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26 novembre 2024
Opinions
par Thierno Alassane Sall
UNE INJURE À L'HISTOIRE DU SÉNÉGAL
Cette révision doit être considérée comme nulle et de nul effet. Le mandat de Macky Sall expire le 2 avril. Au-delà, ce ne serait que par un coup d'État flagrant et par une dictature plus décomplexée que Macky Sall pourrait s'imposer
Le président de la République s'est arrogé des pouvoirs qu'il n'a pas, piétinant la Constitution du Sénégal. Le Parlement vient de violer l'article 103 de la Constitution, qui rend impossible la prolongation du mandat limité à cinq ans par l'article 27. Ces manœuvres criminelles sont une injure à l'histoire du Sénégal.
Cette révision doit être considérée comme nulle et de nul effet. Le mandat de Macky Sall expire le 2 avril. Au-delà, ce ne serait que par un coup d'État flagrant et par une dictature plus décomplexée que Macky Sall pourrait s'imposer.
La CEDEAO et la France, qui dénonçaient hier la conduite du capitaine Ibrahim Traoré au Burkina Faso et du colonel Assimi Goïta au Mali, s'accommodent du putsch de Macky Sall. Ce même Macky Sall qui, en 2016, a envoyé nos troupes en Gambie pour soit disant contrer la confiscation des élections par Yaya Jammeh. Aux démocrates, républicains et patriotes de tous bords : nous ne devons pas faire moins que Macky Sall contre Yaya Jammeh !
par Camille Bounama Sylla
L'APPEL D'UN PATRIOTE À LA RAISON
Monsieur le président, en annulant les élections, vous avez pris une décision qui est perçue par de nombreux citoyens comme un manque de respect envers notre démocratie et les principes fondamentaux qui la sous-tendent
Je vous écris aujourd'hui en tant que citoyen sénégalais profondément troublé par les récents événements politiques qui ont secoué notre pays. En tant que patriote, je reste attaché à mon identité sénégalaise malgré les difficultés que nous traversons.
Le Sénégal a longtemps été considéré comme un modèle de démocratie en Afrique, un pays où les valeurs de liberté, de justice et de transparence étaient respectées. Cependant, l'annulation des élections a provoqué une fracture dans notre système démocratique et a semé le doute quant à la stabilité politique de notre nation. Pour exprimer ma profonde déception et ma préoccupation quant à l'annulation des élections présidentielles. Cette décision remet en question votre leadership et pourrait avoir des conséquences négatives sur votre réputation à l'échelle internationale.
En tant que président de notre pays, vous avez la responsabilité de représenter les intérêts et les aspirations de notre peuple. En annulant les élections, vous avez pris une décision qui est perçue par de nombreux citoyens comme un manque de respect envers notre démocratie et les principes fondamentaux qui la sous-tendent.
Cette annulation peut également avoir un impact significatif sur votre position sur la scène internationale. En tant que Président, vous avez été reconnu pour votre engagement en faveur de la paix et du développement, et votre rôle en tant que président de la cedeao a renforcé votre visibilité et votre influence à l'échelle mondiale. Cependant, cette décision pourrait compromettre cette reconnaissance et entraîner une perte de considération de la part de la communauté internationale.
Je vous exhorte à réfléchir attentivement à l'impact de vos actions sur notre pays et sur votre propre héritage en tant que leader. Il est essentiel de prendre des décisions qui sont dans l'intérêt de notre nation et qui respectent les principes démocratiques.
Je vous encourage à envisager toutes les options disponibles pour rétablir la confiance du peuple et pour organiser de nouvelles élections de manière transparente et équitable. Cela permettrait de restaurer la crédibilité de notre gouvernement et de renforcer votre propre position en tant que leader respecté.
Je garde l'espoir que vous prendrez en considération ces préoccupations et agirez dans l'intérêt supérieur de notre pays.
Cordialement.
par Ndèye Aram Dimé
LE PDS OU L’ÉCOLE DU CHAOS
Pour le parti libéral, les rapports de force ont toujours opposé un État à la rue. C’est à cette même école que sont allés Macky Sall et tous les députés actuels ou affiliés à cette formation politique
L’histoire bégaie. Depuis sa formation en 1974 et durant la vingtaine d’années d’opposition au pouvoir socialiste, le modus operandi du PDS a toujours été d’instaurer un rapport de force pour espérer contraindre le pouvoir en place à négocier. Pour le PDS, les rapports de force ont toujours opposé un État à la rue. Démis en 2012 par la volonté populaire et par la même jeunesse qu’il a longtemps instrumentalisée contre le pouvoir socialiste, le PDS entend poursuivre sa stratégie du désordre en menaçant la viabilité de nos institutions.
Le PDS n’a jamais connu et accepté qu’une logique binaire : gagner ou plonger le pays dans le chaos. Sans aucune autre considération pour l’intérêt des Sénégalais.
C’était déjà le cas au Congrès extraordinaire du PDS en janvier 1988 avec le fameux appel à brûler les cartes (« Réunissez vos cartes et celles de vos parents et brûlez-les ! Je ne souhaite voir aucune carte. Ce sont des cartes de la fraude… »). C’était encore le même message en 1993 à l’élection présidentielle du 21 février qui a vu réélire Abdou Diouf.
Vint le temps du pouvoir et celui de la destruction. Le 23 juin 2011, au lieu de quitter le pouvoir dans la dignité des grands leaders, les libéraux ont encore tenté de s’accrocher en tripatouillant la Constitution pour organiser la dévolution monarchique du pouvoir à Karim Wade. Pour rappel, la réforme visait à abaisser de 25% le seuil minimum des voix nécessaire au premier tour pour élire un « ticket présidentiel » comprenant un président et un vice-président. Face à la colère de la rue et d’une jeunesse déterminée à préserver la démocratie de notre pays, Abdoulaye Wade avait été contraint de renoncer à la réforme.
La liste des méfaits pour détricoter, avec un vice coupable, notre nation et notre culture démocratique bâties tant bien que mal à la faveur de combats, n’est pas exhaustive. C’est à cette même école que sont allés Macky Sall et tous les députés actuels ou affiliés au PDS. Ce 5 février 2023, ce sont ces mêmes ennemis des Sénégalais, avec la complicité de la grande famille libérale, qui reviennent avec une proposition de loi constitutionnelle portant dérogation à l’article 31 de la Constitution, avec pour but unique de proroger la durée de mandat du président Macky Sall dont l’échéance constitutionnelle est fixée au 2 avril 2024. Ceci à peine à quelques heures du lancement de la campagne électorale officielle.
Après douze années de gouvernance faite de prévarication, de corruptions, d’enrichissement indécent sur le dos des Sénégalais, et ne disposant plus ni de la légitimité ni de la capacité de mobiliser les Sénégalais dans les rues pour imposer un rapport de force que d’antan, le PDS a choisi la méthode de la diversion et du chaos au sein des institutions, aidé en cela par Benno Bokk Yakkar et la famille libérale. Le plan est tout tracé. Pour les premiers imposer un candidat dont le Conseil constitutionnel, après examen, a choisi d’écarter la candidature en vertu de la loi fondamentale de la République. Pour les seconds, d’une part, transformer une crise interne à leur coalition en crise nationale, et, d’autre part, changer en pleine course un cheval, Amadou Ba, trop boiteux, visiblement bien trop peu prometteur pour une mise à si grand enjeu.
Cette machination qui veut confisquer la voix des Sénégalais et nous plonger dans l’obscurantisme des Républiques de la Conspiration semble omettre un fait vraiment tout simple : la démocratie se forge par l’expérience et les Sénégalais de tous âges sont désormais rompus à prendre de force ce qui leur revient de droit.
