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2 avril 2025
Opinions
Par Mbagnick DIOP
REFORMER DE FOND EN COMBLE, POUR UN SYSTEME JUDICIAIRE EQUITABLE AU SERVICE DE LA SOCIETE
La réforme du système judiciaire est un chantier colossal qu’on aurait tort de circonscrire en une séance d’exorcisme pour chasser les démons de la déviance professionnelle.
Cette réflexion, un tantinet audacieuse, s’adresse aux professionnels de la justice en général, aux magistrats en particulier. Vous constituez une corporation perçue de ambivalente en ce sens que vous êtes à la fois redoutés, admirés ou détestés eu égard à la mission qui vous est dévolue : juger vos semblables
Les gens du Livre s’accordent sur la sacralité de votre mission qui n’est pas de tout repos. Il est communément admis que vous êtes délégataires d’un pouvoir divin relativisé en raison du caractère imparfait de l’homme. Ainsi, on vous concède le droit d’affirmer que vous jugez selon votre intime conviction articulée à une interprétation des codes qui régissent le fonctionnement de la justice et selon les dispositions de la Loi. La soumission à vos décisions, intitulées verdicts ou arrêts, est obligatoire et fait fi des sentiments des justiciables auxquels on oppose l’autorité de la chose jugée, pour évacuer d’un revers de main toute contestation voire toute critique. Incontestablement, vous avez des pouvoirs si redoutables que vous pouvez briser les justiciables à travers une seule de vos décisions.
Il est donc clair que la problématique du système judiciaire sénégalais se pose plus en termes d’intégrité personnelle que d’indépendance au sens large du magistrat.
L’appréciation des citoyens à l’endroit de votre illustre corporation est teintée à la fois d’un manque de confiance et d’une défiance qui en disent long sur la nécessité de repenser le système judiciaire dans son ensemble.
En voyant certaines décisions rendues par nos cours et tribunaux, les citoyens s’interrogent légitimement sur la capacité des professionnels de la justice à jouer sans faiblesse leur rôle de régulation institutionnelle et sociale. De rendre la justice. Le Sénégal sous l’autorité du Président Macky Sall, a été quasiment transformé en prison à ciel ouvert. Cela du fait de l’ardeur répressive d’agents des forces de défense et de sécurité mais aussi, et surtout, de magistrats enclins à bâcler les droits des justiciables sur la base de leur asservissement au pouvoir exécutif. Durant les 12 ans au pouvoir du président Macky Sall, les magistrats ont baissé la garde. Or, les citoyens exigent à juste raison que les magistrats soient le rempart inébranlable contre l’injustice et l’autoritarisme susceptibles de saper la concorde nationale. Vous avez donc le devoir de résister à toute forme de subordination contraire aux valeurs d’un État de droit. Une telle posture ne signifie nullement que vous cédiez à la tentation d’instaurer une République des juges. Il s’agit de donner aux citoyens l’assurance que leurs droits fondamentaux autant que leurs devoirs ne seront plus bafoués sur l’autel de l’autoritarisme. Les citoyens n’ont que trop souffert de l’interprétation abusive et simpliste qui consiste à leur dire sans autre forme de procès que la loi est dure mais c’est la loi (dura lex sed lex). Si l’on veut que les citoyens soient foncièrement respectueux de la loi, il est impératif qu’ils la comprennent. Ce même si l’on dit que nul n’est censé ignorer la loi. Or, il est absolument nécessaire que les tenants et les aboutissants de cette loi leur soient expliqués à travers diverses approches pédagogiques et linguistiques avec des supports appropriés. Une loi d’essence humaine doit être à hauteur de la société à laquelle elle doit s’appliquer.
La réforme du système judiciaire est un chantier colossal qu’on aurait tort de circonscrire en une séance d’exorcisme pour chasser les démons de la déviance professionnelle. Elle exige des femmes et des hommes, en charge du bon fonctionnement de la Justice, une renaissance morale qui sous-tendra une nouvelle dimension, celle de la noblesse et de la sacralité du devoir de juger ses pairs.
Faisons une rapide revue de ces caractéristiques reconnues d’une bonne Administration publique telles que définies par les experts chercheurs en Administration Publique..
Depuis l’avènement du régime libéral en 2000, l’Administration publique sénégalaise s’est dénaturée, en perdant certaines de ses caractéristiques qui font dire qu’elle s’est « politisée ». Faisons une rapide revue de ces caractéristiques reconnues d’une bonne Administration publique telles que définies par les experts chercheurs en Administration Publique..
EGALITÉ
« C’est à la fois le principe fondamental du service public et l’une des valeurs de la République. Les services publics sont le principal instrument de ce principe et l’égalité devant le service public et l’égalité d’accès aux services publics est déterminante pour l’accomplissement cette “mission”. « {Le principe d’égalité implique qu’aucune distinction ne soit faite entre usagers quant à l’accès au service public comme au service rendu lui-même. Chacun doit être à même de bénéficier des prestations du service public sans se trouver en position d’infériorité en raison de sa condition sociale, de son handicap, de sa résidence, ou de tout autre motif tenant à sa situation personnelle ou à celle du groupe social dont il fait partie. »
CONTINUITÉ
« L’importance des services publics induit un principe de continuité. La continuité des services publics est la concrétisation de celle de l’Etat et elle peut également être considérée comme un corollaire de celui d’égalité, car la rupture du service pourrait introduire une discrimination entre ceux qui en bénéficient et ceux qui en sont privés. » « La continuité est de l’essence même du service public. Elle exige la permanence des services essentiels pour la vie sociale comme les services de sécurité (police, pompiers), les services de santé (hôpitaux), les services de communication, certains services techniques (électricité, gaz, eau), etc. Elle implique que tout service doit fonctionner de manière régulière, sans interruptions autres que celles prévues par la réglementation en vigueur et en fonction des besoins et des attentes des usagers ».
ADAPTATION (MUTABILITÉ)
« L’adaptation est nécessaire pour ajuster les technologies aux besoins, tous deux en évolution rapide ; lorsque les exigences de l’intérêt général évoluent, le service doit s’adapter à ces évolutions. ». La mutabilité signifie également que le service public soit le plus possible à la portée des citoyens qui en sont les bénéficiaires.
