C’est au moment où Dakar tremble de peur face à la recrudescence des assassinats visant des femmes que sur l’île de Ngor, son lieu de création, Abdoulaye Diallo, le Berger, a choisi de décliner sa vision du thème de cette biennale : «I Ndaffa #» (Forger). «Taxawaalu» s’est ainsi décliné à travers l’histoire de cette princesse peule, Fatimata Baba Lobo, contée par la styliste Oumou Sy, mais aussi à travers quatre œuvres dédiées à la femme et à la fille. Une façon pour l’artiste d’inviter à mieux investir sur la femme.
Pour cette biennale, vous avez choisi d’organiser un programme spécial «taxawaalu» sur l’île de Ngor. Quel message souhaitiez-vous donner ?
J’étais tellement heureux de voir que le thème de cette biennale est celui qui avait été retenue en 2020, «Forger». J’ai l’habitude de dire que «Forger» est un mot français. I Ndaffa a une autre tonalité, une autre puissance et j’ai souvent voulu inviter les plus jeunes à aller vers le livre du Colonel Mouhamadou Lamine Sarr, qui traite de l’éducation du jeune sérère Niominka pour réellement sentir toute la force de ce mot-là. Naturellement quand on parle de forger, je pense systématiquement à forger les cerveaux. Un cerveau mal meublé ou non meublé pendant qu’on meuble son salon, peut être très dangereux pour une nation. Si nous voulons éviter à notre pays de vivre une certaine pauvreté, une certaine tristesse, il faut apprendre à penser meubler les cerveaux des enfants. Ça, c’était ma première préoccupation. La deuxième, c’était la place de la femme. J’ai dit que nous gagnerions à mieux investir et sur le talent et sur la femme. Parce qu’il s’agisse de problèmes de scolarité, de problème social, en général, tout passe par la mère. Il nous faudrait repenser l’éducation de la mère. Et je ne peux pas comprendre que dans ce monde où l’homme a tendance à tout dominer, pourquoi il ne chercherait pas à entendre et attendre celle à qui on a confié la plus belle des industries au monde, la fabrique de l’humain. Cette fabrique de l’humain se trouve dans le ventre de la femme et je ne peux pas comprendre que dans nos pays, on ne puisse pas continuer à investir sur cette femme qui est au début et à la fin de tout. C’est la raison pour laquelle j’avais décidé de participer à ce off, mais en dédiant mon exposition à la femme et la fille. En faisant quatre œuvres, naturellement La fille, L’épouse, Madame je m’incline et au-delà de ça, poser La question de la décision, que je trouve être la chose la plus angoissante.
On est dans un contexte où des femmes sont assassinées pendant que les politiciens se chamaillent parce qu’ils refusent de respecter la parité. Pensez-vous que nous soyons dans un pays qui respecte les femmes ?
Moi, je respecte la femme. C’est peut-être parce que j’ai été éduqué pour respecter la femme. Je respecte la femme parce que je dois énormément à ma mère. Je n’oublierai jamais que mon père voulait que je devienne imam. C’est ma mère, analphabète, qui, sans oser élever la voix devant mon père, avait décidé d’accompagner son fils pour qu’il puisse faire des études. Et c’est ainsi que j’ai pu faire mon entrée en sixième et mon bac avec une année d’avance, et faire des études supérieures pour devenir ce que je suis devenu, un peintre. Je vis entouré de femmes, j’aime mon épouse, je suis monogame, c’est ma patronne et j’ai trois filles et un garçon. C’est comme si ma vie était ponctuée par la présence des femmes et je ne peux pas ne pas en parler. J’ai l’habitude de dire, n’eut été le péché originel, le problème de l’humanité ne se serait pas posé. Adam et Eve ne seraient pas sortis du paradis. C’est un indicateur très fort parce que nous devons cette humanité à Eve. Je dis aussi, c’est le Créateur qui a choisi. Il aurait pu choisir le ventre de l’homme, du chat, etc. Il a choisi volontairement le ventre de la femme pour cheminer avec elle pendant 9 mois, créer ce qu’il considère être ce qu’il aime le plus, ce qu’il a de plus cher au monde, l’humain. Cette industrie qui se trouve dans le ventre de la femme, est une industrie qui est tout le temps productrice de revenus et de dividendes. Si on ne le juge que par rapport au résultat, pourquoi ne pas réfléchir par rapport à cela : donner à la femme la place qu’elle mérite et cesser de passer sa vie à vouloir coûte que coûte en faire un objet, une victime de ceci ou cela.
