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23 novembre 2024
Politique
Par Serigne Saliou DIAGNE
TRINQUONS À LA RUINE D’UN PAYS
Alors que le Nord et l'Est du pays sont submergés par les eaux, le Premier ministre préfère orchestrer son show à Dakar Arena, niant la gravité des inondations et inventant des secours fantômes
J’aurais pu ne pas écrire une seule ligne de cette chronique du jour et partager de nouveau un papier d’octobre 2023 qui s’intitulait «L’enfant gâté de la République et son univers dystopique». Ousmane Sonko, en se présentant devant ses ouailles et partisans pour chauffer à blanc une meute politique et préparer du bétail électoral pour lui confier pieds et mains liés la majorité à l’Assemblée nationale, au moment où une partie de nos compatriotes voyait au Nord et à l’Est tous leurs espoirs noyés dans les eaux, s’est illustré en parfait scénariste de réalités alternatives. Il a commencé à réfuter les inondations à Bakel avec le débordement du fleuve Sénégal, et a poussé le vice jusqu’à confier que des vivres en quantité et l’assistance nécessaire étaient déjà distribués dans les zones sinistrées. La spontanéité des réseaux sociaux aidant, des vidéos de populations sinistrées étaient montées dans la foulée de son intervention, avec en fond sonore son discours. De la tragédie en cours de Bakel à Podor, en passant par Matam, Tambacounda et Kédougou, il dira qu’elle a sûrement des origines criminelles avec des investigations menées pour identifier les fautifs. On ne peut pas faire pire dans l’insensibilité et surtout la désinvolture, à une station aussi importante de l’appareil d’Etat.
Dans la chronique que j’évoquais plus haut, je disais ce qui suit : «Depuis mars 2021, consécration par la violence aveugle de notre glissement en tant que société dans une séquence folle qui est le fruit d’un activisme sans limite d’entrepreneurs politiques, d’une passivité coupable et criminelle des services d’Etat et d’une abdication de la pensée critique chez les faiseurs d’opinions (intellectuels et médias) pour laisser place à la partisannerie primaire, l’absurde a pris le dessus sur tout. Le Sénégal ressemble au bout du compte à un univers dystopique où tout marche à l’envers. Rien de ce qui devrait se passer dans un pays normal ne s’effectue maintenant dans les règles de l’art. Les agressions contre la Justice dont certains magistrats «encartés» s’accommodent, ou les flagrants partis-pris dans la presse à la cause d’un homme qui devrait être poursuivi pour trahison et désigné ennemi domestique, après tous les actes qu’il a posés pour fragiliser la République, ont de quoi nous pousser à nous pincer pour nous sortir de ce fichu cauchemar. J’irai plus loin en disant que nous nous trouvons tous prisonniers d’une dystopie dont Ousmane Sonko est le metteur en scène. Il aura voulu par tous les moyens se faire roi, en usant de tous les stratagèmes, pour finir par se rendre omniprésent dans le débat public. Et cela, dans toutes les postures incongrues possibles. Il se sera imposé comme un Léviathan des consciences, une sorte de Big Brother boulimique quémandant sympathie et attention partout, en faisant de l’opinion le relais privilégié de toutes ses viles ruses. Beaucoup de monde, par mimétisme et effet d’entraînement, s’accommodent de tous ses caprices, pardonnent tous les abus à sa meute, se courbent face au poids de l’insolence de ses soutiens.»
Je ne pensais pas si bien dire, car Ousmane Sonko himself confessera à ses partisans lors de son meeting du 19 octobre 2024, qu’il n’a jamais été malade pour plonger dans un état comateux, encore moins à l’article de la mort lors de son internement au Pavillon spécial de l’hôpital Principal de Dakar. Il faudrait peut-être penser à rembobiner tous les événements qui se sont passés dans cette terrible fenêtre et voir ce qui était vrai et ce qui reposait d’une comédie tragique. De façon bancale, il dira qu’il aura usé de ruses pour gagner du temps et de stratagèmes pour contrer un pouvoir qui voulait sa peau. Après tous les dégâts, toute l’indignation et tous les troubles qui sont nés de la maladie imaginaire du patriote en chef et toutes les péripéties qui ont entouré sa détention, on est en droit de se dire que cet homme n’a jamais respecté ses compatriotes, et encore moins ses militants. Le lot de morts, les vies détruites dans le sillage de ses démêlés avec la Justice, la manipulation des masses et élites politico-religieuses, tout cela aura contribué à paver un chemin royal pour accéder au pouvoir et continuer tel un ogre à exister dans l’espace public. Je lui concéderai une finesse maligne pour berner autant de monde et les embarquer de façon aveugle dans sa cause pour endosser tous ses dires, au point de se battre corps et âme contre toute personne qui y opposera une pensée contraire ou une lecture lucide. Les interventions alarmistes de plusieurs personnalités politiques, de la Société civile et des médias sont encore fraîches dans nos mémoires. Les «requiems» à coup de chaudes larmes pour sensibiliser les chefs religieux sont assez drôles quand on les regarde aujourd’hui avec du recul et les révélations du principal intéressé.
Une connaissance avec laquelle j’ai eu des échanges musclés et rompu les liens à la suite de mes chroniques sur la maladie imaginaire du chef du parti Pastef et de sa logique d’entraîner les Sénégalais dans des réalités alternatives, m’a écrit suite aux confessions du tout-puissant Ousmane. Il aura l’honnêteté de ravaler sa fierté et de dire qu’il aura été dupé par un politique pour qui il nourrissait de l’affection, et s’offusquait à ce que toute une machine d’Etat soit mise en branle pour lui faire souffrir le martyre. Je me rappellerai qu’il m’avait maudit à l’époque en me disant que j’aurai la mort de son héros sur ma conscience et que mes mains seront tachées de sang. Il est ridicule de voir à quel point le jeu d’un politique qui n’hésite devant rien pour atteindre ses buts peut impacter sur des relations humaines au point où nous devenons des adversaires, voire des ennemis, prompts à prêter à autrui les pires intentions. Cela, du moment qu’on ne partage pas les mêmes opinions. Je reste pour ma part très à l’aise sur tout ce que j’ai pu dire et analyser sur Ousmane Sonko. Déconstruire les faits politiques et gestes populistes, je m’en donne à cœur joie, et avec Sonko, il y a de la matière. Le temps, qui reste le meilleur des juges, rétablira tout le monde dans sa vérité. Ce qui est doux avec le metteur en scène de la dystopie ayant cours au Sénégal est qu’il profite de toutes les tribunes où l’audience est importante pour mettre à nu, de son propre chef, tous les schémas qu’il met en œuvre. Quand c’est de sa bouche qu’il confirme tout ce que nous avons démontré, on ne peut que dormir tranquille et se dire que le sillage que nous laissons est le bon.
Jean-Paul Krassinsky avait publié en 2019 un excellent roman graphique intitulé La fin du monde en trinquant. Pour faire court, il s’agit d’un cochon qui est un éminent astronome œuvrant sous le règne de l’impératrice Catherine II de Russie. Nikita Petrovitch, brillant scientifique, est un cochon peu amène qui découvre qu’une comète va s’écraser en Sibérie. Il communique sa découverte au trône, mais il n’est guère pris au sérieux et est contraint de prendre sous son aile Ivan, un chien fou et maladroit, pour donner la mauvaise nouvelle aux populations. Comme tous les veilleurs, ils sont chahutés et rencontrent des villageois pas trop reconnaissants. Ceux-ci idéalisent la Russie du 18e siècle et sont d’une crédulité sidérante face aux agissements du pouvoir royal. Ce roman graphique est un récit sarcastique mettant au centre le triomphe de la crédulité, la bêtise politique et l’obscurantisme, surtout quand les ficelles sont tirées par ceux à qui les populations offrent leur pleine confiance. Quand je relis cet ouvrage, je vois beaucoup de similitudes avec notre pays, qui tournent le rire en inquiétude.
Une vieille dame s’est permis dans le spectacle comique qui se tenait à Dakar Arena, de mimer un malaise et de se lever d’un brancard pour saluer son héros Ousmane Sonko. La mise en scène est d’un grotesque, qu’il n’aura pas fallu plus d’une journée pour que des gens retrouvent cette sacrée comédienne et déconstruisent la supercherie qui visait à toucher les masses par l’émotion. Son jeu d’actrice sera tourné en dérision sur les réseaux sociaux et des révélations suivront sur sa partition au grand cirque. On ne peut pas faire mieux en matière de dystopie. Ce Sénégal est un cas tragique. En fin de soirée hier, le journaliste Ahmed Ndoye a été appréhendé par les services de police après une conférence de presse qu’il tenait. Tout est mis en œuvre pour faire taire toutes les voix contraires. Je ne pense pas que ceux qui criaient au changement partout ont voté pour de telles régressions. Bonjour autocratie, rebonjour égocratie, le Sénégal est un paradis d’humanité et de liberté perdu ! J’oubliais, le Premier ministre nous disait qu’il a hérité d’un pays en ruine. Trinquons donc, c’est sur des ruines que se bâtissent les empires !
LE DEBAT AVANT LE DEBAT
Duel Sonko-Bâ : Le débat avant le débat Depuis que le Premier ministre, Ousmane Sonko, a invité Amadou Bâ à un débat, les deux protagonistes ne cessent de se lancer des piques.
Duel Sonko-Bâ : Le débat avant le débat Depuis que le Premier ministre, Ousmane Sonko, a invité Amadou Bâ à un débat, les deux protagonistes ne cessent de se lancer des piques.
Après que l’ancien PM a répondu à l’invitation de son ancien subordonné, Ousmane Sonko s’est dit étonné que son adversaire ait attendu des rumeurs d’interdiction du débat pour donner une réponse somme toute timorée, enrobée de conditionnalité et dérobades, comme à son habitude.
« Les éventuelles lacunes du Code électoral ou de la loi sur le CNRA avec des dispositions obsolètes quant à l’organisation des débats à l’occasion des élections au Sénégal ne sauraient constituer un obstacle dirimant à sa tenue », a écrit le leader de Pastef sur les réseaux sociaux. Il ajoute que son équipe n’a posé aucune condition à Amadou Bâ et lui demande d’en faire de même.
