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29 novembre 2024
Opinions
par Jean Pierre Corréa
DANGEREUX BRAS DE…FAIRE
Jamais de toute son histoire, le Sénégal n’a autant été pris en otage et à témoin d’un duel surréaliste, entre deux leaders politiques qui ont décidé à notre corps défendant, que seules leurs joutes avaient de l’importance pour les sénégalais
« Vous ne verrez jamais, pendant ma gouvernance au Sénégal, un journaliste mis en prison pour un délit de presse ». Macky Sall en 2015.
Le Sénégal joue-t-il à se faire peur ? La situation irrespirable, au sens propre du terme, du fait des gaz qui nous sont envoyés par une maréchaussée armée et casquée jusqu’aux dents, que traverse notre pays pourrait aboutir, serait-ce leurs vœux, à un embrasement funeste qui n’arrange personne, à commencer par ceux qui n’ont pas fait de la politique leur gagne-pain, et qui doivent chaque matin aller bosser, pour faire vivre leurs familles ou faire prospérer leurs commerces ou leurs entreprises.
Jamais de toute son histoire, le Sénégal n’a autant été pris en otage et à témoin d’un duel aussi extravagant que surréaliste, entre deux leaders politiques qui ont décidé à notre corps défendant, que seules leurs joutes qui n’ont plus rien de verbales, avaient de l’importance pour les sénégalais et que leur issue était absolument déterminante pour l’avenir de notre pays. Quelle prétention !!! Quel culot de croire que leur affrontement qu’ils produisent comme une série télévisée, débutée dans un salon de massage, et alimentée chaque jour de leurs turpitudes respectives, doit être notre seule et unique préoccupation, que leurs tournées économiques, leurs meetings et leurs « nemeku tour » sans propositions programmatiques autres que « na dem !!! na dem !!! », et leurs rendez-vous judiciaires, qu’ils pensent être si singuliers, doivent absolument rythmer et conditionner nos mouvements et notre organisation familiale et professionnelle, et constituer la seule information digne de ce nom qui puisse nous être donnée, dans nos journaux, radios et télés, comme étant capitale et nécessaire à l’essor de ce pays, qui pourtant croule sous les urgentes problématiques de développement !
Mais ils se croient où ? Au grand marché de Ndoumbélane ?
Ils nous convoquent à élire le futur président du Sénégal dans moins d’un an et ils organisent leur tumulte et leur brouhaha, pour que justement nous ne puissions pas avoir à choisir l’homme ou la femme que nous voulons peut-être à part eux-mêmes qui se prennent pour les seuls astres autour desquels devrait tourner le pays.
Le chef de l’État qui c’est vrai doit garantir l’ordre public aux Sénégalais devrait savoir faire baisser la tension de plusieurs crans, d’abord en cessant d’interdire de bouger une oreille à quiconque ne pense pas à l’aune de son sulfureux troisième mandat, ensuite en sévissant contre tous ceux de son clan qui sont impliqués dans des malversations financières d’une gravité jamais atteinte au Sénégal, ce qui scandalise les citoyens qui justifient ainsi leurs vandalismes déguisés en soutien à l’opposant-martyr, et enfin en clarifiant sa position sur l’aventureuse représentation à la présidentielle de 2024, dont il sait que son annonce transformerait la minute suivante son pays en un gigantesque brasier, dont aucun citoyen ne sortira indemne.
Nous vivons au rythme effréné des bévues gouvernementales, qui chaque jour de manière souvent inutile et superflue, remettent avec une gourmandise étonnante, une pièce dans la machine à prendre des baffes et à se couvrir de ridicule. Pourquoi arrêter Aguibou Soumaré, dont la légèreté impardonnable ne méritait qu’un simple démenti, et une exigence de plates excuses ? Pourquoi encore mettre au gnouf un journaliste, qui s’est certes empressé d’affirmer des inexactitudes, au lieu d’exiger de tous ses confrères plus de responsabilité dans l’exercice de leur métier par ces temps incertains et dangereux ? Pourquoi jouer de la force et de la brutalité devant un adversaire intelligemment provocateur et dont l’État finit par être le meilleur des attachés de presse ? Mais que diantre ont-ils fait au Bon Dieu pour que celui-ci ne leur octroie que des muscles en guise de cerveaux ?
La prison viatique, pour la gloire ?
Le leader du Pastef lui, continue à faire appel à la population pour lui servir de bouclier, soit pour assister à ce procès qui, selon lui, n’est que « mascarade ». Pour preuve dira le président de Pastef qui s’est exprimé devant les militants de la coalition Yewwi Askan Wi, le juge qui a en charge de ce dossier qui l’oppose au ministre du Tourisme Mame Mbaye Niang, est partisan. Il se prend donc pour l’arbitre des élégances maintenant ? Et menace le pouvoir judiciaire de ses futures foudres présidentielles, en ces termes d’une singulière outrecuidance en démocratie : « Les magistrats faites attention ! La réalité politique est claire. Le temps de Macky Sall est terminé. Si vous tenez à rester dans ce pays après son départ, respectez la loi du peuple. Si vous avez décidé de vous opposer à la volonté populaire, c’est vous qui êtes les hors-la-loi”, martèle le « déjà menaçant et pas encore président » ! Il flirte avec la sédition en lançant cet appel à notre armée. ”Ce que nous avons de plus sacré au Sénégal c’est l’armée. Nous avons une armée républicaine. Si Macky Sall veut imposer sa volonté, que l’armée joue son rôle. Vous avez le soutien de la jeunesse sénégalaise. Ne suivez pas Macky Sall dans son aventure sans lendemain”, lance-t-il à l’attention de la grande muette. Et ça passe crème !
« GATSA GATSA » contre « TOCC SA GATT » ! Mais quelle honte !!!
Quel choix avons-nous à connaître pour l’homme ou la femme qui présidera dans un an aux destinées du Sénégal ? Rien ! Nada !! On n’entend que ces deux matamores qui ont l’air de se foutre comme de l’an 40 de l’avenir des Sénégalais et des jeunes en particulier, au point que nous sommes privés d’entendre dans ce brouhaha, les propositions et programmes de personnes, elles aussi en capacité de guider notre pays sur des voies rédemptrices, qui l’éloigneraient des dangers qui le guettent et dont tout le monde feint de pas voir qu’ils sont à nos portes.
Pendant ce temps, les opportunistes et dividendistes de l’opposition s’amusent à la surenchère, qui espèrent-ils les mènera en prison, et leur donnerait l’onction leur permettant de quémander en guise de médaille, un ministère de l’information, ou de sous-secrétaire assis sur n’importe quel strapontin, pourvu qu’il soit moelleux et donc juteux. Quel dommage que les urgences qui sont à nos portes soient ignorées et que nous ne soyons préoccupés que par d’insupportables et désuètes péripéties !
Cependant, il est clair que le Sénégal a connu plus grave que ça et s’en est toujours sorti ! Notre pays se doit d’être plus fort et au-dessus de ces petits moussaillons, sans vision ni projets autres que leurs propres survies ou existences politiques enivrantes.
Le Sénégal n’a pas les hommes qu’il mérite. Nous sommes fautifs. D’avoir dessiné des tigres de papier et de leur avoir pousser des dents. On en rigolerait si tant de futilités n’étaient pas tragiques.
Courage !!! Fuyons !!!
Par Mamadou NDAO
TOUT CECI N’EST QUE VANITE
Dans notre pays, le Sénégal la tempérance est devenue anthropique, et le cœur parle plus que la raison. Du pays de dialogue tant vanté par le chantre de la négritude Senghor, on est passé au pays de la confrontation et des gladiateurs. Pourquoi Diantre !
Lorsque les généraux romains rentraient de campagnes victorieuses, auréolés de gloire, devant des foules en délires, balançant des pétales au-dessus de leurs têtes, on remarquait qu’il y avait toujours quelqu’un, dont on ignorait l’identité pour chuchoter à leurs oreilles la phrase suivante : « tout ceci n’est que vanité ».
En vérité cela ne pouvait être autre chose que de la vanité.
Dans notre pays, le Sénégal la tempérance est devenue anthropique, et le cœur parle plus que la raison. Du pays de dialogue tant vanté par le chantre de la négritude Senghor, on est passé au pays de la confrontation et des gladiateurs. Pourquoi Diantre !
Parce qu’un Président en exercice veut se présenter une troisième fois à l’élection présidentielle alors qu’il a dit Urbi et Orbi qu’il fut l’auteur de la Constitution qui consacre la limitation de son mandat à 2 y compris celui qui était en cours, suivi en cela par tout l’appareil de l’APR, son parti ? Et dans le même temps, il s’autorise à décider de ceux qui seront éligibles à la candidature pour lui faire face, en mettant hors de course ses sérieux concurrents au prétexte qu’ils ont maille à partir avec la Justice, qui le moins qu’on puisse dire est suspectée d’être aux ordres du Prince.
Jamais dans l’histoire récente de ce pays, en tout cas depuis la première alternance, le processus électoral n’a souffert aussi profondément d’une absence de dialogue. De part et d’autre on cherche à « montrer qu’on est garçon » comme disaient nos cousins ivoiriens. On a vu ou est-ce que ça à mené et ce n’est pas totalement fini.
Il faut arrêter les soi-disant « faucons » qui n’ont rien dans la cervelle, raison pour laquelle ils sont prompts à bander des muscles ou à insulter. Le combat démocratique c’est par les arguments, les convictions et les valeurs faute de quoi, c’est la loi du plus fort. Mais peut-il y avoir de combat démocratique sans débat ? C’est vrai que si le siège du débat démocratique, qui est naturellement l’Assemblée Nationale, est aujourd’hui réduite à une foire d’empoigne, il reste peu d’alternatives pour le dialogue politique. Que l’on se comprenne bien, le dialogue politique ce ne sont pas les plénières où l’on soliloque , ou les déclarations à travers la presse. C’est plus sérieux que cela, parce que l’ordre du jour est préétabli et l’objectif bien précis et le résultat attendu bien cerné.
Aujourd’hui, il urge plus que jamais de prêter une oreille attentive à la société civile, qui lasse d’alerter risque de baisser les bras, personne ne le souhaite. Je suis inquiet lorsque des voix comme celle de Alioune Tine s’élève, avec toute l’expérience qu’elle porte, ici et ailleurs, et qu’on la brocarde par des arguments absolument spécieux.
Je suis d’autant plus inquiet que ceux qui comprennent se taisent. La posture d’alerte en de telles circonstances n’est pas un mouvement d’humeur partisan de quelque bord qu’il soit, ni une vive émotion, voire une peur non contenue qu’on veut transmettre, encore moins une dénonciation. Il s’agit d’un faisceaux d’éléments factuels, de précédents connus et des expériences de faits, dont les enchainements ont conduit à des situations de conflits graves, dont les conséquences n’ont pas été bien analysées par les protagonistes, souvent aveuglés par leurs égos ou leurs positions « de force » du moment. Une telle situation amène les organisations de défense des droits humains à sonner l’alerte. De ce point de vue, Alioune Tine a raison de dire ATTENTION.
La particularité de l’Alerte est qu’elle situe à son summum la gravité du moment (c’est le cas aujourd’hui), pour emmener les vis à vis ou les acteurs de quelques bords qu’ils se situent soit à mettre la pédale douce à revenir à la raison, où à ouvrir des pistes de dialogue ou de règlement pacifique du conflit.
