Lauréate du Grand Prix du chef de l’Etat pour les Lettres de l’année 1997avec son premier roman, « Le chant des ténèbres », Fama Diagne Sène a depuis fait du chemin. Aujourd’hui, elle est l’auteure de plusieurs œuvres dont « Mbilème ou Le Baobab du Lion » qui a été publiée dans notre Cahier Ramadan et notre magazine du weekend. Au terme de la publication de ce recueil de théâtre, « Le Témoin » s’est entretenu avec la fille de Thiès. Entretien…
«Le chant des ténèbres » vous a consacré Grand Prix du Chef de l’Etat pour les Lettres. Comment écrit-on son premier roman ?
Je vous remercie vivement pour votre question. Avant de répondre, permettez-moi de saluer tous les lecteurs du quotidien « Le Témoin » et de les remercier pour leur fidélité tout au long du mois béni de ramadan et après. J’ai reçu de partout, du Sénégal et de la diaspora, des félicitations et des encouragements pour le texte « Mbilème » que beaucoup de lecteurs ont découvert à travers « Le cahier ramadan ». Merci au journal pour cet appui important pour la promotion de la littérature sénégalaise. Pour en revenir à votre question, je pus dire qu’écrire son premier roman est comme un accouchement. C’est long, c’est lent, c’est pénible. Plus d’une fois, on doute de soi-même et de ses capacités à devenir écrivain. Plus d’une fois, on est en confrontation avec le syndrome de la page blanche, avec une angoisse terrifiante de ne pas trouver les mots justes pour exprimer correctement ce que nous avons dans la tête. Il y a eu plus de cinq versions de ce roman. J’ai commencé son écriture, à peu près en 1989 et je l’ai publié en 1997, soit huit ans. A l’époque, il n’y avait pas beaucoup de maisons d’édition au Sénégal. Les Nouvelles Editions Africaines (NEAS) étaient l’une des meilleures au monde, avec un directeur de la publication, en la personne du philosophe Madieyna Ndiaye, qui était exceptionnel. Plus d’une fois, il m’a fait reprendre mon texte, me disant que je n’avais pas donné le meilleur de moi. « Il faut aller jusqu’au bout de toimême », m’avait –il dit. Je n’avais donc jamais baissé les bras. J’y avais cru fortement. Enfin, lorsque je lui ai apporté la dernière version, il me dit, après lecture, qu’il tenait entre ses mains, un roman capable de gagner le « Grand Prix ». Ce qui fut fait peu de temps après. Madieyna Ndiaye, nous a quittés récemment. Que Dieu l’accueille au Paradis. Je rends hommage à son professionnalisme. Pour écrire son premier texte et peut être même, tous les autres, il faut oublier le rythme des mois qui passent, se faire relire assez souvent, écouter les conseils et remettre sa plume à l’épreuve.
L’originalité de ce roman réside en son thème qui aborde la folie. Comment l’écrivain lucide a pu se retrouver dans cet univers ?
C’était cela toute la difficulté de cette œuvre. Il y a eu dans l’histoire de la littérature, beaucoup de textes sur la folie, mais les auteurs faisaient du fou, un personnage secondaire de l’œuvre. Ils le racontaient à la troisième personne. Par contre dans ce roman, mon personnage, Madjigeen, est le personnage principal. Elle parle avec le « je ». Donc, c’est la folie vue de l’intérieur de la personne malade et cela était un grand défi. Se mettre dans la peau de Madjigueen n’était pas facile. C’est à ce moment que survient le génie de l’inspiration. Quand j’écrivais, j’étais vraiment malade mentale. Comment cela se faisait-il ? Je ne pus le dire. Comment l’écrivain lucide a pu se transformer en personne malade mentale, entrer dans le corps en mouvement de son professeur métamorphosé en un bloc de sang en mouvement, en ressortir et hanter tout son monde ? C’est en cela que réside le génie de l’écrivain. « La plume de l’écrivain est aux pensées ce que le filet du chasseur est aux papillons » nous dit Paul Carvel. C’est cela la magie de la plume. C’est en réussissant ce pari de la folie vue du dedans, que j’ai, il me semble, réussi ce roman.
On constate, hélas, que ces personnes qui vivent dans ce monde de la folie ne sont pas souvent prises en charge et occupent nos rues. Qu’est-ce que cela vous inspire ?
Beaucoup de mal être, en vérité. Nous sommes dans une société démissionnaire. Le malade mental est un citoyen. Il a sa part de l’argent public. On devrait le soigner, l’interner, le nourrir, lui permettre de se marier et de fonder une famille. La folie n’est pas la perte définitive des facultés mentales de l’individu. Beaucoup de fous, comme Madjigueen, sont atteints de schizophrénie. C’est un dérèglement du système. On peut véritablement guérir certains. Mais il faut de la volonté, d’abord familiale, pour communiquer avec les médecins et les malades ; ensuite politique, pour une réelle prise en charge de ces errances. L’Europe a plus de malades du cerveau que l’Afrique. Mais ils sont protégés et ne traînent pas dans les rues. Le fou connait des moments de lucidité intense. Il nous regarde, nous juge et a même parfois pitié de nous. Même s’il n’arrive pas à retrouver toute sa lucidité, il peut être respecté et respectable, s’il est correctement pris en charge par la société. Ce n’est une faveur, c’est un droit. Le grand Ousmane Sembene avait écrit que le malheur ce n’est pas seulement d’avoir faim et soif, le malheur c’est de savoir qu’il y a des gens qui veulent que tu meures de faim. C’est cette incompétence collective qu’il faudra combattre.
On vous connaissait romancière, là avec « Mbilème ou Le Baobab du Lion », on découvre vos talents de dramaturge? Comment s’est fait le processus d’écriture ?