Ndèye Aram Dimé est Conseillère en affaires publiques et politiques.
Par Abdoul MBAYE,
LE SENEGAL VIENT D’ENTRER DANS L’UNE DES PERIODES LES PLUS SOMBRES DE SON HISTOIRE
Le report de l’élection présidentielle du 25 février 2024 est la conséquence d’hésitations à accepter une possible alternance, de dysfonctionnements constatés dans la sélection des candidats à l’élection, et d’accusations graves portées contre l’arbitre..
Le report de l’élection présidentielle du 25 février 2024 est la conséquence d’hésitations à accepter une possible alternance, de dysfonctionnements constatés dans la sélection des candidats à l’élection, et d’accusations graves portées contre l’arbitre suprême de cette même élection.
Vous vous souviendrez que la naissance de notre parti, l’Alliance pour la Citoyenneté et le Travail (ACT), et parfois nos entrées en politique pour la première fois, étaient motivées par la nécessité de mettre cet engagement au service de la sauvegarde de notre Sénégal comme démocratie, comme république, comme pays stable et prospère au profit de tous ses enfants.
Nous nous sommes engagés à éveiller les consciences de nos concitoyens.
Par notre communication, l’organisation de rencontres citoyennes, articles, interviews publications dans les réseaux sociaux et conférences de presse, nous n’avons jamais cessé d’alerter sur un futur immédiat et à long terme d’un Sénégal meurtri par la politique politicienne ; cette politique qui se donne pour objectifs la satisfaction d’un désir de pouvoir et d’un enrichissement facile et personnel aux dépens de notre Peuple. Nous avons craint et prévu l’explosion. Elle a eu lieu en mars 2021 puis en juin 2023. Nous avons ensuite soutenu que la véritable explosion viendrait sous peu car nous ne percevions pas le réajustement de gouvernance qui pouvait nous en préserver. Nous sommes allés jusqu’à la prédire pour le dernier trimestre de l’année 2023.
Nous avons qualifié le régime Benno Bokk yakaar de « soft dictature » tant notre démocratie était malmenée et ramenée à la volonté d’un seul homme devenu un homme seul, en provoquant parfois des réactions outrées.
Je puis le dire, seul ou en compagnie d’autres leaders de l’opposition, nous avons alerté les chancelleries les plus influentes sur la déflagration à venir. Nous leur avons souligné que s’il était impossible de soulager immédiatement les populations des errements de la gouvernance économique de notre pays, il était nécessaire de leur laisser l’espoir d’un changement en mieux. Nous avons alors soutenu qu’il était absolument indispensable de ne pas laisser briguer un troisième mandat, non plus jouer à des prolongations de mandat en cours comme ce fut le cas en 2017 (quand bien même en rapport avec une promesse).
A ceux qui ont pu nous trouver alarmistes en nous rappelant que le Sénégal était une démocratie plus affirmée que celle d’un pays voisin, nous avons répondu que c’est le recul démocratique vécu aggravant un accroissement de la pauvreté qui serait source de troubles graves pour le Sénégal et non pas le niveau subjectivement apprécié de sa démocratie. Nous avons insisté sur les risques pour la stabilité de toute une sous-région déjà largement éprouvée d’un Sénégal ébranlé.
Ces postures ont été prises et assumées hors toute obsession d’accéder au pouvoir ; mais avec la forte préoccupation d’alerter et d’aider à l’inversion d’un trend vers une inéluctable catastrophe pour notre Nation et notre cher Sénégal.
Les premiers gongs de cette catastrophe s’entendent aujourd’hui parce que les responsables de la prochaine élection présidentielle n’ont pas été en mesure d’organiser une élection inclusive comme demandée plusieurs fois et avec insistance par la classe politique sénégalaise et la communauté internationale. Ils n’ont pas été capables de se départir de méthodes abjectes faites d’élimination de candidats jugés en mesure de gêner leur victoire par l’achat de conscience, la justice et un parrainage impossible à appliquer et donc à contrôler. J’ai été pour ma part victime de leur justice et de leur parrainage condamné par la Cour de Justice de la CEDEAO. Cela ne m’a pas empêché de poursuivre mon combat d’opposant et de refuser toute attitude susceptible d’être interprétée comme de la compromission. Dès lors que les appels aux dialogues ou à être reçu au Palais présidentiel pour parler crise covid-19 ne m’apparaissaient pas sincères.
C’est peut-être aussi le moment de rappeler qu’au nom du principe d’une nécessaire inclusivité de l’élection du 25 février, j’ai défendu le principe d’abroger les articles 29 et 30 du Code électoral et de laisser son éligibilité à une personne condamnée car ce que peut faire une grâce présidentielle, le suffrage universel dont il tient ses pouvoirs le peut aussi.
Et lorsque malgré toutes ces manigances dans la durée, le résultat obtenu comme liste de candidats n’est pas celui souhaité, le recours a été de décider du report de l’élection présidentielle du 25 février 2024.
Nous n’avons cessé de le dire et de l’écrire : sauver le Sénégal doit passer par une alternance démocratique car le régime BBY a échoué sur tous les plans. Tâchons cependant de préserver le Sénégal et son Peuple des conséquences de cet échec. Comment cela serait-il possible ?
L’idéal serait de respecter la date du 25 février. Mais refusant le risque d’aller vers des élections sabotées parce que réorganisées dans une précipitation dommageable, le débat doit devenir le suivant: comment ramener le plus rapidement possible l’élection reportée, sans la compromettre de nouveau par de la violence et du désordre qui seraient prétextes pour créer des situations d’exception avec ou sans ceux qui les auraient créées, et donc sans causer de nouveaux reports ?
La gestion de la grave crise qui s’est installée dans notre pays doit viser la sauvegarde à la fois de notre démocratie et de notre République. Le management de crise est de bord de précipice et exige toujours beaucoup de lucidité, y compris dans la recherche de compromis exigeants.
Seuls la vérité et le fort souci de privilégier l’intérêt général et celui du Sénégal d’aujourd’hui et de demain doivent continuer de guider notre engagement.
Témoignez que je ne me suis jamais écarté de cette norme politique. Sachez que je ne la trahirai pas. Et je l’espère avec vous. Sentiments attentifs et bon courage face à ce qui vient.
Abdoul MBAYE,
Ancien Premier ministre,
Président de l’Alliance pour la citoyenneté et le travail (ACT).
Par Pape NDIAYE
UNE NOUVELLE LOI DEPOURVUE DE BASE LEGALE
Le scrutin qui devait permettre de désigner le successeur du président Macky Sall à la fin de son « second et dernier » mandat, le 02 avril 2024, ne se tiendra plus.
A quelques heures du début de la campagne électorale pour la présidentielle qui devait se tenir vers la fin de ce mois, le président Macky Sall a signé le décret n° 2024-106 du 3 février 2024 abrogeant le décret n° 2023-2283 du 29 novembre 2023 portant convocation du corps électoral. La conséquence directe d’une telle décision c’est l’annulation pure et simple de l’élection présidentielle du 25 février 2024. Le scrutin qui devait permettre de désigner le successeur du président Macky Sall à la fin de son « second et dernier » mandat, le 02 avril 2024, ne se tiendra plus. Pour mieux l’enterrer, l’Assemblée nationale a voté, hier nuit, en mode « fast-track» une nouvelle loi constitutionnelle du président de la République qui reporte le scrutin jusqu’au 15 décembre prochain.