Alioune Tine a l’expérience des situations similaires à ce qui se passe chez nous, notamment dans les pays voisins notamment au Mali, au Togo en Côte d’Ivoire (N’est-ce pas lui et d’autres qui ont sauvé le Juge ivoirien Epiphane Zoro qui a dû se réfugier au Sénégal ?), au Burkina Faso, au Nigéria….
N’écartons surtout pas cette possibilité que Abdou et Wade avaient saisi du haut de leur posture de responsabilité devant « Dieu et les hommes ».
Tout le monde sait que la violence nait toujours des paroles. Elle est verbale d’abord pour à l’étape supérieure, la violence physique.
L’adage nous dit qu’il vaut mieux prévenir que guérir. Le Président Houphouët Boigny disait quant à lui « je préfère l’injustice au désordre, car l’injustice on la répare lors que le désordre quand il s’installe… c’est plus compliqué ». J’ai toujours rétorqué au Sage que le cumul d’injustices mène tout droit au désordre, sans remettre en cause sa maxime .
Evitons d’aller au désordre par le fait de décisions de justice (par action ou omission) manifestement incompréhensibles. Un célèbre juriste français disait d’ailleurs avec beaucoup de pertinence « Je doute de l’exactitude des solutions jurisprudentielles qui heurtent le bon sens » pour s’tonner du rendu de certaines décisions de justice.
Il nous faut ouvrir des espaces de respiration de notre démocratie, pour éviter de tomber dans la Démocrature avec un Léviathan des temps modernes tout puissant en face de qui une foule hystérique désespérée prête à tout, parce que ne trouvant aucune issue à l’expression de ses préoccupations légitimes apporte le challenge.
Dans un tel cas de figure, le pire est à craindre, et notre jeunesse ne doit pas accepter d’être l’agneau de tous les sacrifices.
Que Dieu sauve le Sénégal de l’hypertrophie délirante1 du moi et sonne le retour à la raison.
Par Mamadou Oumar Ndiaye
L’HONNEUR HYPER ONÉREUX DE NOTRE AMI, LE PRINCE MBAYE NIANG
Jamais procès en diffamation n’avait nécessité la sortie de chars de combat, la mise en état de siège du domicile d’un prévenu. Jamais plaignant n’avait eu autant de privilèges que notre ministre du Tourisme face à une partie défenderesse
Homme béni des dieux, un rejeton doré sur tranche, un « Coumba Am Ndey », un plaignant chouchouté. Un Sénégalais dont « l’honneur » — enfin, on suppose qu’il en a — est inestimable au point qu’il ne faut même passe hasarder à l’évaluer. Sa valeur dépasse tout entendement, tout ce que l’on peut raisonnablement imaginer. C’est pourquoi, quand il entend le laver devant les tribunaux, eh bien le fléau de la balance de la justice se détraque, penche outrageusement d’un côté, le sien bien sûr, et Thémis s’affole. Les citoyens sont égaux devant la justice ?
Foutaises, lorsque le citoyen en question s’appelle Mame Mbaye Niang, lorsqu’il est sous-ministre de la République et le chouchou de la Première dame ! Et lorsque son « honneur » — puisqu’il nous dit qu’il en a ! — est en jeu.
Dans ce pays, on a vu le ministre d’Etat (à l’époque, sous le président Abdou Diouf, il était le seul à porter ce titre à ce moment-là) Abdoulaye Wade porter plainte contre un journal et son directeur. Il s’agissait du « Témoin » et de Mamadou Oumar Ndiaye. Avant cela, en tant que simple opposant, il avait attrait le défunt directeur du quotidien national « Le Soleil », Bara Diouf, devant les tribunaux puis, grand seigneur, avait retiré sa plainte à la barre du tribunal. On a vu le richissime Jean-Claude Mimran traîner en justice l’alors tout-puissant groupe Sud Communication. On a vu les frères Pierre-Babacar et Mansour, alors au sommet de leur influence, faire un procès à un journal. Ou l’alors très craint éditeur français Joël Decupper, patron de la revue Africa, porter plainte contre Béchir Ben Yahmad, dont le journal « Jeune Afrique » faisait — et continue de faire — la pluie et le beau temps sur le continent.
Toutes ces affaires de diffamation ont été jugées par la justice sénégalaise. Le droit a été dit, certains prévenus ont été condamnés, d’autres ont été relaxés. Toujours est-il que ces procès se sont tenus dans les règles de l’art avec des affluences plus ou moins grandes selon la notoriété des parties. Mais jamais, alors là jamais, les prévenus dans ces affaires de diffamation n’ont été gazés et leurs avocats avec eux, malmenés par la police et conduits dans un état presque inconscient dans la salle du tribunal ! Jamais aucun d’entre eux n’a été conduit pieds et poings liés devant les juges, quelle que fût la puissance des plaignants. Jamais leurs véhicules n’ont fait l’objet de « car-jacking » parles forces de l’ordre, n’ont été caillassés, leurs portières ouvertes par effraction et eux sortis de force pour être transportés dans des fourgons.
Mais surtout jamais, à l’occasion de tous ces procès, l’économie n’a été paralysée, les écoles fermées, les rideaux des magasins baissés, la ville placée en état d’urgence. Jamais il n’y a eu des saccages se chiffrant à des milliards de francs — rien que Dakar Dem Dikk a chiffré son préjudice à 400 millions avec trois bus brûlés et trois autres caillassés —, jamais il n’y a eu un climat de guerre civile, en tout cas d’insurrection marquée par des affrontements entre des jeunes gens et les forces de l’ordre. Jamais aucune de ces affaires judiciaires n’a installé notre pays au bord du chaos. Jamais procès en diffamation n’avait nécessité la mobilisation de centaines de policiers et de gendarmes, la sortie de chars de combat, la mise en état de siège du domicile d’un prévenu. Bref, jamais plaignant n’avait eu autant de privilèges face à une partie défenderesse.
La présidentielle 2024, véritable enjeu d’un procès hors normes
En réalité, tout le monde a compris qu’en choisissant de porter plainte devant le chef de l’opposition et candidat hyper-favori à la présidentielle de 2024, Mame Mbaye Niang se fout éperdument de son propre honneur car ce qui l’intéresse c’est de faire condamner un opposant — ce qui n’est pas difficile quand on sait, disons, la bienveillance de notre justice à l’égard de l’Exécutif et la difficulté de réchapper aux procès en diffamation ! — pour faire invalider sa candidature. Dans ces conditions, on ne s’étonnera pas que, s’agissant d’un procès qui sort de l’ordinaire et dont l’enjeu réel est en réalité la possibilité ou non pour un sérieux candidat de prendre part à la compétition de 2024, les partisans de ce candidat sonnent la résistance. Et soient prêts à tout pour que leur champion ne soit pas l’agneau du sacrifice judiciaire. Surtout quand cette même justice a déjà égorgé dans le passé les deux candidats susceptibles de constituer des obstacles à la réélection du patron de Mame Mbaye Niang à la présidentielle de 2019 !
On retiendra en tout cas que l’honneur supposé de Mame Mbaye Niang vaut plus les honneurs réunis de toutes les illustres parties civiles dont il est question ci-dessus et qu’il est plus important que la stabilité sociale de ce pays. Mais bon le Sénégal peut brûler, la guerre civile peut s’y installer, des vies humaines peuvent être perdues, des infrastructures détruites, l’économie s’affaisser, des propriétés saccagées… tout cela n’a pas d’importance pourvu que l’honneur de Mame Mbaye Niang soit lavé ! Quand on vous disait que ce jeune homme sort de l’ordinaire et qu’il est hyper privilégié… En Arabie Saoudite, on connaît le superpuissant Mohamed Ben Salman alias MBS, véritable détenteur du trône, eh bien au Sénégal nous avons le prince MMBN !
Par Bamba Ndiaye
TENSIONS POLITIQUES AU SENEGAL : S'ACHEMINE-T-ON VERS UNE IMPASSE ?
“Gatsa-Gatsa” (“oeil pour œil”, en langue wolof). C'est l'expression qu'Ousmane Sonko, leader de Pastef a prononcée lors d'un méga meeting à Keur Massar (banlieue de Dakar) le 22 janvier 2023
“Gatsa-Gatsa” (“oeil pour œil”, en langue wolof). C'est l'expression qu'Ousmane Sonko, leader de l'opposition sénégalaise et fondateur du parti Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité, Pastef, a prononcée lors d'un méga meeting à Keur Massar (banlieue de Dakar) le 22 janvier 2023. Depuis lors, l'expression est devenue un hashtag sur les médias sociaux et les forums en ligne ainsi qu'un cri de ralliement pour une bonne partie de la jeunesse sénégalaise qui, compte tenu des récents reculs démocratiques du pays, a jugé inévitable une confrontation avec le régime de Macky Sall. Si le leitmotiv “Gatsa-Gatsa” fait écho aux appels incessants de Sonko à la résistance contre le régime Sall depuis février 2021 (date à laquelle il a été accusé de viol et de menaces de mort par la masseuse Adji Sarr), il s'agit également d'une réaction contre la récente décision judiciaire d'envoyer l'affaire en procès.
EQUITE JUDICIAIRE ET CONFRONTATION
Il a fallu deux ans à la justice sénégalaise pour organiser une audience préliminaire et une confrontation entre Sonko et son accusatrice, Adji Sarr. Samba Sall, le premier juge qui avait hérité de l'affaire, est décédé en avril 2021, ce qui a entraîné la nomination d'Oumar Maham Diallo qui, huit mois auparavant, avait partagé un post Facebook incriminant Ousmane Sonko. Cette nomination a soulevé de nombreuses questions quant à l'impartialité du juge Diallo et a conforté les partisans de Sonko dans leur demande au juge de se récuser.
L'audience préliminaire et la confrontation entre le leader de Pastef et son accusatrice ont révélé des éléments intéressants qui, selon de nombreux observateurs, remettent sérieusement en cause le récit de la plaignante. Tout d'abord, Baye Mbaye Niasse (le guide spirituel “autoproclamé” d'Adji Sarr) et les avocats de Sonko ont présenté au juge six conversations audio entre Adji Sarr et Niasse. Dans l'une d'elles, Sarr dit que les accusations sont un complot contre Ousmane Sonko. Sommée par le juge de s'expliquer, Adji Sarr a confirmé l'authenticité des enregistrements mais a déclaré que leur contenu était un stratagème pour tromper Niasse et tester sa loyauté puisqu'il prétendait vouloir la sortir de cette situation. Que sa justification soit convaincante ou non, les enregistrements ont jeté de sérieux doutes sur les accusations devant le tribunal de l'opinion publique.
Le deuxième élément qui transparaît lors de l'audience préliminaire est le rôle prétendument douteux du procureur général de l'époque, Serigne Bassirou Guèye, pendant la phase d'enquête. Sonko et ses avocats ont affirmé détenir des preuves que l'ancien procureur a “falsifié” le rapport d'enquête initial de la police en supprimant des preuves disculpatoires. Ils ont également affirmé détenir un rapport interne de la gendarmerie ayant fait l'objet d'une fuite et qui prouve que le procureur s'est permis des libertés avec l'enquête. Le troisième élément qui est apparu est l'existence du rapport de la gendarmerie, commandité par le général Jean-Baptiste Tine, à la suite du licenciement précipité du capitaine Oumar Touré, l'ancien officier de la gendarmerie qui a mené l'enquête préliminaire sur les accusations portées contre Sonko. Quelques semaines avant son licenciement, le capitaine Touré avait publié une vidéo et un message sur les médias sociaux dans lesquels il déclarait être suivi par des individus non identifiés et craindre pour sa vie.
