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28 novembre 2024
Opinions
Par Diagne Fodé Roland
SUNUGAL: COMMENT L’ETAT DE CLASSE NEOCOLONIAL DEVIENT UN ETAT HORS LA LOI ?
C’est bien au Sénégal que se déroule ce film des horreurs hollywoodien d’une affaire dite « privée entre deux citoyens » qui débouche sur des révélations d’un complot d’Etat confirmé par un verdict au bout de deux ans d’une procédure
Beaucoup s’étonnent de ce que la presse sénégalaise, africaine et même mondiale appelle de plus en plus « la dérive autoritaire de l’État de la vitrine démocratique » françafricaine, eurafricaine et usafricaine du Sénégal et ce que les manifestants au pays et dans la diaspora appellent « la dictature de Macky Sall ». Les images macabres qui défilent dans la presse et sur les réseaux sociaux, celles des forces de répression et des nervis tirant à balles réelles sur des manifestants pacifiques ou ayant des cailloux ne sont plus une exclusivité des pratiques assassines de l’État sioniste d’Israël contre les enfants de Palestine. C’est bien au Sénégal que se déroule ce film des horreurs hollywoodien d’une affaire dite « privée entre deux citoyens » qui débouche sur des révélations d’un complot d’Etat confirmé par un verdict au bout de deux ans d’une procédure dans laquelle certificat médical, rapport d’enquête de la gendarmerie, témoignages, saisine de la chambre criminelle, requalification reconnaissant de fait de faux et usage de faux de l’accusation de « viol et menace de mort » en « corruption de la jeunesse » et condamnation du candidat Sonko à l’inéligibilité qui disqualifie et expose lumineusement aux yeux de tous un pouvoir judiciaire soumis au pouvoir exécutif présidentiel.
Déclarant en mars 2021 avoir été « surpris » par la révolte de la jeunesse contre ce kidnapping policier qui a fait le tour du monde médiatique, le président de la République, Macky Sall, s’était fendu d’une mise en garde : « ce qui est arrivé, n’arrivera plus » aussitôt suivie de nouvelles distillées dans la presse et montrées lors des défilés du 4 avril de la dotation en armes et matériels répressifs de la gendarmerie, la police et même de l’armée. Des révélations faisant froid au dos sur l’achat, dit-on, de 45 milliards de francs CFA d’armes par le Ministère de l’environnement et pour lequel certaines sources pointent maintenant la présidence comme l’acheteur pour armer les nervis que l’on a vu sévir à chaque révolte populaire de la jeunesse.
Estocade finale contre Ousmane Sonko
Bref depuis mars 2021, tout se passe comme si la justice, la gendarmerie, la police, les nervis, la presse aux ordres, les arrestations préventives arbitraires de militants, de journalistes, des coupures de signaux de télévision, les « dialogues » successifs ont été mis à contribution pour préparer et porter l’estocade finale au candidat du camp patriotique, O. Sonko, dont tout le monde reconnaît maintenant, y compris les sondages, qu’il l’emporte largement dès le premier tour de la présidentielle du 25 février 2024.
Mais échec et mat, c’était sans compter avec la détermination d’une jeunesse (environ 70 % de la population) qui est en train de remplacer l’illusion d’une vie meilleure dans les pays impérialistes par l’engagement militant pour une vie meilleure dans son propre pays.
L’espérance qu’incarne aujourd’hui la figure emblématique du patriote Sonko et le projet de souveraineté nationale qu’il porte résulte de la prise de conscience en cours du lien intrinsèque entre la mal-gouvernance, les scandales quasi-quotidien des détournements des deniers publics révélés par les corps de contrôle de l’État et la soumission prédatrice néocoloniale aux Multinationales impérialistes.
Un complot d’Etat mal ficelé
Les stratèges de la troisième candidature illégale parce que constitutionnellement interdite de l’actuel président qui ont jusqu’ici écarté tous les concurrents potentiels à la présidentielle de son second et dernier mandat actuel, ont d’abord sous-estimé Sonko et le patriotisme montant quand il est devenu en 2017 « député au plus fort reste ». Puis, ils l’ont radié arbitrairement de son poste d’inspecteur des impôts en pensant que tous les Sénégalais sont à leur propre image : corruptible ou poltron. Ensuite, ils ont cherché à l’isoler après sa troisième place avec près de 16 % à la présidentielle 2019 en organisant la transhumance vers le pouvoir de celui arrivé deuxième
C’est en fait l’échec de tous les stratagèmes mis en place qui, manifestement, a conduit à ce complot d’État mal ficelé et révélateur à la fois d’une incompétence flagrante dans la capacité de dissimulation et d’un traumatisme violent vénal qui montre qu’ils sont prêts à tout pour garder le pouvoir.
L’obsession de se maintenir au pouvoir est boostée par la découverte du fer, du zircon et surtout du gaz et du pétrole.
La bourgeoisie bureaucratique néocoloniale appendice locale de la bourgeoisie impérialiste a pour fonction principale de garantir l’accès aux ressources naturelles, à la main d’œuvre taillable et corvéable au profit des Monopoles capitalistes de l’impérialisme français principalement. C’est ce qu’explique l’Internationale Communiste dans ses thèses à son VI éme congrès en 1928 sur la caractéristique essentielle du système colonial et néocolonial en écrivant que l’oppression impérialiste « au fond... consiste en un monopole, basé non seulement sur la pression économique mais aussi sur la contrainte non économique de la bourgeoisie du pays impérialiste dans le pays dépendant, monopole, qui a deux fonctions principales : d’un côté, l’exploitation impitoyable des colonies..., d’autre part, le monopole impérialiste sert à conserver et à développer les conditions de sa propre existence, c’est-à-dire l’assujettissement des masses coloniales »; « dans sa fonction d’exploiteur colonial, l’impérialisme est, par rapport au pays colonial, avant tout un parasite qui suce le sang de son organisme économique. Le fait que ce parasite représente envers sa victime une haute culture, en fait un exploiteur d’autant plus puissant et dangereux, mais du point de vue du pays colonial ne modifie en rien le caractère parasitaire de ses fonctions » (VIè congrès- p.226). On constate ainsi que si historiquement « l’exploitation capitaliste de chaque pays impérialiste a suivi la voie de développement des forces productives, Les formes spécifiquement coloniales d’exploitation capitaliste, employées par la bourgeoisie (impérialiste), freinent, par contre, en fin de compte, le développement des forces productives de leurs colonies » (idem p.226). Voilà d’où vient le fait que 60 ans après les dites indépendances, il n’y a point de développement dans les néo-colonies, il n’y a que développement du sous-développement.
Des monopoles impérialistes français
Au Sénégal,sous Senghor près de 180 entreprises publiques et parapubliques ont côtoyé dans une relation de subordination la mainmise des monopoles impérialistes français dans le cadre desdits « accords de coopération » qui vont organiser le passage de la colonie à la néo-colonie
Sous Diouf, le « moins d’État, mieux d’Etat » (sic!) des plans libéraux d’ajustement structurel pour rembourser la dette usuraire et les intérêts vont flinguer les entreprises parapubliques comme l’ONCAD, etc, avant que la dévaluation du CFA de 1994 n’ouvre les vannes de la privatisation-bradage des secteurs stratégiques comme l’eau, les télécoms, le port, etc. Rappelons que seule la SENELEC, a par sa combativité syndicale empêché jusqu’à nos jours sa privatisation.
Sous Wade, la privatisation va bon train doublée de grands travaux surfacturés, de marchés de gré à gré, de boulimie foncière, etc tout en diversifiantses partenaires économiques étrangers. Macky a tout simplement prolongé et amplifié la rapacité apatride des sociaux libéraux du PS et démembrements et des libéraux du PDS et démembrements dont l’APR flanqués des renégats de l’ex-gauche.
