Avec Cheikh Anta Diop, l'Afrique, terre des premiers hommes, a retrouvé sa place dans l'histoire antique de l'humanité, notamment dans l'histoire de l'Égypte. Toute sa vie, Cheikh Anta Diop a œuvré pour une meilleure connaissance de la culture de l'Égypte antique, et notamment de son imprégnation africaine. Et son message n'était pas seulement à destination des Africains, qu'il invitait à prendre conscience de cette réalité, mais aussi à tous ceux qui, par méconnaissance ou par calcul, ont voulu nié ce qui lui est apparu comme une réalité, une vérité historique incontournable. Autant dire pour paraphraser le grand écrivain et ethnologue malien Amadou Hampâté Bâ qu'à sa disparition, le 7 février 1986, c'est plus qu'une bibliothèque qui a brûlé. Mais quel a été son parcours de vie ?
Naissance et évolution au cœur du Sénégal
Cheikh Anta Diop naît le 29 décembre 1923 à Caytu, un village à une centaine de kilomètres à l'est de Dakar. Il est le fils unique de Massamba Sassoum Diop, qui décède peu de temps après sa naissance, et de Magatte Diop, une mère qui a laissé la trace d'une femme droite, courageuse et généreuse. Le petit garçon qu'il était tient son nom de « Vieux Cheikh Anta », son oncle maternel par alliance. Et pour la petite histoire, c'est un autre de ses oncles, Cheikh Amadou Bamba, qui a fondé en 1883 au Sénégal la confrérie des Mourides avant de porter sur les fonts baptismaux la ville sainte de Touba. Envoyé dès 5 ans auprès de celui qu'on appellera Serigne Touba ou Khadimou Rassoul, il quitte sa mère pour le village de Koki, fief des Diop. À l'école coranique, le petit garçon apprend la vie selon l'éthique mouride.
L'étude d'abord, car un bon mouride doit avoir une bonne connaissance des textes sacrés ; le travail ensuite, « comme si tu ne devais jamais mourir » ; et aussi, la prière « comme si tu devais mourir demain ». Dans cette famille d'érudits mais aussi de résistants à l'occupation française (ces 2 oncles seront exilés au Mali et au Gabon par l'administration coloniale qui redoute le succès de leurs idées nationales auprès du peuple), il apprend à connaître et à aimer sa culture, à confronter son intelligence à la logique, à s'imprégner d'une certaine morale, de théologie, de philosophie, de grammaire et de mathématiques.
Une approche précoce du fait culturel africain
Au collège, le jeune Cheikh Anta est sur une orbite originale. Le voilà qui s'emploie à créer un alphabet à destination de toutes les langues africaines, à rédiger une histoire du Sénégal, à traduire des philosophes européens en wolof... Autant dire que le jeune Cheikh Anta met à l'épreuve sa soif de connaissances et de communication.
Après son bac en mathématiques et philosophie obtenu à Saint Louis et à Dakar, il se destine à une carrière d'ingénieur en aéronautique. C'est ainsi qu'il arrive en France en 1946. Il se retrouve en classe de mathématiques supérieures au lycée Henri-IV de Paris. Parallèlement inscrit à la Sorbonne, il y obtient une licence en philosophie dans la classe de Gaston Bachelard tout en poursuivant ses travaux en linguistique, et chimie dont il obtient deux certificats et une spécialisation en physique et chimie nucléaire. Il est alors maître-auxiliaire de physique-chimie au lycée Claude-Bernard à Paris.
Après les maths, la chimie, la linguistique... l'histoire
Bien qu'adossé à sa culture wolof à laquelle il est très attaché, le jeune homme ressent un « vide culturel ». Son désir de se réaliser en tant qu'être humain le mène tout naturellement à l'histoire, la sienne, et non celle apprise dans les manuels scolaires, une histoire qu'il qualifiera de « falsifiée » parce que partant dans une logique inacceptable à ses yeux, celle où la « race noire » est dominée, et la « race blanche » dominante.
En 1954, il publie son ouvrage Nations nègres et culture, somme anthropologique dans laquelle il s'emploie à démontrer l'antériorité négro-africaine de la civilisation égyptienne et son apport à la civilisation helléniste. Une approche qu'il soutient d'autant plus facilement que les Grecs eux-mêmes ont reconnu avoir puisé nombre de leurs connaissances en philosophie (Aristote, Platon), en histoire (Hérodote), en mathématiques (Pythagore, Thalès) dans l'Égypte antique. Dans ses travaux, il s'applique à démontrer la continuité historique de cette civilisation dans toute l'Afrique autour de la spiritualité (le culte des ancêtres), l'écriture (les hiéroglyphes, pères des alphabets Bamoun du Cameroun et Vaïs de la Sierra Leone), des coutumes (matriarcat prédominant dans l'Égypte antique, chez les Bambara et les Kongo) ou de l'art (statuaire, poésie, musique). « Pour recréer un corps de sciences humaines africaines, il faut repartir de l'Égypte, renouer avec les Antiquités égyptiennes, seule façon de réconcilier les civilisations africaines avec l'histoire », disait-il.
En 1960, Cheikh Anta Diop rentre définitivement au Sénégal. Il est assistant à l'Institut français d'Afrique noire (Ifan) alors dirigé par Théodore Monod. Avec son accord, il crée et dirige un laboratoire de datation par les méthodes radioactives. La datation au carbone 14 lui permet de poursuivre ses recherches en histoire (égyptologie), archéologie (inventaire archéologique du Mali), linguistique. Inlassablement, le voilà qui parcourt l'Afrique et le monde, de colloques en conférences, continuant d'écrire. Parmi ses chantiers, une commande de l'UNESCO : L'Histoire générale de l'Afrique et Civilisation et barbarie.
Au-delà du chercheur, l'homme politique
Si beaucoup savent que Cheikh Anta Diop est un chercheur émérite, peu connaissent le combat politique de celui qu'on appelle aussi le « Pharaon noir ». Dès 1946, le jeune Cheikh Anta Diop milite dans les associations estudiantines afro-parisiennes soutenant les indépendances africaines. Il tisse le trait d'union entre Afrique francophone et anglophone, prône l'instauration d'un État fédéral et exhorte les Africains à se libérer du clivage ethnique. Parmi ceux qu'ils côtoient, deux futurs présidents, l'Ivoirien Félix Houphouët-Boigny et son compatriote, Léopold Sédar Senghor, qui deviendra un adversaire idéologique et politique. Alors que le chantre de la Négritude fait l'apologie de la langue et de la civilisation française, Cheikh Anta Diop souligne l'urgente nécessité d'enseigner dans les langues africaines, l'un des moyens les plus sûrs d'obtenir une véritable indépendance à ses yeux.
De fait, lorsqu'il est définitivement rentré au Sénégal, les portes de l'université de Dakar ne lui furent pas ouvertes et il faudra attendre le départ de Senghor en 1980 pour qu'il soit nommé professeur d'histoire ancienne aux facultés de sciences et lettres de Dakar.
Une œuvre qui a fait l'objet de controverses
Loin de faire l'unanimité, l'œuvre de Cheikh Anta Diop lui a très tôt valu de nombreuses critiques au sein de la communauté scientifique internationale. Il faut se rappeler que Cheikh Anta Diop naît, étudie et travaille dans un contexte socio-historique précis, celui de la colonisation. Cette dernière soutient une vision qui fait de l'Afrique un continent à civilisation anhistorique et atemporelle auquel l'administration coloniale et la civilisation qui l'accompagne portent secours. Son affirmation de l'africanité du passé antique égyptien lui a valu un rejet violent de ses pairs. Ainsi, lorsqu'en 1951, il tente une première fois de soutenir sa thèse sur l'Antiquité et l'unité culturelle en Afrique, il ne trouve aucun directeur de thèse. Neuf ans après, c'est chose faite mais Cheikh Anta Diop n'obtient pas la mention « très honorable », sésame pour enseigner à l'université.
