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2 avril 2025
Cheikh Anta Diop
par Ndongo Samba Sylla
LA MONNAIE UNIQUE OUEST-AFRICAINE RISQUE D'ÊTRE UN ÉCHEC CUISANT
Le fait que les pays africains ne soient pas encore prêts pour l’unité politique ne les condamne pas pour autant à choisir entre le statu quo monétaire et l’adoption d’une grossière copie de l’euro
Le Monde Afrique |
Ndongo Samba Sylla |
Publication 30/06/2019
Le sommet de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao) qui s’est tenu samedi 29 juin à Abuja, au Nigeria, a été l’occasion de faire le point sur l’éco, la monnaie unique que les quinze pays de ce bloc régional projettent de lancer en 2020. Sa création pourrait être une excellente nouvelle pour ceux d’entre eux qui utilisent le franc CFA, soit huit Etats. Elle entraînerait de facto la fin de cette monnaie née pendant la période coloniale et toujours placée sous la tutelle du ministère français des finances, avec l’obligation pour les pays africains de déposer la moitié de leurs réserves de change auprès du Trésor français et la présence de responsables français dans les instances de leurs banques centrales.
Pour nombre d’intellectuels et de militants panafricanistes, il est temps de tourner la page du franc CFA au profit d’une intégration monétaire entre Africains qui transcenderait les legs du colonialisme. Le projet éco pourra, pensent-ils, permettre d’y parvenir. Or une critique économique conséquente du franc CFA, se situant au-delà d’une critique politico-symbolique, montre que la monnaie unique de la Cédéao, telle qu’elle a été conçue jusqu’ici, ne constitue pas la meilleure voie à suivre.
Faiblesse du commerce intra-régional
Une objection importante contre le franc CFA est que les deux blocs qui l’utilisent, c’est-à-dire l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) et la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (Cémac), ne présentent pas les caractéristiques de « zones monétaires optimales ». Cela veut dire que leur existence ne se justifie pas économiquement : les inconvénients à partager la même monnaie pour les pays membres pris individuellement sont supérieurs aux avantages à la maintenir. Partant de ce fait relevé par des travaux empiriques, on peut difficilement concevoir qu’une union monétaire plus large permettra d’inverser la tendance.
Le comité ministériel de la Cédéao note lui-même, dans son dernier rapport, qu’aucun pays de la région n’avait rempli en 2018 les critères requis pour faire partie de la zone monétaire éco. Dans le cas des pays de l’UEMOA, cette observation est plutôt dévastatrice. Elle signifie qu’ils ne satisfont toujours pas les préalables en vue d’une intégration monétaire, malgré près de soixante ans de partage d’une même monnaie ! Soulignons au passage que les pays de l’UEMOA n’ont toujours pas présenté le plan de divorce d’avec le Trésor français exigé par le Nigeria depuis 2017.
A supposer que l’éco voie le jour, ses bénéfices risquent d’être limités au regard de la faiblesse du commerce intra-Cédéao (9,4 % en 2017). L’argument selon lequel l’intégration monétaire va changer la donne est sujet à caution. Il suffit de se référer par exemple à l’expérience des pays de la Cémac : le commerce intra-régional y est de l’ordre de 5 %, en dépit de plus de soixante-dix ans d’intégration monétaire.
Il est par ailleurs probable que la politique monétaire et de change s’alignera sur la conjoncture du Nigeria, lequel représente les deux tiers du PIB de la région et la moitié de sa population. Le Nigeria, qui acceptera difficilement d’être dans une union monétaire dont il ne sera pas le patron, est un exportateur de pétrole, alors que les autres pays sont pour la plupart des importateurs nets de pétrole. En raison de ces différences de spécialisation, les cycles économiques des uns et des autres seront rarement synchrones. Or les Etats ayant intérêt à partager la même monnaie, et donc une même politique monétaire, sont ceux dont les cycles économiques sont synchrones.
Dans cette configuration, les pays exposés à des chocs asymétriques négatifs ne pourront pas avoir recours à la politique monétaire et de change pour s’ajuster. Ils n’auront pour option que la « dévaluation interne », concept qui désigne les politiques d’austérité. Un scénario d’autant plus probable que le projet éco ne prévoit, en l’état actuel, aucun mécanisme de solidarité budgétaire afin de faire face à des conjonctures différenciées entre les pays membres. Pire, ce projet est conçu dans une optique d’orthodoxie budgétaire (limitation du déficit et de l’endettement publics) qui sape d’emblée toute capacité de réaction positive des Etats confrontés à des chocs asymétriques. Laisser grossir les rangs des chômeurs et des sous-employés et ponctionner les classes moyennes et populaires : tel sera le mode d’ajustement en cas de crise.
Une grossière copie de l’euro
Que les architectes du projet éco aient copié dans le détail le « modèle » de l’Eurozone, sans s’être souciés de ses défauts devenus apparents avec la crise des subprimes, semble assez paradoxal. S’il y a bien une leçon à retenir de l’Eurozone, c’est qu’une zone monétaire sans fédéralisme budgétaire est vouée à l’échec. Wolfgang Schaüble, l’ex-ministre allemand des finances, a récemment admis que « l’erreur originelle avait été de vouloir créer une monnaie unique sans une politique commune dans les domaines de l’économie, de l’emploi et de la politique sociale ». En raison de cette faille originelle, les disparités économiques entre les pays européens se sont accentuées. Comme le montre une étude récente du Fonds monétaire international (FMI), les crises dans les pays de la zone euro ont été plus fréquentes et plus sévères que dans les autres pays riches. Les reprises y ont aussi été plus lentes.
Pour aller vers une monnaie unique, il faudrait d’abord mettre en place un gouvernement fédéral sur une base démocratique avec des pouvoirs fiscaux forts. Avoir la gestion monétaire au niveau supranational et laisser la gestion budgétaire au niveau national est une terrible erreur de conception. Le projet éco risque, tout comme la zone de libre-échange continentale (ZLEC), d’être un échec cuisant parce qu’il n’aura pas été fondé sur un socle politique fédéraliste. L’avertissement de Cheikh Anta Diop formulé en 1976 à propos de la Cédéao alors naissante reste actuel et pertinent : « L’organisation rationnelle des économies africaines ne peut précéder l’organisation politique de l’Afrique. »
Le fait que les pays africains ne soient pas encore prêts pour l’unité politique ne les condamne pas pour autant à choisir entre le statu quo monétaire et l’adoption d’une grossière copie de l’euro. Fort heureusement, de brillants économistes africains comme Samir Amin, Mamadou Diarra et Joseph T. Pouemi ont ébauché une alternative pratique et féconde : un système de monnaies nationales solidaires.
Concrètement, il s’agirait de faire en sorte que chaque pays de la zone franc ait sa propre monnaie nationale, gérée par sa banque centrale. Ces monnaies seraient liées par une unité de compte commune qui servirait à régler les échanges entre eux. Un système de paiement africain serait mis en place. Les réserves de change seraient en partie gérées de manière solidaire, afin que les monnaies se soutiennent mutuellement. Des politiques communes seraient mises en œuvre pour obtenir l’autosuffisance alimentaire et énergétique, et donc limiter les importations dans ces deux secteurs.
Ce système a l’avantage de permettre une solidarité entre pays africains et une flexibilité macroéconomique au niveau national. Ce que n’autorise pas le projet éco.
Ndongo Samba Sylla est économiste. Il a co-écrit, avec Fanny Pigeaud, L’Arme invisible de la Françafrique, une histoire du franc CFA (La Découverte, 2018).
Par Demba Moussa Dembélé
QUI REFUSERAIT UNE MONNAIE SOUVERAINE AFRICAINE ?
Au moment où le processus vers la monnaie unique dans l’espace CEDEAO semble franchir des pas décisifs, on assiste à une série de contre-feux de la part des défenseurs du franc CFA, dans le but de repousser l’échéance de 2020
Au moment où le processus vers la monnaie unique dans l’espace CEDEAO semble franchir des pas décisifs, on assiste à une série de contre-feux de la part des défenseurs du franc CFA, dans le but de repousser l’échéance de 2020 et de perpétuer la servitude monétaire imposée aux ex-colonies françaises depuis plus de 70 ans.
Les décisions de la réunion d’Abidjan
Lors de la réunion du Comité interministériel de la CEDEAO, composé des ministres des Finances et des gouverneurs des Banques centrales, les 17 et 18 juin 2019, dans la capitale ivoirienne, d’importantes décisions ont été prises qui, si elles sont entérinées par les chefs d’Etat et de Gouvernement le 29 juin prochain, seraient une étape décisive vers la naissance de la monnaie unique. La première décision est le consensus sur le nom de la future monnaie unique, qui s’appellera ECO. La politique monétaire sera définie dans le cadre d’un ciblage de l’inflation globale. La seconde décision est relative à la nature de la future banque centrale, qui serait de type fédéral. Cette option vise sans doute à donner un peu plus de flexibilité aux pays dans l’application de la politique monétaire, tout en respectant le cadre global de celle-ci. La troisième décision concerne la nature du taux de change, qui serait flexible
La monnaie unique n’est plus une utopie
Ce qui est remarquable est que ces décisions aient été prises à Abidjan, en Côte d’Ivoire, dont le président, Alassane Ouattara, est taxé d’être un des farouches opposants à l’abandon du franc CFA, classé comme l’un des “gardiens du temple” par Jeune Afrique. Un autre signe qui conforte l’optimisme est la déclaration du ministre ivoirien de l’Economie et des Finances, Adama Koné, qui dit que “la monnaie de la CEDEAO n’est plus une utopie technocratique”. Cette déclaration semble indiquer que l’argument “technique” ne peut plus être évoqué pour retarder le processus vers la monnaie unique. En effet, pendant longtemps, les opposants à la monnaie unique ont avancé le caractère “technique” de la monnaie pour soutenir que les pays africains n’étaient pas prêts à créer leur propre monnaie et à abandonner le franc CFA.
Les critères de convergence sont certes un élément important à prendre en considération, mais ils ne doivent pas être un facteur bloquant d’autant plus que c’est impossible de voir tous les pays respecter ces critères en même temps. En réalité, il n’y a pas de modèle idéal pour aller à la monnaie unique. En fait, la question de la monnaie est fondamentalement politique. C’est pourquoi la Taskforce présidentielle, composée des chefs d’Etat de la Côte d’Ivoire, du Ghana, du Niger et du Nigeria, avait préconisé en octobre 2017, lors de sa réunion à Niamey (Niger), d’aller à la monnaie unique par étapes. Cette volonté avait été réaffirmée à Accra (Ghana), lors de la réunion de la Taskforce en février 2018. Au cours de cette réunion, les dirigeants avaient fixé une feuille de route révisée avec le “recentrage et la réduction des critères de convergence de onze à six”. Selon cette feuille de route révisée, les pays qui auront satisfait à ces critères de convergence, notamment ceux de premier rang, lanceront la monnaie unique en 2020 et les autres suivront. D’ailleurs, plusieurs pays, et non des moindres, ont dit avoir respecté au moins cinq des six critères retenus, ce qui rend possible le lancement de la monnaie unique, comme prévu. Ce que semble confirmer Monsieur Jean-Claude Brou, président de la Commission de la CEDEAO, qui, lors de la réunion d’Abidjan, a affirmé que “la feuille de route sera suivie”.
Les contre-feux des défenseurs de la servitude monétaire
Les décisions d’Abidjan et la perspective de les voir acceptées par les chefs d’Etat et de Gouvernement le 29 juin ont alarmé les défenseurs inconditionnels du franc CFA. Déjà, avant la réunion du Comité interministériel de la CEDEAO, l’hebdomadaire Jeune Afrique, qui avait eu vent de l’agenda de la rencontre, publiait dans son édition du 16 au 22 juin un document de 14 pages consacré au débat sur le franc CFA, avec une classification fantaisiste entre “extrémistes”, “réformistes” et “gardiens du temple”. En vérité dans ce débat, il n’y a que deux camps: les défenseurs du statu quo ou de la servitude monétaire et les partisans de la souveraineté monétaire. L’objectif du document de Jeune Afrique était de détourner l’attention sur la rencontre d’Abidjan ou peutêtre d’influencer les décisions des présidents des pays de la zone franc lors du Sommet des chefs d’Etat et de Gouvernement le 29 juin. Il y avait notamment l’interview de Dominique Strauss-Kahn, ancien ministre français de l’Economie et des Finances et ancien Directeur général du FMI. Il est conseiller des présidents du Togo et du Congo-Brazzaville. La parole fut également donnée à ancien Conseiller spécial du gouverneur de la BCEAO, Monsieur Théophile Ahoua N’Doli, qui implore de “ne pas jeter le bébé CFA avec l’eau du bain”. Derrière leurs propositions de “réformes” pour faire évoluer les relations entre les pays africains et la France, se cache un objectif fondamental: préserver la tutelle de celleci, c’est-à-dire perpétuer la servitude monétaire des pays africains, sous une forme “rénovée” !