Si les bourgeoisies bureaucratiques quise sont succédé au pouvoir mêlent à la fois nouveaux et transhumants, on peut dire à grand trait qu’elles bénéficient jusqu’ ici du statut de « colonies de l’arachide », des phosphates, du poisson, du tourisme et des impôts des travailleurs pour s’en mettre plein les poches tout en laissant au fil des diktats du FMI, de la Banque Mondiale et de l’OMC les secteurs stratégiques aux Firmes multinationales impérialistes.
La découverte du pétrole et du gaz confère à la bourgeoisie bureaucratique clanique actuelle une perspective prédatrice autrement plus liquide et juteuse. Voilà pourquoi Macky/APR/BBY s’accrochent au pouvoir à tout prix.
C’est donc le pétrole et le gaz qui FASCISENT le régime présidentiel actuel dans notre pays. En effet, tous les régimes néocoloniaux ont été libéraux (sauf au début) et répressifs.
Senghor/Dia l’ont été en imposant le parti unique, en interdisant et réprimant le PAI, premier parti marxiste-léniniste et véritablement indépendantiste, et en phagocytant par la force et la ruse le MFDC et le PRA avant de concéder aux luttes populaires, notamment de 68, le « multipartisme limité ». Diouf l’a été en faisant le « multipartisme intégral », en réprimant les contestations des vols électoraux, en intégrant l’opposition dans ses « gouvernements d’union nationale » et en menant une guerre brutale meurtrière contre le MFDC en Casamance. Macky dépasse ici toutes les limites en combinant ruse (alors qu’il a perdu tout crédit aux yeux du peuple), répression mortifère, utilisation flagrante hors la loi des pouvoirs régaliens de l’État, judiciaire, gendarmerie, police, violence politique à l’Assemblée Nationale où il n’a plus vraiment de majorité mécanique, complot d’État, arrestations arbitraires, illégales, nervis tueurs, etc
Les récentes élections locales et législatives en Guinée Bissau et Gambie annoncent la perte pour Macky d’alliés qu’il avait intronisé et qu’il pouvait utiliser dans sa stratégie de se maintenir coûte que coûte au pouvoir. Et force est de constater que les impérialistes français, européens et étatsuniens qui le soutenaient jusqu’ici contre Sonko cherchent manifestement une alternative à lui ainsi qu’à Sonko ce qui fait que les concurrents qui se sont déclarés candidats à la présidentielle du 25 février 2024 cherchent à en bénéficier.
Les voies pour sortir des impasses politico-judiciaires
Deux voies s’offrent pour sortir des impasses politico-judiciaires, répressives mortifères, diplomatiques le rapport des forces exprimé par la révolte de la jeunesse patriotique contre le complot d’État de Macky/APR/BBY :
- Macky/APR/BBY repartent à l’assaut en utilisant la violence brutale criminelle de l’État avec le risque que cela se retourne contre eux avec des conséquences totalement imprévisibles ;
- Macky/APR/BBY annulent le verdict injuste contre Sonko qui n’obéit qu’au besoin d’éliminer son droit à candidater et libère tous les détenus politiques;
- Macky respecte la Constitution qui dit que «nul ne peut avoir plus de deux mandats consécutifs»;
- Macky accepte l’organisation de la présidentielle par des personnalités ou un organe consensuel indépendant.
Cette plateforme que l’on retrouve dans le F24 est la seule porte de sortie démocratique de la crise politico-sociale dans laquelle Macky/APR/BBY ont plongé le pays. Le F24 à qui le régime actuel refuse le droit d’organiser le «dialogue populaire», des rassemblements et des manifestations doit continuer à exiger le respect des libertés individuelles et collectives. Ces atteintes liberticides du pouvoir autoritaire vont progressivement réunir les conditions de la jonction entre jeunesse en colère, émeutes de la faim et les forces vives de la nation.
L’exigence de démission des ministres, le garde des sceaux pour ce verdict inique et de l’intérieur pour la répression aveugle, est totalement justifiée. Celle que certains agitent, notamment des candidats concurrents qui savent que si le verdict n’est pas abrogé, Sonko ne pourra pas y participer, en ce qui concerne le président Macky Sall dont le mandat expire légalement le 25 février 2024 ouvre une boîte de pandore dangereuse dont n’importe quoi peut sortir. Dans les conditions actuelles du rapport des forces, les revendications justes sont :
- annulation du verdict contre Sonko,
- pas de troisième candidature anticonstitutionnelle de Macky,
- libération immédiate de tous les prisonniers politiques,
- organisation consensuelle de la présidentielle de février 2024,
- mesures immédiates de baisse des prix des denrées de premières nécessités.
Par Diagne Fodé Roland
Dakar Sénégal
par Amadou Tidiane Wone
AUX BORDS DU CHAOS ? RECULONS !
Qui ne sent une remise en cause périlleuse des équilibres fondateurs de notre nation ? Nul besoin de nommer les gens. Nommons les choses et chacun se regardera au miroir de ses propres turpitudes…
Entre nous….On ne vit sur cette planète terre qu'une seule et dernière fois. Nul ne peut prolonger ou raccourcir le temps prédéterminé pour cela. Entre les deux termes que sont la naissance et la mort, chaque être humain est libre de ses faits et gestes. Libre d'en assumer les responsabilités et donc d'en subir les conséquences. Après les paramètres de base que lui installent ses parents, par son éducation et l'instruction acquise au fil du temps par des structures telles que l’école, le daara ou, tout simplement face aux épreuves de la vie, chaque individu se prépare à interagir avec les autres membres de la société. Tout un système de convenances morales et sociales appelées traditions formatent nos consciences et forgent nos personnalités. A l’échelle de la nation, ces héritages sont encadrés dans un corpus de valeurs juridiques dont la Constitution est la charpente. C’est ce que l’on appelle la République. Au sein de celle-ci, des lois et règlements arbitrent nos conflits latents ou ouverts. Nos modes de conquête, de gestion et de transmission des pouvoirs sont définis et doivent être respectés par tous. A tout prix !
Car, tout cet édifice repose sur un seul socle : la confiance ! Un principe immatériel et non écrit qui cimente la cohésion de toute communauté humaine. Rien ne peut fonder une nation harmonieuse en dehors de la confiance, absolue et partagée, sur la solidité, mais surtout l’impartialité des Institutions. Celles-ci rassemblent et gouvernent notre communauté de vivre-ensemble librement consentie. En vérité, la nation et la République se fondent, principalement, sur la confiance. Elles se renforcent par la solidarité. Elles se nourrissent à la sève des bons comportements. Le respect mutuel et le traitement équitable devant les lois canalisent les violences et les contiennent.
Cela étant dit :
- Qui ne sent, dans notre pays le Sénégal, une remise en cause périlleuse des équilibres fondateurs de notre nation ? A tous les nivaux. Et même sur des sujets qui avaient été portés à la dimension sacrée. Par exemple, les relations inter-ethniques séculaires, sources de parentés à plaisanterie qui nous font rire, les uns des autres, dans la bonne humeur et la joie ? Des rires qui tissent, au fond des cœurs, des fils lumineux de fraternité consentie.
- Qui ne sent, aussi, la défiance montante à l’endroit des pouvoirs régaliens, et notamment de la Justice dont les décisions sont de plus en plus contestées et les auxiliaires désignés à la vindicte populaire ?
