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1 décembre 2024
Opinions
par Abdou Karim Gueye
CONTRIBUTION À LA RÉFLEXION SUR LA MODERNISATION DE L’ÉTAT
Sur le plan technique du management public, de la gouvernance et de la surveillance, je propose que nous allions plus loin que les propositions formulées dans le brillant texte de Souleymane Nasser Niang
(Suite au brillant article de Souleymane Nasser Niang)
Merci Nasser ! Une bonne et pertinente contribution aux grands débats qui auraient dû prévaloir par rapport aux problèmes et urgences de l’heure. Merci de requalifier les débats, ce qui manque terriblement de nos jours tant le vacarme a réussi cette prouesse de remplacer la recherche, l'expérience, l'expertise, etc. Votre texte rappelle aussi que depuis tant d'années des cadres sénégalais ont tout fait pour accélérer le progrès, mais il y a eu aussi l'autre équation du leadership éthique et méritocratique, apolitique au sens de la politique politicienne, capable de mobiliser des équipes transformationnelles ; car ce sont des leaders et des équipes qui gagnent, qui transforment l’État, le pays et la société... En ce sens, vous avez raison de rappeler l'impact de l'intangible et de l'immatériel dans les transformations durables et résilientes.
Sur le plan technique du management public, de la gouvernance et de la surveillance, je propose que nous allions plus loin :
- aujourd’hui, la gestion axée sur les résultats a besoin s'ouvrir à de nouveaux paradigmes, référentiels et outils plus récents en s'ajustant aux impératifs de la performance éthique ; elle prendrait en compte, de façon intégrée, l’analyse et la planification stratégiques, le management des risques (approche GRC), les contrôles internes, la généralisation de l'obligation de rendre compte et la mesure de la performance par des indicateurs clés (KPI) et des rapports de performance à tous les niveaux ; on rentrerait alors dans ce que certains ont appelé contrôle de gestion publique.
- D’ailleurs, une telle approche permettrait de véritables audits de la performance éthique car si le dispositif y afférent est bien formalisé, il serait possible de faire le lien avec toute une stratégie nationale de transparence, d'intégrité, de prévention, de détection, de dissuasion et de lutte contre les fraudes, les abus, les gaspillages et la corruption.
- S’agissant des audits stratégiques et organisationnels, je pense qu’on pourrait les « réinventer » quelque peu en y ajoutant une touche réengineering, car, aujourd’hui, la restructuration et les rationalisations, au-delà de l’examen des missions et des structures, doivent concerner les processus, les risques liés aux redondances, aux duplications, chevauchements, à l'absence de célérité et de culture client.
- Il y a aussi les questions liées notamment l’auditabilité et cette grande confusion entre les audits, les inspections/investigations et les évaluations. Certaines pratiques qualifiées d’audit ne le sont guère ; il faut revoir cela et ce n’est pas une mince affaire. En effet, il faudrait entamer les chantiers de l'auditabilité lesquels, à mon sens, font partie des chantiers de la modernisation et de la réforme de l’État. Je ne suis pas sûr non plus que face à la faible couverture des risques de toutes sortes notamment au niveau managérial, de la gouvernance, sociétal, de crises toujours possibles (fraudes, efficacité, environnement, inondations, pandémies, catastrophes naturelles, sanitaires, voire la vase typologie des risques dans la littérature), l’éclatement des corps de contrôle soit la bonne solution pour des États comme les nôtres aux faibles moyens. En effet, tout ce ceci, selon les cas, est auditable, évaluable, objet d’investigations, si la conception actuelle de ces métiers est bien comprise. Nous ne sommes pas obligés de suivre à la lettre des modèles venus d’ailleurs…
- Lorsque l’on a bien compris comment le nouveau management public et la nouvelle gouvernance se sont développés depuis 80-90, on voit mal comment, pour un réformateur sincère et compétent, ne pas prendre en compte les chantiers de la performance éthique, de la gouvernance de contrôle et de la gouvernance d’entreprise (conseil d'administration, comités des risques, d'audit, de normalisation, d'harmonisation, recrutements compétitifs, etc.).
Tout ceci est faisable au vu de perspectives, voire de normes et des bonnes pratiques internationales reconnues, de modèles, de dispositifs juridiques ou autres et de plusieurs outils et référentiels formalisés ailleurs et par rapport auxquels on est en retard. Beaucoup de pays (Dubaï, Malaisie, Singapour, Botswana, Corée du Sud, etc.) et leurs leaders (Lee Kuan Yew, Sheikh Maktoum, etc.) montrent que c’est possible, en quelques décennies. Mais, encore une fois, même si tous ces processus sont réformés, en l'absence de leadership éthique décomplexé, de pari sur les talents, de culture d'équité, de création de valeur comme la raison d’être ultime des dirigeants politiques et des manageurs de l'État en général, la transformation durable n'est pas garantie ; dans tous les cas, elle serait beaucoup plus lente. En fait, pour que les choses changent, il faut aussi que nous, sénégalais, changions, que la politique et les politiciens changent aussi.
Dr. Abdou Karim Gueye est Conférencier, coach certifié, formateur. DBA/MBA/ENAM/Faculté de droit, Inspecteur général d’État à la retraite, ancien Directeur général de l’École Nationale d’Administration et de Magistrature.
par l'éditorialiste de seneplus, félix atchadé
DE QUOI OUSMANE SONKO EST-IL LE NOM ?
EXCLUSIF SENEPLUS - Le leader de Pastef réactualise le "Mom sa Rew, bok sa rew et le Defar sa rew " des anciens, le rend populaire tout en atténuant sa radicalité. Il n’envisage la prise du pouvoir que par le suffrage universel
Félix Atchadé de SenePlus |
Publication 13/03/2023
Un spectre hante le président Macky Sall et son régime : le spectre d’Ousmane Sonko et de Pastef. L’appareil d’État, les instances judiciaires, des patrons de groupe de presse, les forces conservatrices, des intellectuels organiques, la coalition BBY, les vétérans de partis de gauche se sont constitués en une alliance pour anéantir ce spectre. La Confédération pour la démocratie et le socialisme (CDS) n’est pas en reste. Incapable d’avoir l’unité organique et d’actions promises aux militants il y a près d’une dizaine d’années, spectatrice impassible des dérives autoritaires du pouvoir, soutien indéfectible des politiques de démission nationale et de régression sociale, se découvre dorénavant la vocation de préserver le Sénégal d’Ousmane Sonko et de Pastef ! Sortant de sa léthargie et de son atonie éditoriale, en une dizaine de jours, elle a publié deux tribunes pour conjurer ce spectre.
Dans la toute dernière invoquant la « République et la démocratie », la CDS telles les marionnettes politiques que dénonçait Senghor dans son rapport sur la méthode au Ve congrès du Bloc démocratique sénégalais (BDS) des 3, 4 et 5 juillet 1953, a lancé des slogans importés de l’actualité politique européenne. Parlant, sans craindre le ridicule, de « populisme », « fachopopulisme », « néonazis », « islamisme radical anti confrérique » et de « groupes d’obédience irrédentiste » pour désigner Pastef et son leader. Il est temps de sortir de cette fantasmagorie qui ne sert qu’à escamoter le débat politique et d’exposer à partir de faits stylisés en rapport avec la situation socioéconomique et politique du pays ce qu’est ce parti.
Qu’est-ce que le populisme ?
Le ridicule et le caractère outrancier de certains qualificatifs de la CDS à l’endroit d’Ousmane Sonko et ses amis ne méritent pas qu’on s’y attarde. « Fachopopulisme », « néonazis », « islamisme radical anti confrérique » et « groupes d’obédience irrédentiste » ne sont que des injures sans grande originalité. Le seul terme de la déclaration de la CDS qui mérite l’attention est celui de « populisme ». Pastef et son dirigeant incarnent-ils un populisme ? Si oui, est-ce une rupture par rapport à la tradition politique sénégalaise ? Est-il porteur de solutions antidémocratiques, antirépublicaines et périlleuses pour l’unité nationale et la paix civile ?
Le populisme est un terme qui est revenu à la mode médiatique où il sert le plus souvent, mais pas toujours, le discours de disqualification des forces politiques qui sont porteuses de propositions alternatives au néolibéralisme mondialiste. Sur le plan étymologique, « populisme » dérive du latin populus qui veut dire peuple. Il est assez savoureux de noter qu’il a la même signification que la racine grecque (démos qui veut dire peuple) de démocratie. D’un point de vue académique, il n’y a pas de consensus sur sa signification. Pour les spécialistes de la science politique, il s’agit d’un terme qui prête à confusion. Il y a un consensus qui s’est noué récemment pour trouver deux constantes aux discours politiques désignés comme populisme : l’élite et le peuple. Le politologue néerlandais Cas Mudde définit le populisme comme « une idéologie qui considère que la société est séparée en deux groupes homogènes et antagonistes, le peuple et l’élite corrompue, et qui soutient que la politique devrait être une expression de la volonté générale du peuple. » Il y a des courants de pensée de la sociologie politique qui accorde un statut idéologique au populisme alors que d’autres ne lui en reconnaissent que la qualité ersatz idéologique. Le populisme est considéré tantôt comme un moyen de mobilisation des masses, d’autre fois — comme le théorise Esnesto Laclau — un projet d’émancipation pour instaurer la véritable démocratie dans laquelle le peuple est le véritable souverain.
Le peuple exalté recouvre deux réalités différentes selon que l’affiliation du populisme est de droite ou de gauche. À droite, la référence est l’ethnos c’est-à-dire la supposée communauté d’habitants partageant les mêmes ancêtres, divinités, cultes, sanctuaires et fêtes pour faire court « les nationaux de souche » qui sont menacés de « grand remplacement » par les populations d’origine étrangère. Dans la version de gauche, le peuple désigne les ouvriers, les employés, « ceux d’en bas » ; opposé à « ceux d’en haut », à la bourgeoisie, l’oligarchie, les « éditocrates », etc.
L’ascension politique d’Ousmane Sonko
En 2017, trois ans après la création de son parti Pastef, il est élu député à l’Assemblée nationale, mais son parti obtient moins de 1 % des voix aux législatives. En 2019, pour sa première participation au scrutin présidentiel il arrive troisième avec 16 % des suffrages exprimés. Au cours de la campagne électorale, Ousmane Sonko s’était présenté comme le candidat « antisystème ». Son programme était un plaidoyer pour l’exercice effectif de la souveraineté nationale. Sur le plan économique, il a proposé une sortie du franc CFA, présenté comme l’instrument de la mainmise française sur le Sénégal, dénoncé la fraude fiscale et critiqué le train de vie de l’État. Pour financer les réformes préconisées dans son programme, il a recommandé une mobilisation des ressources internes par une plus grande efficience de l’administration fiscale à la place de l’endettement extérieur inconsidéré en cours. Le thème politique qui a participé le plus grandement à son succès électoral a été la dénonciation des ponts d’or faits aux entreprises étrangères alors que les entrepreneurs locaux et l’industrie nationale étaient abandonnés à leur sort par l’état. Il promettait d’y remédier par un patriotisme économisme qui favoriserait l’essor de champions nationaux dans le domaine industriel. En dehors des propositions radicales énoncées plus haut, son programme dénommé Jotna, présentait des aspects plus consensuels comme l’exigence faire de l’agriculture le « fer de lance » de l’économie sénégalaise, « l’égalité de chance par l’éducation » pour tous, ou « la promotion de la femme ». Mais le discours politique pour antisystème qu’il fut n’a jamais épousé les contours d’un antiélitisme.
