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2 décembre 2024
Femmes
UN ROMAN SUR L’HISTOIRE DU PEUPLE SÉRÈRE
Intitulé le "Le silence du totem", ce roman de Fatoumata Ngom est " une réflexion sur l’art et le patrimoine" et trouve plus que jamais "un écho retentissant dans l’actualité"
Fatoumata Ngom, une étudiante sénégalaise à Sciences Po (France), a publié récemment son premier roman dans lequel l’héroïne Sitoé Iman Diouf entame une "longue et éprouvante" quête sur les traces d’un "mystérieux" explorateur-missionnaire français qui vécut à Khalambass, un village sérère de la région de Kaolack (centre).
Intitulé le "Le silence du totem", ce roman de 234 pages publié aux Editions L’Harmattan en avril dernier est "une plongée dans l’histoire du peuple sérère, une réflexion sur l’art et le patrimoine" et trouve plus que jamais "un écho retentissant dans l’actualité et pose des questions anthropologiques et culturelles fondamentales", note l’éditeur dans un communiqué parvenu à l’APS.
"Le silence du totem" raconte l’histoire de Sitoé Iman Diouf, une jeune anthropologue sénégalaise qui travaille au Musée du Quai Branly et à qui, le directeur des collections du musée avait demandé d’organiser une exposition un peu particulière, lit-on dans le texte.
"En préparant cette exposition, Sitoé va alors faire une découverte, dans les réserves du musée, qui va perturber son travail de commissaire, mais aussi la vie qu’elle menait avec Raphael, son mari et Assane-Maurice, son petit garçon", renseigne le communiqué.
Il fait remarquer que c’est ainsi que "commence alors une longue et éprouvante quête historique qui la mène sur les traces d’un mystérieux explorateur-missionnaire français qui vécut à Khalambass, un village sérère où il fut envoyé durant la période coloniale pour une mission d’évangélisation des habitants".
"Le silence du totem" est un roman qui "bouscule les codes par l’originalité de son intrigue, la richesse des lieux qu’on y traverse, et l’ouverture au monde’’, souligne l’éditeur.
Il ajoute que l’auteur, une étudiante en master en Politiques Publiques à Sciences Po Paris (France) depuis 2005 ‘’nous transporte dans des milieux et des époques insoupçonnés, du Quartier Latin à Paris et sa prestigieuse montagne Sainte-Geneviève aux réserves obscures du Musée du Quai Branly, en passant par les couloirs de l’UNESCO et Khalambass, un authentique village sérère du Sénégal d’où est originaire’’ sa famille paternelle.
L’auteur "nous transporte même en contrée égyptienne et fait rayonner la thèse de l’éminent savant Cheikh Anta Diop selon laquelle l’Egypte ancienne était noire".
Ce premier roman de Fatoumata Ngom "soulève des questions anthropologiques sur l’héritage culturel, et qui nourrit le débat autour de la restitution des œuvres d’art. En effet, les musées occidentaux sont remplis d’œuvres d’art africain et asiatique qui ont été spoliées durant la période coloniale et l’esclavage", fait-elle remarquer.
Fatoumata Ngom qui a obtenu en 2010 un diplôme d’ingénieure en informatique et mathématiques financières à Pari souligne dans son ouvrage l’urgence de rendre à l’Afrique les vestiges de son passé, mais surtout de remplir les musées africains et de rapatrier les œuvres qui aujourd’hui remplissent les musées occidentaux.
Fatoumata Ngom, mariée et mère de deux garçons, a eu l’idée de l’intrigue de son roman lors d’une visite au musée du Quai Branly, lit-on dans le communiqué qui ajoute que l’auteure "rêve d’avoir la plume et l’imagination surréalistes" de Gabriel Garcia Marquez qu’elle considère comme son ’’père spirituel’’.
PAR HAMIDOU ANNE
CONTRE L'HOMOPHOBIE AU SÉNÉGAL
Ici, on peut détourner les deniers publics, violer une femme et garder toute sa place dans l’espace public - Mais il suffit qu’un politique, journaliste ou intellectuel soit accusé d’homosexualité pour que soit signé son arrêt de mort sociale
Le Monde Afrique |
Hamidou Anne |
Publication 17/05/2018
Lauréat du Prix littérature-monde qui lui sera remis dimanche 20 mai au festival Etonnants Voyageurs, à Saint-Malo, l’écrivain sénégalais Mohamed Mbougar Sarr, 28 ans, vient de publier son troisième roman, De purs hommes, aux éditions Philippe Rey et Jimsaan. Un livre particulièrement courageux puisqu’il traite de l’homosexualité au Sénégal et interpelle sur l’homophobie qui gangrène notre société.
