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30 novembre 2024
International
Par Hamidou ANNE
DANS LA DOUCE DICTATURE TROPICALE DU SENEGAL
Les mêmes qui saluent la décision du Conseil constitutionnel, ont outragé et injurié ses membres, criant au «complot», quand ils ont invalidé la candidature de leur champion sous le coup de plusieurs condamnations.
Le Conseil constitutionnel a retoqué et le décret n°2024-106 du 03 février 2024 portant abrogation du décret convoquant le corps électoral pour l’élection présidentielle du 25 février 2024 et la loi n°4/2024 adoptée par l’Assemblée nationale en sa séance du 5 février 2024 portant dérogation aux dispositions l’article 31 de la Constitution.
Au regard de notre Charte fondamentale, «les décisions du Conseil constitutionnel ne sont susceptibles d’aucune voie de recours. Elles s’imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités administratives et juridictionnelles». Je n’arrive pas à verser dans l’hystérie collective ni à joindre ma voix au concert de celles qui font d’une décision ordinaire un événement. Le Sénégal est une démocratie, encore à parfaire, mais bien loin des dictatures tropicales du continent. Il s’agissait selon moi d’un jour normal dans notre grand pays. L’Exécutif a pris un acte réglementaire et les députés ont voté une loi ; les deux ont été jugés sans fondement légal par les «Sages».
Le chef de l’Etat peut nommer sept juges, qui cassent sa décision sur une matière d’une importance capitale pour le présent et l’avenir du pays. Ces juges vont ensuite vaquer librement à leurs occupations sans craindre ni pour leur vie ni pour celle de leurs familles.
Une démocratie majeure se construit dans le temps grâce aux actes posés par les trois pouvoirs qui en sont les chevilles ouvrières. On arrive à un Etat de Droit par la sédimentation dans le temps des arbitrages juridiques et des décisions des autorités légales et légitimes qui renforcent la liberté et la paix civile.
Ce concert d’extases chez les politiques, intellectuels et dans l’opinion renseigne sur le personnel public qui n’est pas à la hauteur de notre démocratie. Il faut être peu ambitieux pour parcourir les médias du pays et de l’étranger et chanter les louanges du juge, qui dit, selon lui, le Droit, et dont nous devons nous conformer tous à la décision.
Dans un passé récent, les juges Sabassy Faye et Ousmane Racine Thione ont donné tort à l’Etat au profit d’un adversaire politique. C’est en banalisant les décisions de Justice que l’on construit un espace public serein. C’est ainsi que l’on arrive à ce que soutient souvent mon ami Yoro Dia ; pour lui il faut que le Sénégal passe de «l’ère des furies» à celle du «règne de l’opinion».
Au contraire, nous sommes à l’ère d’une démocratie du bavardage sans consistance d’un corps politique dont beaucoup d’acteurs sont indignes d’être les légataires de l’héritage de nos pères fondateurs. Sinon comment comprendre que Aminata Touré -vu son aridité et son agitation, je me demande encore comment elle a pu arriver à la station de cheffe du gouvernement- puisse ne serait-ce qu’oser être candidate à la magistrature suprême. Elle n’est pas la seule certes à être davantage un objet de curiosité qu’un acteur politique sérieux. L’ancienne Première ministre avait accusé en janvier 2024 le Conseil constitutionnel d’avoir «volé» ses parrainages. En février, sans transition aucune, elle salue la décision de ceux qu’elles refusaient d’appeler «Sages» quelques semaines auparavant. C’est cela le Sénégal d’aujourd’hui, ces individus de peu de vertu pullulent dans l’espace politique et poussent d’autres bien plus responsables à prendre la porte. Sur ce sujet, on attribue à Pierre Mauroy cette phrase lumineuse : «Quand les dégoûtés partent, il ne reste que les dégoûtants.»
Nous ne pouvons pas bâtir une démocratie solide sans démocrates, comme il est impossible de construire une République sans républicains. Les juges sont conspués quand ils prennent une décision qui ne va pas dans le sens souhaité par les acteurs d’un camp ; très souvent les mêmes biberonnés à la haine des institutions républicaines, à l’injure et à l’outrance.
A la lecture de la Décision des «Sages», j’ai pensé aux manifestes des 102, des 49, des 117, puis des 104 intellectuels qui proclamaient que nous n’étions plus un Etat de Droit. Sans oublier les échappées solitaires d’intellectuels et de politiques qui se sont passé le mot pour manipuler nos concitoyens et salir notre pays à l’étranger.
Les mêmes qui saluent la décision du Conseil constitutionnel, ont outragé et injurié ses membres, criant au «complot», quand ils ont invalidé la candidature de leur champion sous le coup de plusieurs condamnations. Lui-même les accusait le 8 juin 2022 de «haute trahison», poursuivant de plus belle, il les traitait de «délinquants de la loi». Nos pétitionnaires si prompts à défendre la Justice n’avaient rien entendu…
«Tout ce qui est excessif est insignifiant.» Les pétitions signées par les mêmes et publiées sur la même plateforme, -seuls les titres changent- à la fin, relèvent du radotage, et ça ne fait plus très sérieux. La politique n’est pas un jogging du dimanche matin ni une activité qu’on pratique par intermittence. La politique, c’est l’essence-même pour faire société.
Le Sénégal est une démocratie, certes en chemin. La République a prévu des textes pour résoudre nos différends. Demander à des enfants de descendre dans la rue quand on a introduit un recours -finalement ayant obtenu gain de cause- c’est irresponsable. Mais qu’attendre de gens qui ont formulé ou soutenu deux années durant des insultes et menaces vis-à-vis de magistrats ?
Nous demeurons sur la même ligne de l’attachement viscérale à la République. Vous, qui avez injurié les «Sages» en janvier, venez les féliciter en février. Nous, républicains, sommes restés constants et sur la même ligne car nous ne parlons qu’au nom de notre conscience et de notre attachement à la démocratie et à la République. Quid des enfants qui ont perdu la vie à cause d’adultes de peu de foi ? On ne vient pas en politique pour mourir. Les invocations sacrificielles, les termes «martyr» et «gloire aux morts» sont dangereux et relèvent d’un imaginaire fondamentaliste et extrémiste. On ne peut s’habituer à la mort d’enfants pour ensuite leur accorder un post sur Facebook. C’est d’une sidérante indécence.
Concernant la suite, le gouvernement du Sénégal a eu raison de prendre acte de la décision des juges et de décider de l’exécuter. Il n’y a pas d’alternative à la loi. Imaginons ensemble, en puisant dans le génie sénégalais, les moyens de sortir de l’impasse.
Une dernière chose : ceux qui exigent du président de la République qu’il «arrête de s’immiscer dans l’action judiciaire» sont ceux qui applaudissent la libération de centaines de personnes sur décision individuelle au mépris des procédures en cours. Quand sont libérés sans préavis des gens sur qui pèsent parfois des charges très lourdes, je ne vois curieusement pas les pétitionnaires aux grands principes hausser la voix, signer une pétition et dénoncer une «forfaiture», une «dictature sanguinaire» et appeler le «peuple» à la «résistance». Tout ça au fond contient une seule vertu : voir les masques tomber pour identifier ainsi qui est qui.
PAR Tiébilé Dramé
HOMMAGE AU PEUPLE SÉNÉGALAIS ET À SA DÉMOCRATIE
EXCLUSIF SENEPLUS - Vous nous avez donné tous une belle occasion de relever la tête et de garder allumée la lueur de l’espoir en une Afrique démocratique. Merci Sénégal !
Vendredi matin, 16 février, toute l'Afrique s'est réveillée un peu moins inquiète. Grâce au Sénégal. Grâce au Conseil constitutionnel de ce pays démocratique !
De l'abrogation du décret convoquant le collège électoral, le 3 février, à l'arrêt salvateur du 15 février, nous avons rasé les murs. Si le Sénégal nous fait ça, qu'allons-nous avoir à dire ailleurs sur le continent ?
Hommage au peuple sénégalais, à sa démocratie qui résiste, à sa vibrante société civile, à son opposition politique, à son élite consciente et dynamique, à sa presse toujours debout et à son Conseil constitutionnel !
Au président Macky Sall qui s'est incliné devant le verdict des Sages ! À la mouvance présidentielle qui a accepté le jeu normal des institutions démocratiques.
Vous nous avez donné tous une belle occasion de relever la tête et de garder allumée la lueur de l’espoir en une Afrique démocratique.
Merci Sénégal !
par Amadou Sarr Diop
L’IMPÉRATIF DÉMOCRATIQUE ET LES ENJEUX DE L’ÉLECTION PRÉSIDENTIELLE
EXCLUSIF SENEPLUS - Le processus démocratique depuis le paradigme des trois courants instauré par Senghor n’a pas engendré dans l’histoire politique postcoloniale de notre pays une mobilisation citoyenne sur des questions de développement
La crise suscitée par la tentative de report du scrutin présidentiel a failli ouvrir une ère d’incertitudes, préjudiciable à notre modèle démocratique tant vanté. Mais au-delà de la guerre des « régimes de vérité » et des « régimes de discours » suscitée par la situation de l’heure, la crise révèle deux constats. D’une part, elle est l’indice probant d’un processus de transformation d’un modèle démocratique qui a atteint ses limites, car les turbulences qui ont accompagné le processus électoral révèlent une fin de cycle politique. D’autre part, la crise du moment peut produire de l’inédit dans un désordre fécond d’où naîtront des changements positifs pour notre démocratie si les acteurs s’accorderont, après les élections, à refonder le modèle.