Dans la représentation de Oumou Sy aujourd’hui, il est surtout question de figures de femmes fortes de notre histoire. Mais on a l’impression qu’il y a eu une césure quant à la représentation de cette femme…
C’est parce que tout simplement, on nous a tellement mis dans la tête que la femme est faible, qu’on a tous fini par croire que la femme ne peut qu’être faible. Je le dis tout bas, quel que soit le roi de ce monde, le président le plus puissant, je ne suis pas sûr que les grandes décisions de ce monde ne se prennent pas le soir, quand il est seul avec son épouse.
ARIELLE AUGRY EXPOSE SES «EVEILLEES»
Des personnages qui ont marqué l’histoire de l’humanité, les femmes ont leur place. Ces dernières, souvent sous évaluées, sont «exposées» au Musée de la femme Henriette Bathily
Un monde où l’on peut être soi-même existe. Un monde où l’on choisit sa mission au lieu de la subir. Arielle Augry a choisi, pour la cause féminine, de le documenter. Des femmes se sont affranchies, de différentes manières, des dictats et ont marqué leur époque. C’est en somme ce que la Ngoroise d’origine Française veut faire voir. Elle expose 52 mosaïques de femmes qui ont marqué l’histoire au Musée Henriette Bathily jusqu’au 30 juin sur ce thème, dans le cadre du programme off de la biennale.
Des personnages qui ont marqué l’histoire de l’humanité, les femmes ont leur place. Ces dernières, souvent sous évaluées, sont «exposées» au Musée de la femme Henriette Bathily. Signé Arielle Augry, Les Eveillées sont à la Place du souvenir jusqu’au 30 juin. «A l’âge de 10 ans, j’ai voulu être nonne. A l’âge de 32 ans, j’ai décidé de ne pas être maman. A 38 ans, j’ai décidé que mon travail n’était pas de m’occuper d’une famille. Mon travail, c’est l’éveil.» Ce retour sur soi de l’artiste sonne comme une alerte pour les visiteurs. Les 52 mosaïques étalées sur le musée, formant un cercle, donnent à voir un éventail de personnalités, pour la plupart féminines.
De Nina Simon en passant par une parfaite inconnue, Arielle invite le visiteur à sa définition de l’humanité. Sur la technique, la Ngoroise s’appuie sur les objets du quotidien. Du carrelage merveilleusement assemblé aux mégots de cigarettes encerclant un portrait, en passant par la reprise du logo de la boisson Gazelle, l’artiste représente ses personnages, résume sa vie et son combat avec les objets qui l’entourent.
Sa lecture singulière voudrait, par exemple, considérer plus le premier acte politique de Nina Simon à 12 ans que l’ensemble de sa carrière dans un texte illustratif. «C’est une expression beaucoup plus personnelle. Je ne souhaite plus travailler pour les autres. Je propose. Je dis. La personne qu’on est, ce sont forcément des rencontres, ce sont aussi toutes les personnes qui nous alimentent par leurs combats, leurs arts. Tout de suite, il m’est venu 15 hommes. Je me suis demandé pourquoi je n’ai pas de femmes ? Je me suis rendu compte que ma vie était jalonnée de rencontres philosophiques, artistiques, de combats, de féminisme, d’environnement. C’est de là que j’ai choisi mon sujet», a-t-elle expliqué mercredi passé, lors du vernissage. Avant d’ajouter ceci : «Les Eveillées, c’est la personne que je suis en multi facettes. Je veux dépasser le racisme, le sexisme. Notre particularité dans le monde.
«LE FUTUR DU CINEMA AFRICAIN ET CELUI DU FESPACO EST MON COMBAT»
Alex Moussa Sawadogo, délégué général du Fespaco, évoque la place du continent dans le cinéma
Le Délégué général du Festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou a pris part à un panel sur les industries culturelles, organisé par l’Unesco. Dans cet entretien, il évoque la place du continent dans le cinéma.
L’un comme l’autre, vous assumez le rôle de «Délégué général» d’un festival international de cinéma. Serait-ce déplacé de vous présenter comme le Thierry Frémaux (homme-orchestre du Festival de Cannes) africain?
Respectons donc les échelles (rire)… Lui est le directeur artistique d’une manifestation se voulant d’envergure planétaire, le Festival de Cannes. Pour ma part, j’ai plus modestement, disons, en charge depuis 2020, le Festival panafricain du cinéma et de l’audiovisuel (Fespaco) de Ouagadougou, capitale du Burkina Faso. Cela dit, je m’emploie de mon mieux à ajouter une pierre à l’édifice que j’ai reçu en héritage de mes prédécesseurs et de ses fondateurs, s’agissant d’un des plus importants festivals de cinéma africain : il a vu le jour en 1969 et prépare désormais sa 28e édition (prévue en 2023). C’est dire que j’ai une pleine conscience de l’importante responsabilité m’incombant. Il s’agit pour le Fespaco, de contribuer à favoriser le développement du cinéma africain des générations à venir. C’est ce qui sous-tend les différentes innovations déployées lors de la précédente édition en 2021, ma première : un «Fespaco pro» pour l’accompagnement des films en post-production, des ateliers Yennenga destinés à l’immersion des aspirants aux métiers du cinéma, une «Yennenga académie» pour les jeunes, y compris ceux non formés par une école de cinéma, et aussi des Masterclass. Mais encore, un «Fespaco perspectives» dédié aux premiers et seconds films, ainsi qu’un «Fespaco classics» avec des films africains historiques fraîchement restaurés. Car le passé est garant du futur. Il n’y a pas d’ailes sans racines, on le sait tous.