En vérité, je ne savais pas que cette œuvre allait devenir une pièce de théâtre. J’avais mes personnages, l’exposé des faits et les grandes problématiques que je voulais interpeler. Je me suis rendue compte qu’il y avait beaucoup de dynamisme, beaucoup de surprises et d’intrigues. C’était un texte dramatique qui avait commencé avec la mort du griot de Thicky, Samba Tine, et qui devait se terminer par un affrontement entre Ousmane, la jeune génération et les saltiguis gardiens de la tradition. Le drame et le déroulement sont ponctués de tragédies. Ousmane Tine, jeune sénégalais originaire du village de Thicky qui vient de terminer ses études en France a trouvé que la dépouille mortelle de son père a été ensevelie à Mbilème dans les baobabs cimetières à côté des autres griots, comme le veut la tradition en pays sérère. Il n’a alors qu’un seul dessein : reprendre les restes de son père pour l’enterrer dans le cimetière commun et lui bâtir une sépulture digne de lui. S’ouvre une confrontation entre la modernité et la tradition, le droit et les coutumes ancestrales du Sénégal. La pièce de théâtre était pour moi la seule alternative pour donner un corps et une âme à tous ses personnages et rendre les dialogues plus vivants. J’ai eu alors une résidence d’écriture en théâtre, du Festival International des Francophonies en Limousin, en 2004. Et j’ai pu ainsi faire la transition, lire beaucoup de pièces de théâtre, fréquenter des dramaturges et faire le grand saut. Cela n’a pas été difficile. C’est un texte comme tous les autres. Il fallait juste respecter les normes de l’écriture dramatique. La pièce a été jouée par la Compagnie du théâtre national Daniel Sorano en 2009, avec une mise en scène d’Alpha Omar Wane. Cela a été une belle réussite.
Dans cette œuvre, vous opposez deux camps. Ceux qui s’accrochent à la tradition et ceux qui veulent se tourner vers un monde moderne à travers la vision de votre personnage Ousmane ?
En effet. Je pense profondément que c’est dans la confrontation des idées que se bâtissent les grandes nations.
Faut- il cependant tout détruire pour aspirer à cette modernité que prône Ousmane ?
Non. Pas du tout. Le futur nait du passé. Cheikh Hamidou Kane avait écrit dans l’Aventure ambiguë, que le canon contraint les corps, l’école fascine les âmes. Ousmane, pur produit de l’école française, n’a pas pu accepter ni comprendre cette pratique pour lui, dégradante. Il dit : Si, mon village est comptable de mon vécu. Mon éducation aussi et même l’Afrique ! Si j’ai accepté d’accumuler tant de souffrances durant sept ans, sans lever la voix c’est parce que j’ai été éduqué en homme soumis. Nous acceptons tout ! Je me disais c’est la vie, laisse les faire, ils sont idiots. J’ai laissé le temps à l’injustice de me briser l’intérieur. Je ne le tolèrerai plus une deuxième fois. Alors, si tu veux, je serais un toubab noir impitoyable. Il n’y a rien de pire que cette transformation. Je pense qu’à l’origine, cette pratique était faite pour élever le griot et la parole qu’il portait au firmament des êtres sacrés qui ne se couchent jamais. Enseveli à l’intérieur du baobab, il traversait les siècles afin que la parole (tradition orale) continue à être préservée. Mais il me semble qu’au bout des années, les saltiguis y ont rattaché d’autres croyances dégradantes qui ont fait entrer Ousmane dans une colère noire. Ces pratiques, comme Ousmane les énumère, sont il me semble, des rajouts et de pures inventions: Dans ce village nos mères ne peuvent pas s’approcher de la margelle des puits car cela asséchera la nappe d’eau. Tu entends ? Elles posent leurs bassines au loin et attendent qu’une âme charitable les leur remplisse! On ne t’enterre pas de peur que la sécheresse ne s’abatte dans le village ! Tu ne pourras jamais épouser Khoudia parce qu’elle est noble et toi pas. Et tu dis que c’est la coutume ! Elle va durer combien de millénaires ta coutume ? Au nom de quelle divinité existe-t-elle même ? Laisseras-tu tes enfants vivre ce calvaire ? Dis-moi, les laisseras-tu dans ce bourbier ? C’est le système lui-même qui a rendu ce fait, naguère accepté, en un système d’exclusion sociale injustifiée.
Vous faites dire à un de vos personnages cette phrase : « Le griot est le ciment qui nous rattache au passé. Sans sa mémoire et son verbe galvaniseur, nous n’aurions pas autant de respect pour nous-mêmes et pour notre culte ». Ne pensiez-vous pas cependant que cette vision est aujourd’hui autre. Ces griots nous sont –ils utiles ?
Oui, véritablement. Il subsiste quelques rares spécimens à l’intérieur du Sénégal. Ici à Bambey, où je vis, nous avons le vieux El Hadji Alé Niang, communicateur traditionnel émérite, désigné comme trésor humain de la région de Diourbel et qui suscite respect et admiration. Il connait les hommes, leur histoire et leur patrimoine. Malheureusement, je ne vois personne dans sa famille qui s’intéresse à prendre la relève. De nos jours certains ont reçu cet héritage fabuleux dont ils ne veulent pas du tout. C’est une perte véritable pour notre culture.
Tout semble cependant opposer le Premier saltigui à ses autres collègues…-« … Il est temps de laisser nos enfants vivre pour eux-mêmes. Peut-être est-il arrivé le moment de laisser ce culte conduire son propre destin! Qu’on arrête de vouloir tout conduire nousmêmes ! De tout contrôler ! » Quand il prononce par exemple ces mots, n’est-ce pas une façon pour lui d’inviter sa communauté à se libérer d’un certain passé… ?
En effet. Il a dit plus loin qu’il lisait la peur dans les yeux des saltiguis depuis sept ans. Survivront-ils aux soubresauts de leur temps ? Et leurs enfants, continueront-ils à vénérer les mêmes dieux qu’eux? Maintiendront-ils intact l’héritage qu’ils veulent leur transmettre ? En voudrontils même ? Auront-ils le temps d’entretenir le culte ? Ne vont-ils pas laisser mourir les pangols ? Autant de questionnements qui les apeurent. Mais je suis convaincue que ces pratiques seront encore là dans plusieurs années. Dans tous les villages sérères, il y aura un descendant de saltiguis qui fera survire le culte. C’est un passé coriace qui n’est pas près de disparaître.