Engagé en politique, Cheikh Anta Diop crée et dirige le Rassemblement national démocratique (RND) en 1977. Son combat pour l'instauration d'un multipartisme au Sénégal le mènera en prison et aussi à voir son passeport confisqué.
Et l'homme tout court ?
Proche de ses racines, Cheikh Anta Diop est le père d'une famille qu'il a eue avec une Française Louise-Marie Maes Diop, professeur certifiée d'histoire et de géographie, docteur d'État en géographie humaine, disparue en mars 2016 et enterrée à côté de son défunt mari à Caytu, au cœur du Sénégal. Si Cheikh Anta a donné comme prénom à ses deux premiers enfants celui de ses oncle et père, il a donné à ses deux derniers enfants des prénoms de résistants africains : Candace en hommage à une mythique reine soudanaise qui résista à l'envahisseur romain et envahit une partie de l'Égypte, et Kenyatta en hommage à Jomo Kenyatta, le père de l'indépendance kényane. Cheikh Mbacké Diop, son aîné, est physicien nucléaire. Il travaille à l'université Cheikh-Anta-Diop de Dakar ainsi qu'au laboratoire de physique nucléaire de Gif-Sur-Yvette en France où son père avait été formé. Il a écrit une biographie de son père en 2003 et a participé à la publication posthume de Nouvelles Recherches sur l'Égyptien ancien et les langues négro-africaines modernes (Présence africaine 1988).
Que reste-t-il de Cheikh Anta Diop ?
31 ans après sa mort, que reste-t-il de l'œuvre de celui que nombre d'Africains considèrent comme un colosse ? Chercheur humble et constant, révolutionnaire, créateur des sciences africaines modernes, Cheikh Anta Diop est avant tout un humaniste. La vérité historique qu'il a (r-)établie a permis de démontrer scientifiquement que le continent à l'origine de l'humanité est d'égale valeur historique que les autres. De quoi nourrir l'idée que les peuples africains doivent, avant tout, connaître leur histoire mais aussi que l'humanité, une fois débarrassée du concept de « race », pourra mieux appréhender l'homme dans sa globalité et se réconcilier enfin avec elle-même.
Théophile Obenga, philosophe, linguiste, égyptologue et historien congolais fut élève puis chercheur associé à l'Ifan. Il est aujourd'hui l'héritier de Cheikh Anta Diop. Il a écrit plusieurs ouvrages en relation avec les thèses de Cheikh Anta Diop et dirige la revue d'égyptologie ANKH. Des écoles d'égyptologie existent en Afrique, notamment à Yaoundé, au Cameroun, où des chercheurs continuent le travail d'exploration des civilisations noires antiques. Des historiens sénégalais comme Boubacar Lam (spécialiste des migrations), Babacar Sall (origine des Égyptiens noirs) ou les linguistes camerounais Gilbert Ngom et Oum Ndigila assurent la relève du travail entamé par Cheikh Anta Diop. Khadim Ndiaye, chercheur et philosophe sénégalais, œuvre pour que l'ouvrage Nations nègres et culturesoit enseigné dans les écoles africaines.
En 1986, l'Institut fondamental d'Afrique noire (Ifan) est rebaptisé Ifan-CAD. Depuis 1987, l'université principale de Dakar porte son nom. En France, Anse-Bertrand en Guadeloupe possède une avenue, une rue, une bibliothèque, un centre culturel qui portent le nom de Cheikh Anta Diop. Andrew Young, l'un des compagnons de lutte de Martin Luther King, et ancien maire d'Atlanta, a décrété le 4 avril 1985, jour Cheikh Anta Diop. La même année, l'université noire Morehouse d'Atlanta lui a décerné un diplôme docteur honoris causa. Côté musique, le pianiste et compositeur de jazz, Randy Weston lui a dédié son album Khepera (1998 Universal Music). Dans la mythologie égyptienne, Khepera est la manifestation vivante du Dieu-Soleil. Dans cet album, Randy Weston s'est entouré de Pharaoh Sanders (on ne peut pas l'inventer !) et Talib Kweli, musiciens africains américains, saxophoniste de jazz et hip-hop MC qui ont embrassé leur héritage africain.
À KOKI, MACKY INAUGURE UN MUSÉE ET UN CENTRE DE RECHERCHE
"Le nouveau CRE que le chef de l’Etat a inauguré appartient au ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation, qui l’a fait construire dans le cadre de sa politique de transfert de technologies".
Le président de la République, en visite dans les régions de Louga et Saint-Louis (nord), a inauguré, dimanche, à Koki, un musée et un centre de recherche et d’essai (CRE), a constaté l’APS.
Macky Sall est arrivé vers 2 h du matin à Koki, où il a été accueilli par une foule nombreuse.
L’ancienne gare de cette ville a été transformée en musée par le ministère de la Culture.
Le nouveau CRE que le chef de l’Etat a inauguré appartient au ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation, qui l’a fait construire dans le cadre de sa politique de ‘’transfert de technologies‘’.
Le centre de recherche et d’essai va permettre aux bénéficiaires d’‘’utiliser les résultats de la science pour améliorer leurs conditions de vie’’, a expliqué le ministre de tutelle de l’Enseignement supérieur, Mary Teuw Niane.
Selon M. Niane, le CRE a déjà formé plus de 300 personnes, dont quelque 250 femmes, à divers métiers, dont la sérigraphie, la transformation des céréales, la fabrication de produits cosmétiques, l’informatique et la bureautique.
Des imams de Koki ont bénéficié de la formation en informatique offerte par le CRE, dit-il.
Macky Sall a rendu ‘’une visite de courtoisie’’ aux chefs religieux de Ndiagne et Gueth Ardo, dans le département de Louga.
Il a promis de ‘’réhabiliter’’ la route qui va de Warak, dans le département de Louga, à Ndoyene, un village du département de Kébémer.
Un forage sera construit à Ndiagne par le Programme d’urgence de développement communautaire, pour approvisionner ses habitants en eau potable, selon le chef de l’Etat.
Rokhaya Diallo-Hamidou Anne-Penda Mbow-Alymana Bathily-René Lake
SÉNÉGAL, ENJEUX 2019
EXCLUSIF SENEPLUS - Jusqu'à l'élection présidentielle de février, publication d'une série d'articles d'analyse de fond des défis qui se posent au développement du pays - La conversation est dès à présent ouverte et tout le monde peut y prendre part
#Enjeux2019 - A partir de cette semaine, SenePlus.com lance un projet de publication d'une série d'articles d'analyse de fond des principaux défis qui se posent au développement du Sénégal.
"Enjeux 2019", titre de cette série de publications que vous retrouverez sur SenePlus.com et dans les colonnes de quelques uns de ses partenaires de la presse écrite, a pour objectif de susciter, de mener, d'entretenir et de prolonger dans le fond et dans la durée des débats nationaux d'ici au 24 février 2019, date de la prochaine élection présidentielle.
Avec le soutien de la fondation Open Society Initiative for Africa (OSIWA), SenePlus a sollicité plusieurs contributions écrites auprès d'experts, d'activistes, et de leaders d'opinion représentants un groupe de citoyens divers en tous points : âge, genre, ethnie, religion, opinion ou engagement politique, école de pensée philosophique ou idéologique, et spécialité professionnelle notamment.
Les discussions, les conversations et les débats autour des "Enjeux 2019" seront menés sous un angle non-partisan. L'intention est sous-tendue par l'idée selon laquelle, quelle que soit l'administration qui sera aux affaires après la prochaine présidentielle, nous devrons tous ensemble, malgré nos approches différentes, voire divergentes, sinon trouver des solutions, au moins faire des progrès significatifs dans certains domaines. Car, cela relève d'une exigence populaire et bien souvent également, une exigence de bon sens.