Les circonstances dans lesquelles Ousmane Sonko s’est fait connaitre sur la scène politique sénégalaise ont fait de lui, aux yeux de l’opinion, une figure incarnant la probité et le désintéressement. Pionnier du syndicalisme dans la haute fonction publique, lanceur d’alertes, revendiquant un parcours sans faute dans un corps où les tentations d’enrichissements illicites sont nombreuses, le président de Pastef était le candidat disruptif du scrutin présidentiel de 2019. C’est une personnalité charismatique aux influences éclectiques (anti-impérialiste, islam politique, nationalisme et panafricanisme). Son rigorisme musulman présenté par ses adversaires politiques comme le signe d’une adhésion au « salafisme » et ses avatars, ne l’a pas été empêché d’avoir de nombreux soutiens dans les milieux catholiques et les confréries musulmanes. Le curé d’une grande paroisse de Dakar rapporte que les jeunes et les femmes qui fréquentent son église revendiquent leur adhésion au discours de Ousmane Sonko et votent pour Pastef.
À l’élection présidentielle de 2019, le vote en faveur d’Ousmane Sonko a été celui des jeunes, des personnes avec un niveau d’instruction élevé et des citadins. À l’exception de la région de Ziguinchor sa percée dans les milieux ruraux était plutôt modeste. Dans la région de Dakar, il a fait de bons scores dans les quartiers réunissant les classes moyennes supérieures (Fann, Point E, Amitiés, Mermoz, Sacré-Cœur, etc.), dans les milieux populaires (grand-Yoff ; Parcelles Assainies, Keur Massar, Mbao) qui accueillent une majorité de populations pauvres, voire très pauvres. Il y a eu une pluralité sociologique dans le vote en sa faveur. Dans la diaspora sénégalaise, les zones d’immigration récente (Amérique du Nord, pays scandinaves, le Maghreb et les pays de la péninsule arabique) le vote qui se portait naguère sur le président en sortant, a choisi en 2019 Ousmane Sonko. En France, dans les villes universitaires il est sorti largement en tête. Au dernier scrutin présidentiel, Ousmane Sonko a réuni autour de sa personne une bonne partie du vote des plus aisés et des plus pauvres. Il cristallisait les revendications contre les inégalités sociales et la volonté de sortir de la domination française et de la démission nationale des régimes précédents.
Sur quel terreau poussent les semis pastefiens ?
Le Sénégal comptera à la fin de cette année 2023, un peu plus de 18 millions d’habitants. Il reste un pays rural (51 % de la population), jeune avec un âge médian (celui qui divise la population en deux parts égales) de 18,5 ans. Plus des trois quarts de la population sont âgés de moins de 35 ans. Chaque année, ils sont dizaines de milliers de jeunes qui arrivent sur le marché du travail sans trouver un emploi. C’est le secteur dit informel qui crée l’essentiel des emplois. Ceux-ci sont précaires et donnent des revenus irréguliers rendant l’accès au crédit bancaire difficile pour les travailleurs. La croissance économique tant vantée par les pouvoirs publics est erratique, vulnérable aux chocs extérieurs et est portée par la consommation privée et les investissements publics financés par l’endettement extérieur. Les investissements ont très peu d’effets d’entraînement sur l’économie réelle et ses nombreux entrepreneurs nationaux. La croissance économique n’est pas inclusive et le taux de pauvreté reste élevé (37 % de la population). Les inégalités se sont creusées, la part de la richesse nationale détenue par les 20 % les plus pauvres n’a pas augmenté depuis vingt ans. Les 10 % les plus riches détiennent le tiers de la richesse nationale. Les scandales financiers se succèdent sans que les auteurs de ces véritables actes de prédations soient inquiétés.
Les libertés individuelles et publiques n’ont jamais été autant bafouées dans l’histoire contemporaine du pays. Des dizaines de militants politiques, associatifs, activistes et youtubeurs sont en détention préventive pour des commentaires ou des propos passionnés. Des députés, des maires issus des rangs de l’opposition ont également. Faisant l’impasse sur la valeur instrumentale du droit, comme le souligne si pertinemment Jurgen Habermas, dans la formation de l’opinion du citoyen, le pouvoir en répétant ad nauseam que « force doit rester à la loi » veut en faire une fin. Et encore ! C’est faire trop d’honneur à ce pouvoir que de ne pas voir que l’évocation de la loi n’est que le « cache-misère » de l’arbitraire le plus barbare. Les réunions publiques de l’opposition ne sont qu’exceptionnellement autorisées. À l’occasion des dernières élections législatives, le Conseil constitutionnel a décidé de priver les citoyens de choix pour une erreur matérielle dans l’établissement de la liste de la coalition d’opposition Yewi Askan Wi (YAW) dont le Pastef est membre.
Les manifestations sont réprimées avec violence inouïe. Depuis mars 2021, on a dénombré 17 personnes tuées et plus de 600 blessés. À la différence du président Abdou Diouf, au pouvoir de 1981 à mars 2000, dont la doctrine en matière de maintien d’ordre était claire et précise : « pas d’utilisation d’armes létales », on ne sait rien des ordres donnés par Macky Sall. On peut toutefois constater que les forces de l’ordre sont surarmées et selon plusieurs rapports d’organisations de droits de l’homme les manifestants tués le sont avec des armes létales utilisées par la police ou la gendarmerie.
Quel est le projet d’Ousmane Sonko ?
Depuis l’élection présidentielle de février 2019, le champ politique sénégalais a connu de nombreuses mutations. Avec le ralliement d’Idrissa Seck au pouvoir, Ousmane Sonko est devenu le principal opposant. Le cadre très schimittien[1] en place depuis 2012, qui fait du rapport « ami-ennemi » la clef de structuration du jeu politique s’est davantage accentuée depuis 2019. À la mobilisation de l’appareil d’État pour le mettre hors de courses, Ousmane Sonko en a appelé au peuple pour se défendre. Le peuple à lui, c’est d’abord la jeunesse à qui il demande de ne pas se faire « voler le projet » censé parachevé la « révolution sociale » initiée par Senghor et Mamadou Dia et interrompue en 1962 par la mise à l’écart du dernier nommé.
À part la jeunesse, dans « son peuple » il inclut les travailleurs du secteur informel — des femmes, dans leur écrasante majorité — la petite bourgeoisie (enseignants, personnels de santé, techniciens, ingénieurs, etc.), les ndongo daara[2]… La paysannerie reste un angle mort de son discours sur le peuple et c’est également une limite dans la continuité qu’il voit entre son « projet » et celui de Mamadou Dia. S’il faut trouver un continuum avec les formes d’expression politique du passé, il faut le rechercher du côté du Manifeste du PAI de 1957. Ousmane Sonko réactualise le « Mom sa Rew, bok sa rew et le Defar sa rew »[3] des anciens, le rend populaire tout en atténuant sa radicalité. Il le fait parce qu’il n’envisage la prise du pouvoir que par le suffrage universel ce qui n’était pas le cas des initiateurs du PAI. Et pour finir, il est accommodant avec l’essentiel des formes de légitimité traditionnelle.
Ousmane Sonko incarne un courant de pensée nationaliste ou souverainiste comme on le dit plus volontiers actuellement. Cet attachement à la patrie n’est pas du chauvinisme et il n’y aucune exaltation de l’ethnos dans son discours. Il en appelle à une révolution citoyenne pour que la démocratie sénégalaise tienne ses promesses de liberté et d’égalité. Ce discours a d’autant plus de succès auprès des Sénégalais que depuis une décennie la démocratie est bafouée et que nous sommes dans une caricature d’État de droit. Les appels au peuple d’Ousmane Sonko sont en résonnance avec les propos d’Amílcar Cabral[4] : « ne pas avoir peur du peuple et l’amener à participer à toutes les décisions qui le concernent — telle est la condition fondamentale de la démocratie révolutionnaire que nous devons réaliser progressivement. » La CDS renie-t-elle Amílcar Cabral ?
[3] Indépendance, unité et construction nationales
[4] Amílcar Cabral (12 septembre 1924 – 20 janvier 1973), alias Abel Djassi, est le fondateur du Parti africain l’indépendance de la Guinée et du Cap-Vert (PAIG) C qui amena à l’indépendance ces deux États colonisés par le pour Portugal.
par Madiambal Diagne
LES VICTOIRES DES LIONS NE FONT QUE COMMENCER
L’expertise sénégalaise a forcé le respect sur les terrains de football. Les dirigeants du football sénégalais méritent une fière ovation. L’esprit de la gagne s’est installé. Nous avons guéri nos blessures, nos désillusions
Gagner un trophée en football est toujours une exception, une singulière distinction, mais qui tend à devenir ordinaire au Sénégal. L’Equipe de football des U20 vient de remporter, au Caire (Egypte), la Coupe d’Afrique de sa catégorie en battant la vaillante Equipe de Gambie sur le score de 2 buts à 0. On réalise qu’un mois auparavant, le Sénégal avait battu l’Equipe d’Algérie sur ses terres, à la finale du Chan, un autre tournoi continental réservé aux footballeurs qui évoluent dans les championnats nationaux en Afrique. En octobre 2022, les Lions du beach soccer avaient fini de remporter au Mozambique, leur septième Coupe d’Afrique. En février 2022, l’Equipe A de football avait triomphé à la Coupe d’Afrique des nations (Can) au Cameroun, en battant l’Egypte. Un mois plus tard, le Sénégal validera son ticket pour la Coupe du monde du Qatar aux dépens des mêmes Pharaons d’Egypte. L’équipe des sourds-muets avait elle aussi gagné en septembre 2021, la Coupe d’Afrique des nations de football réservée à cette catégorie de personnes handicapées. Le Sénégal va se présenter en grandissime favori de la Can U17 qui se jouera en Algérie, du 29 avril au 19 mai 2023. En attendant d’autres succès, si on compte bien, en l’espace d’une année, le Sénégal a gagné tout ce qui pouvait l’être en Afrique : un quintuplé historique, jamais réalisé par un pays dans aucune partie du monde !
Notre galerie de trophées a besoin d’être agrandie. A la clé, les Lions du Sénégal sont systématiquement qualifiés parmi les représentants de l’Afrique aux Coupes du monde de football ! Il est à noter qu’à chaque fois, les Sénégalais gagnent le trophée collectif et raflent en même temps la plupart des trophées individuels décernés aux joueurs. C’est dire que le Sénégal est sur le toit de l’Afrique, et devra y rester pour longtemps encore. En effet, ces grosses performances ne sont pas isolées et obéissent à une dynamique de victoires, une logique immuable. La relève des équipes est assurée avec les petites catégories qui savourent déjà l’exquis goût de la victoire. Les Lions victorieux du Chan ont montré que le Sénégal ne gagne pas que grâce à ses binationaux, comme on avait voulu le faire croire. La relève est bien en place, à tous les échelons, et de bons profils sortent des écoles et centres de formation, au grand bonheur des clubs professionnels.
Tous les succès ont été acquis grâce à des entraîneurs nationaux, qui ont tous eu à revêtir le maillot frappé de la tête de lion. Au demeurant, le sacre des U20, qui intervient après celui au Chan, apparaît comme le meilleur hommage qui pourrait être rendu par exemple au regretté Joseph Koto (décédé le 14 octobre 2021) et qui avait mené ces deux sélections à différentes finales infructueuses.