- Qui ne constate un morcellement de l’autorité qui profite aux esprits, malfaisants et malveillants, qui capturent l’intérêt général au profit de leurs agendas cachés ? Toute cette rage à s’emparer des ressources publiques au profit de la cupidité sans limites de certains…Nul besoin de nommer les gens. Nommons les choses et chacun se regardera au miroir de ses propres turpitudes…
Alors ce matin, en vous rasant ou en vous maquillant, prenez le temps de vous mirer… Prenez le temps d’évaluer vos faits et gestes, apparents ou cachés et définissez-vous : être parmi les justes en toutes circonstances ou louvoyer au gré de gains immédiats au péril de soi. En dépit de soi.
Parlons peu. Parlons bien.
La Justice doit être juste. Pour mériter notre respect. Le cas échéant, elle va perdre notre confiance. Définitivement !
La République doit être le reflet de la diversité de ses composantes. Aucun déséquilibre dans ce principe n’est tolérable.
La paix se fonde sur le respect mutuel. Le pouvoir et l’opposition ont la même dignité constitutionnelle. Veillons à donner à chacun la latitude de jouer son rôle et d’exercer ses droits dans toute leur plénitude.
Face à la stratégie de la terre brûlée, que ceux qui se ressemblent s’assemblent pour conjurer la montée des périls.
Tout leur échappe de ce qu’ils voudraient maîtriser mais ils continuent à arborer leurs costumes de scène. Une véhémence partisane, des assignations et des réquisitoires. Soulageant des consciences en exaltant des instincts de tueurs.
« Tout leur échappe de ce qu’ils voudraient maîtriser » mais ils continuent à arborer leurs costumes de scène. Une véhémence partisane, des assignations et des réquisitoires. Soulageant des consciences en exaltant des instincts de tueurs. Livrant quiconque à une vindicte pour faire « abdiquer la liberté de l’esprit à laquelle il faut tenir ». Un jeu politicien tel qu’« on ne croit plus que ce qui nous arrange, au sein d’un horizon de pensée de plus en plus restreint, et l’on a perdu confiance dans le reste ». L’ambition serait d’avoir des bidons d’essence et des allumettes pour signer sa célébrité. Sans regret ni remord, semer l’ignominie et la mort. « Non, un homme ça s’empêche... », écrivait Camus dans son livre posthume Le premier homme. Pour Jean-François Mattéi, auteur de Citations de Camus expliquées, « quelle que soit la situation, (...) il y a des choses que l’on ne fait pas quand on est un homme. (...) Un homme exprime son humanité en refusant certains actes ».
« Les leçons de la vie doivent être apprises, sinon on continue à errer vers l’inconnu » (Taha-Hassine Ferhat, dixit). Et demain serait encore macabre. Comme hier et aujourd’hui. Les assassinats de Me Babacar Sèye (15 mai 1993) et de six (6) policiers (16 février 1994 à la suite d’une manifestation de l’opposition)... les victimes de 2012... les onze (11) morts du 3 mars 2021... « De nos jours, les gens connaissent le prix de tout et la valeur de rien », disait Oscar Wilde. Et le prix pour être au pouvoir semble valoir plus que la valeur des vies humaines. Par ailleurs, le 1er décembre 1963, des manifestants ne scandaient-ils pas : « À bas Senghor, tous aux palais ! » C’était lors des premières élections présidentielle et législatives. Des affrontements avec des forces de l’ordre... Quarante (40) morts selon un document d’archives de l’Ina (Institut national de l’audiovisuel - France). Une polémique sur le nombre de victimes toujours pas résolue ! Senghor accusait l’opposition d’avoir ouvert le feu en premier sur des forces de l’ordre et de s’être servie de personnes de nationalités étrangères.
« Le sentier que jamais tu ne dois fouler »
Malgré ses insuffisances, le jeu démocratique a permis deux alternances. Jamais encore une dévolution violente du pouvoir. Le pays n’avance pas par explosion à la suite d’une crispation. Les élections municipales de 1960 à Saint- Louis qui s’en souvient encore ? Une farouche bataille contre une fraude élec- torale, la première femme sénégalaise emprisonnée pour des raisons poli- tiques. Thioumbé Samb, « alliant le verbe à l’action avait lancé ce mot d’ordre : l’heure est grave, en avant à l’assaut des urnes contre les voleurs ». Une lutte armée des maquisards du Pai avec la « guérilla du Sénégal-Oriental » en 1965... La traque des militants de ce parti, des arrestations, des tortures... Que dire de Mai 1968... voire des arrestations des militants de Xare bi en 1975 dont une femme journaliste alors enceinte et qui perdra sa grossesse en prison... La crise politique de 1988, des « attentats à la voiture piégée »...
Que reste-t-il des riva- lités, parfois incendiaires, des années 1950 entre la Sfio et le Bds quand Senghor disait dans des meetings : « Je ne peux rien faire pour le pays car quand je construis, papa Lamine détruit - bu may gas papa Lamine di suul » ?
« Le chemin se fait en marchant Et quand tu regardes en arrière Tu vois le sentier que jamais Tu ne dois fouler... », chantait Antonio Machado. Faudrait-il être lucide. D’après Jean-François Payette, la « lucidité est l’acte par lequel la conscience se ressaisie elle-même, mais en introduisant dans son rapport au monde de nouvelles médiations capables d’imprimer sur la réalité une colo- ration... ». Pour Myriam-Revault d’Allonnes, dans son essai sur le mal politique, Ce que l’homme fait à l’homme : « Que la politique soit maléfique, qu’elle charrie avec elle tout un défilé de pratiques malfaisantes, implacables ou perverses, c’est là une plainte aussi vieille que le monde. La politique est le champ des rapports de forces. La passion du pouvoir corrompt. L’art de gouverner est celui de tromper les hommes. L’art d’être gouverné est celui d’apprendre la soumission, laquelle va de l’obéissance forcée à l’enchantement de la servitude volontaire. Personne n’ignore ces banalités, et pourtant elles n’en existent pas moins. »
Aujourd’hui, des populations n’utilisent-elles pas ces mots de Deleuze et Guattari dans Qu’est-ce que la philosophie : « Nous demandons seulement un peu d’ordre pour nous protéger du chaos ». Au demeurant, relisons ces mots de Camus recevant son prix Nobel de littérature en 1957 : « Chaque généra- tion, sans doute, se croit vouer à refaire le monde. La mienne sait pourtant qu’elle ne la refera pas. Mais sa tâche est peut-être plus grande. Elle consiste à empêcher que le monde se défasse. »
par Ousmane Sarr
QUAND L’OBSCURANTISME ACHÈVE LE SÉNÉGAL
Un dirigeant n'acquiert pas sa légitimité par un « ni non, ni oui », mais par sa capacité à faire bénéficier des retombées de son pouvoir la communauté - ethnique le plus souvent - qui l'a élu
La quête de nouveaux espaces de liberté et l’atrophie intellectuelle ont permis la montée des mouvements de révolte aussi bien des politiques que de la société civile. Cela se traduit par des configurations différentes et variées.
Loin d'y mettre un terme ou de conduire à l'Etat de droit et à la bonne gouvernance escomptés par les institutions financières internationales, le double impératif d'ouverture politique et de libéralisation économique accentuera, presque partout, l'émasculation de l'Etat. Celui-ci ayant perdu ses capacités à gérer le risque et l'imprévu autrement que par la force, c'est donc dans un contexte de violence sociale et politique que se dérouleront les tentatives de sortie de crise.
Le doute persiste concernant la voie électorale qui était jusque-là un mécanisme rassurant de changement de régime. Et il en résulte une instabilité structurelle. L’opposition agit au gré de la manifestation contre la répression des FDS causant ainsi des pertes humaines et de biens matériels. Ainsi la diffraction de la société s’accélère jusqu’à l'assimilation réciproque des élites et l'ouverture d’un dialogue, en particulier sur les règles constitutionnelles et les réformes électorales.