Tous les sujets de fond seront abordés. Ensemble, nous réfléchirons aux questions de gouvernance, d'éducation, de formation, de la place de nos langues nationales, de celle des femmes dans toutes les sphères de la société, du rôle des médias, des défis d'Internet et des réseaux sociaux, de la santé publique, de la monnaie, de la gestion des ressources naturelles, de la politique africaine et internationale, de la défense et de la sécurité, de l'environnement, du sport, etc.
Les points de vue des femmes et des jeunes seront transversaux à toutes ces questions.
Il s'agira de rendre compte des défis qui se posent de manière spécifique aux femmes qui représentent la majorité de la population du Sénégal. Où en sommes-nous par rapport à l'égalité en droit entre hommes et femmes ? Quelles mesures et quelles réformes pour faire face à la violence sur les femmes dans la sphère domestique ? Comment discuter et agir face à la mendicité infantile ? Les questions sont bien nombreuses.
Quant aux jeunes, les textes de SenePlus et ses partenaires refléteront la maturité politique d'une partie de cette jeunesse et son appropriation des enjeux immenses qui se posent à un pays à bâtir ensemble. Les contributions des jeunes femmes et des jeunes hommes auront ce sens profond qu'elles proviennent du cœur social d'un pays jeune. Elles constitueront le propos de celles et de ceux sur qui le pouvoir à venir en février 2019 s'exercera.
Pour prolonger, étendre et diversifier les conversations, SenePlus.com interpellera régulièrement, sur des plateformes multimédia, des citoyens dans les rues du pays et ailleurs pour avoir en diola, en pulaar, en wolof et en français, leurs perspectives sur les "Enjeux 2019".
Après l'élection, plusieurs formules pour poursuivre les discussions sur les "Enjeux 2019 - 2024" seront proposées à tous les acteurs sociaux. D'un ouvrage aux conférences et autres espaces de discussion, il s'agira de poursuivre cette réflexion endogène sur le développement du Sénégal.
Tous ceux qui souhaiteront contribuer ou réagir aux articles publiés dans cette série "Enjeux 2019" sont invités à nous contacter par email à l'adresse : article@seneplus.com.
Rokhaya Diallo, Hamidou Anne, Penda Mbow, Alymana Bathily et René Lake
Sur les réseaux sociaux : #Enjeux2019
COMMUNICATION PUBLIQUE ET INSTUTIONNELLE
Session de formation des conseillers en communication des ministères au CESTI
Le Centre d’études des sciences et techniques de l’information (CESTI) organise, à partir de lundi, avec le soutien de l’ambassade des Etats-Unis au Sénégal, un séminaire de formation sur "la communication publique et institutionnelle", à l’attention des conseillers en communication des ministères et des agences publiques, annonce un communiqué reçu à l’APS.
Le séminaire de cinq jours se tiendra au CESTI, l’école de journalisme et de communication de l’Université Cheikh-Anta-Diop de Dakar.
"L’objectif de ce séminaire est d’amener les chargés de communication des ministères et des agences publiques à analyser les principales évolutions en cours dans l’usage des politiques publiques par les citoyens et les autorités publiques, ainsi que leur incidence sur la pratique de la communication publique et institutionnelle", explique le communiqué.
"Face aux évolutions de ce métier au carrefour de plusieurs compétences (…), la prise de décision publique et la gouvernance publique se sont profondément transformées, et la communication publique est au centre de cette transformation", explique la même source.
Les récipiendaires de la formation "analyseront l’efficacité de la communication publique et institutionnelle dans l’action publique et les services publics", ajoute le communiqué.
PAR FARY NDAO
S'INSPIRER DE CHEIKH ANTA ET SANKARA
POINT DE MIRE SENEPLUS - Ces deux hommes sont un socle, solide mais dépassable, sur lequel chaque africain peut bâtir, autour de lui, quelque chose de meilleur, de différent et qui fera progresser le sort de ses semblables
L'intégrité intellectuelle du Pr Cheikh Anta Diop et l'humanisme de Thomas Sankara sont une source intarissable d'inspiration pour tout africain qui veut participer au progrès des idées et du politique dans son pays. Leur vie menée avec honnêteté, leurs productions écrites (les livres de l'un, les discours de l'autre) et leur action politique sont un legs inestimable et un moyen de garder la foi pour toute personne qui choisit une vie marquée par l'engagement.
Quand Cheikh Anta Diop dit en 1978 " On ne doit être fier que de ses travaux. Rien n’est plus triste qu’un chercheur qui ne trouve rien. Si l’on se bornait à réciter le savoir acquis à l’école, sans rien y ajouter par nos propres découvertes, l’humanité en serait à l’âge primitif. Ce qui fait donc la valeur de l’intellectuel, c’est sa contribution réelle au progrès des connaissances de son temps."
Thomas Sankara lui "répond", en 1984, à l'occasion de son discours mémorable devant l'Assemblée générale de l'ONU :
"La bourgeoisie africaine oublie que toute vraie lutte politique postule un débat théorique rigoureux et elle refuse l’effort de réflexion qui nous attend. Consommatrice passive et lamentable, elle se regorge de vocables fétichisés par l’Occident comme elle le fait de son whisky et de son champagne, dans ses salons à l’harmonie douteuse.
On recherchera en vain depuis les concepts de négritude ou d’”African Personality” marqués maintenant par les temps, des idées vraiment neuves issues des cerveaux de nos “grands” intellectuels. Le vocabulaire et les idées nous viennent d’ailleurs. Nos professeurs, nos ingénieurs et nos économistes se contentent d’y adjoindre des colorants parce que, des universités européennes dont ils sont les produits, ils n’ont ramené souvent que leurs diplômes et le velours des adjectifs ou des superlatifs." Fin de citation.
Ainsi, à 6 ans d'intervalle, le message demeure le même : la nécessité de se renouveler et l'assumer face à l'ancien monde et aux sceptiques. Remettre en cause l'ordre établi afin d'être un facteur de progrès pour sa société. Ces deux hommes nous invitent à vivre notre querelle des anciens et des modernes, à bousculer nos certitudes, nos connaissances, nos soumissions et nos habitudes. Ils sont pour le mouvement, celui de l'esprit. Celui qui, in fine, manque cruellement à l'Afrique.
Inspirons nous de ces deux hommes, étudions les dans le détail, et non de manière superficielle, puis faisons leur honneur en sortant du slogan, de la répétition stérile, y compris de leurs mots à eux. Ils sont un socle, solide mais dépassable, sur lequel chaque africain peut bâtir, autour de lui, quelque chose de meilleur, de différent et qui fera progresser le sort de ses semblables. La seule chose à laquelle ils nous invitent est d'entamer et de maintenir le mouvement, de remettre en cause de l'ordre établi. C'est comme cela que les individus progressent. C'est comme cela que les peuples progressent.
VIDEO
LES COMBATS POUR L'HISTOIRE AFRICAINE DE CHEIKH ANTA DIOP
POINT DE MIRE SENEPLUS - A la fois historien, anthropologue et homme de sciences, il a profondément contribué à la rupture de la vision coloniale selon laquelle les Africains étaient des peuples sans passé - Retour sur sa conférence de Niamey en 1984
Cheikh Anta Diop est historien, anthropologue, égyptologue et homme politique. Il a mis l'accent sur l'apport de l'Afrique et en particulier de l'Afrique noire à la culture et à la civilisation mondiale. C’est l’auteur de Nations nègres et culture: de l'Antiquité nègre égyptienne aux problèmes culturels de l'Afrique noire d'aujourd'hui et de Civilisation ou barbarie, deux livres qui ont été lus et qui sont lus dans tous les collèges, lycées et universités en Afrique.