ACCESSIBILITÉ
« L’accessibilité et la simplicité sont les conditions mêmes d’un service tourné vers les usagers. »
«{La complexité des règles administratives, l’inflation des textes législatifs et réglementaires sont à juste titre dénoncés et l’opacité de certaines règles ne peut que susciter l’incompréhension entre les services publics et l’usager-citoyen. »
« La complexité est pour une part inévitable, dans une société elle-même de plus en plus complexe et diversifiée et pour une administration qui s’efforce de répondre à des exigences de plus en plus fortes et à des demandes de plus en plus personnalisées. L’existence de procédures ou de textes clairs et compréhensibles est toutefois garante de l’état de droit dans notre société républicaine : neutralité, égalité et respect de la loi dans des conditions identiques pour tous en fonction des situations de chacun. »
« L’effort de simplification et de clarification administratives est donc un levier essentiel de l’amélioration de la relation des services publics avec leurs usagers. Les services publics doivent s’attacher à lutter contre l’inflation des normes de toutes sortes et ne préparer de nouvelles règles juridiques que dans la mesure où le problème posé ne peut être résolu par d’autres moyens. Ils doivent en permanence rechercher les moyens d’un allégement des démarches et formalités que l’usager doit accomplir pour bénéficier d’un service ou d’une prestation et tout usager doit pouvoir être aidé par les agents des services publics pour l’accomplissement des formalités qui le concernent. »
NEUTRALITÉ
« Corollaire du principe d’égalité, la neutralité garantit le libre accès de tous aux services publics sans discrimination. Intimement liée à la nature de l’État républicain, à son rôle de gardien des valeurs républicaines, la neutralité doit s’inscrire dans l’activité quotidienne des services publics. Elle implique la laïcité de l’État, l’impartialité des agents publics et l’interdiction de toute discrimination fondée sur les convictions politiques, philosophiques, religieuses, syndicales ou tenant à l’origine sociale, au sexe, à l’état de santé, au handicap ou à l’origine ethnique. Tout usager dispose donc des mêmes droits face à l’administration et les procédures doivent être garantes de son impartialité} » .
TRANSPARENCE
« La transparence et la responsabilité permettent aux citoyens et aux usagers de s’assurer du bon fonctionnement du service public et de faire valoir leurs droits. Le principe de transparence permet à tout citoyen ou usager de s’assurer du bon fonctionnement des services publics. Tout usager dispose d’un droit à l’information sur l’action des services publics et ceux-ci ont l’obligation d’informer les usagers de manière systématique (média, presse, brochure, guide) L’action de l’administration doit respecter certaines procédures (enquêtes publiques, procédures consultatives, motivation des décisions). L’administration doit s’efforcer de suivre une procédure contradictoire préalable à la décision afin de permettre à l’administré de faire valoir ses arguments. Souvent, elle en a l’obligation. »
« La transformation de l’action des services publics passe par une évaluation objective du résultat de cette action et, sur cette base, par des mesures destinées à en mesurer l’efficience. L’évaluation des politiques et des actions publiques est un devoir s’imposant à tous les services et à tous les niveaux de l’État. Elle est le gage de l’efficacité mais aussi de l’effectivité du service public. »
Évaluons l’Administration publique sénégalaise par rapport à ces principes de service public, caractéristiques d’une bonne Administration publique. On peut décerner une mention honorable à notre Administration publique en ce qui concerne les principes du service public ci-dessous :
- La continuité du service public ;
- L’adaptabilité ou la mutabilité ;
- L’accessibilité.
Mais sur les principes ci-après, l’Administration publique sénégalaise s’est beaucoup dégradée :
- L’égalité,
- La neutralité,
- La transparence.
On pourrait remonter très loin pour montrer des cas ou l’Administration publique sénégalaise n’a pas répondu aux trois principes ci-dessus. On peut citer les nombreuses nominations aux postes stratégiques des entreprises publiques d’hommes politiques sans considération des compétences professionnelles requises, en leur assignant des objectifs politiques voire purement partisans. Ici les principes de neutralité, d’égalité et de transparence sont largement remis en cause dans la gestion de ces entreprises publiques qui sont avant tout des services publics.
Ainsi au niveau du recrutement du personnel, on recrute non pour satisfaire les besoins de l’entreprise mais pour satisfaire une clientèle politique. C’est le cas de la POSTE où les trois Directeurs Généraux qui se sont succédé récemment ont recruté chacun plus de 1000 agents faisant passer les effectifs de cette entreprise à plus de 5000 agents. Il est évident que ces recrutements ne correspondent nullement à des besoins de l’entreprise, dans un secteur où le développement des technologies modernes réduit de manière drastique l’utilisation de main d’œuvre. Il semble que la situation est la même dans beaucoup d’autres entreprises publiques comme la SONAPAD, la RTS, et d’autres agences publiques.
Le mode de choix des dirigeants sur des critères purement politiques fait qu’il entraine des décisions de gestion et d’administration internes qui sont souvent orientées, dénuées de ces caractéristiques de neutralité et d’égalité attendues d’une bonne administration publique.
Le comble de la politisation de notre Administration publique a été la menace publique, récurrente, du Président de la République sortant, Macky Sall, à l’approche de chaque élection, envers les dirigeants de services publics, s’ils perdent les élections dans leurs terroirs. Dans la gestion des marchés publics également ces principes sont remis en cause.
Les appels d’offres et attributions des marchés manquent généralement de transparence, d’égalité de traitement des fournisseurs. Beaucoup de marchés et bons de commande sont attribués à des collaborateurs politiques qui souvent, n’ayant pas les compétences techniques et financières, les sous-traitent à d’autres entreprises.
On peut aussi faire noter des exemples plus récents dans la gestion du processus électoral où des services du Ministère de l’Intérieur comme la Direction Générale des Élections (DGE) , la Direction de l’Automatisation des Fichiers (DAF) n’ont pas été respectueux des principes du service public d’égalité et de neutralité en refusant d’appliquer une décision de justice ou de donner la fiche de parrainage à un candidat à l’élection présidentielle.