L’obscurantisme se signale par rapport au peuple frappé de cécité et la volonté de promouvoir l’impréparation de l’élite qui se chargera du destin du pays après les élections du 24 février 2024. On n’en est pas encore là, mais le chemin semble long et lent, ponctué d’obstacles, de complots et de pièges. Les décisions de justice ont permis la contrainte physique et morale exercée sur une personne en vue de l’inciter à réaliser un acte déterminé (cf. les types de violence). Finalement, le sentiment d’injustice devient le seul motif de la violence. Cette dernière de la part de l’Etat en est de trop sur les sénégalais : la redistribution des richesses n’est pas égalitaire, elle est juste dédiée à un électorat. La création d’emplois dignes pour les jeunes n'est pas effective. Le favoritisme dans les recrutements se fait sentir partout depuis une décennie. La mesure concernant les bracelets électroniques n’honore point l’élite même si le Sénégal devrait l’expérimenter. Ce serait injuste dans un pays démocratique de libérer un député arrêté en flagrant délit de faux billets que de poursuivre un citoyen pour avoir joui de sa liberté d’expression.
Pour en finir avec l’obscurantisme, il faut comprendre que la violence s’installe partout où prévaut la raison du plus fort (impérialisme, expansionnisme, volonté d’imposer sa loi au plus grand nombre) … et pour que le changement ait lieu, il faut que l'armée choisisse d'être neutre. Un dirigeant n'acquiert pas sa légitimité par un « ni non, ni oui », mais par sa capacité à faire bénéficier des retombées de son pouvoir la communauté - ethnique le plus souvent - qui l'a élu.
Ousmane Sarr est intervenant social auprès des groupes vulnérables.
PAR Antoine Moïse
DÉMYSTIFIER LE SÉPARATISME
En 40 ans d’existence, les séparatistes du MFDC ont-ils connu une adhésion croissante de la population à leur objectifs ? Quel est leur poids démographique ?
- 28 mouvements indépendantistes sur 55 pays africains.
- Il y a des séparatistes dans la moitié des pays du monde.
- Toutes les îles françaises, sur tous les océans, ont un mouvement indépendantiste.
D’un point de vue démocratique, l’indépendantisme n’est pas une aberration, car tout le monde a droit à son opinion politique. Ce qui est tout simplement inacceptable, c’est de chercher à se séparer par les armes. D’ailleurs si ce n’est pas déjà fait, le MFDC devrait chercher à obtenir un récépissé et se transformer en parti politique. Et même là, vous me direz qu’il n’y a aucune garantie que la violence politique, outil de gouvernance préféré du régime actuel, ne s’acharnera pas sur eux, comme ils le font avec la coalition Yewwi Askan Wi.
En 40 ans d’existence, les séparatistes du MFDC ont-ils connu une adhésion croissante de la population à leur objectifs ? Quel est leur poids démographique ?
Ont-ils commis des attentats contre les populations où se sont-ils plutôt restreints à des accrochages avec l’armée ?
Pourquoi des responsables politiques et des propriétaires des médias proches du pouvoir tentent, depuis que Sonko cherche à accéder au pouvoir, de faire croire que les mouvements de mécontentement populaire sont infiltrés par les séparatistes ? Et à peine les événements ont-ils lieu que certains commencent à mentionner les séparatistes dans leur verbiage haineux et éhonté. Ont-ils tous reçu les mêmes “talking points” ?
Je le répète un séparatiste n’est pas identifiable à vue d’œil. Comment reconnaît-on un séparatiste ? Ils n’ont pas de carte de membre, pas d’uniforme ou une quelconque couleur identifiante comme pour les gangs américains ? Est-ce qu’on vérifie l’identité des personnes arrêtées et si elles sont casamançaises, elles ont droit à un traitement spécial, très spécial ? C’est un fait, il faut une enquête pour déterminer l’appartenance à un mouvement séparatiste.
La nuisance principale du Sénégal, ce n’est pas le séparatisme (ou indépendantisme). La nuisance est dans les nombreux dossiers de gestion calamiteuse qui nécessitent enquêtes et qui sont peut-être “sous le coude” d’un bon allié. La véritable nuisance du Sénégal, ce sont les détournements, les corruptions et les paiements indus qui fabriquent des salariés milliardaires et privent les populations de conditions de vie meilleures.
La nuisance, c’est un ancien président et son affidé devenu premier ministre qui ouvrent la porte au pillage organisé de l’État en disant que leur “problèmes d’argent sont terminés”.
La nuisance c’est un ancien premier ministre qui se fait voir et entendre sur toutes les plateformes médiatiques, mais évite soigneusement de parler de corruption et de détournement de fonds au Sénégal. Peut-être ne veut-il pas que les gens se souviennent de ses démêlés avec la justice pour mauvaise gestion financière ?
Les violences émotionnelles, morales ou politiques sont pire que les violences physiques et en sont souvent la cause.
Pour finir, réaffirmons notre ferme conviction que l’avenir de l’Afrique est au panafricanisme. Nous n’avons pas d’autre choix que de mettre fin à la balkanisation actuelle de l’Afrique. Comment y arriverons-nous si des mouvements séparatistes continuent d’exister et de ne pas s’entendre avec leur pouvoir central respectif ? Le combat pour le panafricanisme commence par le règlement de tous les conflits internes. Toutefois, on ne peut rien régler par le mensonge et la diabolisation.
par Abdoulaye Ndiaye
MULTIPLE PHOTOS
UN BARIL DE POUDRE SOUS MACKY SALL ?
EXCLUSIF SENEPLUS - L'État de droit semble dépendre fortement des cycles politiques du pays. Cela est un signe d'instabilité et témoigne d'une immaturité de son pouvoir judiciaire. Le pays est à un carrefour crucial de son histoire
Le Sénégal est-il prêt à exploser sur un baril de poudre politique ? Avec cent mille barils de pétrole en jeu chaque jour, c'est la question qui fait plus de bruit.
Avant de tenter de répondre à cette question, il convient de noter que la mesure de l'instabilité politique à travers le prisme des émeutes et des manifestations peut présenter certaines limites.
Les émeutes et les manifestations ne sont que deux manifestations (sic!) parmi d'autres de l'instabilité politique. En outre, leur fréquence et leur intensité peuvent varier considérablement en fonction du contexte socio-politique spécifique.
Il est donc essentiel de considérer ces informations dans le cadre plus large de la dynamique politique du Sénégal et de la sous-région africaine.
Examinons quelques données de l'ACLED et de la Banque mondiale visualisées par José Luengo Cabrera pour les besoins de cet article.
2010 - 2021: Une relative stabilité dans un contexte régional tumultueux
Au cours de cette période, le Sénégal a montré une relative stabilité malgré la présence de quelques pics d'instabilité, à l'instar des émeutes de juin 2011 et février 2012 contre la proposition d'un troisième mandat pour le président Wade.
Ces événements, bien que significatifs, n'ont pas perturbé la tendance générale de stabilité du pays contrastant avec l'évolution générale du continent africain.
En effet, sur la même période, l'Afrique a connu une tendance à la hausse des émeutes, culminant avec le mouvement EndSARS au Nigeria en 2020.
Ce mouvement de protestation massive contre la violence policière a marqué un pic dans la fréquence des émeutes sur le continent.
2021 à aujourd'hui : Une tendance stable en Afrique, des pics inquiétants au Sénégal
Depuis 2021, la fréquence des émeutes en Afrique est restée stable, avec une légère tendance à la baisse.
Cette évolution suggère que le mouvement EndSARS pourrait avoir marqué un point de rupture dans la tendance générale du continent, bien que de nombreux défis politiques et sociaux restent à résoudre.
Au Sénégal, la situation est différente. Il n'y a pas de tendance fondamentale à la hausse, mais des pics préoccupants lors de certains événements ont suscité l'inquiétude.