Cheikh Anta Diop est né le 29 décembre 1923 à Thieytou, dans le département de Bambey, région de Diourbel au Sénégal. À l'âge de 23 ans, il part pour Paris afin d'étudier la physique et la chimie mais se tourne aussi vers l'histoire et les sciences sociales. Il adopte un point de vue spécifiquement africain face à la vision de certains auteurs de l'époque selon laquelle les Africains sont des peuples sans passé. En 1951, Diop prépare sous la direction de Marcel Griaule une thèse de doctorat à l'Université de Paris, dans laquelle il affirme que l'Égypte antique était peuplée d'Africains noirs, et que la langue et la culture égyptiennes se sont ensuite diffusées dans l'Afrique de l'Ouest. Sa thèse rencontre un « grand écho » sous la forme d'un livre, Nations nègres et culture, publié en 1954. C’est le début d’une grosse polémique qui ne s’arrêtera plus. N’oublions pas qu’à l’époque on parlait de l’histoire des peuples sans histoire, comme on parlait de terres vacantes et de terres sans propriétaires.
Il lui fallait l’appui de la science. Quand l’historiographie officielle dit que la préhistoire s’arrête et que la vraie histoire de l’homme commence précisément au moment où les sociétés inventent l’écriture, il est clair que des pans entiers de l’humanité se trouvent de ce fait exclus. Et c’est le cas de l’Afrique Noire, terre de civilisation orale qui ignore jusqu’à l’existence du papier. Il a d’abord fallu le combat des tenants de la négritude pour dire que l’homme noire est un humain comme les autres, avec une culture et une civilisation comme tous les autres. Cheikh Anta Diop va plus loin, puisqu’il parle de l’Antériorité des civilisations nègres.
Retour à travers ces vidéos, sur sa conférence de Niamey en 1984.
VIDEO
L'ÉTUDIANT EST INGRAT
EXCLUSIF SENEPLUS - La première rencontre avec Macky Sall dans la foulée de la mort de Fallou Sène - L'histoire des photos du palais - Le délégué Fallou Diop, dit tout
Boubacar Badji et Adama Diop |
Publication 02/06/2018
Après une première rencontre avec le président Macky Sall en compagnie de ses camarades étudiants suite à la mort de Fallou Sène, Fallou Diop ne s’est pas rendu à la présidence une seconde fois. Un choix que le jeune délégué étudiant au département de Philosophie assume sans complexe malgré les multiples critiques à son endroit.
Face à la caméra de www.seneplus.com, il revient sur les discussions avec le chef de l'Etat, lors de leur première rencontre. Fallou Diop soutient ses autres collègues délégués et pointe du doigt la tendance naturelle des étudiants à l’ingratitude.
Voir la vidéo
PAR L'ÉDITORIALISTE DE SENEPLUS, OUSSEYNOU BÈYE
SI CHEIKH ANTA DIOP M'ÉTAIT CONTÉ
EXCLUSIF SENPLUS - Son cursus scolaire - Son cursus académique et ses recherches scientifiques - Son militantisme politique en France - Ses idées et ses activités politiques au Sénégal et en Afrique
Cheikh Anta Diop a vu le jour le 29 décembre 1923 à Céytu, village situé aux environs de Bambey, dans la région de Diourbel, à 150 km de Dakar. Aujourd’hui lieu de pèlerinage de ses très nombreux disciples et admirateurs venus de tous les coins du Sénégal, de l’Afrique et du monde entier, ce no man’s land est devenu une localité célèbre au-delà des frontières du pays.
Son cursus scolaire
Envoyé à l’école coranique à Koki, il est par la suite inscrit assez tardivement à l’école française, alors appelée ’Ecole Régionale de Diourbel’. Titulaire du Certificat d’Etudes Primaires, il entre en 1937 au Lycée Van Vollenhoven à Dakar. Il en sortira en 1945, muni de ses baccalauréats en mathématiques et en philosophie, obtenus la même année. Auparavant, il aura produit en classe de 3e ce que l’on pourrait considérer comme sa première œuvre scientifique : un alphabet des langues africaines à partir de caractères originaux, de sa propre invention. Une vocation et une préoccupation très précoces pour la transcription et le développement des langues africaines.
Son cursus académique et ses recherches scientifiques
En 1946 Cheikh Anta Diop embarque pour la France où il va poursuivre ses études supérieures. Inscrit à la Sorbonne, il obtient sa licence de philosophie en 1948, avant de décrocher deux ans plus tard deux certificats : en chimie générale et en chimie appliquée. Il entreprend sur cette lancée une spécialisation en chimie nucléaire et physique nucléaire au Laboratoire Curie dirigé par le célèbre savant Fréderic Joliot-Curie.
Durant ces années 50-60, Cheikh Anta Diop enseigne la chimie et la physique dans deux grands lycées de Paris.
Parallèlement, il poursuit des recherches en linguistique, en histoire, en égyptologie qui seront couronnées, en 1954, par la publication de « Nations nègres et culture – De l’antiquité nègre égyptienne aux problèmes culturels de l’Afrique d’aujourd’hui ». Ce premier ouvrage majeur sera édité par Les « Editions Présence Africaine », de même que, pratiquement toute sa production scientifique ultérieure.
« Nations nègres et culture » qui demeure l’œuvre fondamentale de Cheikh Anta Diop, fera l’effet d’une bombe à Paris en cette période coloniale marquée par un racisme outrancier. Aimé Césaire qui cherchera des partisans pour la promotion du livre, verra le vide se créer autour de lui ; il donne néanmoins sa sentence : « (c’est le livre) le plus audacieux qu’un Nègre ait jusqu’ici écrit et qui comptera à n’en pas douter dans le réveil de l’Afrique ».
Cette œuvre capitale qui fonde les humanités africaines sur des bases scientifiques, ouvre les perspectives des grandes thèses que Cheikh Anta Diop ne cessera d’élargir et d’approfondir :
- l’origine africaine de l’humanité,
- la race noire des populations de l’Egypte antique,
- la parenté entre l’Egypte antique et l’Afrique noire moderne,
- les développements importants de l’évolution des sociétés, africaines (genèse, caractéristiques, apogée, déclin…),
- l’apport de l’Afrique à la civilisation universelle,
- le développement économique, technique, industriel, scientifique, institutionnel et culturel de l’Afrique,
- l’édification d’une civilisation planétaire (« pour bâtir la civilisation planétaire au lieu de sombrer dans la barbarie », écrira t-il dans « Civilisation ou barbarie », Présence Africaine, 1981, autre œuvre majeure de l’illustre savant).
Ces grandes idées seront le centre d’intérêt quasi-exclusif de toute l’œuvre scientifique de Cheikh Anta Diop, remarquablement féconde, de « Nations nègres et culture… » à son œuvre posthume, « Nouvelles recherches sur l’Egyptien ancien et les langues négro-africaines modernes » (Présence Africaine).
Entre temps, Cheikh Anta Diop, après s’être marié (en 1953) avec Louise Marie Maes (avec qui il aura trois enfants), une universitaire diplômée d’Etudes supérieures de géographie, militante rencontrée dans les actions de soutien aux Mouvements de Libération en Afrique, rentrera au Sénégal, en 1960, auréolé de son doctorat d’Etat es-Lettres, soutenu à la Sorbonne.
Son militantisme politique en France
En même temps que ses activités académiques et universitaires, Cheikh Anta Diop, en militant anticolonialiste, s’est engagé dans la lutte politique : pour la libération de l’Afrique, pour l’avènement de la Démocratie et l’Unité africaine, et pour la cause du progrès de l’Humanité.