La conjugaison ou cumul de l’absence de ces trois caractéristiques produit un « effet de halo » qui fait dire que l’Administration sénégalaise s’est bien malheureusement politisée. L’avènement d’un nouveau régime dont les principaux dirigeants ont été victimes de la politisation de notre Administration publique et qui s’est engagé à y mettre fin, est une opportunité pour remettre de l’ordre et dépolitiser notre Administration publique qui a toujours été une référence, un modèle à suivre en Afrique.
Comment faire de manière concrète pour atteindre les objectifs souhaités. ? Quelques propositions :
1. Interdiction à certains corps de fonctionnaires d’adhérer à un parti politique et de mener des activités politiques : en plus des magistrats, inspecteurs généraux d’Etat, des corps de police et de gendarmerie, il serait opportun d’étendre l’interdiction aux corps des régies financières : Impôts, Trésor, Douanes. Les fonctionnaires de ces corps collectent et gèrent les ressources financières les plus importantes de l’Etat. Les autoriser voire les obliger à mener des activités politiques a, sans aucun doute, entrainé des abus, des actes d’administration et de gestion arbitraires, ne respectant pas les principes de neutralité et d’égalité du service public. Sans avoir eu à prendre de texte de loi ou règlementaire, le régime de Abdou Diouf avait réussi à dissuader les hauts fonctionnaires du Ministère des Finances à s’impliquer dans des activités politiques.
2. L’interdiction formelle a un certain nombre de Directeurs Généraux d’entreprises et d’agences publiques d’être membre d’un parti politique. Le critère à retenir pour la liste de ces organisations/ services publics pourrait être celles dont la mission est d’octroyer des financements ou des subventions d’origine publique. On peut citer la DER, le FONGIP, FONSIS, l’Agence nationale de l’emploi des Jeunes et d’autres similaires.
- 3. Instaurer une procédure de sélection transparente de tous les emplois de direction de l’Administration centrale, des directions générales d’entreprises publiques, d’agences publiques. Il est possible d’adopter une démarche rationnelle applicable aux différents niveaux hiérarchiques de décision de l’Administration publique sénégalaise, soit au niveau du département ministériel, de la primature et de la présidence de la République. . - 1. Mettre en place auprès de l’autorité de nomination une Commission de Sélection aux emplois supérieurs.
Cette commission serait chargée de :
- D’élaborer les fiches descriptives de poste des emplois à pourvoir : l’élaboration des fiches descriptives de poste est un important travail préalable à faire par le DRH ou à faire faire. En effet dans aucun département ministériel ou entreprise ou agence publique il n’existe un cahier des fiches descriptives de poste des emplois supérieurs. La description des emplois dans les décrets d’organisation des départements ministériels ou des entreprises et agences publiques est très sommaire et ne peuvent être considérées comme des fiches descriptives de poste.
- De lancer au moment opportun, chaque fois que de besoin, l’appel à candidatures ;
-De procéder à la sélection des candidats par des tests écrits, et/ou oraux, d’entretien ;
- De faire les vérifications et enquêtes nécessaires sur la personnalité et la moralité des candidats ;
- De proposer à l’autorité de nomination le choix par ordre de mérite.
Cette commission pourrait être dirigée par le Directeur des Ressources Humaines (DRH) du département ministériel ou un Conseiller Technique du Premier Ministre ou du Président de la République et comprendre des cadres compétents en matière d’évaluation des compétences venant des corps de contrôle comme l’IGE, le Contrôle Financier, et le BOM. Notre Administration regorge de hauts fonctionnaires expérimentés, et très compétents en matière d’évaluation des compétences et en ressources humaines. Les utiliser permet d’éviter les charges et coûts d’un cabinet privé qui souvent ne maitrisent pas l’environnement de travail de l’Administration publique.
Pathé NDIAYE
CONSEILLEN EN ORGANISATION DE CLASSE EXCEPTIONNELLE
ANCIEN DIRECTEUR DU BOM
par Cheikh Omar Diallo
LA SUPPLÉANCE DES DÉPITÉS
EXCLUSIF SENEPLUS - Dans la doctrine Macky, le statut du député se traduit depuis 2022 par la possibilité à lui offerte de reprendre son siège après la fonction ministérielle. Amadou Ba, Mariama Sarr, Diouf Sarr, etc. peuvent redevenir députés
Les ministres de Macky Sall se recyclent en députés
Dans le corpus législatif sénégalais, le suppléant remplace le député empêché à court terme et non pas de manière définitive. En clair, les ministres de Macky Sall précédemment élus députés en 2022 peuvent librement regagner leur siège après la défaite de leur candidat à la présidentielle, Amadou Ba, le 24 mars 2024.
Telle est l’économie de la suppléance prévue dans la loi organique du 4 mai 2019 qui prévoit que tout autre parlementaire nommé ministre pourra reprendre automatiquement sa place à l’hémicycle, s’il n’exerce plus de charge ministérielle.
Ainsi donc, s’ils le veulent, Amadou Ba, Mariama Sarr, Abdoulaye Diouf Sarr, Fatou Diané, Abdoulaye Seydou Sow, Daouda Dia, Me Oumar Youm entre autres peuvent redevenir députés.
Sous le bénéfice de cette affirmation, il faut rappeler que l’incompatibilité entre la fonction ministérielle et le mandat parlementaire entraînait ipso facto le remplacement définitif du député par son suppléant, qui, à son tour, conservait le siège jusqu’au terme du mandat. Avec cette incompatibilité proclamée, le système politique sénégalais consacrait ainsi un dogme intangible de rang constitutionnel.
Mais aujourd’hui, dans la doctrine Macky Sall, le statut du député se traduit depuis 2022 par la possibilité à lui offerte de reprendre son siège après la cessation de sa fonction ministérielle, conformément à l’article 54 de la Constitution du 22 janvier 2001. Ce fait juridique vient tempérer la reconnaissance du dogme « incompatibilités entre fonction gouvernementale et mandat parlementaire ».