En Afrique et ailleurs, il y a toute une cohorte d’économistes, de journalistes et “d’experts” en tout genre qui se mobilisent pour mettre en garde contre l’abandon du franc CFA et l’adoption d’une monnaie souveraine africaine. A leurs yeux, les Africains ne sont pas assez “mûrs” pour gérer leur politique monétaire, même après 74 ans d’asservissement ! Ces défenseurs du franc CFA contre une monnaie africaine ne peuvent pas envisager l’avenir de leurs pays sans la France. Ils ressemblent à ces anciens esclaves qui, au seuil de la porte vers la liberté, reviennent sur leur pas vers la maison du maître, parce qu’ils se sentent perdus sans ce dernier ! Me revient à l’esprit la fameuse conférence du Pr. Cheikh Anta Diop à Niamey, au Niger. La plupart des questions posées par l’audience tournaient autour de l’acceptation de ses thèses par les Blancs ! Et l’éminent savant avait réagi en ces termes : “toutes vos questions reviennent à une seule : quand est-ce que les Blancs vous reconnaîtront-ils ? Parce que la vérité sonne blanche !”. Ceux à qui s’adressait l’éminent savant et ceux qui s’opposent à la fin de la servitude monétaire sont victimes d’une profonde aliénation culturelle, qui crée des réflexes de subordination et de soumission que beaucoup d’intellectuels africains traînent encore et dont ils ont du mal à se débarrasser. N’est-ce pas Steve Biko, l’une des figures héroïques de la lutte contre l’odieux système d’apartheid en Afrique du Sud, qui disait que “l’arme la plus puissante entre les mains de l’oppresseur est la mentalité de l’opprimé” ?
Un combat d’arrière-garde
Le combat que mènent les agents africains du néocolonialisme est un combat d’arrière-garde. Leurs cris d’alarme pourraient peut-être influencer quelques “dirigeants” sous le contrôle de la France, mais ils ne pourront pas arrêter la marche inexorable de l’histoire. Le contexte mondial est en pleine mutation. La mondialisation capitaliste est en train de s’effondrer, comme l’illustrent les guerres commerciales en cours, sous les regards impuissants de l’Organisation mondiale du commerce et des institutions financières internationales. On assiste à la mort de l’ancien ordre économique mondial et à la naissance d’un nouvel ordre dans lequel les pays du Sud, y compris l’Afrique, auront un poids économique et financier de plus en plus important. C’est dans ce contexte que l’Union africaine a lancé la Zone de libreéchange continentale (ZLEC), l’un des projets-phares de l’Agenda 2063. C’est dans ce contexte également que se situe le rapprochement entre la Côte d’Ivoire et le Ghana pour défendre ensemble les prix du cacao dont ils sont les principaux producteurs mondiaux. C’est sûr que le contexte mondial et régional en pleine mutation a pesé dans les importantes décisions prises à Abidjan et va probablement influencer celles des chefs d’Etat et de Gouvernement de la CEDEAO lors de leur Sommet du 29 juin à Abuja, au Nigeria. Ils ont compris qu’il est temps de faire preuve de volonté politique et de franchir le Rubicon. Il y va de leur crédibilité, il y va du développement de leur Communauté. Faut-il rappeler que la quête d’une union monétaire va au-delà de la CEDEAO. L’Union africaine a lancé depuis plusieurs années des chantiers sur ce sujet, tels que le Fonds monétaire africain et la Banque centrale africaine. Plus de 40 banques centrales du continent adhèrent à ce projet, dont le secrétariat est logé à la BCEAO. Bienvenue à l’éco ! Au musée le franc des colonies françaises d’Afrique !
Demba Moussa Dembélé est économiste, organisateur des “samedis de l’économie”, Coauteur du livre Sortir l’Afrique de la servitude monétaire. A qui profite le Franc CFA
PAR Aliou Diack
APPELEZ NOTRE FUTURE MONNAIE DE LA CEDEAO "LE KEMT" ET NON "ECO"
Le plus grand hommage que les chefs d’états africains pourraient rendre à Cheikh Anta Diop qui a décomplexé l’Afrique, ainsi qu’aux pères fondateurs du panafricanisme, c’est de donner à cette nouvelle monnaie un nom fédérateur
Les 15 chefs d’État de la Communauté Economique des États d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) se sont donné rendez-vous le 29 juin 2019 à Abuja au Nigéria, en vue d’adopter un agenda pour la mise en circulation prochaine d’une nouvelle monnaie unique de la zone, en l’occurrence l’ECO, qui devrait intervenir en 2020, en remplacement du Franc CFA encore en vigueur. C’est une excellente initiative à saluer et on a envie d’ajouter : oui « il faut faire ! », pour paraphraser l’éminent Professeur Congolais Théophile Obenga, qui considère à juste titre que les dirigeants africains hésitent trop souvent devant l’histoire, à prendre leur courage à deux mains et à décider ! Enfin ! car quels que puissent être les arguments avancés par ses défenseurs, le Franc CFA a été, demeure et restera toujours une monnaie de domination, voire d’oppression d’une importante partie du continent africain.
On aurait tort de banaliser cet acte fort et patriotique que viennent de poser les chefs d’état vers la réalisation de l’Unité Africaine sur une base économique solide avant qu’elle ne devienne organique, malgré l’afro-pessimisme ambiant qui habite certains observateurs étrangers, africains et afro-descendants de la diaspora. On aurait également tort de caricaturer cette nouvelle monnaie comme une monnaie de singe par condescendance !
En célébrant le 26 mai 2013 le jubilé de l’âge d’or (50ème anniversaire) de l’Organisation de l’Unité Africaine/Union Africaine (OUA/UA) fondée le 25 mai 1963 à Addis-Abeba en Ethiopie, les chefs d’états africains, après avoir rendu hommage aux pères-fondateurs du Mouvement Panafricain et des Mouvements de Libération Nationale, et rappelé le rôle, les efforts et sacrifices historiques qu’ils ont joués et déployés ; après s’être s’inspirés de leur vision, de leur sagesse et de leur combat, y ont pris des engagements très importants dans une « Déclaration solennelle sur le cinquantième anniversaire de l’OUA/UA ». En effet, dans l’agenda consacré à l’intégration africaine, les chefs d’états se sont résolument engagés à, je cite :
« Accélérer la mise en œuvre de la zone de libre-échange continentale, assurer la libre circulation des biens, en mettant l’accent sur l’intégration des marchés locaux et régionaux, et faciliter la citoyenneté africaine en vue de la libre circulation des personnes par la suppression graduelle des obligations de visa ;
Accélérer les mesures visant à bâtir une Afrique unie et intégrée par la mise en œuvre de nos cadres communs de gouvernance, de démocratie et des droits de l’homme, avancer rapidement vers l’intégration et la fusion des Communautés Economiques Régionales en tant que piliers de l’Union. » (Fin de citation).
Le rêve des pères fondateurs du Panafricanisme, de l’Unité Africaine et des Etats-Unis d’Afrique, passe inéluctablement par une indépendance culturelle, économique et militaire. Il s’agit de bâtir notre avenir en nous fondant sur un Paradigme Africain décomplexé de toute tutelle intellectuelle ou culturelle. Le Professeur Cheikh Anta Diop disait qu’il fallait « basculer l’Afrique sur la pente de son destin fédéral ». Pour cela, il faudra bien que l’Afrique recouvre sa dignité en s’appuyant sur le ressort de ses traditions pour rebondir vers une Renaissance Africaine.
Les puissances économiques et militaires mondiales, ont également commencé par prendre des décisions historiques majeures dans des conditions loin d’être optimales, et comparables à bien des égards à celles qui prévalent actuellement en Afrique. L’Union Européenne a démarré son travail d’unification douze années seulement après la terrible guerre mondiale de 1939- 1945 aux conséquences dramatiques, avec le fameux traité de Rome, qui a créé la « Communauté Economique Européenne (CEE) en 1957, une organisation supranationale avec 6 pays seulement, en l’occurrence l’Allemagne Fédérale (Allemagne de l’Ouest), la Belgique, la France, l'Italie, le Luxembourg et les Pays-Bas. Des pays exsangues économiquement, que le
fameux Plan Marshall d’après-guerre des Etats-Unis d’Amérique a aidé à se relever. Chaque pays conservait encore sa propre monnaie : le Deutsche Mark (DM) en Allemagne, le Franc Belge (BEF) en Belgique, le Franc Français (FRF) en France, la Lire (ITL) en Italie, le Franc Luxembourgeois (LUF) au Luxembourg et le Florin Néerlandais (FL) aux Pays-Bas. Mais les Européens ont fait ! Ils ont fait leur Marché Commun pour mener une vraie intégration économique. Le développement économique n’était ni linéaire ni uniforme, la cadence était inégale dans toute l’Europe, dans et hors de la zone CEE. Le décalage économique qui existait entre l’Allemagne et l’Italie, ou entre la France et le Portugal, était comparable à celle qui existe aujourd’hui entre l’Afrique du Sud et le Mozambique, ou entre la Côte d’Ivoire et le Burkina Faso ou le Niger. Il en résulta comme corollaire, beaucoup de mouvements migratoires dans des années 60 jusqu’au milieu des années 80, le flux allant des pays du sud, moins nantis vers ceux du nord de l’Europe plus développés. Les pays faibles étaient tirés par les plus forts. Néanmoins, les Européens ont fait ! Ils sont même passés à la vitesse supérieure en créant l’Acte Unique en 1986. Ils passèrent ainsi de six (6) pays à douze (12) avec de nouveaux adhérents, en l’occurrence le Danemark, l’Irlande, le Royaume-Uni, la Grèce, l’Espagne et le Portugal. Pourtant, pendant cette période cruciale, surtout suite aux conséquences économiques désastreuses découlant des deux chocs pétroliers de 1973 (guerre Israël/Arabes du Jom Kippur) et de 1979 (renversement du Schah Reza Pahlevi d’Iran par la révolution dirigée par l’Imam Khomeiny), l’Euroscepticisme était marqué même au sein des sociétés européennes. Cet Acte Unique de 1986 modifia le traité de Rome de 1957, pour ouvrir la voie à la création du Marché Unique de l’Union Européenne (UE) tel que nous le connaissons aujourd’hui.
Six (6) ans après la signature de l’Acte Unique, les pays européens ont réussi à créer l’UE par un « Traité sur l’Union européenne (TUE) » signé à Maastricht (Pays-Bas) le 7 février 1992, lequel traité est entré en vigueur le 1er novembre 1993. Une zone de libre échange économique avec une monnaie commune l’Euro fut décidée. Pour en être membre, il fallait respecter 4 critères de convergence économique, qui sont :
A sa création, l’UE ne comptait donc que 12 pays. Aujourd’hui ils sont 28 avec 5 autres demandeurs d’adhésion, malgré une demande de sortie du Royaume-Uni (BREXIT) en instance.