Pour mieux camper le débat juridique, « Le Témoin » quotidien vous rappelle que la signature du décret n° 2023-2283 du 29 novembre 2023 portant convocation du corps électoral était fondée sur:
D’une part, l’article 30 de la Constitution qui dispose que : « Trente-cinq jours francs avant le premier tour du scrutin, le Conseil constitutionnel arrête et publie la liste des candidats. Les électeurs sont convoqués par décret » Et
D’autre part, l’article LO.137 du Code électoral selon lequel «Les électeurs sont convoqués par décret publié au Journal officiel au moins quatre-vingts jours avant la date du scrutin ».
Qu’il le veuille ou non
Selon les spécialistes, la signature du décret portant convocation du corps électoral résulte d’une compétence liée, c’est-à-dire que le détenteur du pouvoir de signer ledit décret, en l’occurrence le président de la République, est obligé de prendre l’acte, « qu'il le veuille ou non ». La compétence est "liée" car elle est encadrée par d'autres textes qui déterminent et encadrent l'action de l'autorité compétente. En ne prenant pas à date échue le décret portant convocation du corps électoral, le président de la République violerait la Constitution et la Loi électorale par omission ou abstention, en abrogeant ledit décret, il commet une violation par commission ou action.
Si l’article 30 de la Constitution et l’article LO.137 du Code électoral obligent le Président de la République à signer le décret portant convocation du corps électoral dans des délais bien encadrés, il n’y a aucun autre texte de la Constitution ou de loi, électorale ou autre, qui lui donne le pouvoir d’abroger ou d’annuler le dit décret. En effet, en abrogeant ou en annulant le décret, ilse décharge de son obligation « liée », ce qui, juridiquement, est une absurdité.
Certains commentateurs et autres juristes du dimanche avaient invoqué l'article 52 de la Constitution. Bien que le Président de la République se soit abstenu d'invoquer directement ce texte dans son discours inattendu à la Nation du samedi 3 février 2024, il a toutefois, à certains moments, subtilement paraphrasé certains termes du texte constitutionnel pour tenter d'en tirer des arguments. L’article 52 de la Constitution dispose ce qui suit:
« Lorsque les institutions de la République, l’indépendance de la Nation, l’intégrité du territoire national ou l’exécution des engagements internationaux sont menacées d’une manière grave et immédiate, et que le fonctionnement régulier des pouvoirs publics ou des institutions est interrompu, le président de la République dispose de pouvoirs exceptionnels.
Il peut, après en avoir informé la Nation par un message, prendre toute mesure tendant à rétablir le fonctionnement régulier des pouvoirs publics et des institutions et à assurer la sauvegarde de la Nation ». Il ne peut, en vertu des pouvoirs exceptionnels, procéder à une révision constitutionnelle. »
A ce jour, il n’y a aucune menace grave qui puisse justifier le recours à l’article 52 !
Or à ce jour du 5 février 2024, il n’y a aucune menace grave et immédiate au Sénégal, les pouvoirs publics et les institutions fonctionnent normalement, il n’est noté aucune interruption. Pour preuve, le président de la République, lui-même, a évoqué dans son discours à la Nation « des délibérations en cours à l’Assemblée nationale réunie en procédure d’urgence »
Par ailleurs, si le président de la République dit que le Sénégal « porte encore les stigmates des violentes manifestations de mars 2021 et de juin 2023, notre pays ne peut pas se permettre une nouvelle crise », c’est qu’il a bien conscience qu’au moment où il parlait, le Sénégal n’était pas en crise.
Il est d’ailleurs révélateur que, dans son discours à la Nation de samedi dernier, le président de la République ne se soit pas prévalu des dispositions de l’article 52 de la Constitution.
Il est aussi utile de faire remarquer que cet article 52 de la Constitution in fine prévoit expressément la possibilité de reporter la date des scrutins, toutefois cela concerne exclusivement le cas de dissolution de l’Assemblée nationale, donc pour les élections des députés. Et, même dans ce cas, « la date des scrutins fixée par le décret de dissolution ne peut être reportée, sauf cas de force majeure constaté par le Conseil constitutionnel ».
Un seul cas de report de l’élection présidentielle est prévu par l’article 29 de la Constitution. Il s’agit du « cas de décès d’un candidat ». Mais même pour ce cas, le président de la République n’a pas le pouvoir de prendre un décret pour reporter l’élection présidentielle. Selon la Constitution, « les élections sont reportées à une nouvelle date par le Conseil constitutionnel. »
En réalité, l’acte posé par le président de la République n’est pas un report, il s’agit d’un fait hautement plus grave. Le report est l’action de remettre à un autre moment, à une date ultérieure. Avec le décret n° 2024-106 du 3 février 2024 abrogeant le décret portant convocation du corps électoral, Macky Sall procède, purement et simplement, à l’annulation du processus électoral. Il s’agit d’un anéantissement, d’une destruction totale, d’une réduction à néant.
En conclusion, il apparait que le décret n° 2024-106 du 3 février 2024 abrogeant le décret n° 2023-2283 du 29 novembre 2023 portant convocation du corps électoral du président Macky Sall est illégal. Ce décret, dépourvu de base légale, viole les dispositions de la Constitution. Dès lors, il encourt l’annulation par la Chambre administrative de la Cour suprême saisie conformément par les articles 74 et suivants de la loi organique n° 2017-09 du 17 janvier 2017 sur la Cour suprême.
A propos de l’obligation d’instaurer une suppléance à l’expiration du mandat du président Macky Sall le 2 avril prochain, il convient de rappeler qu’il avait prêté serment le mardi 2 avril 2019 pour un second mandat de cinq (05) ans à la tête du Sénégal.
L’expiration du mandat, le 2 avril 2024
Il avait juré devant Dieu et devant la Nation sénégalaise, « de remplir fidèlement la charge de Président de la République du Sénégal, d’observer comme de faire observer scrupuleusement les dispositions de la Constitution et des lois »
Le «second et dernier» mandat du Président Macky Sall arrive donc à expiration à la date du 2 avril 2024. Qu’adviendra-t-il à cette dernière date ? La réponse est simple : de par la Constitution et de par la loi, Macky Sall ne sera plus président de la République du Sénégal.
La décision n° 1-C-2016 du 12 février 2016 du Conseil constitutionnel est très claire à ce sujet. En effet, saisi par le président de la République suivant la lettre n° 0077 PR/CAB/MC.JUR du 14 janvier 2016, le Conseil Constitutionnel se prononçant sur la durée du mandat du président de la République a jugé :
« … que le mandat en cours au moment de l’entrée en vigueur de la loi de révision, par essence intangible, est hors de portée de la loi nouvelle ;
Considérant, en effet, que ni la sécurité juridique, ni la stabilité des institutions ne seraient garanties si, à l’occasion de changements de majorité, à la faveur du jeu politique ou au gré des circonstances notamment, la durée des mandats politiques en cours, régulièrement fixée au moment où ceux-ci ont été conférés pouvait, quel que soit au demeurant l’objectif recherché, ne peut être réduite ou prolongée ».
C’est clair comme de l’eau de roche ! La durée du mandat de Macky Sall, régulièrement fixée à cinq (05) ans au moment où il a été élu, en 2019, ne peut, quelque soit au demeurant l’objectif recherché, être réduite ou prolongée !