La démission de Touré et les messages sur les médias sociaux ont provoqué une onde de choc dans tout le pays, entraînant une enquête interne de la gendarmerie. Le rapport a fuité et s'est retrouvé entre les mains d'un journaliste d'investigation, Pape Alé Niang, qui a publiquement divulgué son contenu avant d'être arrêté et emprisonné par le régime. Niang a été récemment libéré après une intense pression nationale et internationale de la part d'organisations de la société civile, de défense des droits de l'homme et de journalistes. En plus de ces éléments importants, le Dr Alphousseyni Gaye, le gynécologue qui a examiné l'accusatrice la nuit du crime présumé, a été entendu par le juge et a réaffirmé que son examen médical n'a apporté aucune preuve de viol. Malgré tous ces éléments et l'incapacité des avocats de l'accusatrice à présenter des preuves tangibles du crime, le juge Diallo a inculpé Sonko et renvoyé l'affaire en procès. Sonko et ses avocats, qui s'attendaient à un non-lieu, ont vainement fait appel de la décision du juge. Alors qu'aucune date n'a encore été fixée pour le procès, la rhétorique des deux parties (opposition et régime) a pris un ton plus incendiaire et belliqueux.
L'AFFRONTEMENT A COMMENCE
Lors de son méga meeting à Keur Massar, Sonko a déclaré solennellement :“J'ai déjà écrit mon testament et maintenant, je suis prêt à affronter Macky Sall sur tous les fronts”. Si cette déclaration a été accueillie avec enthousiasme par une foule extatique de partisans et de jeunes gens qui le considèrent comme un rédempteur et celui sur qui ils fondent leur espoir, elle a sans aucun doute résonné comme une menace et un défi pour les partisans du régime. Depuis lors, les deux camps continuent de se livrer une guerre par procuration via la presse, les médias sociaux ainsi que des visites et des tournées improvisées qui sont devenues l'arme d'attraction massive de Sonko. Le 10 février 2023, Sonko et ses partisans ont bravé une interdiction de manifester à Mbacké (à deux heures et demie à l'est de Dakar) qui s'est transformée en une violente confrontation avec la police. La manifestation a entraîné d'importants dégâts matériels, des dizaines d'arrestations et de blessures. La chaîne de télévision privée Wal-Fadjri, qui a retransmis en direct les affrontements, en a également subi les conséquences lorsque le CNRA a coupé et suspendu son signal pendant une semaine. Malheureusement, ce type de censure est récurrent sous le régime Sall et prouve une volonté politique d'étouffer la liberté de la presse et la liberté d'opinion. Une semaine après la confrontation de Mbacké, Sonko a de nouveau été convoqué au tribunal, cette fois pour un procès en diffamation intenté contre lui par l'ancien ministre du Tourisme, Mame Mbaye Niang.
BRUTALITE POLICERE
Mais ce qui ressort de cette journée reste la brutalité avec laquelle une unité spéciale de la police a brisé la vitre de la voiture de Sonko, l'a trainé dehors et l'a forcé à monter dans un véhicule de police blindé. La vidéo s'est rapidement répandue dans les médias nationaux et internationaux ainsi que dans les réseaux sociaux. Si ces images ont énormément terni la démocratie sénégalaise, elles ont exposé la nature de plus en plus répressive du régime et fait gagner davantage de soutien populaire et de sympathie pour Ousmane Sonko. Bien que la police n'ait pas arrêté Sonko, ses actions injustifiées continuent de mettre en danger et de menacer l'intégrité physique de l'opposant que le gouvernement doit protéger.
AGITATION CONTRE UNE TROISIEME CANDIDATURE
A moins d'un an de l'élection présidentielle de 2024, Macky Sall n'a pas encore clarifié son intention de quitter le pouvoir étant donné que constitutionnellement il ne peut plus déposer une candidature à la présidentielle. Par conséquent, il existe une crainte réelle qu'il puisse forcer le passage à l'élection et plonger le pays dans une tension politique similaire à celle de 2011, lorsque le président de l'époque, Abdoulaye Wade, avait décidé de briguer “inconstitutionnellement” un troisième mandat. En outre, il existe une appréhension palpable chez beaucoup de Sénégalais que Sonko pourrait perdre son procès sur les affaires de viol et de diffamation, scellant ainsi son destin de candidat à la présidence en 2024. En ce sens, la nouvelle stratégie de Pastef consiste à faire une démonstration de force par le biais de grands rassemblements et de démarchages à travers le pays pour consolider son soutien populaire et mettre une énorme pression sur le régime Sall. Cette approche répond à un double objectif. Premièrement, elle vise à annihiler toute tentative de manipulation de la justice pour un verdict de culpabilité dans l'affaire de viol qui disqualifierait systématiquement Sonko de la course à la présidentielle de 2014. Le soulèvement populaire de 2021 a clairement montré que toute tentative d'instrumentaliser le système judiciaire à des fins politiques entraînera des confrontations violentes aux résultats désastreux. Ce que les Sénégalais attendent, c'est un procès équitable et transparent pour toutes les parties impliquées. Deuxièmement, l'agitation politique envoie des signaux d'avertissement au Président Sall : toute tentative de briguer un troisième mandat se heurtera à une résistance populaire farouche. Cependant, le blocus du domicile de Sonko par la police a considérablement limité sa liberté de mouvement. En outre, le refus systématique des demandes d'autorisation de rassemblement de son parti (par les administrations locales) entrave de plus en plus sa tactique de mobilisation de masse. Cette situation nie ainsi un droit constitutionnel fondamental (celui de manifester et de se rassembler) et crée des affrontements violents entre les forces de sécurité et les partisans de Sonko qui veulent à tout prix exercer leurs droits constitutionnels.
CAMPAGNES DE DENONCIATION
Récemment, le Pastef a inclus dans sa stratégie des campagnes internationales de dénonciation du régime et de correction de la rhétorique de diabolisation à son égard. La coalition au pouvoir (Benno Bokk Yakkaar) a intensifié sa campagne visant à présenter Sonko comme un “salafiste”, un “terroriste” et un leader politique “anti-français/occidental” qui veut mettre en péril les intérêts occidentaux au Sénégal, une image contre laquelle Sonko et ses partisans ont riposté par une campagne de relations publiques soutenue. Le 28 février 2023, Sonko a ainsi publié “un message à la communauté internationale”, un long discours traduit en arabe, en anglais et en français dans lequel il détaille le recul démocratique du Sénégal, notamment la multiplication des prisonniers politiques (y compris des mineurs selon le journaliste d'investigation Pape Alé Niang) et les récentes attaques contre son intégrité physique, entre autres formes de répression gouvernementale. Alors que Sonko continue de bénéficier d'un soutien populaire plus important, son discours à l'égard du régime s'est radicalisé et son appel à la résistance se transforme progressivement en un appel à la “riposte”. D'un autre côté, le régime Sall semble également résolu à faire respecter la loi et l'ordre par tous les moyens nécessaires. Face à ce bras de fer et à une rhétorique cavalière de part et d'autre, des segments de la société civile et des leaders religieux multiplient les appels à la paix, au dialogue et à la médiation pour éviter une impasse sociopolitique sans précédent avant la présidentielle de 2024.
Bamba Ndiaye
Assistant Professor, Emory University
THECONVERSATION.COM
Par Pape Sadio Thiam
EN POLITIQUE, LA RESISTANCE EST UN DROIT
En se proposant au peuple sénégalais comme l’incarnation de la nouvelle opposition , Ousmane Sonko n’a pas seulement fait son devoir de citoyen, il a également répondu à une demande sociale
En politique la résistance est un droit. Il faut savoir résister. Il n’aime pas les opposants dignes, capables de le challenger : tous ses adversaires naturels sont passés à la trappe pour des raisons juridico-politiques, tandis les autres sont allés à la soupe. Son désir inconscient c’est de s’accommoder à une opposition alimentaire, sans relief.
La sécurité politique en démocratie, c’est l’existence de contre-pouvoirs, d’une opposition non seulement pour prévenir les abus du pouvoir, mais pour montrer au pouvoir qu’une alternative est toujours possible et qu’il n’a pas tous les leviers. Avec lui, les rancœurs, les récriminations et les révoltes de ses opposants sont noyées par la violence, l’intimidation. Celui que l’opinion commune caricature sous le sobriquet de « Sokhna Bator », le nom de cette dame d’un célèbre téléfilm dont la ruse à se débarrasser de ses coépouses est d’une redoutable efficacité a jusqu’ici réussi avec ce stratagème aux antipodes de la démocratie. Le fait que Sonko lui ait tenu tête jusqu’ici est déjà une performance notable, comparé à la rapidité avec laquelle il s’est débarrassé des ces deux précédents adversaires, sans résistance acharnée.
En se proposant au peuple sénégalais comme l’incarnation de la nouvelle opposition , Ousmane Sonko n’a pas seulement fait son devoir de citoyen, il a également répondu à une demande sociale.
Par Pr Alioune Badara FALL
TROUBLE AUTOUR DE L’ARTICLE 27 DE LA CONSTITUTION SENEGALAISE
Nous soutenons que le premier mandat déjà exercé parle chef de l’Etat fait partie du décompte des deux mandats depuis 2012, aux termes des dispositions actuelles de la Constitution.
Professeur Alioune Badara Fall |
Publication 14/03/2023
Plusieurs voix autorisées s’élèvent depuis quelques mois au Sénégal des milieux politiques, des médias, de la société civile, de citoyens ordinaires, et dans une moindre mesure, de quelques chefs religieux, toutes visant à alerter d’une crise qui pourrait survenir dans le pays, et dont les conséquences seraient désastreuses, aussi bien pour le processus démocratique en cours que pour la paix civile et la stabilité du pays.
Ce climat délétère, inattendu et émaillé de violence, d’injures de toutes sortes, génère une inquiétude palpable au quotidien au sein de la population. Il a une cause unique : la question du mandat présidentiel que l’on croyait résolue dans ce pays, et qui a surgi dans l’esprit des juristes et des politiques entrainant dans leur sillage, les citoyens sénégalais. Les faits, les débats et autres mouvements politiques auxquels nous assistons dans le pays en résultent également : manifestations et contremanifestations, violence physique, violence verbale dans les discours politiques, comme à travers les médias, etc. Tout converge et s’explique par cette question.
Cette inquiétude est essentiellement née de l’ambigüité supposée de la disposition constitutionnelle surle mandat présidentiel, s’agissant de son nombre et de sa durée. Deux points ardemment débattus par les politiques et la population depuis plusieurs mois. Il est apparu ainsi une sorte de fièvre collective inédite qui s’est abattue sur le pays, alimentée par des polémiques et controverses interminables au moment où l’on s’attendait à ce que la réflexion et les actions des acteurs politiques et économiques allaient porter sur les enjeux de développement plus cruciaux et plus urgents pour le pays.
Nul ne pouvait prévoir ou imaginer qu’une telle question – qui en réalité ne devrait soulever ni difficulté, ni débat - allait autant perturber la vie politique et sociale de ce pays réputé tranquille, stable et démocratique. On était véritablement en droit de croire que la question du mandat présidentiel était définitivement résolue parla restauration de la limitation des mandats dans la Constitution de 2001 et sa consécration au titre des dispositions intangibles par la réforme constitutionnelle de 2016.