C’est ainsi qu’il se trouva constamment en première ligne sur le front du soutien aux Mouvements de Libération dans le monde (Viêt-Nam, Algérie, Afrique dite ‘francophone’, Afrique dite ‘lusophone’, Afrique dite ‘anglophone’…, luttant notamment contre ‘la sud-américanisation’ (ou la ‘balkanisation’ aggravée par une déstabilisation permanente de coups d’Etat téléguidés de l’Extérieur) de l’Afrique, et pour un Etat fédéral africain.
Cette action politique pour l’unité et le développement de l’Afrique sera théorisée dans son mémorable ouvrage, « Les fondements économiques et culturels d’un Etat fédéral d’Afrique noire » (Présence Africaine, 1960), premier plan de développement économique et social, conçu sur des bases scientifiques, pour tout le sous-continent africain sub-saharien.
En vacances au Sénégal, en juillet-août 1950, préoccupé par les changements climatiques avec la sècheresse qui pointe le bout du nez dans en Afrique de l’Ouest, il mène campagne autour d’un « Projet de reboisement », mettant la pression sur les autorités coloniales de l’époque avec la complicité de notabilités maraboutiques et traditionnelles résidant dans différentes régions du pays et acquises à sa cause (Cheikh Mbacké, El Hadj Ibrahima Niasse, Bouna Ndiaye, Massourang Sourang, El Hadj Ibrahima Diop…).
Un autre combat mené par Cheikh Anta Diop dans cette séquence parisienne fut consacré à la revalorisation et au développement des langues africaines dont il a démontré par ailleurs la parenté interne d’une part, et la parenté avec l’égyptien ancien, d’autre part.
Soutenu par un groupe de partisans résidant à Grenoble et connu historiquement sous l’appellation de Groupe de Grenoble, Cheikh Anta Diop, conçut un alphabet des langues africaines à partir des lettres latines. Diffusé dans un opuscule intitulé « Ijjib wolof », cet alphabet constituera plus tard la matrice de l’alphabet wolof officiellement adopté pour la transcription des langues nationales, en juillet 1968, sous le règne de Senghor. Le Groupe de Grenoble était constitué, entres autres, de personnalités telles que : Saliou Kandji, Assane Sylla, Massamba Sarre, Abdoulaye Wade et Cheik Aliou Ndao, le benjamin du groupe.
Cheikh Anta Diop est allé plus loin dans son engagement politique en Métropole, en s’engageant dans les rangs du grand parti anticolonialiste, le Rassemblement Démocratique Africain (RDA), alors dirigé par Houphouët Boigny, futur premier président de la République de Côte d’Ivoire. Cheikh Anta Diop en dirigera la section des Etudiants, l’Association des Etudiants du RDA (l’AERDA), dont il sera le secrétaire général de 1951 à 1953. Lorsque plus tard, le dirigeant du parti fera volte-face, créant ainsi une crise au sein de la direction du RDA, Cheikh Anta optera pour le camp des « résistants », animé par le militant anti-impérialiste, le camerounais Um-Nyobé qui sera plus tard assassiné pendant la lutte armée dans le maquis contre l’occupation française.
Dans le tumulte de la lutte, Cheikh Anta Diop, en même temps que ses amis et partisans, dut faire face à deux fronts : d’un côté il menait le combat politique soutenu contre les forces impérialistes, une droite colonialiste et raciste ; d’un autre côté, il était contraint de répondre, au plan idéologique, aux attaques, voire aux quolibets de ses compatriotes militants de la Gauche, essentiellement marxistes (alors dirigés par Majmouth Diop) ; aussi extraordinaire que cela pût paraître, ces derniers nourrissaient une certaine condescendance envers cet éminent savant, intellectuel d’une intégrité sans reproche, patriote farouche, militant pour la cause de son peuple.
Par-dessus tout, le combat qui importait le plus aux yeux de Cheikh Anta DIOP était la lutte pour l’indépendance de son pays et des autres pays africains. C’est ainsi que, dès 1952, dans un article intitulé ‘Vers une idéologie politique africaine’ paru dans « La Voix de l’Afrique Noire », mensuel de l’AERDA, il posa pour la première fois en Afrique dite ‘francophone’, les principes de l’indépendance nationale et de la construction d’une fédération des Etats africains. En 1956, comme en 1959, il participera à Paris et à Rome respectivement au Premier et au Deuxième Congrès des Ecrivains et Artistes noirs.
Ses idées et ses activités politiques au Sénégal et en Afrique
Une fois sur le sol africain et singulièrement son pays natal, le Sénégal, Cheikh Anta Diop fidèle à ses idées, ne pouvait manquer de continuer la lutte pour une indépendance véritable qu’il avait débutée en Métropole, même si des indépendances formelles sont octroyées par l’ancienne puissance coloniale un peu partout sur le continent. Et, surtout, il lui fallait conséquemment chercher à mettre en pratique les idées qu’il n’avait eu de cesse de développer sur le devenir de l’Afrique.
De plus, certains facteurs socio-politiques auxquels il était particulièrement sensible allaient renforcer cet engagement pour la libération de son pays et, au-delà, de son continent :
- la situation économique et politique du Sénégal, sous-développé, dépendant de l’Extérieur et assujetti au régime du parti-Etat ;
- la pauvreté des masses paysannes, la sécheresse qui commençait à sévir dans le Sahel ;
- l’ostracisme senghorien envers sa propre personne car Cheikh Anta Diop dérangeait véritablement le président-poète, omnipotent au sommet de l’Etat et très sourcilleux pour tout ce qui pouvait porter ombrage à son image, singulièrement au plan international.
Confiné au plan professionnel dans le cadre de l’IFAN, trop exigu pour lui permettre de déployer tout son immense talent au service de la jeune génération, Cheikh Anta Diop, bénéficiant du simple statut d’Assistant que lui imposait le système académique français, avec la complicité du régime en place, loin de désarmer, entreprit entre 1961 et 1963 la conception et la construction d’un laboratoire de datation au Carbone 14 (ou radiocarbone) ; le second de l’Afrique sub-saharienne, après celui de l’Afrique du Sud. Il dirigera le laboratoire jusqu’à sa disparition, le 7 février 1986.
Cependant, aussi absorbantes que fussent ses activités professionnelles, Cheikh Anta Diop se fit le devoir constant, de son vivant, de faire face à ce qu’il considérait comme ses obligations politiques.
C’est ainsi qu’aussitôt rentré au pays, il initia aussi bien à Dakar qu’à travers les régions de l’intérieur, des séries de conférences aux thèmes divers et variés : la désertification du Sahel, les langues nationales, l’indépendance nationale, l’Unité culturelle de l’Afrique et les Etats-Unis d’Afrique…
En 1961 il crée avec ses partisans son premier parti politique au Sénégal, le Bloc des Masses Sénégalaises (BMS) dont il est le secrétaire général, parti d’opposition face au régime en place dirigé alors par le président Senghor et le premier ministre Mamadou Dia. Parmi ses tous premiers compagnons, hommes et femmes, on peut citer, pêle-mêle, Massamba Bassel, Amadou Ongué Ndiaye, Tamsir Mbengue, Me Abdoulaye Wade, Me Fadilou Diop, Diop Fass, professeur Ely Manel Fall, Cheikh Déthialaw Dieng, Mère Fat Guèye Bafa de la Médina…
La lutte conséquente qu’il mena finit par créer un rapport de forces tel que le président Senghor dut lui proposer de saborder son parti, de le rallier, en contrepartie de postes ministériels, de mandats de députés et autres strapontins dans la haute administration, pour lui et ses amis. Il refusa l’offre pour continuer son combat dont le programme nationaliste et démocratique était aux antipodes de celui du régime en place. En conséquence de quoi, le BMS fut dissout en octobre 1963 par les soins de Senghor qui réussit à appâter certains des compagnons de Cheikh.