Comme le soutenait le Professeur Ismaël Madior Fall dans sa réponse à l’éminent Professeur Serigne Diop : « Le Conseil constitutionnel du Sénégal ne rend pas d’avis mais des décisions... Et toutes les décisions, sans qu’il y ait lieu à distinguer là où le législateur ne distingue pas, s’imposent aux pouvoirs publics en vertu de l’article 92 de la Constitution. »
L’article 92 de la Constitution dispose en effet que : « Les décisions du Conseil constitutionnel ne sont susceptibles d’aucune voie de recours. Elles s’imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités administratives et juridictionnelles. »
Le 2 avril prochain, donc, le mandat du Président Macky Sall prendra définitivement fin. Interrogés par « Le Témoin », des éminents professeurs de droit et juristes s’accordent à reconnaitre que le mandat en cours, pour quelques semaines encore, ne peut être prolongé. Donc Macky Sall doit partir ! Faute de tenir l’élection présidentielle, il « sera » suppléé par le président de l’Assemblée nationale, en application de l’article 39 de la Constitution.
Certains pourraient être tentés de faire valoir les dispositions de l’article 36 de la Constitution selon lesquelles « Le Président de la République élu entre en fonction après la proclamation définitive de son élection et l’expiration du mandat de son prédécesseur. Le Président de la République en exercice reste en fonction jusqu’à l’installation de son successeur. » Ce serait assurément une erreur. Ce texte est inapplicable dans le contexte actuel, simplement parce qu'en l'absence de la tenue de l'élection présidentielle à date échue, il n’y a pas « Président de la République élu » qui doit entrer en fonction, par conséquent, pas de « successeur » à installer.
La situation en cours nous mène par contre, inéluctablement, vers «l’empêchement du Président de la République » prévu par l’article 41 de la Constitution.
L’empêchement, c’est ce qui s'oppose à la réalisation de quelque chose, ce qui fait obstacle à quelque chose. C’est un obstacle à la réalisation d'un acte. En droit, c'est la situation dans laquelle se trouve une autorité de n'être pas en mesure d'accomplir les tâches de son emploi. En ce qui concerne le président de la République, l’empêchement ouvre une phase d'intérim ou autorise son remplacement.
Juridiquement, un risque d’empêchement ?
Pour le président Macky Sall, l’arrivée du terme de son mandat en cours, le 2 avril 2024, constituera juridiquement un empêchement car, de par la loi constitutionnelle, il ne pourra plus exercer les prérogatives de président de la République qui lui étaient dévolues
Les députés étaient convoqués hier lundi 5 février 2024 pour examiner une proposition de loi portant dérogation aux dispositions de l’article 31 de la Constitution. Ce texte indique la période dans laquelle doit se tenir le scrutin pour l’élection du Président de la République : quarante-cinq jours francs au plus et trente jours francs au moins avant la date de l’expiration du mandat du Président de la République en fonction, d’une part, et donne au Conseil constitutionnel la compétence pour constater la vacance du pouvoir.
En tout état de cause, quelque soit le sens du vote des députés, la loi nouvelle ne s’appliquera pas au mandat en cours du Président Macky Sall. En effet, comme l’a rappelé le Conseil constitutionnel dans sa Décision n° 1-C-2016du 12 février 2016, « le mandat en cours au moment de l’entrée en vigueur de la loi de révision, par essence intangible, est hors de portée de la loi nouvelle » !
Le Conseil constitutionnel rappelait, d’ailleurs, que « les règles constitutionnelles adoptées dans les formes requises s’imposent à tous et, particulièrement, aux pouvoirs publics, lesquels ne peuvent en paralyser l’application par des dispositions qui, en raison de leur caractère individuel, méconnaissent, par cela seul, la Constitution ».
Il est difficile que la révision constitutionnelle effectuée par les députés ne soit pas fortement entachée d’un caractère individuel dans la mesure où il est manifeste que l’objectif recherché, c’est de maintenir Macky Sall au pourvoir au-delà du terme de son second et dernier mandat. Par cela seul, les députés auront violé la Constitution de la République du Sénégal. D’ailleurs, c’est ce qui est arrivé, hier, à l’Assemblée nationale.
Sans doute, nos parlementaires ont dû oublier qu’à partir du 2 avril 2024, Macky Sall sera supplée par le Président de l’Assemblée nationale, Monsieur Amadou Mame Diop. Au cas où celui-ci, pour une raison qui lui est propre, se montrerait carent, la suppléance serait assurée par l’un des vice-présidents de l’Assemblée nationale dans l’ordre de préséance (article 39 de la Constitution).
L’empêchement du président de la République est constaté par le Conseil constitutionnel saisi par l’autorité appelée à le suppléer (article 41 de la Constitution). Celle-ci est tenue d’organiser l’élection présidentielle dans les soixante jours au moins et quatre-vingt-dix jours au plus, après la constatation de la vacance par le Conseil constitutionnel (article 31 de la Constitution).
En définitive, en vertu des dispositions de la Constitution et de la Décision du Conseil constitutionnel n° 1-C-2016 du 12 février 2016, Macky Sall est tenu de quitter ses fonctions de président de la République le 2 avril prochain.
Par Kaccoor Bi
DEMOCRATIE AVACHIE
Jamais le débat politique ne s’était également trouvé si cannibalisé, et les actes si abjects
Jamais assurément notre pays n’avait atteint un tel niveau de délabrement.
Jamais le débat politique ne s’était également trouvé si cannibalisé, et les actes si abjects. Avec ce qui se passe depuis samedi, qui constitue une première et qui pourrait ouvrir la porte à toutes les incertitudes, on peut dire que nous sommes tombés bien bas.
Personne ne pourra venir nous dire que ce qui a été fait repose sur des lois de la République. Cela procède plutôt de la volonté de gens jamais repus qui veulent continuer à se maintenir au pouvoir par tous les moyens possibles et imaginables.
Par des artifices juridiques notamment. On apprend ainsi que le mandat de sept ans que l’on ne pouvait toucher pour le ramener à cinq ans du fait de la Constitution, peut désormais être prolongé ô de si peu, de huit mois seulement !
Et si le 15 décembre, il y a un second tour, le Chef pourra rester tranquille jusqu’en début 2025. Et plus si troubles, contentieux électoral ou crise institutionnelle il y aura ! Ainsi donc, il est impossible de diminuer un mandat mais permis de le prolonger de quelques mois. C’est là où réside la belle et flagrante duplicité de celui à qui on pourrait enlever toute confiance car ayant fait pire que la pauvre candidate accusée de parjure.
Pour faire passer leur loi scélérate et tuer dans l’œuf toutes contestations, ils se sont appuyés sur les forces de défense et de sécurité qui leur servent de boucliers face à un peuple qui les a vomis et qui était prêt à en finir avec eux par la voie des urnes.
Par Ndiaga SYLLA
L’INTERRUPTION DU PROCESSUS DE L’ELECTION PRESIDENTIELLE : UN PROJET INOPPORTUN, FUNESTE ET ILLEGAL !
L’initiative du report de l’élection présidentielle assimilable à un coup d’Etat constitutionnel ternit le modèle démocratique sénégalais et risque de menacer sérieusement la paix sociale et la stabilité du pays
Le Président de la République, dans son message à la Nation du 3 février 2024, a décidé, de manière unilatérale, brusque et sans aucun motif valable de freiner la conduite du processus de l’élection présidentielle prévue le 25 février 2024, à la veille de l’ouverture de la campagne électorale officielle. Cette décision ne repose sur aucun fondement juridique. Plus grave encore, elle viole la Constitution, la loi électorale et les traités internationaux.