Il poursuit en disant que chacun va présenter ses arguments au peuple sénégalais le jour J. Ousmane Sonko va plus loin en disant qu’il promet que les stigmates de mauvaise gestion de l’ancien PM seront aussi criards que les rayures d’un zèbre. ‘’Tout est référencé, sourcé et renseigné à partir de documents officiels irréfutables y compris des rapports qui l’ont mis en cause et sera mis à la disposition du peuple sénégalais’’, précise Ousmane Sonko.
Le Premier ministre a aussi exprimé son étonnement face à la timidité de Ba, qui, selon lui, aurait hésité suite à des rumeurs d’interdiction par le CNRA. « Les éventuelles lacunes du code électoral ne devraient pas constituer un obstacle à la tenue de ce débat » a-t-il soutenu, insistant sur l’importance d’un échange franc et ouvert. « J’accepte l’invitation de M. Sonko à un débat public », a déclaré jeudi matin l’ancien Premier ministre Amadou Ba sur son compte X (anciennement Twitter).
L’ancien Directeur Général des Impôts et Domaines a souligné que celui qui a été l’initiateur du Syndicat des agents des impôts et domaines (SAID) éprouve une nostalgie de sa modeste personne. ‘’Sa volonté de se mesurer ne me gêne aucunement. Aussi, j’accepte volontiers son invitation à un débat public et contradictoire. Nos équipes respectives pourraient se rencontrer pour déterminer les modalités pratiques. D’ici là, j’espère qu’il mettra à ma disposition les rapports qu’il a évoqués et rendra publics tous les échanges entre le Premier ministre que j’étais et les ministres concernés par les allégations, pour que l’on puisse discuter utilement de toutes les questions soulevées dans lesdits rapports’’, réplique Amadou Bâ sur le même canal. Pour lui, au-delà des sujets qu’il propose, bien qu’il soit curieux qu’il délimite lui-même les sujets, le débat devra porter sur tous les aspects de la vie de notre nation (économie, finances publiques, pouvoir d’achat, emploi, libertés publiques, institutions, justice, ressources naturelles, inondations, éducation, santé, sécurité, diplomatie, etc…
Un autre Amadou Ba, cadre influent du Pastef, a précisé sur Facebook que M. Sonko serait disponible pour le débat avec l’ancien Premier ministre Amadou Ba le lundi 28 ou le mardi 29 octobre 2024.
Le débat sera organisé par l’École d’art oratoire et de leadership fondée par Cheikh Omar Diallo en collaboration avec le groupe E Media. « Le Sénégal franchit une étape historique avec le premier duel télévisé entre les Premiers ministres Ousmane Sonko et Amadou Ba. Ce débat télévisé témoigne de la vitalité de notre démocratie et de l’engagement des deux candidats à échanger ouvertement et contradictoirement devant les Sénégalais » écrit Alassane Samba Diop DG Emédia.
QUATRE COALITIONS POUR UN SCRUTIN DÉCISIF
Le Pastef, tel un phénix renaissant de ses cendres, affronte trois coalitions aux stratégies distinctes : une Sàmm sa Kàddu qui mise sur la jeunesse, un Amadou Bâ qui joue sa survie politique, et des libéraux qui tentent de ressusciter l'héritage wadiste
À l’approche des élections législatives du 17 novembre 2024, le paysage politique sénégalais se transforme sous l’effet d’une dynamique électorale inédite. Entre alliances stratégiques, rivalités exacerbées et nouveaux visages, les quatre principales coalitions se livrent une bataille acharnée pour le contrôle de l’Assemblée nationale. Tandis que le parti Pastef, dirigé par le Premier ministre Ousmane Sonko, se prépare à une échéance cruciale pour l’avenir du Projet, ses adversaires redoublent d’efforts pour enrayer le maximum de sièges à l’Assemblée nationale. Dans ce contexte tendu, chaque camp espère s’imposer comme la force dominante du jeu politique.
La bataille fait rage. À moins d’un mois des élections législatives, la scène politique est plus que jamais en ébullition. Des alliances se sont formées, d’autres se sont défaites en fonction des intérêts politiques du moment. Les quatre grandes coalitions en lice sont déterminées à remporter le maximum de sièges. La course est lancée entre Pastef, Sàmm sa Kàddu, Jàmm ak Jariñ et Tàkku Wàttu Sénégal. Quels sont les atouts et les faiblesses des différentes coalitions en lice ?
Ousmane Sonko, l’épouvantail du système
Le parti Pastef se prépare pour une confrontation inédite. Dissous sous le magistère de Macky Sall en juin 2023, le parti s’était transformé pour créer la coalition Diomaye, une stratégie payante qui a permis au président Bassirou Diomaye Faye de remporter l’élection présidentielle. Aujourd’hui, les temps ont changé. Pastef est réhabilité et est le grand favori des prochaines élections législatives. Le parti dispose de nombreux atouts. Ousmane Sonko, son leader, possède un charisme qui dépasse les frontières. Il mobilise les foules et galvanise les jeunes en attaquant le « Système ». Actuel Premier ministre, il se présente comme le fusible « increvable » du président Diomaye. Ce qui manquait au Président Macky Sall après la dissolution du poste du Premier ministre au lendemain de la crise due à la pandémie du Covid-19. Malmené et emprisonné par le régime de Macky Sall, il incarne un phénix renaissant de ses cendres. Son récent « One man Show » dans l’enceinte de Dakar Aréna à Diamniadio, transcende les formats habituels des rassemblements politiques au Sénégal. Sa capacité à « électriser » les foules rappelle celle de Viktor Orbán, Barack Obama ou encore Recep Tayyip Erdoğan lors de leurs meetings. À l’image de Maître Abdoulaye Wade dans les années 1980, Ousmane Sonko est adoubé par la jeunesse, largement réceptive à son discours. Le « timonier insubmersible » des patriotes innove en favorisant le financement participatif pour sa campagne électorale, à contre-courant des régimes précédents qui s’appuyaient sur les ressources de l’État. Au-delà de la personnalité d’Ousmane Sonko, Pastef mise sur la majorité à l’Assemblée nationale pour achever l’opérationnalisation du « Projet ». Un discours approuvé par une majorité de citoyens, les plaidoyers des patriotes trouvant un écho favorable auprès de nombreux Sénégalais désireux de voir leur quotidien changé. Par ailleurs, l’effet de surprise créé par l’annonce des élections législatives par le président Diomaye constitue également un atout pour le parti d’Ousmane Sonko. L’opposition, lourdement battue lors de la présidentielle, n’a pas eu le temps de se réorganiser entièrement, d’où l’émergence de coalitions dites « contre-nature ». Toutefois, la décision de Pastef de se présenter seul aux législatives, sans alliances, comporte des risques. Cela représente une manière pour Ousmane Sonko de tester son aura auprès de l’électorat et de gouverner sans « chantage ». L’expérience de l’inter-coalition Yéewi Askan Wi et Wàllu est un cas d’école dont les patriotes ne veulent plus reproduire. Réussira-t-il ce pari crucial ? le temps nous le dira.
Sàmm sa Kàddu, miser sur la jeunesse pour faire face à Sonko
Sàmm sa Kàddu, l’une des coalitions les plus en vue, regroupe plusieurs candidats malheureux de la présidentielle, comme Pape Djibril Fall, Anta Babacar Ngom et Khalifa Sall. Elle est la plus jeune formation après Pastef. Contrairement à de nombreux partis traditionnels sénégalais, Khalifa Sall, stratège de l’alliance, a compris que le rajeunissement est devenu un impératif pour contrer la machine de guerre qu’est Pastef. Elle bénéficie du soutien du Parti d’Unité et de Rassemblement (PUR) et de Taxawu Sénégal, respectivement classés troisième et quatrième lors de la dernière présidentielle. Bougane Guèye Dany, leader du mouvement Gëm Sa Bopp, s’est montré particulièrement virulent. Cherche-t-il à se faire un nom ou à gagner la bataille des cœurs ? Son « Sonkosonkolu » vise un double objectif : attirer l’attention sur la liste Sàmm sa Kàddu et présenter Pastef comme une continuité du régime de Macky Sall. Son arrestation à Bakel montre cependant qu’il reste un néophyte dans le domaine du fonctionnement de l’État. Ousmane Sonko, bien que virulent verbalement, n’a jamais perturbé le convoi de Macky Sall. Bougane gagnera probablement en sympathie à la suite de ces événements, mais sa stratégie risque de lui coûter cher. Le « Bougane bashing » en vogue sur les réseaux sociaux pourrait lui porter préjudice. L’État n’est pas une entreprise, et à force de jouer toutes ses cartes trop tôt, il pourrait se retrouver démuni à la fin du jeu. Barthélemy Dias, tête de liste de la coalition, affrontera pour la première fois son ancien collaborateur Ousmane Sonko. Fidèle à son tempérament de « mâle dominant », Dias n’a pas hésité à se montrer ferme face aux partisans de Pastef devant le tribunal de Tambacounda. La guerre verbale entre Sonko et Barth sera l’un des moments forts de la campagne à venir.
Amadou Bâ, revanche ou confirmation ?
La coalition Jàmm Ak Jariñ, dirigée par Amadou Ba, candidat malheureux à la présidentielle de mars 2024, est un sérieux prétendant aux législatives. Regroupant des partis politiques traditionnels tels que le Parti socialiste (PS), Amadou Ba bénéficie du soutien d’indéboulonnables caciques comme Aminata Mbengue Ndiaye. Crédité de 34 % des voix lors de la présidentielle, il s’impose naturellement comme le chef de l’opposition au président Diomaye. Aujourd’hui, la coalition Benno Bokk Yakar n’existe plus, et ses vestiges sont convoités de toutes parts. Amadou Ba possède toutefois des atouts, avec une expérience et une trajectoire solide. Il a réussi à attirer plusieurs membres influents de l’APR, malgré la rupture avec Macky Sall. Alioune Sall, Zahra Iyane Thiam, Abdou Latif Coulibaly et Cheikh Oumar Hann étaient présents lors de son retour en politique. Détendu et confiant, Amadou Ba semble prêt à affronter cette nouvelle étape politique. Cependant, la coalition Jàmm Ak Jariñ reste fragile, comme en témoigne la rupture avec l’Alliance des Forces de Progrès (AFP). Dans un communiqué publié le 10 octobre, le Comité électoral de l’AFP a exprimé son désaccord avec la composition de la commission d’investiture, qu’il juge cavalière et non inclusive. Les législatives du 17 novembre prochain seront cruciales pour Amadou Ba, marquant son premier test grandeur nature après la dissolution de Benno Bokk Yakaar. Ce sera une occasion pour lui de jauger son véritable poids électoral.