De fait, au « pays de la teranga » (l’hospitalité, en wolof), il n’y a pas d’un côté des conservateurs homophobes et de l’autre des progressistes qui défendent la libre orientation sexuelle de tout homme. Même chez les intellectuels, artistes et militants de la démocratie existe une homophobie assumée. Certains n’hésitent pas à prôner le meurtre des gays, le prétexte pouvant être la religion ou une illusoire pureté nationale à conserver face aux assauts culturels de l’Occident qui voudrait « nous imposer ses règles ».
Ici, on peut détourner les deniers publics, violer une femme et garder toute sa place dans l’espace public. Mais il suffit qu’un politique, journaliste ou intellectuel soit accusé d’homosexualité pour que soit signé son arrêt de mort sociale. Dire de quelqu’un qu’il est homosexuel est pire qu’une insulte, c’est un appel au meurtre social. Feu le journaliste Tamsir Jupiter Ndiaye, dont l’homosexualité avait été révélée, n’avait jamais pu se relever du lynchage médiatique dont il fut victime. Sa mort sociale avait précédé de peu sa disparition physique.
Une chape de plomb
Mohamed Mbougar Sarr, en s’attaquant avec audace à un sujet difficile, met en exergue nos lâchetés. Car même l’intelligentsia qui a une vision progressiste sur la question refuse de l’aborder publiquement par crainte de représailles. Il y a une chape de plomb sur le sujet qui pousse les associations de défense des droits humains à le traiter timidement. On relègue même l’homosexualité au rang de maladie, car souvent elle est traitée sous l’angle de la lutte contre le sida…
Il nous faut être lucides et accepter d’ouvrir ce débat qui, comme d’autres, sera au cœur de nouvelles préoccupations dans l’espace public. Un pays démocratique, signataire des grands textes internationaux relatifs aux droits humains, siège de grandes organisations internationales et qui dispose d’une forte diaspora ne peut être imperméable aux débats qui agitent le monde. La démocratie et la stabilité que nous exhibons fièrement nous engagent et exigent de nous une lutte pour la dignité humaine.
Sur le traitement de la question LGBTQ (lesbiennes, gays, bisexuels, transgenres et queers), il est urgent d’agir pour que des individus ne soient plus traqués, tabassés voire mis en prison, en raison de leur orientation sexuelle. Il est lâche de se cacher derrière l’islam pour refuser un travail sur nos mentalités. Nous sommes un pays laïque, certes peuplé de 99 % de croyants, qui a aboli la peine de mort, pratique qui existe pourtant dans la charia. Nous pouvons faire le même travail concernant notre position vis-à-vis de l’homosexualité.
Tolérance et respect
Je ne demande pas l’abrogation de la loi pénalisant ce que le Code pénal qualifie d’« acte contre-nature ». Car dans un contexte où les esprits assimilent l’homosexualité à une souillure et où le moindre soupçon (à tort ou à raison) d’une orientation sexuelle gay peut conduire à la mort, le recours à la loi serait inefficace. Ce serait même dangereux, car la loi se heurterait à des résistances sociales et confessionnelles qui pourraient provoquer une série de violences dans le pays.
Un travail en profondeur sur les consciences est nécessaire, surtout auprès de la jeune génération, pour inculquer la tolérance et le respect de la dignité humaine. Un gay ou une lesbienne n’est ni malade ni atteint mystiquement. Il ou elle n’est qu’un homme ou une femme qu’on pourrait aimer ou haïr, mais non au regard de son orientation sexuelle. Il ou elle pourrait être notre frère, notre sœur, notre voisin, notre ami avec qui on aime parler de football ou de tout autre chose. Lyncherait-on son frère ou son ami pour son orientation sexuelle ?
En continuant de nous taire par prudence, lâcheté ou, pire, indifférence, nous entérinons l’idée que toutes les vies ne se valent pas. Le livre de Mohamed Mbougar Sarr me donne l’occasion de m’exprimer sur un sujet que j’ai toujours publiquement évité, car socialement risqué pour moi et ma famille. Mais si l’auteur, du haut de ses 28 ans, a eu le courage de le porter, nous autres n’avons plus le choix, quel qu’en soit le prix à payer.