Les manifestations liées au procès de l'opposant Ousmane Sonko, accusé de viols, ont provoqué des vagues de troubles sans précédent dans le pays.
Les tensions autour de ce procès et son dénouement ont révélé des fractures profondes dans la société sénégalaise, alimentant les craintes d'une instabilité politique croissante.
Vers un Sénégal plus instable ?
Les signaux d'alarme sont là. Si le Sénégal a longtemps été considéré comme un havre de stabilité en Afrique de l'Ouest, les récents événements ont révélé une instabilité potentielle qui pourrait menacer cette réputation.
Le procès de Sonko n'est que la partie émergée de l'iceberg, révélant une frustration croissante face à la perception de la corruption, des inégalités croissantes et de la malgouvernance.
Dans un contexte mondial tumultueux, le Sénégal est également touché par l'inflation omniprésente, exacerbée par des tensions géopolitiques telles que le conflit entre la Russie et l'Ukraine.
Le taux de chômage, même en se concentrant uniquement sur le marché du travail formel au Sénégal, est en hausse. L'impact de ces forces mondiales ne doit pas être sous-estimé, mais il ne saurait à lui seul expliquer la situation complexe à laquelle le Sénégal est confronté.
Un État de droit qui suit les vagues des cycles politiques
Par ailleurs, l'État de droit au Sénégal semble dépendre fortement des cycles politiques du pays. Cette dépendance est un signe d'instabilité et témoigne d'une certaine immaturité de son pouvoir judiciaire.
En effet, l'État de droit a atteint son niveau le plus bas à la fin du mandat d'Abdoulaye Wade, s'est amélioré au début du premier mandat de Macky Sall, et semble maintenant être de retour à un niveau similaire à celui de la fin du régime de Wade.
La comparaison de l'État de droit au Sénégal avec d'autres pays tels que le Ghana, qui est un modèle de stabilité, et des pays voisins ayant connu des difficultés politiques comme la Côte d'Ivoire et la Guinée, est révélatrice.
Au début des années 2000, le Sénégal se trouvait au même niveau d'État de droit que le Ghana, mais semble depuis lors suivre une tendance à la baisse vers des niveaux similaires à ceux de la Côte d'Ivoire.
Ainsi, le Sénégal a longtemps été un bastion de stabilité relative dans un contexte Africain tumultueux. Cependant, des événements récents, en particulier les troubles entourant le procès de l'opposant Ousmane Sonko, ont révélé des fractures profondes dans la société sénégalaise.
Les causes de la fracture du Sénégal sont aussi variées que les vagues qui battent ses côtes. Des facteurs mondiaux comme l'inflation et le chômage, aux cycles politiques internes et à la dégradation de l'État de droit, tous contribuent à une situation complexe et en constante évolution.
Le Sénégal est à un carrefour crucial de son histoire. Cependant, les institutions du pays n'étant pas suffisamment fortes, le futur du pays semble reposer sur les épaules de deux hommes. Le moment est venu de naviguer avec prudence et discernement dans ces eaux agitées. Le sort du Sénégal et de son peuple en dépend.
MACKY OU LA SOLITUDE D’UN AUTOCRATE
POINT DE MIRE SENEPLUS - Boubacar Boris Diop est plus pessimiste qu'optimiste. Il craint l'arabisation de la société sénégalaise. Il estime qu'en cas de référendum sur l'application de la charia, la majorité des Sénégalais voteraient en faveur
Dans une interview parue le 6 juin 2023 dans le journal espagnol El Pais, l'écrivain sénégalais Boubacar Boris Diop a exprimé ses vues sur les protestations actuelles au Sénégal, la politique française en Afrique, et le sentiment anti-français.
Selon Diop, les manifestations actuelles au Sénégal, qui ont entraîné 16 décès, 357 blessures et 500 arrestations, sont la conséquence des dérives autoritaires d'un gouvernement "en panique". Il critique également l'intervention militaire française au Mali, arguant que l'histoire des djihadistes avançant sur Bamako était fausse et que la politique française en Afrique est archaïque et vouée à l'échec.
En ce qui concerne le sentiment anti-français en Afrique, Boris Diop voit un changement de génération qui remet en question son rapport au monde. Il parle des "sauvages des réseaux sociaux", des jeunes qui ne lisent pas les journaux, mais qui partagent leurs opinions entre eux. Selon lui, l'Occident a perdu sa crédibilité en raison de la guerre en Irak, du chaos en Syrie, etc., et le processus d'éloignement de l'Afrique est irréversible.
En ce qui concerne les coups d'État militaires en Afrique, Diop exprime son admiration pour Assimi Goita et la junte militaire au Mali, ainsi que pour Ibrahim Traoré au Burkina Faso. Il affirme qu'il faut soutenir les gens vertueux qui aiment leur pays et sont attachés à son indépendance, même s'ils sont militaires.
Diop souligne que la décolonisation effective est en cours, mais elle est diffuse et se heurte à la résistance de certains pays tels que le Sénégal, la Côte d'Ivoire et le Tchad.
L'éditorialiste de SenePlus, Boubacar Boris Diop, reconnu comme l'un des plus grands écrivains africains critique fortement l'intervention militaire française en Afrique et l'influence politique de la France sur le continent. Il accuse la France de ne jamais avoir voulu réellement décoloniser l'Afrique et d'employer une stratégie politique archaïque. Diop remarque que le sentiment anti-français est plus répandu que jamais en Afrique de l'Ouest.
Il aborde aussi la montée du djihadisme en Afrique, affirmant que ce phénomène est lié à la corruption et aux dérives autoritaires des gouvernements actuels. Il évoque notamment la situation au Sénégal, où des manifestations ont récemment fait 16 morts, 357 blessés et entraîné 500 arrestations. Selon lui, ces troubles sont le résultat direct des dérives autoritaires d'un gouvernement en panique.
Quant à la question de la liberté de la presse en Afrique, Diop estime que cette préoccupation n'est pas une priorité pour la majorité des Africains, dont beaucoup luttent simplement pour survivre. Il souligne également que le Rwanda, un pays qui n'est pas exactement une démocratie, est actuellement le plus performant en Afrique.
L'écrivain note également l'importance de la Russie dans l'histoire de la libération de l'Afrique et critique les tentatives occidentales de diaboliser la Russie sur le continent. Selon lui, la mémoire collective africaine reconnaît le rôle significatif des Russes dans leurs luttes de libération. Il mentionne également le rôle des mercenaires du groupe Wagner, notant que la pratique de recourir à des mercenaires n'est pas nouvelle.
Quant à l'avenir de l'Afrique, Boris Diop est plus pessimiste qu'optimiste. Il craint l'arabisation de la société sénégalaise et une orientation vers un "salafisme modéré", en lien avec la religion musulmane. Il estime qu'en cas de référendum sur l'application de la charia, la majorité des Sénégalais voteraient en faveur. Selon lui, la laïcité est en déclin et défendre cette valeur peut conduire à être accusé d'athéisme ou d'être proche des Blancs.
PAR Abdoul Aziz Diop
QUE RETENIR DE BORIS ?
Plus de deux ans après la parution de son article "Affaire Sweet Beauté, une démocratie souillée", l’exploitation grotesque par des soutiens de Sonko permet de penser que le temps d’ouvrir les yeux est enfin arrivé pour l’intellectuel
« On écrit pour chercher sa propre parole ». Boubacar Boris Diop 23 mars 2023 sur ITV
Plusieurs dates - février 2021, juillet 2022, décembre 2022, mars 2023, juin 2023 et peut-être après - suffisent-elles, en lisant ou en écoutant Boubacar Boris Diop, à déterminer ce qu’il faut vraiment retenir de l’écrivain quand il se prononce sur la situation politique du Sénégal dans le but - dit-il en mars 2023 sur itv - de « prendre position en tant que citoyen pour ne pas être oublié en tant qu’écrivain » ?