L’expertise sénégalaise a forcé le respect sur les terrains de football. Les dirigeants du football sénégalais méritent une fière ovation. L’esprit de la gagne s’est installé. Nous avons guéri nos blessures, nos désillusions, pour nous forger désormais un nouvel état d’esprit, un mental de compétiteurs, de gagneurs. En juillet 2019, au lendemain d’une défaite amère au Caire face à l’Algérie à la finale de la Can, le Sénégal avait dignement fêté ses héros, certes rentrés bredouilles. Ils étaient nombreux à se gausser de «la célébration de vaincus», mais nous ne nous y étions pas trompés. Nous indiquions, dans une chronique du 22 juillet 2019 intitulée «Panser nos plaies d’Egypte», que cette liesse populaire devra servir de catharsis à nos joueurs et leur indiquer la voie de la victoire. «La défaite face à l’Algérie est ce genre de défaite que nous devons fêter comme une victoire. Le Président Macky Sall et les supporters ne s’y sont pas trompés. Le Sénégal ne pouvait pas bouder son plaisir. Cette équipe aurait mérité de recevoir une prime équivalant à une prime de victoire. Relever la tête, se préparer encore et encore pour 2021. Les footballeurs sénégalais, pris par la déception, ont pu manifester quelques moments de faiblesse. Ce sentiment avait aussi gagné nombre d’entre nous autres supporters. Mais cet instant passé, il fallait ravaler la colère, la frustration et relever la tête. Des supporters sénégalais ont chialé comme ce fut le cas en 2002, à Bamako, quand nous avions été battus par le Cameroun, dans les mêmes conditions et circonstances.»
Encore une fois, derrière chaque réussite il y a un rêve, l’audace c’est d’y croire. C’est pourquoi, en allant à la Can suivante, nous osions croire «qu’au Cameroun, seule la victoire sera belle pour les Lions de la Teranga» (27 décembre 2021). Le pari avait été réussi de fort belle manière. Nous priions pour gagner une première coupe continentale afin d’exorciser en quelque sorte cette poisse de la défaite et surtout, nous implorions de gagner enfin une coupe pour «croire en nous-mêmes». L’objectif sera donc réalisé et nous nous autorisions à annoncer le printemps du Sénégal. Dans une chronique du 7 février 2022, nous écrivions avec assurance et peut-être beaucoup de toupet : «Je veux croire que le temps du Sénégal est arrivé.» «Nous devons certainement nous dire que c’est désormais le temps du Sénégal, car on ne fera pas la fine bouche, tout ce qu’il y a de meilleur en Afrique commence par le Sénégal ou est inspiré par notre pays. Les étoiles sont alignées. Côte d’Ivoire, retiens que le Sénégal arrive à la prochaine Can 2023 pour chercher une deuxième étoile !»
Nous ne pouvions pas deviner que les autres catégories ne s’en laisseraient pas conter ou ne sauraient pas ne pas se mettre à la hauteur de l’Equipe A. Tout cela ne tient pas d’un hasard ; ces victoires sont la récompense d’une résilience, mais surtout le Sénégal a réglé tous ses facteurs de contre-performance extra sportifs. C’est donc la victoire de l’unité, de la solidarité, de la ténacité et de l’abnégation. Le slogan lancé par le Président Macky Sall était «Manko indi Ndam li» (unis pour la victoire). En effet, on l’a fait avec le cœur, avec l’énergie et l’engagement. Le Sénégal veut le meilleur et sans complexe. Tout ce qui se construit de plus beau en Afrique commence par le Sénégal, disions-nous.
A force de continuer à gagner de la sorte, ça risquera de friser l’arrogance, mais on va continuer de le faire, de gagner, encore gagner, toujours gagner. J’ai reçu des messages de nombreux amis à travers l’Afrique, qui commencent à nous reprocher la boulimie de la gagne. Il faudrait bien qu’ils soient patients, nous ne lâcherons pas le morceau de sitôt. Le Sénégal a tellement couru derrière des trophées qu’on va les garder jalousement. Je revoyais hier une vidéo de 2002, quand le Président Wade jubilait à travers les rues de Dakar pour la victoire du Sénégal contre la France en Coupe du monde Corée-Japon. Sur le toit de la voiture présidentielle, on distinguait le Président Wade, la Première ministre Mame Madior Boye, Macky Sall, alors jeune ministre de l’Energie, et Karim Wade, fils du Président Wade. Seul un curieux hasard pouvait expliquer la présence de Macky Sall aux côtés du Président Wade en ces instants. Les voies du Seigneur sont impénétrables, disent les érudits ! Sportivement !
Erratum : Mairie de Ziguinchor : 3 des 5 milliards du budget sont fournis par Macky Sall
Dans notre chronique de la semaine dernière, 6 mars 2023, intitulée : «Les premiers échecs de Sonko à Ziguinchor : le Buyok guette le Burok», nous soulignions des risques de blocage de la mairie du fait du refus du Préfet d’approuver le budget. Des autorités compétentes de l’Etat du Sénégal nous ont saisi pour préciser que le Préfet de Ziguinchor a fini par vaincre ses résistances pour approuver le budget. En effet, l’augmentation du budget de 150%, qui le faisait passer de 2 à 5 milliards, ne tient pas en réalité d’appels à des souscriptions populaires volontaires, mais s’explique plutôt par les dotations de l’Etat du Sénégal à travers le Pacasen, pour des montants de 3 milliards, représentant la reconduction des crédits de l’exercice 2022 (1,5 milliard) qui n’avaient pas pu être mobilisés et ceux de l’exercice 2023 (1,5 milliard). Reste à savoir si le maire Ousmane Sonko, qui avait mis en veilleuse les réalisations du Pacasen, se résoudra à changer de politique. Un de nos interlocuteurs s’en amuse en disant : «Sonko devra remercier Macky Sall de lui permettre d’augmenter ainsi le budget de sa commune.» En tout état de cause, nous nous excusons auprès de nos lecteurs pour avoir écrit que le refus du Préfet d’approuver le budget tenait à ses réserves quant à la levée de fonds par des souscriptions populaires.
Post scriptum : Repose en paix grand avocat et ami !
Nous saluons la mémoire de notre ami Me Ousmane Sèye, avocat, brutalement arraché à notre affection le jeudi 9 mars 2023. Me Sèye m’avait défendu avec brio en 2004, lors de mon arrestation par le régime du Président Abdoulaye Wade. L’affaire avait fini par une décision judiciaire de «non-lieu» en ma faveur. J’entretenais des relations fraternelles avec Me Sèye. Que la terre de Touba, sa dernière demeure, lui soit légère !
Par Félix NZALE
PATHOLOGIES DEMOCRATIQUES
Repenser la démocratie en Afrique en particulier, quelle besogne ! D’emblée, il faut reconnaître que cette question est un véritable serpent de mer, parce que la démocratie est un processus continu de réinvention
L’expression est de l’éminent sémiologue Alioune Tine, président d’Afrika Jom Center structure initiatrice d’un séminaire de trois jours (du 8 au 10 Mars, à Dakar), sur les problématiques des démocraties en Afrique. Séminaire qui a réuni des intellectuels, spécialistes, et hommes politiques venus de tout le continent et d’ailleurs.
Repenser la démocratie en Afrique en particulier, quelle besogne ! D’emblée, il faut reconnaître que cette question est un véritable serpent de mer, parce que la démocratie est un processus continu de réinvention. Dans la théorie et dans la pratique. Une réinvention qui, bien évidemment, ne saurait faire abstraction du référentiel culturel, entendu que la démocratie est avant tout une culture.
C’est d’autant plus vrai que les sociétés africaines en général sont des sociétés d’inégalité et de domination. Arriver à l’idée d’une conception de l’homme, de la femme, du citoyen, comme des unités d’égale importance est déjà en soi un défi.
Depuis les indépendances, on essaie mais n’y arrive pas. Et c’est cela le problème. On y arrive pas parce qu’on a cru qu’il fallait un système autoritaire pour effacer les différences et créer un «homme sénégalais», un «homme ivoirien», un «homme burkinabé», etc, pour un projet commun. L’on a oublié qu’effacer ces différences serait contreproductif dans la mesure où c’est précisément dans la différence que germe l’unité.
En reconnaissant que les personnes sont d’égale dignité, cela les amène à délibérer et à porter un projet discuté et accepté par tous. Cet «autoritarisme développementaliste», selon le concept du professeur Mamadou Diouf de l’Université de Columbia (Etats Unis d’Amérique), n’a rien donné. Aujourd’hui, on vit dans des démocraties de papier. Institutionnelles, certes, mais qui ne sont pas portées par une culture démocratique. Les 3èmes mandats sont l’illustration parfaite de ce décalage entre la décision institutionnelle et la culture qui doit la porter. De ce point de vue, l’éducation est-elle en cause ? Au Sénégal, on injecte des milliards dans l’école mais on peine à éduquer nos gosses. De là à dire qu’il y a un problème éthique, c’est clairement répondre par l’affirmative. Cela dit, ce dont notre pays et les pays africains en général ont besoin, essentiellement, c’est d’une refondation morale. Les bases morales de nos sociétés sont pourries. Et à tous les niveaux : de l’individu à la famille, de la feuille à la communauté, et de la communauté à la Nation.
Les intellectuels, eux, sont souvent pointés comme des défaillants. Mais force est de reconnaitre que l’intellectuel n’est pas le Messie. Un projet démocratique doit être porté par tous, et selon les modes d’appréciation différents. C’est cela qui permet de conjuguer ensemble. Il est vrai que nos intellectuels posent aussi problème puisqu’ils ont généralement tendance à utiliser leur statut pour accéder à des privilèges, à légitimer des pouvoirs corrompus, et/ou à justifier des décisions impopulaires, voire anti-démocratiques. Ils se muent ainsi en sujets frénétiques et obséquieux. La crise socio-politique que nous vivons, ici au Sénégal en particulier, résulte en partie de tout ce qui est dit. Le système est bloqué dans une démocratie inachevée et dont, pourtant, tout le monde se targue dans l’ignorance qu’on est en train de semer les graines d’un futur chaotique et grave de dangers.
Enfin, la «pensée est morte» pour reprendre le mot de M. Tine. Les marabouts et la classe religieuse dans son ensemble sont discrédités. Ceux qui, hier, étaient capables d’arrêter les hommes politiques n’en sont plus capables aujourd’hui. Ils avaient un crédit moral à présent épuisé. Parce que pris au piège de la manipulation et de l’instrumentalisation par les politiciens. Mais comme on dit, quand on n’a plus de vision d’avenir, le peuple est incontrôlable.
par Mamadou Abdoulaye Sow
ATTEINTE AU PRINCIPE DU DROIT DE LA PROPRIÉTÉ
En l’absence d’une loi autorisant la baisse des loyers des locaux à usage d'habitation non donnés en bail suivant la méthode de la surface corrigée, la légalité du décret n° 2023-382 du 24 février 2023 se pose
La baisse du montant de tout loyer, par voie règlementaire, est une atteinte à un « principe fondamental » du droit de propriété garanti par la Constitution
Le gouvernement a estimé que la loi n° 2014-03 du 22 janvier 2014 portant baisse des loyers n’ayant pas été calculés suivant la surface corrigée est intervenue dans le domaine règlementaire. En application de l’article 76 de la Constitution, il a saisi le Conseil constitutionnel aux fins de déclarer que les dispositions de la loi précitée ont un caractère réglementaire et peuvent être modifiées par décret.
On s’étonne que le même pouvoir politique qui a fait figurer dans cette loi des dispositions de nature réglementaire qu’il a fait adopter par le législateur vienne dire neuf ans après la promulgation de la loi que l’Assemblée nationale a empiété sur ses prérogatives. C’est curieux que ni le rédacteur du projet de loi, ni aucun membre du gouvernement ni aucun député ne se soient rendu compte que les articles premier et 2 de la loi de 2014 relèvent du domaine réglementaire. Pour autant, rien n’empêchait le gouvernement de demander l’abrogation des normes de la loi de nature réglementaire et de reprendre les dispositions abrogées dans un décret, sans avoir à recourir à la procédure de l'article 76 de la Constitution.