Depuis la création de l’UE jusqu’à maintenant, les critères de Maastricht n’ont jamais pu être respectés par tous les pays de zone Euro. On a fonctionné avec des compromis, au risque de compromettre la viabilité même de la zone. Aujourd’hui, dans cette organisation économique qui comptabilise 26 années d’existence, aucun des 28 pays ne respecte intégralement les quatre critères de convergence définis en 1992 à Maastricht ! Quelques exemples en sont l’illustration, en prenant le critère le plus déterminant relatif aux « Finances publiques saines et viables » : L’Allemagne qui est la première puissance économique de l’Europe, avec une dette publique en 2018 à hauteur de 61% de son Produit Intérieur Brut (PIB), dépasse le taux maximum de 60% fixé par les critères de Maastricht ; pendant dix-sept (17) années successives (de 2002 à 2018) ce pays n’a pas réussi à respecter ce critère de convergence. En 2018, le Royaume-Uni 2ème puissance économique d’Europe traine une dette publique de 87% de son PIB, la France, 3ème puissance économique d’Europe en est encore à 98,40% d’endettement par rapport à son PIB, la Grèce à 181%, l’Italie à 132%. Malgré le non- respect des critères de convergence par les 28 pays européens, l’UE et l’Euro se portent bien et l’économie européenne est devenue, selon les études les plus récentes de 2018 publiées sur la situation économique mondiale par le Fonds Monétaire International (FMI), la seconde puissance économique du monde, avec un PIB de 22.023 milliards de Dollars US ($US), derrière la Chine devenue la première puissance économique mondiale avec 25.270,07
milliards de $US. Les États-Unis d’Amérique viennent maintenant d’être recalée en 3ème position avec un PIB de 20.494,05 milliards de $US.
Les pays africains de la CEDEAO qui ont décidé de mettre en place leur propre monnaie commune, l’Eco, sont au nombre de 15 et totalisent un PIB global de 1.729 milliards de $US, qui les placerait en 19ème position des puissances économiques du monde devant l’Iran, la Thaïlande et l’Australie. Pour un départ, c’est déjà honorable. N’oublions pas que de six (6) à douze (12) et finalement 28 pays, l’Union Européenne s’est bâtie sur une longue période de soixante-deux ans (62) ans ! Concédons alors à la CEDEAO et à l’Afrique un minimum de période de gestation. L’essentiel c’est encore une fois de faire !
Parallèlement à la CEDEAO avec sa monnaie commune, une Zone de Libre Echange Continentale (ZLEC), est en train de prendre forme de manière encourageante. C’est un projet de zone de libre échange économique devant regrouper à terme 55 pays africains. Elle fédérerait les organisations existantes à travers le continent, entre autres, le marché commun de l’Afrique Orientale et Australe (COMESA), la Communauté de l’Afrique de l’Est (CAE), la Communauté de Développement de l’Afrique Australe (SADC), la Communauté des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), l’Union du Maghreb Arabe et la Communauté des Etats Sahélo- Sahariens. Pour lancer la ZLEC, il fallait un minimum requis de 22 états à en ratifier le traité, ce qui est maintenant chose faite depuis le 29 avril 2019. Le PIB des 55 pays africains devant composer la ZLEC serait de 6.801 milliards de Dollars US à fin 2018 (selon les chiffres de 2018 du FMI), plaçant cette organisation continentale au 5ème rang des puissances économiques du monde, derrière la Chine 1ère, l’Union Européenne 2ème, Les Etats-Unis d’Amérique 3ème et l’Inde 4ème, mais devant le Japon (5.594,45 milliards $US), devant l’Allemagne (4.356,35 milliards de $US), devant la Russie (4.213,40 milliards de $US), devant l’Indonésie (3.494,74 Milliards $US) , devant le Brésil (3.365,34 milliards de $US), devant le Royaume-Uni (3.037,79 milliards de $US) et devant la France (2.962,80 milliards de $US).
La monnaie unique de la CEDEAO et la zone de libre-échange de la ZLEC continentale marquent un jalon historique dans la marche de l’Afrique vers une indépendance réelle, aux plans économique, culturelle et plus tard militaire. L’Afrique ne peut compter et être prise au sérieux, au plan mondial, que si elle est vraiment forte. Une monnaie doit s’appuyer sur une Charte de Valeurs éthiques, sociales et culturelles, dans la recherche du mieux-être pour les populations qui s’en servent comme outil de production et d’échange. La Maât dans l’Egypte Antique Noire, constitue une excellente synthèse de toutes ces valeurs, dans lesquelles se reconnaitront tous les peuples d’Afrique et de sa Diaspora. La Maât est symbolisée par une femme, dans la mythologie Kamite (Egyptienne), comme incarnation de la déesse de l'ordre, de l'équilibre du monde, de l’équité, de la paix, de la vérité et de la justice. Elle est l'antithèse de l'Isfet qui est chaos, injustice et désordre social. La Maât symbolise la norme universelle, à savoir l'équilibre établi par le Créateur, la justice qui permet d'agir selon le droit, l'ordre qui fait conformer les actes de chacun aux lois, la vérité, la droiture et la confiance.
Le plus grand hommage que les chefs d’états africains pourraient rendre au Professeur Cheikh Anta Diop qui a décomplexé l’Afrique, ainsi qu’aux pères fondateurs du Panafricanisme, c’est de donner à cette nouvelle monnaie un nom fédérateur, dans lequel tous les peuples du continent africain et de sa diaspora se reconnaitraient. Le nom de la monnaie devrait porter le nom de Kemt (et non de Eco !), du nom que nos ancêtres donnaient à l’Afrique Antique, que les anciens Grecs ont appelé EGYPTE, mais que les colonisateurs européens ont réduit à ce petit pays de 1.001.450 km2 que nous connaissons aujourd’hui. Kemt d’Afrique Noire a généré la première civilisation du monde et la plus rayonnante des cultures jamais connues dans l’humanité. Pour Cheikh Anta Diop, hommage ne pourrait être plus sublime.
par El Hadji Momar Sambe
RÉPONSE À OUSSEYNOU BÈYE
EXCLUSIF SENEPLUS - Il s'agit de défendre l’Afrique contre ceux qui pour des intérêts de multinationales veulent nous diviser et armer certains d’entre nous contre d’autres Sénégalais au nom d’une soi-disant lutte contre la corruption
L’unité nationale, seul remède face au danger qui guette le Sénégal !
Ousseynou Beye, éditorialiste de « SenePlus » a réagi à la lettre que j’ai adressée à un frère panafricaniste. Je voudrais ici lui apporter la réplique dans le seul but de participer à la clarification du débat sur une question d’actualité.
Désolé Ousseynou, mais tu passes complètement à côté des questions que je soulève pour nous amener sur le terrain de « défense d’Aliou Sall » qui n’apparaît nulle part dans mon propos. C’est une manière de dresser des camps pour tirer sur le camp « ennemi », en convoquant des questions qui ne sont pas abordées. A quoi bon ? Ce faisant Ousseynou, tu noies le débat.
Même attitude quand tu glisses sur le panafricanisme comme raison essentielle de mon texte pour faire tout un discours là-dessus, en érigeant encore deux camps, te classant dans l’un, faisant face à l’autre dans lequel tu veux me confiner. Pourquoi ? Qu’est-ce que cela éclaire dans le propos qui nous occupe ?
Ousseynou le fait exprès en occultant l’idée centrale de mon papier : « Alerte face au mot d’ordre de BBC dont le montage est une honteuse tentative de manipulation.
Pour O.Beye, « Momar Samb ignore ou méconnait toutes les alertes, toutes les indignations, toutes les investigations, toutes les analyses qui se sont faites jour depuis…. sept longues années »,
Non Ousseynou, Momar n’ignore pas toute la polémique suscitée par la découverte du pétrole et du gaz, toute la campagne menée par l’opposition sur la question. C’était légitime et compréhensible tant que c’est entre nous sénégalais, entre nous africains. Débats, controverses, polémiques, etc. pour nous-mêmes, entre nous-mêmes, par nous-mêmes. Les experts ont écrit et parlé, ceux qui comme moi ne savaient pas ont appris. L’affaire semblait avoir été clarifiée. Mieux les points de vue de l’opposition ont été écrasés, lors d’un débat organisé dans la campagne électorale, par la société civile entre les représentants de l’opposition et le porteur des couleurs de Bennoo Bokk Yaakaar (BBY), en l’occurrence Amadou Fall Kane, vice-président du Cos-Pétrogaz qui a démontré devant ses adversaires politiques, la fausseté des accusations avancées jusqu’ici. Mais cela restait encore entre nous. Ensuite, à la présidentielle du 24 février dernier, le peuple souverain a choisi le candidat de BBY, Macky Sall accusé de tous les péchés d’Israël, écrasant encore une fois, dans les urnes les positions des candidats porteurs de ces accusations sur le pétrole et le gaz. Et c’était toujours entre nous, par nous, sans que l’on puisse y déceler une main étrangère.
Mais voilà que, après tout cela, la BBC nous sort un reportage qui appelle ouvertement à la révolte du peuple sénégalais contre ses gouvernants qui auraient volé son pétrole. Avoue quand même, Ousseynou, que nous entrons là dans quelque chose de nouveau. Ici, la main étrangère est bien visible. Pour quelle raison BBC a-t-elle agi de la sorte, pour quels intérêts, ceux du peuple sénégalais, pour nous aider ? J’en doute vraiment ! Toi, non ?
Que cela se fasse, quelques jours seulement après le lancement du dialogue national auquel l’essentiel des forces vives de notre pays a participé ne te trouble pas ?
Que dans le reportage, ceux qui portent la charge de l’accusation soient exclusivement des opposants au dialogue ne te touche pas ?
Que l’évènement survienne dans un contexte où le Sénégal venait de porter à l’Onu la revendication de la restitution des archipels Chagos à l’Ile Maurice, contre la couronne britannique, ne te soucie pas ?
Mais enfin Ousseynou, tremble au moins de ce que la mémoire des crimes perpétrés contre les peuples de Libye, du Congo, du Nigéria, du Soudan, du Rwanda puisse mordre quelque part ta vigilance et te faire douter, un instant, un instant seulement de la bonne foi de BBC !
Il me semble Ousseynou, qu’il est d’abord bon et de probité intellectuelle de reconnaître que l’appel à réagir du groupe « Aar linu bokk » que m’a envoyé un camarade dans notre mailing-list panafricaniste méritait d’être interrogé. La pétition lancée dès le lendemain de la publication du reportage de BBC est un fait indéniable. Elle ne l’a pas été un autre jour, pendant les sept (7) ans que tu évoques. Reconnaissons d’abord ça, Ousseynou ! Que cela ne t’ait rien fait m’abasourdit sérieusement !
Laisse-moi m’étonner davantage qu’un éditorialiste animateur d’un organe de presse puisse, sans sourciller, laisser passer sous son nez expérimenté un tel élément de communication qui pue la manipulation et le mensonge avec un montage qui viole toute la déontologie du journalisme. C’est d’une énormité, d’une telle légèreté éthique catastrophique pour tes lecteurs.
Tu laisses sciemment de côté mes arguments de rejet du reportage et d’alerte de mon correspondant et des lecteurs, pour aller construire sur des questions du panafricanisme, etc. Je n’ai pas traité du panafricanisme ni de ses orientations. Je me suis adressé à un frère panafricaniste avec qui je croyais partager les mêmes principes de défense intransigeante de notre africanité historiquement agressée, violentée par les puissances occidentales. Je l’avoue. Devant le reportage de BBC ma mémoire a eu mal !
Malgré tout, tu t’interroges sur mon cri d’alarme « à quoi peut bien rimer cette tragique et pathétique mise en garde aux accents guerriers : ‘’Africains, soyons prudents, vigilants et regardons, vérifions, enquêtons nous-mêmes !’’ »
« Cette tragique et pathétique mise en garde » rime avec la pathétique et tragique histoire des peuples africains esclavagisés, colonisés, enrôlés comme « tirailleurs sénégalais » pour combattre d’autres africains.
« Cette tragique et pathétique mise en garde » rime avec la pathétique et tragique histoire du peuple nigérian qui a vécu les affres de la guerre civile du Biafra à cause du pétrole, avec plus d’un million de morts (plus que le Rwanda).
« Cette tragique et pathétique mise en garde » rime avec la pathétique et tragique histoire du peuple congolais transformés en Zoulous et Cobras, s’entretuant à cause des intérêts de multinationales comme Elf, faisant plus de Quatre cent mille (400.000) morts.
Je ne me lasserai de le répéter…
« Cette tragique et pathétique mise en garde » rime avec la pathétique et tragique histoire des peuples de la Libye plongée dans un chaos qui continue de ravager le continent, surtout dans le sahel, etc.
Il ne s’agit pas d’être pour un panafricanisme contre un autre, pour le panafricanisme de Cheikh Anta contre celui de Léopold Senghor. Mais ici et maintenant de défendre l’Afrique contre ceux qui pour des intérêts de multinationales veulent déstabiliser notre pays, nous diviser et armer certains d’entre nous contre d’autres sénégalais au nom d’une soi-disant lutte contre la corruption.