De Ousmane Sembène (1923-2007) ou encore Idrissa Ouédraogo (1954-2018) à Mati Diop, première femme africaine Grand prix du jury de Cannes en 2019, comment résumeriez-vous l’évolution du cinéma d’auteur africain ?
La génération Sembène, que j’ai côtoyée, a été portée par un grand enthousiasme pour ce qu’elle offrait d’innovant et de puissant en son temps. Puis, cet enthousiasme s’est, disons, émoussé. Idrissa Ouédraogo dont j’ai été proche, vainqueur ici à Cannes du Grand prix du jury en 1990 pour Tilaï, a été un phare et reste, selon moi, un modèle à suivre. S’il nous a, hélas, quittés à l’âge de 64 ans en 2018, ce qu’il a réussi à poser en fait d’écriture cinématographique demeure dans les esprits et les cœurs. Cela constitue, selon moi, un legs qui doit être transmis aux générations futures. C’est tout le sens que prend la multiplication des résidences pour cinéastes et des laboratoires ou ateliers d’écriture, tel le Ouaga film lab, s’implantant ici et là en Afrique (ndlr, même si selon ses propos, Idrissa Ouédraogo se défiait des script doctors…). Ce réseau permet d’améliorer la qualité et la force des scripts, et donc des films. Mati Diop, en personne, en est une illustration vivante, à travers son superbe film Atlantique, présenté ici à Cannes juste avant la pandémie en Europe. A l’instar de nombreux autres auteurs africains, je tiens à le signaler, elle a investi énormément d’énergie, de temps et d’argent à peaufiner l’écriture de cette œuvre en amont de la production. C’est le genre de démarche qui me procure un bel optimisme pour le futur du cinéma africain. La nouvelle génération, celle de Mati si vous préférez, a pleinement conscience de sa responsabilité. Elle sait qu’elle doit obtenir et/ou se donner les moyens d’écrire de belles histoires qui nous ressemblent à nous Africains tout en étant, j’insiste, universelles. Car, certes oui, l’Afrique est en soi universelle. Mais encore faut-il pouvoir et savoir conter des histoires qui peuvent aussi toucher et émouvoir, dans le meilleur sens du terme, ceux qui n’ont pas le bonheur de respirer sur notre continent.
Comment percevez-vous l’absence, en 2022, de toute création purement africaine, en termes de production et ou réalisation dans la sélection officielle du présent Festival de Cannes ?
Revendiquer à toute force la présence d’un film africain, ou sub-saharien, dans chaque festival international comme à Cannes, me paraît infondé. D’abord, par nature, la créativité fluctue. Se suivent des années fastes, fertiles et d’autres, plus creuses. Ensuite, ici à Cannes, la compétition pour la Palme d’or comprend 21 films, alors que l’on compte 250 pays et plus dans le monde. Et, nous n’avons pas été conviés, ni vous ni moi, au visionnage des milliers de films qu’ils ont reçus, venant de tous les horizons. Je l’assume moi-même, en tant que directeur artistique d’un festival comme le Fespaco : je pense qu’on ne verra jamais à Ouagadougou 54 films issus de chacun des 54 pays de notre continent. Un festival de cinéma n’est pas un concours de la chanson où chaque Etat aurait droit à son candidat. Son intérêt repose sur des choix qu’il s’agit d’assumer. Selon moi, plutôt que de prétendre à une participation à tout prix à tous les festivals, nous devrions raisonner autrement. Et agir surtout en renforçant les dispositifs de toutes natures, publics comme privés, passant par diverses formes de soutien des centres nationaux du cinéma et autres directions culturelles, les coproductions sud-sud, etc., qui sont de nature à offrir toujours plus d’opportunités à nos créateurs. A ce prix, des créations authentiquement africaines, à dimension universelle, encore une fois, figureront sans débats dans la sélection la plus élevée des festivals internationaux de la planète. Sinon, on peut quand même s’estimer contents que nos productions soient régulièrement à l’honneur dans des sélections dites parallèles, telles la Semaine de la critique ou Un certain regard.