Vous dénoncez une pratique rétrograde, cependant elle continue de subsister sous d’autres formes à travers des cimetières pour nobles et griots. …
Oui en effet au lendemain des indépendances, le président poète Léopold Sédar Senghor, lui-même sérère, a mis fin à cette pratique. Mais bien avant ce décret, il y a eu beaucoup de soulèvements au sein de la communauté des griots dont plusieurs ont embrasé l’islam. Un paysan a raconté aux saltiguis ceci : Notre griot s’est converti à l’islam avec toute sa famille. Il s’est levé ce matin, a brûlé ses tam-tams et ses gris-gris, s’est entièrement habillé de blanc et s’est mis à prier sur la place centrale du village. Lorsque que les religions révélées ont été en pleine expansion dans le Sine et au Walo, les Sérères ont commencé à se convertir et à abandonner progressivement certaines pratiques païennes. Avec leur conversion grandissante on a aboli de manière définitive cette pratique. Toutefois, le passé reste dans nos mémoires. Son évocation sert à nous souvenir d’où on est venu. Il faut ouvrir ses fenêtres pour ne jamais oublier qui on est.
UN TRIO D’ARTISTES POUR POSER UN REGARD SINGULIER SUR LA SOCIETE…
Pour la Biennale de l’art africain contemporain, l’Institut culturel italien de Dakar a présenté il y a quelques jours, la première étape de IT Out OFF the Ordinary, Matérialité(s), un nouveau projet pour l’internationalisation de l’art italien
Pour la Biennale de l’art africain contemporain qui bat son plein à Dakar, l’Institut culturel italien de Dakar a présenté il y a quelques jours, la première étape de IT Out OFF the Ordinary, Matérialité(s), un nouveau projet pour l’internationalisation de l’art italien. L’exposition présente les œuvres produites par les artistes Leïla Bencharnia, Irène Coppola et Amy Celestina Ndione, au cours d’une résidence collective de recherche sur les pratiques artisanales au Sénégal et une collaboration avec des artistes féminines locales. Les visiteurs ont jusqu’au 21 juin pour voir les œuvres.
Leurs trois installations visuelles et/ou sonores se rejoignent. Leïla Bencharnia, l’artiste de la diaspora africaine, plonge les visiteurs dans un espace sonore imprégné d’un sentiment de déplacement perpétuel et d’un espace d’écoute multidimensionnel. Fille d’un musicien traditionnel marocain, son rapport avec le son, dit-elle, commence dans les vallées autour de Marrakech où elle a passé son enfance. Son travail sonore est constitué de matériaux analogiques tels que des bandes, des vinyles et des synthétiseurs. Elle reconnaît des formes d’écoute radicale comme une modalité de transmission des connaissances.
La pratique de Bencharnia ¬cherche à jouer un rôle actif dans la décolonisation de l’écoute comme moyen d’avoir un impact visible sur les questions sociales et politiques. L’installation et performance, terre rouge sur une plateforme en bois, chutes d’artisanat, chaussures gravées, robe, -calebasse, eau de l’artiste italienne, Irène Coppola réfléchit à la marche comme pratique de la mémoire de l’écriture du temps. Irène Coppola étudie l’espace liminal entre la nature et la culture, récupérant des souvenirs négligés par l’Histoire dominante qui sont traduits en dispositifs de relation. Ainsi, son installation met en scène un rituel qui nécessite la présence du corps pour être exécuté. De ce fait, l’artiste invite la performeuse sénégalaise, Clarisse Lea Sagna, à activer de ses pas la terre qui intègre son installation. Et Amy Celestina Ndione, s’inspire elle, d’une ¬histoire racontée par un vieux tisserand du village de Diobene.
A travers son installation, par le collage, la couture, les fils de pêche, l’entremêlement de ¬tissus sur des panneaux de grillage, elle raconte une histoire de l’origine du tissage à travers la métaphore d’un puits. «Je suis partie du tissage sachant que dans la plupart de ces pratiques endogènes, la matière change mais l’esprit reste le même. Le Tisserand tisse du coton, le cordonnier le cuir, le joaillier le métal, avec le filigrane. J’ai donc choisi à mon tour ma ¬propre matière, le grillage, que je présente sous forme d’installation», raconte la diplômée de l’Ecole national des arts de Dakar qui, avec ses trois panneaux successifs, invite les visiteurs à plonger dans le cercle fermé des pratiques ancestrales.
L’exposition intitulée «Matérialité(s)» est un projet qui a débuté en avril 2022 par une résidence collective féminine à Dakar, et est conçu par la Direction générale pour la créativité contemporaine du ministère italien de la Culture, en collaboration avec la Direction générale pour la diplomatie publique et ¬culturelle du ministère des Affaires étrangères et de la coopération internationale, nous explique Fatou Kiné Diouf, la -commissaire d’expo.
S’appuyant sur un exercice de recherche sur les pratiques artisanales au Sénégal et une collaboration avec des coopératives féminines locales, «la résidence questionne les rapports physiques, politiques et économiques à la matière, et par extension à la nature, qui s’expriment dans le processus de création. Les matériaux ainsi que les techniques artisanales de production inspirent le travail des artistes, dans le but de créer une possible carte des connexions culturelles entre l’Afrique et l’Italie», explique Fatou Kiné Diouf.
Les différents sensibilités et domaines d’expression de ces trois artistes ont habité les espaces de l’Institut impliquant les ¬visiteurs dans un parcours inédit avec des va-et-vient incessants. Ce qui donne une ambiance chaleureuse pour une symbiose des cœurs. Les profanes ¬s’émerveillent devant les œuvres affichant leur ignorance au langage des arts visuels et/ou sonores. Certains se tournent vers les artistes qui pour l’encourager, qui pour poser des questions pour mieux ¬comprendre les installations.
L’exposition, aussi rare que spectaculaire et originale dans sa démarche, a été enrichie d’une vidéo produite et dirigée par Tiziana Manfredi, artiste visuelle et réalisatrice italienne basée à Dakar. Le vernissage a connu la présence de plusieurs invités de marque dont l’ambassadeur d’Italie à Dakar, Giovanni Umberto De Vito, et de la directrice de l’Institut, Serena Cinquegrana, de Pascal Montoisy, Délégué général de Wallonie-Bruxelles, Irène Mingasson, l’ambassadrice de l’Union européenne au Sénégal. Selon la commissaire, Fatou Kiné Diouf, le fait de ¬n’avoir que des femmes à cette exposition est aussi une ¬manière d’ajouter quelques voix de plus aux critiques légitimes adressées à la sous-représentation des femmes dans le In et le Off de la Biennale.