La Constitution de 2001, toujours en vigueur, a définitivement résolu la question du nombre de mandats présidentiels qu’elle limite à deux ; la réforme de 2016 est intervenue pour davantage consolider notre démocratie en ramenant la durée de ce mandat de 7 à 5 ans et en élevant cette disposition au rang de celles qui sont intangibles. La distinction de ces deux champs, bien différents, entre le nombre maximum de mandats consécutifs que peut exercer un président de la République et la durée de ce mandat, ne souffre d’aucune ambiguïté à la lumière de la nouvelle version de l’article 27 issue de la réforme de 2016. Il est nécessaire et fondamental de les dissocier si on veut en comprendre le sens et la portée.
L’article 27 est formulé ainsi qu’il suit: « La durée du mandat du Président de la République est de cinq (05) ans. Nul ne peut exercer plus de deux (02) mandats consécutifs »
A la lecture de cette disposition, surgit une question de droit, celle de savoir si l’actuel président de la République, aux termes des dispositions constitutionnelles en vigueur, a la possibilité ou non de se présenter à l’élection présidentielle de 2024, après ses deux premiers mandats respectivement de 7 ans (2012 à 2019) et de 5 ans (de 2019 à 2024) ? Qu’on le veuille ou non, cette question est la cause principale et directe d’une sorte de « crainte collective » qui a gagné les acteurs politiques et la population. Elle semble être à l’origine, en grande partie, de toutes les controverses politiques actuelles. Par conséquent, la paix, la stabilité et la consolidation de la démocratie au Sénégal sont suspendues à la résolution de cette interrogation. Notre intervention rentre dans cette perspective de revenir sur ce que nous croyons juridiquement vrai et conforme à nos institutions et à nos acquis, dans l’objectif d’un retour du pays à plus de sérénité. Il est alors indispensable que cette disposition soit clarifiée.
Il faut d’abord préciser que le Conseil constitutionnel n’a pas été saisi en 2016 pour se prononcer sur le nombre de mandats – question définitivement réglée par la Constitution de 2001, doit-on encore le répéter- mais sur la durée. Autrement dit, la haute juridiction constitutionnelle devait dire si la durée du mandat ramenée à 5 ans sous l’effet de la loi soumise à son examen, peut s’appliquer immédiatement au mandat en cours de 7 ans.
Par son avis rendu le 12 février 2016, le Conseil constitutionnel, après un raisonnement minutieux en plusieurs étapes, a répondu avec précision et fermeté : le mandat de 7 ans en cours, dans sa durée, devait aller jusqu’à son terme. Il s’en est expliqué : il n’est pas possible de réduire la durée en cours de 7 à 5 ans dit-il ; le mandat de 2012 à 2019, pour sa durée, est « hors de portée de la loi de 2016 ». Cette expression ne concerne donc que la durée de ce mandat et ne porte aucunement sur le nombre de mandats déjà déterminé par la Constitution de 2001 et repris par la nouvelle loi de 2016. Ce raisonnement repose sur les deux principes, tout aussi fondamentaux, tirés de la Constitution et des situations précédentes similaires
En effet, le juge constitutionnel, au soutien de sa démonstration, estime que la sécurité juridique et la stabilité des institutions s’opposent à ce que cette durée soit ramenée à 5 ans. Le juge fait la synthèse de son argumentaire sur ce point qu’il a d’ailleurs intitulé « de la durée du mandat du Président de la République », dans le considérant 32 dans les termes suivants :
« Considérant, en effet, que ni la sécurité juridique, ni la stabilité des institutions ne seraient garanties si, à l’occasion de changements de majorité, à la faveur du jeu politique, ou au gré des circonstances notamment, la durée des mandats politiques en cours, régulièrement fixée au moment où ceux-ci ont été conférés pouvait, quel que soit au demeurant l’objectif recherché, être réduite ou prolongée ». Il ne fait plus aucun doute que la juridiction se prononçait sur la réduction de la durée du mandat et non sur le nombre qui est une règle permanente posée depuis 2001. Il n’aurait pas été logique d’ailleurs que le Conseil constitutionnel se prononçât sur le nombre de mandats. Il n’était point nécessaire qu’il revienne préciser davantage ce qui était déjà clair et surtout acquis depuis la Constitution de 2001.
Il ressort de ce raisonnement que la durée du 1er mandat doit être dissociée du nombre de mandats et non le contraire. Ainsi et dans tous les cas, un président de la République ne peut exercer plus de deux mandats consécutifs, indépendamment de la durée de ce mandat. Il en résulte que pour la limitation du nombre de mandats, la réforme de 2016 ne pose aucune règle nouvelle y relative sauf celle se rapportant désormais à son intangibilité (art. 103 alinéa 7). C’est pour cette raison d’ailleurs que le constituant de 2016 n’a pas jugé nécessaire de prévoir des dispositions transitoires en ce qui concerne le décompte des mandats. L’insertion de dispositions transitoires sur cette question précise serait superfétatoire à partir du moment où la situation transitoire sur la limitation des mandats nous semble avoir été réglée parla Constitution de 2001. En tout état de cause et à supposer que le constituant, lors de la rédaction de la loi constitutionnelle de 2016, ait volontairement ou non fait l’économie de ces dispositions transitoires et ne pas préciser si celle-ci exclut ou non le mandat de 2012 à 2019 du décompte, ne signifie pas, aux termes de la Constitution, que le président de la République a le droit de briguer un troisième mandat. Rien ne l’y oblige. Le contraire serait plus logique et plus conforme à l’esprit de la Constitution, à l’objectif recherché parle constituant, et par la bonne compréhension que l’actuel chef de l’Etat a lui-même des dispositions de l’article 27. On est même en droit de croire que ce constituant devait juger inutile d’y recourir, fort de l’idée que dans tous les cas, la règle des deux mandats était définitivement réglée par la Constitution de 2001. Si le président sortant devait malgré tout déposer sa candidature, il appartiendrait au Conseil constitutionnel – tenu lui aussi, rappelons-le car on a tendance à l’oublier, par le respect de la Constitution en tant que garant de celle-ci, comme c’est le cas pour le président de la République et pour tous les autres organes constitués de l’Etat – de faire respecter les dispositions de cet article 27 dans le sens où nous l’entendons ici.
La déclaration faite par le président de la République à plusieurs reprises selon laquelle, il ne se présentera pas pour un troisième mandat, est une exacte compréhension encore une fois des dispositions suffisamment précises du nouvel article 27 portant sur le mandat présidentiel. La clarté du texte l’y invite, de même que les multiples déclarations qu’il a faites sur son intention de respecter les dispositions constitutionnelles et de se limiter à deux mandats. Ayant déjà exercé un premier mandat de 7 ans, il ne lui reste alors qu’un second qui s’achève en 2024.
On pourrait nous rétorquer que les déclarations du président n’auraient aucune valeur juridique et que le Conseil constitutionnel reste le seul organe habilité à interpréter les dispositions constitutionnelles ; que le chef de l’Etat n’en n’est pas membre ; et par conséquent, il ne dispose pas d’un tel pouvoir. Soit ! Cela ne satisfait toutefois pas l’esprit.
D’abord, sa déclaration de respecter et appliquer les dispositions de l’article 27, n’est rien d’autre que le respect de l’engagement qu’il avait pris devant le peuple sénégalais et réaffirmé dans la loi référendaire de 2016 dans laquelle, figurait cette limitation des mandats à deux.
De plus, le référendum est fondamentalement juridique et l’engagement pris par le président de la République pour faire accepter cette consultation populaire est au cœur de ce référendum. Cette déclaration de faire deux mandats est donc fondamentalement juridique ; elle est l’un des éléments les plus déterminants - si ce n’est le plus fort parmi tous ceux qui étaient proposés au référendum - auquel, les électeurs se sont fondés pour adopter ledit référendum. Reconnaître un caractère juridique et contraignant à une déclaration de cette nature, devrait être consacrée dans une disposition constitutionnelle. Cela correspondrait (enfin !) à l’une des valeurs les plus ancrées dans nos cultures et traditions : la parole donnée de surcroit par le « roi » - historiquement - ou le « chef de l’Etat » aujourd’hui. Au Bénin, l’inscription de l’expression « Les Mânes des Ancêtres » dans le serment prononcé par le chef de l’Etat rentre dans notre capacité à nous Africains, de nous approprier nos valeurs traditionnelles et les insérer dans notre corpus institutionnel au plus haut niveau. Le juge constitutionnel béninois avait annulé le serment de Mathieu Kérékou qui a eu le tort de n’avoir pas prononcé cette expression lors de sa prestation de serment.
Constitutionnaliser au Sénégal certains engagements forts comme le « Kaddu » du président de la République - qu’il appartiendra au constituant ou au juge constitutionnel d’en créer la catégorie et de la circonscrire de la manière la plus pertinente – catégorie bien évidemment très restreinte – comme un engagement juridique et constitutionnel, renforcerait matériellement le serment présidentiel qui est déjà un engagement tout aussi fort et déjà prévu parla Constitution. Dans un régime hyper présidentialisé, cela contraindrait davantage le chef de l’Etat à respecter sa parole, lorsque celle-ci porte sur des principes fondamentaux de gouvernement, tels que le principe de l’indépendance de la justice, le respect des domaines respectifs de la loi et du règlement, ou encore celui des droits et libertés fondamentaux.
Ensuite, on peut utilement s’inspirer du droit international public, et plus précisément des deux arrêts rendus parla Cour internationale de justice suite à des recours introduits auprès d’elle par l’Australie et la Nouvelle Zélande sur les essais nucléaires français sur leurs territoires par la France. La Cour s’est fondée sur plusieurs déclarations de la France, et tout particulièrement de son Président, Valérie Giscard d’Estaing, qui avait annoncé l’arrêt de tels essais, pour signifier aux deux pays demandeurs que leurs requêtes étaient devenues sans objet, la parole du chef de l’Etat pouvant être considérée comme un engagement juridique. Si nous avons la capacité de créer notre propre droit comme nous l’avons suggéré plus haut, il nous est possible également en retour, de nous enrichir d’autres expériences connues ailleurs et la parole du président de la République que la Cour a reconnue et considérée comme du droit, comme un engagement juridique, renforce notre idée. Rien n’empêche alors que l’on transpose ce principe du droit international dans notre droit interne et considérer que les déclarations faites plusieurs fois parle président de la République et par lesquelles, il affirme respecter les dispositions de l’article 27 de la loi de 2016, c’est à dire ne pas briguer un troisième mandat présidentiel en 2024, est un engagement juridique, donc pertinent et contraignant. Ces déclarations doivent être considérées comme un « pacte » devant le peuple sénégalais.
Pour toutes ces raisons, nous soutenons que le premier mandat déjà exercé parle chef de l’Etat fait partie du décompte des deux mandats depuis 2012, aux termes des dispositions actuelles de la Constitution.
passage sous scanner du yérim nouveau, par Latyr Diouf
BOUQUETS D’ÉPINES POUR DAME JUSTICE ?
EXCLUSIF SENEPLUS - Chaque affaire est, sous la plume de Yérim, présentée comme l’un des pires crimes économiques du Sénégal indépendant. Je me demande encore qui de l’accusateur et des accusés devra nécessairement réparation à notre pacte républicain (3)
D’abord, quelques petites observations iconographiques. La couverture du livre de Cheikh Yérim Seck met en avant le président de la République prononçant, manifestement, une allocution solennelle. C’est un exercice dont Macky Sall n’abuse point. Cette parcimonie est appréciée par certains, qui estiment qu’un chef d’Etat ne doit pas saisir la nation à chacune de ses vicissitudes. D’autres lui reprochent de rester de marbre devant des occasions qui, selon eux, réclament sa parole, abstraction faite de ses tweets et publications Facebook. Dans un contexte où n’importe qui peut s’arroger la prérogative de l’expression publique, la rareté distinctive du propos officiel est appréciable. Il est donc probable que la prochaine déclaration du chef de l’Etat soit prononcée en avril à la veille des célébrations de notre 63ème année d’indépendance. Il n’est pas souhaitable, sauf événement heureux majeur, que le président s’adressât aux Sénégalais avant cette échéance.