Tàkku Wàttu Sénégal, redorer l’héritage de Wade
Enfin, la coalition Tàkku Wàattu Sénégal marque la retrouvaille des libéraux, sans Idrissa Seck. Après des années d’attente, cette alliance voit enfin le jour. Elle rappelle le Parti Démocratique Sénégalais (PDS) des années 2000. L’alliance entre Abdoulaye Wade et Macky Sall confère à cette coalition un certain poids. Contrairement à l’APR issu d’une coalition, le PDS est un parti très organisé et qui dispose d’un appareil performant. La percée des libéraux regroupés au sein de la coalition Wàllu Sénégal en 2022 en est une illustration parfaite.
Cependant, cette alliance dite de « contrenature » par certains analystes politiques reste fragile. Certains libéraux n’ont pas oublié les persécutions politiques et les tentatives de Macky Sall d’affaiblir le PDS, ainsi que l’emprisonnement et l’exil de Karim Wade. Plusieurs membres influents du parti, tels que Doudou Wade et Abdoulaye Racine Kane, ont claqué la porte, refusant de soutenir une alliance qu’ils jugent incompatible avec les valeurs du PDS. « Ma décision est motivée par un désaccord profond avec l’alliance conclue entre le PDS et l’APR dans le cadre des élections législatives anticipées de 2024. J’estime que cette coalition compromet l’indépendance de notre parti et le place en position de soutien d’un ancien adversaire politique, ce qui n’est pas en accord avec les valeurs que j’ai défendues tout au long de mon engagement » explique Abdoulaye Racine Kane, ancien Secrétaire général national adjoint chargé des finances et trésorier général du PDS. De 2012 à 2024, le parti libéral s’est considérablement affaibli avec les défections. A l’approche des législatives, chaque camp tente de faire valoir ses arguments. Le Pastef d’Ousmane Sonko va-t-il rempiler ?
Par Henriette NIANG KANDÉ
LA SOCIÉTÉ CIVILE AU SÉNÉGAL, PROCESSUS HISTORIQUES ET CONTRAINTES SOCIALES
De l'ère du parti unique à l'alternance de 2000, la société civile sénégalaise a joué un rôle crucial dans l'approfondissement de la démocratie, tout en devenant parfois le refuge d'acteurs politiques en quête de reconversion
L’évolution récente des Etats africains traduit un élargissement important des possibilités pour les peuples, de participer en tant que citoyens, à la réalisation de leur progrès économique et social en influençant les décisions des gouvernants. Ces possibilités qui sont énoncées dans la plupart des Constitutions, sont largement mises en œuvre à travers les groupes de citoyens plus ou moins organisés qui ne cherchent pas à conquérir et à exercer le pouvoir, mais à exprimer la liberté et les besoins légitimes des citoyens. Le concept de société civile est mis en avant pour désigner cette catégorie intermédiaire entre l’Etat et les citoyens ordinaires..
La conception de la société civile en tant qu’espace de médiation entre l’Etat et les citoyens n’évacue en rien sa complexité et sa variabilité, notamment dans le contexte africain où l’institutionnalisation et la stabilisation des principes démocratiques rencontrent beaucoup de contraintes liées à l’origine occidentale (et donc étrangère) des notions de démocratie et de société civile, ainsi que de leur déclinaison dans les langues et les modes de vie locaux, et de leur rencontre avec d’autres principes qui aspirent aussi à gouverner la vie sociale, telle que la religion et les valeurs culturelles. Cependant, les analyses les plus pertinentes démontrent que les manifestations communautaires, religieuses et culturelles ne s’opposent pas à la promotion de la démocratie. En principe, la société civile exprime une diversité de formes de culture civique, conformes à une véritable vie démocratique et plurielle. Toutefois, dans le contexte africain, et selon l’état de la démocratie dans le pays concerné, elle peut être confrontée à des contraintes institutionnelles, techniques ou organisationnelles ainsi qu’à la manipulation politicienne et/ou à la frilosité de l’Etat, qui voit à travers les organisations civiques ou citoyennes, des instruments de contrôle et de contestation des politiques mises en œuvre par les gouvernements.
La société civile représente un maillon important dans la réalisation du progrès social et économique et un objet de recherche et d’action pour les chercheurs, les activistes, les Etats et les organisations internationales d’appui au développement. Après avoir considérablement contribué à la transition démocratique dans de nombreux états africains au cours des années 1990, la société civile a bénéficié d’une attention considérable au niveau global, national et local qui indique que les élections régulières à elles seules n’épuisent pas l’expression des libertés individuelles et collectives et ne constituent pas le seul fondement de la légitimité des décisions politiques. En effet, la société civile est un espace où différents groupes de citoyens se rencontrent, se mobilisent, échangent sur leurs préoccupations et apportent des solutions à leurs problèmes, ce qui la met nécessairement en relation avec les institutions internationales, les Etats, les collectivités locales et le marché.
Au Sénégal, le champ d’intervention de la société civile reste l’espace non gouvernemental et ce, depuis l’époque coloniale. UN PEU D’HISTOIRE Historiquement, l’avènement des indépendances en Afrique et la diffusion massive des sciences humaines dans toutes les représentations de la réalité économique et sociale dès les années 1950 contribuent à transformer la problématique du sousdéveloppement en problématique de la modernisation. Cependant, dans la plupart des contextes nationaux, cette problématique du développement et de la modernisation reposait sur le rôle majeur de l’Etat dans la mise en œuvre et le contrôle du processus de croissance, aussi bien au niveau des ressources nationales que de la mobilisation des soutiens populaires. Au cours des années 1970, le déclin des modèles idéologiques a libéré un espace théorique progressivement occupée par les thèmes et les productions intellectuelles stimulées par les organisations internationales telles que le PNUD, l’UNESCO, la Banque mondiale, l’OCDE, etc., qui sont devenus de facto les bailleurs de la recherche sur le développement, de plus en plus structurée en recherche-développement et en recherche-action. Ces deux approches ont permis de mettre en exergue la contradiction entre le dynamisme de la population et le manque d’efficacité de la bureaucratie étatique, avec, dans le cadre de l’expansion du nemo liberalis, des sollicitations de plus en plus précises à l’endroit de la société civile et du secteur privé, considérés comme des agents incontournables dans le processus de développement. Une trilogie se met de progressivement en place sous le concept de Consensus de Washington, avec l’Etat (le premier secteur), le secteur privée (le deuxième secteur) et la société civile (troisième secteur). C’est dans ce contexte que furent fondés ENDA Tiers-monde en 1972 comme programme des Nations-Unies pour l’Environnement, l’Institut Africain pour le Développement Economique et la Planification, et de l’Organisation Suédoise pour le Développement International, avant de se constituer en ONG en 1978.
Durant les années 1980, les programmes d’ajustement structurels (PAS) préconisés par la Banque Mondiale et le Fonds Monétaire International (FMI) ont contraint les Etats Africains à se retirer progressivement de plusieurs domaines du développement économique et social. En fait, la décennie 1980- 1990 est une période de crises économiques et politiques, marquée par le désengagement de l’Etat. C’était le « moins d’Etat, mieux d’Etat » d’Abdou Diouf. Face à l’avènement de l’Etat minimaliste et à l’approfondissement des inégalités sociales, les classes moyennes développent des stratégies de réponse qui contestent d’une manière ou d’une autre les systèmes autocratiques établis depuis l’indépendance, à travers l’Etat-Nation et sa version exclusiviste, le PartiEtat. Ce contexte engendre ou aggrave les conflits, la pauvreté de masse et les famines, et accélèrent les migrations forcées ou volontaires, l’urbanisation spontanée et la dégradation de l’environnement, laissant ainsi un vide que les Organisations de la Société Civile (OSC), devaient combler. En 1984, le CONGAD émerge comme consortium des Organisations Non Gouvernementales (ONG) sénégalaises. Les décennies 1980-90 ont constitué une période d’expansion des ONG locales qui vont de plus en plus se constituer en une société civile, avec la constitution de la RADDHO, du Forum Civil, du COSEF, du CNCR et de beaucoup d’autres organisations à vocation sous-régionales, telle que la FRAO, CARITAS, TOSTAN, l’AFAO, etc.
Les analystes s’entendent aussi à considérer que si les ONGs constituent une part importante de la société civile, celle-ci ne peut se composer uniquement d’elles. Une conception plus large de la société civile inclut les organisations syndicales néo-traditionnelles, les organisations communautaires de base (comme les Associations Sportives et Culturelles (ASC) et les Groupements de Promotion Féminines (GPF)), les organisations de ressortissants, les associations confrériques et religieuses.
Ces différentes formes d’organisations ont joué leur rôle en fonction de leur spécificité, de leurs objectifs mais aussi et surtout de leurs moyens matériel, humain et technique. Dans ce cadre général, les syndicats se sont faits remarquer par les différents combats menés non seulement pour l’amélioration des conditions de travail de leurs membres mais, en plus, pour la mise en place d’une organisation politique (au niveau de l’Etat) respectueuse des principes républicains. C’est ainsi que les syndicats tout comme les organisations de la société civile ont apporté une contribution importante à l’avènement de l’alternance au Sénégal en 2000.
La société civile sénégalaise a été particulièrement active dans la provision de services aux groupes marginalisés. Cependant, malgré leurs bonnes intentions, les organisations de la société civile n’ont toujours pas eu ni les ressources nécessaires, ni la capacité de faire des économies d’échelle pour offrir ces services de manière significative. C’est pourquoi, la société civile est plutôt attendue dans sa capacité de renforcer l’Etat afin de lui permettre de faire face à ces responsabilités en direction des populations pauvres.
L’une des opportunités qui a été offerte à la société civile de supporter les efforts de l’Etat en direction des couches pauvres a été le processus de rédaction du Document Stratégique de Réduction de la Pauvreté (DRSP) pour lequel, la Banque mondiale et la communauté des bailleurs souhaitaient une appropriation effective par les bénéficiaires. La société civile devait assurer cette appropriation par son implication effective tout au long du processus d’élaboration du DRSP et dans la mise en œuvre et l’évaluation des politiques de lutte contre la pauvreté. La participation de la société civile dans ce processus a été jugée largement insuffisante, pour cause d’obstruction de la bureaucratie étatique, du manque de ressources financières et techniques, et des délais étroits fixées par la Banque mondiale.