Que tu dises après tout ce discours « Pour revenir plus précisément à notre sujet », est un aveu clair que tu n’étais pas dans le sujet. Pourquoi ce procédé, pour distraire le lecteur ?
En ajoutant « nous nous contentons de poser ces questions toutes simples : y a-t-il ou non scandale sur le pétrole présentement dans notre pays ? », tu en viens à une démarche intellectuelle qui me plait bien. Chercher à discuter (non à condamner), après avoir tenté de comprendre l’autre dans ce qu’il dit précisément. Mais Ousseynou, la question est top bateau. Laisse-moi l’éclater de manière à simplifier et à rendre lisible et clair chaque aspect qu’elle comporte. Voici mes questions (que j’emprunte à Mamadou Dione, Directeur général du Cosec), entre autres, auxquelles je nous inviterais à répondre l’un l’autre, afin d’établir l’effectivité ou non du scandale présumé.
« 1- En quoi le rachat des actions de Timis par Cosmos, ensuite par BP a-t-il pu faire perdre de l'argent au Sénégal ?
2- En quoi de supposées redevances lors de la cession de parts entre les acheteurs Cosmos, BP et le cédant Timis auraient-elles fait perdre de l'argent au Sénégal ?
3- En quoi les salaires et primes d'un compatriote quand il travaillait pour Timis aurait-il fait perdre de l'argent au Sénégal ?
4- Comment un privé peut-il encaisser des taxes attendues par un État ? »
Mais, après avoir posé ta question, tu retournes encore dans ta fâcheuse manie à discourir sur des questions qui ne sont pas pointées dans mon papier. Pourquoi convoquer les choses sur lesquelles tu dis que les « compatriotes ont fermé les yeux » ?
Que tu dises à la fin des fins, après toutes ces longues digressions, « Tu as raison, camarade, nous ne devrons pas être des « Tirailleurs de BBC… » (ce par quoi tu devais commencer) ne me rassure nullement. Je n’ai pas le sentiment d’un accord vrai de ta part basé sur la compréhension de mon argumentation. Permets-moi d’être un peu plus clair.
Si nous ne devons être les tirailleurs ni de BBC, ni d’aucune autre compagnie étrangère, nous devons nous entendre entre nous, opposition comme majorité. La seule arme que nous avons contre les manœuvres et opérations occultes ou non de faire main basse sur nos ressources, c’est de faire en sorte que le peuple sénégalais soit uni. Seule cette union nationale forte peut nous sauver de l’adversité.
Avec le reportage de BBC, le Sénégal fait face à un média-mensonge, comme le définit si bien Michel Colon, dont l’objectif est la déstabilisation de notre pays qui peut, s’il réussit, plonger le Sénégal dans des difficultés énormes ne permettant pas une exploitation de son pétrole et de son gaz au profit exclusif du peuple. Et ceux qui portent la voix de BBC elle-même porteuse d’intérêts occultes se font les complices des multinationales et se feront demain leurs « tirailleurs » contre leur propre peuple.
Si nous sommes tous mus par le seul souci d’une bonne gouvernance de ces ressources pour l’intérêt de notre peuple, qu’est-ce qui nous empêche de nous asseoir pour discuter entre nous de nos divergences, après avoir « dialogué » à distance ? Qu’est-ce qui empêche que tu prennes part au « Pénc » appelé par le président que le peuple a élu afin de porter ta vision sur la gouvernance de ces ressources, sachant que sans la paix sociale, sans la stabilité des institutions de la république, nous devenons fragiles et vulnérables devant les multinationales qui n’hésiteront devant rien pour approfondir nos divisions et les porter à un niveau tel que nous n’aurions même pas le temps d’exploiter par nous-même et pour nous même ces ressources ? Tout le pays y perdra, les générations d’aujourd’hui et celles à venir. Que l’on soit de l’opposition ou de la majorité, que l’on soit panafricaniste « Senghorien » ou « Antaiste », rien n’y fera !
Je suis affligé de voir comment, des gens comme toi, avec toute l’expérience syndicale et politique acquise, ne peuvent comprendre que nous sommes en danger. Le Sénégal, aujourd’hui, avec la découverte du pétrole et du gaz, devient une proie suscitant la convoitise des puissances d’argent, dans cette jungle qui ne connaît ni foi ni loi.
Face à cela, nous avons deux réponses possibles, pas trois : l’acceptation par toutes les forces vives du pays de ce dialogue national inclusif sans tabou ou son rejet. Ceux qui récusent cette voie, en vérité optent pour la voie de l’insurrection, à soulever la rue pour prendre le pouvoir, au besoin avec le soutien des puissances qui les ont appelés à la révolte. Au départ, ce sera pacifique, mais quand cela se compliquera, ils donneront des armes, après avoir initié toute sortes de provocations, à l’effet de se victimiser et de justifier éventuellement l’intervention étrangère. Alors, ce sera trop tard ! L’histoire politique mondiale nous en donne des exemples avérés (Irak, Surie, etc.) et la situation actuelle du Venezuela l’illustre de manière éclatante !
EXCLUSIF SENEPLUS - Nous ne devrons pas être des «tirailleurs de BBC», ce comparse de la dernière heure - Pour autant, devrons-nous être les complices de cette reconquête silencieuse et sournoise aux forts relents néo-colonialistes ?
Ousseynou Bèye de SenePlus |
Publication 18/06/2019
C’est avec beaucoup de perplexité (pour dire le moins) que nous avons pris connaissance de l’article que notre camarade, ami et frère Momar Samb, Secrétaire Général du parti de la Mouvance présidentielle, le RTAS, a publié ces derniers temps dans la presse, sous le titre : «Non, je refuse d’être un « tirailleur» de BBC !»
Sans le citer, Momar prend le parti de défendre M. Aliou Sall (et son clan) dans l’affaire qui défraie la chronique. Cela relève naturellement de son droit d’opinion et d’expression. Son argumentation repose pour l’essentiel sur le principe du «panafricanisme» puisque, note-t-il sur un ton indigné «… L’affaire est annoncée (par BBC) le vendredi et dès le lendemain la machine est mise en branle pour mobiliser les africains contre un autre africain, sans douter le moins du monde, sans mettre en branle notre réflexe panafricaniste. C’est tout de même curieux !... »
Tout d’abord, au plan factuel, il est sidérant de constater que Momar Samb ignore ou méconnait toutes les alertes, toutes les indignations, toutes les investigations, toutes les analyses qui se sont faites jour depuis…. sept longues années, maintenant, lorsque le journaliste Baba Aïdara a levé un coin du voile sur les nébuleux contrats, conventions et autres décrets signés ou pris dans des conditions tout à fait irrégulières.
Momar, penses-tu sincèrement que… c’est ce fameux «vendredi» que tout a commencé ? Les gens n’ont quand même pas attendu la vidéo de BBC pour «mobiliser des Africains contre d’autres Africains» ? Même s’il est vrai que les tenants du régime n’ont senti le sol se dérober sous leurs pieds quand ils ont jusque-là ignoré les «vociférations» d’une opposition «en mal d’audience».
La conférence de presse du président Wade, les remontrances de l’ancien Premier ministre Idrissa Seck, les alertes et autres prises de position des nombreux journalistes, syndicalistes et membres de la Société civile (Birahim Seck et compagnie), les interrogations, dénonciations et études d’Ousmane Sonko qui a consacré tout un livre à la question, les innombrables « QuesTekki » de Mamadou Lamine Diallo, les très nombreux exposés médiatisés et fort documentés du sulfureux et controversé lanceur d’alerte Clédor Sène, les persistants et pathétiques aveux-dénégations-autocritiques de l’ancien Premier ministre Abdoul Mbaye, les révélations-confirmations du ministre Thierno Alassane Sall, malgré ses réticences et scrupules du début… Tout cela compte-t-il donc pour rien ? Nous ne pouvons manquer de mentionner ici le professeur Abdoulaye Elimane Kane qui, face à un journaliste de la Radio d’Etat, la RTS, ce dimanche 16 juin, faisant une fois de plus preuve d’une pertinence et d’une indépendance d’esprit remarquables. Honorant ainsi son statut d’intellectuel.
Momar, lui, fait fi de tout cela et ne voit que la vidéo de BBC d’où tout serait parti. Il est vrai que la plupart des intervenants, s’ils ne sont pas de la Société civile (ces «encagoulés»), sont membres de partis de l’opposition. Mais cela leur enlèverait-il leur qualité de citoyens sénégalais ayant voix au chapitre ? Ou alors auraient-ils perdu leur «africanité», chemin faisant, pour cause de lèse-Majesté ?
Au vu de toutes ces prises de position antérieures (rappelons le, durant toutes ces sept années de magistère du président Macky Sall), à quoi peut bien rimer cette tragique et pathétique mise en garde aux accents guerriers : « Africains, soyons prudents, vigilants et regardons, vérifions, enquêtons nous-mêmes ! » ?
Si nous comprenons bien cette façon de voir les choses de Momar (excuses moi de te le dire : tu nous avais habitués à mieux que cela !), les Africains en direction de qui les «panafricanistes» devraient marquer toute leur solidarité, ce sont : lui-même, nous-mêmes, vous le lecteur, le président Macky Sall, son frère Aliou… nous tous habitants de ce vieux continent, berceau de l’humanité, et peut-être de surcroît, nous à la peau noire… Voilà le rempart qui serait notre bouclier, nous mettant tous dans le même… panier !
Une telle conception serait pain béni pour un Omar El Béchir du Soudan, s’il s’avérait, comme tout semble l’indiquer, que ce tyran déchu par son peuple affamé, est aussi le plus grand détourneur de derniers publics et le plus corrompu du siècle.
Pour notre part, nous optons pour le panafricanisme de Nkrumah, pas pour celui de Senghor, chantre d’une « Négritude » hypocrite et ambiguë ; pour le panafricanisme de Cheikh Anta Diop, pas pour celui de Mobutu, théoricien de l’« Authenticité » ; pour le panafricanisme de Lumumba, Ben Bella, Cabral, Nasser, Nyéréré, Sankara, Mandela… pas pour celui de Tschombé, Idy Amin Dada, Bokassa, Moubarak, Omar El Béchir, Paul Biya, Sassou Nguesso …
Pour revenir plus précisément à notre sujet, nous nous contentons de poser ces questions toutes simples : y’a-t-il ou non scandale sur le pétrole présentement dans notre pays ? Tout au moins, y’a-t-il ou non des raisons de s’inquiéter à ce propos ? Ou tout simplement encore : y’a-t-il, oui ou non, de quoi se poser des questions ? Admettons que Momar nous ait indiqué la bonne voie : «Enquêtons par nous-mêmes !» Mais n’est-ce pas ce qu’ont bien fait les éminentes personnalités ci-dessus listées, et bien d’autres encore ?
Après tout cela, chacun peut se faire sa religion sur la question… ou continuer d’enquêter ! Mais pourquoi nous demander de manifester une solidarité «panafricaniste»… automatique ? Ce serait, hélas, pour notre part, au-dessus de notre force. Nous adorons le nationalisme de Mamadou Dia et abhorrons celui de Marine Le Pen.
C’est vrai que beaucoup de nos compatriotes ont fermé les yeux sur la précipitation dont a fait montre notre président de la République qui, dès le lendemain de sa première élection est allé solliciter des subsides à l’Elysée pour pouvoir «payer les salaires des fonctionnaires», n’oubliant pas du même mouvement, d’annuler les accords militaires qui aspiraient à nous rendre un peu de notre souveraineté. On aurait espéré la même promptitude s’agissant de l’accord signé entre l’ancien régime libéral et Pétro-Tim. Il est vrai aussi que bon nombre de nos concitoyens ferment les yeux sur le retour en force de Ecotrans et de Bolloré au port de Dakar, sur le renforcement de Senac et compagnie sur nos routes, autoroutes et stations d’essence, sur l’entrée en force de Auchan, U, Casino et Carrefour dans nos étals de la Médina, de la Gueule Tapée et de nos quartiers de la banlieue, si ce n’est sur l’ensemble du territoire national.