En arrière-plan de la photo du président, deux symboles encadrés occupent la page de couverture :
A gauche, une allégorie de la Justice dans la mythologie gréco-romaine : une belle jeune femme, les yeux bandés, brandissant une balance et tenant un glaive ou une épée de la main droite (pour aller vite). Les yeux bandés symbolisent l’impartialité et signifient que la justice devrait être aveugle. Elle doit être rendue sans crainte, sans parti-pris, sans faveur, quel que soit le statut ou l’identité de l’accusateur ou de l’accusé. Mais, il est toujours difficile de ne pas songer à Jean de La Fontaine. Même dans les Républiques les plus égalitaires, « selon que vous serez puissant ou misérable, les jugements de cour vous rendront blanc ou noir ».
L’épée renvoie au châtiment, à la répression, à l’aspect légal de l’application des peines. On pense, ici, à Pascal : « La justice sans la force est impuissante ; la force sans la justice est tyrannique. Il faut donc mettre ensemble la justice et la force ; et pour cela faire que ce qui est juste soit fort, ou que ce qui est fort soit juste ».
Enfin, la balance, également associée à Thémis, est le symbole de l’équité. La justice doit être mesurée et équilibrée et veiller à ne pencher pour aucune partie.
A droite, un sablier figure le temps qui passe et la vanité de l’existence terrestre. C’est une allégorie fréquente du Temps, que les enfumeurs et les millénaristes (aujourd’hui trop nombreux chez nous) utilisent à satiété dans leurs sermons. On va tous mourir, probablement dans d’atroces incompréhensions et frustrations, so what ?! Raison de plus de vivre mieux non ? Je vous laisse songer à tout ce que l’on peut entendre comme bêtises fatalistes au Sénégal, de la première prière de l’aube à celle du soir. L’omerta générale est presque acquise face au doux terrorisme spirituel qui gouverne notre société. Ailleurs, cette hystérie épouse d’improbables prêches évangélistes qui enlisent tout autant la jeunesse noire. Avant de m’emballer et de m’égarer dans des déconstructions plus essentielles, revenons aux allégations plus terre à terre du livre de Cheikh Yérim Seck.
Cette troisième partie couvrira les cinq chapitres suivants : La gouvernance non sobre et non vertueuse du secteur de l’énergie (p.65), Snedai (Bictogo), Petro Tim, Ecotra, ArcelorMittal : Ces nébuleuses à foison (p.77), Cicad, AIBD, TER, Fonds Covid : Scandales à gogo ! (p.87), Le rapport assassin de l’IGE sur les permis octroyés à Petro Tim (p.97), Cette mafia chinoise qui tue la pêche et affame 6 millions de Sénégalais (p.105).
Des noms et des chiffres, il y en a à profusion dans ce bloc du 5ème au 9ème chapitre où chaque affaire est, sous la plume de Yérim, présentée comme l’un des pires crimes économiques du Sénégal indépendant. Totalement groggy et réfutant, pour ma précieuse santé mentale, les procédés et l’ampleur des scandales présumés, je me demande encore qui de l’accusateur et des accusés devra nécessairement réparation à notre pacte républicain. Même si, par exemple, l’auteur qualifie les poursuites pour diffusion de fausses nouvelles « d’inculpations anachroniques dans une société démocratique » (p.152), est-il acceptable de ruiner la dignité d’autrui en toute impunité ?
Dans le chapitre intitulé « La gouvernance non sobre et non vertueuse du secteur de l’énergie », Cheikh Yérim Seck raconte le processus d’achat du charbon destiné à la centrale électrique de Bargny. Il décrit (p.66-67) le ballet des navires avec moult détails (nom du navire, nom du port de départ, volume du chargement de charbon, date du connaissement, nom de l’acheteur, nom de l’expéditeur, valeur du surcoût…). Il estime, que le combustible acheté en Russie, est trop cher, alors que qu’il y a un contrat d’achat et de vente avec la CES (Compagnie d’Electricité du Sénégal). Il dénonce le vol annuel de centaines de milliards par un système occultes de facturation, de surfacturations, d’intermédiations, de commissions et de rétro-commissions (p.65). Il affirme qu’entre juin et octobre 2022, 21 millions de dollars de commissions issues des surfacturations (p.66) ont été encaissées à Dubaï avant d’être redistribuées aux bénéficiaires d’un système sophistiqué de corruption. « Des magouilles avec des étrangers qui, pour masquer leurs forfaits, monnayent leur complicité à prix d’or », écrira-t-il (p.67).
Cheikh Yérim Seck interpelle sans ambages Pape Mademba Biteye, Directeur Général de la Senelec et Malick Seck qu’il traite, plusieurs fois, de « pantin imposé à la tête de la CES (Compagnie d’Electricité du Sénégal) » depuis le 21 mai 2021, et les invite à expliquer aux Sénégalais le pourquoi de ce système mafieux (p.68). En outre, d’après Yérim, l’Etat du Sénégal doit à la CES la somme de 77 568 972 339 CFA sans les intérêts et autres frais et coûts d’arbitrage (p.72). Le DG Malick Seck aurait écrit pour renoncer à cette somme que la CES réclame à la Senelec (p.73). Moussa Bocar Thiam, agent judiciaire de l’Etat, aurait écrit pour demander qu’il n’y ait pas de juge de sexe féminin dans la formation devant trancher l’affaire (p.74).
Sonné par ce polar aussi surréaliste qu’inquiétant, je « googlisai » Norland Suzor, ce métis suédois et mauricien (p.68) au cœur de ce conte. Yérim le présente comme propriétaire de la centrale électrique de Bargny (il aurait sorti de sa poche (sic) 72 millions d’euros sur les 400 millions nécessaires pour ériger la centrale), et actionnaire majoritaire évincé de la CES dont il détiendrait, d’après Yérim, 94,89% des parts (p.69). A la page 72, surgit un Boer sud-africain détenteur d’un passeport maltais, du nom de Jean Craven, qui aurait modifié le Conseil d’administration de Nordic Power (la boite de Norland Suzor) avec un faux document d’une AG tenue à l’insu des actionnaires majoritaires de CES. Bon allez, ça suffit !
Il me fallait un équilibre de la terreur. Google vint à ma rescousse en me guidant vers un article de Leral où l’on peut lire ceci « les supposées révélations contenues donc dans le livre du journaliste, constituent en réalité une vaste opération de dénigrement des autorités étatiques, visant à biaiser toutes les initiatives entreprises en matière de politique énergétique par l'Etat du Sénégal, mais aussi saborder le travail du Directeur Général de la CES, Malick Seck, qui a mis fin aux combines de Norland Suzor et son complice, détenteurs d'un contrat exorbitant de 25 ans en fourniture de charbon ». Le même article affirme que la source de Yérim dans ce chapitre énergétique n’est autre que Norland Suzor.
Balle au centre ! Mais, est-il concevable, que de telles allégations, dans un Etat de droit, puissent se vider aussi facilement qu’un léger contentieux entre tiktokeurs ?
Si, comme il semble le brandir comme une menace, « ces cadavres dans les placards » devaient « être exhumés un jour au gré des vicissitudes de l’Histoire » (p.77), Yérim aurait intérêt à se préparer à passer le reste de sa vie en témoin d’enquêtes pénales. En conclusion de ce qu’il titre « ces nébuleuses à foison » (P.77), le journaliste écrira à la page 85 à propos d’ArcelorMittal : « Si on vivait dans un pays normal, cette affaire aurait suscité une commission d’enquête parlementaire, un rapport d’une organisation de la société civile voué à la lutte contre la corruption, une plainte d’une association des intérêts des citoyens, une enquête journalistique, ou même une manifestation populaire pour réclamer la lumière sur les réels motifs de la transaction à forte perte passée avec la multinationale sidérurgique».
Adama Bictogo, ivoirien d’origine burkinabé de 60 ans avec sa boite Snedai aurait touché beaucoup d’argent (sans aucun audit) dans la confection des visas biométriques obligatoires de 2013 à 2015, avant de recevoir une indemnité compensatoire de 12 milliards CFA (p.78-79). L’auteur poursuit : « en 2016, la construction de l’Université Amadou Mahtar Mbow de Diamniadio sera confiée au même Bictogo qui, après avoir empoché 30 milliards, disparaitra ». (p.78). Dans le même bloc, Yérim nomme un certain Alberto Cortina comme actionnaire majoritaire de la Banque de Dakar, dont Aliou Sall serait l’administrateur le plus influent (p.80). Il enchaine avec « un très mal réputé Franck Timis, patron de Petro Tim Limited, maison mère de Petro Tim Sénégal dont Aliou Sall était le gérant ». Pour soutenir cette quête poussive de sensationnel, le journaliste convoquera trois sources : des allégations d’Ousmane Sonko (p.80), d’Abdoulaye Wade (p.81) et du fameux reportage de la BBC. Et, menaçant, il prédit une réouverture de ce dossier clos par un non-lieu par le procureur de Dakar (p.81). Enfin, il accuse un certain Abdoulaye Sylla, proche présumé de l’épouse du Chef de l’Etat et patron d’Ecotra, entreprise de BTP, d’avoir encaissé 150 milliards CFA pour l’assainissement inachevé de Diamniadio, avant de toucher 75 milliards CFA pour ériger un simple muret de séparation entre les deux sens de l’autoroute Ila Touba (p.83).
Le leitmotiv de ces chapitres est une mise en avant d’une préférence étrangère débridée que Yérim explique par des « commissions plus grasses et plus de discrétion sur les « dessous de table » (p.88). Il affirme, par exemple, qu’un magnat turc du nom de Selim Bora, très introduit au Palais, aurait pris, au bas mot, 2000 milliards au Sénégal pour avoir achevé l’aéroport Blaise Diagne, construit l’Arena Tour, le stade Abdoulaye Wade, le Centre International de Conférences Abdou Diouf, l’hôtel d’affaires Radisson de Diamniadio… (p.89). Il remet en question l’opportunité du Train Express Régional qu’il qualifie de plus grand gouffre à milliards avec un coût de 780 milliards, un retard de presque cinq ans dans sa mise en circulation.
Puis, in extenso, cette terrible phrase à propos du Fonds Covid : « Alors que les Sénégalais, confinés, se morfondaient dans la solitude et la galère, les élites, auxquelles étaient confiées les fonds destinés à les soulager, s’en mettaient plein les poches, vivaient la bamboula, dans l’indifférence totale aux souffrances des plus faibles et un cynisme qui frise la cruauté. » (p.91). Le Yérim-Djiné ou Yérim-Mage revient à la page 94 et nous révèle que Mansour Faye avait demandé à quitter le gouvernement pour se faire remplacer par Cheikh Issa Sall. Véto de la Première Dame le 17 septembre 2022 ! Toujours d’après le Yérim omniscient, le Président avait voulu trouver un autre ministère pour Cheikh Issa Sall mais Oumar Youm dira niet pour rester maître à Mbour (p.94-95).