Le Conseil a rendu ses conclusions dans sa décision n° 2/C/23 du 1er février 2023. A l’appui de ses conclusions, il considère que « le législateur, par la loi portant Code des obligations civiles et commerciales en son article 572, alinéa 2 a prévu que les modalités de fixation des montants des loyers sont déterminées par décret… » (Considérant 7). Au final, il a jugé que « les dispositions des articles premier et 2 de la loi n° 2014-03 du 22 janvier 2014 ont un caractère règlementaire ». En revanche, pour le troisième et dernier article de la loi, il n’a pas fourni des éléments sur son sort, se contentant d’indiquer que « les dispositions de l’article 3 de la même loi relèvent du domaine législatif ». On aurait souhaité qu’il déclare que les dispositions de l’article 3 ne sont plus en vigueur.
La disposition de l’article 572 du Code des obligations civiles et commerciales (COCC) mérite d’être explicitée. Cet article est ainsi écrit [1]:« Que le bail soit à durée déterminée ou à durée indéterminée, le montant du loyer est fixé par rapport à l’évaluation faite de la valeur de l’immeuble.
Les modalités d’application du présent article sont fixées par décret ».
Il pose le principe que le prix des loyers à usage d’habitation est règlementé et renvoie à un décret d’application qui a pour objet de définir les règles de calcul des montants des loyers à usage d’habitation. Pour le dire autrement, le décret d’application de l’article 572 indique comment, en fait, le prix des loyers doit être calculé [2]. Le même article renvoie implicitement à un décret qui précise les modalités d’évaluation de la valeur de l’immeuble. C’est en ce sens qu’ont été édictés depuis plus de quarante ans un décret fixant les modalités d’évaluation de la valeur de l’immeuble et un décret relatif au montant du loyer des locaux à usage d’habitation.
La décision de délégaliser la loi du 22 janvier 2014 semble discutable du fait que la loi en question est la base légale de la baisse des loyers de 2014.
Il y a un amalgame entre la définition des règles de calcul du prix des loyers qui relève du pouvoir règlementaire et la baisse des montants des loyers qui relève des principes fondamentaux du régime de la propriété que l'article 67 de la Constitution réserve au domaine de la loi.
Les modalités de calcul du loyer des locaux à usage d’habitation au sens de l’article 568 du COCC relèvent du domaine réglementaire
Dans la situation actuelle, nous avons deux décrets (le décret n° 77-527 du 23 juin 1977 et le décret n° 2023-382 du 24 février 2023) dont la nature juridique se présente en des termes bien différents.
Le décret n° 77-527 du 23 juin 1977 est un règlement d’application de l’article 572 du COCC [3]
Sur le fondement des anciens articles 572, 575 et 578 du COCC, avait été pris le décret n°76-696 du 9 juillet 1976 relatif au montant du loyer des immeubles donnés en bail pour une durée indéterminée. À la suite des nouveaux articles 572 et 572-1 qui posent le principe que tous les loyers d’habitation sont désormais à prix réglementé, le décret n° 77-527 du 23 juin 1977 relatif au montant du loyer des locaux à usage d’habitation est venu étendre aux baux à durée déterminée les dispositions du décret du 9 juillet 1976 évoqué ci-dessus. De nos jours, c’est donc le décret n° 77-527 du 23 juin 1977, modifié par les décrets n° 81-609 du 17 juin 1981 et n° 2014-143 du 5 février 2014 [4], qui fixe les règles de calcul des loyers des locaux énumérés à l’article 568 du COCC.
Le principe est la liberté de fixation des loyers par les parties au contrat de louage. L’article 7 du décret pose la règle selon laquelle « le montant du loyer est arrêté d’un commun accord entre le bailleur et le locataire »[5]. Toutefois, cette liberté est encadrée par la loi pour protéger le locataire. C’est en ce sens que fut adoptée la loi n° 81-21 du 25 juin 1981 réprimant la hausse illicite du loyer des locaux à usage d’habitation. Elle est également encadrée par le décret d’application prévu par l’article 572 du COCC.
Un taux « plafond » est fixé par le décret de 1977 [6]. Pour tous les contrats de louage portant sur des locaux à usage d’habitation régis par le COCC, l’article 7 du décret a plafonné les taux à appliquer à la valeur réelle de l’immeuble. Trois taux à ne pas dépasser sont actuellement en vigueur en fonction du type d’immeuble [7]:
Le taux de 10% qui s’applique aux catégories 4, 5, 6 et 7 des maisons individuelles et des catégories D, E, F et G des immeubles collectifs ;
Le taux de 12% réservé à la deuxième et troisième catégorie des maisons individuelles et aux catégories B et C des immeubles collectifs ;
Le taux de 13, 44 % pour la première catégorie des maisons individuelles et la catégorie A des immeubles collectifs.
La révision de la valeur locative d’un bail en cours n’est possible qu’au bout de trois ans. L’article 13 prévoit que « la valeur locative ne peut être révisée qu’à l’expiration d’une période de trois ans … ».
Le décret n° 2023-382 du 24 février 2023n’est pas un décret d’application de l’article 572 du COCC
Si l’on se limite au Considérant 7 de la décision constitutionnelle, le décret à édicter devrait être un règlement d’exécution de l’article 572 de la loi portant COCC (un tel texte a un caractère permanent) alors la requête du Gouvernement porte sur un décret qui procède de l’article 76 alinéa 2 de la Constitution c’est à dire qui porte sur des matières non réservées au législateur Or, pour ce règlement dit « autonome » pris en application de l’article 76 de la Constitution, « le principe est qu’il ne doit pas exister de lois [8]» c’est à dire le pouvoir règlementaire est exercé sans une base législative[9]. Dans notre cas d’espèce, on doit être en présence de dispositions décrétales non rattachables à l’application de l’article 572 du COCC.
Seulement voilà, le COCC ne distingue pas les locaux à usage d’habitation pour lesquels le loyer est fixé librement et ceux pour lesquels le loyer est fixé par référence à la méthode de la surface corrigée. De notre point de vue, toute location à usage d’habitation au sens de l’article 568 du COCC devrait être soumise aux dispositions d’ordre public du COCC (cf. article 569) et il ne devrait pas en être autrement pour les loyers n’ayant pas été calculés suivant la surface corrigée.
Pour le reste, le décret de 2023 appelle les commentaires suivants :
Les dispositions de la loi étant remplacées, on peut se demander s’il y a lieu « d’abroger et de remplacer ». « L’abrogation résulte de plein droit du remplacement de la disposition ancienne par la disposition nouvelle qui en prend la place [10]». Étant destiné à remplacer les deux articles de la loi de 2014 en ne laissant exister que le troisième article, le texte du décret du 24 février 2023 devrait, à notre sens, être présenté comme autonome et abroger la loi de 2014.
Le second alinéa de l’article premier introduit des dispositions nouvelles sur les conditions d’accès à la location (elles n’existaient pas dans la loi de 2014) qui méritent d’être mises en harmonie avec le dernier alinéa de l’article 7 du décret de 1977[11].
D’après le second alinéa de l’article 2, « (le décret de 2023) ne s’applique pas aux bailleurs qui continuent d’observer les baisses édictées par la loi n° 2014-03 du 22 janvier 2014… ». Les dispositions des articles 1er et 2 de cette loi étant abrogées et remplacées par de nouvelles dispositions d’ordre règlementaire, quel est le texte qui sert de fondement juridique des taux de 29%, 14% et 4% que ces bailleurs vont continuer d’appliquer à la place des nouveaux taux de 15 %, 10% et 5% entrés en vigueur à compter du 1er mars 2023.
Enfin, la question est posée de savoir quelle est la portée de la disposition non délégalisée de la loi de 2014[12]. La question interpelle les très éminents juristes de notre pays.
Si l’on admet que les baux des loyers non calculés suivant la surface corrigée ne sont pas soumis au COCC (ce que semble confirmer l’alinéa premier de l’article 2 du nouveau décret de 2023 [13]), du moins en matière de fixation des montants des loyers, la baisse des loyers de ces baux ne peut être autorisée par voie règlementaire sans une base légale.
La baisse de tout loyer concerne les principes fondamentaux du régime de la propriété que l'article 67 de la Constitution réserve au domaine de la loi
Une question est posée : quelle est la signification de la dernière phrase de l’exposé des motifs de loi de 2014 : « La présente loi est donc un référent de baisse, qui s'applique aux locaux à usage d'habitation qui n'ont pas été donnés en bail suivant la méthode de la surface corrigée. » ?
Nous répondrons clairement que « le référent de baisse » veut dire le fondement légal ou juridique de la baisse[14].
En définitive, la baisse des loyers en 2014 a pour base légale la loi n° 2014-03 du 22 janvier 2014.
Le montant de tout loyer arrêté d’un commun accord entre le bailleur et le locataire ne peut être baissé, par voie décrétale, sans porter atteinte à un « principe fondamental » du droit de propriété d’où l’exigence d’une loi.
Conclusion
En l’absence d’une loi autorisant la baisse des loyers des locaux à usage d'habitation non donnés en bail suivant la méthode de la surface corrigée, la légalité du décret n° 2023-382 du 24 février 2023 se pose [15].
Il est souhaitable de prévoir que les projets de décrets pris en application du deuxième alinéa de l’article 76 de la Constitution soient soumis à l’avis de la Cour suprême.
Mamadou Abdoulaye sow est Inspecteur principal du Trésor à la retraite.
[1] À l’origine, il y avait l’article 572-1 issu de la loi n° 77-61 du 26 mai 1977 prescrivant l’obligation pour les parties de calculer à la surface corrigée le montant du loyer de tout local à usage d’habitation. La rédaction actuelle est issue de la loi n° 84-12 du 4 janvier 1984.
[2] Cf exposé des motifs de la loi n° 77-62 du 26 mai 1977 relative à la fixation, à titre transitoire, du montant du loyer des locaux à usage d’habitation.
[3] Il y a lieu d’ajouter le décret n° 81-683 du 7 juillet 1981 fixant les éléments de calcul du loyer des locaux à usage d’habitation date de 1981, modifié par le décret n° 2014-144 du 5 février 2014 ainsi que le décret n° 85-053 du 15 janvier 1985 fixant le mode de calcul des frais d’évaluation des locaux à usage d’habitation.
[4] Auparavant, il y avait le décret n° 76-696 du 9 juillet 1976 relatif au montant du loyer des immeubles donnés en bail pour une durée indéterminée.
Le décret n° 81-609 du 17 juin 1981 est venu abroger et remplacer les articles 6, 7 alinéa 2 et 12. L’article 6 prévoit que la fixation des éléments de calcul du prix des loyers par décret et non plus par simple arrêté du ministre chargé des prix (article 6). Au terme de ce décret de 1981, la valeur plafond était pour l’année était de 14% de la valeur réelle de l’immeuble.
Le décret n° 2014-143 du 5 février 2014 modifie l’article 7 alinéa 2 du décret du 23 juin 1977.
[5] L’article 42 du COCC définit la liberté de contracter comme la liberté « de contracter ou de ne pas contracter, d'adopter toute espèce de clauses de modalités, les parties ne peuvent cependant porter atteinte par conventions particulières à l'ordre public ou aux bonnes mœurs ».
[6] En 1977, un taux normal de 12 pour cent de la valeur réelle de l’immeuble avait été fixé ; taux pouvant être porté à 18 pour cent pour les immeubles de très grand luxe.