Justement, cette présente édition de Cannes a vu la projection, en ouverture d’Un certain regard, de Tirailleurs, une coproduction franco-sénégalaise, réalisée par le Français Vadepied, impliquant Omar Sy comme star et producteur. Né en France, à Trappes, Omar Sy revient pour la seconde fois, après Yao (2017), vers ses racines peules. Sa démarche est motivante pour le jeune cinéma africain ?
Je ne le formulerais pas exactement comme cela. J’ai vu Tirailleurs et je salue avec respect Omar Sy. Je considère ce qu’il fait comme un geste positif dans ce qu’il est un appel à toute la diaspora africaine à se mettre au travail pour contribuer au développement de notre industrie du cinéma. Nombreux sont ces Afro-Européens, ou membres de la diaspora en général dans le monde, qui disposent de la capacité à nous aider comme le fait Omar Sy. Puissent-ils se dire, à son instar, qu’il est temps d’utiliser leur notoriété et/ou leurs moyens dans ce but. Personnellement, j’ai franchi le pas en répondant à l’appel de mon pays, le Burkina, et de l’Afrique, quand il s’est agi de prendre part au fonctionnement du Fespaco à Ouagadougou, en 2020. J’ai ainsi quitté l’Allemagne où je collaborais, entre autres, à la Berlinale ou encore au Festival international de Hambourg, ainsi qu’au Festival du film africain de Berlin (Afrikamera). Ce qui ne m’a pas empêché de m’impliquer dans la création du laboratoire Ouaga film (Ouaga film lab), consacré au développement des co-productions africaines. J’estime aujourd’hui qu’il y va de notre mission première de prendre part au développement du cinéma depuis notre continent même. Voilà pourquoi je suis revenu en Afrique et souhaite la bienvenue à ceux qui souhaiteraient nous rejoindre.
A travers un partenariat avec la plateforme vidéo Tiktok, le Festival de Cannes 2022 a mis en avant Khaby Lame (1), un jeune Sénégalais de 22 ans qui réside et vit à Milan, en Italie. Ce «Charlie Chaplin» du XXIe siècle, comme le présentent les médias occidentaux, serait passé de la condition de chômeur au statut de star. Il serait suivi par 130 millions d’humains sur cette «Toile» contemporaine qu’est internet. Serait-il représentatif de ressources insoupçonnées du talent africain ?
Il n’est pas question pour moi de nier que ce jeune Khaby est un phénomène. Peut-être se peut-il que des dons comme le sien aient le pouvoir de faire bouger les lignes, sinon de changer le monde. Cependant, je le crois absolument, ces talents bruts existent partout, y compris aussi chez nous, sur le continent africain. La différence, d’après moi, est qu’un Khaby, pour ne citer que lui, a eu la chance de se procurer en Europe, un téléphone et/ou un Pc de qualité, ainsi qu’une connexion internet de haut débit lui permettant de dérouler son imagination. De combien de talents, de pépites du genre, recèlent notre continent ? Elles existent, en masse, je le crois profondément. Pour moi, en réalité, le talent en soi n’est pas une question. La seule question qui vaille, ce sont les moyens d’offrir les opportunités adéquates à tous les jeunes africains. C’est, je le répète, le combat du Fespaco et mon combat personnel aussi. L’Afrique, continent le plus jeune de cette planète, dont la moyenne d’âge est inférieure à celle d’un Khaby, représente le futur du monde. A nous de le mettre en action dans ce domaine du cinéma et de la culture qui nous est cher.
(1) Pour des raisons alléguées d’encombrement des «slots» ou créneaux d’interview disponibles, la plateforme Tiktok a fermement décliné la demande d’interview de Khaby Lame faite au nom de notre journal. Concrètement, la nouvelle star d’internet était accaparée par des activités liées à la promotion d’une marque de vêtements de luxe allemande.
PERFORMANCE «SUPREME» POUR DORCY RUGAMBA
Une des attractions de cette Biennale 2022, reste la proposition de l’auteur et dramaturge rwandais, Dorcy Rugamba.
Une des attractions de cette Biennale 2022, reste la proposition de l’auteur et dramaturge rwandais, Dorcy Rugamba. Le film «Les restes suprêmes», à mi-chemin entre la performance, l’exposition et la pièce de théâtre, fait foule à chacune de ses représentations.
La scène se passe dans une salle dans ce qui représente un coin de l’Africa Museum, nouveau nom du Musée royal d’Afrique centrale à Tervuren, en Belgique. Dans cet espace, pendent une multitude de bâtons de bambou où sont accrochés des masques. Tous ne sont pas inanimés. Parmi les visages figés, celui de Nathalie Vairac. Immobile d’abord, la comédienne observe et s’anime petit à petit.