Cheikh Anta Diop et ses partisans créèrent aussitôt, sur les mêmes bases idéologiques et programmatiques, le Front National Sénégalais (FNS) qui fera long feu car étant dissout à son tour, l’année suivante, après les mêmes propositions d’un côté, et le même refus de l’autre. Même si, là encore, certains de ses amis se laissèrent ferrer par les offres mirobolantes de la partie adverse.
La constance dans ses positions politiques et son activisme grandissant et contagieux auprès des populations, notamment de l’intérieur, lui valurent à l’occasion d’un incident entre un de ses partisans et un représentant de l’Administration, d’être arrêté et détenu à la prison de Diourbel pendant un mois (juillet-août 1962). Il faillit y laisser la vie à la suite de conditions de détention affreuses, avant sa libération, suite à sa relaxe et un non-lieu prononcé par le Tribunal régional.
Au lendemain de la crise intervenue au sommet de l’Etat, en décembre 1962, ayant abouti à l’arrestation et à l’embastillement de Mamadou Dia, les nombreuses et pressantes sollicitations de Senghor pour rallier Cheikh Anta Diop à son camp se heurtèrent au même refus tranquille. Cheikh décida, du reste, de ne plus participer officiellement au jeu politique, tant que Mamadou Dia et ses partisans resteraient en prison.
Mamadou Dia et ses amis ne seront libérés qu’en 1974, douze longues années après leur arrestation. Pendant ce temps, Cheikh Anta Diop aura tenu parole : délaissant l’action politique, il s’était concentré davantage sur ses activités de recherches scientifiques. Publiant des livres et des articles scientifiques (l’essentiel de ses publications fut édité durant cette période), animant des conférences et des colloques à travers l’Afrique (Alger, Addis-Abeba, Lubumbashi, Le Caire, Cotonou…) et à l’international.
En réalité ces activités scientifiques n’étaient jamais dissociées de ses convictions politiques car celles-ci et celles-là se nourrissaient mutuellement, sans jamais se confondre.
C’est du reste, pendant cette période, en 1974 exactement, qu’il finit par faire accepter de manière décisive à la communauté scientifique internationale la véracité et la justesse de ses thèses scientifiques, au terme de l’historique Colloque du Caire, organisé sur sa demande par l’UNESCO. C’était la condition posée par Cheikh Anta Diop, pour participer à la rédaction de l’Histoire Générale de l’Afrique entreprise par l’organisation mondiale de l’Education, de la Science et de la Culture.
Auparavant, en 1966, Cheikh Anta Diop aura été consacré, lors du Premier Mondial Festival des Arts Nègres, tenu à Dakar, avec William Edward Burghardt Du Bois, comme étant « L’écrivain qui a exercé la plus grande influence sur la pensée nègre du XXe siècle ».
Suite à la libération de leur mentor, les « Amis de Mamadou Dia » se rapprochèrent de Cheikh Anta et de ses partisans. Libéré de son serment, ce dernier, aidé en cela par une fraction dissidente du PAI (dirigé par Maitre Babacar Niang, Dr Moustapha Diallo et autres Tidiane Baïdy Ly et Seyni Niang), décida de rassembler l’Opposition nationale et démocratique dans un vaste cadre pour combattre le régime arrimé aux intérêts français. Ce processus allait aboutir, le 3 février 1976, à la naissance du Rassemblement National Démocratique (RND), doté d’un Manifeste et d’un Programme inédit, mettant le doigt sur la domination économique, politique et culturelle française sur l’ensemble de la société sénégalaise.
Ce rassemblement politique sans précèdent dans l’histoire politique du Sénégal regroupa en son sein l’essentiel des partis et mouvements de l’Opposition, dont une bonne frange des organisations clandestines, essentiellement marxistes-léninistes se réclamant de la Pensée de Mao-Tse Toung (comme par exemple le Mouvement Populaire Marxiste-Léniniste Sénégalais - MPMLS – dont une aile décida l’intégration au terme de près de deux années de discussions et de controverses).
Ces organisations clandestines firent adhérer de nombreux cercles d’études idéologiques et autres clubs culturels à travers le pays, mais surtout des quartiers populaires de Dakar. Une autre caractéristique du RND était de compter en son sein la quasi-totalité des intellectuels et universitaires qui ne se reconnaissaient pas dans la politique du Pouvoir d’alors (on ne peut manquer de citer, entre autres, le professeur de philosophie Abdoulaye Kane, le professeur de droit constitutionnel Kader Boye, le professeur de Lettres Madior Diouf…). Sans compter une masse critique d’étudiants et de jeunes issus de divers horizons (le Mouvement des Jeunes du RND fut dirigé successivement par Dialo Diop, Mahmoud Kane, issus du mouvement maoïste, et Séckou Sambou, un pur produit du parti de Cheikh Anta ; alors que par ailleurs le mouvement des Femmes du RND avait pour leader Madame Aminata Sarr, enseignante à Kaolack).
Tous ces jeunes seront d’ailleurs régulièrement organisés et envoyés, pendant les vacances scolaires et académiques, en campagne pour y séjourner et apprendre à l’école de la vie paysanne. Le RND sera, du reste, le premier parti au Sénégal à inspirer et encadrer la création, en 1978, d’un syndicat paysan, le Syndicat des Cultivateurs, Eleveurs et Maraichers du Sénégal.
Alors qu’à la faveur de « l‘Ouverture Démocratique » de 1974, le régime de création de parti politique était libre, le président Senghor introduisit la loi dite des « Trois courants », promulguée le 19 mars 1976 (devenue par la suite des « Quatre courants ») et appliquée rétroactivement pour barrer mesquinement la route au RND, empêchant ainsi sa reconnaissance officielle. Les dirigeants du nouveau parti refusèrent le diktat, et ce fut le début d’une longue lutte, une lutte épique pour une reconnaissance officielle consacrant l’existence de fait du RND.
Le Journal SIGGI (« Se redresser !»), puis TAXAW (« Debout ! »), joua un rôle notable dans cette lutte pour la Démocratie. Avec des moments inoubliables, comme lorsque Senghor voulut imposer l’orthographe « SIGI » à la place de « SIGGI », méconnaissant la règle de la gémination, contre la position unanime des spécialistes des questions linguistiques. Evitant le double piège culturel (sabordage des langues nationales) et politique (répression de son parti), Cheikh Anta fit adopter la mutation dans la dénomination du journal, alors à l’apogée de sa popularité.
Cette séquence de lutte pour la reconnaissance du parti et pour la Démocratie connaitra son épilogue avec le départ volontaire du pouvoir du président Senghor et l’avènement, en 1981, de Abdou Diouf à la magistrature suprême de l’Etat ; un des tous premiers actes de ce dernier fut en effet « l’ouverture démocratique intégrale », avec la reconnaissance officielle de tout parti qui en ferait la demande.
Le RND fut ainsi officialisé et participa pour la première et unique fois à des élections : les Législatives de 1983. Comme toutes les précédentes joutes électorales, celles-ci furent caractérisées par la fraude et la triche, et le parti de Cheikh Anta Diop se retrouva avec… un siège à l’Assemblée Nationale. Entre temps, la crise qui sévissait dans les rangs du parti prit de l’ampleur et éclata avec la dissidence d’une bonne partie du groupe dirigé par Me Babacar Niang, suivi d’une des franges de l’aile maoïste ; tandis-que l’essentiel des bases du RND restait fidèle à son leader. Cheikh Anta ayant boudé l’unique siège « attribué » au RND, le nouveau parti créé par l’aile dissidente se l’attribua en toute illégalité avec la complaisance du Pouvoir en place.