DÉBATS PASSIONNÉS SUR LE PATRIMOINE RESTITUÉ À L'AFRIQUE
Lors du colloque scientifique de la Biennale, historiens et philosophes ont débattu des moyens de réinvestir de signification les objets qui reviennent et de les reconnecter à l'Afrique actuelle
"On m'a dit qu'il y avait ici l'âme de l'Afrique ?", souffle un visiteur d'origine africaine à un masque figé dans un musée européen. Dans un rire fou, le masque prend vie sous la forme d'une femme et assène: "Tu ne trouveras ni la vérité sur tes ancêtres, ni ton passé: ici l'Afrique est éteinte!".
"Je suis le cri muet de l'Afrique", poursuit le masque dans "Les Restes suprêmes". Cette oeuvre théâtrale, plastique et performative, création mondiale du metteur en scène rwandais Dorcy Rugamba, a été jouée pour la première fois à Dakar lors de la Biennale d'art contemporain africain.
Comme on épie par le trou d'une serrure un secret de famille, le spectateur est invité à regarder sous les angles morts du récit officiel de l'histoire coloniale qui opposait mondes "civilisé" et "primitif". Partie prenante de l'oeuvre, il se déplace tout au long de la performance et suit le masque à l'intérieur et à l'extérieur de grandes pièces criblées d'ouvertures qui reconstituent les décors de quatre époques.
"Si tu me suis, je te ferai faire la visite des fleuves qui nous ont conduits de tes ancêtres en ces lieux" dit le masque, incarné par la comédienne française Nathalie Vairac, à Malang, le personnage du visiteur. Mais "nous marcherons dans la boue", prévient-il.
Choqué, bouleversé ou riant face aux inepties de la propagande coloniale, le public déambule dans les lieux de séjour du masque en Europe après son arrachement à l'Afrique: chez un "scientifique" de la fin du XIXe, qui veut prouver une prétendue supériorité des Européens sur les Africains en mesurant des crânes, puis chez un général belge ayant bel et bien existé qui conservait dans sa maison les crânes de trois dignitaires africains rapportés de ses expéditions.
L'oeuvre évoque la spoliation des corps. "Des scientifiques commandaient aux conquérants des restes humains par milliers qui ont servi à élaborer des théories raciales et des stéréotypes", dit M. Rugamba.
"Intranquillité"
Ultime décor: les collines du Rwanda, le pays de Dorcy Rugamba. Le masque y est investi d'un nouvel imaginaire lors d'une cérémonie d'initiation. Malang apprend à "désapprendre le passé".
"J'ai été bouleversée par cette performance", a confié l'universitaire française Bénédicte Savoy lors d'un débat après une représentation. "Elle m'a paru traduire en une heure des choses qu'on lit normalement sur des centaines de pages".
Mme Savoy et l'écrivain sénégalais Felwine Sarr ont publié fin 2018 un rapport qui a fait date sur la restitution du patrimoine culturel africain.
Depuis, le sujet est "dans l'espace public" et n'est plus une affaire de spécialistes. "Les musées sont obligés de faire un travail de transparence et de réflexion sur les collections dites ethnographiques, c'est sans précédent; ces musées sont entrés dans un âge d'intranquillité", souligne M. Sarr.
En 2021, Paris a restitué au Bénin 26 oeuvres des trésors royaux d'Abomey, pillées en 1892 par les troupes françaises. Elles étaient conservées au musée parisien du Quai Branly.
La France a restitué un sabre au Sénégal en 2019 et une couronne à Madagascar en 2020.
Récemment, l'exposition des trésors royaux à Cotonou a attiré près de 200.000 visiteurs en 40 jours, selon les autorités.
"Le Bénin veut +républicaniser+ ces objets, c'est une magnifique aventure!", se réjouit M. Rugamba. "Ces objets vont permettre à la communauté de se réinventer autour de cet héritage".
"De plein fouet"
Des centaines de milliers d'oeuvres d'art africain sont détenues en Occident dans des musées ou des collections privées. Les opinions africaines manifestent une sensibilité accrue à la question, alors qu'une réticence persiste de la part des collectionneurs ou des musées, en Europe notamment, devant l'éventualité de restituer.
Felwine Sarr se félicite du "regain" de demandes que la restitution au Bénin a entraînée de la part d'autres pays africains. En 2019, "sept pays d'Afrique de l'Ouest ont demandé l'équivalent de 10.000 objets, y compris des pays qui étaient en guerre et dont on se serait attendu à ce qu'ils aient d'autres préoccupations", relève-t-il.
Lors du colloque scientifique de la Biennale, historiens et philosophes ont débattu des moyens de réinvestir de signification les objets qui reviennent et de les reconnecter à l'Afrique actuelle.
Un objet n'a pas forcément vocation à se retrouver dans un musée africain, dit M. Sarr: il peut repartir dans une communauté s'il a une fonction rituelle et qu'elle le réclame, ou être confié à une université pour la recherche, souligne-t-il.
Dialika Haile Sané, scénariste trentenaire, confie avoir reçu "de plein fouet" l'émotion des "Restes suprêmes". Selon elle, il n'y a "pas de raison" que ces oeuvres "ne reviennent pas là où elles sont nées"."Si on ne se réapproprie pas ce qui nous appartient, on ne peut pas réellement avancer".
VIDEO
LA BIENNALE DE DAKAR, CREUSET À TALENTS
Retour sur l'édition 2022 de ce grand rendez-vous de l'art africain marqué par une floraison d'initiatives culturelles
Retour sur l'édition 2022 de ce grand rendez-vous de l'art africain marqué par une floraison d'initiatives culturelles.
QUAND L’HABITUEL DEVIENT EXCEPTIONNEL
Première exposition de Melick Kaboré au Sénégal : Le don étant acquis, Retrokab a travaillé son talent au point de toucher la sensibilité du public en rendant l’habituel exceptionnel et l’exceptionnel banal !