[8] René Chapus, « Droit administratif général », Tome 1, 15ème édition, Montchrestien 2001, p. 660.
[9] Conseil d’État France, 8 février 1985, Association des centres E. Leclerc.
[10] cf. Cours « Introduction à la rédaction d’actes administratifs »
[11] Cet alinéa énonce que “le montant du cautionnement et des loyers à verser d’avance à titre de garantie ne peut excéder une somme correspondant à deux mois de loyers”.
[12] Il ne reste que l’article 3 ainsi libellé : « Toute violation de la présente loi expose son auteur aux sanctions prévues par la loi n° 81-21 du 25 juin 1981 réprimant la hausse illicite du loyer des locaux à usage d'habitation ».
[13] Cette disposition énonce que le décret s’applique aux baux à usage d’habitation régis par le Code des obligations civiles et commerciales en cours à compter de son entrée en vigueur.
[14] Le législateur de 2014 aurait dû renvoyer à un décret qui précise les modalités d’application notamment les critères de fixation des taux de baisse.
[15] Malgré le fait que la décision du juge constitutionnel a autorité de chose jugée.
par Souleymane Nasser Niane
PLAIDOYER POUR RÉFORMER L’ÉTAT ET MODERNISER L’ADMINISTRATION PUBLIQUE
Le président de la République qui nomme à tous les emplois civils et militaires est un anachronisme. La politisation massive de notre administration est contreproductive et explique les contreperformances dans plusieurs secteurs
Le Sénégal devrait se porter mieux si on interroge le bilan des deux mandats du président Macky Sall au-delà du prisme des réalisations physiques et autres infrastructures édifiées qui peuvent rivaliser, voir surclasser le bilan du président Abdoulaye Wade.
Mais l’enjeu c’est de restaurer la confiance et surtout l’espoir par des reformes qui vont changer véritablement le cours des choses avec l’avènement d’une nouvelle citoyenneté.
La croissance de notre économie a été entre 2014 et 2018 en hausse continue en s’établissant à plus de 6% par an. Nos ressources budgétaires ont connu une hausse moyenne de 10% ces quatre (4) dernières années passant de 4215 milliards en 2020 à 4589 milliards en 2021, à 5002 milliards en 2022 et sont projetées à plus de 6400 milliards en 2023.
La manne financière gazière et pétrolière va impacter notre trésorerie dès cette année 2023 (bien que faiblement d’environ 52 milliards) et plus substantiellement (de plus de 700 milliards) à partir de 2024.
Le contexte Covid a révélé une certaine résilience de notre économie même si nous avons sans doute manqué de saisir certaines opportunités qui auraient pu changer certains de nos choix en matière d’investissements et ancrer mieux notre économie vers des options plus innovantes avec l’utilisation de technologies plus adaptées basées sur le génie sénégalais.
Mais le contexte Covid, avec sans doute les effets de la guerre (Russie-Ukraine), a également révélé nos faiblesses et la vulnérabilité de notre économie, qui peine à se transformer.
Entendons-nous bien, chaque régime qui s’installera va vouloir exhiber ses réalisations physiques, ses différents édifices, ses monuments pour témoigner de son passage, mais la postérité retiendra souvent et surtout des référents immatériels qui amènent à construire un Sénégal nouveau avec un « Nouvel Homme » habité par des valeurs, préparé à la responsabilité, à l’innovation et au changement fondamental. Un président bâtisseur se trouvera toujours mais nous avons, aujourd’hui plus que jamais, besoin d’un président réformateur pour conduire les changements nécessaires. Celui qui pourra restaurer la confiance des citoyens et surtout les espoirs perdus en engageant les reformes qui s’imposeront au lendemain de la présidentielle de 2024.
Ces reformes pourraient articuler autour des axes ci-après :
La Réforme de l’Etat et dans l’Etat
Il nous faut mettre l’imagination au Pouvoir et oser titiller des espaces utopiques. C’est le chemin emprunté par tous les pays qui se sont développés et qui ont accepté de sortir des sentiers battus. La plupart des tendances lourdes qui plombent notre émergence sont héritées soit de la colonisation ou alors des différents acteurs politiques qui ont rencontré des difficultés à se réinventer et à définir un commun vouloir de vivre ensemble, consensuel (Constitution et vision à long terme) ancré dans des valeurs largement partagées pour s’inscrire dans la durée. Depuis 1992, nous sommes véritablement à la recherche d’une Constitution forte. Notre administration qui avait déjà besoin d’être reformée, connait en particulier depuis une vingtaine d’année, des perturbations qui appellent une nécessaire restauration des normes et une modernisation des outils et instruments de gestion.
Moderniser l’administration et refonder la Fonction publique
Beaucoup d’observateurs ont été, comme moi, surpris au lendemain de la présidentielle de 2019, par la suppression de la Primature. Il faut dire que le présidentialisme exacerbé a encore du mal à cohabiter avec une Primature véritablement installée dans la totalité de sa dignité, dans la plénitude de ses attributions et de ses moyens. Il suffit de lire le dernier communiqué du Conseil du Ministre (08 mars 2023) pour s’en convaincre. Il faut rappeler que la Primature n’est pas chargée du suivi de la coordination de l’activité gouvernementale mais bien de la coordination de l’action gouvernementale sans laquelle, assurer l’efficacité du fonctionnement de toute notre administration s’avère impossible. La modernisation de notre administration en est tributaire puisque c’est dans l’exercice de cette coordination que les dysfonctionnements sont identifiés et que des mesures idoines de redressement sont prises. Nous avons travaillé pendant des années à transformer le Secrétariat du Conseil des Ministres au Sénégal et dans la plupart des pays de la sous-région , en Secrétariat Général du Gouvernement, pour traduire au-delà du changement de concept, l’introduction d’un paradigme réformateur qui dote la Primature d’une véritable administration de missions chargée de l’appuyer dans la définition des instruments, outils de gestion et autres approches lui permettant d’assurer une coordination efficace de l’activité gouvernementale et d’améliorer, en la modernisant, l’efficacité du fonctionnement des services de l’état et de l’administration.
La primature, pour l’impulsion des politiques publiques, est forcément dépositaire du Leadership transformationnel qui permet la conduite des changements attendus. Le mode opératoire d’intervention, pour s’assurer de l’efficacité de la coordination de l’activité gouvernementale repose sur la triangulaire (le Premier ministre, son Directeur de Cabinet et le SGG qui se retrouvent quotidiennement en séances de travail élargies deux à trois fois par semaine au SGPR. Ce dispositif permet d’arrêter l’agenda du Conseil des Ministres et de fluidifier la passerelle entre la primature et la présidence d’une part et, d’autre part, entre ces entités et les différents ministères. Cette triangulaire permet également de circonscrire plus rigoureusement l’agenda et l’ordre du jour des réunions du Conseil des ministres, du Conseil de Cabinet, des Conseils présidentiels, des Conseils interministériel et des Séminaires gouvernementaux).
Pour procéder à la modernisation de l’administration publique, nous devons engager un audit stratégique et organisationnel des ministères, des agences et services pour obtenir l’optimum dans la rationalisation des structures, des emplois et des effectifs. Ce préalable permet de reconstruire toute l’architecture de notre administration et de dresser notre nomenclature des emplois avec les caractéristiques qui s’imposent (emplois permanents, emplois temporaires, etc…). Il permet également de dresser la nomenclature des structures pour lesquelles les dirigeants sont sélectionnés selon un processus compétitif.
En période de crise et face à la raréfaction des opportunités en matière d’insertion sociale et professionnelle, il s’agit, encore plus que par le passé, d’élargir les bases de l’équité et de l’égalité des chances en permettant à tous les fils et filles de notre pays de se reconnaitre dans la Nation.
Les audits stratégiques et organisationnels permettent de mieux préciser les adéquations entre les structures et les emplois d’une part et, d’autre part, entre les postes et les profils et d’établir les besoins de recrutements. Ils permettent également de définir une meilleure gestion prévisionnelle des emplois et des compétences, d’assurer un meilleur contrôle des effectifs et de la masse salariale (recensements, sorties temporaires /définitives, situations irrégulières des agents) et de promouvoir le E. administration (schéma directeur, informatique et automatisation des procédures et autres formalités administratives).
En outre, le cadre juridique de la Fonction Publique (loi 61-33 du 15Juin 1961 portant statut général des fonctionnaires et le décret n°74-347du 12 Avril 1974 fixant le régime spécial applicable aux agents non fonctionnaires de l’Etat) est devenu obsolète. Il correspondait à une Fonction Publique qui regroupait entre 3000 jusqu’ à 10000 agents au lendemain des Indépendances pour les besoins d’une administration qui avait vocation à soutenir des ambitions tirées de la période coloniale. Cette administration constituée de cadres et de corps de carrières, a permis d’absorber pour l’essentiel des Sortants de nos écoles nationales de formation et de pérenniser des missions étrangères à nos ambitions. L’administration qui en découle n’est donc pas suffisamment préparée à soutenir les exigences attendues en termes de performances et de résultats.
Il nous faut par conséquent refonder notre Fonction publique par la promotion d’un nouveau droit de la Fonction Publique qui instaure une Fonction publique d’emplois en lieu et place de la Fonction publique de carrières. Il faudra, par conséquent, élargir les bases de la contractualisation et instaurer un nouveau système de rémunération (basée sur la gestion axée sur les résultats, les performances, la productivité des agents au travail et un nouveau système d’évaluation). Il s’agit là d’une révolution qui va totalement bouleverser la physionomie actuelle de notre administration. En effet la Fonction publique d’emplois va cohabiter dans un premier temps et se substituer progressivement à la Fonction publique des carrières, entrainant une plus grande équité et plus de souplesse dans le recrutement des diplômés venant de divers horizons et instaurer une nouvelle architecture dans la rémunération des agents. Cette rémunération comprendrait une partie fixe (solde globale et indemnités de fonction) et une partie variable (indemnités basées sur les performances et le mérite). L’accès à la Fonction publique se fera certes sur titre mais également au mérite sur une large palette. L’accès à des emplois préalablement déterminés par la nomenclature des emplois (agences et directions et autres) se fera selon un processus compétitif transparent.
Le président de la République qui nomme à tous les emplois civils et militaires est un anachronisme. La politisation massive de notre administration est contreproductive et explique largement les contreperformances constatées au niveau de plusieurs secteurs (les retards de chantiers, les dysfonctionnements administratifs, le pilotage à vue etc…). La démultiplication des syndicats entraine également une certaine faiblesse dans la conduite du changement notamment dans les secteurs vitaux de l’Education et de la Santé, en même temps qu’une baisse insuffisamment évaluée de la productivité au travail des agents concernés. Cette politisation de l’administration n’est pas étrangère aux crises sociales récurrentes dans ces deux (2) secteurs vitaux que sont l’Education et la Santé. La promotion du dialogue social est un facteur de modernité si elle participe à renforcer les acteurs qui se préoccuperaient davantage de la préservation de l’outil et du cadre de travail, du service public et de l’intérêt général. Cette année, en injectant plus de 120 milliards d’augmentation au niveau de la masse salariale, le gouvernement a sans doute raté, une belle occasion d’obtenir en contrepartie, l’instauration du nouveau système de rémunération et un pacte social avec les syndicats.
Etat unitaire décentralisé
La décentralisation tellement vantée depuis des lustres au Sénégal s’est jusqu’ici illustrée par le biais des communes avec divers statuts qui vont cohabiter (à partir de 1972) avec les communautés rurales. La communalisation intégrale n’atteindra pas le paradigme à partir duquel les ruptures nécessaires provoqueraient suffisamment d’autonomie et de responsabilisation des acteurs sur des ressorts géographiques dument identifiés pour prendre leur destin en main tout en renforçant l’Etat central.