Un fait notable qui s’est produit durant la campagne électorale de ces Législatives de 1983 ne ne saurait être occulté : un an seulement après le déclenchement de la rébellion casamançaise, Cheikh Anta a été vraisemblablement l’unique leader politique à s’aventurer en zones particulièrement dangereuses pour y tenir meetings et visites de proximité : à Ziguinchor, dans les départements de Bignona et d’Oussouye, dans le Balantacounda, à Goudomp, à Mpac, à Bourofoye Diola et Bourofoye Baïnounk… cette dernière localité, alors autrement périlleuse et qui vient récemment de se distinguer de triste manière, avec la tuerie barbare de la forêt de Boffa Bayotte. De façon tout à fait naturelle, Cheikh Anta Diop a condamné sans ambages, de la façon la plus nette la rébellion armée, rappelant que nos micro-Etats africains étaient déjà bien exigus et limités pour porter adéquatement les desseins de nos peuples. Tout en explicitant à l’occasion tous les bienfaits et avantages qui pouvaient être tirés des différentes essences qui peuplent les forêts du sud du pays.
Un autre fait notable qui mériterait d’être relevé durant cette campagne électorale casamançaise : ses compagnons de route étaient très fortement impressionnés par les récriminations récurrentes et très appuyées de Cheikh Anta chaque fois qu’il constatait les feux de brousse ou les agressions faites aux forêts traversées, ne cessant de se désoler, avec beaucoup de peine, de ce ‘déboisement’ ou de ‘cette déforestation sauvage’ de ce qui était verdure luxuriante dans une époque guère lointaine.
Enfin, une anecdote remarquable : lorsqu’arrivés à Mlomp (village du jeune Séckou Sambou, dans le département d’Oussouye), les membres de la caravane remarquèrent tous avec étonnement des arabesques représentés sur les murs des cases bâties et faisant penser aux hiéroglyphes de l’Egypte ancienne ; l’égyptologue, rattrapant le politique, s’attarda longuement pour s’interroger sur le phénomène, cherchant quelque explication au risque de chambouler le programme préétabli, à la grande désolation des autres membres de la délégation.
Le RND ne se relèvera jamais tout à fait de la crise ci-dessus évoquée jusqu’à la disparition de son fondateur suite à un malaise cardiaque, le troisième de sa vie qui lui fut fatal.
Cependant, Cheikh Anta Diop n’avait jamais délaissé le champ scientifique, continuant de mener ses combats de toujours sur deux fronts. Aussi, on est bien averti de relever quelques autres dates et évènements qui ont compté dans sa marche pour chercher et trouver la vérité historique, fondée sur des bases scientifiques :
- 1980 : l’Université nationale du Zaïre lui décerne la Médaille d’Or de la recherche scientifique africaine ;
- 1981 : il est enfin reconnu, vingt et un ans après son doctorat d’Etat, professeur associé à la Faculté des Lettres et Sciences Humaines par le régime du président Diouf.
- 1982 : animation mémorable de l’historique Symposium de Dakar sur l’ensemble de son œuvre, organisé par les Editions Sankoré de son ami le sociologue Pathé Diagne ;
- 1983 : conférences publiques à la Guadeloupe ;
- 1984 : animation de la fameuse conférence en wolof sur les langues nationales à Thiès, intitulée : « Làmmiñi réew mi ak gëstu » (Langues nationales et recherches scientifiques) ;
- 1984 : série de conférences à Niamey, sur invitation du gouvernement nigérien ;
- 1985 : série de conférences à Atlanta (aux Etats Unis d’Amérique), sur invitation du maire Andrew Young ; à l’occasion, le 4 avril est proclamé « Cheikh Anta Diop Day » ;
- D’autres conférences suivront à Paris, Yaoundé, etc.
La vie de Cheikh Anta Diop fut, de bout en bout, une vie de réflexion et de luttes, une vie au service de l’Afrique, de la Science et du Progrès de l’Humanité.
QUAND LYLIAN KESTELOOT COMMENTAIT CHEIKH ANTA DIOP
Dans le hors série du » Point » « Textes fondamentaux de la pensée noire » (n° 22, mai 2009), la grande spécialiste disparue le 28 février 2018 à Paris présentait l'auteur de « Nations nègres et culture »
Lylian Kesteloot |
Le Point Afrique |
Publication 02/03/2018
En 1954, l'historien et égyptologue sénégalais Cheikh Anta Diop (1923-1986) publie Nations nègres et culture, son ouvrage majeur, sous-titré « De l'Antiquité nègre égyptienne aux problèmes culturels de l'Afrique d'aujourd'hui ». Il entend y corriger les travaux fondateurs de l'égyptologie en se fondant sur les observations d'historiens grecs comme Hérodote (484-425 av. J.-C.) et Diodore de Sicile (Ier siècle av. J.-C.) dont les travaux ont nourri la connaissance de l'Égypte pendant l'Antiquité et le Moyen Âge, et les travaux de savants oubliés ou marginalisés du XIXe siècle, tel le comte Constantin de Volney (1757-1820). Ces travaux, il les confronte minutieusement à ceux des vedettes de l'égyptologie, à commencer par Champollion (1790-1832) et Maspero (1847-1916) dont il refuse les thèses. Sa méthode ? Démontrer les erreurs d'interprétation, dénoncer les illogismes et la mauvaise foi.
De la même façon, il compare ensuite les travaux des anthropologues et archéologues à ses propres expériences de « terrain » en Afrique sur la statuaire et les peintures des temples, sur les contenus religieux et politiques des documents hiéroglyphiques, sur les structures sociales et le système de parenté, sur les formes de la grammaire et du lexique de l'égyptien ancien. Il ira jusqu'à analyser l'épiderme et la morphologie des momies conservées au Louvre et au Caire. Sa thèse : les tenants de l'impérialisme occidental ont « blanchi » l'Égypte, et ce à seule fin de mieux dominer les peuples colonisés. Il s'attache ainsi à démontrer que la civilisation grecque a emprunté ses formes et son contenu à la civilisation nègre, en particulier éthiopienne, via l'Égypte antique. Cette thèse, qui prend à rebours l'égyptologie officielle, ne trouva jamais vraiment grâce aux yeux des scientifiques occidentaux.
Une influence considérable
Ayant créé un laboratoire de recherche archéologique à l'université de Dakar, Cheikh Anta Diop est sollicité par l'Unesco pour participer en 1974 à un colloque au Caire sur l'histoire africaine, où sa volonté de faire reconnaître l'Égypte « noire » arrive à convaincre plusieurs collègues. Entre-temps, faute de trouver un jury, sa thèse est devenue un livre, publié dès 1954 par les éditions Présence africaine créées peu de temps auparavant à Paris par le Sénégalais Alioune Diop. Et très rapidement, elle s'est imposée auprès de ses lecteurs d'origine africaine comme la preuve de la capacité des Nègres à créer une grande civilisation : ceux qui n'avaient pas d'histoire écrite, selon les thèses répandues de Hegel, en possédaient désormais une ; et contrairement à ce que disaient les Blancs colonisateurs, la civilisation africaine préexistait aux civilisations européennes. À la veille des indépendances, Nations nègres et culture devint l'étendard d'une révolution culturelle que les Nègres agitaient sous le regard scandalisé d'une puissance coloniale se résignant mal à lâcher ses territoires d'outre-mer.
L'influence de son auteur ne cessa alors de s 'étendre, notamment aux États-Unis où son œuvre fut traduite et connut une influence considérable dans le milieu intellectuel afro-américain. La pensée de Cheikh Anta Diop a ainsi donné naissance à une nouvelle fierté, mais aussi à une manière différente de traiter l'histoire africaine. Vision polémique et idéologique qui déborde parfois le champ strictement scientifique, mais qui va nourrir la revendication identitaire des Noirs en Afrique comme en Europe et en Amérique.
