersion du patrimoine senghorien entre la France et le Sénégal principalement, mais aussi en Allemagne et aux Etats-Unis, relève de la géographie senghorienne. Dans le cadre des activités de notre groupe, près d’une trentaine de fonds d’archives de/sur Senghor, plus ou moins importants en termes de volume, a été identifiée. Or la majeure partie est inaccessible au public sénégalais. Une grande part des photographies, objets, œuvres d’art, archives (correspondances, manuscrits et autres papiers de Senghor allant des années 1950 à 2001), est en effet conservée dans la maison familiale de Verson en Normandie, qui est conformément aux vœux de Léopold Sédar Senghor et de son épouse, propriété de la municipalité depuis juillet 2022, avec tous les biens qui la composent.
Il est temps que les Sénégalais puissent librement accéder à ce patrimoine, sans avoir à parcourir la moitié du globe et à affronter des services consulaires peu généreux et accueillants. A l’heure où le tout récemment investi 5ème président du Sénégal Bassirou Diomaye Diakhar Faye parle avec force de la nécessité pour le Sénégal de recouvrer pleinement sa souveraineté, le Groupe international de recherche Léopold Sédar Senghor (UCAD/ENS) souhaite attirer l’attention sur l’urgente nécessité de préserver et de valoriser le patrimoine du premier président du Sénégal et poète Léopold Sédar Senghor. À travers les traces qu’il a laissées et qu’il nous a léguées, c’est toute une partie de l’histoire et du patrimoine sénégalais qui apparaît et qui risque à nouveau de disparaître.
Pour le Groupe de recherche international Léopold Sédar Senghor
(Université Cheikh Anta Diop de Dakar/École normale supérieure (France))
Pr Mamadou Ba (Lettres Modernes, UCAD)
Dr Edoardo Cagnan (ITEM, CRNS/ENS)
Coline Desportes (Doctorante en Histoire de l’art, EHESS)
Dr. Alioune Diaw (Lettres modernes, UCAD)
Dr Mohamed Lat Diop (EBAD, UCAD)
Pr. Babacar Mbaye Diop (Philosophie, UCAD)
Dr Laura Gauthier-Blasi (Littérature, Université d’Alcala)
Maëlle Gélin (doctorante en Histoire, Sciences Po Paris)
Dr Sébastien Heiniger (ITEM, CRNS/ENS)
Dr. Céline Labrune Badiane (ITEM, CRNS/ENS)
Pr Amadou Ly (Lettres modernes, UCAD)
Dr. Claire Riffard (ITEM, CRNS/ENS)
Pr Felwine Sarr (Romance studies, Duke)
Dr. Serigne Seye (Lettres modernes, UCAD)
Dr Mouhamadou Moustapha Sow (Histoire, UCAD)
Pr. Cheikh Thiam (Etudes africaines, Amherst College)