Entre 1985 et 1988 (en plein ajustement structurel) une réflexion féconde a été conduite pour donner naissance à l’élaboration des Plans Régionaux de Développement Intègre ( PRDI), échelon intermédiaire entre les Plans Locaux de Développement (communes et communauté rurales) et la planification du niveau central (Programmation triennale glissante et la Prospective Sénégal Horizon 2015).Les PRDI, en plus de conforter l’échelon régional comme le niveau le plus pertinent pour l’appui à la décentralisation, avaient réussi dans une démarche combinée de concilier nos impératifs en matière de planification économique et d’aménagement du territoire (équité territoriale). Les décisions adoptées en Février 1988 ont permis au président de la République d’annoncer en 1992 l’avènement de la régionalisation. Celle-ci a vu le jour en 1996 sous une forme largement dévoyée. Il s’y ajoute que la Casamance depuis 1982 a constitué une sorte de pesanteur dans les choix tendant à opérer une véritable décentralisation au moyen de la régionalisation. Le contexte né du Programme d’ajustement (1984), du Plan d’Urgence (1993), de la dévaluation du Franc CFA (1994) et la raréfaction des ressources budgétaires n’ont pas permis d’instaurer une véritable régionalisation et de promouvoir des changements ambitieux en 1996.
Le moment semble venu d’instaurer au Sénégal une véritable régionalisation qui transcende les limites de la départementalisation actuelle et qui anticipe sur l’acte 3 de la décentralisation.
Plusieurs facteurs militent en faveur de la régionalisation, notamment la dotation en facteurs naturels (vocations et potentialités régionales différenciées, l’émergence d’un capital humain de haut niveau et des ressources financières en augmentation avec l’exploitation du gaz et du pétrole).
Il faudra dégager un consensus fort pour déterminer les régions à promouvoir au Sénégal sur la base de considérations à la fois géographique et économique (la Casamance, le Fleuve, les Niayes, etc.). Il faut rappeler qu’au lendemain des Indépendances, le Sénégal était organisé à partir de sept (7) régions selon une certaine rationalité. L’exécutif Régional sera compétent pour promouvoir le développement économique et social de la région.
Divers instruments serviront de supports pour le développement de la région à savoir : la Société Régionale de Développement (SRD), la Délégation à l’Aménagement du Territoire et à l’Action Régionale (DATAR), les Fonds d’Investissements et de dotation régionale. L’impact des instruments d’intervention comme le Puma, Promovilles, PUDC, FERA et d’autres ne serait que plus significatif.
C’est le lieu de s’interroger sur la viabilité des sociétés actuelles comme la Saed, la Sodefitex, la Sodagri etc…par rapport aux objectifs qui leur ont été assignés à leur création et leur performance actuelle. La Sodefitex devait permettre au Sénégal de rivaliser avec le Mali et le Burkina en matiere de production cotonnière. Au plus haut de notre performance le Sénégal a produit 50 000Tonnes de Coton quand le Burkina arrivait à 400 000tonnes. La Sodefitex est revenue à 10 000Tonnes l’année dernière (2022). Le Benin, le Mali et le Burkina Faso surclassent désormais le Sénégal. De même pour le riz, la Saed au niveau de la vallée du Fleuve peine à atteindre les 100 000 hectares de terres aménagées depuis plus de 30 ans, et le Sénégal peine avec une production rizicole de 1 349 723 tonnes en 2020 à rivaliser désormais avec le Mali qui a atteint une production record de 3 010 027 tonnes en 2020.
Il nous faut repenser la transformation structurelle de notre économie à partir de la région et créer une certaine émulation entre les différents acteurs regionaux. Les récentes tournées économiques du président de la République (Thiès 1500 milliards et Sédhiou 400 milliards sur trois(3) donnent une idée de ce que l’Etat central pourrait octroyer comme dotation à chaque région sans préjudice de ce que chaque région, en fonction de sa spécificité, de ses ressources et des investisseurs, pourrait collecter comme revenus pour le financement de son développement.
Nous savons que des choix pertinents en matière d’investissements et une approche plus réaliste de l’occupation foncière pourraient amener les régions du Fleuve et de la Casamance à porter la production céréalière et rizicole à près de 10 millions de tonnes durant le prochain quinquennat. Le Nigeria est à 8 millions de tonnes (2020) de riz doublant quasiment sa production qui était de 4 472 520 tonnes en 2010.
Le développement des chaines de valeurs et des pôles de développement (Agropôles, Prodoc, initiatives privées) devraient accompagner la souveraineté alimentaire et favoriser l’éclosion de PME/PMI. Une centaine de milliards investis pour l’équipement (80 milliards en tracteurs) dans l’agriculture c’est probablement opportun mais à condition d’investir autant sinon plus de ressources pour la maitrise de l’eau et l’accroissement des superficies aménagées et irriguées.
La régionalisation n’est par une menace pour la consolidation de l’Etat unitaire. Il s’agira de trouver les meilleures articulations possibles entre la décentralisation et la déconcentration et établir les meilleures synergies possibles entre le Pouvoir Central, les Exécutifs régionaux et locaux.
Refonder les Institutions et la gouvernance
La gouvernance est reliée à l’ensemble des processus de gouvernement, aux institutions et pratiques en matière de prise de décision et de règlementation concernant les questions d’intérêt commun. La bonne gouvernance ajoute une dimension normative et d’évaluation au processus de gouvernement. La bonne gouvernance est liée aux processus et résultats politiques, socioéconomiques et institutionnels nécessaires pour atteindre les objectifs de développement.
Il convient de rappeler les cinq (5) piliers de la bonne gouvernance que sont : la transparence, la responsabilité, l’obligation de rendre compte de ses actes, la participation et la capacité de répondre aux besoins de la population.
A l’évidence et en considérant (pour ce qu’on en sait) les rapports de différents corps de contrôle (Cour des Comptes, IGE, Contrôle financier) et des inspections internes, on peut dire que la gouvernance reste le « talon d’Achille » des régimes qui se sont succédés ces dernières années.
La gouvernance économique et financière
Le PSE 2035 est l’expression de la vision de Macky Sall pour le développement économique et social du Sénégal. Elle a d’abord le mérite d’exister ( la vision prospective Sénégal 2015 initiée vers les années 1990 n’avait pas été suffisamment portée par les Pouvoirs Publics de l’époque) mais aussi de produire des résultats tangibles notamment en matière d’infrastructures (scolaires, sanitaires, équipements collectifs, mobilité urbaine, désenclavement, équité territoriale, eau, assainissement, électrification etc…) dans le domaine social ( bourses familiale, bourses universitaires, CMU, pensions de retraite, etc.) en particulier.
Mais le problème, quelle que soit la portée des résultats obtenus dans ces différents domaines reste que la perception du plus grand nombre de Sénégalais renvoie au fait que la mal gouvernance gangrène notre environnement social et obère largement les performances espérées.
Notre économie reste tributaire de la contrainte budgétaire, véritable tendance lourde, marquée par une masse salariale de 1273 milliards en 2023, par le montant de la dette 11 326 milliards soit 68% du PIB (service de la dette 1 693,9 milliards de FCFA) et par les défenses de transfert.
Mais c’est surtout le problème de la sincérité du budget qui continue de se poser. En effet, quand pour l’élaboration du Budget National, un Opérateur économique est capable de déterminer l’inscription d’une dépense prioritaire et que des chapitres sont reconduits, année après année, avec une légère progression à chaque fois, sans considération des amortissements et de l’opportunité cela pose le problème de la sincérité du budget en question. Il s’y ajoute que des transactions financières sont souvent menées au sein des ministères pour disposer de liquidités à des taux usuriers.
En considération de tout ceci, si notre budget 2023 est projeté à 6 415 milliards de FCFA et que le déficit est de l’ordre de (5,5%) alors celui-ci pourrait, pour le moins, être ramené à 3% (objectif recherché) sans effort supplémentaire, juste en introduisant des ajustements dans l’élaboration du budget. En outre l’action de l’Etat doit être soutenue par une vision stratégique, avec des politiques économiques qui valorisent les acteurs nationaux, notamment le secteur privé.
La gouvernance démocratique, sociale et environnementale
Les conclusions des Assises nationales s’imposent aujourd’hui comme un patrimoine. Le consensus est réellement assez fort auprès des citoyens, des universitaires et de la majorité de la classe politique. Une nouvelle définition des pouvoirs publics et des politiques publiques doit prendre appui sur les principes ainsi que sur les projets de réformes de transformation et de moralisation de la société énoncés dans le rapport des Assises Nationales.
Les pouvoirs du président de le République sont exorbitants et empêchent notre système démocratique de respirer convenablement. Au-delà de la perception que le plus grand nombre a du fonctionnement de la Justice et de la magistrature, il y a lieu de trouver des mécanismes pour limiter les pouvoirs du président et d’envisager la possibilité de le déchoir dans des circonstances bien définies. Les ministres au-delà de leur responsabilité politique qui peut entrainer (normalement) leur limogeage, doivent pouvoir être poursuivis au plan pénal (Parquet financier). Il nous faut créer des Institutions fortes et promouvoir une gouvernance démocratique équilibrée dans le strict respect des droits de l’homme. La justice sera renforcée (Cour Constitutionnelle et Parquet financier) pour gagner en autonomie et en indépendance (Saisine et poursuites, Gestion des Carrières etc.).
La démultiplication de certaines institutions ne se justifie sans doute pas mais il s’agit de construire un consensus pour qu’au-delà des Institutions qui incarnent le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif, les places qui s’imposent soient accordées au Pouvoir Judiciaire et à la Presse.
Les partis politiques et les syndicats feront l’objet d’une rationalisation pour fluidifier l’expression des suffrages et améliorer le dialogue social. La gouvernance sociale permettra de refonder le système éducatif, à tous les niveaux, à l’issue d’une large concertation afin qu’il réponde à l’exigence de qualité. Il faudra de même entreprendre une évaluation exhaustive du système de Santé afin de réorganiser la pyramide sanitaire au niveau national et de repenser la hiérarchie des priorités dans l’allocation des ressources publiques.
Les autres aspects liés à la Culture, aux Sports, à l’emploi des jeunes et aux préoccupations de la Diaspora occupent une place extrêmement importante et nécessitent un traitement tout aussi important. C’est la raison pour laquelle devrait s’ouvrir pour le Sénégal, malgré les contraintes calendaires le temps d’une transition pour asseoir plus de sérénité et une certaine paix sociale entre les acteurs politiques et de la société civile. C’est d’abord et avant tout une affaire de volonté politique. Il nous faut comprendre que le dialogue politique est devenu nécessaire par ces temps relativement troublés, pour apaiser notre environnement.
Le besoin d’une transition s’impose à nous depuis la fin de la première alternance (2012) pour convenir du chemin à emprunter ensemble (nouvelle Constitution véritablement consensuelle, la vision prospective ou stratégique (à l’horizon de 25 ans à 30 ans, la gouvernance démocratique et sociale etc.). Il se trouve que nous ne pourrons pas différer ce rendez-vous indéfiniment au risque que cette transition finisse par s’imposer à nous. Elle sera soit voulue, soit subie (ce qui n’est jamais une meilleure option) et a pour le moment besoin d’une part, d’un temps aménagé (pour construire un large consensus national en 2023 le temps qui nous sépare de la prochaine présidentielle et, d’autre part, d’une période de mise en œuvre ( à l’entame du prochain quinquennat à partir de Mars 2024).Il devient dès lors impératif pour les acteurs de la Société Civile, des Assises, les universitaires et la classe politique de s’atteler à cette tache de haute portée patriotique.