La totalisation démocratique : un lieu de questionnement de la crise politique actuelle
La totalisation démocratique traduit la violation des règles démocratiques par un abus démesuré des espaces de liberté et par la banalisation des institutions de la part des acteurs politiques. Elle indique une sorte de malaise dans le vécu démocratique généré par le divorce entre l’impératif démocratique fondé sur le principe éthico-politique et la manipulation des institutions pour des intérêts partisans. La lecture du contexte politique sénégalais des deux années passées renseigne sur la totalisation démocratique qui a fini par fragiliser les institutions et à développer l’image d’une démocratie balafrée. Au nom de la logique de conservation du pouvoir à tout prix, la gouvernance de Macky Sall a contribué à la dissolution des règles du jeu démocratique jusqu’à produire dans les rapports entre acteurs politiques l’indice d’une rupture de consensus. Ce qui était vendu aux Sénégalais comme un nouveau paradigme, par une gouvernance vertueuse, n’a pas évidemment produit les effets attendus pour éloigner définitivement le Sénégal du cycle de fragilité démocratique dans lequel Wade avait fini par installer notre pays. Avec la seconde alternance, la gouvernance politique n’a pas varié, la pratique démocratique au Sénégal flirte avec la cacophonie du fait de l’irresponsabilité de ses acteurs. Dans ce jeu de l’ombre d’un président fondamentalement partisan, s’est développée une mise en stratégie de la ruse politique, faite de calcul et de manipulation. Au lieu de situer le débat politique au niveau des réalisations factuelles et sur la vision de faire du Sénégal un pays émergent, les politologues et conseillers de tous bords du régime de Macky Sall ont été piégés par l’opposition qui a choisi la stratégie de la délation et la rhétorique de l'engagement politique.
Par ailleurs, les stratégies politiques initiées par l’opposition sénégalaise dans sa stratégie de prise du pouvoir ont été actées en dehors du principe de la modération et de l’intelligence stratégique dans la conquête démocratique du pouvoir. L’opposition radicale qui a porté la lutte politique contre le pouvoir, sous la houlette du théoricien de l’anti-système Ousmane Sonko, a opté pour l’instrumentalisation du désordre. C’est un rapport pouvoir et opposition qui se déploie dans une logique de conflictualité extrême qui a prévalu et dont les conséquences ont conduit à la transgression, par la violence organisée, de l'ordre démocratique dans ses fondements intrinsèques jusqu’à occasionner, selon certaines sources, plus de 50 morts. Le tort de l’opposition à l'endroit du peuple sénégalais a été de privilégier dans son option l'excès de la violence politique dans sa stratégie de lutte contre le régime de Macky Sall. Même dans les régimes de discours destinés à la communication politique, la violence et la radicalité dans le propos ont prévalu. La communication politique depuis bientôt trois années se révèle par l'émergence de régimes discursifs nourris de polémiques continues faites de paroles relâchées et violentes, en dehors des positions programmatiques. L’usage de la violence dans les sociétés démocratiques où les processus d’institutionnalisation des conflits sont très développés et fonctionnent dans son cadre normatif, témoigne d’une impatience ou/et de manque de lucidité politique et de capacité à faire usage de l’intelligence stratégique dans la conquête démocratique du pouvoir.
L’image trompeuse d’une démocratie politique vantée dans le monde
En reportant de manière sine die l’élection à quelques heures de l’ouverture de la campagne électorale, prenant comme prétextes les soupçons de corruption portés sur certains membres du Conseil constitutionnel et le cas Wardini, le président Macky Sall a franchi le Rubicon en oubliant qu’en politique personne ne peut sauter au-delà de son ombre. La décision inattendue a été un coup de poignard pour le peuple sénégalais. C’est comme si les crises sociales et politiques qui ont frappé le Sénégal ces deux dernières années, du fait des hésitations et des errements du régime dans leur résolution, ne suffisaient pas pour établir une crise de confiance entre le citoyen sénégalais et les institutions. Pris dans un contexte fortement politisé, fait de tension permanente où les Sénégalais sont intellectuellement affamés de débats programmatiques autour de leurs préoccupations réelles, la tentative de report de l’élection a réveillé les velléités d’une opposition colérique. Tout pouvait arriver pour notre pays, devenu un enjeu géoéconomique et géostratégique pour les multinationales et les lobbies de tous bords, du fait des récentes découvertes pétrolières et gazières. Cette crainte est justifiée par un contexte géopolitique sous-régional qui a favorisé la présence dans notre pays divers acteurs parasites qui ont investi le champ politique pour en faire une variable déstabilisatrice. Ces acteurs profitent des contextes d’instabilité et de leurs points de ruptures, en amont d’intérêts particuliers à échelles variables : irrédentisme, contrôle des routes du trafic et de la criminalité, islamisme radical. Heureusement, le Conseil constitutionnel a rétabli l’impératif démocratique pour sauver notre pays de la déstabilisation.
Il est évident que des éléments d’histoire peuvent participer à clarifier la situation actuelle. En convoquant quelques constats relatifs à l’histoire politique du Sénégal, on peut comprendre la base explicative des dérives actuelles comme une résurgence des travers d'une démocratie malade de ses acteurs. En interrogeant la pratique de ces derniers et la quintessence de notre modèle démocratique tant vanté, on constate que les élites dirigeantes ont toujours eu la latitude de procéder à des manipulations de nos institutions à des fins de conservation du pouvoir. Le mal de notre système démocratique est l’existence d'un hyperprésidentialisme que certains juristes considèrent comme une pathologie fondatrice des fréquentes retouches constitutionnelles au gré d’intérêts partisans. De Senghor à Macky Sall, en passant par Diouf et Wade, chacun a eu à abuser de notre charte démocratique à des fins partisanes. La démocratie s’est réduite à la seule sphère politique par l’organisation d’élections souvent sources de conflits socio-politiques, de violence et de fragmentation sociale. En réalité, les échéances électorales ont été depuis 1963 des moments de tension : les élections ont alors oscillé entre mode de régulation conservatrice de l’élite gouvernante et moyen de réduire l’opposition à un simple rôle figuratif et décoratif. Le constat est la prééminence d’une démocratie politique où le calendrier électoral est le seul emblème identitaire d’un système amputé de ses véritables missions régaliennes. En effet, le processus démocratique depuis le paradigme des trois courants instauré par Senghor n’a pas engendré dans l’histoire politique postcoloniale de notre pays une mobilisation citoyenne sur des questions essentielles de citoyenneté et de développement. L’adoption de la démocratie, au plan des principes, ne s’est pas traduite dans la réalité de l’exercice du pouvoir encore moins dans les stratégies de développement. Le processus démocratique n'a pas engendré pour notre pays la culture du développement, le culte du travail, bref la conscience citoyenne dans sa plénitude, de manière à induire un engagement citoyen pour l'émergence véritable. Le modèle démocratique sénégalais n’a pas contribué à des stratégies d’auto-expression et d’auto-détermination des citoyens constitués en collectivités à la base pour entreprendre de véritables dynamiques de développement territorial. Nous vivons les avatars d’une démocratie piégée par les travers de son élite politique qui place sa survie au premier de ses agendas. Sous ce rapport, notre système démocratique n’a jamais été un levier de gouvernance en termes d’assomptions de forces d’alternance et de progrès. La figuration et la reconfiguration des forces politiques depuis les indépendances, et les formes d’alliances qui se sont nouées et se sont dénouées au gré des circonstances et des intérêts partisans, donnent l’image d’une démocratie qui ne sert qu’une élite politique de rentiers qui mangent sur le dos du peuple. Or, la mission de l’élite politique dans l’ordre démocratique est d’inscrire le sens de son engagement dans la résolution des préoccupations des populations.
Au-delà des effets de la crise : l'impératif de refondation de la société sénégalaise
Dans le projet de conjurer la crise actuelle, il nous faut sortir des paradoxes structurels d’un modèle démocratique qui propose de fausses solutions à une crise profonde et systémique. Toute tentative de réconciliation même le plus diplomatiquement menée ne peut avoir d’assise solide que fondée sur un principe éthique comme soubassement. Dans son ambition de faire régner l’ordre raisonnable pour éviter les dérives de l’irrationalité du désordre social, la démocratie ne peut se passer du principe éthico-politique qui transcende les intérêts partisans au nom de la souveraineté du peuple. Face au projet de report des élections, perçu comme un coup fatal dans le processus démocratique, se jouent plusieurs enjeux dont leur prise en compte par l’intelligence politique augure, au-delà de la restrictive sphère des agendas politiques, un horizon des possibles dont les contours s’inscrivent dans le vaste projet de refondation de la société sénégalaise pour l'émergence d’un espace politique libéré du piège des politiques. La crise induite par le report de l’élection charrie alors des enjeux dont il faudra tenir compte pour négocier, dans le futur des rencontres, ce qu’il convient d’appeler les bases du consensus refondateur de notre modèle démocratique.