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LE MONDE AUJOURD'HUI DE CE JEUDI 17 MAI
Un regard nouveau sur l’actualité - Tour d'horizon d’une demi-heure qui vous met au rythme du monde panafricain
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À la Une de cette édition du 17 mai, le soulèvement étudiant au Sénégal, le référendum au Burundi et les menaces d'annulation du prochain sommet Corée du Nord-Etats-Unis.
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RENCONTRE AVEC LAEILA ADJOVI, LAURÉATE DU DAK'ART
Journaliste à l'origine, la Franco-béninoise s'est découverte une passion pour la photographie, au fil de ses pérégrinations sur le continent africain
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AÏSSA MAÏGA, L'ITINÉRAIRE D'UNE ACTRICE MILITANTE
Née à Dakar, d'un père malien et d'une mère sénégalo-gambienne, elle est une voix qui porte dans l'univers cinématographique français - Aujourd'hui, elle pousse un coup de gueule contre le racisme à travers, "Noir n'est pas mon métier"
Un Sénégal nouveau, c'est ce que souhaite l'avocate et politicienne Aïssata Tall Sall, qui sera candidate à l'élection présidentielle, en février 2019. Rencontre.
Il y a des gens qui rêvent et des gens qui tentent de réunir les conditions pour que leur rêve se réalise. Notre invitée cette semaine fait partie de la seconde catégorie. Avocate, députée, maire, ex-ministre et future candidate aux présidentielles sénégalaises, Aïssata Tall Sall veut un Sénégal nouveau.
Madame Tall Sall est née à Podor, la ville la plus septentrionale du pays, sur le fleuve Sénégal à un jet de pierre de la Mauritanie.
Très tôt son talent et son caractère sont remarqués. Elle veut devenir avocate… et le devient.
Elle crée un important bureau à Dakar. Toutes les causes peuvent l’intéresser. Du droit commercial à la défense de chefs d’État, de généraux ou de putschistes, elle évolue dans des prétoires sur tout le continent africain et jusqu’en Europe.
Son style et sa manière lui valent en Côte d’Ivoire où elle défend deux généraux accusés d’atteinte à la sécurité de l’État le surnom de « go de fer » ce qui veut dire femme de fer en français.
Me Tall Sall partage aujourd’hui ses journées entre son bureau du centre-ville de Dakar et la gestion à distance de la mairie de Podor. Elle consacre trois ou quatre heures chaque matin à régler ces « petites choses » si importantes pour la vie de ses concitoyens.
« Gérer une ville, c’est gérer une République sans argent », dit-elle. Aïssata Tall Sall me dit en faisant un clin d’œil qu’il devrait être obligatoire pour devenir président d’avoir d’abord été maire.
Rêver à la présidence
En 1998, le président, Abdou Diouf, l’avait désignée ministre de la Communication. Socialiste comme lui, elle a toujours eu une grande admiration pour l’ancien chef d’État. Elle reconnaît cependant que le Parti socialiste, s’il a assuré la stabilité des institutions du pays et introduit l’alternance politique, n’a pas réussi à donner un véritable élan économique au Sénégal.
C’est ce constat qui l’a amenée à prendre ses distances et à créer il y a tout juste un an le mouvement Osez l’avenir. Et comme elle croit que les femmes doivent prendre leur place sur l’échiquier politique national, elle sera candidate de cette toute jeune formation aux élections présidentielles de février 2019.
C’est dans son bureau de Dakar que j’ai rencontré Aïssata Tall Sall en mars dernier. L’avocate était souriante et détendue alors que je savais bien que notre entretien avait été coincé dans un horaire extrêmement chargé, entre affaires municipales et séance à l’Assemblée nationale toute proche (elle est toujours députée d'Osez l’avenir).
Très élégante – « j’aime bien faire des mélanges de vêtements occidentaux et sénégalais » –, Me Tall Sall s’est installée à mes côtés, prête à répondre à toutes mes questions.
SECRETS DE SÉDUCTION
Les Sénégalaises comptent parmi les plus belles femmes d'Afrique, et pour séduire elles savent s'y prendre
Tous les matins depuis trois mois, c’est le même rituel. Mor* prépare un petit sac avec quelques vêtements de rechange. Ce soir, il dormira ailleurs. Ce journaliste sénégalais, correspondant d’une grande agence de presse internationale, partage sa vie entre deux foyers, deux femmes. La première, Djeneba*, 40 ans, est diplômée en gestion du tourisme. Epousée il y a douze ans, elle est la mère de ses trois enfants. Et puis, il y a Anta*, pimpante journaliste de 27 ans, fille d’un médecin et d’une enseignante. Elle a 19 ans de moins que lui.