SUR LA VIOLATION DE LA CONSTITUTION DU SÉNÉGAL
La proposition de loi constitutionnelle en procédure d’urgence portant dérogation aux dispositions de l’article 31 de la Constitution ne devrait prospérer, dès lors qu’elle intervient à la suite de la publication de la liste des candidats par le Conseil constitutionnel par décision n°2/E/2024 du 20 janvier 2024 ;
Qu’elle viole les dispositions de l’article 92 de la Constitution en son alinéa 3 : «Le Conseil constitutionnel juge de la régularité des élections nationales et des consultations référendaires et en proclame les résultats», ainsi qu'en son alinéa 4 : «Les décisions du Conseil constitutionnel ne sont susceptibles d’aucune voie de recours. Elles s’imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités administratives et juridictionnelles» ;
Qu’elle n’est conforme ni avec l’esprit ni avec la lettre des dispositions de l’article 30 de la Constitution en ce qu’elles énoncent que «Trente-cinq jours francs avant le premier tour du scrutin, le Conseil constitutionnel arrête et publie la liste des candidats. Les électeurs sont convoqués par décret» et que le décret a été pris avant la modification de l’article LO.137 du Code électoral ;
Qu’en vertu de l’article 27, alinéa premier de la Constitution : «La durée du mandat du Président de la République est de cinq ans» ;
Qu’elle remet en cause, la clause d’éternité énoncée à l’article 103, alinéa 7 de la Constitution qui dispose que «La forme républicaine de l’Etat, le mode d’élection, la durée et le nombre de mandats consécutifs du Président de la République ne peuvent faire l’objet de révision», tout comme le dernier alinéa du même article : «L’alinéa 7 du présent article ne peut être l’objet de révision» ;
Que l’article 42 de la Constitution, dont se prévaut Monsieur le Président de la République se heurte aux dispositions pertinentes de l'article 88 rappelé dans le dernier communiqué du Conseil constitutionnel et qui énonce : «Le pouvoir judiciaire est indépendant du pouvoir législatif et du pouvoir exécutif. Il est exercé par le Conseil constitutionnel, la Cour suprême, la Cour des Comptes et les Cours et Tribunaux» ;
Qu’au surplus, elle entraînera de nouvelles dépenses et l’aggravation des ressources publiques. Une nouvelle date du scrutin suppose que les documents électoraux (près de 180 millions de bulletins de vote, enveloppes, affiches ...) soient repris après que l’Etat eut déjà dépensé plusieurs milliards ;
Que dire à propos du lourd préjudice que le report causera aux différents candidats qui ont déjà engagé d’énormes dépenses ?
Qu’enfin le principe de sécurité juridique et la préservation de la stabilité des institutions fondant la jurisprudence du Conseil constitutionnel constituent des moyens juridiques fondés pour écarter ce projet funeste pour la démocratie, l’Etat de droit et la paix. ·
SUR LA VIOLATION DU CODE ÉLECTORAL :
En annonçant lui-même que «compte tenu des délibérations en cours à l’Assemblée nationale réunie en procédure d’urgence, et sans préjuger du vote des députés, j’ai signé le décret n° 2024-106 du 3 février 2024 abrogeant le décret n° 2023-2283 du 29 novembre 2023 portant convocation du corps électoral», le Président de la république admet avoir annulé un décret avant que ne soit adoptée la proposition de loi portant dérogation à l’article 31 de la Constitution. Il semble méconnaitre que le premier décret a été signé en application des dispositions de l’article LO. 137 du code électoral qui précise que le décret de convocation des électeurs est pris au plus tard 80 jours avant la date du scrutin.
SUR LA VIOLATION DU PROTOCOLE A/SP1/12/01 de la CEDEAO :
Attendu que le Protocole A/SP1/12/01 sur la Démocratie et la Bonne gouvernance Additionnel au Protocole relatif au Mécanisme de prévention, de gestion, de règlement des conflits, de maintien de la paix et de la sécurité stipule en son article 2 : premièrement: qu’«aucune réforme substantielle de la loi électorale ne doit intervenir dans les six (6) mois précédant les élections, sans le consentement d’une large majorité des acteurs politiques» et au deuxièmement que «les élections à tous les niveaux doivent avoir lieu aux dates ou périodes fixées par la Constitution ou les lois électorales». ·
SUR LA VIOLATION DE LA DÉCLARATION UNIVERSELLE DES DROITS DE L'HOMME
Que la Déclaration universelle des Droits de l’Homme de 1948 énonce en son article 21/3 que : «la volonté du peuple est le fondement de l’autorité des pouvoirs publics ; cette volonté doit s’exprimer par des élections honnêtes qui doivent avoir lieu périodiquement au suffrage universel égal et au vote secret ou suivant une procédure équivalente assurant la liberté du vote». ·
POUR UN DÉROULEMENT RÉGULIER DE LA CAMPAGNE ÉLECTORALE OFFICIELLE
Pour rappel, en période de campagne électorale, les réunions se tiennent librement sur toute l’étendue des départements et communes. En effet l’article L.59 du code électoral dispose en son premier alinéa : «par dérogation aux dispositions des articles 10 à 16 de la loi n°78-02 du 28 janvier 1978 relatifs aux réunions et aux articles 96 et 100 du Code pénal, les réunions électorales qui se font pendant la campagne officielle électorale se tiennent librement sur l’ensemble du territoire national».
Toutefois, tel que précisé dans le deuxième alinéa, il faut adresser une déclaration préalable adressée au Préfet ou au Sous-préfet, responsable de la circonscription, vingt-quatre (24) heures avant l’évènement. Pendant que le décret 2023-339 du 16 février 2023 portant fixation de la date de la prochaine l’élection présidentielle est encore en vigueur, nul ne serait fondé à faire entrave aux activités de campagne électorale des candidats officiels sous prétexte de l'annulation absurde d'un décret relatif à la phase électorale ultérieure (le jour du scrutin).
En conséquence, la sagesse, l’attachement à la légalité ainsi que le respect aux droits des candidats et à ceux du Peuple commanderaient que la campagne électorale suive son cours normal jusqu’à la promulgation de la loi portant révision de la Constitution et éventuellement celle portant modification du code électoral.
En guise de conclusion, l’initiative du report de l’élection présidentielle assimilable à un coup d’Etat constitutionnel ternit le modèle démocratique sénégalais et risque de menacer sérieusement la paix sociale et la stabilité du pays. Par-delà la compétition électorale, nous ne devrions pas perdre de vue ce qui nous unit. Il revient à l’ensemble des acteurs, au Chef de l’Etat en particulier, de promouvoir, comme le proclame la Constitution dans son préambule, «le respect et la consolidation d’un Etat de droit dans lequel l’Etat et les citoyens sont soumis aux mêmes normes juridiques sous le contrôle d’une justice indépendante et impartiale.»
Vive la République !
Dieu préserve le Sénégal.
Ndiaga SYLLA
Expert électoral
IMBROGLIO
L’idée de laisser une vraie trace dans l’histoire habite le président Macky Sall. La fonction éminente qu’il occupe le prédispose à prendre les bonnes décisions, quitte à faire pâle figure.
L’idée de laisser une vraie trace dans l’histoire habite le président Macky Sall. La fonction éminente qu’il occupe le prédispose à prendre les bonnes décisions, quitte à faire pâle figure.
Samedi 3 février, face aux Sénégalais, il paraissait blême, le regard absent. Sans doute la saturation a fait son effet. Combien de fois, en si peu de temps, s’est-il adressé à la nation ?
En plus des rendez-vous inscrits dans la tradition, les circonstances en ont accru la fréquence avec pour conséquence immédiate d’atténuer l’intérêt auprès d’une opinion publique de plus en plus circonspecte parce que de moins en moins incrédule.