Une échappatoire colorée ! C’est par ce procédé que Melick Kaboré, alias Retrokab, a repris goût à la vie après le confinement. L’artiste photographe expose ses œuvres à la galerie Studio quatorzerohuit jusqu’à la fin du mois de juin. «Rétrospection» est une lecture simpliste de la vie tout en soulignant les détails qui échappent à la mémoire collective.
Le don étant acquis, Retrokab a travaillé son talent au point de toucher la sensibilité du public en rendant l’habituel exceptionnel et l’exceptionnel banal ! Avec son appareil photo ou le plus souvent son smartphone, il révèle dans ses photographies des détails invisibles à l’œil nu. Des détails pourtant autour de nous, dans les reflets de l’eau, sur l’asphalte ou encore dans des miroirs…
Retrokab est donc un photographe qui a appris à observer la nature, son environnement et à saisir l’instant présent. Lors de ses voyages à travers le monde, il part à l’aventure et capte des scènes de vie singulières. L’œuvre qui illustre le mieux sa vision est cette photographie de trois Ivoiriens mochement maquillés, revenant d’une fête communautaire. Les couleurs merveilleusement exaltées ou pixélisées peuvent accrocher le visiteur pendant de longues minutes. «Je me sentais comme mort pendant le confinement en France. Ce retour aux sources est important pour moi. Cela m’a permis de me sentir mieux», a affirmé l’artiste pour expliquer son besoin d’immortaliser la vie. C’est ainsi que sa fibre artistique s’est révélée.
En effet, né à Abidjan en 1999, Melick Kaboré était à Rouen, en France, pour suivre des études de médecine, biologie et marketing. Le confinement imposé par le Covid-19 a été un mal nécessaire pour lui. Obligé de s’y conformer, Melick Kaboré décide de retourner dans sa Côte d’Ivoire natale pour se ressourcer. Sur place, son penchant artistique a pris le dessus. Il décide de rester et s’adonner à la photographie. Sa muse, il ne la cherche pas loin. Il se pavane avec son téléphone ou son appareil photo à la recherche d’une histoire, d’une originalité ou d’une scène qui doit être racontée. «Mes œuvres ne sont jamais prédéfinies. Je prends des photos et c’est bien après que je décide de les retoucher», a-t-il expliqué.
Cette instantanéité recherchée dans ses prises de vue se lit parfaitement devant le portrait d’une Goréenne. La dame tenant son bébé par les bras, montre le dos à l’objectif tout en marchant vers une farandole de couleurs à l’horizon et en tenant un sac pour enfant. L’image est à la fois parlante et muette. Le visiteur, à coup sûr, prendra du plaisir à l’interpréter. C’est le même cas de figure pour un conducteur de calèche rufisquois.
Toujours l’objectif derrière le dos, la photo de Serigne Touba imprimée sur sa veste en jean, il scrute l’horizon avec le bleu comme fond. Cette œuvre a une beauté inexplicable. Si Retrokab sait utiliser la technologie pour faire des miracles, son sens artistique peut plonger le visiteur dans une interrogation sans fin. Avec ses amis, il a matérialisé le retour aux sources en photographiant leurs reflets dans l’eau tout en renversant l’image. Les chaussures Air force one, bien visibles sur les pieds de ses modèles qui sont au bord de l’eau, marquent un contraste saisissant. Retrospection ne se raconte pas, elle se savoure et se vit !
LA PLACE «BAYA NDAR» À L’HEURE DU JAZZ
Les festivaliers, qui auront le privilège d’assister encore à cinq jours de concert au lieu de trois comme l’année dernière, auront l’embarras du choix
Le Festival international de jazz de Saint-Louis aura lieu, cette année, du 2 au 6 juin. Pour ce rendez-vous annuel du jazz qui regroupera à partir d’aujourd’hui des milliers de festivaliers, l’association Saint-Louis jazz propose un programme alléchant qui mettra sur scène à la fois des musiciens africains et occidentaux. Un mélange de rythmes et de sonorités aux origines diverses qui promet de grands moments de musique à la place «Baya Ndar», ex-place Faidherbe.
Pour cette trentième édition qui intervient juste après celle de 2021 qui a servi de relance après une année d’interruption à cause de l’épidémie du Covid-19, les responsables de la programmation artistique de la 30ème édition ont dû jouer aux équilibristes pour concocter un programme musical digne du rang du Saint-Louis Jazz. Ils ont en effet proposé une programmation qui, à y voir de près, est un mélange de musiques africaine, afro-américaine et occidentale. Les festivaliers, qui auront le privilège d’assister encore à cinq jours de concert au lieu de trois comme l’année dernière, auront l’embarras du choix.
Outre le Malien, Pédro Kouyaté, présenté comme l’ambassadeur de l’électroblues mandingue en quintet, et le Guinéen, Sékouba Bambino Diabaté, et sa bande pour l’ouverture, la saxophoniste, contrebassiste et chanteuse française, Sélène Saint-Aimé (quartet), figure montante du jazz mondiale à la riche expérience, et African jazz roots, une fusion inédite entre le jazz et la musique traditionnelle africaine, fruit d’une collaboration entre le batteur, pianiste, Simon Goubert, et le choriste saint-lousien, Ablaye Cissoko, seront des moments privilégiés de la programmation de cette trentième édition. Djiby Diabaté et l’auteur, compositeur, interprète et producteur sénégalais, Alune Wade, prendront ensuite le relais pour certainement d’autres moments de folie musicale. Alune Wade, qui n’en est pas à son premier concert sur la scène de Baya Ndar, fera son come-back à Saint-Louis où les habitués du festival ont gardé un bon souvenir de lui. Pour boucler la partie purement réservée au jazz, les responsables de la programmation n’ont pas lésiné sur les moyens. Ils sont allés chercher deux géants du jazz mondial, le trompettiste italien, Flavio Boltro (trio), et le contrebassiste israélien, Avishaï Cohen (trio), qui pourraient tous les deux faire figure de têtes d’affiche, pour une clôture en apothéose avant l’arrivée sur scène, le lendemain, des groupes locaux dans une sorte de concert «bal poussière» qui réunira le grand public. Une façon certainement pour l’association Saint-Louis jazz d’accrocher les Saint-Louisiens.