Le premier enjeu est d’ordre citoyen. Il transcende les appartenances politiques partisanes et interpelle les citoyens sénégalais à imposer dans le choix de leurs dirigeants la rigueur de principe. Il faut en finir avec l’effet de sensation dans le choix de nos élites. La lucidité des citoyens dans le choix des dirigeants est l’expression de vitalité démocratique et de maturité citoyenne pour conjurer les dérives dans l'exercice du pouvoir. Sous ce rapport, le piège des convergences d’intérêts partisans dans la fabrique des alliances politiques par des acteurs, mus par leurs propres intérêts, est le premier défi à combattre au regard des dernières échéances électorales municipales et législatives qui ont fait émerger des élus dont les ambitions personnelles et l'immaturité politique laissent loin derrière les projets programmatiques. Les nouveaux opposants du régime de Macky Sall, hier adeptes du système et aujourd'hui au service de l'antisystème, symbolisent un cas de figure d’une élite politique sans doctrine, ni éthique encore de cadre programmatique dans leur engagement politique.
Le second enjeu nous situe dans la problématique du renouvellement de la vieille garde politique hantée par le spectre de l'échec et de l'immobilisme dans le management de nos institutions. L’enjeu est de libérer la démocratie de cette horde de professionnels de la politique qui tirent leurs subsistances des fonctions de sinécure. Il convient de conjurer une situation où des acteurs du jeu politique, qui n’ont ni l'épaisseur intellectuelle ni la compétence, décident de notre destin. Il faut travailler à l’avènement d’une recomposition élitaire autour de l'État pour l’avènement d’une nouvelle forme de gouvernance incarnée par des élites programmatiques pour mettre fin aux tâtonnements dans la gouvernance et surtout pour mettre fin aux détournements et aux gaspillages de nos ressources par une élite politique et administrative corrompue, experte dans les stratégies d’accaparement de ressources et de rentes.
Le troisième enjeu est relatif à l’éducation à la citoyenneté par la fabrique d’un citoyen conscient de ses droits et devoirs. A ce niveau, c'est la refondation de l’école qui s’invite au débat politique et interpelle sur la crise des savoirs enseignés et sur la nécessaire prise en compte de l’éducation aux valeurs et à la citoyenneté. Sous l’angle de la réforme de notre système éducatif, il faut procéder à la refonte de nos curricula pour que la construction des compétences soit corrélée à l’éducation aux valeurs et à la citoyenneté. Le citoyen vit un déficit d’engagement social et privé du sens de l'éthique citoyenne par l’effort dans le travail et dans le respect des règles de vie, à partir de valeurs citoyennes partagées. L’enjeu est de faire participer l’école à la naissance d’un espace politique citoyen qui soit un levier de progrès, d’intégration, de fabrique de l’esprit de citoyenneté.
La réalisation à l’échelle territoriale d’une gouvernance porteuse de dynamiques territoriales de développement est un autre enjeu pour l’impératif démocratique. Elle participe à fixer les jeunes dans leurs terroirs par l'entrepreneuriat à l’échelle territorial autour des activités endogènes liées aux métiers d'artisanat, d'agriculture, d’élevage et de pêche. C’est l’option d’une démocratie à la base porteuse d’initiatives pour la création de projets générateurs de revenus, qui est la voie indiquée pour endiguer la clameur juvénile, revendiquant un bien être pour une reconnaissance sociale.
Enfin, le dernier enjeu est d’ordre médiatique, d'ordre communicationnel. Il s'agit de réaliser des mécanismes pour assainir l’espace médiatique sénégalais devenu un facteur de fracture sociale par la manipulation, par les abus d’opinion, par la brutalisation du débat, sous le prisme de l’«ensauvagement» des relations sociales. L’ampleur du mal de vivre que prend l’ère des nouvelles technologies, et spécifiquement des réseaux sociaux, font le jeu des artisans de l’injure publique. Il est vrai que la subversion à l'égard des modèles de communication classiques a généré un abus de droit à la liberté d’expression, par l’amalgame et l’hypermédiatisation du politique dans le champ communicationnel. Les plateaux de télévision, les antennes de radios, de même que les réseaux sociaux, sont capturés par une horde de journalistes et de chroniqueurs attachés au style porteur des débats de sensation, donnant naissance à ce que certains spécialistes de la science politique appellent les apories de la totalisation démocratique par le dérapage médiatique. L’éducation à la citoyenneté et les débats politiques autour des offres programmatiques peuvent participer à un éveil des consciences, à la construction d’un esprit citoyen.
En définitive, l’annonce du report de l’élection a été une épreuve pour tous les démocrates de ce pays. Mais, au-delà du désastre social et politique qu’elle a occasionné, la crise politique du moment indique à l’horizon, indépendamment de l’alchimie politicienne en cours, un changement de paradigme. L’exigence de rupture par rapport à la manière de faire politique au Sénégal s’impose aux acteurs politiques. Eu égard à ces différents enjeux énoncés dans notre propos, il nous faut regarder l’avenir au-delà de la muraille du désordre actuel. Ce sursaut pour notre pays dépendra de la façon dont seront réglés les problèmes de démocratisation, de gouvernance, de gestion des ressources et de pacification des espaces sociaux où les jeunes seraient pleinement épanouis. L’espoir est permis pour ceux qui savent lire la crise actuelle dans le sens de l’histoire : “l’avenir est plus vrai que le présent”.
Amadou Sarr Diop est sociologue, enseignant-chercheur à l'Université Cheikh Anta Diop de Dakar.
par Jean-Louis Correa et Abdou Khadre Diop
ANALYSE FURTIVE D’UNE DÉCISION ATTENDUE
EXCLUSIF SENEPLUS - Pour la première fois, la haute juridiction s'autorise à travers la décision 1/C/2024 du 15 février 2024 à contrôler une loi nominalement constitutionnelle. Cela ancre le Sénégal un peu plus dans l'État de droit démocratique
Jean-Louis Correa et Abdou Khadre Diop |
Publication 20/02/2024
Comme souvent, cette fois un peu plus, la postérité nous édifiera, le Conseil constitutionnel du Sénégal vient de rendre une décision qui fera date. Saisi à la fois par des députés et des candidats à l’élection présidentielle, le juge constitutionnel, avec la décision 1/C/2024 du 15 février 2024, pose un jalon supplémentaire dans l’œuvre de construction de l’État de droit et de la démocratie au Sénégal.
Dans une écriture à quatre mains d’un privatiste et d’un publiciste, dans une volonté conjointe de décloisonnement de la science juridique, pour mieux visiter les confins des choses, nous vous proposons cette lecture furtive d’une décision attendue.
Une décision de principe et non un revirement jurisprudentiel
Plusieurs enseignements juridiques peuvent être tirés de cette décision. D’un point de vue procédural, la décision 1/C/2024 peut être envisagée comme une décision de principe ou arrêt de principe, comme diraient les privatistes. Le marqueur de l’arrêt de principe étant soit la composition particulière de la juridiction (chambres réunies de la Cour suprême) ou le caractère inédit de la décision rendue par la juridiction saisie. Mais en s’attachant à ce dernier critère, on peut constater le caractère fondateur et principiel des solutions ici dégagées par le juge. On ne saurait ici parler de revirement jurisprudentiel dans la mesure où le Conseil constitutionnel ne change pas sa doctrine. La décision 1/C/2024 est donc une décision de principe, parce qu’étant doublement inédite.
L’acte administratif et le juge constitutionnel : l’audace des requérants
L'originalité première de cette décision réside dans la compétence du Conseil constitutionnel pour connaître d’un recours en contestation de légalité d’un acte administratif. Bien que reconnaissant la plénitude de juridiction de la Cour suprême relativement au contentieux portant sur l’excès de pouvoir des actes administratifs, le juge constitutionnel se déclare tout de même compétent en affirmant que « considérant que s'il est vrai que la Cour suprême est juge de l’excès de pouvoir des autorités exécutives, le Conseil constitutionnel, juge de la régularité des élections nationales, dispose d'une plénitude de juridiction en matière électorale, sur le fondement de l’utile 92 de la constitution ; que cette plénitude de juridiction lui confère compétence pour connaître de la contestation des actes administratifs participant directement à la régularité d’une élection nationale, lorsque ces actes sont propres à ce scrutin. »
Les requérants ont fait preuve d'une grande audace, en saisissant le Conseil constitutionnel en contestation de la légalité d’un décret, en toute connaissance de l’organisation judiciaire du Sénégal et des compétences respectives de chaque juridiction. C’est un véritable coup de poker juridique qui a fonctionné, comme quoi qui ne tente rien n’a rien. Parce que la Cour suprême du Sénégal, dans sa jurisprudence constante, considère les décrets portant sur la convocation du corps électoral, la convocation de l’Assemblée nationale, comme des actes de gouvernement, insusceptibles d’être contrôlés par elle (par ex : CS, arrêt n°19 du 17 mars 2016, Ousmane Sonko c/ État du Sénégal). Cette possibilité judiciaire étant certaine, saisir le juge constitutionnel en contestation de la légalité d’un acte administratif relève d’une réelle témérité procédurale. Si l’auteur de pareille gageure procédurale n’est pas un maître, que nos intercesseurs agréés n’en prennent ombrage, leur profession gardée n’est pas en danger.