Devenir la niarel (seconde épouse, en wolof), Anta en rêve, dit-elle « depuis [qu’elle est] gamine ». Elle revendique une certaine indépendance. « J’ai toujours voulu être dans un ménage polygame. C’est une forme de liberté, car j’ai du temps pour moi quand mon mari est chez la première épouse. Je ne me vois pas m’occuper seule de lui », explique-t-elle avec décontraction.
35,2 % des ménages sénégalais polygames
Son assurance tranche avec la colère rentrée de Djeneba. La quadragénaire au visage émacié est sonnée depuis ce jour où son amour de jeunesse lui a annoncé son second mariage. Abasourdie, elle a perdu du poids ainsi que sa confiance en elle et en son mari. La noce a été scellée en catimini, après quarante-cinq jours de relation cachée. « Je n’ai jamais pensé devenir polygame », jure Mor. « Ça m’est tombé dessus », poursuit-il pendant que Djeneba sert le déjeuner. La tension est palpable dans ce coquet appartement d’un quartier résidentiel de Dakar.
A l’image de ce trio, 35,2 % des ménages sénégalais se déclaraient polygames en 2013, d’après l’Agence nationale de la statistique et de la démographie, contre 38,1 % en 2002. La pratique recule globalement, mais se répand dans les milieux intellectuels. Ainsi, près d’un quart des femmes ayant un diplôme universitaire acceptent de devenir deuxième, troisième ou quatrième épouse, d’après le dernier recensement démographique paru en 2013. Une tendance qui va à rebours d’une idée reçue : la polygamie n’est plus réservée aux milieux populaires et ruraux.
« On est passé d’une génération de femmes instruites dans les années 1960-1970 farouchement opposée à la polygamie à une génération qui l’assume, voire la revendique », explique Fatou Sow Sarr, maître de conférences à l’université Cheikh-Anta-Diop, à Dakar, et fondatrice du laboratoire Genre et recherche scientifiquede l’Institut fondamental d’Afrique noire (IFAN). « A l’indépendance, les premières femmes diplômées la combattaient. Pour elles, c’était une violence faite aux femmes et il fallait l’éradiquer. » Ces cadres de la première génération post-indépendance, enseignantes, fonctionnaires ou infirmières, ont reçu le soutien du président sénégalais, Léopold Sédar Senghor. Marié à une Française et très imprégné de culture européenne, il fera inscrire la monogamie comme une option dans le Code de la famille de 1972.
Ce code est toujours en vigueur quarante-six ans plus tard. Au moment de se marier pour la première fois, l’homme – en « concertation » avec sa promise – choisit devant le maire si son futur ménage restera un duo ou s’il pourra accueillir une, deux ou trois épouses supplémentaires.
Des hommes beaucoup plus âgés
Comment la polygamie, perçue comme rétrograde par ces premières élites d’après l’indépendance, est-elle devenue acceptable pour nombre de femmes issues des milieux bourgeois et intellectuels ? « Faute de travail, les jeunes hommes instruits n’ont plus les moyens de fonder une famille. Les femmes de leur classe d’âge ayant fait de longues études épousent donc des hommes beaucoup plus âgés mais avec une bonne situation matérielle et, très souvent, mariés. La pression sociale autour du mariage contraint les femmes à choisir la polygamie par dépit très souvent », explique Fatou Sow Sarr, qui observe cette tendance parmi ses étudiantes en thèse.
Mais la chercheuse constate un autre bouleversement dans les rapports conjugaux. Apparue au Sénégal avant l’arrivée de l’islam, mais codifiée par la religion, la polygamie était inscrite dans une organisation sociale. « Il fallait des bras pour cultiver la terre et remplir son grenier. L’homme se devait d’être équitable et respectueux envers ses épouses. Chacune avait un statut spécial. Ce qui a changé, c’est qu’aujourd’hui, en milieu urbain, on assiste à une forme d’exploitation des femmes. Pour rester mariées, certaines sont prêtes à tout, quitte à inverser les rôles en étant celles qui entretiennent leur mari. Ce dernier joue sur les rivalités entre les coépouses. Ces rivalités épuisent les femmes, détournent leur énergie et les empêchent de prendre leur place dans la société », regrette Fatou Sow Sarr.