Dans le même ordre d’idées, en cas de vacance du siège de député pour cause d'empêchement [nomination ou maladie], le suppléant désigné exercera pleinement la fonction de député pendant la durée de l'empêchement. En clair, on ne peut suppléer un titulaire que s’il y a incompatibilité entre le poste de député et la fonction occupée. Le suppléant pourra alors siéger mais quand le titulaire cessera ses fonctions précédentes, le suppléant lui cèdera la place.
En octroyant un titre révocable et précaire au suppléant, l’intention du prédécesseur de Bassirou Diomaye Faye était de reconnaître et de consacrer la primauté élective du député élu, devenu ministre.
Possiblement des anciens ministres regagneront leur fauteuil à la place Soweto. Ministre aujourd’hui député demain ; ministre hier, député aujourd’hui.
C’est alors que le suppléant cessera d’être député suppléant ; tandis que le député suppléé redeviendra député de plein droit.
Faux suppléant : « vrai garde-place »
Passons rapidement sur la « tragédie sociale, familiale et personnelle » qu’est la déchéance politique du « simple suppléant » pour nous arrêter sur le principe de la séparation stricte des pouvoirs qui s’en trouvera fortement atténué. Ce qui incidemment consacrera, le caractère temporaire de la suppléance et par la même occasion, accentuera l’idée de suppléant « garde-place ».
Pour rappel, au lendemain de l’indépendance du Sénégal, la compatibilité entre la fonction ministérielle et le mandat parlementaire était une pratique constitutionnelle acceptée. En permettant ainsi aux parlementaires de devenir ministres, sans cesser de siéger l’Assemblée nationale, les Mamadou Dia, Valdiodio Ndiaye, Alioune Badara Mbengue, Karim Gaye, Emile Badiane et Demba Diop, entre autres ont cumulativement été des ministres-parlementaires. Une coutume législative inspirée des IIIe et IVe république en France.
Cela dit, c’est l’avènement de la Ve république voulue par le Général Charles de Gaulle qui fixe, pour la première fois, le régime des incompatibilités et des inéligibilités des députés prévu dans la Constitution du 4 octobre 1958. Par héritage constitutionnel, depuis plus de cinquante ans, le législateur sénégalais l’avait inséré dans le corpus juridico-politique.
Au passage, il faut noter qu’au Royaume-Uni, le Premier ministre et ses ministres sont tous membres du parlement (chambre des communes). De ce fait, l’élu britannique n’a pas de suppléant. En cas de décès, démission ou destitution, il est procédé à une élection partielle appelée by-election. Une pratique toujours en cours.
Docteur Cheikh Omar Diallo est enseignant-chercheur en Sciences Juridiques et Politiques, fondateur l’Ecole d’Art oratoire et de leadership.
par l'éditorialiste de seneplus, ada pouye
LA SYMBOLIQUE DE LA RUPTURE
EXCLUSIF SENEPLUS - Laisser la présidence régenter la foi, les corps de contrôle et le Bureau d’intelligence et de prospective économique, n’est-ce pas une manière de renforcer le présidentialisme avec des ramifications insoupçonnés d’un État mal nourri ?
Déconstruire - Reconstruire deux mamelles qu’il est difficile de séparer dans le contexte politique du Sénégal et deux armes redoutables pour la renaissance. Il s’agit là de l’enjeu pour satisfaire la demande sociale d’un peuple meurtri par la gouvernance la plus tortueuse de notre histoire.
Contrairement aux autres élections empreintes de “dégagisme”, celles de 2024 portent la marque du vote affectif et réactif contre un système de prédation et d'accaparement. Traduisant la radicalité autour de l’anti-système que la jeunesse a bien ingérée par son engagement sans faille. Le discours sur l’anti-système aura été le dividende de la victoire. Ce dividende a un prix pour une rupture systémique à la hauteur des attentes des masses. Ce choix « d’anti… » implique la dé-construction du modèle néo-colonial qui prévalait. Un nouvel imaginaire socio-politique décomplexé est à reconstruire par les nouvelles autorités pour mieux coller aux aspirations des populations en vue d’un progrès social véritable. Nous avons là une opportunité pour Déconstruire - Reconstruire le modèle qui a conduit à la faillite de notre gouvernance.
Diomaye et Sonko désormais au pouvoir, tous leurs actes sont scrutés sur la matérialité de leur posture médiatique anti-système et les ruptures. Ils doivent faire face aux adversités de l’ancien régime, de l’impérialisme des institutions de Bretton Wood et des lobbies multidimensionnels qui gangrènent notre société.
Tous les symboles du désenchantement politique se cristallisent pour nourrir un espoir de rupture systémique. Le projet qui est un mythe fondateur de nouvelles espérances justifie une sédimentation des signes de rupture annoncée.
Le choix d'un gouvernement au profil technocratique et politique avec 25 ministres au lieu de 10 est-il un vrai signe de rupture ? La rupture fondamentale réside plus dans le contenu des politiques publiques et non dans la cosmétique des modèles et principes technocratiques.
Le dernier communiqué du Conseil des ministres qui accorde une large place aux directives du président de la République reprend le même format « présidentialiste » et soulève beaucoup d’interrogations. L’essentiel du communiqué porte sur les instructions présidentielles dont le point fort reste la publication des rapports des corps de contrôle. Le déplacement dans les foyers religieux est interprété comme de la courtoisie sociale mais ne doit pas se traduire par des promesses comme le faisait l'ancien système. Il prend la forme d’une continuité et non d’une rupture pour la poursuite de modernisation des foyers religieux en termes d’infrastructures de base (voirie, eau, assainissement, électricité).
Les signes d’une timide hyperprésidence se manifestent par la création d’une « direction des Affaires religieuse » au sein de la présidence, composée du bureau des Affaires religieuses et de celui de l’insertion des diplômés de l’enseignement arabes. Le ministère de l’Intérieur, le ministère du Travail et de l’emploi et le ministère de l’Éducation nationale ne sont-ils pas les structures les plus habilitées pour ces taches ?
Laisser la présidence régenter la foi, les corps de contrôle et le Bureau d’intelligence et de prospective économique, n’est-ce pas une manière de renforcer le présidentialisme avec des ramifications insoupçonnés d’un État mal nourri ?