Le Conseil constitutionnel, en retenant sa compétence, a comblé un vide, un interstice juridique brandi comme pouvant être un obstacle dirimant à l’intervention du juge. L’acte de gouvernement, que d’aucuns n’ont de cesse de brocarder, est un autoritarisme exécutif d’un autre âge, contraire au jeu de check and balances utile en démocratie. Dans son Considérant 7, le juge constitutionnel, après avoir rappelé la plénitude de juridiction de la Cour suprême pour l’excès de pouvoir des actes administratifs n’en rappelle pas moins sa plénitude de juridiction pour tout ce qui a trait aux élections nationales, qu’elle qu’ait été l’instrument juridique utilisé, acte administratif ou loi.
Ce qui fonde la compétence du juge constitutionnel en contestation de légalité d’un acte administratif, c’est la notion de matière électorale sur laquelle le juge constitutionnel exerce « une plénitude de juridiction ». C’est donc cette pleine compétence qui lui octroie le droit de connaître du contentieux d’un acte administratif parce que ce dernier « participe directement à la régularité d’une élection nationale ». En écho au Code électoral, le Conseil constitutionnel accepte de connaître d’un acte administratif en raison de son rattachement aux élections nationales. Cela constitue en soi un fait inédit et reconfigure le flux du contentieux des actes administratifs.
Sur ce point, il serait curieux de voir le sort des recours formés contre le décret 2024-106 du 3 février 2024 devant la Cour suprême. Celle-ci semble être liée par les dispositions de l’article 92 de la Constitution qui consacrent l’autorité de chose jugée des décisions rendues par le Conseil constitutionnel aussi bien à l’endroit des autorités administratives que juridictionnelles.
Loi constitutionnelle ou loi de dérogation à la Constitution
L'originalité seconde attachée à la décision 1/C/2024 réside dans le fait que pour la première fois, le Conseil constitutionnel entreprend de contrôler la conformité d’une loi constitutionnelle à la Constitution. Rappelons que le périmètre du contrôle de la constitutionnalité des lois se limitait, en pratique, aux lois organiques et aux lois ordinaires. Les lois constitutionnelles en étaient, en principe, exclues.
Une loi constitutionnelle est une loi de révision de la Constitution adoptée par le constituant dérivé selon une procédure prévue par la Constitution, d’où son autre appellation de loi de révision constitutionnelle. A priori, cela peut s’entendre qu’une telle loi ne puisse être contrôlée par le Conseil constitutionnel. L’Assemblée nationale est la représentation du peuple, lorsqu’elle s’engage dans la révision de la Constitution, cette expression de volonté populaire ne saurait être censurée par un Conseil, fut-il constitutionnel, dont les membres sont élus par le président de la République. Si les juges pouvaient s’autoriser de révoquer les lois de révision constitutionnelle, le gouvernement des juges ne serait plus ce spectre décrit par Michel Troper.
Mais en réalité, la loi n°4/2024 adoptée par l'Assemblée nationale, en sa séance du 5 février 2024, est une loi constitutionnelle seulement du point de vue nominal et formel mais, d’un point de vue substantiel et matériel, elle n’est pas une loi constitutionnelle. A s’en tenir qu’à sa dénomination, la loi est dite « loi portant dérogation à l’article 31 de la Constitution ». Le dessein de construction d’un véritable artefact juridique trouve son prélude dans le titre même de la loi.
Pour précision, il n’existe pas dans la Constitution, ni dans le droit constitutionnel, une catégorie de loi dérogatoire à la Constitution. Il n’existe pas non plus de procédure de dérogation à la Constitution qui serait autonome, différente ou détachable de la procédure de révision. Ce qui existe, c’est une loi de révision de la Constitution, encore appelée loi constitutionnelle qui se matérialise par une procédure de révision soit par le biais de l’article 51 ou de l’article 103. La dérogation, par contre, est une modalité et non une alternative à la révision. Comme l’a indiqué le Conseil constitutionnel dans sa décision 3/C/2005 du 18 janvier 2006, une loi de révision constitutionnelle peut avoir pour objet d’« abroger, modifier ou compléter les dispositions de valeur constitutionnelle » et que la dérogation peut être « transitoire ou définitive » (considérant 3).
Le juge constitutionnel, les lois de révision constitutionnelles et le processus électoral
Le Conseil constitutionnel était confronté à deux situations que sont le contrôle des lois de révision constitutionnelle et le contrôle du processus électoral. Sur ces deux questions, le juge constitutionnel est sorti des sentiers battus. Sur le premier point, la haute juridiction constitutionnelle opère un contrôle minimum en retenant sa compétence pour connaître des lois constitutionnelles qui ont pour effet et non pour objet de porter atteinte à des règles intangibles fixées par la Constitution (art. 27 et 103) et à des principes à valeur constitutionnelle de sécurité juridique et de stabilité des institutions. (Considérant 17). Sur le contrôle du processus électoral, le Conseil constitutionnel étend sa compétence à l’appréciation d’actes administratifs intervenant dans ce processus se fondant sur une plénitude de juridiction du Conseil en la matière, même lorsqu’il s’agit d’un décret. Donc les décrets adoptés dans le cadre des élections nationales sont de la compétence du Conseil constitutionnel et non de la Cour suprême.
Constitutionnalisme moderne et résilience du modèle démocratique sénégalais
A l’ère du constitutionnalisme moderne, l’idée de souveraineté ou d’immunité absolue du pouvoir constituant dérivé est de plus en plus remise en cause. Le pouvoir de révision constitutionnelle n’échappe plus au contrôle du juge régional, dès l’instant qu’il porte atteinte aux principes de convergence constitutionnelle définis dans le Protocole de la CEDEAO sur la démocratie et la bonne gouvernance et la Charte africaine sur la démocratie, les élections et de la gouvernance. Cette tendance est attestée par la décision de la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples du 4 décembre 2020, Houngue Éric Noudehouenou c/ Benin.
Le recours au droit comparé permet aussi de relativiser l’absolutisme de la souveraineté du pouvoir constituant, car le contrôle que vient d’opérer le juge constitutionnel sénégalais est déjà consacré depuis 2006 dans la jurisprudence constitutionnelle du Bénin (décision 8 juillet 2006 DCC 06-074) 2001 au Mali (décision du 12 décembre 2001), 1994 au Burundi (décision du 18 avril 1994, Jean Ndeberi, RCCB-40).
Comme la perfection n’est pas de ce monde, il est reproché au Conseil constitutionnel d’inviter les autorités compétentes à organiser l’élection présidentielle dans « les meilleurs délais », alors que l’exercice de son pouvoir de régulation lui aurait permis d’aller plus loin. D’aucuns ont proposé des scénarios, mais notre propos est volontairement élusif à ce sujet. Sauf à respecter la date butoir du 2 avril 2024, la responsabilité et le devoir incombent au président de la République d’organiser l’élection…dans les meilleurs délais.
Quoi qu’il en soit, le modèle de démocratie sénégalais demeure résilient. La démocratie n’est pas un long fleuve tranquille, elle se nourrit de dialectique, de furie et d’impétuosité, au-delà de la simple rhétorique. La conscience démocratique du peuple sénégalais, son attachement viscéral à l’acte de voter ne peuvent être entravés et entamés par aucune circonstance. Mais comme disait Cocteau, « le tact dans l’audace est de savoir jusqu’où on peut aller trop loin ». Souvent alarmés par les secousses et autres soubresauts de la démocratie sénégalaise, celle-ci montre, jusqu’à présent, son aptitude à s’en sortir par le haut. Il ne reste plus que l’intervention du président de la République pour que du haut l’on passât au sommet.
Jean-Louis Correa est Agrégé des facultés de droit, Droit privé, UN-CHK (Ex : UVS).
Abdou Khadre Diop est Agrégé des facultés de droit, Droit public, UN-CHK (Ex : UVS).
GUINÉE, DOUMBOUYA DISSOUT LE GOUVERNEMENT
Ce lundi 19 février, par décret, le colonel Mamadi Doumbouya, chef de la junte guinéenne, a dissous le gouvernement en fonction depuis juillet 2022.
iGFM - (Dakar) Ce lundi 19 février, par décret, le colonel Mamadi Doumbouya, chef de la junte guinéenne, a dissous le gouvernement en fonction depuis juillet 2022.