Un lecteur attentif remarquera que les échappées borderline de l’auteur sont toujours suivies de la caution de quelques réputations intellectuelles, techniques ou morales bien établies dans notre contexte paresseux et peu critique. Plus haut, on a vu le Président Wade et les 30% de parts Petro Tim qu’il attribue à Aliou Sall (p.81) et Ousmane Sonko affirmant que le fisc a perdu 90 milliards dans la transaction Petro Tim / Kosmos (p.80). A propos du Fonds Covid, le professeur Mary Teuw Niane sera cité, décrivant et dénonçant dans une publication Facebook du 15 décembre 2022 « La corruption et l’effondrement des valeurs » (p.95)…Le dernier scandale présumé de cette rubrique est placé sous le haut patronage du « brillant économiste Mamadou Lamine Diallo Tekki » (sic) qui, dans une publication du 6 décembre 2022 nous apprend que le Yaboye (sardinelle) sénégalais est pêché en masse pour être transformé en farine pour l’élevage des saumons en Europe, ce qui prive les familles modestes sénégalaises de leur source de protéines (p.112).
Pour éviter d’être plus long et terminer avec la pêche, je fais l’impasse sur le chapitre intitulé « Le rapport assassin de l’IGE sur les permis octroyés à Petro Tim » (p.97-104). Très ennuyeuse, cette partie m’a paru outrageusement supputative. Ce que Cheikh Yérim Seck qualifie de « plus gros scandale politico-financier de ces dernières décennies » (p.104) n’est que le roman rétrospectif de notre entrée dans l’ère pétrolière et gazière dopé à la testostérone du reportage de la BBC de juin 2019. Toutefois, les accusés nommément cités ne devraient pas, à mon avis, laisser au Temps le soin exclusif de les disculper en comptant, au mieux, sur notre amnésie complice, au pire, sur notre espérance de vie limitée. Cette rengaine contre l’impunité et les abus excessifs trouve une acuité particulière dans le chapitre titré « Cette mafia chinoise qui tue la pêche et affame 6 millions de Sénégalais » (p.105). La nécessité d’engager le troisième pouvoir dans l’exigence de vérité entre les accusations et les faits constitue le clou du résumé de ce chapitre à charge.
Tout aurait commencé en 1992, quand le Président Diouf avait besoin de cash pour financer l’organisation de la coupe d’Afrique des nations de football au Sénégal. Il aurait donné, à cet effet, des autorisations de pêche à des navires russes. Ce coup d’essai aurait permis d’amasser des sommes importantes en un temps record. Diouf aurait commencé à recourir à cette manne financière en autorisant, saisonnièrement, l’entrée sur notre territoire maritime de bâtiments étrangers. De 1992 à 2000, feu Ousmane Tanor Dieng, alors tout-puissant ministre d’Etat chargé des affaires présidentielles, aurait encaissé des sommes astronomiques qui servaient de fonds politiques au régime. Mais, aucune licence, aucune trace écrite (p.106).
En 2011, s’appuyant sur son ministre de la pêche Khoureïchi Thiam, le Président Wade aurait fait entrer dans nos eaux territoriales des navires russes et coréens, ce qui lui aurait rapporté beaucoup d’argent pour sa campagne de 2012. Il perdra l’élection. Yérim parlera de malédiction de l’or bleu, dans une de ces allusions superstitieuses très en vogue au Sénégal (p.107).
Macky Sall aurait fait pire que tous ses prédécesseurs, d’après Yérim. Après un cours sur les règles qui encadrent la pêche au Sénégal, l’auteur conclura que l’actuel président n’en a cure de la « procédure dûment élaborée pour garantir la transparence dans la gestion des licences, la sauvegarde de la ressource halieutique et la protection de l’économie de la pêche » (p.107-108). Il accuse « Oumar Guèye transfuge de REWMI nommé ministre de la pêche le 6 juillet 2014 » (sic) d’avoir complètement déstabilisé le secteur en mettant en place un vaste système de fraude qui consiste en une sénégalisation fictive de dizaines voire de centaines de navires chinois (p.108). Les détails abracadabrantesques de ces procédés figurent aux pages 108 à 110.
Aminata Mbengue Ndiaye nommée à la place d’Oumar Gueye le 5 avril 2019 mettra une commission d’enquête chargée de tirer au clair la question et de mettre de l’ordre dans l’attribution des licences. Elle cédera son fauteuil à Aliou Ndoye en novembre 2019 avant les conclusions de la commission. Aliou Ndoye instruira plusieurs dizaines de nouvelles demandes de sénégalisation de navires. De 2018 à 2020, 55 navires chinois seront immatriculés pour intégrer le pavillon Sénégal (p.110). Ici, une petite contradiction mérite d’être soulignée : juste après ces charges très lourdes sur les autorités en charge de la pêche, Yérim relève que « le ministère refuse de donner la liste des nouveaux bateaux immatriculés, ainsi que le nombre exact de licences attribuées de 2018 à 2021 » (p.111). Dès lors, il est légitime de se poser des questions sur la crédibilité de l’accusation d’escroquerie qui vise Oumar Guèye ancien ministre de la Pêche et de l’Economie maritime (p.110). Ce dernier répondra en qualifiant les propos du journaliste de « condensé de contre-vérités, d’allégations graves, infondées et de mensonges ».
Gageons que Dame Justice, dans une République aussi réputée que le Sénégal, ne saurait se contenter de quelques démentis déjà oubliés pendant que des accusations gravissimes de corruption, de trahison et d’antipatriotisme restent figées dans un livre et les sur les « langues de la postérité » * (p.96).
*Les railleries sur Idrissa Seck ne portaient-elles pas sur cette expression que l’auteur emploie ?
CONTRIBUTION À LA RÉFLEXION SUR LA MODERNISATION DE L’ÉTAT
Sur le plan technique du management public, de la gouvernance et de la surveillance, je propose que nous allions plus loin que les propositions formulées dans le brillant texte de Souleymane Nasser Niang
(Suite au brillant article de Souleymane Nasser Niang)
Merci Nasser ! Une bonne et pertinente contribution aux grands débats qui auraient dû prévaloir par rapport aux problèmes et urgences de l’heure. Merci de requalifier les débats, ce qui manque terriblement de nos jours tant le vacarme a réussi cette prouesse de remplacer la recherche, l'expérience, l'expertise, etc. Votre texte rappelle aussi que depuis tant d'années des cadres sénégalais ont tout fait pour accélérer le progrès, mais il y a eu aussi l'autre équation du leadership éthique et méritocratique, apolitique au sens de la politique politicienne, capable de mobiliser des équipes transformationnelles ; car ce sont des leaders et des équipes qui gagnent, qui transforment l’État, le pays et la société... En ce sens, vous avez raison de rappeler l'impact de l'intangible et de l'immatériel dans les transformations durables et résilientes.
Sur le plan technique du management public, de la gouvernance et de la surveillance, je propose que nous allions plus loin :
- aujourd’hui, la gestion axée sur les résultats a besoin s'ouvrir à de nouveaux paradigmes, référentiels et outils plus récents en s'ajustant aux impératifs de la performance éthique ; elle prendrait en compte, de façon intégrée, l’analyse et la planification stratégiques, le management des risques (approche GRC), les contrôles internes, la généralisation de l'obligation de rendre compte et la mesure de la performance par des indicateurs clés (KPI) et des rapports de performance à tous les niveaux ; on rentrerait alors dans ce que certains ont appelé contrôle de gestion publique.
- D’ailleurs, une telle approche permettrait de véritables audits de la performance éthique car si le dispositif y afférent est bien formalisé, il serait possible de faire le lien avec toute une stratégie nationale de transparence, d'intégrité, de prévention, de détection, de dissuasion et de lutte contre les fraudes, les abus, les gaspillages et la corruption.
- S’agissant des audits stratégiques et organisationnels, je pense qu’on pourrait les « réinventer » quelque peu en y ajoutant une touche réengineering, car, aujourd’hui, la restructuration et les rationalisations, au-delà de l’examen des missions et des structures, doivent concerner les processus, les risques liés aux redondances, aux duplications, chevauchements, à l'absence de célérité et de culture client.
- Il y a aussi les questions liées notamment l’auditabilité et cette grande confusion entre les audits, les inspections/investigations et les évaluations. Certaines pratiques qualifiées d’audit ne le sont guère ; il faut revoir cela et ce n’est pas une mince affaire. En effet, il faudrait entamer les chantiers de l'auditabilité lesquels, à mon sens, font partie des chantiers de la modernisation et de la réforme de l’État. Je ne suis pas sûr non plus que face à la faible couverture des risques de toutes sortes notamment au niveau managérial, de la gouvernance, sociétal, de crises toujours possibles (fraudes, efficacité, environnement, inondations, pandémies, catastrophes naturelles, sanitaires, voire la vase typologie des risques dans la littérature), l’éclatement des corps de contrôle soit la bonne solution pour des États comme les nôtres aux faibles moyens. En effet, tout ce ceci, selon les cas, est auditable, évaluable, objet d’investigations, si la conception actuelle de ces métiers est bien comprise. Nous ne sommes pas obligés de suivre à la lettre des modèles venus d’ailleurs…
- Lorsque l’on a bien compris comment le nouveau management public et la nouvelle gouvernance se sont développés depuis 80-90, on voit mal comment, pour un réformateur sincère et compétent, ne pas prendre en compte les chantiers de la performance éthique, de la gouvernance de contrôle et de la gouvernance d’entreprise (conseil d'administration, comités des risques, d'audit, de normalisation, d'harmonisation, recrutements compétitifs, etc.).
Tout ceci est faisable au vu de perspectives, voire de normes et des bonnes pratiques internationales reconnues, de modèles, de dispositifs juridiques ou autres et de plusieurs outils et référentiels formalisés ailleurs et par rapport auxquels on est en retard. Beaucoup de pays (Dubaï, Malaisie, Singapour, Botswana, Corée du Sud, etc.) et leurs leaders (Lee Kuan Yew, Sheikh Maktoum, etc.) montrent que c’est possible, en quelques décennies. Mais, encore une fois, même si tous ces processus sont réformés, en l'absence de leadership éthique décomplexé, de pari sur les talents, de culture d'équité, de création de valeur comme la raison d’être ultime des dirigeants politiques et des manageurs de l'État en général, la transformation durable n'est pas garantie ; dans tous les cas, elle serait beaucoup plus lente. En fait, pour que les choses changent, il faut aussi que nous, sénégalais, changions, que la politique et les politiciens changent aussi.
Dr. Abdou Karim Gueye est Conférencier, coach certifié, formateur. DBA/MBA/ENAM/Faculté de droit, Inspecteur général d’État à la retraite, ancien Directeur général de l’École Nationale d’Administration et de Magistrature.
par l'éditorialiste de seneplus, félix atchadé
DE QUOI OUSMANE SONKO EST-IL LE NOM ?
EXCLUSIF SENEPLUS - Le leader de Pastef réactualise le "Mom sa Rew, bok sa rew et le Defar sa rew " des anciens, le rend populaire tout en atténuant sa radicalité. Il n’envisage la prise du pouvoir que par le suffrage universel
Félix Atchadé de SenePlus |
Publication 13/03/2023
Un spectre hante le président Macky Sall et son régime : le spectre d’Ousmane Sonko et de Pastef. L’appareil d’État, les instances judiciaires, des patrons de groupe de presse, les forces conservatrices, des intellectuels organiques, la coalition BBY, les vétérans de partis de gauche se sont constitués en une alliance pour anéantir ce spectre. La Confédération pour la démocratie et le socialisme (CDS) n’est pas en reste. Incapable d’avoir l’unité organique et d’actions promises aux militants il y a près d’une dizaine d’années, spectatrice impassible des dérives autoritaires du pouvoir, soutien indéfectible des politiques de démission nationale et de régression sociale, se découvre dorénavant la vocation de préserver le Sénégal d’Ousmane Sonko et de Pastef ! Sortant de sa léthargie et de son atonie éditoriale, en une dizaine de jours, elle a publié deux tribunes pour conjurer ce spectre.