Qui trop embrasse mal étreint ! La rupture symbolique doit pénétrer tous les segments de notre corpus social et justifier une mobilisation sociale volontaire autour de l’enterrement des vieilleries de l’état néo-colonial. Il est urgent de se tourner vers la renaissance africaine si chère à Cheikh Anta Diop.
Par Assane SAADA
ENTRE PENSEE ET DIRE…, UN CULTE DE L’ABIME
Jamais encore des bureaux de parlotes n’ont construit un pays ni vaincu une désespérance. Mais l’étrangeté n’est plus une surprise
Jamais encore des bureaux de parlotes n’ont construit un pays ni vaincu une désespérance. Mais l’étrangeté n’est plus une surprise. L’excès fait l’idole. La Présidentielle ne leur a pas fait perdre leurs illusions d’instaurer une terreur «respectueuse». Et le pays grouille du bruissement des intelligences perverses. Impossible pour elles de vivre autre que contre les autres. Rien ne semble pouvoir les infléchir. Elles n’explorent plus l’existence bonne et elles s’extasient au mal. Leur horizon serait un crépuscule. Et dans celui des idoles, Friedrich Nietzsche écrit : «On ne peut exclure la danse, sous toutes ses formes, d’une éducation raffinée : savoir danser avec ses pieds, avec des idées, avec les mots. Est-il encore besoin de dire que l’on doit aussi savoir danser avec sa plume…» Aujourd’hui qu’elles ne savent plus danser, elles se chevauchent sur des pistes. Elles se prennent et se méprennent à confondre embrassement et embrasement. En écho de leurs ondes négatives, l’exhalaison de leurs répugnances.
Pour une vie paisible de braves gens, souffrir à assumer ses belles âmes devient un prix à payer. L’éloge de la rancœur et de la perfidie est tel que l’on n’entend plus ces chants cadençant des labeurs d’honnêtes travailleurs implorant ainsi une baraka sur leurs maigres gains selon une culture populaire. Que ressuscités, «Sa-Dagga Ma-Goné le M’Bandakatts, le chanteur – diseur – danseur, le Géant – de – sœur Deghène et son assistant Batj-Guèwel-le-Tambourinaire» ne sauraient plus, à la fraîcheur du soir, égailler ainsi la cité : «Sou Ma yéghone / Doghi n’ghèmbe ! Deuke bi Leghèy ta fi Khèw ! – Dans cette ville / Seul le travail est à la mode !» (voir Contes et lavanes, Birago Diop). Seulement, face aux pitreries, à la prestation des prophètes et autres pasteurs ou khalifes qui se bâtissent par la terreur de la fabulation, le peuple, jamais résigné, garde une grimace heureuse. Certainement en souvenance de ces mots du président Léopold Sédar Senghor : «Au Sénégal, puisque Dieu nous dota d’un don de fabulation, “Radio-cancan” marche à pleines ondes, mais tout cela n’est pas sérieux.» Et le peuple ne court pas des temples où une «piété» offense une dignité, l’humaine condition. Où une beauté s’enfle d’un mot qui tue.
Organisation et méthode : on a tout essayé !
Le peuple laisse respirer que des idiots ne tremblent plus. Ils suivent leur index si aveuglés qu’ils ne regardent plus leur pouce. Réunis dans des bureaux des parlotes, «di wax muy dox», pensent-ils ainsi être dans une transgression et pouvoir bâtir un lendemain meilleur, un pays juste et prospère. C’est peut-être leur compréhension de la notion de rupture. Chez eux, peu leur importe qu’une personne soit «persuadée des choses qui sont dites et (…) consentante aux choses qui sont faites». Leurs mensonges ne leur troublent ni leur étourdissent. C’est à fond dans un manichéisme que «la valeur d’un énoncé ne réside pas dans sa vérité ou dans sa sincérité, mais dans les systèmes de renvoi qui font jouer tel ou tel groupe contre tel ou tel autre» (Gaspard Koenig). Et vers cette musique de l’abîme tendent-ils leurs mains et leurs cœurs croyant entendre leur chant de gloire. L’organisation et la méthode du chemin du salut enfin trouvé.
Comprendre une constance des choix des populations fait-il, par moments, réfléchir ? De Sédar à Diakhar, une même rengaine qui n’a jamais ébranlé les votes des électeurs. Le peuple, souverain qu’il reste, s’est toujours choisi un de ses fils de la périphérie pour le bénir et l’installer au centre. Au Sénégal, jamais un candidat idéal ou de l’idéal de certains autres «bons penseurs» n’a encore été élu. Un président par défaut et fier de l’être sont-ils cinq à devoir assumer cette caricature. Leur destin se confondant à celui d’un pays qui attend toujours de ses enfants qu’ils travaillent à être à la hauteur des enjeux d’aujourd’hui et de demain. Qu’ils ferment leurs bureaux des parlotes, bannissent leurs motions incendiaires qu’ils émettent en incrédules qui, ensuite, composent avec de pires adversaires de leurs imaginaires. Au demeurant, peut-être que tout n’a pas encore été essayé dans un Sénégal où rares sont ceux qui se rappellent d’un Bureau organisation et méthode de la présidence de la République et ce à quoi il avait servi.
par El Hadji Mamadou Tounkara
LE SÉNÉGAL ET LA SORTIE DU FRANC CFA : EUPHORIE OU SURRÉALISME
Les problématiques de notre tissu économique ne résident pas sur la souveraineté monétaire mais sur l’économie réelle : la diversification industrielle, la restructuration du secteur informel et la revalorisation du secteur primaire
El Hadji Mamadou Tounkara |
Publication 22/04/2024
Le débat sur le franc CFA et la sortie éventuelle du Sénégal font le tour des bancs publics et catalysé par l’accession du nouveau régime souverainiste.
Force est de reconnaître que le Sénégal comme la plupart des pays de l'Afrique de l’Ouest ont des économies relativement diversifiées. Autrement dit, il s'agit des pays importateurs de produits finis majoritairement constitués des biens de consommation finale et intermédiaire.