"Le gouvernement est dissous. La gestion des affaires courantes sera assurée par les directeurs de cabinet, les secrétaires généraux et les secrétaires généraux adjoints jusqu'à la mise en place d'un nouveau gouvernement", a informé un porte-parole de la junte, le général Amara Camara.
Mamadi Doumbouya avait pris le pouvoir fin septembre 2021. Il a consenti, sous la pression internationale, à rendre le pouvoir à des civils élus d'ici à fin 2024, le temps de mener de profondes réformes.
par Pape Samba Kane
PRÉSIDENTIELLE AU SÉNÉGAL : LA FRANCE VEUT JOUER EN ÉTANT SÛRE DE GAGNER
EXCLUSIF SENEPLUS - Paris tenterait à travers le décret français retirant la nationalité à Karim Wade de se racheter une conduite en Afrique après avoir perdu de nombreux soutiens. Mais son implication malavisée risque d'aggraver son déficit d'influence
La France veut-elle redorer son blason en Afrique sur le dos du Sénégal ? D'Europe 1, à RFI-France 24, en passant par une bonne partie de la presse écrite, le tout largement relayé par des sites internet dédiés ou non, les médias français s'en donnent à cœur joie sur le Sénégal, dans une sorte de bashing systématique, depuis le report de l'élection présidentielle au Sénégal ; et avec une telle frénésie, d'ailleurs, que des mots, quelque peu tabous pour eux et, à vrai dire, démodés, comme "Françafrique", "pré-carré", y sont convoqués à tout-va. Même le retoquage, par notre Conseil constitutionnel, du décret présidentiel du 3 février n'y a rien changé. Cela, après que le Quai d'Orsay, pour la première fois de toute l'histoire politique de notre pays, eut pris une position tranchée contre une décision de nature si éminemment politique d'un pouvoir en place chez nous, et réclamé la tenue de l'élection présidentielle à date. Cela, juste après l'annonce du Président Macky Sall. Il n'avait même pas attendu le vote de la loi par l'Assemblée nationale, prévu pour le lendemain seulement.
Face à des options politiques ou décisions gouvernementales contestées de son ancienne colonie chouchoute, la France s'était toujours réfugiée derrière une langue de bois d'ébène, quand elle n'avait pas été, de façon nette ou nuancée, en parfait accord avec ses gouvernants.
Avec la complexité de la situation ayant découlé de cette décision de reporter l'élection, elle-même partie d'une affaire inédite ou d'affaires toutes inédites chez nous, pas la moindre prudence n'a été observée par un pays étroitement lié au nôtre, et dont le moindre cillement d'yeux de ses officiels, même de second rang, sur ce qui se passe chez nous, est scruté et interprété dans tous les sens, souvent de façon subjective, parfois irrationnelle ! - Pas seulement de ses officiels d'ailleurs : la présence la plus remarquée lors du rassemblement de l'opposition, vendredi dernier, 16 février, en France est celle de Jean-Luc Mélenchon, leader de La France insoumise. De quelque façon, la France n'est jamais loin de nos affaires ; parfois, hélas, à la demande de nos politiques de tous bords.
Aujourd'hui plus que jamais, quand, touchée coulée sur le plan géopolitique par... Wagner - des "mercenaires" qu'ils disent -, elle cherche à quoi s'agripper pour surnager, ces railleries des médias français m'interpellent pour deux raisons, l'une relevant de la situation globalement inconfortable de l'ancienne puissance coloniale en Afrique de l'Ouest francophone, où les fondations mêmes de sa politique s'effondrent pilier après pilier, et de façon accélérée ; l'autre partant de ses relations étroites avec notre pays, dont une des manifestations - qui, me semble-t-il, est passée inaperçue aux yeux des observateurs - est directement liée à ce report de l'élection présidentielle - et donc forcément, à toutes ses consequences présentes et à venir. C'est ce décret portant déchéance de la nationalité française pour Karim Wade.
Parlons de cette dernière déjà !
Thierno Alassane Sall, qui avait saisi le Conseil constitutionnel sur la double nationalité de Karim, semblait bien en peine d'en apporter la preuve. Le Conseil constitutionnel, pour sa part, qui avait déjà enregistré et validé la déclaration sur l'honneur du candidat du PDS sur sa nationalité sénégalaise exclusive, n'a pas vocation, et certainement pas compétence d'enquêteur...
Ce décret venu de France - et qui apportait surtout la preuve qu'au moment de sa déclaration sur l'honneur Karim était encore français - n'avait assurément pas pour but de sauver la candidature du fils d'Abdoulaye Wade. Au contraire, et l'autorité française qui l'a fourni le savait très bien. Car au cas où il y aurait eu une brèche quelconque, Karim serait tombé, comme Mme Wardini, sous le coup de la loi, pour parjure.
On peut spéculer dans tous les sens sur ce décret, venu comme un cheveu sur la soupe déjà riche d'ingrédients étranges de cette élection présidentielle inédite au Sénégal, par les complications qu'elle charrie.
La France, par ce coup presque pour rien, sauf qu'il représente la goutte de trop ayant fait déborder le vase vers ce report controversé, tient à sa quête fiévreuse de se remettre dans le jeu en Afrique ! À trop bon compte, il me semble. Elle, qui ne sait plus où elle habite sur le continent noir, étant en train d'être chassée de partout sous les quolibets - "France dégage !", et autres haro - cherche à se remettre avec plus de confort autour de la table du poker géopolitique africain - et le Sénégal, quel que soit le régime qui s'y installera après celui de Macky Sall, en restera une carte majeure. Seulement, elle le fait avec une frénésie parfaitement improductive. Comme dernièrement après le coup d'État militaire au Niger, avec les mouvements de menton du président Macron. On a vu comment cela s'est terminé, la France est allée à Canossa face aux putschistes. - Pour en finir avec ce chapitre, au moment où je vais boucler ce texte, j'apprends par un quotidien (Dakar Times du 19/2) qu'il faut ajouter au grief des Occidentaux envers le Sénégal des accords militaires signés avec la Russie de Poutine par Macky Sall.
Marianne devrait prendre acte que les temps ont changé, peut-être prendre du recul, réfléchir plus longuement à comment se trouver une nouvelle place autour de la table. Avec une nouvelle mentalité. Jouer en étant sûr de gagner - comme elle en à l'habitude en Afrique depuis les indépendances - est la meilleure définition que l'on puisse donner au mot tricher.
Abdoulaye Wade, politicien hors classe et juriste chevronné, coach et principale ligne de défense de son fils, lucide, lui - et c'est soit dit en passant - à choisi cette belle confusion apportée par Paris pour remettre son parti en jeu dans une partie dont il avait été exclu, tout en faisant oublier, dans le brouhaha généralisé, le parjure de fiston. Et ça, ça va être absorbé, dissous dans le dialogue prévu. La très rapide remise en liberté de Mme Rose Wardini l'augure parfaitement.
Macky, lui, et son parti, boivent du petit lait.
Parce que, même si la dernière carte du président a été annulée par le Conseil constitutionnel, la nature hypertrophiée de notre présidentialisme a fait que les sept sages n'ont pu que (ne pouvaient que) remettre la main à Macky Sall, aujourd'hui encore à la tête de son administration, celle-ci chargée d'organiser l'élection, à une date que Sall choisira, le plus rapidement (certes) possible. Vu sa position inconfortable, il ne le fera pas sans concertation avec son opposition, et tous ces gens qui grenouillent autour des politiques pour grappiller de la renommée ou du cash, et que l'on nomme "société civile". Ainsi, le président Sall redevient maître du jeu politique, un jeu qu'il devra quitter le 2 avril prochain, quoi qu'il en soit.
Seulement, à cause de ce présidentialisme... royal - dont nous sommes tous comptables et que personne ne veut vraiment changer - mille possibilités lui sont ouvertes de peser sur l'avenir politique immédiat de ce pays ; surtout si l'on prend en compte toutes ces spéculations autour des raisons qui fondent ces libérations en veux-tu en-voilà de ces centaines de prisonniers dits politiques.
Si la France de Macron, dont on dit aussi qu'elle ne lui a jamais pardonné d'avoir ouvert sa porte à Marine Le Pen - principale menace pour Macron à l'horizon - a jeté ce pavé dans la mare, pensant ainsi sauver ses derniers meubles par la réhabilitation de Karim Wade, et jouer donc, par ricochet, la carte d'une opposition radicale donnée favorite - et depuis quelques temps couvée par ses médias -, eh bien, c'est tout l'effet contraire qui s'est produit...
On verra ce que le pouvoir marron beige et ses alliés feront (politiquement s'entend et dans le cadre de la loi) de l'aubaine d'avoir à fixer une date pour l'élection, qui leur est retombée entre les mains, fournie par un Conseil constitutionnel qui ne pouvait pas faire autrement, n'ayant pas pour vocation d'organiser des élections (et donc d'en fixer la date), mais de les arbitrer !