La société civile sénégalaise a été active dans les activités de lobbying en direction des pouvoirs, que quand il s’est agi de sujets qui ne représentaient pas de grands enjeux pour les tenants du pouvoir. Deux exceptions méritent d’être soulignées à ce niveau : il s’agit des efforts du Collectif des ONG pour des élections transparentes qui a fortement contribué à un processus électoral transparent en 1999- 2000, sans pouvoir rééditer ce succès en lors des 2007. Puis des efforts ont été enregistrés pour une plus grande transparence dans la gestion des affaires publiques. L’analyse des attitudes de l’Etat post-alternance envers ces initiatives, et envers la société civile en général (considérée comme des groupes de politiciens « encagoulés » par les Présidents Abdoulaye Wade et Macky Sall), indique que l’influence de la société civile sur l’Etat a considérablement grandie.
La société civile a évolué vers la fin des années 2000 en intégrant de nouvelles formes d’organisation qui se veulent être des représentations d’ONG internationales mais elle va surtout s’emparer de problématiques nouvelles comme la gouvernance et les droits humains. Un tournant majeur va s’amorcer, certes en lien avec le contexte socio-politique marqué par les effets des politiques libérales, et se traduire par une exigence de plus en plus accrue des OSC pour une bonne gouvernance des ressources du Sénégal et une représentation des acteurs de la société civile dans les instances de représentations gouvernementales.
L’organisation des Assises Nationales en juin 2008, constitue une bifurcation importante dans les trajectoires des OSC et va consacrer cette exigence de la société civile à engager le gouvernement dans la gouvernance participative où le citoyen serait au cœur. Ces larges concertations ont donné lieu à la production d’une Charte de bonne gouvernance démocratique censée engager le président de la République, Macky Sall, alors signataire. Cette charte sera remise au gout du jour lors des dernières élections présidentielles après avoir largement inspiré les travaux de la Commission Nationale de Réforme des Institutions (CNRI). Dans le même temps, des missions locales d’observation des élections seront mises en place par les OSC. Ce qui fera émerger ou renforcer le rôle et les missions des OSC (COSCE) attachés aux idéaux d’une République démocratique, aux enjeux de bonne gouvernance et des droits humains faisant de leurs représentants, des acteurs incontournables du jeu démocratique local. Ces OSC vont également (se) nourrir de nouvelles ambitions de souveraineté africaine et s’inscrivent dans une perspective dé-coloniale qui émerge ou est présentée comme une volonté des populations africaines. Des cadres de réflexion autonome sous forme de think tanks, des ONG spécialisées dans la gouvernance des ressources naturelles, vont produire des évidences scientifiques qui viendront alimenter les échanges entre État, citoyens et société civile. Leur rôle de médiateurs et leur reconnaissance par les citoyens vont se sédimenter au point que ponctuellement des initiatives, des formes d’engagement citoyen, regroupant les acteurs de la société civile dans leur diversité et leur pluralité émergent, se développent, se redéfinissent, se redéployent au gré des contextes… politiques notamment en temps de crises. L’exemple le plus récent en date reste la plateforme « Aar Sunu Election » lors des dernières élections présidentielles qui est née de la volonté du report de l’élection présidentielle de 2024, par le Président sortant, Macky Sall.
Cartographie
D’une manière générale, les organisations formelles de la société civile sénégalaise sont largement basées dans les centres urbains, dans la mesure où elles sont souvent l’émanation des organisations de citadins et de lettrés produits par l’école occidentale. Selon les moyens dont elles disposent et les vocations qu’elles se donnent, elles interviennent à l’intérieur du pays et en milieu rural et contribuent au renforcement des associations communautaires de base qui sont leurs principaux bénéficiaires. Cependant, beaucoup d’organisations ethniques et religieuses se sont rapidement modernisées pour répondre aux exigences légales qui leur permettent de fonctionner en conformité avec les lois en vigueur, tout en utilisant les médias et les outils technologiques pour faire passer leurs messages, mobiliser leurs partisans et influencer les décisions.
Dans ce contexte, la différence entre OSCs formelles et OSCs traditionnelles tend à s’amenuiser, au profit de la différence dans les domaines d’interventions. Ainsi, la plupart des OSCs réunies au sein du CONGAD sont actives dans les différents secteurs sociaux du développement (santé, éducation, assainissement et autres services sociaux de base) et s’intègrent tant bien que mal dans un schéma relationnel avec l’Etat et le marché qui correspond aux orientations dégagées par le Consensus de Washington. Les programmes qu’elles mettent en œuvre visent surtout à contrôler et à influencer les politiques mises en œuvre par l’Etat, à renforcer les capacités des bénéficiaires à défendre leurs intérêts à travers des approches participatives, et à appuyer les initiatives de projet de développement à l’échelle locale.
Les contraintes et limites
La société civile sénégalaise a contribué à l’amélioration de la bonne gouvernance au niveau central comme au niveau local. Elle a travaillé dans le sens de l’approfondissement de la démocratie, de la construction d’un Etat de droit et de la protection des Droits de l’Homme. Cependant, dans certains cas, elle présente un profil de fonctionnement semblable à des organisations politiques : faible renouvellement des instances de gouvernance et conquête du pouvoir. Certains responsables des Organisations de la Société Civile se servent de tels appareils pour accéder à des stations du pouvoir ou pour contrôler et s’accaparer des ressources. D’autres ont emprunté la voie inverse : après avoir été politiques, ils se sont « réfugiés » dans la société civile. Pour ces cas précis, il est nécessaire de reconfigurer la société civile au Sénégal en en faisant des entités neutres dont la mission est de veiller à un exercice régulier et équitable du pouvoir.
Du fait de la diversité de ses acteurs, les contours de la société civile sont difficiles à tracer. Ce qui peut en faire une entité traversée par la confusion avec des pratiques bureaucratiques nébuleuses, plutôt orientés dans le sens des préoccupations d’une certaine élite et non vers une prise en charge de la forte et réelle demande des populations. Toutefois, il se manifeste une nouvelle conception de la Société Civile avec les nouvelles générations, qui veulent jouer leur rôle dans l’équilibre du climat politique, la distribution équitable des ressources, la prévention et la gestion des conflits, l’installation d’un Etat de droit, la réforme des mécanismes de désignation des représentants du peuple et la participation effective des citoyens dans le management des affaires qui les concernent.
Le concept de société civile se caractérise en Afrique et au Sénégal par le flou sémantique qui l’entoure. Cela se traduit par la difficulté à en définir ses contours, ses composantes et son contenu. Longtemps incarnée par une élite en déconnexion avec les réalités sociales sénégalaises, elle a eu du mal à se démarquer de la gouvernance politique et à s’imposer comme un véritable contre-pouvoir. Bien sûr l’émergence de nouveaux mouvements dits de société civile peuvent laisser envisager que celle-ci va contribuer à l’éveil d’une nouvelle conscience citoyenne du fait de la diversité des profils d’acteurs se positionnant comme défenseurs de la cause civile ou plutôt citoyenne.
PAR l'éditorialiste de seneplus, Amadou Elimane Kane
ÉTHIQUE, CULTURE, ÉDUCATION ET RENAISSANCE AFRICAINE
EXCLUSIF SENEPLUS - La moralisation politique doit guider tous les projets de changement. C’est un des grands défis du XXIe siècle que de bâtir ensemble les piliers républicains africains qui permettent des gouvernances saines
Amadou Elimane Kane de SenePlus |
Publication 25/10/2024
Quand on considère la dynamique de la renaissance africaine, on voit que les leviers fondamentaux sont multiples. La renaissance africaine est une démarche qui propose un ensemble de valeurs en rupture avec les représentations afro-pessimistes.
Cette démarche de rupture doit s’accompagner d’une unité africaine avec pour pilier plusieurs articulations qui permettent d’œuvrer pour la renaissance :
une unité culturelle avec la réappropriation du patrimoine historique qui soit transmise par le biais de l’école ;
une unité économique et monétaire avec une réelle exploitation des richesses naturelles du continent ;
une unité politique d’où doivent émerger une véritable démocratie, la défense des droits humains fondamentaux et la lutte contre les corruptions.
Mais ce projet panafricain ne pourra s’accomplir sans l’idée forte selon laquelle chaque africain doit recouvrer une image juste de soi, avec l’estime et la confiance nécessaires à la réhabilitation de ses valeurs humaines, sociales, culturelles et éducationnelles. Cette prise de conscience est un élément fondamental pour comprendre la nature plurielle des enjeux majeurs du XXIe siècle pour le continent africain.
L’éthique, valeur de changement
Cependant, il existe un facteur décisif qui peut assurément mener aux valeurs républicaines qui nous préoccupent, je veux parler de l’éthique face à la responsabilité publique, à la conduite des États et à une gouvernance équitable.
Tout d’abord, qu’est-ce que l’on entend par le terme « éthique » ? Observer une éthique est défini comme une « science de la morale » ou un « art de diriger la conduite ». Dans le domaine médical, il existe une éthique professionnelle, ou « bioéthique », qui permet de mettre au premier plan les objectifs de la recherche, de la médecine, au mépris des intérêts financiers et/ou personnels que représentent les divers lobbyings.
Et bien je dirais que l’éthique professionnelle et humaine doit habiter tout l’espace citoyen et républicain du continent africain. C’est une condition nécessaire si l’on veut parvenir au développement, à la croissance réelle, et si l’on souhaite se relever dignement à travers les principes de la renaissance africaine. Ces deux attitudes doivent coexister de manière forte.
L’éthique est une valeur intrinsèque du changement politique, économique, social et culturel que l’on attend. Un professeur possède une éthique face à ses élèves. Il se doit de considérer chaque apprenant en capacité de réfléchir, de progresser, et il doit les respecter dans leur singularité et leur unité. Son principal objectif est d’aider ses élèves à apprendre. Un véritable artiste possède aussi une éthique dans ce qu’il exprime, ce en quoi il croit viscéralement. Il peut faire des compromis, mais pas de compromissions, car il ne doit pas se défaire de sa déontologie au risque de perdre son art, ou son âme. Celui qui céderait, par exemple, à une opération financière où l’art serait secondaire, bafoue la moralité dans laquelle il s’est engagé. Le journaliste possède une éthique qui est celle de transmettre l’information le plus justement possible, et ce au plus grand nombre. S’il s’associe aux puissants des États, s’il accepte de rendre public des évènements maquillés, il viole les valeurs de son métier. Et il en va ainsi naturellement pour tous les domaines professionnels.