Mais comme tout cela est l’œuvre d’un Africain, alors tous les «panafricanistes» devraient tout simplement se mettre au garde-à-vous et chanter ses louanges. Circulez !... Rien à signaler. N’est-ce pas bizarre, cela, tout de même ?
Tu as raison, camarade, nous ne devrons pas être des «Tirailleurs de BBC», ce comparse de la dernière heure. Pour autant, devrons-nous être les complices de cette reconquête silencieuse et sournoise aux forts relents néo-colonialistes ? Nous faire les porte-voix d’un nationalisme de mauvais aloi ? Nous inviterais-tu, au nom d’un certain «panafricanisme», à fermer les yeux sur la confiscation de notre souveraineté nationale et sur le bradage des ressources naturelles de notre pays ?
Non, merci : en ce qui nous concerne, nous ne voulons pas de ce panafricanisme-là qui permet aux multinationales, quelles qu’elles soient, de faire main basse sur nos richesses nationales au profit d’un clan et aux au détriments du peuple.
Le 2 mai 1980, disparaissait, à l’âge de 70 ans, ce professeur de lettres, historien, philosophe et éditeur ayant joué un rôle de premier plan dans l’émancipation de l’Afrique et de ses diasporas à travers la revue et la maison d’édition qu’il a fondées
Le 2 mai 1980, disparaissait, à l’âge de 70 ans, Alioune Diop, professeur de lettres, historien, philosophe et éditeur ayant joué un rôle de premier plan dans l’émancipation de l’Afrique et de ses diasporas à travers la revue et la maison d’édition ‘’Présence Africaine’’ qu’il a fondées à Paris. A l’annonce de sa mort, le président sénégalais Léopold Sédar Senghor saluait en lui « l’un des premiers militants et une sorte de secrétaire permanent du Mouvement de la Négritude ».
Lors des obsèques d’Alioune Diop, le 9 mai 1980 à Saint-Louis, le ministre d’Etat en charge de la Culture, Assane Seck, déclare : « Fortement enraciné dans les traditions de notre peuple et armé de principes moraux étayés sur le culte de l’honneur, du respect de soi et des autres, tels qu’il les voyait pratiquer dans la cellule familiale, le jeune Alioune Diop a affronté le Paris de l’entre-deux-guerres, déjà plein d’équilibre ».
« Aussi, quelque obstacle qu’il ait rencontré, quelque facilité qui l’ait tenté, quelque nostalgie du pays natal qui l’ait tourmenté, choisit-il avec lucidité, guidé par cette lumière intérieure dont sont pétries les grandes âmes, la porte étroite de l’effort soutenu, dans la grisaille des jours difficiles », ajoute le professeur Seck, qui a été plus tard – en 2010 – président du comité d’organisation du centenaire de la naissance d’Alioune Diop.
« Une vie entièrement consacrée aux autres »
L’historien et homme politique Cheikh Anta Diop, de son côté, dédie son livre Civilisation ou barbarie (Présence Africaine, 1981) à Alioune Diop, « en témoignage d’une amitié fraternelle plus forte que le temps » pour un homme qui est « mort sur le champ de la bataille culturelle africaine ».
« Alioune, tu savais ce que tu étais venu faire sur la terre : Une vie entièrement consacrée aux autres, rien pour soi, tout pour autrui, un cœur rempli de bonté et de générosité, une âme pétrie de noblesse, un esprit toujours serein, la simplicité personnifiée ! », écrit Cheikh Anta Diop qui s’interroge alors : « Le démiurge voulait-il nous proposer, en exemple, un idéal de perfection, en t’appelant à l’existence ? ».
« Hélas, il t’a ravi trop tôt à la communauté terrestre à laquelle tu savais, mieux que tout autre, transmettre ce message de vérité humaine qui jaillit du tréfonds de l’être. Mais il ne pourra jamais éteindre ton souvenir dans la mémoire des peuples africains, auxquels tu as consacré ta vie », se désole-t-il.
« Au vrai, résume Makhliy Gassama, ancien ministre de la Culture, Alioune Diop était un homme. Oui un homme dans le sens camusien et sartrien du terme. Il n’est pas facile d’être ‘’un homme de quelque part, un homme parmi les hommes’’, comme dit Sartre. Cette ambition implique l’engagement total dans la société, la lutte quotidienne contre les forces du mal, la quête obstinée d’un bien-être collectif, qui ne s’accomplit pas sans provoquer de redoutables et ignobles adversités ».
Avec « une pensée pieuse » pour Alioune Diop, Gassama souligne que celui-ci a vécu « pour l’Afrique, uniquement pour l’Afrique en s’oubliant ». « On peut dire qu’il est mort d’épuisement pour l’Afrique, à l’âge de 70 ans. »
Né le 10 janvier 1910 à Saint-Louis, Alioune Diop a effectué ses études secondaires au lycée Faidherbe (actuel lycée Cheikh Oumar Foutiyou Tall). Il fréquente ensuite les facultés d’Alger et de Paris, et y obtient une licence de lettres classiques ainsi qu’un diplôme d’études supérieures. Professeur de lycée, puis chargé de cours à l’Ecole coloniale, il est ensuite nommé chef du cabinet du gouverneur général de l’Afrique occidentale française (AOF).
« L’ambition d’un continent »
En 1947, Diop fonde, avec la collaboration de compagnons de lutte (Léopold Sédar Senghor, Aimé Césaire, entre autres), la revue ’Présence Africaine’, une « extraordinaire tribune pour l’intelligentsia du continent africain et de la diaspora ; une tribune de haute qualité », selon Makhliy Gassama, président du comité scientifique du colloque qui a été consacré, en mai 2010 à Dakar, à l’œuvre d’Alioune Diop.
Dans son éditorial du premier numéro (novembre-décembre 1947), ‘’Niam n’goura ou les raisons d’être de Présence Africaine’’, Alioune Diop assigne ses objectifs à la revue. Il s’agit, selon lui, de « définir l’originalité africaine et de hâter son insertion dans le monde moderne ».
Alioune Diop réussit à y donner la parole aux colonisés, parce qu’il était « généreux, il était téméraire, rien pour lui, tout pour les autres : il portait en lui l’ambition d’un continent. C’est ainsi que son nom scintillera à jamais dans les pages de l’histoire de la décolonisation », avait indiqué M. Gassama, le 7 janvier 2010, lors de la conférence de presse de lancement des activités du centenaire de l’intellectuel africain, organisées par la Communauté africaine de culture (CAC).
En 1949, la Maison d’édition ’Présence Africaine’ ouvre ses portes. Romanciers, nouvellistes, conteurs, essayistes, poètes et penseurs du monde noir y trouvent un moyen de diffusion de leurs œuvres. Le premier ouvrage publié par les Editions Présence Africaine est La Philosophie Bantoue, du Révérend Père Placide Tempels, en 1949.
En 1954, ‘Présence Africaine’ édite Nations nègres et culture de Cheikh Anta Diop, ouvrage dans lequel l’historien sénégalais prend le contre-pied théorique de ce milieu solidement établi dans l’enceinte même de l’université française. Dans ce livre, l’auteur fait la démonstration que la civilisation de l’Egypte ancienne était négro-africaine. Le Martiniquais Aimé Césaire choisit, pour une deuxième édition de son Discours sur le colonialisme, en 1955, ‘Présence Africaine’.
Alioune Diop est, avec Léopold Sédar Senghor, Jacques Rabemananjara, Cheikh Anta Diop, Richard Wright, Jean Price-Mars, Frantz Fanon, l’un des instigateurs du premier Congrès des écrivains et artistes noirs, qui réunit, en septembre 1956 à la Sorbonne, les intellectuels noirs venus des Antilles françaises et britanniques, des Etats-Unis, des diverses régions d’Afrique (AOF et AEF, Afrique du Sud, Angola, Congo belge, Mozambique…) et de Cuba.
Dans son discours inaugural, Alioune Diop explique qu’il revient aux écrivains et aux artistes de « traduire pour le monde la vitalité morale et artistique de nos compatriotes, et en même temps de communiquer à ceux-ci le sens et la saveur des œuvres étrangères ou des événements mondiaux ».
Un « sage (…) d’une modernité qui bouleverse »
Ce premier congrès a donné naissance à « une arme culturelle redoutable contre le racisme ambiant, un outil qui a forgé des intelligences sur le continent : la Société Africaine de Culture (SAC) devenue la Communauté Africaine de Culture (CAC) », selon Makhily Gassama, qui précise que cette structure a à son actif le deuxième Congrès des écrivains et des artistes (1959 à Rome) et de nombreux autres congrès en Afrique comme le premier Congrès international des africanistes (1962 à Accra) ou le premier Congrès constitutif de l’Association des historiens africains (1972 à Dakar). S’y ajoutent le colloque sur le sous-développement (1959), le séminaire sur ‘’Civilisation noire et conscience historique’’ (1973 à Paris) ou le séminaire préparatoire au colloque ‘’Le journaliste africain comme Homme de culture’’ (1973), des tables-rondes et journées d’études.
Au premier Festival mondial des arts nègres de Dakar (avril 1966), Alioune Diop est parmi les maîtres d’œuvre. Il a la responsabilité du colloque portant sur le thème : ‘’Signification de l’art dans la vie du peuple et pour le peuple’’. Il préside l’association du festival. Il prolonge cette action jusqu’au Festival de Lagos (1977).
Aimé Césaire, lui, relève que la négritude de Diop était à l’opposé du racisme, soulignant que le directeur de ’Présence Africaine’ était « une des plus belles figures du monde noir ». « Son œuvre se confond tout entière avec son action, je devrais dire son apostolat. De l’apôtre, il avait la foi. Cette foi, bien entendu, c’était la foi en l’homme noir et en ce qu’on a appelé la négritude qui était à l’opposé du racisme et du fanatisme », poursuit-il.
Césaire ajoute que « Alioune Diop était un homme de dialogue, qui respectait toute civilisation ». « Il apparaîtra, j’en suis sûr, avec le recul du temps, comme un des guides spirituels de notre époque », souligne le poète martiniquais, tandis que l’écrivain béninois Olympe Bhêly-Quenum qualifie l’homme de « sage (…) d’une modernité qui bouleverse ».
« Nul de ceux qui l’ont connu et discuté avec lui ne saurait en douter », note Bhêly-Quenum, en rappelant cette phrase qu’Alioune Diop aimait répéter : « Chaque civilisation vivante assume sa propre histoire, exerce sa propre maturité, secrète sa propre modernité à partir de ses propres expériences, et de talents particuliers à son propre génie ».
Depuis la mort d’Alioune Diop, en 1980, sa veuve, Christiane Yandé Diop, a pris la relève au sein de la revue et de la Maison d’édition ’Présence Africaine’, poursuivant l’œuvre de celui qui, selon le mot du critique littéraire Mouhamadou Kane, a été « l’initiateur du prodigieux combat pour la culture africaine, le moteur de son épanouissement, le témoin passionné de l’émergence de l’Afrique culturelle ».
Plaque du centenaire d’Alioune Diop
Le 10 janvier 2010, une plaque commémorative du centenaire de la naissance du fondateur de ‘Présence Africaine’ avait été dévoilée à la maison familiale d’Alioune, rue Babacar Sèye à Saint-Louis. Il est inscrit sur la plaque découverte par le maire de Saint-Louis, Cheikh Bamba Dièye, et la veuve de l’homme de culture, Christiane Yandé Diop : « Ici a vécu Alioune Diop (1910-1980), Professeur de Lettres, Fondateur de Présence Africaine ».
La pose de la plaque du centenaire de la naissance d’Alioune Diop marquait le début d’une série d’activités prévues sur trois jours à Saint-Louis. La cérémonie s’était déroulée en présence de plusieurs personnalités, dont l’ancien ministre de la Culture, Makhily Gassama, André Guillabert, maire honoraire de Saint-Louis, Christian Valantin, ancien député socialiste, Kolot Diakhaté, président du comité saint-louisien du centenaire d’Alioune Diop, l’historien Djibril Tamsir Niane.
Au nom de la famille, Alioune Sy, avait dit que la pose d’une plaque commémorative et la célébration du centenaire de la naissance d’Alioune Diop constituent « un grand honneur pour la famille », soulignant que l’intellectuel sénégalais a, « dans toutes ses actions, honoré l’Afrique dans son ensemble ».