D’une voix sculpturale, elle sort du silence pour s’adresser au visiteur venu renouer des liens avec ses ancêtres. Elle se présente comme la gardienne des restes éparpillés et sa voix servira de boussole aussi bien au visiteur qu’aux spectateurs. «Le passé, la vérité de tes ancêtres, leur histoire ne se trouve pas entre les murs de ce musée devenu aujourd’hui un Musée d’art africain qui raconte que l’Africain n’a pas d’histoire», dit-elle. Le ton est donné.
Ce film (Les restes suprêmes) de Dorcy Rugamba est à la fois une pièce de théâtre et une installation. Mais son auteur en parle comme d’une oœuvre plastique et performative, mais aussi déambulatoire. Le public est invité à se joindre à la représentation et passe d’une galerie à une autre. Malang Sonko, qui interprète le rôle du visiteur, découvre aux côtés du masque, les lieux où celui-ci a séjourné, entraînant le spectateur dans une suite de galeries qui dévoilent encore plus la face sombre de cette entreprise de colonisation. Par ces différentes stations, il renouvelle le regard sur cette histoire.
Dans l’antre du savant fou, le personnage est exalté. Son discours est celui de cette Europe du 19e siècle, engoncée dans ses certitudes de supériorité sur les autres races mais pas que. Le savant fou énonce également des théories «grotesques» qui avaient court comme l’idée selon laquelle les femmes de petite vertu auraient des caractéristiques physiques spécifiques. Et c’est pour asseoir ces vérités que des recherches et études ont été effectuées sur des milliers de corps humains venant des pays colonisés et convoyés à bord de bateaux vers la métropole. Ils seront mesurés, pesés et disséqués comme le fut la Venus Hottentote.
Dans la galerie suivante, le spectateur est invité à prendre place dans le cabinet d’un général, amateur de chasse et qui raconte avec le même enthousiasme, ses parties de chasse à l’éléphant et ses razzias dans des villages pour couper des têtes. A la fin de sa quête, Malang arrive dans un 4e espace représentant la terre des ancêtres. Ici, le décor est constitué de cases dont certaines sont brûlées.
Le devenir des masques en question
Cette représentation a servi d’introduction à un panel autour de la question de la restitution des œuvres d’art au continent. Qu’est-ce qui doit être restitué ? Une fois restituées, a qui appartiendront ces œuvres ? Et ou seront-elles conservées ? Voilà quelques-unes des questions auxquelles les panelistes ont tenté de répondre. Pour le Pr Felwine Sarr, il faut surtout voir la pluralité des dispositifs qui existent déjà sur le continent et à qui on doit donner une égale dignité. «Tant que la question reste celle du musée, on restera encore enfermé», dit-il en donnant l’exemple du Cameroun où les chefferies traditionnelles disposent de leurs propres infrastructures muséales.
Et pour la co-auteure du Rapport sur la restitution des œuvres d’art, Benedicte Savoy, il est faux de dire qu’il n’existe pas de musées en Afrique puisque les explorateurs européens en font mention au 19e siècle. D’ailleurs, le rapport en recense près de 500. Plusieurs questions se posent au moment de ces restitutions, estime le critique d’art, Sylvain Sankalé. «Tous ces masques sont-ils des objets d’art ?», s’interroge-t-il avant de souligner que différentes catégories d’objets sont concernées entre les objets rituels, les objets de prestige et les objets utilitaires.
En outre, il faudrait, selon lui, concilier ces œuvres d’art et le rôle à leur donner, surtout avec l’approche des religions révélées qui prônent leur destruction.
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LA REINE DES NUS À LA BIENNALE
L’art est dans tout et tout peut inspirer l’art. L’art fait parler tout ce qui s’exprime difficilement par des mots. Dans cette 14è édition de la Biennale de l’art africain contemporain, la plasticienne Edwige Ndjeng propose ses tableaux de nus
L’art est dans tout et tout peut inspirer l’art. L’art fait parler tout ce qui s’exprime difficilement par les mots. Dans cette 14è édition de la Biennale de l’art africain contemporain, la camerounaise Edwige Ndjeng qui explore le nu depuis près d’une vingtaine d’années, expose ses œuvres dans le cadre du OFF.
Fille d’un grand artiste camerounais, Edwige a décidé de trouver sa voie originale. Elle peint la nudité des femmes de joie de son Cameroun natal et partage leur peine. Ce n'est pas l'apologie du plus vieux métier du monde. Mais plutôt une manière pour elle d’être compatissante, de leur rendre leur dignité et leur faire comprendre de conscience de leur beauté que n’a pas abimé leur activité.