Un évènement de plus en plus attractif
Fondé en 1993, le Festival international de jazz de SaintLouis, comme aiment le rappeler ses organisateurs, est aujourd’hui l’une des plus importantes manifestations internationales du jazz en Afrique et dans le monde. Il a fait de la ville de Saint Louis, à travers les ans, un carrefour incontournable du jazz. A chaque édition, ils sont de plus en plus nombreux, les amoureux du jazz qui font le choix de se déplacer à Saint-Louis pour assister aux concerts In, qui mettent souvent en scène des musiciens qu’ils n’ont pas toujours tous le loisir de suivre sur les plateaux d’Europe et d’Amérique. D’autres, dans la même lancée, viennent à la découverte de talents africains qui ont le privilège de se produire aux côtés de grands noms du jazz mondial. SaintLouis jazz est non seulement, grâce à l’ingéniosité des responsables de sa programmation, un espace de rencontre entre artistes-musiciens venus des quatre coins du monde, mais aussi un lieu de brassage culturel grâce à la diversité et la richesse de l’offre artistique et des masterclass et autres formations proposés aux jeunes musiciens.
Un levier de développement économique
Certes le Festival international de jazz de Saint-Louis accorde la part belle à la musique et la production artistique et culturelle, mais il demeure aussi un important levier de développement économique. En effet, chaque année, une grande foire commerciale est organisée parallèlement aux activités purement musicales. Cet espace, où se côtoient commerçants locaux et autres marchands et créateurs venus de l’intérieur du pays et de la sous-région, apporte aussi de la plus-value à l’économie locale. Cet espace très fréquenté par les populations fait partie désormais du décor du Festival de jazz de Saint-Louis et profite beaucoup aux populations.
Les hôtels affichent le plein
A côté du commerce, le secteur de l’hôtellerie est également très positivement impacté par l’organisation du Festival de jazz de SaintLouis. La dimension de l’événement entraîne le déplacement massif de festivaliers qui, d’habitude, envahissent les réceptifs hôteliers. Cette année, tous les records peuvent être battus en termes d’affluence. Pour preuve, tous les hôtels de la place affichent le plein. A moins d’une semaine de l’ouverture déjà, l’ensemble des hôtels avaient affiché le plein. Selon des responsables hôteliers approchés, les périodes de festival sont en général fastes et permettent aux hôtels de s’offrir une bouffée d’oxygène. Pour cette trentième édition, la demande serait largement supérieure à l’offre. Des festivaliers éprouvent d’ailleurs d’énormes difficultés à s’offrir un toit le temps du festival, les auberges, appartements privés et autres lieux d’accueil étant pratiquement tous réservés. Les quelques lits disponibles s’arracheraient à coup de milliers de francs Cfa. Une situation qui permet naturellement au secteur touristique de consolider sa relance après avoir été durement éprouvé par l’épidémie du Covid-19 qui avait, par ricochet, mis à terre la destination Sénégal.
L’ART AU SERVICE DE LA THÉRAPIE
Sept peintres et un graffeur, connus dans le monde artistique ont exposé leurs œuvres d’art au centre Aminata Mbaye dans le cadre de la biennale.
Des enfants déficients intellectuels s’exercent à l’art comme moyen de thérapie pour lutter contre leur handicap. Accompagnés de professionnels artistiques, ces gamins ont rendu visible, mardi, leur travail basé sur des œuvres abstraites dont des portraits au centre Aminata Mbaye de Scat Urbam.
Sept peintres et un graffeur, connus dans le monde artistique ont exposé leurs œuvres d’art au centre Aminata Mbaye dans le cadre de la biennale. La cérémonie de vernissage a eu lieu mardi dernier. Seulement, cette exposition garde comme particularité les chefs d’œuvre des enfants déficients intellectuels qui y étudient. Des œuvres pleins d’espoir qui retracent le vécu de ces enfants dans le monde réel, entaché de quelques notes de tristesse. Si la couleur bleue reste présente dans les œuvres d’art avec une représentation de la mer et du ciel pour symboliser l’espoir, la pureté, elle est aussi associée à la prégnance de la couleur blanche.
En outre, le gris tout comme le noir symbolise cette note de tristesse. Une note montrant la particularité de ce centre qui essaie de donner la joie, l’espoir à des enfants malades dont les parents ont parfois épuisé tous les recours. Des tableaux d’art qui sortent de l’abstrait avec des portraits qui retracent la culture sénégalaise dont la lutte. Cette exposition a accueilli plusieurs autorités dont celles de Luxembourg.
Le Port autonome de Dakar qui parraine des enfants du centre avec un appui de 10 millions n’a pas été en reste. Le graffiti tout comme l’art plastique demeure pour plusieurs de ces enfants déficients un moyen de s’évader dans un monde de paix et de joie.
Pour la directrice du centre Aminata Mbaye, Madeleine Dione, l’objectif du centre est de montrer, de faire découvrir le talent des enfants déficients qui souffrent de pathologies comme la trisomie, l’autisme ou autres maladies handicapantes. « Les enfants sont capables de faire autant de choses ou plus même que ceux qui se disent normaux ne font. Les parents ont été surpris de voir le travail de leurs enfants et c’est grâce à l’appui des enseignants, l’encadrement mais aussi le soutien des bonnes volontés » a-t-elle avancé. Et de poursuivre : « avec la pratique artistique, les enfants sont parvenus à faire de belles choses et ces actions doivent être encouragées et accompagnées».
Selon l’encadrement dudit centre, les acteurs font le plaidoyer pour l’implantation des centres identiques un peu partout dans le pays. « Nous souhaitons que cet établissement se multiplie à cent pour cent au Sénégal et hors même des frontières. Les pensionnaires du centre sont déficients, mais nous aussi nous le sommes car beaucoup d’entre nous vivent avec des maladies. Je crois en ces genres de personnes. C’est du seigneur tout court», a avancé Dieynaba Baldé du collège des artistes exposants.
Pour la dite exposition qui entre dans le cadre des Off de la Biennale de Dakar, les 20% des recettes seront reversées pour le fonctionnement du centre. « Les artistes vont céder une partie de la vente des œuvres au centre », a fait savoir le commissaire de l’exposition Magatte Touré.