Rien n’est moins sûr !
Que dit donc Boris sur les deux personnages politiques de son spectre étriqué ?
Février 2021 - SenePlus.com
« Le sentiment que le président Macky Sall ne se fixe aucune limite est tout à fait inquiétant. »
Juillet 2022 - Impact.sn
« Je doute que le président ait lui-même concocté l'affaire Adji Sarr… »
« Personnellement, je ne veux plus rester prisonnier de cette logique binaire stérile. Voilà pourquoi, et je vous le dis en toute sérénité ce matin, je ne comprends pas une certaine "sonkolâtrie". Elle me semble procéder d'un aveuglement qui ne sert pas, sur le moyen et sur le long terme, les intérêts du Sénégal. »
« (…) Si on en vient au destin de ce pays, nous devons être plus exigeants envers ceux qui aspirent à le tenir entre leurs mains. Ousmane Sonko ne doit pas faire exception à cette règle. »
« J'attire juste l'attention sur le fait qu'il ne s'agit pas de la personne d'un leader particulier, quel que soit son nom. Le moment est venu d'en finir avec les chèques en blanc donnés à tel ou tel candidat à la présidence de la République. »
« Eh bien, je vais vous dire, quand je vois Sonko manœuvrer avec tant d'habileté politicienne, je me demande si c'est bien lui qui va scier la branche sur laquelle ses prédécesseurs se sont confortablement installés une fois au pouvoir. »
« Cela ne rassure pas non plus de voir que la moindre critique contre lui est déjà perçue comme un crime de lèse-majesté avec moult dénigrements obscènes et procès d'intention. Cela peut marcher un temps mais il suffit d'interroger l'histoire de ce pays pour savoir que c'est une voie sans issue. Sur ce point précis, je serais plutôt d'accord avec Hamidou Anne qui revendique le "droit au désaccord". »
Décembre 2022
Dans un tweet, l’écrivain dit juste que - c’est nous qui commentons - février 2021 n’est pas décembre 2022. Juillet 2022 est déjà passé par là ! En voici la teneur : « Un texte intitulé "Une démocratie souillée" circule depuis quelques heures sous ma signature. J'en suis bien l'auteur mais contrairement à ce que pourraient penser certains de ses lecteurs, il ne date pas de ces jours-ci mais de près de deux ans. »
Mars 2023 - itv
De la jeunesse qui demande du travail, Boubacar Boris Diop dit qu’elle est « hors de contrôle, complètement déchaînée [elle] se retrouve dans le discours radical d’Ousmane Sonko ». Pour autant, Boris précise, sans qu’on ne sache d’ailleurs pourquoi : « Je ne suis ni de près ni de loin associé à cette organisation politique, Pastef… ».
Juin 2023
En signant avec Felwine et Mbougar sa dernière tribune intitulée « Cette vérité qu’on ne saurait cacher », l’écrivain et éditeur savait bien qu’il y en a une autre non moins importante à dire - c’est Boris qui parle - aux « jeunes [qui] s’identifient à Sonko comme à un des leurs ». C’est qu’à force de chercher sa « propre parole » en écrivant, Boubacar Boris Diop la trouve enfin. Le fait est que « Sonko n’a pas encore les compétences nécessaires pour diriger ce pays ».
Que retenir ?
Soutenir Ousmane Sonko comporte bien un risque… L’écrivain Boubacar Boris Diop en avait pourtant bien conscience en publiant, en février 2021, la tribune intitulée : « Affaire Sweet Beauté, une démocratie souillée. »
« Réagir à chaud est rarement une bonne idée », avait-il écrit. Plus de deux ans après la parution de son article, l’exploitation grotesque, hors contexte, par des soutiens de Sonko, permet au moins de penser que le temps d’ouvrir les yeux, pas de les écarquiller, est enfin arrivé pour l’intellectuel dont on se demande néanmoins ce qu’il faut vraiment retenir des salves politiques.
Abdoul Aziz Diop est essayiste, auteur, entre autres, de « Gagner le débat.. » (L’Harmattan Sénégal, 2023)
DEUX SEMAINES DE RÉGIME CELLULAIRE POUR SONKO
Toutes les voies menant à son domicile sont l’objet d’un gigantesque blocus des forces de police lourdement équipées et intransigeantes dans l’application des consignes de « la hiérarchie » - Une part de notre démocratie est morte
Ousmane Sonko, principal leader de l’opposition sénégalaise, vit séquestré chez lui en compagnie de sa famille, depuis son arrestation à Koungheul (environ 340 km de la capitale) le 28 mai 2023 et son transfert à Dakar à bord d’un véhicule de la gendarmerie nationale. Toutes les voies menant à son domicile de la Cité Keur Gorgui sont l’objet d’un gigantesque blocus des forces de police lourdement équipées et intransigeantes dans l’application des consignes de « la hiérarchie ». Il est devenu inaccessible à ses parents, proches et aux responsables de son parti. Dans l’incapacité de présenter une base légale justifiant cette réclusion à domicile, le pouvoir s’est réfugié dans un concept fourre-tout résumé à ‘’maintien et sauvegarde de l’ordre public’’.
Aux prises avec plusieurs affaires judiciaires, Ousmane Sonko est dans l’impossibilité totale de parler avec ses avocats, ses principaux défenseurs devant les tribunaux. Venus lui rendre visite il y a quelques jours, ils ont été brutalement gazés par les policiers et refoulés. Le même traitement a été infligé sans discernement aux députés et responsables de Yewwi askan wi, aux membres de la plateforme des forces vives de la nation dénommée F24, ainsi qu’à tous ceux qui ont tenté de s’approcher des alentours de son domicile, espace privé par excellence.
Cette violence d’Etat inédite dans l’histoire politique du Sénégal – enfant naturel d’un glissement autoritaire vicieux entamé en 2012 - s’exerce impunément et sans retenue sur un candidat déclaré à l’élection présidentielle de février 2024, encore éloigné de toute condamnation définitive devant les tribunaux sénégalais, jouissant pleinement des droits et libertés constitutionnels que garantit la Charte fondamentale de notre pays à tout citoyen…
En réalité, cette violence délinquante qui plastronne au dessus des normes démocratiques légales et reconnues n’est possible que parce que les pouvoirs du président de la République sont de fait illimités et universels. Ils ne font face à aucun contre-pouvoir institutionnel, qu’il soit judiciaire ou administratif. Ce qui en fait un autocratisme dominant de fait.
Les mesures draconiennes qui frappent Ousmane Sonko depuis une quinzaine de jours, sous le silence complice des politiciens de la mouvance présidentielle au pouvoir, semblent être un point d’aboutissement d’une stratégie de répression mûrement réfléchie et mise en œuvre dans le but de rétrécir les espaces de liberté par la promotion du droit de la force. Une part de notre démocratie en est morte, en attendant peut-être que le reste soit bientôt enseveli dans les verbiages d’un « homme fort » devenu esclave d’une volonté de puissance incommensurable.
Par l’éditorialiste de SenePlus, Paap Seen
QUI MÈNERA LA RÉVOLUTION ?
EXCLUSIF SENEPLUS - La colère de la jeunesse est-elle uniquement provoquée par la condamnation d'Ousmane Sonko ? La récurrence des crises politiques mettant en opposition la jeunesse et les partis au pouvoir depuis 1961 nous invite à explorer les causes
Le Sénégal traverse, actuellement, une crise politique qui a entraîné la mort de nombreuses personnes. 23 selon Amnesty International. Cette tragédie s'ajoute à celle de mars 2021. À ce moment-là, animés par notre inquiétude concernant la trajectoire de notre pays, nous avons lancé un appel à la République. Nous avions affirmé que ces événements ne pouvaient pas et ne devaient pas être oubliés. Hélas, des vies humaines ont été perdues à nouveau.