De la sorte, on voit bien que la plupart des sociétés sont constituées d’une éthique, qui est un ensemble de codes moraux régis par les institutions qui garantissent l’équité et la justice.
Il en va de même pour l’exercice politique. L’éthique doit être au centre de tous les programmes politiques, au cœur de toutes les organisations qui forment les États africains, nos régions et nos nations. C’est le cadre moral qui doit prévaloir sur tout autre aspect au sein de nos institutions, et ce au plus haut niveau des responsabilités.
L’intégrité politique, pierre angulaire de la renaissance africaine
L’éthique doit s’inscrire dans le code des valeurs républicaines et ne jamais céder aux enjeux financiers et aux réussites matérielles et personnelles. L’intégrité doit être le premier engagement pour les hommes et pour les femmes qui sont destinés aux plus hautes responsabilités.
Au XXIe siècle, il n’est plus acceptable de voir à la tête des États africains, la corruption, le népotisme, l’impunité, et d’agir comme si cela était tout à fait normal. Ces pratiques immorales et injustes sont tellement courantes que l’on n’y prend plus garde ; et cela est grave car elles se banalisent.
Moi, je dis que c’est un fléau qui doit cesser ; c’est une gangrène croissante qui empêche à la fois le développement et la véritable démocratie.
Ce qu’il faut aujourd’hui, c’est bâtir les valeurs républicaines africaines et les garantir durablement. Comment est-il possible que certains hommes politiques des pays en voie de développement soient plus riches que les chefs d’États qui exercent en Occident ? Ceci est inacceptable et conduit assurément à la faillite économique et morale.
Il faut construire un pacte vertueux qui assure que :
celui qui dirige les affaires publiques s’engage à une conduite honnête et une éthique à toute épreuve ;
celui qui a en charge les deniers publics a des comptes à rendre à chaque moment de sa carrière administrative ou politique.
C’est un changement radical qui doit s’opérer dans la conduite des États, et chaque homme, chaque femme, tous les acteurs intègres doivent lutter contre toutes les formes de profits. La moralisation politique doit guider tous les projets de changement. Sans cela, l’échec perdurera et la misère grandira encore.
Chacun doit avoir à l’esprit qu’il faut combattre inlassablement ce qui mène à la « banqueroute » : la corruption, le népotisme, l’impunité. Voici les trois grands coupables des États africains et du continent tout entier qui conduisent à l’immobilisme culturel.
C’est un des grands défis du XXIe siècle que de bâtir ensemble les piliers républicains africains qui permettent des gouvernances saines et de la justice sociale.
Mais les solutions pérennes pour anéantir l’effondrement des nations africaines sont aussi la fraternité, la solidarité, l’intégrité, l’unité et la transmission de ces valeurs par l’éducation et la formation des élites.
Ainsi, si nous partageons ces valeurs éthiques et républicaines, que nous les inscrivons au patrimoine culturel africain et que nous les mettons en place comme un rempart indestructible, nous pourrons contribuer à l’émergence de notre continent et à la renaissance africaine. Nous pourrons enfin entrer sur le grand échiquier économique et politique mondial qui mène assurément à la créativité.
Amadou Elimane Kane est enseignant et chercheur en sciences cognitives, poète écrivain.
UNE ABSENCE QUI REBAT LES CARTES
Dans le contexte des élections législatives de novembre 2024, l'absence de deux figures majeures du paysage politique sénégalais, Macky Sall et Karim Wade, marque un tournant décisif.
Dans le contexte des élections législatives de novembre 2024, l'absence de deux figures majeures du paysage politique sénégalais, Macky Sall et Karim Wade, marque un tournant décisif. Leur absence sur le terrain laisse un vide stratégique et symbolique, mais aussi une opportunité pour d'autres figures montantes de capitaliser sur cette situation.
L'élection présidentielle a souvent été, comme l'a souligné François Bayrou, homme politique français (centre), ‘’la rencontre d'un homme et d'un peuple’’. Mais au Sénégal, cette rencontre est façonnée par des alliances politiques complexes, une histoire riche de mobilisations populaires et des figures centrales qui incarnent des idéaux, au-delà de leurs partis.
Cependant, dans ce cycle électoral, la dynamique est singulièrement différente, marquée par des absences notables et des présences éclatantes.
Sonko, maître du terrain
Ousmane Sonko, leader du parti Pastef, a fait un retour spectaculaire sur la scène politique en organisant un meeting gigantesque au Dakar Arena, le 19 octobre 2024. Cet événement, qualifié de ‘’giga meeting’’ payant, a marqué les esprits. En pleine mobilisation pour les Législatives, il a réussi non seulement à galvaniser ses partisans, mais aussi à envoyer un signal fort à ses adversaires. La rencontre a été perçue comme le lancement officieux de sa campagne pour les Législatives, mais aussi un test grandeur nature pour jauger la capacité du Premier ministre à maintenir une présence électorale forte malgré les défis judiciaires et politiques qu'il a rencontrés.
La mobilisation massive autour de cet événement envoie un message clair : Sonko est toujours dans la course et ne compte pas céder du terrain, même face à des adversaires comme Amadou Ba et Bougane Guèye Dany.
Ce dernier, en tant que président de la coalition Gueum Sa Bopp, adopte une stratégie de dénonciation directe, mais peine à égaler la popularité et la base militante de Sonko. Amadou Ba, de son côté, joue la carte de la sobriété, tentant de se démarquer par des discours mesurés, mais percutants, se positionnant comme un candidat du compromis.
Le leader de Pastef, quant à lui, a pris une posture de défi ouvert en appelant Amadou Ba à un débat public contradictoire, notamment sur les questions économiques et la gestion financière du pays. Cette initiative vise à désarmer ses adversaires et à se présenter comme le seul candidat capable d’affronter les défis économiques de la nation. Ce genre de stratégie vise à affaiblir son principal rival en le contraignant à se justifier publiquement, une tactique qu'il a déjà utilisée dans d’autres contextes politiques.
La stratégie de Bougane : la victimisation comme moteur de mobilisation
Bougane Guèye Dany, quant à lui, a adopté une stratégie qui repose en grande partie sur la dénonciation et la victimisation. Son arrestation récente est devenue un point central de sa campagne. Ses alliés, dont Barthélemy Dias, Pape Djibril Fall et Thierno Bocoum, ont rapidement saisi l’occasion pour attaquer le régime sur des questions de liberté de mouvement et de droits civiques. Ils dénoncent l’arrestation de Bougane qu’ils considèrent comme une manœuvre politique visant à étouffer une opposition légitime, un argument qui trouve un écho important auprès de la société civile et des observateurs internationaux.
La stratégie de victimisation de Bougane a renforcé sa stature politique. Il est perçu non seulement comme un leader en quête de changement, mais aussi comme une victime du système, ce qui lui permet de rallier à sa cause une partie de l’électorat sensible aux questions des Droits de l’homme.
Cependant, cette approche comporte des risques : elle pourrait finir par cantonner Bougane au rôle de dissident sans véritable programme de gouvernance, ce qui limiterait son attrait au-delà de son noyau dur de partisans.
Face à ces deux figures, Amadou Ba tente de jouer un rôle de modérateur. Son entrée discrète dans la course et sa communication mesurée traduisent une stratégie visant à ne pas s’engager trop rapidement dans des affrontements directs. Il préfère se concentrer sur les questions économiques et sociales, tout en prenant ses distances par rapport aux débats hyper-médiatisés que Sonko et Bougane semblent favoriser. Ses lieutenants, Madiambal Diagne et autres, occupent l’espace médiatique en critiquant tous azimuts les actions du régime.
Cependant, Amadou Ba se trouve dans une position délicate. D’un côté, il doit répondre aux attentes d’un électorat qui veut des réponses claires et immédiates sur les accusations portées contre lui et la crise économique que traverse le pays. De l’autre, il doit éviter de se laisser entraîner dans les polémiques stériles qui pourraient détourner l’attention sur son programme. En s’attaquant à la Vision 2050 héritée du PSE (Plan Sénégal émergent), Amadou Ba a tenté de marquer une rupture avec l'ancien régime, tout en soulignant les défis économiques qui, selon lui, rendront difficile la réalisation de cette ambition à long terme. Sa réaction à l’appel de Sonko et un possible débat avec cet homme redoutable pourraient redéfinir les contours de ces Législatives.
Karim Wade : l’omniprésence malgré l’exil
L’absence physique de Karim Wade, en exil au Qatar depuis 2016, soulève des questions sur la capacité de la coalition Takku Wallu à maintenir une présence électorale forte. Cependant, l'ancien ministre de l’Énergie reste une figure influente dans les coulisses. Ses lieutenants, dont Mamadou Lamine Thiam et Saliou Dieng, maintiennent son réseau et son influence sur le terrain. Karim Wade a déjà montré lors des scrutins précédents qu'il pouvait diriger une campagne à distance, une forme de ‘’pilotage par procuration’’ qui, bien que controversée, a su maintenir sa base électorale mobilisée.
Son absence pourrait cependant poser problème face à la montée en puissance de nouveaux leaders comme Sonko et Bougane. La question est de savoir si la stratégie du ‘’leadership en exil’’ pourrait rivaliser avec l'énergie et la présence constante de ces nouveaux challengers.
Karim Wade devra donc compter sur des interventions médiatiques et des communiqués pour maintenir son influence. Mais serait-ce suffisant face à des adversaires beaucoup plus visibles et engagés sur le terrain ? D’autant plus qu’au fil du temps, il a perdu une bonne partie de ses fidèles : Doudou Wade, Tafsir Thioye, etc.
Macky Sall, quant à lui, a annoncé qu'il reviendrait au Sénégal pour participer à la campagne. Son absence prolongée a soulevé de nombreuses interrogations sur son rôle futur dans la coalition Takku Wallu. Ses partisans, comme Farba Ngom, ont confirmé sa participation, mais la question reste de savoir dans quelle mesure il pourra influencer une campagne où les électeurs attendent des engagements clairs et une nouvelle vision politique.