« Veiller à ce que cette étincelle ne ternisse jamais »
Le président du comité saint-louisien d’organisation du centenaire, Kolot Diakhaté, avait, de son côté, salué la mémoire du fondateur de Présence Africaine, estimant qu’Alioune Diop est « immortel par son œuvre, ses qualités d’homme, son humilité ». Il avait rappelé le rôle que Diop a joué dans l’organisation du premier Festival mondial des Arts nègres, en avril 1966 à Dakar. « Il était dans la conception de l’événement avant de s’effacer lui-même pour ne pas récolter les lauriers », avait-il dit.
S’adressant à Christiane Yandé Diop, la veuve d’Alioune Diop, Kolot Diakhaté a dit : « Vous n’êtes pas seule et vous ne le serez pas, parce qu’Alioune a été un Noir brillant qui a inspiré le rêve d’autres Noirs du monde. Nous sommes là pour veiller à ce que cette étincelle ne ternisse jamais ».
Pour sa part, le maire de Saint-Louis, Cheikh Bamba Dièye, avait salué l’initiative de la Communauté africaine de culture (CAC), organisatrice du centenaire de la naissance d’Alioune Diop, pour avoir ainsi « honoré la mémoire d’un très grand Saint-Louisien, et réconcilié la ville de Saint-Louis avec son passé ».
« Alioune Diop a marqué son époque par une œuvre au service des peuples noirs. Ni l’âge ni le temps ne sauront l’effacer de notre mémoire », avait ajouté M. Dièye, tandis que Christiane Yandé Diop, émue aux larmes, s’est dit « très heureuse » de revenir à la maison familiale d’Alioune Diop. Paraphrasant l’écrivain Birago Diop, elle avait dit : « Les morts ne sont pas morts, ils sont là ».
Le 11 janvier 2010, entre 9h 30 et 12 heures, il avait été organisé, au Quai des Arts, un hommage solennel de la ville de Saint-Louis, la remise de prix aux lauréats du Concours littéraire. A partir de 12h 30, le public avait suivi la projection du film documentaire Alioune Diop, tel qu’ils l’ont connu. Une table ronde sur la vie et l’œuvre d’Alioune Diop avait eu lieu, le lendemain, de 10 heures à 13 heures à l’Université Gaston Berger de Saint-Louis. Cette manifestation avait été présidée par l’historien guinéen Djibril Tamsir Niane.
Propos choisis d’un intellectuel engagé
Le fondateur de Présence Africaine, Alioune Diop (1910-1980) n’avait écrit ni un roman ni un essai philosophique ni un traité doctrinaire, comme le soulignait le philosophe Babacar Sine, mais il avait publié des éditoriaux et prononcé des discours, dont chacun était une occasion d’affirmer avec force son engagement pour l’émergence des peuples noirs.
— EXTRAIT DE L’EDITORIAL DE ’PRESENCE AFRICAINE’, N° 105-106, 1978 : « Le peuple noir est de tous les peuples du Tiers-Monde celui qui a été le plus dépouillé de liberté et de dignité, le plus atteint de ces carences et infirmités spécifiques provoquées par l’action coloniale, le racisme, l’esclavage, et accentuées par la fragilité d’une civilisation orale. Il est illusoire de vouloir guérir ce peuple noir des effets de l’aliénation culturelle et du sous-développement, du moins, pas tant que ce peuple n’ait d’abord repris la vitalité globale et organique de toutes ses facultés. Pas sans qu’il ait au préalable pris conscience et de son existence et récupéré tout le dynamisme de sa créativité et toute sa capacité et toute sa capacité de répondre directement (dans toute la mesure de ses moyens et dans le style de sa personnalité) aux défis du monde moderne (…) L’avenir peut réserver un destin grandiose et exaltant à l’élite qui prendra en main la direction et la gestion de notre civilisation. L’Afrique doit avoir une élite qui joue un rôle privilégié dans le déroulement de l’histoire des civilisations ».
— EXTRAIT DU DISCOURS INAUGURAL AU PREMIER CONGRES DES ECRIVAINS ET ARTISTES NOIRS, PARIS, septembre 1956 : « Ce jour sera marqué d’une pierre blanche. Si depuis la fin de la guerre la rencontre de Bandoeng constitue pour les consciences non européennes l’événement le plus important, je crois pouvoir affirmer que ce premier congrès mondial des hommes de culture noirs représentera pour nos peuples le second événement de cette décade. D’autres congrès avaient eu lieu, au lendemain de l’entre-deux guerre, ils n’avaient l’originalité ni d’être essentiellement culturels, ni de bénéficier du concours remarquable d’un si grand nombre de talents parvenus à maturité, non seulement aux Etats-Unis, aux Antilles et dans la grande et fière République d’Haïti, mais encore dans les pays d’Afrique noire. Les dix dernières années de l’histoire ont été marquées par des changements décisifs pour le destin des peuples non européens, et notamment de ces peuples noirs que l’Histoire semble avoir voulu traiter de façon cavalière, je dirais même résolument disqualifier, si cette histoire, avec un grand H, n’était pas l’interprétation unilatérale de la vie du monde par l‘Occident seul. Il demeure cependant que nos souffrances n’ont rien d’imaginaire. Pendant des siècles, l’événement dominant de notre histoire a été la terrible traite des esclaves. C’est le premier lien entre nous, congressistes qui justifie notre réunion ici. Noirs des Etats-Unis, des Antilles et du continent africain, quelle que soit la distance qui sépare parfois nos univers spirituels nous avons ceci d’incontestablement commun que nous descendons des mêmes ancêtres. La couleur de peau n’est qu’un accident : cette couleur n’en est pas moins responsable d’événements et d’œuvres, d’institutions, de lois éthiques qui ont marqué de façon indélébile nos rapports avec l’homme blanc (…) ».
par Cheikh Tidian Gadio
VIDEO
L'AFRIQUE VUE PAR CHEIKH ANTA DIOP
Comprendre Cheikh Anta et surtout pratiquer sa doctrine sont des actes d’émancipation et de libération mentale, intellectuelle et politique
Je vous présente avec un immense plaisir, cette vidéo magistrale de l’illustre fils d’Afrique, grand chantre du panafricanisme, le professeur émérite Cheikh Anta Diop. Il y déroule avec le calme et la sérénité du vrai savant, la grandeur incontestable de l’Afrique, l’urgence et les conditions de sa renaissance.
Ecoutons et admirons le maître, mais surtout saisissons et relevons le défi qu’il nous lance : rendre à l’Afrique sa grandeur, toute sa grandeur, celle de son passé grandiose (berceau de l’humanité et berceau de la civilisation humaine) et celle de l’avenir radieux qu’elle mérite (1/3 des ressources naturelles du monde, 1 millard d’habitants dont plus de 60% de jeunes, les meilleures terres arables et parmi les plus grandes ressources hydriques du monde !)
Qu’on l’accepte ou non, l’Afrique est le continent phare du monde contemporain. Il est le continent des convoitises et des fortes rivalités entre les puissances anciennes et nouvelles. Tout ceci parce que l’Afrique « don de dieu » reste le centre du monde où se joue et continue de se jouer l’avenir de l’humanité ! Dès lors, notre seule préoccupation est de savoir si les africains en sont conscients et sont prêts à assumer leur destin historique, c’est-à-dire leur leadership historique malgré les vicissitudes de notre histoire à la fois douloureuse et glorieuse.
Or donc, selon Cheikh Anta Diop dans cette interview télévisée faite chez nos plus-que frères et sœurs de la diaspora, « après l’histoire douloureuse que nous avons subie ces derniers siècles, il faudra nous raccorder aux coordonnées générales de l’histoire africaine. »
En clair, il nous faut saisir et comprendre la totalité de notre histoire et refuser que l’Afrique de la splendeur des pyramides, mère de toutes les sciences (mathématiques, physique, géométrie, architecture, médecine, philosophie, religions, systèmes politiques, agriculture et irrigation, etc.) ne soit réduite a l’Afrique esclavagisée, colonisée et néo-colonisée.
Cheikh Anta ajoute avec raison : « il y a tellement de faits négatifs accumulés depuis la chute (fin de l’apogée africaine suivie d’une décadence radicale) qu’un nouveau départ se prépare et on a peur de ce nouveau départ. Quand on est tombés si bas on ne peut pas ne pas regagner les sommets. Voici que nous sommes les seuls qui soient objectivement motivés pour repartir du bon pied. Par conséquent, je crois que l’avenir des peuples noirs est radieux dans la mesure où nous comprenons vraiment et nous saurons interpréter l’histoire ! »
Comprendre Cheikh Anta et surtout pratiquer sa doctrine sont des actes d’émancipation et de libération mentale, intellectuelle et politique. J’y invite surtout les jeunesses africaines, fer de lance de « la renaissance africaine » et du grandiose projet « des États-Unis d’Afrique ».
"IL FAUT PRIVILÉGIER LE PRAGMATISME DANS L'ENSEIGNEMENT DES OEUVRES DE CHEIKH ANTA DIOP"
Pour que les idées de Cheikh Anta Diop soient bien connues des Sénégalais, il faut les enseigner de la maternelle à l’université - C’est ce que recommande Aboubacry Moussa Lam, historien et égyptologue
Pour que les idées de Cheikh Anta Diop soient bien connues des Sénégalais, il faut les enseigner de la maternelle à l’université. C’est ce que recommande le Pr Aboubacry Moussa Lam, historien et égyptologue. Il indique que les idées du savant sénégalais sont enseignées au département d’Histoire de l’Ucad depuis 1981. Le Pr Lam plaide aussi pour la création d’un institut d’égyptologie.
Professeur Lam, pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs ?
Je suis Professeur titulaire de classe exceptionnelle ayant plafonné depuis 2006 et définitivement à la retraite à partir du 31 juillet 2019. Sans fausse modestie, j’ai eu une carrière plutôt honorable avec 12 ouvrages, dont 11 écrits tout seul (trois sur ces 11 sont écrits en langue pulaar), 44 articles de haut niveau, 81 articles de vulgarisation et contributions diverses, six thèses encadrées dans une discipline peu courue des étudiants. Et comme distinctions, je suis commandeur de l’Ordre national du Lion, chevalier de L’Ordre national des Arts et Lettres du Sénégal et chevalier de l’Ordre des palmes académiques du Cames. Je suis aussi très proche des problèmes de développement de mon terroir, l’Ile-à-Morphil.
Le « Mouvement carbone 14 » a organisé, en mars, une marche pour une meilleure prise en compte de l’œuvre de Cheikh Anta Diop dans le système éducatif. Qu’est-ce que cela vous inspire en tant qu’ancien assistant de ce dernier de 1981 à 1986 ?
Le combat pour l’enseignement des idées de Cheikh Anta Diop ne date pas de cette marche. Depuis au moins deux ans déjà, le gouvernement du Sénégal a donné son feu vert pour que ses idées soient intégrées dans les curricula, de la maternelle à la terminale. J’ai personnellement participé à deux séminaires sur cette question et tous les niveaux d’enseignement ont été examinés et des propositions de modifications faites. Mais, les choses traînent à se mettre en place, car il faut, entre autres, réformer les programmes. Je pense qu’il faut désormais privilégier le pragmatisme. Une bonne documentation et des séminaires de mise à niveau pourraient nous permettre de démarrer pour certaines disciplines,en attendant la production de manuels et de supports pédagogiques adaptés. Autrement, on risque d’attendre encore de longues années avant un démarrage effectif. C’est le lieu de préciser que pour le département d’Histoire, les idées de Cheikh Anta sont enseignées depuis 1981, date de la levée des mesures qui le frappaient, mais également date de retour de Babacar Sall, Babacar Diop et moi-même à l’Ucad, après une formation en France.
Quelles sont les œuvres qui ont été réalisées par Cheikh Anta Diop ?