AfricaGlobe a rencontré cette artiste qui a du cran et qui pratique un art qui tranche avec ce dont on a l’habitude. Comment s’est-elle lancée dans l’art du nu ? Comment le public perçoit ses productions ? Réponse dans cet entretien.
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TRANSPORT URBAIN, LE SYSTÈME D
Le transport urbain dans les villes africaines est une vraie problématique. Faute de logistique adaptée, tous les moyens sont bons. Des artistes comme le Camerounais Abdias Ngateu, nous font voir cette réalité que nous avons peut-être banalisée
Le transport urbain dans les grandes villes africaines est une vraie problématique qui mérite que les pouvoirs publics s’en occupent sérieusement. Peut-être à force de le voir tous les jours à Cotonou, à Yaoundé, à Lagos, Lomé ou Ouagadougou, ça nous presque insensibles et en premier lieu, les gouvernants.
Mais des artistes peuvent nous faire voir autrement cette réalité. C’est vraisemblablement ce que fait cet artiste plasticien Abdias Ngateu rencontré à la Biennale de Dakar. Venu du Cameroun, Abdias peint la précarité du transport urbain, qui pousse les citoyens à enfreindre les règles pour transporter des marchandises dans des conditions stupéfiantes.
Faute de logistique adéquate, des motos censées transportées une personne sont littéralement gavées de marchandises à l’extrême. Mais pour l’artiste, il s’agit aussi de montrer comment de vaillants citoyens se battent aussi vivre au quotidien y transportant avec force surcharge leurs motos de marchandises pour desservir les quartiers et villages qui ont besoin du ravitaillement.
Nous avons interrogés Abdias Ngateu dans une galerie d’art du Point E, dans le quartier résidentiel de Dakar à quelques jets de pierre de l’université Cheikh Anta Diop ( UCAD).
Abdias parle de son intérêt pour le Dak'Art, les enjeux de cette Biennale.... Au-delà de son exposition, le jeune artiste pose les difficultés qui minent la scène artistique camerounaise :manque d'espace culturel, manque de politique de soutien des artistes. Les détails dans cette vidéo. Regardez !
LE DAK’ART REPORTE SON PROGRAMME D’ANIMATION EN RAISON DU DEUIL NATIONAL
La Biennale de l’art africain contemporain de Dakar annonce avoir reporté à la semaine prochaine son programme d’animation en raison du deuil national de trois jours décrété au Sénégal, à partir de ce jeudi.
Dakar, 26 mai (APS) - La Biennale de l’art africain contemporain de Dakar annonce avoir reporté à la semaine prochaine son programme d’animation en raison du deuil national de trois jours décrété au Sénégal, à partir de ce jeudi.
"En raison du deuil national décrété par le président de la République du Sénégal, pour une durée de 3 jours à compter du 26 mai, le programme d’animation, les concerts de la biennale 2022 sont reportés à la semaine prochaine", indiquent les organisateurs du Dak’art dans un tweet.
Un deuil national de trois jours a été décrété jeudi par le président sénégalais Macky Sall, suite à la mort de 11 nouveau-nés à l’hôpital Mame Abdoul Aziz Sy de Tivaoune, dans la région de Thiès (ouest).
La 14e édition du Dak’Art, ouverte le 19 mai dernier, va se poursuivre jusqu’au 21 juin prochain.
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LA FACE CACHÉE DE LA SOCIÉTÉ ESPAGNOLE
Invisibilisés, les Afrodescendants imposent leur visibilité à l’Espagne, à travers la photographie et changent leur narratif, longtemps fait par les Blancs de manière biaisée. C’est ce que montre l'expo CODOBAYANGUE de l'artiste Agnès Essonti
Dans l’un des trois projets d’exposition de l’Espagne dans cette 14è édition du Dak’Art, on note l' exposition d’artistes afrodescendants espagnols. C’est le cas d’Agnès Essonti et de ses 6 collègues photographes. Nous l’avons interrogée dans cette vidéo, elle répond aux questions d’AfricaGlobe Info et AfricaGlobe Tv.
Photographe engagée, la jeune artiste hispano-camerounaise présente une expo intitulée CORDOBAYANGUE au Centre culturel espagnol de Dakar, sis à Fann Résidence. Agnès est le fruit et la synthèse d’un père camerounais Bayangue et d’une mère espagnole de Cordoba. D’où elle a forgé le néologisme cordobayangue.
Étant grandie dans une société espagnole où les minorités sont volontairement invisibilisées par la majorité blanche, la photographie permet désormais à Agnès et ses collègues de la jeune génération d’inverser cette tendance en exhumant ce/ceux que la société espagnole « cachent», c'est à dire les Noirs.