Son absence a également mis en lumière la difficulté pour des figures comme Abdou Mbow de prendre le relais. Bien que fidèle lieutenant de Macky Sall, l’ancien vice-président de l’Assemblée nationale peine à mobiliser avec le même charisme et l'unanimité que son mentor. Il devra compter sur des soutiens comme Abdoulaye Daouda Diallo pour compenser ce manque de leadership visible. Cela suffira-t-il pour contrer un Sonko endurant et énergique déjà en campagne active ?
Le paysage politique actuel est marqué par une fragmentation des forces en présence. Alors que Sonko mène une campagne de terrain intense, Bougane et ses alliés cherchent à attirer l’attention par des stratégies de dénonciation et Amadou Ba mise sur une approche plus réfléchie et prudente. Pendant ce temps, les grands absents, Macky Sall et Karim Wade, font figure de fantômes politiques influents, mais distants, laissant leurs lieutenants occuper le terrain.
La campagne législative qui s’annonce sera donc marquée par ces absences et ces présences. La question reste de savoir si l’absence de Macky Sall et de Karim Wade jouera en leur défaveur ou si leurs réseaux bien établis pourront compenser leur absence physique. Quoi qu’il en soit, cette élection s’annonce comme l’une des plus disputées de l’histoire récente du Sénégal.
par Birane Diop
FACE AUX INJUSTICES ET AUX INÉGALITÉS : LE CINÉMA, UNE ARME POLITIQUE
Les Graines du figuier sauvage est un film beau, tragique, militant, et par-dessus tout politique. Mohammad Rasoulof a réussi, malgré les terribles conditions du tournage, à montrer la soif de liberté des Iraniens
Samedi 19 octobre 2024, dans le quartier de Saint-Germain, au cœur de la rive gauche, je suis allé voir un film au cinéma UGC Danton : Les Graines du figuier sauvage, de Mohammad Rasoulof, tourné clandestinement, loin des regards inquisiteurs des mollahs. D’abord, qui est le réalisateur courageux de ce film ? Mohammad Rasoulof est un cinéaste iranien qui a fui son pays pour éviter une peine de prison et les persécutions d'un régime brutal. Il vit à Hambourg et a à son actif dix films, tous brillants. Je peux citer, entre autres : Les Manuscrits ne brûlent pas (2013), Un homme intègre (2017), Le Diable n’existe pas (2020), Les Graines du figuier sauvage (2024).
Cet exilé, qui a son pays chevillé au corps malgré l’absence, a puisé dans son panthéon personnel et, plus largement, dans l’histoire de l’Iran pour construire un film à la fois politique et militant, qui dénonce les absurdités d'une société patriarcale et fermée, après la mort de Jina Mahsa Amini, une jeune Iranienne kurde tuée par la police des mœurs pour avoir porté son voile de manière incorrecte.
Le film évoque les récents événements traversés par la société iranienne et la violence qui la caractérise. À travers ce film, le réalisateur porte un regard critique sur les monstruosités d’un régime théocratique dont la loi est fondée sur la charia. Rasoulof montre brillamment que les femmes iraniennes sont privées de toute forme de liberté, ainsi que de l’accès à la beauté, dans son sens profond, peut-être la seule véritable essence de l'existence. Ce puissant film, hautement politique, s'inspire du mouvement « Femme, vie, liberté », qui a résonné à travers le monde ces derniers mois, nourrissant le débat ainsi que la volonté de lutte.
Il raconte, à travers une famille de la classe moyenne, l’histoire du mouvement « Femme, vie, liberté », qui incarne la quête de liberté des femmes et la lutte contre les inégalités et les lois répressives en Iran, Téhéran en étant le bastion.
Cette quête de liberté et d’émancipation est incarnée par deux jeunes filles, Rezvan et Sana, ouvertes sur le monde et aux courants progressistes grâce aux smartphones et aux réseaux sociaux – espace de liberté et d’émancipation. Leur père, Iman, a été promu juge au service d’un régime autoritaire et violent, tandis que leur mère, Fatemeh, est nourrie par une culture conservatrice reléguant les femmes au second plan. Le film est centré principalement sur le personnage d’Iman – la Foi. Tout part de lui et y revient. Promu juge au tribunal révolutionnaire de Téhéran grâce à l'appui d’un collègue, il est chargé de jouer les mauvais rôles, voire d'accomplir des missions perfides pour garantir une future ascension sociale. L’objectif est de devenir juge d’instruction, ce qui est le Graal, mais avant d’y arriver, il doit flirter avec les compromissions. Ses valeurs, ses principes et son honorabilité sont échangés contre les privilèges fugaces que lui promet le régime par l’entremise de son collègue.
Quand le mouvement de protestation s'est déclenché dans les écoles et universités de Téhéran contre les dérives du régime, sa fille aînée, Rezvan, a vu sa meilleure amie, Sadaf, perdre littéralement sa beauté et son avenir, car les forces de l’ordre lui ont crevé l’œil gauche. Cette injustice, teintée d’une violence aveugle, a poussé Rezvan et sa petite sœur Sana à contester ouvertement le régime théocratique, dont Iman, leur père, est l’un des fidèles soldats. Elles pointent du doigt l’oppression politique et religieuse exercée par les gardiens de la morale et les représentants de Dieu sur terre. C’est à ce moment-là qu’Iman perd son arme de service chez lui, une arme qui lui permet de se protéger contre les manifestants et les « ennemis d’Allah ».
C’est le début de sa descente aux enfers. Sa fille Rezvan lui assène des vérités qu’il a du mal à admettre, tandis que son collègue lui suggère de trouver une solution très vite. L’arme doit être retrouvée, sans quoi il peut dire adieu à ses ambitions professionnelles de devenir juge d’instruction et d'intégrer l’élite de Téhéran. Iman est tiraillé. Sur les conseils de son collègue au tribunal, il envoie sa femme et ses filles chez un psychologue, un de ses amis, afin de savoir laquelle d’entre elles a volé l’arme tant cherchée. Cette consultation s’est soldée par un échec cuisant. Il convainc alors Fatemeh et les filles d’aller dans son village pour quelques jours afin de se reposer et de fuir l’agitation de la ville. Tout cela était cousu de fil blanc : par ce retrait, Iman cherchait simplement à retrouver son arme. Après avoir passé une nuit dans ce village calme, Iman commence son entreprise détestable : la torture de sa femme Fatemeh et de Rezvan, qu’il soupçonne d’avoir volé l’arme.
Iman a transposé la violence verbale qu’il exerçait sur les détenus du régime à sa famille, mais cette violence n’est pas seulement verbale, elle est aussi physique et psychologique. L’aveuglement qui caractérise le pouvoir théocratique iranien a atteint Iman, ce père jadis taiseux, pudique et aimant. Le drame familial est total. Car Iman est finalement tué par sa fille cadette, Sana, pour libérer sa mère et sa grande sœur Rezvan, son amie et modèle.
Les Graines du figuier sauvage est un film beau, tragique, militant, et par-dessus tout politique. Mohammad Rasoulof a réussi, malgré les terribles conditions du tournage, à montrer la soif de liberté des Iraniens, notamment des femmes, qui sont les principales otages de l’État policier iranien. C’est un long métrage qui peut paraître ennuyeux au regard du déroulement du récit, mais magistralement magnifique. Par ce film, Mohammad Rasoulof dit au monde que le cinéma est une excellente arme contre les injustices et les inégalités qui traversent les sociétés, notamment la sienne : l’Iran.
En regardant Les Graines du figuier sauvage, j’ai pensé au Sénégal et aux gardiens de la morale qui y pullulent comme Jamra et And Samm Jikko Yi. Ces intégristes religieux qui veulent réguler l’espace public selon leurs codes ancestraux en attaquant les libertés fondamentales garanties par la Constitution. J’ai pensé aussi au père du cinéma africain Ousmane Sembène, qui a brillamment exercé son métier d’artiste au service des causes justes. Son vaste œuvre n’a eu de cesse de montrer les inégalités qui traversent la société sénégalaise et les violences infligées aux filles et femmes en devenir au nom de la religion, l’islam. J’ai en mémoire Moolaadé.
Mohammad Rasoulof, tout comme le cinéaste Sembène, sont des tisseurs d’avenir, même si le Sénégalais a rejoint l’autre rive. Le temps n’effacera pas leurs œuvres.
NOMINATION DE SAMBA NDIAYE, DIOMAYE VA-T-IL CÉDER FACE À LA PRESSION ?
Des militants de Pastef se sont déchaînés contre le nouveau président du Conseil d’administration de la Sn Hlm. Des responsables du parti ont même critiqué ouvertement cette nomination.
Nommé Président du Conseil d’administration de la Sn Hlm, Samba Ndiaye fait l’objet d’un véritable bashing sur les réseaux sociaux. Les militants, et même des responsables de Pastef, s’opposent ouvertement à cette nomination du président de la République Bassirou Diomaye Diakhar Faye.
Le président Bassirou Diomaye Diakhar Faye va-t-il revenir sur sa décision, face à la pression de son parti ? En tout cas, les militants de Pastef se sont déchainés contre la nomination de Samba Ndiaye au poste de président du Conseil d’administration de la Sn Hlm. Des responsables du parti ont même ouvertement critiqué la nomination.
Et c’est Waly Diouf Bodian, Directeur général du Port autonome de Dakar(Pad), qui a donné le ton. Dahirou Thiam, Dg de l’Artp lui emboitera le pas : «Samba Ndiaye doit dégager ! De même que le DG de l’Agetip El Malick Gaye», a-t-il plaqué sur sa page facebook.
Abass Fall, la tête de liste de Pastef à Dakar, s’est lui aussi invité au concert de désapprobations : «J’ai signé la pétition pour le départ immédiat d’un voyou qui nous a toujours insulté, nous et notre Pros. Samba Ndiaye doit dégager», dit-il.
Même Sadikh Top, qui a été lui aussi nommé hier Pca de l’Aps, a encouragé la campagne de désapprobation : «Le nombre d’interpellations que j’ai reçues aujourd’hui concernant le nommé Samba Ndiaye démontre une chose : vous tenez à la réussite de ce projet. Alors n’ayez aucun complexe à dénoncer ce genre de décision, d’où qu’elle vienne !»