D’ordinaire, les discours du 4ème président sont marqués au coin du bon sens. Mais le dernier, servi dans un contexte particulier, a fait l’effet d’une onde de choc mêlée à une indifférence qui en dit long sur la rupture de sympathie qui est en train de s’opérer entre lui et l’opinion.
En a-t-il conscience ? Mesure-t-il le danger qui plane ? En juillet 2023 lorsqu’il coupait court en renonçant à se porter candidat pour la troisième fois, Macky Sall s’affichait en héros face au tragique. Rare privilège : ses compatriotes à l’unisson ainsi soulagés, le plébiscitent et le portent au pinacle. Même les sceptiques à son endroit perdaient voix devant son acte si décisif.
Depuis, il répétait sans enthousiasme débordant qu’il s’en tenait à cette ligne de crête, jouant à l’équilibre sans pour autant occulter la délicatesse de sa nouvelle situation. Entouré de gens (les uns plus proches que les autres) aux avis et motivations différents, il naviguait entre récifs et houles, entre bourrasques et orages dans une mer en eau profonde et durablement agitée !
Les instances formelles de sa coalition politique choisissent le Premier ministre Amadou Ba comme le candidat représentatif de ce camp traversé de courants contraires. Tout le monde avait pactisé. Les couteaux étaient rangés mais restaient à portée de main, en attendant meilleure (ou pire) opportunité pour les brandir.
Dans ses tournées dites économiques, le Président sillonne le pays toujours flanqué de son chef de gouvernement dont l’immersion dans les régions ressemblait à une sorte d’introduction. Il se mettait légèrement en retrait par prudence pour ne pas ravir la vedette à son patron très attentif aux humeurs de la foule, de l’opinion et des masses.
Autant Macky Sall aère le jeu en désignant son éventuel successeur, autant il ne lâchait pas prise sur l’APR, le parti qu’il a forgé de ses « mains nues » et avec lequel il a conquis en 2012 le pouvoir devant un Wade médusé et penaud.
En clair, il ne voudrait pas s’éloigner en tenant le gouvernail du sa formation politique. Il pourrait, grâce à la puissance d’agitation de ce levier, peser sur les options futures. Au mois de septembre prochain, si tout se passe bien, les investitures devraient être en vue.
Or quel que soit le président élu en février, la dissolution de l’actuelle l’Assemblée nationale serait envisagée ne serait-ce que pour refléter la conjoncture politique du moment. Cette perspective tenaille le président. Il surveille ses arrières et se projette dans un futur proche tout en étant sensible aux lignes qui bougent ici et là.
Maky Sall demeure séduit par le « regroupement de la famille libérale », ce qui le rapproche de Abdoulaye Wade dont le fils Karim constitue une « équation politique » à résoudre. L’ancien président échafaude un scénario auquel adhère implicitement le locataire du Palais du Plateau.
Une fois cet « accord » plié, ne restait plus qu’à surmonter l’étape des parrainages et la validation de sa candidature par un Conseil Constitutionnel à la vigilance accrue pour faire de l’exilé du Qatar la pièce maîtresse d’une élection présidentielle « ouverte », « inclusive », « transparente ».
Mais Karim recalé pour une tardive renonciation à la nationalité française, n’exclut pas de se payer la tête de certains hauts magistrats, responsables à ses yeux de son malheur. Que se serait-il passé si sa candidature avait été retenue ? Aurait-il tu ce qu’il sait ? Place-t-il son intérêt personnel au-dessus des intérêts supérieurs de la nation ?
Point n’est ici question de nier son droit légitime d’utiliser les moyens de droit pour faire respecter ses propres droits. On fantasme des scandales dès qu’il est question d’argent dont sont frinds les Sénégalais, toutes couches sociales confondues.
Ainsi, son parti, le PDS, déballe et indexe une corruption de fait avant de demander l’institution d’une commission d’enquête parlementaire sur les faits allégués et surtout de repousser la date de l’élection en introduisant une proposition de loi prolongeant l’actuel mandat du Président Macky Sall.
Lequel, dans son discours du 3 février, au contenu sibyllin et abscons, conclut à une crise (pas évidente) pour annoncer le report sine die de la présidentielle et l‘ouverture d’un dialogue politique devant apaiser le climat et organiser un scrutin plus inclusif.
Il n’a échappé à personne l’insistance du Président sur le caractère « inclusif » à imprimer à la présidentielle repoussée sans délais et sans date fixe. En vérité, le Président a trouvé en Karim Wade un adversaire indolore.
L’amorce d’une légère concession faite au cas Karim a pour but d’endiguer le flot pastéfien et contenir les éventuelles embardées du candidat de Benno, adoué par Moustapha Niasse et Aminta MBengue Ndiaye.
A qui profite le report de l’élection majeure de notre pays ? Le gel du scrutin annonce-t-il le retour en grâce de l’enfant « prodige » des Wade ? Qui serait l’agneau du sacrifice ? S’achemine-t-on vers une disgrâce en pointillé de l’actuel Premier ministre dont le choix comme champion de son camp obéit à la fois au réalisme politique et à une objectivité circonstancielle ?
Amadou Ba ne fait certes pas l’unanimité mais il est l’atout majeur. D’ailleurs existe-t-il celui-là même qui ferait taire les divisions en jetant les rancunes à la rivière ? La parenthèse ainsi ouverte risque de se refermer avec douleur, un jour pas lointain. Les prochaines semaines vont nous édifier.
D’autant que pour prospérer, l’initiative parlementaire du PDS a reçu le soutien ostentatoire des députés de l’APR. En interrogeant le passé, nulle trace d’une complicité aussi active que celle en cours entre les deux formations qui revendiquent somme toute un ancrage libéral sur fond de nuances de circonstance.
La formation politique de Me Abdoulaye Wade n’est plus que l’ombre d’elle-même. Son départ du pouvoir l’a d’autant plus affaiblie que voilà deux élections présidentielles sans présenter de candidat attitré. Ce recul mérite une introspection plutôt que d’inscrire désormais son action dans les intrigues de palais.
Texte Collectif
RESTAURER LA RÉPUBLIQUE
EXCLUSIF SENEPLUS - Le président s’est comporté en fossoyeur de la République. La véritable crise découlera de cette décision inédite remettant en cause le calendrier électoral et dont il est l’unique initiateur
Ce 3 février 2024, le président Macky Sall, en interrompant in extremis et illégalement le processus électoral, a plongé le pays dans une torpeur inédite et a embarqué celui-ci dans une aventure aux lendemains plus qu’incertains. Le plan de liquidation de la démocratie sénégalaise, que le régime en place déploie depuis une douzaine d’années, trouve son bouquet final dans cet acte d’annulation du processus électoral. Pour des accusations de corruption, à ce jour non étayées, de membres du Conseil constitutionnel, le président de la République, avec la complicité d’une majorité circonstancielle à l’Assemblée nationale, a fini de corrompre durablement notre tradition démocratique en interrompant ainsi brutalement le processus électoral en cours. Pourtant rien dans l’échafaudage institutionnel ne lui en donne la prérogative en l’état actuel des choses. Rien dans la trajectoire singulière du Sénégal ne pouvait lui servir de viatique pour poser un tel acte qui risque d’être le marqueur d’un avant et d’un après, pour l’histoire du Sénégal indépendant. Le président Macky Sall a fini de porter un redoutable coup au calendrier républicain qui faisait la singularité et la fierté du Sénégal et constituait le baromètre de la vitalité de notre système politique.