Qu’en est-il des hommes ? Selon l’Agence nationale de la statistique et de la démographie, ils sont 14 % issus de milieux intellectuels à se déclarer polygames. Birame*, 45 ans, élégant professeur de lettres à l’université Gaston-Berger de Saint-Louis, a opté pour la polygamie lors de son mariage, mais n’envisage pas de franchir le pas. « Je n’ai pas les moyens d’entretenir deux femmes. Mais j’ai un filet de sécurité, un pouvoir face à mon épouse. C’est comme une arme de dissuasion pour qu’elle ne me fasse pas la guerre », ironise-t-il.
« Situation ubuesque »
Source de souffrance pour beaucoup de femmes et leurs enfants, la polygamie peut aussi être vécue comme une contrainte par certains hommes. « Je vis une situation ubuesque », lâche Abdou*, 62 ans, éminent universitaire et acteur de la vie intellectuelle sénégalaise. Après trente-six ans de mariage et trois enfants, il a épousé en secondes noces, sans tambour ni trompette, une consœur divorcée d’un premier mariage. « Ma première femme n’a pas voulu qu’on se sépare, car le divorce au Sénégal est une catastrophe sociale, surtout pour la femme. La polygamie est dans mon cas un divorce qui ne dit pas son nom », confie-t-il.
Bataille perdue des féministes sénégalaises, la polygamie a même résisté à l’arrivée massive des femmes en politique. Depuis la loi sur la parité votée en 2010, celles-ci sont aussi nombreuses que les hommes sur les bancs de l’Assemblée. Sans effet sur l’ouverture d’un débat, comme dans d’autres pays musulmans.
PAR NOTRE CHRONIQUEUSE, AMINATA DIA
POUR LES VICTIMES DE VIOLENCES CONJUGALES
EXCLUSIF SENEPLUS - Nous devons veiller à dire à nos filles, sœurs, amies, mères, tantes et femmes que l’amour n’est pas synonyme de souffrance et surtout que le mariage n’est pas égale à la mort ou au suicide
Heurtées dans leur chair : le supplice des femmes soumises aux violences conjugales.
Salimata (nom d’emprunt), a 16 ans. Dakar qui l’a vue naître et grandir, l’a également vue rencontrer son premier amour. Du haut de son adolescence, la jeune femme va voir ce « plus qu’ami » en secret. Si seulement ses parents savaient, ils la tueraient. Donc, elle se cache et rien de plus facile avec les ombres, lumières et contrastes de cette ville qu’elle connaît par cœur. Cela commence par de petites promenades innocentes. Sur les trottoirs étroits et condensés, Salimata et « son ami » marchaient côte à côte. Sac à la main, élancé, quelque peu musclé, allure fière, posture droite et foulée ferme, il menait la cadence. Robe et voile au vent, élancée par la force de la nature ou par la puissance des quelques centimètres qui venaient s’ajouter à ses chaussures imposantes, démarche chaloupée, elle le suivait d’un pas tout aussi assuré. Ils semblaient discuter et échanger de tout et de rien. Mais d’un tout et d’un rien hilarant vu la portée des éclats de rire de la jeune femme. Ils se regardaient de temps à autre et la jeune femme paraissait prendre un malin plaisir à le taquiner. Les deux jeunes gens évoluaient sans encombre le long des allées et venues de la ville aux multiples visages, gaiement, simplement, légèrement, comme le vent. Mais quelque chose dérape soudainement sans que Salimata comprenne comment. Dans sa tête, elle se dit qu’elle a sûrement fait la blague de trop. Son « ami » s’est emporté et lui crie dessus. Elle aimerait lui demander ce qui ne va pas, mais il ne la laisse pas parler. Il s’emporte et la laisse là, au milieu de la rue, toute seule, dans la nuit silencieuse.