Or des études empiriques ont montré que dans les économies très faiblement diversifiées ou mono-exportatrices, la dépréciation du taux de change a un impact limité sur l'ajustement du solde courant par les quantités.
En effet, les gains de compétitivité apportés par la dépréciation ne permettent pas de stimuler les volumes d'exportations, qui sont presque exclusivement composés de matières premières, dont les prix sont fixés en devises sur les marchés internationaux.
De plus, la substitution de produits domestiques aux importations est limitée par le manque de développement de certains secteurs hors matières premières. L'augmentation des prix d'importation provoquée par la dépréciation du taux de change entraîne une hausse de l'inflation et une contraction de la demande intérieure. En particulier, la production des secteurs qui ont besoin de biens intermédiaires importés, est affectée par la hausse des prix d'importation. Par conséquent, pour un pays producteur de matières premières très peu diversifié ou mono-exportateur, un régime de change fixe – si l'ancrage de la devise domestique est crédible présente l'avantage de permettre une plus grande stabilité dans le temps du pouvoir d'achat à l'importation.
Toutefois, la pérennité d'un régime de change fixe n'est possible que si la banque centrale conserve des réserves de change suffisantes pour faire face à d'éventuelles pressions à la dépréciation. Ces réserves doivent être accumulées en haut de cycle, lorsque les prix des matières premières sont élevés et que le pays accumule des excédents courants. Si les réserves sont insuffisantes pour maintenir l'ancrage face à des pressions à la dépréciation, les autorités recourent dans certains cas à des contrôles de capitaux plus ou moins stricts pour rationner l’offre de devises.
En cas d'épuisement des réserves, les autorités seront contraintes de dévaluer la monnaie, voire d'assouplir le régime de change, comme l'ont fait un certain nombre de pays ces dernières années.
De plus, le Sénégal sera bientôt exportateur de gaz et de pétrole, la stabilité monétaire sera un enjeu crucial dans la capitalisation des retombées économiques et financières.
Certes l’arrimage avec l’Euro peut réduire l’efficacité et le rendement des politiques de diversification industrielle car du fait de l'ancrage à l’Euro, le franc CFA est considéré comme une monnaie forte va entraver la compétitivité des pays membres voire les inciter à l’importation des produits étrangers via le commerce bilatéral avec les pays de l’Europe au détriment du commerce Sud-Sud et avec les pays émergents.
Contrairement à ce qu’on pourrait penser, la sortie de la zone franc n’aurait pas d’impact significatif dans le court ni dans le moyen terme car les défis de l'économie réel plombent l’effet du gain de l’instrument de change sur la compétitivité et l’efficacité des politiques de change.
Il faudrait donc travailler et mettre l’accent sur la diversification industrielle et la substitution des importations en mettant en œuvre une politique économique basée sur la production et consommation locale jusqu'à atteindre un seuil cible d’autonomie de diversification industrielle.
Le modèle de la Chine basé sur un régime à taux de change affaibli est un paradigme digne d’un pays exportateur. En effet, le régime de change flexible est plus avantageux aux pays ayant un panier d’exportation riche et diversifié et non aux pays “importateurs” comme le Sénégal et qui n’ont pas atteint la diversification industrielle. Comme le disait J.B SAY “la monnaie ne peut être désirée pour elle-même, car elle n'est qu'un voile, de l'huile dans le rouage des échanges économiques”.
Bien que ce sujet de souveraineté monétaire soit une promesse électorale ; les lois et fondamentaux économiques ne nous permettent pas de tirer les épingles du jeu.
Les vrais problématiques de notre tissu économique ne résident pas sur la souveraineté monétaire mais plutôt sur l’économie réelle : la diversification industrielle, la restructuration du secteur informel (productif et improductif) et enfin la revalorisation du secteur primaire.
El Hadji Mamadou Tounkara est spécialiste en stratégie internationale économique et financière, Expert en lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du Terrorisme – diplômé de l’Institut Supérieur d’Economie et de Management de l’Université de Nice.
Sources :
Rapport du ministère français de l’économie et des finances (2017) « Quel impact de la politique de change pour les pays exportateurs de matières premières »
Augier, P., O. Cadot and M. Dovis (2009) « Imports and TFP at the Firm Level »
Auty, R. (2000), «How Natural Resources Affect Economic Development »
Cabellero, R. J., and K. Cowan (2006) «Financial integration without the volatility»
LA JEUNESSE EN PHASE DE RÉAPPROPRIATION DE L’ESPACE POLITIQUE SÉNÉGALAIS
La scène politique a littéralement changé de configuration depuis bientôt dix ans avec l’avènement d’un nouveau discours politique trempé dans les idéaux souverainistes qui fondent les aspirations des populations actuelles
Ngor Dieng et El Hadji Farba Diop |
Publication 22/04/2024
La conquête du pouvoir telle qu’elle soit, où qu’elle s’opère, est impulsée par le dynamisme de la jeunesse, surtout lorsque celle-ci est idéologiquement formée. Au Sénégal, la majeure partie des acquis sur le plan démocratique et socio-économique ont été obtenus au prix de sacrifices, d'engagements, de détermination et de luttes acharnées. La scène politique sénégalaise a littéralement changé de configuration depuis bientôt dix ans avec l’avènement d’un nouveau discours politique trempé dans les idéaux souverainistes qui fondent les aspirations des populations actuelles. Les masses populaires, s’exprimant un peu partout en Afrique, apprivoisent aujourd'hui, les contours ou les possibilités de rebâtir un système de gouvernance socio-politique juste et égalitaire pour « sortir de la grande nuit », d'après l’idée partagée par Achille Mbembe dans un ouvrage éponyme.
Cet espoir qui anime les populations africaines en général et particulièrement celles sénégalaises, semble susciter une certaine sensibilité et parfois des mouvements de révolte lisibles dans le discours des citoyens, surtout auprès de la jeunesse, accusée à tort de « génération zélée ». Quand on analyse les réactions révolutionnaires de cette nouvelle génération de jeunes africains, plusieurs éléments peuvent aider à comprendre leur posture dans le contexte actuel de l’évolution de nos sociétés. En effet, l’Afrique a subi pendant des siècles une série de domination multiforme, qui a servi à réduire la dignité de l’homme noir au néant, à chosifier le noir, à l’humilier, à l’exploiter jusqu’à la dernière goutte de sueur, à le réduire à l’esclavage, à le vider de sa substance culturelle et à le tuer moralement et physiquement dans son propre milieu de vie.