15 CANDIDATS EXIGENT LA TENUE DE L'ÉLECTION AVANT LE 2 AVRIL
Les candidats considèrent que la liste des 20 prétendants validée en janvier par le Conseil constitutionnel doit être respectée. Ils déplorent qu'aucune mesure n'ait été prise par les autorités pour exécuter la décision de cette institution
Brice Folarinwa de SenePlus |
Publication 19/02/2024
Quinze des vingt candidats retenus en janvier dernier pour l'élection présidentielle sénégalaise ont exigé dans un communiqué consulté par l'AFP que le scrutin ait lieu au plus tard le 2 avril prochain, date d'expiration officielle du mandat du président sortant Macky Sall.
Selon une source fiable de l'Agence France-Presse, les candidats assurent que la liste des vingt prétendants entérinée par le Conseil constitutionnel en janvier reste intangible. Ils constatent "avec amertume" que depuis la décision de l'institution "aucun acte n'a été posé par les autorités dans le sens d'exécuter celle-ci", peut-on lire dans le communiqué signé notamment par l'ancien maire de Dakar Khalifa Sall et le candidat anti-système Bassirou Diomaye Faye.
Cette prise de position intervient alors que les Sénégalais ignorent toujours la date du prochain scrutin présidentiel après l'invalidation par le Conseil constitutionnel de la décision du chef de l'État Macky Sall de reporter l'élection. Ce dernier a toutefois assuré vendredi son intention de "mener sans tarder les consultations nécessaires pour l'organisation de l'élection dans les meilleurs délais", comme le requiert la plus haute juridiction du pays.
Les quinze candidats signataires du communiqué, parmi lesquels ne figurent pas le Premier ministre Amadou Ba ni les anciens chefs de gouvernement Idrissa Seck et Mahammed Boun Abdallah Dionne, exigent donc que le second tour de la présidentielle se tienne au plus tard le 2 avril prochain, date d'expiration du mandat en cours.
par l'éditorialiste de seneplus, pierre sané
LE PRÉSIDENT DOIT DEMANDER PARDON AU PEUPLE SÉNÉGALAIS
EXCLUSIF SENEPLUS - Il nous appartient de nous assurer qu’il nous organisera une élection sans « tricheries ». Ce qui demeure un défi majeur y compris le jour du scrutin. La vertu n’est pas une marque de fabrique de ce régime
Au Sénégal, on se dirigeait cahin-caha vers une élection présidentielle qui devait enfin clore un magistère heurté et en ouvrir un nouveau plus serein. Comme précédemment le processus électoral avait été marqué par les controverses habituelles liées au Code électoral, au fichier, à la participation d’Ousmane Sonko, au système de parrainage, etc. Rien de nouveau. Le président avait encore convoqué un dialogue visant à produire un accord porté ensuite par un projet de loi et un passage à l’Assemblée. S’étant enfin assuré de l’exclusion d’Ousmane Sonko, le président avait émis un décret convoquant le corps électoral à une date permettant l’investiture du nouveau président dans les délais constitutionnels. Le Conseil constitutionnel avait achevé son travail en validant 20 candidatures et en suscitant les mécontentements usuels. La campagne électorale pouvait enfin commencer, annonçant le début de la fin. Les Sénégalais, le peuple souverain attendaient patiemment ce rendez-vous de la délivrance.
Et puis patatras !
Le 3 février, le président nous annonce d’un ton péremptoire, en trois minutes et avec deux heures de retard, « J’annule tout ». Pourquoi ? A cause d’accusations de corruption épinglant deux membres du Conseil. La majorité parlementaire dans la précipitation en profita pour allonger la durée du mandat du président en lui servant son fameux « dessert.» Le tout en trois jours et en violation flagrante des dispositions intangibles, constitutionnelles.
L’incroyable légèreté des raisons avancées avec désinvolture et la mauvaise foi manifeste ont suscité un tollé général dans le pays ainsi qu’à l’international. La riposte s’est alors organisée autour d’un non massif et résolu. La répression est encore une fois violente avec un usage excessif de la force par la gendarmerie, causant la mort de trois jeunes sénégalais tués par balles réelles et s’ajoutant aux soixante victimes des répressions sanglantes de juin 2021 et mars 2023. Macky Sall s’est alors rendu compte qu’il s’était engouffré dans une impasse et a commencé a se chercher désespérément une porte de sortie. Comment se sort-on d’une voie sans issue ? Pourtant le panneau de sens interdit était clairement affiché !
Le Conseil constitutionnel s’étant ré-approprié ses compétences a statué que Macky Sall et sa majorité parlementaire avaient violé la Constitution du pays et le Conseil a procédé purement et simplement a l’annulation des textes soumis. Injonction ayant été donné à l’exécutif de poursuivre le processus électoral et d’organiser l’élection dans les délais permettant d’éviter une vacance dans l’exercice de la fonction présidentielle. Ce à quoi le président s’est engagé.
Va-t-il s’y tenir ? Il faut dire qu’il y a une rupture de confiance entre le peuple et son président. Faut-il le croire ?
Car la question qui interpelle, c’est pourquoi ? Pourquoi avoir crée cette crise dont les conséquences sont désastreuses ? En matière de vies perdues, de blessés, de nouvelles cohortes d’arrestations, de pertes économiques, de dysfonctionnements institutionnels, de dégringolade de la réputation internationale du Sénégal ? A deux mois de son départ de la tête du pays ?
Pourquoi ? Ignorance coupable de la Constitution ? Violation délibérée de notre pacte fondamental ? Assurance que le Conseil constitutionnel allait entériner cette forfaiture ? Peur obsessionnelle de perdre le pouvoir au profit d’une alternative populaire et déterminée ? Sans réponse à ces questions quelles garanties avons-nous que le président va se soumettre aux injonctions du Conseil constitutionnel ?
Il semblerait que le discours du 3 février ait été une réponse angoissée à la probabilité d’une victoire du candidat du Pastef. Contrairement à ce que disent certains, Macky Sall n’avait rien planifié, n’a rien anticipé et n’a pas de stratégie de sortie de crise. Il s’agite dans l’improvisation au jour le jour à la recherche de voies de contournement de la loi et des règles, et de pare-feux pour contrer les incendies qu’il a lui même allumés. C’est un homme sans convictions avec une prédilection pour les coups tordus, mais il reste affligé du handicap de l’incompétence. Le seul cap qui l’obnubile, c’est la conservation du pouvoir le plus longtemps possible et la main basse sur le pétrole. « Apaisement », « Dialogue », « Réconciliation » ne sont que des parades destinées à gagner du temps.
Va-t-il se résoudre maintenant à suivre le droit chemin en commençant par demander pardon aux familles de toutes ces victimes abattues par sa police ?
Il n’y a que deux possibilités pour une nouvelle date du scrutin : les dimanches du 3 mars ou du 10 mars. C’est un problème technique auquel les « services compétents » doivent s’atteler comme requis par le Conseil constitutionnel. Nul besoin de dialogue. Avait-il dialogué avant de convoquer le corps électoral initialement ? Avait-il dialogué avant d’annuler cette convocation ?
Le dialogue semble être “l’arme fatale”de Macky Sall.
L'Arme fatale (Lethal Weapon) est une comédie policière américaine réalisée par Richard Donner et sortie en 1987. C'est le premier opus d'une série de quatre films, poursuivie avec L'Arme fatale 2 (1989), L'Arme fatale 3 (1992) et L'Arme fatale 4 (1998). Même réalisateur, mêmes acteurs (Mel Gibson, Dani Glover) même histoire, même scénario, même épilogue. On s’en lasse ! D’ailleurs, un 5ème film initialement prévu en 2020 n’a toujours pas vu le jour. Ce qui sera probablement le sort du nouveau dialogue qu’on nous annonce.
Notre président s’inspire d’une comédie policière pour nous servir une comédie politique à répétition et de très mauvais goût. Car dans une démocratie, le dialogue est permanent et ne saurait être circonscrit à un événement circonstanciel au palais de la République. Le dialogue requiert une certaine disposition d’esprit fondée sur une culture démocratique, animé par une bonne foi réelle et une capacité d’écoute sincère. Attributs qui font cruellement défaut à notre président.
Comment convaincre le peuple qu’on est ouvert au dialogue lorsqu’on ferme la télévision Walfadjiri à sa guise et qu’on bâillonne les “sans voix”? Se privant ainsi de la possibilité de les entendre sans filtre ? Comment convaincre la classe politique lorsqu’on interdit l’accès à la télévision nationale de candidats validés pour l’enregistrement de leurs messages de campagne ? Ou lorsqu’on aboutit en prison pour un post Facebook comme le Secrétaire général du Pastef ?
Quelle est l’opportunité d’un dialogue après avoir pris une décision qu’il faut maintenant avaliser et où il s’agit en fait d’en gérer les conséquences ? Par ”consensus presidentiel” ? Qu’est-ce que ce dialogue fondamentalement asymétrique ou les conclusions sont portées au président pour décision selon son bon vouloir ? C’est quoi ce dialogue ou les communicants du pouvoir se sont immédiatement mis à caqueter : Sonko « inflexible » face à la « mansuétude » du président ?