Salimata avait 16 ans lorsqu’elle a été exposée à la violence verbale et psychologique pour la première fois. Mais dans son esprit de jeune fille amoureuse, ce n’est rien du tout, une petite dispute. Pire, la culpabilité la terrasse. Elle pense que tout est de sa faute. Sa maman lui a toujours répété : « goor, ken du ko puus ba mou sëss » (« un homme, personne ne le pousse jusqu’au bout »). Alors, elle appelle. Elle s’excuse. Elle promet de ne plus recommencer. « Son ami » redevient doux et aimant, celui qu’elle a toujours connu. Les promenades reprennent sans encombre. Entre temps, Salimata grandit. L’adolescente se mue en femme et l’ami devient prétendant qu’on introduit officiellement à la famille. On loue son éducation, sa gentillesse, son savoir et on répète à Salimata « Ahh napp nga jën bu mag daal. Fexel ba bu mu la rëcc » (« Ahh tu as pêché un gros poisson. Débrouille-toi pour pas qu’il t’échappe »).
Entre-temps, le degré de violence augmente également doucement mais sûrement à chaque nouvelle dispute. De l’épisode où elle a été laissée seule en pleine nuit à son sort, s’en suivent cris, insultes, secouement d’épaules et claquements de porte. Mais Salimata ne comprend pas. Elle doit forcément mal faire les choses car il est si gentil, si doux, si attentionné. Il s’excuse à chaque fois de son emportement sans lui faire remarquer qu’il ne faut pas qu’elle le provoque. Elle sait bien qu’il n’aime pas la savoir seule dehors, ou qu’il n’aime pas lorsqu’elle ne répond pas au téléphone ou porte des robes courtes ... A l’infini, les raisons abondent. Un jour, Salimata en parle à sa meilleure amie. Elle ne savait plus quoi faire. Cette dernière lui dit : « Sali, toi aussi, gor yi ñoom ñëpp yam. Da ñu fiir ba dof. Yaa kay comprendre, nga moytu » (« Sali, toi aussi, les hommes sont tous les mêmes. C’est à toi de les comprendre et de faire attention »). Salimata se sentit bête. Mais quelle idée de s’en faire. Les familles sont unies, tout le monde l’adore. Tout cela ne se passe que dans sa tête.
Le mariage est célébré. Les deux premières années sont magnifiques. Puis un jour, monsieur revient énervé du travail. Salimata n’a pas encore fait suffisamment attention. Elle se retrouve projetée sur le lit après une sévère gifle ! Monsieur sort en claquant la porte et en criant. Elle reste recroquevillée sur ce même lit, jadis témoin de moments de tendresse et de complicité, les larmes coulant sur ce visage qui autrefois était si lumineux. Une autre fois, elle est tabassée, jetée au sol. Une autre fois, elle est consignée à dormir par terre. Un matin, elle s’arme de courage et va voir sa mère. Elle se jette dans ses bras, les sanglots étouffant sa voix. Lorsqu’elle a fini, cette dernière essuie calmement son visage et lui dit « Sali, sëy kaani la. Ci kaw rek mooy lem. Jigeen bu baax da ngey muñ. Li yëp di na jeex. Jëlël sa jëkkër nga def ko sa xarit. Boul ka merloo te nga muñal ko » (« Sali, le mariage est comme du piment. Seule la surface est mielleuse. Une bonne femme doit être patiente et doit endurer les pires moments. Tout cela va passer. Ton mari est ton ami. Ne l’énerve pas et sois patiente avec lui »). Salimata retourne chez elle. Cette nuit-là, elle prépare un excellent repas, met les petits plats dans les grands et se fait très belle. Monsieur revient à de meilleurs sentiments et elle se dit que sa maman a bien raison. « Les hommes sont tous des bébés. Il faut savoir les gérer ». Salimata s’évertue donc à la patience. Interdiction d’aller travailler. Patience. Plus de sortie avec ses amies d’enfance. Patience. Silence lorsque monsieur regarde la télé.
Patience. Cris parce que le repas est trop salé ou les chemises pas assez propres ou pas assez repassés. Patience. Insultes pour cette robe trop serrée. Patience. Coups sur coups. Patience. Patience. Patience. De fil en aiguille, une jeune femme pleine de vie, de potentiel, possédant rêves, carrière et ambitions, famille et amis se muent en loque humaine, soumise à une violence physique, psychologique, émotionnelle et morale. Un enfant, deux enfants et l’absence totale de revenus économiques ajoutent à la dépendance. Chaque jour, elle vit dans la peur de le voir franchir la porte, ne sachant qu’espérer. Au fil des ans, les larmes avaient cessé de tomber. Le silence avait fait place aux cris. L’épuisement et le désespoir avaient remplacé tout espoir de voir un jour les choses changer. Salimata acceptait son sort. « Kou muñ muñ » (« qui endure triomphera ») dit le wolof. Elle aura de bons enfants pensait-elle alors pour se consoler, elle qui avait su endurer les foudres de leur père : ses sacrifices paieront. Ils ont payé un soir. Le coup de trop la plonge dans le noir total. Dans son esprit qui s’en allait, ressurgirent des souvenirs de Dakar.