Souleymane Nasser Niane est Conseiller en Organisation et en Management, Expert/ Consultant des Nations Unies.
par Ousseynou Nar Gueye
LES DÉMONS DU CHARLATANISME VU À LA TÉLÉ
Alors que des journalistes sont poursuivis pour propagation de fausses nouvelles, de nombreux charlatans sévissent impunément sur les chaînes de télévision et de radio sénégalaises. Un fléau dont les pouvoirs publics gagneraient à se saisir
Jeune Afrique |
Ousseynou Nar Gueye |
Publication 12/03/2023
Journaliste d’investigation et sniper anti-régime, le Sénégalais Pape Alé Niang bénéficie depuis deux mois d’une liberté provisoire. En décembre et janvier derniers, il était passé deux fois par la case prison pour plusieurs délits de presse présumés, dont la divulgation de fausses nouvelles. Cela nous permet de faire le parallèle avec d’autre fake news, bien plus criminelles, dont les télévisions, notamment privées, se rendent impunément coupables à longueur d’année au Sénégal.
Funestes farceurs
Il s’agit d’abord des réclames où un « tradipraticien » sorti de l’anonymat vient vanter les mérites de ses bouteilles de « médicaments ». Ces récipients recyclés sont emplis de décoctions à la couleur jamais très nette, où flottent encore des morceaux de racines ou des flocons d’un papier dissous sur lequel étaient écrites les prières censées nous guérir. Face caméra, ces marchands apothicaires se font fort de soigner toutes sortes de maladies. Passe encore.
D’autres thaumaturges font de la voyance en direct, sur des chaînes de télévision et de radio, prédisant force choses aux appelants et leur prescrivant les sacrifices rituels à faire pour s’attirer les bonnes grâces ou pour s’éviter un malheur. Cas plus grave : ces charlatans accueillis à la télévision, durant la coupure publicitaire entre deux tunnels de clips de chansons mbalakh, pour démontrer qu’ils peuvent multiplier les billets de banques grâce à un « portefeuille magique ». Démonstration réussie (sic) en direct à la télé.
Il ne se passe jamais trois mois sans qu’un scandale n’éclate à l’issue d’une plainte pour escroquerie impliquant ces charlatans en fausse-vraie monnaie : un citoyen lambda, qui a cru au portefeuille magique, s’en est finalement ouvert aux pandores quand la multiplication de l’argent n’advenait pas. Dans bien des cas, ces personnes escroquées ont remis au « faux marabout » de l’argent qui ne leur appartenait pas.
Mais plutôt des sommes qui leur étaient confiées, prêtées ou qu’ils avaient juste reçues d’un parent émigré avec pour mission de le donner à la famille de ce dernier ou de l’investir dans un quelconque achat. Pour justifier leur crédulité face à ces funestes farceurs supposés multiplier les billets de banques, les personnes abusées assurent qu’elles y ont cru car elles l’ont « vu de leurs propres yeux à la télé ». Cela est encore advenu en ce mois de janvier 2023.
Dans cet article, je compte faire le tour de sujets abordés par le PROS dans son livre Solutions, et qui concernent les femmes. Je ferai alors une analyse des solutions que propose Ousmane Sonko pour un Sénégal plus égalitaire.
Les femmes constituent la couche la plus vulnérable des sociétés humaines. Le 5 mars 2023, à l’ouverture des deux semaines de débats de la Commission de la condition de la femme à New York, Antonio Guterres, Secrétaire général des Nations unies déclarait qu’il faudrait encore plus de trois siècles pour éradiquer les inégalités de genres dans le monde. Force est de constater que les inégalités hommes-femmes se creusent davantage à l’échelle planétaire, lorsque survient une catastrophe humaine (guerres, conflits armés) ou encore naturelle (séisme, pandémie).
Quand vient le temps d’élire un nouveau président de la République au Sénégal, le pays tout entier se prononce sur les choses qui ne vont pas bien. On trouve, entre autres, des plaintes sur l’économie, le chômage des jeunes, les problèmes dans les hôpitaux, les migrations clandestines, etc. Mais très peu de personnes s’intéressent aux droits des femmes, et à leur évolution. D’ailleurs, il suffit de jeter un coup d’œil à la photo du Conseil des ministres de l’actuel gouvernement du Sénégal pour se rendre compte que les femmes sont sous-représentées (seulement 25%), contre 49% (19 femmes ministres sur 39) au Canada. Mais la réalité est bien pire en ce qui a trait aux réalités socioculturelles et intrafamiliales. Les violences faites aux femmes et aux filles sont une réalité bien perverse au Sénégal. On la retrouve dans toutes les sphères de la vie quotidienne des femmes. Elles sont d’ordre physique, mais aussi économique et psychique.
Depuis la petite enfance, les filles sont privées d’école pour aider à la maison. Si elles sont scolarisées, elles sont plus à risque d’abandonner à cause d’un mariage précoce ou d’une grossesse. Les filles au village sont les plus vulnérables sur ce plan. La pauvreté des parents les pousse à abandonner l’école avant leur seizième année. Selon le rapport de l’Unicef de 2016, près de 14 % des filles âgées de moins de quinze ans subissent encore l’excision et 31,5 % des femmes ont été mariées avant leur dix-huitième anniversaire.
Quand elles réussissent à poursuivre leurs études jusqu’à l’université, elles ont quand même moins de chance sur le marché du travail. Elles se butent au sexisme et au patriarcat endémique de la société sénégalaise. Leurs compétences ne sont guère mieux ciblées que leurs charmes pour l’octroi d’un emploi. Elles doivent se soumettre au diktat des hommes qui occupent les fonctions les plus honorables dans la quasi-totalité des entreprises dans lesquelles elles convoitent un poste. Et c’est en ce moment-là que l’écart se creuse davantage entre leurs possibilités d’autonomie et celles de leurs concitoyens masculins. Mais pas seulement. Dans le ménage, l’autorité du mari et de la belle-famille, les responsabilités familiales très genrées au Sénégal pèsent lourdement sur leur carrière.
Sur la sphère politique, on peut également noter les disparités qui existent entre les hommes sénégalais et les femmes sénégalaises, notamment une certaine invisibilité de celles-ci. Il suffit de voir les invités des plateaux télé les vendredis soir pour s’en apercevoir. La plupart du temps , elles ne figurent sur aucun débat télévisé. Et pourtant, dans l’ombre des partis politiques sénégalais, il y a des femmes. Elles sont certes sous représentées – à cause entre autres du poids des responsabilités familiales et de l’autorité maritale citées plus haut – mais il y en a des brillantes. Des femmes engagées qui s’affairent lorsque vient le temps de collecter des signatures pour les parrainages, ou encore d’accompagner les élus de leurs partis. La Loi Wade N°2010-11 sur la parité n’a pas bien résolu les problèmes des inégalités en politique. Les femmes les mieux instruites et compétentes ne sont pas toujours celles qui figurent sur les listes électorales. Elles cèdent souvent la parole aux plus loquaces à l’hémicycle de la Place Soweto. Elles y sont aussi utilisées pour de petites guéguerres politiciennes, à l’occasion, ou n’y sont que parce qu’elles font un mauvais buzz sur les réseaux sociaux. L’on se souvient facilement de la guerre des chaises et des coups de poing entre élus, tout récemment.
Sur le plan religieux, les femmes doivent se contenter de jouir de droits primaires datant du 7e siècle, surtout en ce qui a trait à l’héritage. Sans aucune étude coranique sérieuse, certains se prévalent de droits islamiques dont ils ne connaissent même pas les fondements.
Que propose le Président Ousmane Sonko pour les femmes et leurs droits dans Solutions (2018)
Au chapitre X qui s’intitule « Protéger les Sénégalais et réduire les inégalités », le PROS souligne l’urgence d’agir pour contrer la pauvreté des femmes sénégalaises, qui sont deux fois plus touchées par le chômage (40% contre 18% chez les hommes) « du fait des inégalités de chance ». Il propose des mesures inclusives visant notamment à maintenir les filles à l’école, principalement dans les zones rurales, ainsi que le droit d’accès des femmes à la propriété foncière. Sonko, O, (2018) Solutions, p.180. Le PROS tient bien au maintien des enfants à l’école, avec sa proposition « de légiférer pour la scolarisation intégrale et la définition d’un seuil minimal » de fréquentation scolaire obligatoire. Par ce même biais, il compte réduire le décrochage scolaire des filles. Sonko, O, (2018) Solutions, chap. Égaliser les chances par l’éducation. p.168.
Le PROS exprime sa sensibilité quant aux précarités financière et sociale que vivent les travailleurs et travailleuses domestiques. Ce secteur qui comprend le ménage, la garde d’enfant, le linge, etc. emploie pour la plupart des femmes. Il compte remédier à ces précarités en améliorant leur rémunération et par l’encadrement de leurs conditions de travail journalier, pour leur garantir une meilleure protection sociale. Sonko, O, (2018) Solutions, Solidarité et protection sociale, p.176.
Le Pr Ousmane Sonko a démontré par moult occasions sa volonté d’aider les femmes sénégalaises à atteindre l’autonomie financière. L’on se souviendra de l’aide qu’il octroyait aux femmes transformatrices de la Casamance, quand il était député. En parcourant le livre Solutions, j’ai pu constater son désir d’aider à atteindre le pouvoir d’agir qui leur fait défaut, depuis 1960. Elles sont certes actives économiquement, mais le manque d’éducation ou encore l’absence d’autonomie effective les freinent dans l’exploitation de leur plein potentiel économique. Et c’est dans les paramètres socioculturels et politiques qu’il faudra corriger le tir pour leur permettre un devenir meilleur, dans le Sénégal nouveau dont toutes et tous rêvent.
Il y a encore tout à faire pour réduire les inégalités hommes-femmes au Sénégal. La liste des problématiques entourant les femmes est longue. Rien que la révision du Code de la famille, pourrait et devrait faire l’objet de débats à l’Assemblée nationale. Les questions sur l’encadrement de la polygamie – car oui, cette pratique est bel et bien balisée par le texte coranique- , l’abandon du domicile familial par le mari, ou encore l’avortement médicalisé en cas de viol ou d’inceste, devraient y être abordées, et sujettes à des projets de loi infaillibles.
Il est alors temps pour les Sénégalaises de questionner les futurs dirigeants sur les programmes les concernant, et sur les avancées en droits qu’elles ambitionnent dans le nouveau Sénégal en téléchargement.
Alors, ma chère petite sœur, arrête donc de me souhaiter bonne fête les 8 mars de chaque année, parce que la femme sénégalaise n’a encore rien à fêter !
Par Jean-Pierre Cassarino
CE QUI SE CACHE DERRIERE LES PROPOS ANTI-IMMIGRES DU PRESIDENT TUNISIEN
Moina Spooner, de The Conversation Africa, a demandé à Jean-Pierre Cassarino, expert en migration internationale dans la région du Maghreb et de l'Afrique, d'expliquer la migration vers la Tunisie et ce qui pourrait se cacher derrière les commentaires
Le président tunisien Kais Saied a récemment appelé à des mesures urgentes contre l'immigration illégale de ressortissants d'Afrique subsaharienne. Il a déclaré qu'ils étaient source de “violence, de criminalité et d'actes inacceptables”. Ses commentaires ont été condamnés par la communauté internationale et par la Banque mondiale qui a suspendu ses négociations au sujet de son engagement futur avec la Tunisie. Ils ont également donné lieu à des manifestations de grande ampleur en Tunisie, tandis que des centaines de migrants ont fui le pays.