PAR ACHILLE MBEMBE
BLACK PANTHER ET ÉLOGE DE L’AFROFUTURISME
Derrière l'une ou l'autre séquence planent mille ombres et mille courants de pensée - de Marcus Garvey à Cheikh Anta Diop, de la Negritude à l'Afrocentrisme - Il faudra cependant plus qu’un film pour retourner la roue de l’histoire
Hier après-midi, je suis allé voir le film Black Panther à Hyde Park. Un frère africain-américain qui vit à Johannesburg depuis 17 ans, homme d’affaires, avait eu la bonne idée d’organiser cette sortie destinée en priorité à de jeunes élèves de deux écoles de la ville.
Nous nous sommes donc retrouvés au cinéma avec une centaine d’enfants accompagnés de leurs parents, joyeuse bande et mélange d’origines, de genres, de races et de croyances, comme sait de temps à autre le produire cette nation “arc-en-ciel”.
La fin de la séance a été suivie d’une conversation de plus d’une heure dans une salle adjacente. Il avait été demandé à certain.e.s d’entre nous de prendre la parole. L’on s’est contenté de quelques remarques et avons préféré écouter les enfants eux-memes nous dire, dans leur inimitable voix, ce qu’ils avaient retenu du film.
Il y avait, avant la projection, puis dans la salle, quelque chose de tout à fait spécial, une sorte de gaieté que provoque toujours la présence d’enfants dans un lieu certes, mais pas uniquement. C'était quelque chose comme un souffle contagieux qui, soudain, s’empare de tout, et fait s’exprimer des voix que l’on n’avait guère entendu depuis très longtemps, dans une polyphonie de langues neuves.
Dans un livre écrit en 2010 et intitulé "Sortir de la grande nuit", voici ce que j'écrivais au sujet de l'Afrique: "Quelque chose de fecond jaillira de cette Afrique-glebe, immense champ de labour de la matière et des choses, quelque chose susceptible d'ouvrir sur un univers infini, extensif et hétérogène, l'univers des pluralites et du large. Ce monde-africain-qui-vient, dont la trame, complexe et mobile, sans cesse glisse d'une forme a l'autre et détourne toutes les langues et les sonorités puisque ne s'attachant plus guère a aucune langue ni son purs, ce corps en mouvement, jamais a sa place, dont le centre se déplace partout, ce corps se mouvant dans l'énorme machine du monde, on lui a trouve un nom - afropolitanisme" (13-14).
Encore fallait-il y ajouter un autre - afrofuturisme.
Et c'est ce que fait ce film qui, en réalité, est une extraordinaire synthèse de toutes les idées et des concepts qui, depuis au moins la fin du XIXeme siècle, auront accompagne les luttes negres en vue de la montée en humanité.
Pour qui sait lire entre les images, pour qui sait écouter les rythmes et épouser le pouls du récit, les fils sont la, manifestes, et derriere l'une ou l'autre sequence planent mille ombres et mille courants de pensee - de Marcus Garvey a Cheikh Anta Diop, de la Negritude a l'Afrocentrisme, de l'Afropolitanisme à l'Afrofuturisme.
C’est que ce film, sans doute le premier du genre, est d'abord une prouesse intellectuelle, la mise en image et en spectacle des grandes idées et courants de pensee qui auront accompagne nos efforts pour "sortir de la grande nuit".
Il n'a pas seulement su mettre ensemble les meilleurs de nos créateurs, de nos metteurs en scene (Ryan Coogler), nos acteurs les plus charismatiques (Lupita Nyongo, Letitia Wright, Danal Gurira, Chadwick Boseman, Angela Bassett, Forest Whitaker, Michael Jordan, Daniel Kaluuya etc...), nos stylistes, compositeurs (Kendrick Lamar) et mannequins.
Il a surtout su restituer sur une scène spectaculaire et de dimension planétaire ce dont beaucoup, depuis le début de l’ère moderne (pour nous l’ere de la Traite des esclaves, de l’assujettissement et de la dispersion), n’ont eu cesse de rêver - à savoir la montée d’une “nation negre” debout, puissante et singulière, au sein de l’humanité.
Le film capte de façon dramatique cette vieille aspiration, dans un langage vibrant, savant et subtil, surgi des profondeurs d’un passé gigantesque et tout ordonné vers un futur de possibilités multiples et complexes.
Tout, ou presque tout, y passe: une ‘civilisation’ (le mot n’est pas de trop) auto-centrée, qui a su greffer un noyau technologique futuriste sur des traditions millénaires; une terre qui a su receler des richesses insondables, toutes sortes de minerais dont un, le vibranium, constitue comme la clé qui ouvre la porte de la surpuissance et de l’omnipotence; des rituels de résurrection presque telluriques, lorsqu’a même la glaise ou enseveli sous le sol rouge ocre, le corps du roi entreprend son voyage vers les ancêtres, porte par l’ombre d’Osiris, et se met à communiquer avec les morts; la puissance onirique des costumes et leur solaire beauté dans un déluge de couleurs et une tornade de formes, des corps noirs d'une force, santé et couleurs luisantes, du noir bleu au noir soleil, noir de feu, noir noir marron et chocolat, le culte de la multiplicité, de l'impétuosité, de la dissémination et de la prolifération.
Je ne parle même pas de la forme des villes et de l’architecture, en souvenir des grands royaumes du Mali, du Ghana, du Songhai. De toute cette tradition architecturale et de toutes ces infrastructures à partir desquelles naîssent un système technologique et des connaissances neuves. De toutes ces formes de conquête de la matière en harmonie avec le monde des songes et des machines. Machines elles-memes sculptées à l’image du monde des animaux, des oiseaux, bref de la flore, de la faune et d’un milieu aquatique ancien.
C’est donc, dans un sens, cette question de la durée que pose le film - la durée negre.
La politique de la durée, en réalité, quand les rancœurs anciennes, le meurtre originaire, continue d’empoisonner le puits faute d’avoir fait l’objet de conjuration et d’expiation; la division et la discorde, la guerre intra-parentèle et la transmission intergenerationelle des rancœurs et du désir de vengeance qui toujours les accompagnent; cette vieille affaire du sang versé, du sang que l’on répand; du pouvoir pour le pouvoir, par tous les moyens; et, finalement, d’une société qui court le risque de l’autodevoration, faute de pouvoir s’accorder sur l’essentiel.
Bien d’autres thématiques traversent cette œuvre, un énorme monument à ce que d’autres ont appelé ‘l’humanité negre’. Comment ne pas évoquer, à ce sujet, la centralite de la femme dans ce texte ?
Au fond, s’agissant de la politique de la durée negre dont je viens de dire qu’elle est la thématique centrale du film, le film lui-même dit une chose: la femme est le secret de la durée. Et par conséquent de la puissance. La ‘renaissance negre’ passera par elle, par cette puissante énigme qu’est la femme.
Si donc l’Afrique doit revenir à elle-meme; si donc elle doit redevenir son centre propre et sa force propre, alors peut-être devrons-nous affronter, les yeux ouverts, cet énigme car de sa résolution dépend notre futur.
Il y aurait beaucoup d’autres choses à dire au sujet de cette réalisation. Au sortir de la séance de Hyde Park, il soufflait comme un vent d’optimisme sur l’assistance.
Il faudra cependant plus qu’un film pour retourner la roue de l’histoire.
Mais une chose est certaine. "L'Afrique devra porter son regard vers ce qui est neuf. Elle devra se mettre en scene et accomplir, pour la premiere fois, ce qui n'a jamais été possible auparavant. Il faudra qu'elle le fasse en ayant conscience d'ouvrir, pour elle-même et pour l'humanité, des temps nouveaux" (Sortir de la grande nuit, 243).