Dakar et ses ombres, ses lumières, ses contrastes ... Dakar et ses femmes aux déhanchés voluptueux, ces driankés au regard mielleux, à la voix suave et acerbe le temps d’après. Dakar et ses jeunes femmes dynamiques, légères, belles, fraîches et virevoltantes qui laissent ce parfum de féerie dans l’atmosphère, de magie, de folie, ce soupçon de beauté qui appartient à l’éternité. Dakar et son brouhaha infernal par moment, puis tendre, doux, léger, silencieux, vibrant, comme les accents voluptueux de Joshua Redman et des grands maîtres saxophonistes. Dakar et ses bidonvilles longeant l’arrière des longs boulevards fleuris, dont les parterres embaumés respirent le parfum amer des larmes de tous ces hommes à la cravache facile, de tous ces enfants sans avenir, de toutes ces femmes aux sourires à jamais voilées. Toutes ces femmes aux vies à jamais sacrifiées.
Salimata n’est plus. A l’enterrement, on loue son courage, sa bravoure et sa piété. On loue la bonne femme qu’elle était. De loin, deux enfants, aujourd’hui orphelins qui n’auront comme seule image de leur mère, qu’une femme qui ne savait plus comment sourire et qui frémissait de peur lorsque leur père foulait la porte de la maison. Une femme qu’ils appelaient maman mais qui n’avait plus la force d’aimer, pas même ses propres enfants tant elle s’était oubliée et avait renoncé à la vie.
L’histoire de Salimata est un grain de sable dans le désert du supplice que subissent les femmes victimes de violences conjugales au Sénégal. « Pas un seul jour ne se passe sans que l’on ne lise dans la presse un cas de viol ou de maltraitance faite à une femme. 70 % de femmes subissent des violences » d’après un rapport du Groupe d’études et de recherche genre et société (Gestes) de l’Ugb publié en 2015. Il est très important de noter ici la définition de « violence conjugale » : « La violence conjugale est la violence exercée par un des conjoints sur l'autre, au sein d'un couple. Elle s'exprime par des agressions verbales, psychologiques, physiques, sexuelles, des menaces ou des contraintes, qui peuvent aller jusqu'à la mort ».
Le plus souvent, certains actes sont banalisés et pas pris au sérieux. Dans certaines séries sénégalaises les plus suivies par exemple, pas un épisode ne passe sans qu’on assiste à une scène de violence que ce soit de l’homme envers la femme ou de la femme envers l’homme. Les deux sont très graves et dangereux pour la paix et l’équilibre du foyer et des individus qui la composent. Dans certains épisodes de « Pod et Marichou » et « Nafi », tous deux très suivies et réalisées par la même société de production Marodi TV, on voit les personnages éponymes violenter ou être victimes de violence. Dans le premier cas, un jeune homme étranglait une de ses ex- maîtresses parce que cette dernière a osé dire à sa femme qu’il l’avait enceintée et dans le second cas, une jeune femme, seconde épouse se fait battre par son mari impuissant qui a l’âge de son père parce que ce dernier s’est vu dire qu’elle était au restaurant entourée d’hommes dans une tenue indécente. Dans les deux cas, les faits étaient sans conséquences. Tout comme la maman de Salimata, Coumba Seck, personnage incarnant la « femme modèle » dans la série Nafi assiste à la scène où sa coépouse se fait gifler et pour toute réponse, elle lui demande de « muñ » (« endure »). Door nañ jeek ba muy de teewul toog na muñ ci sëyam » (« une femme a été frappé jusqu’à la mort mais cela ne l’a pas empêché de demeurer patiente dans son ménage »). De même Betty, personnage délurée qui provoque les hommes dans la série Pod et Marichou dit à Pod, qui venait s’excuser après l’avoir étranglée sous prétexte qu’il a perdu contrôle et était énervé qu’elle le comprend et rajoute : « Je n’aurai pas dû me comporter comme je me suis comportée ».