Le chef de l'Etat va-t-il plier ? Ou va-t-il résister ? Les prochaines heures nous édifieront.
par René Lake et Elhadji M. Mbaye
DE LA LÉGITIMITÉ DE LA SOCIÉTÉ CIVILE FACE AUX ÉLUS
EXCLUSIF SENEPLUS - Reconnaître la légitimité de la société civile en tant qu’acteur moral et social, sans chercher à la réduire ou la marginaliser. À son tour, elle doit comprendre que son rôle n’est pas de se substituer aux élus
René Lake et Elhadji M. Mbaye |
Publication 24/10/2024
Le débat sur la légitimité de la société civile, en opposition ou en complément à celle des élus, a traversé l’histoire politique du Sénégal depuis les indépendances. Depuis l’accession au pouvoir du président Bassirou Diomaye Faye, le 24 mars 2024, survenue après de longs mois de combats menés concomitamment par des acteurs politiques et ceux de la société civile, la légitimité de ces derniers est au centre de l’actualité en raison de leur détermination dans la lutte pour le changement de régime et du traitement auquel ils font l’objet dans le champ politique.
La société civile sénégalaise a ainsi activement contribué à la sauvegarde des fondements démocratiques du Sénégal, à un moment où le pouvoir de Macky Sall cherchait délibérément à empêcher une alternance politique par la voie des urnes. Elle a, au même titre que d’autres acteurs politiques, mobilisé des ressources humaines, financières, intellectuelles, logistiques pour éviter le recul démocratique du pays.
Ainsi, depuis l'élection au premier tour, avec plus de 54 % des voix, du président Bassirou Diomaye Faye, cette légitimité se pose avec acuité, que ce soit de manière explicite ou de façon plus insidieuse dans l'espace public. Le risque est réel de voir des acteurs politiques s’octroyer cette victoire et oublier tout le processus et l’engagement de tous les acteurs, y compris ceux de la société civile (universitaires, journalistes, religieux, avocats, médecins, syndicalistes, artistes…) qui ont aussi apporté leur contribution à la victoire contre le régime de Macky Sall, sans compter les luttes démocratiques menées depuis de nombreuses décennies.
Le Sénégal avait besoin de changement, et l’appartenance à un parti politique n’était pas un critère de légitimité dans la lutte pour ce changement. Cette victoire n’est pas seulement celle des acteurs politiques, elle est celle de tous.
Face aux demandes répétées de la société civile pour le respect des engagements du candidat Diomaye, il est nécessaire de s’arrêter pour faire le point sur le rapport entre société civile et acteurs politiques, entre ceux qui sont élus ou nommés et ceux qui contribuent à l’action publique par d’autres moyens. La promotion du nouveau référentiel des politiques publiques qui appelle à la mobilisation de tous pour faire face aux problèmes dont souffre notre pays nécessite l’implication de toutes les forces vives de la nation, qu’elles soient politiques ou issues de la société civile. Mais pour cela, il est important de mieux préciser le rôle, la place, la légitimité de la société civile et les ponts qu’elle doit établir avec les acteurs politiques au service de la Nation.
L’objectif de cet article est d’abord de rappeler les fondements historiques, sociaux et politiques des deux pouvoirs, politiques (partis politiques) et civils (société civile), ensuite d’expliquer comment ils coexistent, se complètent et enfin peuvent parfois entrer en conflit lorsque l’intérêt général est menacé.
Certains acteurs politiques tentent d’aborder cette question sous l’angle de savoir si la légitimité des acteurs civils peut rivaliser avec celle conférée par les urnes. Ce sujet mérite une réflexion approfondie. Cependant, l'objectif de cet article n'est pas d'opposer de manière binaire ces deux formes de légitimité, mais plutôt de comprendre comment elles coexistent, se complètent et, parfois, entrent en conflit.
Cette réflexion propose une analyse détaillée de ces deux formes d’autorité, en tenant compte de leurs fondements, de leurs rôles respectifs face aux enjeux démocratiques contemporains.
Les fondements de la légitimité élective : une autorité issue du processus démocratique
La légitimité élective repose, de manière formelle, sur l’expression de la volonté populaire à travers le vote. Ce processus est central dans toute démocratie, car il permet de conférer une autorité politique aux élus, chargés de représenter l’intérêt général. Le mandat électif, obtenu par la voie des urnes, est perçu comme la validation ultime d’une autorité. Il est souvent présenté comme l’incarnation même du pouvoir démocratique. Pourtant, cette légitimité n’est pas sans limites ni contestations.
L'une des critiques les plus récurrentes est que la légitimité élective repose sur un moment précis — l’élection —, mais qu'elle peut rapidement s’éroder si l’élu échoue à transformer cette légitimité en action concrète au service de la population. Des exemples emblématiques, comme celui d’Abdoulaye Wade ou encore, plus récemment, de Macky Sall, illustrent comment une légitimité électorale solide peut être mise à mal par des scandales éthiques. Élus légitimement et avec un enthousiasme populaire incontestable, leur autorité s’est effondrée significativement du fait de leur gestion solitaire et parfois autocratique, qui a révélé les failles morales de leur administration respective. Ce type de situation pose une question cruciale : l'élection suffit-elle à garantir la légitimité ?
Dans de nombreux cas, les élus sont tentés de faire des compromis pour conserver leur position, ce qui peut les conduire à adopter des stratégies politiques déconnectées des attentes de leurs électeurs. Cela est particulièrement visible dans des systèmes politiques où la réélection devient un objectif en soi, souvent au détriment du bien commun. Ainsi, la légitimité élective peut parfois être en porte-à-faux avec l'intérêt collectif, surtout lorsque la survie politique devient prioritaire pour l’élu.
En outre, il faut aussi préciser qu’il y a une évolution historique de l’acteur politique. Des travaux dans le domaine de la science politique ont démontré que les acteurs politiques se sont professionnalisés au fil de l’histoire. Ainsi, la rationalité première de l’Acteur Politique Professionnel (APP) est d'abord d'accéder au pouvoir et ensuite de le conserver. Cette rationalité prime parfois sur l’intérêt collectif, en raison notamment des logiques en jeu dans la carrière professionnelle de l’APP.
Si la présidentielle permet, en cas d’élections justes, libres et transparentes, la désignation d’un homme ou d’une femme politique issu(e) des urnes, la manière dont les élections législatives sont organisées ne permet pas la représentation d’élus issus du peuple, élus par le peuple et pour le peuple. Les listes nationales des partis et des coalitions donnent l’opportunité à des femmes et des hommes politiques d’être représentés à l’Assemblée nationale, non pas parce qu’ils ont été choisis pour défendre les intérêts des populations, mais plutôt ceux des leaders politiques qui les ont nommés. Ils sont ainsi assujettis aux ordres de leurs partis et coalitions plutôt qu’à ceux des citoyens. Ils peuvent ainsi être élus, même sans que les gens qu’ils comptent représenter n’aient voté pour eux. Comment voulons-nous alors qu’ils défendent leurs intérêts ?
Toutes ces réalités démontrent les limites de la représentation électorale comme unique légitimité au service de l’intérêt général.
La légitimité de la société civile : une autorité morale enracinée dans l'engagement éthique et l’expertise citoyenne
Contrairement à la légitimité élective, la société civile tire sa légitimité de sa capacité à incarner des valeurs morales, éthiques et des engagements qui transcendent les cycles électoraux. Cette légitimité n’est pas conférée par un vote, mais par l’expérience, l’expertise et l’engagement sur des questions au service de l’intérêt général. Les membres de la société civile ne cherchent pas une légitimité électorale, ils préfèrent défendre l’intérêt général à partir d’expertises spécifiques (artistiques, scientifiques, médiatiques, religieuses, sociétales…) et de valeurs universelles, adaptées au contexte national (les droits de l’homme, la liberté de la presse, l’état de droit, la bonne gouvernance, etc.).
La société civile regroupe une diversité d’acteurs — leaders religieux, syndicalistes, artistes, militants, intellectuels — qui incarnent ainsi des intérêts collectifs et ne sont pas nécessairement mus principalement par des ambitions personnelles. Leur légitimité repose sur un référentiel moral, non sur un mandat électif, et c’est précisément cette distinction qui leur confère une force incontestable. Ils transgressent les intérêts partisans des partis et coalitions politiques. Ces acteurs se situent en dehors des jeux de pouvoir traditionnels, et leur autorité se renforce d’autant plus qu’elle s’engage dans des combats porteurs de valeurs enracinées dans notre histoire.
Dans ce cadre, des figures telles que Serigne Cheikh Gaïnde Fatma ou Amadou Makhtar Mbow ont incarné cette légitimité morale. Leur engagement sur des questions politiques, sociales et culturelles a consolidé une autorité bien plus durable que celle des acteurs politiques. À travers le monde, des personnalités comme Nelson Mandela, avant même d’accéder à une légitimité élective, ont d'abord obtenu leur autorité par des combats moraux, incarnant des aspirations collectives. Au Sénégal, la liste pourrait être longue si l’on souhaitait mentionner des figures comme Cheikh Anta Diop, Abdoulaye Ly, Babacar Niang, Tidiane Baïdy Ly, Seydou Cissoko, Aminata Sow Fall, Lamine Senghor, Seyni Niang, Eugénie Aw, Omar Blondin Diop, Mariama Bâ, Serigne Babacar Matouty Mbow, Makhtar Diack, Babacar Ndiaye, Mamadou Dia, Annette Mbaye d’Erneville, Mohamadou Billy Gueye, Charles Gueye, Babacar Touré, Waldiodio Ndiaye, Sidy Lamine Niass, Moussa Paye, Ousseynou Beye, etc.
Cette légitimité morale est d’autant plus précieuse qu’elle est ancrée dans les réalités du terrain. Contrairement aux élus, souvent perçus comme déconnectés des préoccupations quotidiennes des citoyens, les acteurs de la société civile sont au cœur des luttes sociales, économiques et culturelles. Leur influence dépasse les frontières électorales, car elle repose sur un engagement continu, souvent à long terme, en faveur de causes spécifiques. C’est ainsi qu’au niveau international, des personnalités, y compris très jeunes, comme Greta Thunberg, sans mandat électif, ont su s’imposer sur la scène internationale grâce à leur engagement moral pour des causes universelles, comme le climat. Loin des contraintes électorales, ces figures peuvent agir librement, en s'appuyant sur des valeurs partagées par la société.