Cette histoire douloureuse que l’on veut faire oublier par la magie du pardon et de la réconciliation a laissé des séquelles dans la conscience des africains, qui accusent les envahisseurs occidentaux au demeurant, de crime contre l’humanité et d’avoir été, en partie, les auteurs de leur retard de développement. À la suite du désastre causé par la succession des périodes d’occupation et de domination occidentales, la forme de création de nos États post-indépendants n’a pas permis d'assurer une gouvernance socio-politique efficace face aux défis de l’époque et aux urgences de développement. Le mimétisme politique exercé par les élites africaines à la tête de leurs pays depuis les indépendances, a conduit à un échec consommé qui a plongé les populations dans une chute abrupte vers les versants du sous-développement. Les facteurs bloquants émanent d'un contraste socio-économique parfois soumis au diktat des puissances étrangères et des institutions financières internationales (Banque mondiale, FMI) et d’une opacité dans le modèle de gestion des affaires publiques. Pourtant, de fortes ambitions ont porté les actions de changement et ont fait apparaître « les Soleil des indépendances » (A. Kourouma, 1968) dans un contexte où les défis structurels étaient orientés vers la construction d’États démocratiques forts, d’une réadaptation d’un système socio-politique en phase avec nos réalités intrinsèques, et l'adoption d'un système de gouvernance prenant en compte d’une part, de nouveaux paradigmes économiques basés sur l’industrialisation, conjuguée à une meilleure exploitation des ressources et d’autre part, de proposer sur le plan géostratégique, un modèle de diplomatie décomplexée.
Les décennies ayant suivi le « retrait » de la puissance coloniale aux affaires, sont marquées par un désenchantement total, caractérisé par des conflits internes (crises politiques, guerres tribales, rebellions…), un système gabégique, des pouvoirs dictatoriaux, des censures médiatiques, des économies dépendantes, une pauvreté endémique sans oublier un retard technologique inquiétant. Ces tares ont ponctué la trajectoire de la majorité des États africains post-indépendants avant d'être plongés dans un écosystème de mondialisation où les intérêts économiques fécondent les types de relations entre pays et entités politico-économiques. Dans ce jeu des acteurs à l'échelon mondial, l'Afrique semble subir le poids des décisions souvent arbitraires, malgré qu'elle soit désignée par les puissances mondialistes comme « l'avenir du monde » mais un avenir, semble-t-il, sans les Africains. Comment un continent de plus de 30 millions de km² avec une population de plus d'un milliard d’habitants, majoritairement jeune, des ressources minières, forestières et hydrauliques en abondance, peut-il se soumettre à un système d’aide au développement depuis les indépendances alors qu’il est le grenier du monde ?
Axelle Kabou, dans les années 1990 a posé l’hypothèse suivante : Et si l'Afrique refusait le développement ? Elle soutient dans ces propos que : « les Africains restent largement persuadés que leur destin doit être pris en charge par des étrangers", que "les prétentions civilisatrices de l'Occident ne s'arrêtent pas avec les indépendances. » Cette idée défendue par l’auteur de « Comment l'Afrique en est arrivée là ? » publié en 2014, fait allusion à un aveux d’impuissance et un complexe d’infériorité face à l’hégémonie occidentale et à leur invasion culturelle, subtilement implémentée à travers divers faisceaux de communication, de stratégie d’actions et de discours. Ce fut le procédé d’influence à grande échelle adopté par l’occident et qui a servi à attiser une posture de méfiance et de révolte du côté de la jeunesse africaine. Qu’en est-il de l’écosystème socio-politique sénégalais et de ses mutations ?
Les mouvements ou phénomènes sociaux marquent l’irruption de masse d’associations de jeunesse dans l’espace public sénégalais. Ces phénomènes, différents dans leur nature tout comme dans leurs modes d’action et leurs finalités, prennent place cependant dans un horizon commun : ils s’inscrivent dans une dynamique d’affirmation générationnelle et d’émergence d’une conscience citoyenne. Cette volonté, de la part de la jeunesse, d’une prise en main de son destin par elle-même, est le moteur de ces expériences diverses qui ont tout sens de l’initiative, de leur capacité créatrice, et de leur habileté à se constituer en rempart et en une force de conscientisation, de résistance et de combat. Ces mouvements se dressent incontestablement comme révélateur d'une nouvelle perception citoyenne et militante, et comme catalyseur dont la célérité de leurs actions à eu une portée salvatrice majeure lors des soubresauts politiques qui ont émoussés les deux alternances démocratiques qu’a connues le Sénégal.
Cette forme de percée citoyenne, souvent ponctuelle voire conjoncturelle, a été portée par différentes générations qui se sont révélées sur des séquences historiques selon les contextes de l’époque. Il s’agit des mouvements militants dont la vitalité trouve sa source dans un état d’esprit de patriotisme, de rupture et la démarche des organisations politiques. Cette éclosion citoyenne et militante marque le surgissement d’une jeunesse en souffrance, révulsée par l’image de dégradation de l’écosystème socio-politique et économique, parasité par le fléau de la mal gouvernance. Déjà en 2012, le mouvement « Y’en a marre » s’est révélé comme un des fers de lance de l’insurrection démocratique qui a conduit à la deuxième alternance de l’histoire politique du Sénégal. Selon le penseur Vigneron, ce sont ces « mouvements contestataires urbains en Afrique de l’Ouest qui se sont développés sur le terreau de l’aggravation de la pauvreté infra urbaine et de la déstructuration des solidarités traditionnelles ». Mais ce qui singularise par-dessus tout l’action du groupe « Y’en a marre », et qui avait fait de lui le centre de gravité des forces vives à une époque charnière, c’est que la mobilisation est portée par un groupe de rappeurs qui, à travers leur talent musical, communique une énergie de résistance ayant gagné la masse populaire par le truchement de ce que le philosophe Nietzsche, appelle la contagion des affects. Le génie militant de “Y’en a marre” ne se résume pas seulement à convaincre à travers un discours revendicatif mais les acteurs avaient séduit également par une rhétorique qui illustre parfaitement un nouveau type de sénégalais (NTS) pour mettre en évidence la responsabilité citoyenne des sénégalais, souvent versés dans le confort et leur laxisme légendaire.