Au Sénégal, on réprime violemment pour « préserver la paix », on gaze les manifestants pacifiques pour les amener à « dialoguer », on tue pour « contenir la violence », on libère des détenus innocents pour faire de la place pour de nouvelles cohortes de détenus tout aussi innocents et ce pour “apaiser” la situation. Une terminologie plus appropriée serait :”Otages”.
Au fond, le président appelle à un dialogue pour négocier une amnistie générale destinée bien sûr à couvrir ses propres crimes et ceux de ses complices. Encore faudrait-il qu’ils demandent pardon au préalable. Et que dire de sa dernière trouvaille, son appel immoral à l’armée ?
Quand Macky Sall s’essaie à la subtilité, sa balourdise naturelle reprend le dessus. La menace et le chantage sont tellement lumineux que tous les Sénégalais comprennent aussitôt. Il nous dit en français facile, soit vous acceptez mon décret d’annulation et de report, soit je remets les clés du palais à l’armée.
Nous Sénégalais propriétaires de ce pays, propriétaires du pétrole et du gaz, propriétaires de ce palais, propriétaires de ce mandat, n’avons pas notre mot à dire
Quelle outrecuidance ! Quelle morgue ! Quelle arrogance!
Il pense ainsi pouvoir réaliser son ambition déclarée de réduire l’opposition à sa plus simple expression en installant au moment de son départ un régime militaire pour parachever son obsession. De fait, il traite désormais tous les Sénégalais en ennemis, puisqu’ils se sont rangés majoritairement du côté de l’opposition
A-t-il renoncé ?
Ce président aura tout simplement été une calamité pour le Sénégal. Chaque fois qu’il commet une illégalité, il nous surprend encore en tombant plus bas. Et quand il atteint le fond, il continue à creuser tel un forcené. Et certains veulent aller dialoguer avec un homme qui déclenche un coup d’État et après aspire à le prolonger avec un putsch. Faire une passation de service volontaire avec un gradé de l’armée ? On aura tout vu.
Quand on est dans une impasse, il faut tout simplement admettre qu’on s’est trompé de chemin et faire demi-tour avant qu’il ne soit trop tard. Un président a le droit de faire preuve d’humilité et de demander pardon.
Mais je ne suis pas sûr qu’il pourra trouver cette disposition dans son fumeux“code d’honneur“ou ce qu’il en reste. Il nous appartient donc de lui imposer le chemin et de nous assurer qu’il nous organisera une élection sans « tricheries », ce qui demeure un défi majeur y compris le jour du scrutin. Car la vertu n’est pas une marque de fabrique de ce régime.
Le Conseil constitutionnel a indiqué la voie de sortie de l’impasse.
Par Dialo DIOP
QUI DONC A PEUR DU SUFFRAGE UNIVERSEL EN AFRIQUE ?
Tel un poing dans un gant de velours, Macky Sall appelle l’opposition véritable à un énième « dialogue national », tout en la réprimant férocement et en la menaçant aujourd’hui d’un possible coup d’Etat militaire (1/2)
Première partie : Senghor, père du système du parti-État
Tel est pris qui croyait prendre, dit la fable !
Ivre de son pouvoir absolu, le président sortant Macky Sall, usant et abusant de la force et de la ruse, est tombé dans son propre piège. Il est en effet passé maître dans l’art pervers de dire et de se dédire, de faire puis de défaire, de signer telle quelle la Charte de gouvernance démocratique des Assises Nationales comme candidat, avant d’y annexer des réserves fictives une fois installé au palais présidentiel, prétextant qu’il ne s’agit « ni de la Bible, ni du Coran », de se proclamer « gardien de la Constitution » tout en la foulant aux pieds chaque fois que de besoin, etc.
Sentant sa fin prochaine, voilà qu’il s’affiche désormais en apprenti-dictateur, évoluant ouvertement vers une dictature déclarée et assumée : tel un poing dans un gant de velours, il appelle l’opposition véritable à un énième « dialogue national », tout en la réprimant férocement et en la menaçant aujourd’hui d’un possible coup d’Etat militaire !
Mettant ainsi brutalement fin à la prétendue « exception sénégalaise » en Afrique, avec l’effondrement désormais évident de la vitrine trompeuse du tant vanté « modèle de stabilité démocratique », au terme d’une longue agonie de plus d’un demi-siècle…
Une rétrospective historique s’impose, même réduite à la seule dimension politico-électorale de la question démocratique en Afrique, avec le Sénégal pris pour « type de description »
Rappelons d’abord qu’au temps de la domination coloniale directe, le droit de vote était réservé à une minorité de « citoyens français » (dont une poignée d’autochtones et de métis), l’immense majorité des « sujets indigènes » en étant « légalement » exclue par le sinistre Code de l’Indigénat, qui ne sera aboli qu’au lendemain de la Seconde Guerre mondiale (1946).
Par la suite et jusqu’à la cascade des fausses indépendances octroyées, consécutives à l’unique et retentissant « Non » historique de Sékou Touré au pseudo-référendum de Charles de Gaulle (1958), c’est le régime hybride du « double collège » électoral qui va prévaloir.
Depuis lors, nous continuons à subir une domination indirecte de type néocolonial. Au sein de l’ancien empire français d’Afrique, le mode privilégié d’accession au pouvoir d’Etat, et de sa transmission, reste le modèle dévoyé d’Haïti, première république libre, c’est-à-dire non esclavagiste, des Amériques et de la Caraïbe (1804) : coups d’Etat à répétition, avec ou sans assassinat du président déchu, élections truquées et donc violentes, dictature du clan Duvalier (père et fils) avec ses milices armées (Tonton macoutes), trafics en tous genres, etc.
Signalons à titre de comparaison, qu’aux États-Unis d’Amérique, après l’abolition formelle de l’esclavage à la fin de la Guerre de Sécession (1865), les Africains déportés vont devoir poursuivre leur lutte d’émancipation durant un siècle supplémentaire avant d’arracher le droit de voter (1965), un an après l’obtention des droits civiques ayant mis fin à la ségrégation raciale dans les lieux publics ! Tandis qu’en France républicaine, le même droit de vote n’a été reconnu aux femmes qu’en 1947 !
Soulignons, par ailleurs, que le plus ancien mouvement africain de libération, l’ANC d’Afrique du Sud fondé en 1912, (avant la révolution bolchévique en Russie) fut le dernier à accéder au pouvoir en n’arrachant le droit de vote au régime d’apartheid afrikaner qu’en 1994 (après la désintégration de l’URSS) ! Un scrutin sans listes électorales ni carte d’électeur, qui s’est déroulé paisiblement dans l’ensemble du pays, sauf au Kwazulu Natal dont le chef Buthelezi s’est désespérément opposé au principe majoritaire du suffrage universel : une personne, une voix.
Pour en revenir au Sénégal officiel, chacun sait qu’après le « Oui » frauduleux lors du référendum gaulliste et l’éclatement provoqué de l’éphémère Fédération du Mali, le 20 août 1960, c’est l’élimination machiavélique de l’aile nationaliste du premier gouvernement de l’Union Progressiste Sénégalaise (UPS), incarnée par le Président du Conseil Mamadou Dia et celle de ses compagnons d’infortune, victimes du faux coup d’Etat du 17 décembre 1962, qui va faire basculer durablement le pays dans l’impasse du néocolonialisme senghorien.
Dès 1963 et dans la foulée du pseudo-référendum constitutionnel truqué, l’élection présidentielle senghorienne du 1er décembre va se solder par le massacre de centaines de citoyens par l’armée, à partir d’hélicoptères, aux Allées du Centenaire notamment…
Une tragédie occultée dans la mémoire collective, marquant pourtant l’avènement du système de Parti-Etat, qui perdure jusqu’à nos jours. Ce monolithisme politique va se doubler d’un monolithisme syndical, au lendemain de la grève générale des étudiants et des travailleurs de mai-juin 1968, sanctionnée par la dissolution de l’UNTS au profit de la CNTS, adepte de la « participation responsable ». Ainsi, ce que l’on pourrait appeler la première année blanche scolaire et universitaire au Sénégal date-t-elle de 1969. Mais, la persistance de cette crise politique, économique et sociale va contraindre le président Senghor d’abord à se doter d’un Premier Ministre (Abdou Diouf : 1970), puis à tolérer la création d’un parti non pas d’opposition, mais dit de « contribution » (PDS d’Abdoulaye Wade :1974). Il va, par contre, s’opposer jusqu’au bout à la reconnaissance du Rassemblement National Démocratique (RND) de Cheikh Anta Diop, de 1976 à 1981, n’hésitant pas à recourir à une « loi constitutionnelle » sur mesure, selon laquelle il n’existerait que trois courants de pensée politique dans le monde contemporain: le « socialisme démocratique» pour son propre parti devenu socialiste (PS), le « libéralisme démocratique » imposé au PDS Me Wade, qui se réclamait jusqu’alors du « travaillisme », et enfin le « marxisme-léninisme » proposé au RND.