Ainsi, l’expertise et la popularité ne suffisent pas à légitimer les acteurs de la société civile. La connexion avec les citoyens, leur écoute, leur confiance, leur plébiscite sont nécessaires pour renforcer la légitimité de la société civile. Même si celle-ci est très peu mobilisée, elle est capitale pour leur légitimité auprès des acteurs politiques, souvent intéressés par la collaboration que lorsqu’ils pensent pouvoir en tirer profit dans leur rationalité d’accéder et de conserver le pouvoir.
La société civile face au danger de la politisation : le risque d’une perte de légitimité
L’une des grandes questions que pose la légitimité de la société civile est celle de son entrée dans l’arène politique. Lorsque des personnalités issues de la société civile choisissent de se lancer en politique, elles peuvent perdre la légitimité morale qui les caractérise. L’exemple de Youssou Ndour au Sénégal est à cet égard édifiant. Leader populaire et reconnu pour ses engagements artistiques et sociaux, son entrée en politique n’a pas réussi à capitaliser sur sa popularité. Il a vu son image se diluer, ce qui soulève une problématique majeure : la société civile peut-elle maintenir son influence en s’engageant dans la compétition électorale ?
Cette question ne concerne pas uniquement Youssou Ndour. De nombreuses figures publiques à travers le monde ont connu des destins similaires. En France, Bernard Kouchner, après avoir été une figure éminente de la société civile en tant que fondateur de Médecins Sans Frontières, a vu son influence décliner en rejoignant le gouvernement. Aux États-Unis, des personnalités comme Michael Bloomberg ou Cornel West, en entrant en politique, ont également rencontré des difficultés à maintenir leur légitimité d'origine.
La société civile, en entrant en politique, adopte nécessairement les codes du pouvoir électoral, ce qui l’oblige à faire des compromis et parfois des compromissions. Or, c’est précisément ce qui érode sa légitimité morale. L’autorité de la société civile repose sur sa capacité à rester indépendante des logiques partisanes et électorales. Dès lors qu’elle entre dans le jeu politique, elle s’expose aux mêmes critiques que les élus : opportunisme, compromission, perte de valeurs, rationalité électorale…
Il faut cependant noter que dans certains cas, la politisation de figures de la société civile peut aussi être un moyen de renforcer leur influence, à condition qu’elles parviennent à maintenir leur intégrité morale et, le plus souvent, à refuser de s’insérer dans les jeux partisans. Sauf que, lorsqu’elles s’engagent dans l’arène politique, il leur est souvent difficile d'être indépendantes, car soumises à l’autorité des hommes politiques élus et à la contrainte de la solidarité partisane.
La société civile comme contre-pouvoir et partenaire dans la gouvernance démocratique
Malgré les risques liés à la politisation, la société civile demeure un partenaire privilégié de l’acteur politique dans tout système démocratique. Son rôle ne se limite pas à la critique des actions politiques ; elle est aussi un partenaire essentiel pour l’identification des problèmes publics, la conception, la mise en œuvre et l’évaluation des politiques publiques. La société civile agit ainsi comme un régulateur, un acteur qui veille à ce que l’action politique soit conforme aux intérêts collectifs. Aujourd’hui, le paradigme dominant des politiques publiques est la gouvernance, en raison d’une part de la complexité des enjeux et défis auxquels les gouvernements sont confrontés, mais aussi de la nécessité d’impliquer d’autres acteurs, dont la société civile, dans la gestion des affaires publiques. La gouvernance démocratique est devenue une exigence aussi bien des citoyens que des partenaires techniques et financiers de nos États.
Dans ce domaine, l'une des principales forces de la société civile réside dans sa capacité à incarner une vision à long terme, au-delà des impératifs électoraux, à mobiliser son expertise et à s’exprimer et défendre l’intérêt général. Là où les élus sont souvent limités par des objectifs de résultats immédiats, ou confrontés au hiatus entre leurs promesses électorales et leurs réalisations liées aux contraintes de leur réélection, les acteurs de la société civile peuvent se concentrer sur des enjeux structurels, des réformes profondes et une vision globale des transformations nécessaires et des mesures qui peuvent paraître impopulaires mais au service de l’intérêt général. Cela en fait une source précieuse de propositions intellectuelles et de mobilisation autour des grands débats publics.
Toutefois, pour que cette relation soit constructive, il est nécessaire que les deux sphères — société civile et politique — se respectent mutuellement et soient conscientes des attributs de l’une et de l’autre. Les élus doivent reconnaître la légitimité de la société civile en tant qu’acteur moral et social sans chercher à la réduire ou à la marginaliser, mais aussi reconnaître sa contribution au service de l’intérêt général. Parallèlement, la société civile doit comprendre que son rôle n’est pas de se substituer aux élus, mais d’accompagner et d’orienter l’action publique, tout en restant dans une position critique, indépendante et constructive. Dans le management des politiques publiques, elle doit jouer un rôle de veille et de rappel des priorités des citoyens, de surveillant du processus décisionnel, d’acteur dans la mise en œuvre de politiques, là où les compétences de l’État sont limitées, et de chargée du suivi et de l’évaluation des engagements pris par les femmes et hommes politiques.
Les dangers de la remise en question de la légitimité civile : un signe avant-coureur de l’autoritarisme
Lorsque les régimes politiques cherchent à saper la légitimité de la société civile, ils s’engagent généralement sur une voie dangereuse, celle de l’autoritarisme. L’histoire a montré que l’attaque contre la société civile est souvent l’un des premiers signes d’une dérive autocratique. Des régimes comme ceux de Robert Mugabe, Donald Trump ou encore Abdoulaye Wade et Macky Sall, ont tous cherché à affaiblir les contre-pouvoirs civils, qu’il s’agisse de la presse, des intellectuels, des syndicats, des artistes ou des associations.
Cette dynamique est récurrente et doit servir d’alerte pour les démocraties modernes. Toute tentative de détruire ou de marginaliser la société civile doit être perçue comme une attaque directe contre la démocratie elle-même et l’intérêt général qu’elle incarne. La société civile est la garante d’un équilibre nécessaire entre pouvoir et contre-pouvoir, entre légitimité élective et morale, entre intérêt partisan et intérêt général. La démocratie ne peut s’épanouir pleinement que lorsque ces deux sphères collaborent, tout en respectant leurs rôles respectifs.
En clair, la légitimité de la société civile, bien qu’elle ne repose pas sur des élections, est tout aussi cruciale que celle conférée par les urnes. Elle joue un rôle de contre-pouvoir, de vigie, mais aussi de partenaire dans l’élaboration des politiques publiques. En garantissant un équilibre entre la légitimité élective et celle morale de la société civile, les systèmes démocratiques modernes peuvent espérer répondre aux aspirations de leurs citoyens de manière plus juste et plus durable.
Ce dialogue entre ces deux formes de légitimité est essentiel pour la stabilité des institutions et la pérennité des régimes démocratiques.
Le 24 mars 2024 doit marquer un tournant historique, permettant au Sénégal de s’engager sur cette voie de collaboration entre les politiques et les différents segments de la société, qui souhaitent ardemment que cette troisième alternance réussisse et permette à notre cher pays de s’engager résolument sur le chemin de l’éradication de la pauvreté endémique, de la souveraineté, de l’équité et de la justice.
Les deux auteurs sont membres du Groupe de réflexion et d’action pour la sauvegarde de la démocratie et de l’État de droit, Sursaut Citoyen.
- René Lake est journaliste et analyste politique.
- Elhadji Mamadou Mbaye est enseignant-chercheur en sciences politiques à l’UGB.
SONKO-BA, LE DÉBAT DE LA DISCORDE
Malgré l'opposition du CNRA au nom de l'égalité de traitement des candidats, les deux hommes maintiennent ce face-à-face de 90 minutes, prévu à l'EAO : debout derrière leur pupitre, sans notes ni documents
(SenePlus) - L'annonce d'un débat télévisé historique entre le Premier ministre actuel Ousmane Sonko et son prédécesseur Amadou Ba enflamme la scène politique sénégalaise, même si le Conseil national de régulation de l'audiovisuel (CNRA) tente d'y mettre un frein. Cette confrontation, prévue initialement pour les 28 ou 29 octobre, pourrait marquer un tournant dans la pratique démocratique du pays.
L'initiative revient à Cheikh Omar Diallo, fondateur de l'École d'art oratoire et de leadership (EAO) de Dakar et ancien conseiller d'Abdoulaye Wade. Le format proposé se veut sobre et rigoureux : 90 minutes d'échange dans les locaux de l'EAO, les deux candidats debout derrière leur pupitre, sans documents ni supports, uniquement munis de "quatre feuilles vierges, un stylo et une bouteille d'eau", selon les informations rapportées par Jeune Afrique (JA) mercredi 23 octobre.
La controverse s'est intensifiée avec l'intervention du CNRA, dont le président Mamadou Oumar Ndiaye justifie son opposition : "Un des principes cardinaux de la loi, c'est l'égalité de traitement entre les candidats à quelque élection que ce soit. Organiser un débat uniquement entre deux d'entre eux romprait cet équilibre."
Malgré cette position, les deux protagonistes maintiennent leur volonté de débattre. Amadou Ba a ainsi officialisé son accord via Facebook ce jeudi : "J'accepte l'invitation de M. Sonko à un débat public. Nous discutons des rapports évoqués et de sujets cruciaux comme l'économie, les libertés et les ressources naturelles, pour confronter nos idées au service du peuple."
La réponse d'Ousmane Sonko ne s'est pas fait attendre, non sans une pointe d'ironie : "Je suis étonné qu'il ait attendu des rumeurs d'interdiction du débat par le CNRA pour donner une réponse somme toute timorée", avant d'ajouter que "les stigmates de mauvaise gestion de l'ancien Premier ministre seront aussi criants que les rayures d'un zèbre."
Le groupe E-Media, via sa chaîne ITV, s'est quant à lui positionné comme diffuseur principal, s'engageant à mettre "à disposition de tous les médias et plateformes son signal pour une diffusion intégrale et accessible à tous", selon son directeur général Alassane Samba Diop.
La question reste maintenant de savoir si le CNRA peut effectivement empêcher la tenue de ce débat si les deux candidats décident de passer outre son avis. Pour Sonko, "les éventuelles lacunes du code électoral ou de la loi sur le CNRA avec des dispositions obsolètes [...] ne sauraient constituer un obstacle à sa tenue."