Toutefois, ces scènes qu’on banalise, qu’on ne relève pas, qu’on laisse passer sans les condamner farouchement, auxquelles on trouve toujours des justifications subtiles (une robe trop courte ici, une provocatrice par-là) qui légitiment implicitement « la perte de contrôle » sont extrêmement graves. Elles s’impriment dans les imaginaires, les consciences collectives et font qu’une, deux, trois ... 70% de Salimata vont rester jusqu’à la mort. Il n’y a rien de romantique ou d’héroïque au suicide. Le suicide, c’est le désespoir, le noir, la perte d’envie de vivre sous toutes ses formes, le renoncement. En tant que société, nous avons et sommes encore en train de créer et pire, de légitimer une culture du suicide. Lorsqu’on grandit en entendant des phrases aussi graves que « endure jusqu’à la mort », il ne faut pas s’étonner de voir cela appliqué au pied de la lettre. Or, bien sûr, on peut soutenir que le sens de tous ces adages est différent, qu’ils visent à inspirer des valeurs de bien. Mais pourquoi ces valeurs doivent aller dans un seul sens ? Pourquoi ces valeurs sont-elles martelées à la tête des femmes et pas des hommes ? Et on s’étonne des statistiques croissantes et des funérailles qui s’enchaînent à chaque coin de rue sans jamais que les sourires hypocrites n’acceptent de lever le voile sur la vie de maltraitance et d’abus qui a conduit à ce moment.
Pire, dans un contexte où les associations de lutte contre les violences faites aux femmes (Association des Juristes du Sénégal, Réseau Siggil Jigéen, etc.) peinent autant à faire des progrès du fait de la lourdeur sociale qui fait que les femmes soumises à ces violences ne brisent jamais le silence conjugal, qui fait que même lorsqu’elles osent enfin le faire, elles sont renvoyées dans les mains de leurs bourreaux à force de « masla » (« conciliation»), de « soutoura » (« privé / secret ») et de « muñ » (« endurance »), qui fait qu’une femme sur quatre perd la vie au Sénégal dans l’impunité la plus totale, toute image de violence conjugale surtout dans le cadre de séries populaires et très suivies d’adolescents et d’adolescentes qui sont appelés à devenir hommes et femmes, maris et épouses, doit faire l’objet d’une attention particulière. Si les réalisateurs n’ont pas la présence d’esprit de sanctionner dans la série même ces actes de violence, nous devons veiller dans nos communautés à sensibiliser le plus possible pour déconstruire de pareils imaginaires.
Nous devons veiller à dire à nos filles, sœurs, amies, mères, tantes et femmes que l’amour n’est pas synonyme de souffrance et surtout que le mariage n’est pas égale à la mort ou au suicide. Nous devons veiller à les alerter sur les dangers inhérents à cette idée de « c’est par amour qu’il agit comme il agit » ; « c’est parce qu’il est jaloux » ; « Ahh, c’est juste un homme, il faut le comprendre » ; « je dois faire attention » ; « je ne dois pas le provoquer » ; « Dieu me récompensera, j’aurai de bons enfants » ... Liste infinie de justificatifs qui font qu’elles se laissent chaque jour un peu plus entraîner dans le couloir de la mort. Crier sur une personne, la battre, lui confisquer sa liberté, sa dignité, la manipuler, la priver de toute joie et la faire vivre dans la peur constante et permanente et la culpabilité n’est pas de l’amour. Il s’agit d’un crime qui doit être dénoncé, puni et jamais justifié, compris ou légitimé. Il s’agit parfois d’une maladie qu’il faut soigner à force de thérapie et de formation en « gestion de la colère ». Mais dans tous les cas, il s’agit d’actes qu’il faut identifier et reconnaître comme grave et non justifiable.
On incite à chaque fois au pardon ou à la paix. Mais il y a des prérequis et des fondements au pardon et à la paix tels que la reconnaissance du tort, l’acceptation du problème, la responsabilité qui doit être située et l’établissement d’un plan d’action pour y remédier. Combien de Salimata n’ont pas eu cette chance. Encore combien de Salimata faudra-t-il qu’on enterre avant qu’on se réveille en tant que société ? Encore combien de vies brisées pour qu’on comprenne que la culture ne fait pas les hommes ? Les hommes font la culture et aussi dur que cela puisse paraître, il est possible faire évoluer une culture donnée à force de déconstruction et de reconstruction, d’images et d’histoires différentes. Difficile mais possible. Quand est-ce qu’on s’y emploiera ?