La décision par laquelle le président Macky Sall a abrogé le décret n° 2023-2283 du 29 novembre 2023 portant convocation du corps électoral en vue de l’élection présidentielle du 25 février 2024 est, sans conteste, aux antipodes des principes élémentaires du Droit et de la Démocratie. Les arguments qui le sous-tendent sont à la fois faux et légers, et la décision elle-même viole littéralement plusieurs dispositions constitutionnelles. D’un ton qui s’est voulu solennel, le président Macky Sall a décliné les raisons qui l’ont poussé à prendre la décision qui porte un terrible coup à notre République et à la démocratie sénégalaise. Il a d’abord prétexté une crise institutionnelle qui résulterait d’un conflit entre le Conseil constitutionnel et l’Assemblée nationale. Selon les députés du PDS qui ont sollicité la mise en place d’une commission d’enquête parlementaire, l’établissement de la liste définitive des candidats à l’élection présidentielle aurait été faite sur fond de corruption de membres du Conseil constitutionnel. La mise en place d’une commission d’enquête parlementaire par l’Assemblée nationale suffit à ses yeux pour établir l’existence d’une crise. Il s’agit bien évidemment d’un argument fallacieux qui ne résiste à aucune analyse sérieuse. D’une part, le président Macky Sall a agi dans la précipitation pour accomplir sa forfaiture. Il est en effet étonnant qu’il se soit fondé sur de simples accusations dont les auteurs n’ont pas encore montré un début de preuve, pour arguer d’une crise institutionnelle. Il aurait été plus raisonnable d’attendre le rapport de la commission d’enquête parlementaire pour être plus crédible dans l’accusation de corruption. D’autre part, quand bien même il y aurait eu une crise institutionnelle, la Constitution prévoit des voies de résolution qui ne peuvent pas s’accommoder de l’attitude despotique du président Macky Sall. À rebours de son rôle de garant du fonctionnement régulier des institutions qu’il tire de l’article 42 de la Constitution, il s’est comporté en l’espèce en fossoyeur de la République. La véritable crise, c’est celle qui découlera de cette décision inédite remettant en cause le calendrier électoral et dont il est l’unique initiateur et l’ultime responsable.
Outre l’argument de la crise institutionnelle, le président Macky Sall a tenté de justifier sa décision par le fait qu’il existe une candidate à l’élection présidentielle qui ne serait pas exclusivement de nationalité sénégalaise, contrairement aux exigences de l’article 28 de la Constitution. Il a alors jugé opportun d’enfiler son manteau de « gardien de la Constitution » afin d’éviter que le scrutin ne soit biaisé. On tient là la preuve que notre « gardien de la Constitution » ignore tout du contenu de notre Charte fondamentale. Il n’y avait pas besoin de faire de ce cas de figure un prétexte dans la mesure où l’alinéa 1er de l’article 34 de la Constitution propose une solution. La candidate pourrait en effet être invitée à se retirer de la course ou, si le procureur ouvre une information judiciaire à son encontre dans le cadre des poursuites en cours, être déclarée définitivement empêchée. Dans ces deux hypothèses, le Conseil constitutionnel modifierait sa liste et la date du scrutin serait maintenue, comme le prévoit la Constitution.
En prenant la décision en question, le président Macky Sall s’est attribué des prérogatives qu’il ne tient ni de la Constitution, ni d’aucune loi de la République. L’artifice du parallélisme des formes sous-entendu est un prétexte ridicule pris par l’auteur de la forfaiture. En droit, il n’est pas toujours vrai que quand on a édicté un décret, on a systématiquement la latitude de prendre un autre décret pour abroger le premier. Pour prendre un exemple simple, un décret de nomination d’un membre du Conseil constitutionnel ne peut pas être abrogé ou retiré par le président de la République dans le but de mettre fin de manière anticipée au mandat du juge concerné. L’abrogation du décret portant convocation du corps électoral implique des conséquences juridiques d’une extrême gravité. À travers sa décision annulant le scrutin, Macky Sall a piétiné les articles 27 et 103 qui interdisent respectivement que le président de la République puisse faire plus de deux mandats ou que la durée du mandat du chef de l’Etat soit modifiée. L’improbabilité de pouvoir tenir l’échéance du 2 avril 2024 vide ces deux articles de toute leur substance. Le Conseil constitutionnel avait d’ailleurs rappelé dans sa décision n° 1/C/2016 du 12 février 2016 que le mandat du président de la République est intangible en des termes on ne peut plus clairs : « Considérant, en effet, que ni la sécurité juridique, ni la stabilité des institutions ne seraient garanties si, à l’occasion de changements de majorité, à la faveur du jeu politique ou au gré des circonstances notamment, la durée des mandats politiques en cours, régulièrement fixée au moment où ceux-ci ont été conférés pouvait, quel que soit au demeurant l’objectif recherché, être réduite ou prolongée » (cons. 32).
La décision de Macky Sall constitue, enfin, une défiance à la Constitution qui dispose en son article 92 que les décisions du Conseil constitutionnel s’imposent à toutes les autorités administratives et juridictionnelles. Il s’agit sans doute d’un refus d’appliquer la décision du Conseil arrêtant la liste des candidats à l’élection présidentielle.
En application de cette disposition de la Constitution, ni la loi, ni un décret ne peuvent modifier ou abroger la décision du Conseil constitutionnel établissant la liste définitive des candidats. Cette liste ne peut être modifiée que par une décision du Conseil constitutionnel et pour des motifs limitativement énumérés par les articles 29 à 34 de la Constitution. Cette défiance des pouvoirs politiques (Président de la République et Assemblée nationale) envers la juridiction constitutionnelle, arbitre suprême du jeu électoral, est la véritable source de crise institutionnelle.
C’est une évidence que depuis quelques années, ce régime nous a maintenus dans une crise quasi-permanente : disparitions de soldats dans des circonstances troubles, morts de manifestants, intimidations, arrestations, hordes de nervis, harcèlements judiciaires, malversations, corruption, reniements, impunité. Aujourd’hui pour les intérêts d’un homme et d’un clan, sous le fallacieux prétexte d’une crise institutionnelle, le Sénégal vient de gravement régresser dans son histoire démocratique. En effet, ce qui est en jeu les heures et les jours à venir, c’est la survie de l’idée de République ; c’est-à-dire notre volonté de vivre ensemble et d’inventer perpétuellement la société sénégalaise en tant qu’horizon et futur. Il est inadmissible de vouloir, pour le bénéfice d’un homme, d’un parti, d’un groupe de courtisans d’une autre époque, compromettre l’avenir d’une Nation qui a eu, un certain 19 mars, la ferme volonté d’entrer dans le nouveau millénaire pour s’inventer un présent et un futur de démocratie, de justice, de liberté, d’équité et simplement d’un vivre-ensemble harmonieux sénégalais. Il s’agit pour les Sénégalais de s’ériger contre cette forfaiture, d’exiger le respect du calendrier Républicain, de faire rétablir le droit par le Conseil constitutionnel, de faire à nouveau nation et de résolument restaurer leur République et leur idéal de vie commune.
Vous pouvez signer cette déclaration en indiquant votre nom et affiliation dans la fenêtre des commentaires.