Nous nous habituons à la vue du sang versé, ce qui représente une dangereuse dérive pour notre pays. La justice doit enquêter sur ces décès et sanctionner tous ceux qui ont froidement ôté la vie à des citoyens Sénégalais. Des enfants et des jeunes ont été utilisés comme boucliers. Un activiste a été torturé de manière barbare. D'autres exactions ont été commises. Ce n'est pas de la justice et cela n'a pas sa place dans un État de droit. Les responsables du gouvernement, notamment le ministre de l'Intérieur, qui depuis mars 2021 disculpe les forces de l'ordre de toute faute, doivent revenir à la raison. Personne n'est dupe : les rapports d'autopsie à Ouakam ou Ziguinchor contredisent certaines déclarations officielles. Lorsque, en plus, des nervis ternissent ouvertement l'image de notre police et de notre gendarmerie, il ne nous reste plus qu'à déplorer l'état de notre pays. Les familles des victimes doivent voir un jour la justice du Sénégal se tenir à leurs côtés.
Piètre démocratie
Après le "wax waxeet" d'Abdoulaye Wade, nous sommes témoins du silence, tout aussi dévastateur, de Macky Sall. Au-delà du respect de la démocratie et de ses valeurs, la parole donnée, sacrée dans notre culture ceddo, est bafouée par ceux qui devraient la protéger en priorité. Cela illustre un fait tragique : nos élites détruisent constamment nos valeurs négro-animistes les plus positives et universelles. Les sens de l'honneur et de la dignité, fondamentaux dans notre culture, sont piétinés. Malgré les nombreux reproches que l'on peut adresser aux gouvernements de Léopold Sédar Senghor et d'Abdou Diouf, les deux derniers régimes, ceux d'Abdoulaye Wade et de Macky Sall, ont systématiquement attaqué l'identité distincte de notre nation. Leurs bilans, tant immatériels que spirituels, sont catastrophiques. Une perversion sévit dans notre pays, dégradant notre âme ontologique et toutes nos structures sociales d'organisation, de confiance et d'éducation. Macky Sall a plus été dans la tactique, dans la politique des gains de voix, de la massification, de l'élection qui arrive, oubliant presque les défis civilisationnels.
En outre, il est fréquent d'entendre dire, par les temps qui courent, que le seul responsable de ce que nous vivons est le président Macky Sall et son ambition présumée de briguer un troisième mandat consécutif. Si nous voulons rester fidèles au débat politique central et immédiat : oui, le silence assourdissant de Macky Sall nuit grandement au Sénégal. Avec ses turpitudes, il nous a plongés dans cette situation insoutenable. Comment un chef d'État peut-il mener une campagne référendaire en jurant qu'il n'y aura pas de troisième candidature de sa part, écrire dans un livre qu'il ne briguera pas de troisième mandat, et laisser une armée de courtisans dire le contraire ou punir ceux dans son camp qui sont contre un troisième mandat ? La responsabilité personnelle de Macky Sall dans l'aggravation de la situation politique nationale est indéniable. Pour apaiser le pays et le maintenir dans la plus grande sérénité, il aurait suffi, depuis longtemps, de répéter ce qu'il avait déjà dit, à savoir qu'il en est à son deuxième et dernier mandat et qu'il n'en briguera pas un troisième, ce qui serait contraire à l'esprit de la Constitution de 2001 ainsi qu'à la révision constitutionnelle de 2016.
De plus, en nommant un magistrat à la tête d'un ministère ayant le pouvoir de priver des citoyens de leurs libertés, il a ouvert la voie à une judiciarisation excessive de l'espace politique. Cela se traduit par de multiples intimidations judiciaires dont sont victimes journalistes, activistes et citoyens. C'est une dérive autoritaire, dangereuse et sans précédent. Pour les dirigeants, la démocratie est un régime de gestion des conflits politiques qui exige une grande moralité. Elle impose à ceux qui détiennent le pouvoir d'accepter la contradiction et les excès qui y sont inhérents. Couper l'accès aux réseaux sociaux, puis à Internet mobile, pour des citoyens sénégalais dont il ne reste que ces espaces d'expression, est un acte profondément antidémocratique et liberticide. Même au plus fort de la crise des "Gilets Jaunes" en France, le gouvernement français, bien qu'il ait mis en place un maintien de l'ordre violent sur le terrain, n'a jamais osé franchir cette ligne rouge. Le pouvoir, au Sénégal, a franchi ce pas. En plus de priver les citoyens d'un espace de liberté, cette décision nuit aux petits commerces, ralentit les transferts d'argent et entrave le droit à l'information.
La liste des pays ayant coupé les réseaux sociaux et Internet est peu glorieuse. Et il est triste de voir le Sénégal rejoindre une telle liste. Les démocraties sont des démocraties dans la mesure où elles s'interdisent des régimes ou des mesures d'exception. Les appels au meurtre et à la haine - et il y en a eu - ne suffisent pas à justifier que l'on prive tout un pays de ses moyens de paiement, de ses espaces d'information et d'expression des multiples opinions qui le traversent. Concernant les hors-la-loi, que l'État fasse l'effort de les identifier, de les retracer et de les sanctionner selon les dispositions inscrites dans nos lois. Dans une démocratie, les opérations de privation de liberté doivent ressembler à de la chirurgie de haute précision et non à des opérations d'amputation aveugle. Nos libertés, dont celle d'opinion, sont sacrées. Le gouvernement non seulement les bride mais maintient une terreur de plus en plus alarmante.
Le régime sénégalais actuel est violent. Mais pouvait-il en être autrement ? Celui qui l'incarne n'a-t-il pas voté sans carte d'électeur ? Par déni de la réalité ; par dégagisme ; par sympathie pour un homme qu'un pouvoir jadis englué dans la corruption et la rapine a mis au ban ; par naïveté sincère, des hommes et des femmes d'une grande intégrité ont fait de l'actuel chef de l'État leur champion en 2012. C'était contestable pour beaucoup d'autres, qui pensaient qu'un dirigeant d'un pays comme le Sénégal, dont les structures sociales et culturelles sont encore fragiles, doit avoir une grandeur morale particulière. Sa plus grande aptitude doit être l'intégrité éthique et la loyauté en toutes circonstances à la République et à ses lois. Ensuite, il doit avoir des compétences avérées. Les passions aveuglantes ne durent pas. La contradiction principale ne doit pas entraver notre lucidité, lorsque notre boussole est l'amour d'un pays qui nous survivra.
Le sens démocratique et l'élévation républicaine dans la vie politique nationale, notamment en période de crise, sont exigés des dirigeants politiques au pouvoir. Cela doit être également le cas des opposants politiques. Pour une raison très simple : en démocratie, les opposants sont amenés à diriger un jour. La violence des milices du PDS lorsqu'il était dans l'opposition a perduré une fois que le PDS a accédé au pouvoir. L'attaque au marteau sur Talla Sylla, l'attaque contre Barthélemy Dias qui a entraîné un mort, et l'association avec des milices confrériques, en sont des exemples. Excuser, dans le tourbillon de l'émotion, tout acte du PDS sous prétexte qu'il subissait la violence d'Etat du PS a ouvert la voie à un exercice du pouvoir violent par le PDS.