Puisque la porte des amphithéâtres lui avait été fermée, Cheikh Anta Diop a enseigné par écrit. Parmi ses travaux d’importance, citons « Nations nègres et culture » (1954), « L’unité culturelle de l’Afrique noire » (1959), « L’Afrique noire précoloniale », (1960), « Les fondements économiques et culturels d’un Etat fédéral d’Afrique noire » (1960), « Antériorité des civilisations nègres. Mythe ou vérité historique ? » (1967), « Le laboratoire de radiocarbone de l’Ifan » (1968), « Physique nucléaire et chronologie absolue » (1974), « Parenté génétique de l’égyptien pharaonique et des langues négro-africaines » (1977), « Civilisation ou barbarie » (1981) et « Nouvelles recherches sur l’égyptien ancien et les langues négro-africaines modernes » (1988). Certains de ces titres ont été traduits en anglais et même en espagnol. A ces livres, s’ajoutent de nombreux articles dont nous citons deux à titre d’illustration et pour leur grande importance. Il s’agit de « La métallurgie du fer sous l’ancien empire égyptien », Bifan, série B, T. XXXV, n° 3, 1973, pp. 532-547 ; et « Introduction à l’étude des migrations en Afrique centrale et occidentale. Indentification du berceau nilotique du peuple sénégalais », Bifan, série B, T. XXXV, n° 4, 1973, pp. 769-792.
L’un des livres fétiches est « Fondements économiques et culturels d’un Etat fédéral d’Afrique noire ». Pensez-vous que cet ouvrage devrait être un bréviaire pour les chefs d’Etat africains ?
C’est un livre écrit au moment des indépendances pour mettre en garde les élites de l’époque contre la division et recommander l’unité dans un Etat fédéral fort. Malheureusement, Cheikh Anta ne fut pas entendu. Il y avait expliqué que l’unité serait plus difficile à faire une fois les indépendances acquises. Sur cette prédiction, les faits ont déjà fini de lui donner raison. Mais,son livre reste actuel et peut toujours être d’une grande utilité pour tout chef d’Etat soucieux de l’unité africaine et des voies et moyens d’y parvenir.
Au département d’Histoire, il y a une Section d’Egyptologie. Est-ce que les étudiants s’intéressent à cette discipline ?
Dans les choix optionnels, ils s’y intéressent, mais pas autant qu’à l’Histoire moderne et contemporaine, réputée être plus facile. L’Egyptologie est enseignée à partir de la Licence II en cours obligatoires et semble passionner les étudiants, si j’en juge par leur affluence (la présence aux cours magistraux n’est pas obligatoire) et les multiples questions qu’ils me posent. En Master, nous totalisons une vingtaine d’inscrits et 12 thèses d’Egyptologie sont en cours, malgré les conditions de travail difficiles en matière de documentation. C’est le lieu de rappeler qu’en Egyptologie, l’Ucad n’a pas d’équivalent dans l’espace Cames, mais pour combien de temps encore ? Depuis 2008, l’Assemblée de l’université a donné son feu vert pour la création d’un Institut d’égyptologie, mais à ce jour, aucun texte n’a encore été pris, malgré les promesses réitérées par les plus hautes autorités de ce pays lors de la commémoration du 30e anniversaire de la disparition de Cheikh Anta Diop. Un tel institut aiderait beaucoup dans la naissance de vocations et l’enracinement de l’enseignement et de la recherche égyptologiques.
En tant qu’enseignant-chercheur, comment contribuez-vous à la vulgarisation des œuvres de Cheikh Anta Diop ?
En les utilisant dans mes cours et en montrant, à travers mes propres publications, que Cheikh Anta a ouvert de nombreuses pistes de recherche qui méritent d’être explorées parce que nécessaires à la compréhension de notre histoire. J’explique également, en utilisant ses œuvres, que sur presque toutes les controverses qui l’opposèrent aux savants occidentaux, les dernières recherches lui ont donné raison : l’Afrique comme berceau de l’humanité, l’africanité et la négritude des anciens égyptiens, le peuplement de l’intérieur de l’Afrique par des vagues migratoires parties de la vallée du Nil et aussi l’unité culturelle du continent.
Quelles sont les stratégies à développer pour que Cheikh Anta Diop soit bien connu des Sénégalais ?
En enseignant ses idées de la maternelle à l’université mais aussi en mettant ses œuvres à la portée des jeunes sénégalais. Pour les adultes qui n’ont pas eu la chance de fréquenter le système formel, leur donner la possibilité de lire ses œuvres à travers leurs traductions dans nos différentes langues ou de les écouter à travers des supports audio.
Est-ce que la relève est assurée au département d’Histoire ?
Je devais partir à la retraite en décembre, mais j’ai été finalement maintenu jusqu’en juillet pour terminer les deux semestres réglementaires. A vrai dire, la relève n’est pas encore totalement assurée, en dépit de nos efforts. En effet, avec une équipe de trois jeunes égyptologues et un quatrième qui va rejoindre l’effectif, nous ne pouvons pas assurer correctement les enseignements. C’est en matière d’encadrement que la relève n’est pas encore bien assurée. En appliquant strictement les normes Cames, l’encadrement adéquat de nos Masters ne peut plus être fait de manière correcte. Pour les thèses, il ne sera plus possible de les faire au département à partir de la rentrée prochaine, faute d’un enseignant de rang magistral (Maître de conférences ou Professeur titulaire). Ce serait une dangereuse régression vu la peine que nous nous sommes donnés depuis 1981 pour faire de Dakar un pôle qui compte dans l’enseignement et la recherche égyptologiques en Afrique. Cette situation demeurera tant qu’un de nos deux Maîtres-assistants ne sera pas inscrit sur la Lafmc.
Cheikh Anta Diop avait créé le Rnd, un parti aujourd’hui divisé en plusieurs entités. Croyez-vous que son héritage politique est bien préservé ?
J’ai surtout pratiqué le scientifique,mais en tant qu’observateur, il me semble que, même durant sa vie, Cheikh Anta n’a pas été très heureux en politique. Il était, sans doute, en avance sur ses contemporains et trop honnête pour faire un bon politicien. Avec sa disparition, le moins que l’on puisse dire, c’est que les choses ne se sont pas améliorées. Le Rnd est parti en lambeaux du fait, peut-être, de divergences d’orientation ou, plus prosaïquement encore, d’ambitions mal gérées à l’interne de la part de ses anciens compagnons.
CHEIKH ANTA DIOP, UN GÉANT ENCORE PEU CONNU
Les œuvres du scientifique, linguiste, sociologue et anthropologue sont méconnues des élèves - Beaucoup en effet, ne connaissent l’égyptologue que de nom
Fin mars dernier, des étudiants de l’Université Cheikh Anta Diop (Ucad) se réclamant du « Mouvement carbone 14 » ont organisé une marche pour exiger l’enseignement des œuvres du célèbre savant sénégalais dans les programmes scolaires et universitaires. En plus de porter le nom de la plus grande université du Sénégal, Cheikh Anta Diop est considéré comme l’un des plus grands penseurs de l’Afrique. Le désir des étudiants témoigne de cette envie de la nouvelle génération de mieux se familiariser avec les livresde nos grandes figures historiques et scientifiques. Refondateur de l’histoire de l’Afrique par une recherche scientifique pluridisciplinaire, Cheikh Anta a tiré sa révérence le 07 février 1986. Toutefois, ses livres et activités restent encore peu connues aujourd’hui chez la plupart des jeunes.
Lycée Blaise Diagne. En ce début de matinée, un vent fort et poussiéreux souffle et agresse presque les yeux. L’ambiance des jours d’école n’est pas au rendez-vous dans cet établissement qui, d’habitude, grouille de monde. Les vacances de la Quinzaine de la jeunesse sont passées par là. Seuls quelques élèves de Première et de Terminale sont présents sur les lieux. Ils révisent ou suivent des cours de rattrapage. Parmi eux, certains affirment, en toute franchise, qu’ils n’ont aucune idée des thèses défendues par l’égyptologue. Son travail est encore considéré comme un mythe dans la conscience de ces apprenants. Coumba Badiaga, élève en classe de Terminale L’1A, en fait partie.« Je n’ai jamais étudié une œuvre de Cheikh Anta Diop. Ses ouvrages ne sont pas inscrits dans le programme. Mais, je sais au moins que c’est un homme politique », avoue-t-elle. Ses autres camarades embouchent la même trompette. Une situation qu’ils déplorent tout de même, car trouvant insensé d’étudier les œuvres littéraires de figures historiques étrangers, en lieu et place de certains livres d’érudits sénégalais comme Cheikh Anta Diop.
Au lycée Maurice Delafosse, le même décor s’offre à nous. Un calme y plat règne. Ici également, seuls quelques élèves du Club scientifique sont visibles dans la cour de l’école. Trouvé en pleine discussion avec ses camarades, un élève en Seconde SD, sous le couvert de l’anonymat, soutient que les œuvres de Cheikh Anta Diop ne sont pas inscrites au programme. Mais, en bon scientifique, il s’est débrouillé pour prendre connaissance de ses ouvrages, tels que « Nations nègres et culture », « Antériorité des civilisations nègres : mythe ou vérité historique ». «C’est à la bibliothèque du Centre culturel Blaise Senghor que j’ai eu à les lire parce que je voulais vraiment découvrir les écrits de ce grand scientifique pour pouvoir m’inspirer de lui », révèle le jeune élève, le sourire au coin des lèvres. Tout le contraire de Mamadou Sylla, élève en classe de Première S qui n’a pas une grande connaissance des travaux du dit chercheur.
Des clubs et cercles d’amis pour inverser la tendance
Il lui a fallu découvrir un pan du travail de Cheikh Anta pour demander à ce qu’on inscrive ses ouvrages dans le programme scolaire. « J’ai récemment découvert un de ses livres bilingues où il traduisait certains termes scientifiques en wolof pour montrer qu’on peut étudier la science en wolof. Je trouve que toutes ses œuvres doivent être inscrites au programme pour mieux aider les élèves à connaître le caractère multidimensionnel de Cheikh Anta Diop », indique le jeune Mamadou. D’ailleurs, le Club scientifique compte rendre un hommage au savant durant les journées scientifiques du lycée mixte Maurice Delafosse prévues le 4 mai prochain », dit-il.
Au lycée Lamine Guèye, c’est la même remarque. Mais ici, pour combler le vide, un cercle des amis de Cheikh Anta Diop a été mis en place par les élèves.
Un contenu parcellaire dans l’enseignement supérieur
Parrain de l’Université de Dakar, le travail de Cheikh Anta Diop est enseigné dans certains départements, souvent à partir de la Licence III. Par contre, au département d’Histoire, l’œuvre du professeur figure dans les programmes dès la Licence II/Section Egyptologie. Seulement, des voix en réclament davantage vu la dimension du savant. A la Faculté des lettres et sciences humaines de l’Ucad, près de 32 000 étudiants sont inscrits. Mais,du fait des fêtes de la jeunesse, elle s’est un peu vidée d’une bonne partie de ses pensionnaires. Néanmoins, quelques étudiants y maintiennent le souffle de la vie. A notre passage au département d’Histoire, un des hauts lieux de diffusion des idées du Pr Cheikh Anta Diop, moins de dix étudiants étaient présents. Sur place, nous avons trouvé le Pr Alioune Dème. Interrogé sur la vulgarisation de l’œuvre de Cheikh Anta, il pense que des efforts sont faits dans leur département. D’après cet archéologue, dès la Licence II, les étudiants se familiarisent avec ses œuvres. « Il y a des cours sur lui en Licence II et III et en Master. C’est déjà quelque chose avec la Section d’Egyptologie », ajoute M. Dème.
« C’est le lieu de préciser que, pour le département d’Histoire, les idées de Cheikh Anta Diop sont enseignées depuis 1981, date de la levée des mesures qui le frappaient mais également date du retour de Babacar Sall, Babacar Diop et moi-même après une formation en France », révèle, pour sa part, le Pr Aboubacry Moussa Lam, enseignant audit département. Il est de ceux qui pensent qu’on devait enseigner l’œuvre de Cheikh Anta Diop dans les autres départements de l’Ucad. M. Lamplaide également pour la révision des contenus pédagogiques portant sur l’œuvre du savant. Secrétaire au département d’Histoire, Djiba Camara souligne qu’en première année, il y a des cours en Histoire moderne et contemporaine. « En Licence II, on enseigne l’œuvre de Cheikh Anta Diop,et tous les étudiants sont concernés. Pour la Licence 3, c’est la spécialisation», explique-t-il. Le Pr Dème exprime toutefois ses inquiétudes avec le départ à la retraite du Pr Lam, le seul titulaire en Egyptologie au département d’Histoire. « Si le Pr Lam part à la retraite en juillet prochain, ce sera la mort de l’Egyptologie au département d’Histoire », avertit-il.