Moina Spooner, de The Conversation Africa, a demandé à Jean-Pierre Cassarino, expert en migration internationale dans la région du Maghreb et de l'Afrique, d'expliquer la migration vers la Tunisie et ce qui pourrait se cacher derrière les commentaires du président.
QUELLE EST L'HISTOIRE DE LA MIGRATION SUBSAHARIENNE EN TUNISIE? COMBIEN Y A-T-IL DE MIGRANTS DANS CE PAYS?
Les migrants subsahariens en Tunisie viennent principalement d'Afrique de l'Ouest. Les immigrés en Tunisie représentent 0,5 % de la population nationale. Officiellement, les migrants réguliers d'Afrique sub-saharienne représentent environ 21 000 personnes sur une population immigrée totale d'environ 58 000 personnes selon une étude récente. Ces chiffres de base sont importants. Ils montrent que les immigrés représentent un très petit nombre d'étrangers par rapport à la population nationale. Il existe différents types de migrants subsahariens. De nombreux étudiants d'Afrique de l'Ouest viennent en Tunisie parce qu'ils ont obtenu une bourse ou parce qu'ils souhaitent poursuivre leur formation dans les universités tunisiennes. Il existe plusieurs accords universitaires bilatéraux entre la Tunisie et différents pays d'Afrique de l'Ouest. D'autres migrants viennent en Tunisie pour travailler ou parce qu'ils sont de passage vers l'Europe. Cependant, pour ces derniers, il n'existe pas de données statistiques précises car ils sont en situation irrégulière. Pour donner une idée, en 2021, au moins 23 328 migrants irréguliers ont été interceptés par les autorités tunisiennes alors qu'ils tentaient de se rendre en Europe.
A noter qu'un migrant d'Afrique subsaharienne peut arriver avec un statut régulier et devenir irrégulier. L'irrégularité est loin d'être un choix en Tunisie. Il y a beaucoup de paperasse et de bureaucratie qui allongent la procédure visant l'octroi d'un statut régulier en Tunisie. Les procédures sont si lourdes que les migrants - tels que les étudiants - se retrouvent dans un vide juridique lorsqu'ils doivent prolonger leur séjour.
QUELLE EST LA POLITIQUE ACTUELLE DU PAYS A L'EGARD DES MIGRANTS ?
Soyons clairs et concis : elle est sélectivement discriminatoire. La Tunisie est assez ouverte avec les immigrants européens et très restrictive avec les citoyens non européens. En définitive, l'approche de la Tunisie en matière de migration et de droits des migrants oscille entre la nécessité de se conformer aux normes internationales et celle de maximiser les avantages de ses citoyens vivant à l'étranger - tels que les envois de fonds ou le transfert des compétences acquises à l'étranger. Cela signifie qu'elle doit s'efforcer de maintenir ses politiques migratoires assez ouvertes. En même temps, elle veut agir comme un acteur crédible dans la lutte contre la migration irrégulière dans ses rapports avec l'UE et ses États membres. Cela signifie que la Tunisie doit montrer qu'elle peut coopérer avec l'UE et ses Etats membres tout en contrôlant ses propres frontières.
LES COMMENTAIRES DU PRESIDENT S'EXPLIQUENT-ILS PAR DES FACTEURS SOCIAUX ET POLITIQUES ?
Une loi contre le racisme a été adoptée en Tunisie en 2018. Il s'agit d'une étape importante dans la défense des droits des Tunisiens qui s'identifient comme noirs, ainsi que des migrants du pays. C'est assez sidérant d'entendre un dirigeant politique faire publiquement de telles déclarations. En ce qui concerne les tensions sociales, la migration a été utilisée dans de nombreux pays comme un moyen de discipliner l'opinion publique tout en désignant les étrangers comme boucs émissaires. C'est le cas en Afrique du Sud, où les migrants ont été désignés comme boucs émissaires face à la montée des inégalités et du chômage. Un autre exemple est celui des États-Unis, où les ralentissements du cycle économique ont conduit à blâmer les migrants latinos. Les dénominateurs communs sont la hausse du chômage national (en particulier le chômage des jeunes), les déficits publics, la crise de l'État-providence et de l'économie et, enfin et surtout, les tensions sociales. C'est également le cas en Tunisie. Le lien entre les conditions des travailleurs migrants et les droits des travailleurs autochtones est bien documenté par les chercheurs dans toutes les disciplines. La Tunisie se comporte comme beaucoup d'autres pays confrontés à des défis sociaux, politiques et économiques. L'opinion publique a besoin de positions radicales, indépendamment de leur capacité à répondre au malaise d'une société. Notre histoire récente regorge d'exemples, y compris les pires que l'on puisse imaginer. Il est beaucoup plus facile de refuser de regarder la réalité en face. C'est une sorte de fuite en avant. Faire croire à l'opinion publique que limiter les droits des étrangers protégera en quelque sorte les citoyens contre la réduction de leurs propres droits sociaux et économiques est une stratégie politique classique utilisée par de nombreux dirigeants. Bien sûr, il y a des variations d'un pays à l'autre. L'économie tunisienne est en crise : les finances de l'État sont au bord de la faillite et il y a des pénuries de biens essentiels. Le président Saied s'est également emparé de plus de pouvoir et a récemment mené une répression massive contre les critiques qui l'accusent d'essayer d'instaurer une nouvelle dictature dans le pays. Il est clair que la rhétorique anti-immigrés en Tunisie est profondément problématique, mais elle n'est pas exceptionnelle. Elle n'est pas spécifique à la Tunisie. Cela dit, cette même rhétorique est paradoxale car la Tunisie est principalement un pays d'émigration avec une large diaspora vivant dans différents pays. Les Tunisiens sont confrontés à des discours discriminatoires et nationalistes similaires à l'étranger. Je me demande comment un pays peut protéger de manière crédible ses propres citoyens vivant à l'étranger contre la discrimination et le racisme alors que des faits similaires se produisent de manière flagrante chez lui. En attendant, je crains que des dispositions plus restrictives ne soient adoptées dans un avenir proche. Lorsque je parle de fuite en avant, je veux dire qu'il est plus facile pour un gouvernement (et une partie de ses électeurs) de rejeter la responsabilité sur les autres que d'accepter la réalité.
Jean-Pierre Cassarino
Visiting professor, College of Europe THECONVERSATION.COM
Texte Collectif
REPENSER LES TRANSITIONS DÉMOCRATIQUES EN AFRIQUE DE L’OUEST
Appel des participants au Colloque International organisé par AfrikaJom Center les 8, 9 et 10 mars 2023 à Dakar sur le thème « Repenser les transitions démocratiques : réinventer la démocratie et l’Etat de droit en Afrique de l’Ouest »
Nous, participants au Colloque International de haut niveau organisé par le Think Tank AfrikaJom Center venus d’horizons divers des pays de l’Afrique de l’Ouest et d’au-delà ;
Réunis à Dakar les 8, 9 et 10 mars 2023 sur le thème « Repenser les transitions démocratiques : réinventer la démocratie et l’Etat de droit en Afrique de l’Ouest » ;
Préoccupés par la crise de l’Etat de droit, de la citoyenneté et de la démocratie, l’inclusion des jeunes, des femmes, des religieux et coutumiers, les enjeux sécuritaires, les défis de la gouvernance, la cohérence des politiques publiques, économiques, sociales, culturelles et écologiques, l’impact de la révolution numérique et digitale sur la démocratie dans les pays de l’Afrique de l’Ouest ;
Ayant examiné l’évolution du contexte ouest africain marqué par le terrorisme et l’extrémisme violent, la montée de l’intégrisme religieux, la résurgence des coups d’Etat, l’insécurité, la remise en cause de la limitation du nombre de mandats présidentiels, le rétrécissement de l’espace civique avec son corolaire d’atteinte à l’Etat de droit et la militarisation des transitions démocratiques ;
Convaincus de l’importance du récit africain dans les constructions démocratiques et du respect des droits humains ;
Rappelant les principes et valeurs de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, le protocole de Maputo additionnel à la charte africaine des droits de l’homme et des peuples, la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la bonne gouvernance, le Protocole additionnel de la CEDEAO sur la démocratie et la bonne gouvernance ainsi que la Charte africaine de la jeunesse ;
Soulignant que les femmes et les jeunes doivent être des partenaires stratégiques pour la refondation des démocraties en Afrique de l’Ouest par le biais de la renégociation du nouveau contrat social ;
Reconnaissant les mutations des systèmes de représentation classique de la démocratie provoqué par le fait de l’irruption du numérique et du digital dans l’espace public et politique ;
Encourageons la société civile ouest-africaine à continuer de jouer son rôle de veille et d’alerte, de sentinelle de la démocratie en contribuant à repanser nos démocraties en crise ;
Attachés à la paix civile et à la stabilité démocratique des Etats de l’Afrique de l’Ouest ;
Invitons la Communauté Économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) et l’Union Africaine à poursuivre efficacement leurs soutiens aux transitions démocratiques ;
Appelons les Etats et les gouvernements de l’Afrique de l’Ouest à mettre en œuvre les recommandations suivantes :
Promouvoir l’éthique, la garantie de la transparence et la sécurité humaine en liant d’une part la démocratie, l’Etat de droit et l’économie, mais aussi par l’effectivité des droits sociaux, économiques et culturels par la mobilisation de l’intelligence collective tout en misant sur les richesses endogènes ;
Travailler davantage pour garantir l’indépendance de la justice et du pouvoir judiciaire et mettre fin à l’instrumentalisation de la justice à des fins politiques et répressives ;
Prévoir dans les constitutions africaines la possibilité pour le juge constitutionnel d’opérer un contrôle a priori ou préventif de constitutionnalité des lois référendaires avant leur soumission au vote, afin d’éviter les fraudes à la constitution et à la loi électorale qui font le lit aux troisièmes mandats, source d’instabilité chronique en Afrique ;
Inscrire dans les constitutions la possibilité de destitution des élus qui ne sont plus en phase avec les aspirations et exigences du peuple, à travers des mécanismes de démocratie semi-directe (un vote d’initiative populaire, droit de pétition, droit d’interpellation populaire, référendum local, mandat impératif encadré…)
Promouvoir l’éducation politique du peuple et des gouvernants, à la citoyenneté active, au patriotisme, au respect de la bonne gouvernance et de l’Etat de droit par l’institution de l’éducation civique à l’école ;
Renforcer le rôle des Parlements nationaux et de la CEDEAO afin qu’ils se mettent au service de la paix et de la stabilité démocratique ;
Faire intégrer dans le Protocole additionnel de la CEDEAO, la règle de la limitation du nombre de mandats présidentiels consécutifs à deux, afin d’épargner les pays des crises et des conflits dans la sous-région ;
Inviter les pays en transition militaire à organiser une transition démocratique encadrée, inclusive et apaisée à travers l’ouverture de l’espace civique, le respect des libertés fondamentales et la libération des détenus politiques ;
Renforcer le développement du leadership féminin ;
Promouvoir la forte participation des jeunes à la délibération publique ;
Renforcer la formation des organisations de la société civile à une citoyenneté africaine républicaine, patriotique, capacitaire et responsable ;
Favoriser le développement de nouveaux mécanismes contre le présidentialisme excessif en Afrique en renforçant l’indépendance des organes de contre-pouvoir ;
Inciter les Organes de Gestion des Elections à plus de neutralité, de transparence et de professionnalisme dans la conduite du processus électoral ;
Mettre en relief le récit africain dans l’éducation, la culture et la mémoire collective.