La violence verbale de certains sympathisants d'Ousmane Sonko envers toute opinion contraire est à la mesure de la virulence dévastatrice de ce dernier. Il a terni l'honorabilité de citoyens irréprochables et, par son discours, a pavé la voie à des incendies criminels de véhicules et de domiciles de militants politiques au pouvoir. Sa stratégie politique repose également sur la tyrannie de la suggestion, incitant chaque citoyen à prendre position, et poussant nombre de ses partisans à acculer et à dénigrer par la violence symbolique ceux qui sont en désaccord avec lui ou ne prennent part pour sa cause exclusive. Beaucoup craignent de dire ce qu'ils pensent pour ne pas être victimes de harcèlement virtuel ou physique, ou pour ne pas se mettre à dos l'opinion publique. La rhétorique d'Ousmane Sonko est-elle légitime ou humaniste ? La rigueur intellectuelle consiste à reconnaître que la violence verbale, et désormais physique, de beaucoup de jeunes a été instiguée par un leader charismatique, aveuglé lui aussi par la "victoire totale" qu'il se prédit en raison de sa popularité.
La dialectique révolutionnaire est un devoir exigeant. Elle ne consiste pas à ignorer les contradictions secondaires pour ne mettre en relief que la principale, sans aucune critique. Ousmane Sonko a une tendance sexiste, comme en témoignent ses propos envers son accusatrice. Il refuse l'intellectualisation de la différence et est peu ouvert à la dissidence au sein de son parti, de sa coalition et avec ses potentiels alliés de l'opposition. Sa capacité à être intolérant et sa propension à "décapiter" ses adversaires sont avérées. Est-ce que ce constat factuel peut lui valoir une exclusion de la course à la présidentielle ? La réponse est bien entendu négative.
Dans l'affaire Ousmane Sonko-Adji Sarr, le juge a estimé qu'il n'y avait pas suffisamment de preuves pour retenir les chefs d'accusation de viols et de menaces de mort contre Ousmane Sonko. Cependant, la requalification des faits ayant conduit à sa condamnation pour "corruption de la jeunesse", dans un contexte où des responsables politiques proches du parti au pouvoir sont relaxés, voire promus après avoir été épinglés pour leur gestion délictueuse et pénalement répréhensible de deniers publics, ou dans d'autres accusations, suscite justement la suspicion et la colère chez la grande majorité de la jeunesse. Aussi, il appartient aux Sénégalais de choisir leur président, même s'il s'agit de quelqu'un qui dit avoir le souverainisme comme boussole, mais reprend une rhétorique négrophobe (“fen ba ñuul kukk”) et misogyne et négrophobe (“dàngin”). Les Américains ont bien élu Donald Trump, promoteur des faits alternatifs et personnage grossier à souhait.
Après avoir dit cela, pouvons-nous échapper à l'interpellation de notre conscience ? Adji Sarr, à qui on demande de se taire, doit-elle être déshumanisée ? Pourquoi ne devrait-elle pas avoir son mot à dire ? Elle fait partie de la classe des orphelins, des déclassés et des laissés-pour-compte. Elle aussi est une victime dans cette affaire en raison de son origine sociale, de son statut de femme... Pourquoi vouloir la réduire au silence et à la réclusion ? Et le pire, c'est qu'elle risque de se retrouver à l'avenir dans un abandon total. C'est le sort des pauvres. Ceux qui soulignent ses incohérences n'ont jamais voulu entendre les incohérences de celui qu'elle accuse. Surtout, ils ne veulent discuter qu'à partir de leur fragment de vérité. C'est commode de tout ramener à l'hypocrisie ou à la détestation d'un homme politique. En tant que Sénégalais, je suis confus et je traverse une véritable crise existentielle ces deux dernières années vis-à-vis de mon pays et de ses élites. J'ai arrêté de croire naïvement au modèle sénégalais de paix, de dialogue, de tolérance. Notre pays est une piètre démocratie avec très peu de démocrates. C'est aussi une fausse République, où les républicains rasent les murs. J'espère, après cette histoire qui a plongé le Sénégal dans la tragédie et qui, souhaitons-le, ne fera plus de victimes, que la tâche urgente de notre nation sera de réparer sa Justice, sans laquelle rien n'est possible.
Les événements des 1er et 2 juin derniers ont été violents. Ils témoignent aussi d'une colère volcanique qui aurait pu avoir des conséquences extrêmement graves sur la stabilité de notre tissu social. Le Sénégal reste une nation en construction, malgré les apparences. Certaines secousses peuvent le conduire au bord du précipice. Nous avons tort de penser que nous survivrons éternellement à la violence. La tolérance n'existe plus que de façade dans notre pays. Il y a une passion fanatique et aveugle qui s'est réveillée, qui n'a rien à voir avec la politique qui chante le progrès. Si elle n'est pas limitée dans l'espace du débat, dans le respect des différences d'opinion, elle sera difficile à contenir à l'avenir. Ce seront d'abord les plus vulnérables qui en subiront les conséquences. Mais soyons-en sûrs, la nation entière, dans toutes ses composantes, sera touchée. De toute façon, une fracture est née de ces événements que nous vivons depuis 2021. Une haine contre l'autre et contre l'adversaire a été imprimée dans les esprits. La conflictualité nourrie par les émotions destructrices a pris le pas sur la délibération citoyenne. Des digues jusque-là infranchissables ont cédé. Tout cela, les monstres de l'Apocalypse, qui nous regardent, le savent. Ceux qui comprennent cela et n'assument pas leurs responsabilités, en appelant à la lucidité et à la retenue républicaine, se trompent.
Pour conclure, il convient de répondre à la question suivante : la colère de la jeunesse est-elle uniquement liée à la condamnation d'Ousmane Sonko ? C'est certainement le déclencheur. Mais, la récurrence des crises politiques mettant en opposition la jeunesse sénégalaise et les partis au pouvoir depuis 1961 nous invite à explorer des causes plus profondes. Le pays, en l'état actuel, - sans justice sociale, sans espoir pour des millions de jeunes, sans égalité des chances, avec une éducation nationale disloquée et des structures traditionnelles de socialisation presque obsolètes - est invivable et court à sa ruine. Il faut en terminer avec la politique de l'autruche et faire notre aggiornamento. Nous devons construire une société où, à la place des rancœurs, des ressentiments, des faux-fuyants, de la misère surgissent des idées nouvelles ainsi qu'une voie véritable de prospérité partagée. C'est ainsi que la démocratie sera renforcée, et que la politique politicienne laissera place à la compétition qui promeut uniquement la construction nationale. C'est aussi par ce moyen que les intérêts claniques et les manipulations politiques s'estomperont grandement. C'est un chemin qui reste à tracer, au nom de toutes ces personnes qui sont mortes pour un Sénégal meilleur.
Le Sénégal est un pays socialement inégalitaire, traversé par des frustrations, des colères feintes et des névroses profondes dont personne ne veut lever le tabou. La déprime est partout. Les jeunes de l'informel et les précaires - tireurs de pousse-pousse, ferrailleurs, marchands ambulants, laveurs de voitures, conducteurs de charrettes, étudiants, débrouillards, chômeurs, etc. - qui sont descendus majoritairement dans la rue les 1er et 2 juin, veulent la révolution. Ils tiennent les barricades pour l'instant. Ils veulent en finir avec une vie de dèche, de désespoir, de promiscuité et au fond d'étouffement moral. Les nombreuses violences qu'ils subissent au quotidien ne peuvent être réparées ni par une société de rente, d'intermédiation et de prédation. Ni par une petite-bourgeoisie qui crie à la justice sociale mais refuse de se sacrifier, de se suicider. Ni par une bourgeoisie qui appelle au changement et à la liberté, mais n'a pas le courage de rompre avec les mœurs sociales grégaires qui empêchent l'expression de l'autonomie individuelle et collective. Ni par l'incurie de ses dirigeants. Ni par l'irresponsabilité ou l'opportunisme cynique de ceux qui aspirent à le diriger.