Pourtant, selon elle, les Noirs étaient très anciennement installés dans la péninsule ibérique indépendamment de l'immigration plus ou moins récente. En assumant pleinement sa double culture, elle entend les mettre toutes les deux sur le même piédestal, à travers m’objectif de son appareil et un art qu’elle a découvert presque accidentellement.
Tout a commencé à l’âge de 12 ans quand, la jeune adolescente reçoit un appareil photo comme cadeau. Elle se met à photographier ses amis, son entourage et autres, comme passe-temps. Mais le temps passant, la passion va naître, croître au point que la formation s’en suive et croise l’engagement suite à une prise de conscience de la nécessité de changer le narratif sur les Noirs d’Espagne.
Aujourd’hui Agnès utilise l’art photographique pour remettre l’histoire à l’endroit, pour redonner la fierté au noir d’Espagne et surtout montrer que les Noirs ont longtemps cohabité en Espagne avec les Blancs et que la blancheur ne fait pas l’hispanité. Cordobayangue illustre avec éloquence sa double culture à la fois espagnole d’Andalousie et Camerounaise de Bayangue.
Agnès Essonti Luque a l’air de dire tout « Blancs que sont nos compatriotes de souche, ils sont ce que nous sommes, Espagnols. Tout simplement. Selon elles jeunes photographe afrodescendants même s’ils ont pris conscience du devoir de raconter eux-mêmes leur histoire de manière authentique, ils ont encore du mal à trouver des espaces d’expression pour exposer leurs œuvres.
A travers son art, Agnès veut aussi loger presque à la même enseigne la politique, l’art , la culture et la gastronomie. Ou alors elle veut faire de l’art et de la culture la voie royale pour influencer la politique, une politique de justice et d’inclusion de tous.
LE COUSINAGE A PLAISANTERIE COMME MOYEN DE REGLEMENT DU CONFLIT
«La culture, un outil de consolidation définitive de la paix en Casamance.» Tel est le thème des ces journées culturelles de l’Association Abadji-To.
Le Sénégal est l’un des rares pays au monde qui dispose d’un puissant levier de règlement de conflit et de pactisation des peuples appelé «cousinage à plaisanterie». Un levier très souvent activé et mis en branle dans la partie sud du pays, la Casamance, où la culture constitue le plus clair moyen d’expression des peuples. Des communautés qui, depuis la nuit des temps, continuent encore et toujours de perpétuer les traditions culturelles et cultuelles, legs de nos ancêtres. Ce fut le cas le 13 juin dernier à Kafountine dans le cadre de la 1ère édition des journées culturelles de l’Association Abadji-To, une entité qui regroupe les populations des villages de Tendouck, Mlomp, Kabiline et des îles Karone.
«La culture, un outil de consolidation définitive de la paix en Casamance.» Tel est le thème des ces journées culturelles de l’Association Abadji-To. Mathématiquement un village légendaire (Abadj-To) qui polarise l’ensemble des populations des villages de Tendouck, de Mlomp, de Kabiline et des îles Karone et qui constitue aujourd’hui des cousins à plaisanterie. Pour Fabourama Sagna, le président d’Abadji-To, ce cousinage, entretenu et développé depuis des temps ancestraux, a survécu à travers les siècles et se vit encore de nos jours malgré les coups de boutoir de la modernité et de la globalisation universelle. «Tu ne verseras point le sang du cousin ; Tu ne défieras point le cousin ni dans des sports de combat, ni dans un conflit ; Tu ne refuseras point la médiation du cousin en cas de conflit interne, etc.» Voilà quelques-uns des préceptes qui sous-tendent ce cousinage et qui mettent en relief, selon Fabourama Sagna, la dimension de régulation des peuples pour une commune volonté du «vivre ensemble en harmonie».
Un outil fondamental de régulation sociale
Et au-delà des socio-cultures composant la communauté Abadj-To, cette organisation sociale, de l’avis de son président, peut donc s’avérer un puissant outil de développement socioéconomique pour la restauration de la paix. «Sous ce rapport, elle constitue une stratégie tendant à la réconciliation des populations de la Casamance entre elles pour amorcer le pardon dans les cœurs et les esprits», a-t-il indiqué lors de la cérémonie de lancement de ces journées à Kafountine. Car pour Fabourama Sagna, la réconciliation suppose l’instauration d’un dialogue, donc d’un échange entre frères à l’image d’Abadji-To. C’est pourquoi, à la lumière de ces quelques traits culturels de la société diola, ces journées culturelles ont pour objectif, selon lui, d’actionner un des leviers devant permettre d’ouvrir la voie à des activités culturelles, économiques, éducatives et sportives de leur communauté. «C’est un cadre de concertation et de dialogue entre les peuples de la fatrie à plaisanterie», martèle le président d’Abadji-To pour qui la pérennisation de cet outil exige l’implication et l’engagement constant d’un sang neuf. Suffisant pour Fabourama Sagna d’en appeler à cette vaillante jeunesse : «Appropriez-vous l’Association Abadj-To car ses fruits ne seront certainement pas les nôtres, pères fondateurs, mais les vôtres. Réservez vos places à bord du bateau Abadj-To pour le conduire vers un horizon enchanteur moulé dans une Casamance qui s’est définitivement retrouvée.»