Une pensée toujours incompréhensible
Lors d’une conférence animée en 2016, à l’occasion de la célébration de la disparition du savant, le Pr Babacar Sall, archéologue, avait déploré que l’actualité de la pensée de Cheikh Anta Diop reste toujours « incompréhensible » dans les esprits des Africains. « Les Noirs n’ont pas encore compris que leur devenir est lié à la connaissance de ce qu’ils ont été », avait martelé l’égyptologue. Pour quelqu’un comme l’historien et égyptologue congolais Théophile Obenga, qui a longtemps cheminé avec Cheikh Anta Diop, l’homme qui a donné son nom à l’Université de Dakar s’est fait distinguer par sa création de concepts. « C’est ma conviction, disait-il, car il a permis aux Africains d’assumer ensemble les combats ». Le disciple du chercheur regrette cependant cette « faiblesse conceptuelle qu’il y a chez les Africains », avec cette facilité qu’ils ont parfois à « s’approprier les choses des autres ». « A la lueur de l’analyse globale de son œuvre, on constate que Cheikh Anta Diop a sérieusement ébranlé l’idéologie européenne en démontrant scientifiquement l’origine monogénétique et africaine de l’humanité, l’origine africaine de la civilisation égyptienne, l’origine africaine du savoir grec sans oublier l’origine africaine des concepts philosophiques, des religions dites monothéistes », s’était réjoui Babacar Sall.
A la fois physicien, paléontologue, historien, anthropologue et linguiste, le savant sénégalais a démontré que l’Afrique était bien la première civilisation au monde. Un point de vue qui lui a valu de vives critiques en Occident et sur le continent. « L’œuvre intellectuelle de Cheikh Anta Diop nous révèle un vaste champ de connaissances précises et bien développées », avait soutenu le Pr Obenga. Son apport intellectuel dépasse de loin les cadres étroits que comprennent les classifications égyptologues, avait-il ajouté. Selon lui, le professeur fut aussi un scientifique méticuleux qui nous a laissé des chemins bien tracés dans des domaines aussi divers que la linguistique et la chimie, l‘économie politique et l’esthétique.
Encore des efforts à faire
Trouvée en face de la bibliothèque du département, Rougui Thiam, étudiante en Licence i, pense que le Sénégal doit faire beaucoup d’efforts,pour que l’œuvre du savant soit bien connue. Déjà, cette originaire de Ndendory,dans le département de Kanel, se félicite de sa présence dans le programme dès la Licence 2.
Etudiant guinéen ayant fait tout son cursus scolaire au Sénégal, Mamadou Saliou Barry, inscrit en Licence II au département d’Histoire, dit être fier de parler d’un grand savant, avocat du continent africain. « Pour son immense œuvre, Cheikh Anta Diop mérite plus de considération, notamment par la vulgarisation de son travail », estime-t-il. « L’œuvre de Cheikh Anta Diop n’est pas bien valorisée au Sénégal ; ce qui est dommage ! Elle est enseignée en classe de Terminale en philosophie et en Seconde en histoire. Mais, on peut faire plus », déclare Souleymane Diao, étudiant en Licence 1 en Histoire. Il souhaite que le travail de Cheikh Anta Diop soit au programme dès la Licence I. Un autre étudiant, en Master 2 en Histoirecette fois, prône, sous l’anonymat, un travail de vulgarisation dans d’autres départements de l’Ucad, à savoir en Géographie, Philosophie, Physique...
LABORATOIRE CARBONE 14
Immersion dans l’antre du savant
L’Institut fondamental d’Afrique noire (Ifan) abrite le Laboratoire carbone 14, une réalisation du Pr Cheikh Anta Diop connue essentiellement en datation à des fins archéologiques.
Derrière l’imposant bâtiment de l’Institut fondamental d’Afrique noire (Ifan), se trouve une petite bâtisse. Elle abrite le Laboratoire de carbone 14. Tout juste en face de l’entrée principale, une affiche est collée au mur. On peut y lire des détails sur sa date de création, en 1965, par Cheikh Anta Diop. « Ce laboratoire est le noyau d’un centre atomique des basses énergies où les techniques suivantes sont en cours d’application », lit-on sur l’affiche. « Le laboratoire est devenu fonctionnel en 1966 et les datations ont été faites jusqu’au début des années 1980. L’activité du laboratoire s’est arrêtée complètement en 1986, date de la mort de Cheikh Anta Diop », explique le Pr Maurice Ndèye, chef du labo. Selon lui, les travaux de recherche effectués portent essentiellement sur la datation à des finsarchéologiques, préhistoriques, géomorphologiques, hydro-chronologiques, géologiques, océanographiques, paléo-climatologiques, géochimiques, etc. Il y a aussi des mesures de faibles activités en vue de déterminer la pollution atmosphérique et océanique, la contamination de la végétation... Entre 1999 et 2001, le gouvernement sénégalais a donné son feu vert à la réhabilitation du laboratoire. Ceci a permis de restaurer le bâtiment, d’acquérir un nouvel équipement et d’avoir un laboratoire neuf et fonctionnel. « Les premières nouvelles datations commencèrent en 2003 après une calibration du compteur par les échantillons fournis par l’Aiea et l’Université Paris VI », renseigne-t-il. Après ces explications, M. Ndèye nous fait visiter les différents compartiments de cette structure où le savant sénégalais a passé une bonne partie de sa carrière. D’abord, la salle 1 qui est celle du prétraitement des échantillons. Ensuite, nous pénétrons dans la salle du musée. « Dans cette salle, on y retrouve tout le matériel qu’utilisait Cheikh Anta Diop. Il est devenu obsolète », dit-il. Ensuite, il y a la salle de prétraitement chimique où on traite la pollution marine. La salle de synthèse, comme son nom l’indique, reçoit les échantillons après le prétraitement. Enfin, il y a la salle de comptage où se trouve un compteur à scintillation liquide. « C’est dans ce compartiment que se pratique la datation, renseigne Maurice Ndèye qui dirige ce laboratoire depuis 2003.
Le Laboratoire de carbone 14 continue de recevoir des chercheurs, des enseignants et des étudiants. « Nous encadrons des étudiants. Chaque semaine, nous recevons aussi des élèves », note-t-il non sans préciser que l’infrastructure participe à l’animation scientifique de l’Ucad. D’ailleurs, le Labo a été choisi pour abriter la 22èmeConférence internationale sur le carbone 14 qui a eu lieu en 2015. « Depuis la découverte, par Frank Libby,en 1949, de la méthode de datation par le carbone 14, les spécialistes du genre se retrouvent, tous les trois ans, à l’occasion d’une conférence internationale, pour débattre des avancées des travaux et des découvertes dans ce domaine », informe M. Ndèye,soulignant que le Laboratoire participe régulièrement à ces rencontres. « De 2003 à 2012, notre laboratoire s’est distingué par des présentations scientifiques aux différentes conférences respectivement organisées par les villes de Wellington, Oxford, Hawaï et Paris », ajoute-t-il.
Même s’il fonctionne, fait savoir son chef, le labo est confronté à un problème de moyens. « Un laboratoire doit avoir un budget consistant. C’est un laboratoire de physique et de chimie, et cela demande beaucoup de moyens. Nous sommes régulièrement confrontés à des problèmes de budget », regrette le Pr Ndèye.
PAR SEYDOU KA
RABINDRANATH TAGORE ET CHEIKH ANTA DIOP
J’ai été frappé par le fait qu’en 2019, des étudiants sénégalais réclament encore l’enseignement des œuvres de celui qui, en plus de porter le nom de leur université, est considéré comme l’un des plus grands penseurs d’Afrique
Fin mars, des étudiants de l’Université Cheikh Anta Diop (Ucad), se réclamant du « Mouvement Carbone 14 », ont organisé une marche pour réclamer l’enseignement des œuvres de leur parrain dans les programmes. Sans préjuger d’éventuelles autres motivations des leaders de ce mouvement, j’ai été frappé par le fait qu’en 2019, des étudiants sénégalais réclament encore l’enseignement des œuvres de celui qui, en plus de porter le nom de leur université, est considéré comme l’un des plus grands penseurs d’Afrique. La même complainte provient des confréries qui, elles aussi, jugent que les œuvres de nos grandes figures religieuses ne sont pas suffisamment prises en compte dans les programmes scolaires…
Le hasard a fait qu’au moment de cette actualité, j’étais en train de lire le volume commémoratif (2011) du 150ème anniversaire de la naissance de Rabindranath Tagore, l’auteur indien le plus célèbre du 21ème siècle et « Les fondements économiques et culturels d’un Etat fédéral d’Afrique noire » (Présence Africaine, seconde édition, 1974) de Cheikh Anta Diop. Il ne s’agit point de comparer ici le poète indien et l’historien sénégalais, mais de faire un simple constat. Là où le poète indien est célébré, par les plus hautes autorités de son pays, comme « le Connaisseur » et « le Guérisseur », bref, le voyant et l’interprète des aspirations profondes de son peuple, l’historien sénégalais est presque tombé dans l’oubli, 33 ans seulement après sa mort, devenant l’affaire de quelques rares disciples qui continuent de vénérer la mémoire du « maître » dans des cercles universitaires ou milieux panafricanistes marginaux. Nous n’apprenons pas suffisamment notre culture et notre passé, encore moins les enseignements de nos plus brillants penseurs.
A l’inverse, les pays asiatiques vénèrent leurs grands penseurs et s’inspirent de leur culture pour mieux s’inscrire dans la modernité et le développement. « Il [Tagore] incarnait l’esprit de l’Asie, favorisant la paix, l’échange des idées, l’intégration pacifique de différentes religions et les échanges commerciaux par mer, neutres et dénués de marques de polarisation – des zones de paix et la complémentarité des intérêts », écrit S. M. Krishna, ministre indien des Affaires étrangères (2009-2012), dans l’avant-propos de l’ouvrage commémoratif cité plus haut.
Oui, les leaders du « Mouvement Carbone 14 » ont raison. On ne lit pas assez nos grands penseurs. Je me souviens que c’est tardivement que j’ai découvert Cheikh Anta Diop dans mon cursus scolaire. J’étais déjà à l’université et un de nos profs, un « cheikhantaiste » et marxiste convaincu, avait inscrit dans son cours la lecture obligatoire et un exposé sur « Nation nègre et culture », l’un des ouvrages majeurs de l’égyptologue. Il ne faut sans doute pas considérer l’œuvre du « pharaon du savoir » comme le Coran ou la Bible. A rebrousse chemin de ceux qui le vénère comme un « visionnaire », certains de ses critiques estiment qu’il a produit « une espèce d’histoire culturelle de l’Afrique qui était pleine de bonne volonté, mais qui n’était pas très exacte sur le plan empirique ». Soit ! Mais son œuvre mérite certainement d’être enseignée aux jeunes Africains. Parce qu’elle constitue une source d’inspiration et de réarmement moral inestimable. Voici d’ailleurs ce qu’écrit Cheikh Anta Diop dans « Les fondements économiques et culturels d’un Etat fédéral d’Afrique noire » : « C’est la conjoncture historique qui oblige notre génération à résoudre dans une perspective heureuse l’ensemble des problèmes vitaux qui se posent à l’Afrique, en particulier le problème culturel. Si elle n’y arrive pas, elle apparaîtra dans l’histoire de l’évolution de notre peuple, comme la génération de démarcation qui n’aura pas été capable d’assurer la survie culturelle, nationale, du continent africain ; celle qui, par cécité politique et intellectuelle, aura commis la faute fatale à notre avenir national » (page 28).
Si l’objectif de Cheikh Anta Diop était, dans le contexte des années 1950, de réaffirmer avant tout que l’Afrique avait un passé, un présent et qu’elle allait avoir un avenir, ceci reste valable aujourd’hui plus qu’hier. Certes, le continent a fait d’énormes progrès en matière de démocratie et de développement, mais nos dirigeants auraient tort de négliger l’estime de soi, la construction citoyenne. C’est le chantier prioritaire.
Sinon, comme le disait Cheikh Anta Diop, nous risquons de ne pouvoir opposer à la mainmise étrangère sur nos économies « qu’un nationalisme folklorique et bariolé tout au plus des couleurs vives de nos tissus indigènes ».