Si Me Wade s’est plié à ce diktat idéologique, Cheikh Anta Diop s’y refusa catégoriquement, s’étonnant de l’absence du panafricanisme dans cette « nomenclature idéologique » ad hoc !
Tout au contraire, fort de son bon droit et récusant l’option de la clandestinité, il va poursuivre au grand jour l’édification d’un parti de masse. N’hésitant pas à interpeller le chef du parti-Etat par lettre ouverte ou à lancer le journal du RND, Siggi qui deviendra Taxaw, afin d’échapper à une interdiction pour faute d’orthographe ; ou bien à pétitionner massivement, à l’intérieur du pays comme à l’étranger, pour la légalisation du parti, ou encore à pousser à la fondation du premier Syndicat des Cultivateurs, Éleveurs et Maraîchers du Sénégal, qui fonctionne encore près d’un demi-siècle plus tard…
Par ailleurs, il convient de relever qu’avant sa démission pour prendre une retraite politico- administrative en France, le proconsul français Senghor a pris le soin d’installer au pouvoir son Premier Ministre Abdou Diouf, à la faveur d’une autre manipulation constitutionnelle par voie parlementaire, (article 35 ancien) lui permettant d’achever le mandat en cours…
Cependant, dès son accession au sommet de l’Etat, le successeur désigné fit mine de prendre le contrepied de son bienfaiteur. Notamment, en initiant une certaine ouverture du jeu politicosyndical et médiatique. Au-delà d’un multipartisme élargi, et non pas intégral, inauguré par la reconnaissance du RND, il va favoriser un pluralisme syndical ainsi qu’une relative liberté de la presse tant écrite qu’audio-visuelle, notamment à la radio-télévision d’Etat. Malgré ces avancées démocratiques limitées, cet héritier politique de Senghor va suivre ses pas pour l’essentiel ; d’abord en persistant dans la violation délibérée de l’article 32 ancien de la Constitution, qui interdisait le cumul des fonctions de chef de l’Etat et de chef de Parti : un « maa tey » fondamental, base même du système du Parti-Etat et source de tous les abus de pouvoir. Cette disposition légale restera néanmoins lettre morte jusqu’à la survenue de l’alternance en l’an 2000. Sauf que le nouveau président Wade, en bon politicien opportuniste, la contournera en supprimant purement et simplement cette incompatibilité dans sa Constitution de 2001 ! De plus, cette dernière, qui a institué le droit à la marche pacifique, sera par la suite annulée de facto, par l’interdiction de manifester au centre-ville de Dakar sur simple arrêté de son ministre de l’Intérieur du moment, Ousmane Ngom…
De même, l’on ne saurait passer sous silence la tragédie du 16 février 1994 qui, au terme d’un meeting légal tenu à Gibraltar sur demande du RND, dans le cadre de la Coordination des Forces Démocratiques (CFD), donnera lieu au massacre d’au moins une demi-douzaine de policiers innocents par des éléments infiltrés, au Triangle Sud : un crime de sang demeuré impuni à ce jour…
Enfin et surtout, après vingt ans au pouvoir, le président Abdou Diouf va solliciter un septennat supplémentaire, ce qui lui sera fatal à l’issue d’un second tour remporté par une coalition de coalitions de l’opposition au sein d’un « Front pour l’Alternance » (FAL 2000).
A l’image de son prédécesseur, il va s’offrir une retraite dorée en métropole, tous deux embrigadés au service de la « défense et de l’illustration » de la culture française !
Dès son avènement tardif, le prétendu « Pape du Soppi », d’emblée ivre de pouvoir, va réduire le changement promis au simple renouvellement partiel du personnel politicien dirigeant, tout en pratiquant sans aucune gêne une continuité aggravée dans sa politique tant intérieure qu’extérieure. Deux exemples suffisent pour en témoigner :
D’une part en début de mandat (2002), survient le naufrage du bateau le Joola, avec environ deux mille morts. Ce qui en fait la plus grande catastrophe de l’histoire de la marine marchande en temps de paix, quoique le navire fût sous commandement militaire…
Ce traumatisme massif a marqué la rupture du contrat de confiance qui, croyait-on, liait le père Wade à « son peuple ». En tout cas, une cassure brutale aggravée par la gestion calamiteuse des suites humaines et administratives de la tragédie, avec la tardiveté des secours, le refus de renflouer l’épave et surtout le traitement scandaleux réservé au rapport accablant de la commission d’enquête.
D’autre part en fin de mandat, cet adepte autoproclamé du « panafricanisme » va jeter le masque lors de l’agression tripartite franco-anglo-étatsunienne (OTAN) contre le chef de l’Etat libyen, Mouammar Kadhafi (2011). D’abord en sabotant la mise en œuvre de la résolution consensuelle du Conseil de Paix et de Sécurité de l’Union Africaine en faveur d’une médiation entre belligérants libyens, ensuite et surtout en conduisant son infâme mission à Benghazi, accompagné de son fils Karim et sous escorte aérienne militaire française, avec une couverture en direct des radio-télévisions françaises…De ce fait, le père Wade aurait dû être traduit devant la Haute Cour de Justice pour flagrant délit de haute trahison de l’Afrique. Deux décennies plus tard, les peuples soudano-sahéliens continuent de payer un lourd tribut humain, économique et écologique pour cette forfaiture demeurée impunie.
Pourtant, ce n’est pas ce crime aux conséquences dévastatrices pour notre continent qui va coûter son trône au président Wade, mais plutôt sa tentative à peine voilée d’organiser une succession de type dynastique en faveur de son fils bien-aimé. Ceci, sous le couvert d’une énième manipulation de la Constitution via la Chambre d’enregistrement parlementaire.
Il aura fallu le soulèvement massif du peuple de Dakar et sa banlieue, un mémorable 23 juin 2011, autour de la bien nommée Place de Soweto (une fois n’est pas coutume !), où siège l’Assemblée nationale, pour le contraindre à renoncer à son projet de révision scélérate. Ce désaveu populaire du président sortant, briguant un troisième mandat inconstitutionnel, se verra confirmé quelques mois plus tard par une humiliante défaite électorale au second tour, face à une nouvelle coalition de coalitions qui, ironie de l’histoire, bénéficiera à un de ses anciens poulains, injustement banni !
L'UA ACTE L'EXCLUSION OFFICIELLE D'ISRAËL DE L'ORGANISATION
Israël n'est désormais plus le bienvenu à l'Union africaine. Après une expulsion mouvementée il y a un an et les critiques contre son offensive à Gaza, l'État hébreu se voit définitivement privé de son statut d'observateur
Brice Folarinwa de SenePlus |
Publication 18/02/2024
Après des années de tensions, l'Union africaine (UA) a officiellement retiré son statut d'observateur à Israël lors de son sommet qui s'est tenu du 17 au 18 février 2024 à Addis-Abeba, en Éthiopie. Cette décision marque la fin d'un long débat sur la présence de l'État hébreu au sein de l'organisation panafricaine.
L'incident qui avait précipité ce retrait de statut s'était produit en février 2023. Une délégation israélienne avait alors été expulsée sans ménagement de l'Assemblée générale de l'UA alors que se tenaient les discussions entre chefs d'États africains. L'Afrique du Sud et l'Algérie s'opposaient fermement au statut d'observateur d'Israël. Cependant, la question n'avait pas été officiellement tranchée à l'époque.
Un an plus tard, le débat a été définitivement clos suite à l'opération militaire d'Israël dans la bande de Gaza en octobre 2023. "Le dossier concernant l’accréditation d’Israël est clos", a déclaré un haut cadre de l'UA cité par Le Monde. La porte-parole de la commission de l'UA, Ebba Kalondo, a précisé que "Israël n’est pas invité au sommet" . Après deux ans en tant qu'observateur, Israël se retrouve donc exclu de l'institution.
À l'inverse, l'Autorité palestinienne était au centre des discussions. Le Premier ministre palestinien Mohammad Shtayyeh, invité à la tribune, a reçu de longs applaudissements pour son discours sur la défense de la Palestine face au colonialisme. Les dirigeants africains présents ont vivement condamné les actions d'Israël à Gaza, qualifiées de "plus flagrante violation du droit humanitaire international" par le président de la Commission de l'UA, Moussa Faki Mahamat.
L'Afrique du Sud, à l'origine du dépôt d'une plainte contre Israël devant la Cour internationale de justice (CIJ) pour "génocide" contre les Palestiniens, a été félicitée. En janvier 2024, la CIJ a effectivement donné raison à Pretoria sur ce point, une victoire "célébrée" à l'UA selon la chercheuse Liesl Louw-Vaudran.
Toutefois, l'influence d'Israël sur le continent africain reste importante, fruit d'années de diplomatie intensive depuis les années 2010 selon Le Monde. Bien que banni formellement, des représentants israéliens ont encore été aperçus à Addis-Abeba pendant le sommet. Israël continue à entretenir des relations étroites avec de nombreux pays africains dans les domaines de la sécurité, du renseignement et de la défense.