Pour rappel, ils sont huit artistes qui exposent leurs œuvres d’art au sein du centre Aminata Mbaye dont un graffeur Akonga et des peintres Daouda Ba, Dieynaba Baldé, Aimé Clément Diompy, Ibrahima Gningue, Daniel Severin Ngassu, Mamadou Sadji et Magatte Touré.
«IL Y A DES MENACES QUI PÈSENT SUR LES IDENTITÉS»
Abdoulaye Elimane Kane fait une présentation de son ouvrage « Eloge des identités. De l’universel et du particulier », édité en 2019, par l'Harmattan
La Section des Sciences Sociales et humaines (SSSh) de l’Académie nationale des Sciences et techniques du Sénégal (Ansts) a invité le Pr Abdoulaye Elimane Kane à faire une présentation de son ouvrage « Eloge des identités. De l’universel et du particulier », édité en 2019, par le harmattan. A cette occasion, l’ancien ministre de la Culture a soutenu que des menaces pèsent sur les identités et l’humanité
« Qui sommes-nous ? Que voulons-nous devenir ? Ces deux questions sont au cœur de la réflexion, au fil des 161 pages de l’ouvrage du professeur Abdoulaye Elimane Kane, sur les identités. Dans cette agora qui transcende les sciences, le philosophe a présenté les fondements de « Eloge des identités. De l’universel et du particulier ». Il a précisé d’emblée que le sous-titre est également un avertissement, à savoir qu’il s’agit de chercher dans les rapports entre le « particulier et l’universel » quels sont les problèmes qui se posent. Est-ce qu’il y a des manières de les résoudre ? Etc. C’est des questions philosophiques soulevées par l’enseignant en la matière. Seulement, elles sont abordées en choisissant des thèmes qui concernent le vécu des hommes, tous les jours. A la fois dans chaque société mais également dans le monde. Dans une des parties, il s’agit de voir quels sont les griefs qui sont articulés à l’endroit de la mondialisation. « Griefs qui tournent autour de l’idée que la mondialisation tend à effacer les identités et les particularités. Même si l’on a reconnu des avancées considérables sur le plan technique et scientifique », indique le philosophe qui aborde dans une autre partie, la santé et la maladie. « C’est une question qui m’intéresse, mais aussi, je me réfère à des réflexions d’ordre philosophique sur la manière dont les rapports entre malade et médecin sont perçus. Rapports qui mettent à la fois la généralité et l’universalité des lois scientifiques ». Ce, d’autant que la médecine a rapport à des individus concrets qui sont dans des hôpitaux et des cliniques et qui véhiculent avec eux des « particularités » et une manière de recevoir des médicaments ou de transmettre la maladie. « C’est des questions de normes. Est-ce qu’elles sont universelles ? Est-ce que chaque individu a une manière de les vivre ? C’est la deuxième partie de l’ouvrage », renseigne l’invité de SSSH.
LE DANGER DU TRANSHUMANISME
Poursuivant, il aborde la troisième partie, des techniques et sciences qui portent sur des préoccupations d’ordre futuriste. Il y démontre les dangers de la « science sans conscience ». Le Pr Kane reconnaît que la science et la technique ont rendu d’énormes services à l’humanité notamment dans la médecine, la connaissance des hommes les uns les autres, la circulation des connaissances… «Mais il existe un mouvement philosophique, le transhumanisme qui projette de réaliser quelque chose de plus que l’homme et qui pratiquement ferait oublier l’espèce humaine, en se fondant sur des avancées technologiques très pointues, en particulier les algorithmes », dit-il. Et la question fondamentale reste à savoir : «Quelle société nous voulons devenir ? A la fois en reconnaissant l’importance des sciences et techniques mais en choisissant de rester des humains qui donnent un sens à leurs existences qui ne se réduisent pas aux moyens techniques. Ce sont les questions abordées dans les trois parties de l’ouvrage». æ Sur un autre volet, c’est la naissance de l’école psychiatrique de Dakar, sise à Fann, qui était au centre des débats. « A partir de 1965, les professeurs Colon, Moussa Diop et autres ont constaté que les méthodes psychiatriques occidentales avaient échoué à résoudre des problèmes comme l’hystérie, le délire et ce que l’on appelle les maladies mentales. Parce que précisément ne prenant pas compte des références culturelles, familières et individuelles », souligne Pr Kane avant de déclarer que « l’identité dont il parle n’est pas un repli sur soi. Il y a des menaces qui pèsent sur les identités ; par exemple : la stigmatisation, à cause de la couleur de la peau, la religion, la culture. Même l’identité de l’humanité avec des projets tels que le transhumanisme. Il s’est agi en somme pour le professeur en philosophie d’apporter des réponses aux questions «qui sommes-nous ? Que voulons-nous devenir ?
Deux questions au cœur d'une réflexion sur les identités. L'objectif est double : reconnaître le bien-fondé des craintes suscitées par les manipulations et les usages malveillants de ce concept, sans phobie, ni fétichisme de l'universel et soutenir que le relativisme est compatible avec l'universalisme sans conduire au scepticisme ».
HOMMAGE À UNE « MÉMOIRE VIVE DES ARTS ET DE LA CULTURE »
Dans le cadre de la Biennale Dak’Art, l’hôtel de ville de Dakar accueille, depuis le 27 mai dernier, une exposition pluridisciplinaire « Abdou Fary Faye, Mémoire vive des arts et de la culture».
Dans le cadre de la Biennale Dak’Art, l’hôtel de ville de Dakar accueille, depuis le 27 mai dernier, une exposition pluridisciplinaire « Abdou Fary Faye, Mémoire vive des arts et de la culture». Des photographies de l’homme qui a été à la fois projectionniste, réalisateur, caméraman, photographe, sont à voir au 2ème étage du bâtiment. A l’initiative de la présidente du Fonds d’Archives Africain pour la Sauvegarde des Mémoires, Ghaël Samb Sall, l’exposition est un hommage à tous ces hommes et femmes qui ont marqué l’histoire culturelle du pays
Vendredi 27 mai, le vernissage de l’exposition pluridisciplinaire « Abdou Fary Faye, Mémoire vive des arts et de la culture », s’est ouvert au 2ème étage de la Mairie de Dakar avec la projection d’un film mettant en scène l’artiste racontant son parcours, le déroulé de son fabuleux destin. Celui qui se noue autour de rencontres où l’improbable se donne à cœur joie. C’est ainsi qu’il se retrouve après le BRGM (Bureau de Recherches Géologiques et Minières) de Dakar avant de commencer une formation en photo à la Maison des Jeunes avec notamment Paulin Soumanou Vieyra.