Un link entre la culture et le tourisme
Parrain de cet événement culturel, Philipe Ndiaga Ba, natif de Kafountine et Directeur national de la Promotion touristique au ministère du Tourisme et des transports aériens, parrain de ces journées culturelles, n’a pas manqué de saisir le link solide qui existe entre culture et tourisme. Ce dernier étant conscient que la promotion du tourisme doit être portée par toute la population dans tous les aspects de la vie, culture, sport, restauration, etc. «Aujourd’hui au Sénégal, nous avons l’offre balnéaire qu’on a toujours vendue et qu’on continuera à vendre, mais le pays doit se positionner sur la diversification de l’offre touristique», soutient-il. Toute chose qui doit, de l’avis du Directeur national de la Promotion touristique, passer par la culture qui constitue un élément essentiel qui doit permettre de matérialiser un tel dessein. Et pour Philipe Ndiaga Ba, tout un chacun peut visiter des pays de la sous-région et du Maghreb, etc. qui disposent de plages et qui, à ses yeux, sont des concurrents réels. Mais dit-il, la culture casamançaise n’existe, selon lui, qu’en Casamance. Il a, à cet effet, exhorté les acteurs à travailler ensemble pour créer un cadre de dialogue et d’échanges. Occasion pour Philipe Ndiaga Ba de magnifier l’organisation de cet événement culturel à l’actif d’Abadji-To. «Nous remarquons qu’il y a beaucoup de problèmes qui arrivent au niveau des tribunaux et qui pouvaient s’arrêter dans le quartier, dans le voisinage. Avec le cousinage à plaisanterie, cela permet, dès qu’il y a l’intervention d’un cousin, même si on est sur le point de porter plainte, on accepte la médiation parce qu’il y a le cousinage à plaisanterie», souligne Philipe Ndiaga Ba. Qui en veut pour preuve la présence de nombreux sérères à la tête de beaucoup de services administratifs au niveau de Ziguinchor. A la faveur du cousinage entre Aguène et Diambogne, «cela a permis aux sérères de participer activement à la recherche de la paix en Casamance», argue-t-il. Et c’est pourquoi ce dernier a, de nouveau, exhorté l’Association Abadji-To à œuvrer pour que la paix revienne en Casamance.
IL Y A UN BOUILLONNEMENT DE LA PENSÉE DEPUIS CES DIX DERNIÈRES ANNÉES
Depuis la disparition des grandes figures de la négritude comme Léopold Sedar Senghor, Aimé Césaire, Léon G. Damas, entre autres, la pensée semble tourner à vide en Afrique, estime l'universitaire Felwine Sarr
Depuis la disparition des grandes figures de la négritude comme Léopold Sedar Senghor, Aimé Césaire, Léon G. Damas, entre autres, la pensée semble tourner à vide en Afrique. Mais l’écrivain Felwine Sarr, par ailleurs professeur de philosophie africaine et contemporaine et diasporique à Duke University, aux Etats-Unis, n’est pas d’avis.
Selon lui, il y a un renouveau de la pensée depuis les années 90, 2000, et les artistes, les écrivains ont produit énormément de textes théoriques. «Les artistes produisent beaucoup d’œuvres. Il y a énormément d’écrivains du continent qui publient parce que la pensée, elle est aussi dans la littérature et elle n’est pas que dans les textes théoriques», a soutenu Felwine Sarr. Il s’exprimait hier lors du Colloque scientifique de la 14ème édition de l’art africain contemporain qui se déroule à Dakar du 19 mai au 21 juin.
Depuis 2016, le Pr Sarr organise à Dakar les Ateliers de la Pensée pour questionner les modèles politiques et économiques existants et réfléchir aux transformations du monde contemporain depuis l’Afrique. «Il y a des Ateliers de la Pensée qu’on organise depuis 2016. Donc je trouve qu’il y a un bouillonnement et que peut-être l’un de nos défis, ce n’est pas justement de rester sous l’ombre tutélaire des grandes figures de la négritude et de ne pas voir ce qui existe depuis. Bien qu’on les revendique toujours comme des ancêtres mais quand bien même, il y a un bouillonnement depuis ces dix dernières années», répond M. Sarr en marge de la cérémonie de lancement du Colloque du Dak’art 2022.