Dans la toute dernière invoquant la « République et la démocratie », la CDS telles les marionnettes politiques que dénonçait Senghor dans son rapport sur la méthode au Ve congrès du Bloc démocratique sénégalais (BDS) des 3, 4 et 5 juillet 1953, a lancé des slogans importés de l’actualité politique européenne. Parlant, sans craindre le ridicule, de « populisme », « fachopopulisme », « néonazis », « islamisme radical anti confrérique » et de « groupes d’obédience irrédentiste » pour désigner Pastef et son leader. Il est temps de sortir de cette fantasmagorie qui ne sert qu’à escamoter le débat politique et d’exposer à partir de faits stylisés en rapport avec la situation socioéconomique et politique du pays ce qu’est ce parti.
Qu’est-ce que le populisme ?
Le ridicule et le caractère outrancier de certains qualificatifs de la CDS à l’endroit d’Ousmane Sonko et ses amis ne méritent pas qu’on s’y attarde. « Fachopopulisme », « néonazis », « islamisme radical anti confrérique » et « groupes d’obédience irrédentiste » ne sont que des injures sans grande originalité. Le seul terme de la déclaration de la CDS qui mérite l’attention est celui de « populisme ». Pastef et son dirigeant incarnent-ils un populisme ? Si oui, est-ce une rupture par rapport à la tradition politique sénégalaise ? Est-il porteur de solutions antidémocratiques, antirépublicaines et périlleuses pour l’unité nationale et la paix civile ?
Le populisme est un terme qui est revenu à la mode médiatique où il sert le plus souvent, mais pas toujours, le discours de disqualification des forces politiques qui sont porteuses de propositions alternatives au néolibéralisme mondialiste. Sur le plan étymologique, « populisme » dérive du latin populus qui veut dire peuple. Il est assez savoureux de noter qu’il a la même signification que la racine grecque (démos qui veut dire peuple) de démocratie. D’un point de vue académique, il n’y a pas de consensus sur sa signification. Pour les spécialistes de la science politique, il s’agit d’un terme qui prête à confusion. Il y a un consensus qui s’est noué récemment pour trouver deux constantes aux discours politiques désignés comme populisme : l’élite et le peuple. Le politologue néerlandais Cas Mudde définit le populisme comme « une idéologie qui considère que la société est séparée en deux groupes homogènes et antagonistes, le peuple et l’élite corrompue, et qui soutient que la politique devrait être une expression de la volonté générale du peuple. » Il y a des courants de pensée de la sociologie politique qui accorde un statut idéologique au populisme alors que d’autres ne lui en reconnaissent que la qualité ersatz idéologique. Le populisme est considéré tantôt comme un moyen de mobilisation des masses, d’autre fois — comme le théorise Esnesto Laclau — un projet d’émancipation pour instaurer la véritable démocratie dans laquelle le peuple est le véritable souverain.
Le peuple exalté recouvre deux réalités différentes selon que l’affiliation du populisme est de droite ou de gauche. À droite, la référence est l’ethnos c’est-à-dire la supposée communauté d’habitants partageant les mêmes ancêtres, divinités, cultes, sanctuaires et fêtes pour faire court « les nationaux de souche » qui sont menacés de « grand remplacement » par les populations d’origine étrangère. Dans la version de gauche, le peuple désigne les ouvriers, les employés, « ceux d’en bas » ; opposé à « ceux d’en haut », à la bourgeoisie, l’oligarchie, les « éditocrates », etc.
L’ascension politique d’Ousmane Sonko
En 2017, trois ans après la création de son parti Pastef, il est élu député à l’Assemblée nationale, mais son parti obtient moins de 1 % des voix aux législatives. En 2019, pour sa première participation au scrutin présidentiel il arrive troisième avec 16 % des suffrages exprimés. Au cours de la campagne électorale, Ousmane Sonko s’était présenté comme le candidat « antisystème ». Son programme était un plaidoyer pour l’exercice effectif de la souveraineté nationale. Sur le plan économique, il a proposé une sortie du franc CFA, présenté comme l’instrument de la mainmise française sur le Sénégal, dénoncé la fraude fiscale et critiqué le train de vie de l’État. Pour financer les réformes préconisées dans son programme, il a recommandé une mobilisation des ressources internes par une plus grande efficience de l’administration fiscale à la place de l’endettement extérieur inconsidéré en cours. Le thème politique qui a participé le plus grandement à son succès électoral a été la dénonciation des ponts d’or faits aux entreprises étrangères alors que les entrepreneurs locaux et l’industrie nationale étaient abandonnés à leur sort par l’état. Il promettait d’y remédier par un patriotisme économisme qui favoriserait l’essor de champions nationaux dans le domaine industriel. En dehors des propositions radicales énoncées plus haut, son programme dénommé Jotna, présentait des aspects plus consensuels comme l’exigence faire de l’agriculture le « fer de lance » de l’économie sénégalaise, « l’égalité de chance par l’éducation » pour tous, ou « la promotion de la femme ». Mais le discours politique pour antisystème qu’il fut n’a jamais épousé les contours d’un antiélitisme.
Les circonstances dans lesquelles Ousmane Sonko s’est fait connaitre sur la scène politique sénégalaise ont fait de lui, aux yeux de l’opinion, une figure incarnant la probité et le désintéressement. Pionnier du syndicalisme dans la haute fonction publique, lanceur d’alertes, revendiquant un parcours sans faute dans un corps où les tentations d’enrichissements illicites sont nombreuses, le président de Pastef était le candidat disruptif du scrutin présidentiel de 2019. C’est une personnalité charismatique aux influences éclectiques (anti-impérialiste, islam politique, nationalisme et panafricanisme). Son rigorisme musulman présenté par ses adversaires politiques comme le signe d’une adhésion au « salafisme » et ses avatars, ne l’a pas été empêché d’avoir de nombreux soutiens dans les milieux catholiques et les confréries musulmanes. Le curé d’une grande paroisse de Dakar rapporte que les jeunes et les femmes qui fréquentent son église revendiquent leur adhésion au discours de Ousmane Sonko et votent pour Pastef.
À l’élection présidentielle de 2019, le vote en faveur d’Ousmane Sonko a été celui des jeunes, des personnes avec un niveau d’instruction élevé et des citadins. À l’exception de la région de Ziguinchor sa percée dans les milieux ruraux était plutôt modeste. Dans la région de Dakar, il a fait de bons scores dans les quartiers réunissant les classes moyennes supérieures (Fann, Point E, Amitiés, Mermoz, Sacré-Cœur, etc.), dans les milieux populaires (grand-Yoff ; Parcelles Assainies, Keur Massar, Mbao) qui accueillent une majorité de populations pauvres, voire très pauvres. Il y a eu une pluralité sociologique dans le vote en sa faveur. Dans la diaspora sénégalaise, les zones d’immigration récente (Amérique du Nord, pays scandinaves, le Maghreb et les pays de la péninsule arabique) le vote qui se portait naguère sur le président en sortant, a choisi en 2019 Ousmane Sonko. En France, dans les villes universitaires il est sorti largement en tête. Au dernier scrutin présidentiel, Ousmane Sonko a réuni autour de sa personne une bonne partie du vote des plus aisés et des plus pauvres. Il cristallisait les revendications contre les inégalités sociales et la volonté de sortir de la domination française et de la démission nationale des régimes précédents.
Sur quel terreau poussent les semis pastefiens ?
Le Sénégal comptera à la fin de cette année 2023, un peu plus de 18 millions d’habitants. Il reste un pays rural (51 % de la population), jeune avec un âge médian (celui qui divise la population en deux parts égales) de 18,5 ans. Plus des trois quarts de la population sont âgés de moins de 35 ans. Chaque année, ils sont dizaines de milliers de jeunes qui arrivent sur le marché du travail sans trouver un emploi. C’est le secteur dit informel qui crée l’essentiel des emplois. Ceux-ci sont précaires et donnent des revenus irréguliers rendant l’accès au crédit bancaire difficile pour les travailleurs. La croissance économique tant vantée par les pouvoirs publics est erratique, vulnérable aux chocs extérieurs et est portée par la consommation privée et les investissements publics financés par l’endettement extérieur. Les investissements ont très peu d’effets d’entraînement sur l’économie réelle et ses nombreux entrepreneurs nationaux. La croissance économique n’est pas inclusive et le taux de pauvreté reste élevé (37 % de la population). Les inégalités se sont creusées, la part de la richesse nationale détenue par les 20 % les plus pauvres n’a pas augmenté depuis vingt ans. Les 10 % les plus riches détiennent le tiers de la richesse nationale. Les scandales financiers se succèdent sans que les auteurs de ces véritables actes de prédations soient inquiétés.
Les libertés individuelles et publiques n’ont jamais été autant bafouées dans l’histoire contemporaine du pays. Des dizaines de militants politiques, associatifs, activistes et youtubeurs sont en détention préventive pour des commentaires ou des propos passionnés. Des députés, des maires issus des rangs de l’opposition ont également. Faisant l’impasse sur la valeur instrumentale du droit, comme le souligne si pertinemment Jurgen Habermas, dans la formation de l’opinion du citoyen, le pouvoir en répétant ad nauseam que « force doit rester à la loi » veut en faire une fin. Et encore ! C’est faire trop d’honneur à ce pouvoir que de ne pas voir que l’évocation de la loi n’est que le « cache-misère » de l’arbitraire le plus barbare. Les réunions publiques de l’opposition ne sont qu’exceptionnellement autorisées. À l’occasion des dernières élections législatives, le Conseil constitutionnel a décidé de priver les citoyens de choix pour une erreur matérielle dans l’établissement de la liste de la coalition d’opposition Yewi Askan Wi (YAW) dont le Pastef est membre.
Les manifestations sont réprimées avec violence inouïe. Depuis mars 2021, on a dénombré 17 personnes tuées et plus de 600 blessés. À la différence du président Abdou Diouf, au pouvoir de 1981 à mars 2000, dont la doctrine en matière de maintien d’ordre était claire et précise : « pas d’utilisation d’armes létales », on ne sait rien des ordres donnés par Macky Sall. On peut toutefois constater que les forces de l’ordre sont surarmées et selon plusieurs rapports d’organisations de droits de l’homme les manifestants tués le sont avec des armes létales utilisées par la police ou la gendarmerie.
Quel est le projet d’Ousmane Sonko ?
Depuis l’élection présidentielle de février 2019, le champ politique sénégalais a connu de nombreuses mutations. Avec le ralliement d’Idrissa Seck au pouvoir, Ousmane Sonko est devenu le principal opposant. Le cadre très schimittien[1] en place depuis 2012, qui fait du rapport « ami-ennemi » la clef de structuration du jeu politique s’est davantage accentuée depuis 2019. À la mobilisation de l’appareil d’État pour le mettre hors de courses, Ousmane Sonko en a appelé au peuple pour se défendre. Le peuple à lui, c’est d’abord la jeunesse à qui il demande de ne pas se faire « voler le projet » censé parachevé la « révolution sociale » initiée par Senghor et Mamadou Dia et interrompue en 1962 par la mise à l’écart du dernier nommé.