C’était dans les années 60, au lendemain de l’indépendance. Il se retrouvera ensuite au service audiovisuel du Centre culturel français. Et là, la photographie s’invite et laisse éclore un talent qui lui permettra de vivre de son travail, de venir en soutien à ses parents qui n’étaient bien gâtés par la vie. Photographe, projectionniste, cameraman, réalisateur, il s’essaiera à tout cela.
Porté par la chance qui l’aura visité, il sera ainsi au cœur de l’actualité culturelle sénégalaise, fixant notamment des grands moments du Festival mondial des Arts nègres. Quelque 60 photographies tirées de plus de 10.000 négatifs conservés par le Fonds d’Archives Africain pour la Sauvegarde des Mémoires qui, à l’initiative de sa présidente Ghaël Samb Sall, fille du cinéaste Ababacar Samb Makharam, raconte tout cela. Du cinéma, à la danse, de la littérature aux ballets, l’exposition nous fait remonter le temps.
Des photographies des Troupes nationales de Dahomey, de la Côte d’Ivoire, du Mali, du Royaume du Maroc, de l’Empire d’Ethiopie, du Brésil, des Etats-Unis nous replongent dans le 1er Festival Mondial des Arts Nègres (FESMAN) organisé en 1966 à Dakar par Léopold Sédar Senghor. La visite officielle de Hailé Selassié, empereur de l’Ethiopie, des spectacles de Gorée, Jacqueline Scott Lemoine dans Macbeth au Théâtre Daniel Sorano, Douta Seck dans le roi Christophe à Sorano, illustrant les temps forts de l’évènement. Les visiteurs auront aussi à découvrir des photographies d’archives sur les plateaux mythiques du cinéma sénégalais. On peut voir Sembène Ousmane à la caméra sur le tournage de Ceddo, Djibril Diop Mambéty et Cheikh Tidiane Aw sur le plateau de « Pour ceux qui savent », le tournage du film « Diankha Bi » de Johnson Traoré.
L’on retrouve aussi des personnes illustres de la scène artistique sénégalaise à travers les photos archives d’Abdou Fary Faye : Ababacar Samb recevant des mains du Président Senghor le Prix La Louve de Rome, le cinéaste Momar Thiam, l’actrice Isseu Niang, l’écrivain Birago Diop sans oublier Germaine Acogny sur scène.
L’exposition pluridisciplinaire des photographies d’Abdou Fary Faye des indépendances aux années 1960, c’est aussi cette Dakar des indépendances avec des images de la Grande Mosquée de Dakar, de la Cathédrale de Dakar, de la Place de l’Obélisque, de la Gare de Colobane, du Building administratif etc. « Cette exposition entend audelà de l’hommage à Abdou Fary Faye, raviver les mémoires de cette époque à travers le prisme de ses archives et de son parcours », explique-t-on. Il s’agit également à travers l’exposition de photographies d’archive de souligner « l’importance des archives pour les générations futures » mais aussi «l’importance de la préservation du patrimoine immatériel et sa valorisation ».
Né en 1936, Abdou Fary Faye a été membre actif du CINESEAS (Association des cinéastes-sénégalais associés) et de la FEPACI (Fédération panafricaine des cinéastes). L’exposition est organisée dans le cadre de la Biennale de Dakar qui prendra fin le 21 juin prochain.
L'ART DE CONTER AUTREMENT
Le styliste et designer sénégalais Malick Sylla dit Mike inscrit son art dans une perspective de raconter l’histoire de l’Afrique contemporaine, à partir d’une vision avant-gardiste de l’art et la mode, en vue de mieux garder l’équilibre
Paris, 31 mai (APS)- Le styliste et designer sénégalais Malick Sylla dit Mike inscrit son art dans une perspective de raconter l’histoire de l’Afrique contemporaine, à partir d’une vision avant-gardiste de l’art et la mode, en vue de mieux garder l’équilibre dans un monde marqué par des pôles et visions trop souvent opposés.
’’Nous essayons d’associer la mode et les arts plastiques pour amener les gens à regarder l’Afrique, dans son dynamisme, avec un œil contemporain, tout en adoptant une vision avant-gardiste’’, a dit l’artiste basé à Paris.
Selon Mike Sylla, cette vision avant-gardiste doit pouvoir permettre aux Africains de mieux présenter leur ’’héritage intarissable’’, et dans le même temps d’avoir ’’l’équilibre et la fierté pour s’ouvrir et côtoyer les autres cultures du monde’’.
’’L’Afrique a un héritage intarissable à présenter à l’humanité’’, a souligné le couturier originaire du quartier populaire de la Médina, à Dakar, insistant sur l’apport que la mode et les arts mobiles peuvent apporter au monde.
Pour cet artiste dont le travail porte notamment sur le cuir, le charme du travail de designer repose essentiellement sur sa capacité à ’’conjuguer son approche au passé de la belle époque de la femme des années 60-70 et à l’accorder aux exigences de la mode contemporaine’’.
M. Sylla dit également accorder ’’une attention toute particulière aux formes retro et aux éléments décoratifs peints’’, le tout dans un ’’esprit d’échange et d’ouverture’’ qui l’amène par exemple à mettre son art à contribuer pour lutter contre le trafic d’êtres humains et d’organes.
Il a reçu, à cet effet, le prix du styliste désigner de l’année (Award Stylist’s Designer of the Year 2022), aux Etats-Unis, lors de la cérémonie des "Remarkable Awards 2022, Fashion Advocacy International Show Boston, Massachussetts USA".
’’Cet événement prestigieux Mouva Now est une campagne qui aide contre la traite et le trafic des êtres humains", peut-on lire dans un document des initiateurs de ce prix dont l’ambition est d’aider à sauver la vie de victimes de ce trafic, aux États-Unis et partout ailleurs dans le monde.