1 - Babacar GUÈYE, Professeur titulaire, Agrégé en droit public, Université Cheikh Anta Diop de Dakar ;
2 - Felwine SARR, Professeur titulaire, Agrégé en Sciences Économiques, Université Gaston Berger de Saint-Louis ;
3 - Maurice Soudiéck DIONE, Professeur assimilé, Agrégé en sciences politiques, Université Gaston Berger de Saint-Louis ;
78 – Mounirou DIALLO, Maître de conférences titulaire, Philosophie, Université Cheikh Anta Diop de Dakar ;
79 – Lamine DIÉDHIOU, Maître de conférences titulaire, Philosophie, Université Cheikh Anta Diop de Dakar ;
80 – Abdou Salam SALL, Professeur des universités de classe exceptionnelle, chimie inorganique, Ancien Recteur, Ancien Président ANEF, Ancien Secrétaire général du SAES, Université Cheikh Anta Diop de Dakar ;
81 – El Hadji Malick CAMARA, Maître de conférences titulaire, Sociologie, Université Cheikh Anta Diop de Dakar ;
82 – Ndèye Fatou LECOR, Enseignant-chercheur, Droit privé, Université Cheikh Anta Diop de Dakar ;
83 – Aliou DIAW, Maître de conférences, Lettres modernes, Université Cheikh Anta Diop de Dakar ;
84 – Oumar DIOP, Enseignant-chercheur, Mathématiques appliquées, Université numérique Cheikh Hamidou Kane (ex UVS) ;
85 – Ndiogou SARR, Maître de conférences assimilé, Droit public, Université Cheikh Anta Diop de Dakar ;
86 – Ameth NDIAYE, Maître de conférences titulaire, Droit public, Université Cheikh Anta Diop de Dakar ;
87 – Babacar FAYE, Phd, Formateur en anglais, Groupe AFORP, Paris ;
88 – Boubacar KANTÉ, Maître de conférences titulaire, Sciences politiques, Université Cheikh Anta Diop de Dakar ;
89 – Cheikh KALING, Maître de conférences titulaire, Histoire, Université Cheikh Anta Diop de Dakar ;
90 – Laina Ngom DIENG, Maître de conférences, Psychologie, Université Cheikh Anta Diop de Dakar ;
91 – Papa Alioune FALL, Professeur assimilé, Électronique et Télécommunications, Université Gaston Berger de Saint-Louis ;
92 – Oumy NIASSE, Enseignante-chercheuse, Data Science, Université numérique Cheikh Hamidou Kane (ex UVS) ;
93 – Ibrahima D. DIONE, Maître de conférences titulaire, Sociologie, Université Assane Seck de Ziguinchor ;
94 – Abdoulaye NGOM, Maître de conférences titulaire, Sociologie, Université Assane Seck de Ziguinchor ;
95 – Amary NDOUR, Maître de conférences assimilé, Histoire du droit, Université Cheikh Anta Diop de Dakar ;
96 – Aboubekr THIAM, Enseignant-chercheur, Communication multimédia, Université numérique Cheikh Hamidou Kane (ex UVS) ;
97 – Alioune Badara THIAM, Maître de conférences titulaire, Droit privé, Université Gaston Berger de Saint-Louis ;
98 – Papa SY, Maître de conférences titulaire, Droit privé, Université Gaston Berger de Saint-Louis ;
99 – Ibra SÈNE, Associate Professor of History & Global and International Studies, The College of Wooster (USA) ;
100 – El Hadji Malick Sy CAMARA, Maître de conférences titulaire, Sociologie, Université Cheikh Anta Diop de Dakar ;
101 – Alpha DIA, Enseignant-chercheur, Économie, Université numérique Cheikh Hamidou Kane (ex UVS) ;
102 – Bara AMAR, Maître de conférences assimilé, Droit public, Université Cheikh Anta Diop de Dakar ;
103 – Ibrahima SILLA, Maître de conférences titulaire, Sciences politiques, Université Gaston Berger de Saint-Louis ;
104 – Papa Fara DIALLO, Maître de conférences, Sciences politiques, Université Cheikh Anta Diop de Dakar ;
Les universitaires qui souhaitent signer cette déclaration peuvent rajouter leur nom et affiliation dans la fenêtre des commentaires, ci-dessous.
par Fatoumata Hane et Jean Alain Goudiaby
NE RATONS PAS NOTRE RENDEZ-VOUS AVEC L’HISTOIRE !
Une fausse crise institutionnelle ne saurait justifier l’annulation des élections présidentielles du 25 février 2024. Une telle décision vient exacerber une vraie crise sociétale que l’on peine à désamorcer depuis 2021
Fatoumata Hane et Jean Alain Goudiaby |
Publication 05/02/2024
C’est avec stupeur et indignation que nous vivons le jour le plus sombre de l’histoire politique et nationale du Sénégal. Ce jour décrit, s’il en était encore besoin, le rapport distancié et conflictuel que le pouvoir entretient avec le peuple ces dernières années. Si dans une démocratie, le pouvoir appartient au Peuple, le Président de la République sortant, en abrogeant le décret 2023-2283 du 29 novembre 2023, portant convocation du corps électoral et l’Assemblée Nationale, à travers la proposition de loi prolongeant le mandat de ce même Président de 6 mois, viennent de rompre le pacte républicain et le contrat de confiance qui fondent la légitimité du pouvoir. Cette situation plonge les citoyens dans des inquiétudes et incertitudes.
Une fausse crise institutionnelle ne saurait justifier l’annulation des élections présidentielles du 25 février 2024. Une telle décision vient exacerber une vraie crise sociétale que l’on peine à désamorcer depuis 2021. Ce qui se joue au Sénégal actuellement n’est ni une affaire de juristes, ni une affaire de partis politiques ! Au-delà de l’illégalité et des manœuvres politiques visant l’annulation de l’élection présidentielle et la prolongation du mandat du Président de la République qui constituent une menace pour la cohésion sociale et le vivre ensemble, cette situation fragilise davantage la place du citoyen dans son rapport aux institutions et à la Nation.
Le citoyen a été spolié de son droit élémentaire à choisir, au moment approprié, celui ou celle à qui il confiera la gestion des affaires publiques et qui devra, dans la plus grande des lucidités, décider avec lui et pour lui. Cette tentative de confiscation du pouvoir finira d’installer la royauté où le souverain aurait droit de vie et de mort sur ses sujets. Or, le citoyen n’est pas un sujet !
Ce manque de respect et de considération du citoyen est flagrante : les universités, lieu de savoir et de construction collective de la citoyenneté, sont fermées, toutes les voix discordantes sont matées, le prix des denrées de première nécessité flambe, les dépenses de prestiges interrogent la pertinence et l’opportunité des actions posées, quand la débandade des jeunes est constatée. On en viendrait même à supposer que le départ massif de jeunes dans des embarcations de fortune serait orchestré pour qu’il n’y ait personne pour porter la voix et travailler à une restauration de la démocratie.
La restriction des données mobiles limite sérieusement le doit à l’information, la possibilité de communiquer (indépendamment de la possibilité de s’organiser pour des manifestations), de travailler et d’exercer librement une activité économique. Cette restriction, une fois de plus, représente un manque à gagner important et une entrave aux libertés individuelles et collectives.
Les grandes douleurs sont silencieuses. Ce murmure est pour nous l’occasion de rappeler l’essentiel et l’obligation que nous avons de préserver l’unité et la cohésion sociale. Cette décision d’annulation et de proposition de loi inique sonne comme une claque en pleine figure. Par conséquent, que les citoyens reprennent leur place et leur rôle au nom de la liberté et de la justice sociale et pour notre République, le Sénégal.
Le mandat du président de la République n’appartient ni au Président, ni à l’Assemblée Nationale, mais au peuple souverain !
Vive le peuple sénégalais, vive le Sénégal
Fatoumata Hane est socio-anthropologue, Université Assane Seck de Ziguinchor
Jean Alain Goudiaby est sociologue, Université Assane Seck de Ziguinchor