À part la jeunesse, dans « son peuple » il inclut les travailleurs du secteur informel — des femmes, dans leur écrasante majorité — la petite bourgeoisie (enseignants, personnels de santé, techniciens, ingénieurs, etc.), les ndongo daara[2]… La paysannerie reste un angle mort de son discours sur le peuple et c’est également une limite dans la continuité qu’il voit entre son « projet » et celui de Mamadou Dia. S’il faut trouver un continuum avec les formes d’expression politique du passé, il faut le rechercher du côté du Manifeste du PAI de 1957. Ousmane Sonko réactualise le « Mom sa Rew, bok sa rew et le Defar sa rew »[3] des anciens, le rend populaire tout en atténuant sa radicalité. Il le fait parce qu’il n’envisage la prise du pouvoir que par le suffrage universel ce qui n’était pas le cas des initiateurs du PAI. Et pour finir, il est accommodant avec l’essentiel des formes de légitimité traditionnelle.
Ousmane Sonko incarne un courant de pensée nationaliste ou souverainiste comme on le dit plus volontiers actuellement. Cet attachement à la patrie n’est pas du chauvinisme et il n’y aucune exaltation de l’ethnos dans son discours. Il en appelle à une révolution citoyenne pour que la démocratie sénégalaise tienne ses promesses de liberté et d’égalité. Ce discours a d’autant plus de succès auprès des Sénégalais que depuis une décennie la démocratie est bafouée et que nous sommes dans une caricature d’État de droit. Les appels au peuple d’Ousmane Sonko sont en résonnance avec les propos d’Amílcar Cabral[4] : « ne pas avoir peur du peuple et l’amener à participer à toutes les décisions qui le concernent — telle est la condition fondamentale de la démocratie révolutionnaire que nous devons réaliser progressivement. » La CDS renie-t-elle Amílcar Cabral ?
[3] Indépendance, unité et construction nationales
[4] Amílcar Cabral (12 septembre 1924 – 20 janvier 1973), alias Abel Djassi, est le fondateur du Parti africain l’indépendance de la Guinée et du Cap-Vert (PAIG) C qui amena à l’indépendance ces deux États colonisés par le pour Portugal.
par Madiambal Diagne
LES VICTOIRES DES LIONS NE FONT QUE COMMENCER
L’expertise sénégalaise a forcé le respect sur les terrains de football. Les dirigeants du football sénégalais méritent une fière ovation. L’esprit de la gagne s’est installé. Nous avons guéri nos blessures, nos désillusions
Gagner un trophée en football est toujours une exception, une singulière distinction, mais qui tend à devenir ordinaire au Sénégal. L’Equipe de football des U20 vient de remporter, au Caire (Egypte), la Coupe d’Afrique de sa catégorie en battant la vaillante Equipe de Gambie sur le score de 2 buts à 0. On réalise qu’un mois auparavant, le Sénégal avait battu l’Equipe d’Algérie sur ses terres, à la finale du Chan, un autre tournoi continental réservé aux footballeurs qui évoluent dans les championnats nationaux en Afrique. En octobre 2022, les Lions du beach soccer avaient fini de remporter au Mozambique, leur septième Coupe d’Afrique. En février 2022, l’Equipe A de football avait triomphé à la Coupe d’Afrique des nations (Can) au Cameroun, en battant l’Egypte. Un mois plus tard, le Sénégal validera son ticket pour la Coupe du monde du Qatar aux dépens des mêmes Pharaons d’Egypte. L’équipe des sourds-muets avait elle aussi gagné en septembre 2021, la Coupe d’Afrique des nations de football réservée à cette catégorie de personnes handicapées. Le Sénégal va se présenter en grandissime favori de la Can U17 qui se jouera en Algérie, du 29 avril au 19 mai 2023. En attendant d’autres succès, si on compte bien, en l’espace d’une année, le Sénégal a gagné tout ce qui pouvait l’être en Afrique : un quintuplé historique, jamais réalisé par un pays dans aucune partie du monde !
Notre galerie de trophées a besoin d’être agrandie. A la clé, les Lions du Sénégal sont systématiquement qualifiés parmi les représentants de l’Afrique aux Coupes du monde de football ! Il est à noter qu’à chaque fois, les Sénégalais gagnent le trophée collectif et raflent en même temps la plupart des trophées individuels décernés aux joueurs. C’est dire que le Sénégal est sur le toit de l’Afrique, et devra y rester pour longtemps encore. En effet, ces grosses performances ne sont pas isolées et obéissent à une dynamique de victoires, une logique immuable. La relève des équipes est assurée avec les petites catégories qui savourent déjà l’exquis goût de la victoire. Les Lions victorieux du Chan ont montré que le Sénégal ne gagne pas que grâce à ses binationaux, comme on avait voulu le faire croire. La relève est bien en place, à tous les échelons, et de bons profils sortent des écoles et centres de formation, au grand bonheur des clubs professionnels.
Tous les succès ont été acquis grâce à des entraîneurs nationaux, qui ont tous eu à revêtir le maillot frappé de la tête de lion. Au demeurant, le sacre des U20, qui intervient après celui au Chan, apparaît comme le meilleur hommage qui pourrait être rendu par exemple au regretté Joseph Koto (décédé le 14 octobre 2021) et qui avait mené ces deux sélections à différentes finales infructueuses.
L’expertise sénégalaise a forcé le respect sur les terrains de football. Les dirigeants du football sénégalais méritent une fière ovation. L’esprit de la gagne s’est installé. Nous avons guéri nos blessures, nos désillusions, pour nous forger désormais un nouvel état d’esprit, un mental de compétiteurs, de gagneurs. En juillet 2019, au lendemain d’une défaite amère au Caire face à l’Algérie à la finale de la Can, le Sénégal avait dignement fêté ses héros, certes rentrés bredouilles. Ils étaient nombreux à se gausser de «la célébration de vaincus», mais nous ne nous y étions pas trompés. Nous indiquions, dans une chronique du 22 juillet 2019 intitulée «Panser nos plaies d’Egypte», que cette liesse populaire devra servir de catharsis à nos joueurs et leur indiquer la voie de la victoire. «La défaite face à l’Algérie est ce genre de défaite que nous devons fêter comme une victoire. Le Président Macky Sall et les supporters ne s’y sont pas trompés. Le Sénégal ne pouvait pas bouder son plaisir. Cette équipe aurait mérité de recevoir une prime équivalant à une prime de victoire. Relever la tête, se préparer encore et encore pour 2021. Les footballeurs sénégalais, pris par la déception, ont pu manifester quelques moments de faiblesse. Ce sentiment avait aussi gagné nombre d’entre nous autres supporters. Mais cet instant passé, il fallait ravaler la colère, la frustration et relever la tête. Des supporters sénégalais ont chialé comme ce fut le cas en 2002, à Bamako, quand nous avions été battus par le Cameroun, dans les mêmes conditions et circonstances.»
Encore une fois, derrière chaque réussite il y a un rêve, l’audace c’est d’y croire. C’est pourquoi, en allant à la Can suivante, nous osions croire «qu’au Cameroun, seule la victoire sera belle pour les Lions de la Teranga» (27 décembre 2021). Le pari avait été réussi de fort belle manière. Nous priions pour gagner une première coupe continentale afin d’exorciser en quelque sorte cette poisse de la défaite et surtout, nous implorions de gagner enfin une coupe pour «croire en nous-mêmes». L’objectif sera donc réalisé et nous nous autorisions à annoncer le printemps du Sénégal. Dans une chronique du 7 février 2022, nous écrivions avec assurance et peut-être beaucoup de toupet : «Je veux croire que le temps du Sénégal est arrivé.» «Nous devons certainement nous dire que c’est désormais le temps du Sénégal, car on ne fera pas la fine bouche, tout ce qu’il y a de meilleur en Afrique commence par le Sénégal ou est inspiré par notre pays. Les étoiles sont alignées. Côte d’Ivoire, retiens que le Sénégal arrive à la prochaine Can 2023 pour chercher une deuxième étoile !»
Nous ne pouvions pas deviner que les autres catégories ne s’en laisseraient pas conter ou ne sauraient pas ne pas se mettre à la hauteur de l’Equipe A. Tout cela ne tient pas d’un hasard ; ces victoires sont la récompense d’une résilience, mais surtout le Sénégal a réglé tous ses facteurs de contre-performance extra sportifs. C’est donc la victoire de l’unité, de la solidarité, de la ténacité et de l’abnégation. Le slogan lancé par le Président Macky Sall était «Manko indi Ndam li» (unis pour la victoire). En effet, on l’a fait avec le cœur, avec l’énergie et l’engagement. Le Sénégal veut le meilleur et sans complexe. Tout ce qui se construit de plus beau en Afrique commence par le Sénégal, disions-nous.
A force de continuer à gagner de la sorte, ça risquera de friser l’arrogance, mais on va continuer de le faire, de gagner, encore gagner, toujours gagner. J’ai reçu des messages de nombreux amis à travers l’Afrique, qui commencent à nous reprocher la boulimie de la gagne. Il faudrait bien qu’ils soient patients, nous ne lâcherons pas le morceau de sitôt. Le Sénégal a tellement couru derrière des trophées qu’on va les garder jalousement. Je revoyais hier une vidéo de 2002, quand le Président Wade jubilait à travers les rues de Dakar pour la victoire du Sénégal contre la France en Coupe du monde Corée-Japon. Sur le toit de la voiture présidentielle, on distinguait le Président Wade, la Première ministre Mame Madior Boye, Macky Sall, alors jeune ministre de l’Energie, et Karim Wade, fils du Président Wade. Seul un curieux hasard pouvait expliquer la présence de Macky Sall aux côtés du Président Wade en ces instants. Les voies du Seigneur sont impénétrables, disent les érudits ! Sportivement !
Erratum : Mairie de Ziguinchor : 3 des 5 milliards du budget sont fournis par Macky Sall
Dans notre chronique de la semaine dernière, 6 mars 2023, intitulée : «Les premiers échecs de Sonko à Ziguinchor : le Buyok guette le Burok», nous soulignions des risques de blocage de la mairie du fait du refus du Préfet d’approuver le budget. Des autorités compétentes de l’Etat du Sénégal nous ont saisi pour préciser que le Préfet de Ziguinchor a fini par vaincre ses résistances pour approuver le budget. En effet, l’augmentation du budget de 150%, qui le faisait passer de 2 à 5 milliards, ne tient pas en réalité d’appels à des souscriptions populaires volontaires, mais s’explique plutôt par les dotations de l’Etat du Sénégal à travers le Pacasen, pour des montants de 3 milliards, représentant la reconduction des crédits de l’exercice 2022 (1,5 milliard) qui n’avaient pas pu être mobilisés et ceux de l’exercice 2023 (1,5 milliard). Reste à savoir si le maire Ousmane Sonko, qui avait mis en veilleuse les réalisations du Pacasen, se résoudra à changer de politique. Un de nos interlocuteurs s’en amuse en disant : «Sonko devra remercier Macky Sall de lui permettre d’augmenter ainsi le budget de sa commune.» En tout état de cause, nous nous excusons auprès de nos lecteurs pour avoir écrit que le refus du Préfet d’approuver le budget tenait à ses réserves quant à la levée de fonds par des souscriptions populaires.
Post scriptum : Repose en paix grand avocat et ami !
Nous saluons la mémoire de notre ami Me Ousmane Sèye, avocat, brutalement arraché à notre affection le jeudi 9 mars 2023. Me Sèye m’avait défendu avec brio en 2004, lors de mon arrestation par le régime du Président Abdoulaye Wade. L’affaire avait fini par une décision judiciaire de «non-lieu» en ma faveur. J’entretenais des relations fraternelles avec Me Sèye. Que la terre de Touba, sa dernière demeure, lui soit légère !