Lors du parachèvement de la seconde alternance, réussi sous la coupole d’une initiative d’ensemble portée par la jeunesse en quête d'un rayonnement démocratique au Sénégal, les rêves de voir un nouveau modèle de management étatique se sont effondrés avec un régime qui s’est annoncé dans la rupture mais a fini dans la continuité des mêmes us et coutumes d’un système de gouvernance étriqué. Les compétitions politiques se sont transposées dans un environnement bouillonnant où le scénario observé émanait d’une volonté affirmée de réduire l’opposition à sa plus simple expression, de cloisonner une partie de la société civile et de briser les soupapes qui garantissent l’équilibre démocratique. Cette réalité socio-politique tangible a été le germe d’une nouvelle appropriation des questions politiques par une jeunesse consciente, mieux avertie grâce aux outils redoutables du numérique.
Comme la nature a horreur du vide et face à la répétition des tares liées à la gouvernance du régime du président Sall, le champ politique a vu la naissance du parti politique Pastef (2014), dont le leadership est incarné par un nouveau modèle d’acteur politique, brandissant un discours souverainiste voire révolutionnaire qui épouse la fibre patriotique d’une large masse juvénile, vraisemblablement trempée dans les idéaux progressistes et panafricains. C’est ce prototype de nouveau type de citoyen qui s’identifie au projet politico-social et à « l’idéal partefien », que le très sulfureux journaliste Cheikh Yerim Seck, appelle dans son fameux livre à polémiques, “d’homo pastefensis” ; terme caricatural perçu comme un jugement de valeur. D’autres jeunes leaders politiques et d’activistes ont gagné la sympathie de la jeunesse car étant porteurs également d’un discours en phase avec leurs ressenties dont la réplique semble se généraliser dans les pays voisins en proie à l’impérialisme français voire occidental. Est-ce la prémisse d’une rupture définitive ou d’une réinvention sociale et politique ?
La troisième alternance démocratique survenue au Sénégal en mars 2024 et ayant porté le tandem révolutionnaire Sonko-Diomaye à la magistrature suprême, la volonté affichée de la nouvelle équipe dirigeante de procéder à une « rupture systémique » par rapport au mode de gouvernance des affaires publiques, mais aussi dans nos rapports avec nos voisins et les grandes puissances étrangères, l’influence que peut avoir le nouveau régime dans le reste de l’Afrique nous diront plus, dans les années à venir, sur l’avenir des pays d’Afrique en général, les pays francophones d’Afrique en particulier.
Nous devons choisir entre l'afro-libéralisme et le socialisme panafricain. Nous encourageons le président à oeuvrer en faveur d'une rupture avec l’impérialisme, d’une redistribution équitable de la richesse et de l’intégration africaine
Citoyen.ne.s africain.e. s, camarades de lutte pour la libération et l'unité de notre continent,
Aujourd'hui, nous nous rassemblons autour d'un appel crucial, un appel au panafricanisme de gauche. Au fil des décennies, l'écho de notre histoire résonne, portant le cri de notre peuple pour la libération nationale et l’unité africaine. Dans cette quête, le panafricanisme se dresse comme notre boussole, une idéologie ancrée dans la vision d'une Afrique émancipée et unie.
Nous sommes à la croisée des chemins, confrontés à un choix déterminant : suivre la voie du libéralisme ou embrasser le socialisme panafricain. C'est un débat entre les intérêts des marchés et ceux des peuples, entre l'individualisme et la solidarité, entre les camps néocolonial et souverainiste, entre les bourgeoisies néocoloniales et les classes laborieuses.
Le panafricanisme est bien plus qu'une simple idéologie ; c'est aussi une vision de libération. Les mots immortels de Kwame Nkrumah, "Africa must unite", résonnent en nous, nous appelant à l'action pour notre libération et notre unité.
Dans cette quête, nous devons choisir entre l'afro-libéralisme, qui favorise une intégration économique souvent au détriment de notre souveraineté et de l’épanouissement de notre peuple, et le socialisme panafricain, qui place les besoins concrets de nos peuples au centre de notre action, inspiré par des figures telles que Thomas Sankara, Mamadou Dia, Julius Nyerere, Amilcar Cabral et Cheikh Anta Diop.
Thomas Sankara, défenseur infatigable des droits des femmes, des jeunes et de l'écologie, nous rappelle l'importance de placer le peuple au cœur de notre développement.
Mamadou Dia, quant à lui, incarne la pratique du socialisme africain, avec sa conviction en une Afrique unie, émancipée et autosuffisante. À titre illustratif, sa circulaire du 21 mai 1962 dégageait sa doctrine socialiste à travers le modèle des coopératives. Selon lui, la réussite du modèle coopératif dépend des modalités que l’on assigne aux choix socialistes. Il précise dans ladite circulaire que le mouvement coopératif ne doit pas être limité à la seule cellule de base et que l’évolution vers un système de solidarités sous-régional et régional est primordiale [1]. Mamadou Dia a réitéré cette vision africaine lors du colloque de Dakar du 8 décembre 1962 sur les politiques de développement et les diverses voies africaines du socialisme. Il en a profité pour montrer l’importance du rejet des structures coloniales [2]. Des liens peuvent être établis entre ce discours et le déclenchement de la cabale politique qui a conduit à son arrestation et à son emprisonnement quelques jours après.
Julius Nyerere, avec son concept d'Ujamaa, nous montre la voie vers l'égalité et l'autosuffisance à travers des initiatives telles que les coopératives agricoles. Ujamaa, signifiant "économie coopérative", nous enseigne que les populations locales peuvent coopérer les unes avec les autres pour subvenir aux besoins essentiels de la vie et pour construire et entretenir nos propres entreprises, et en tirer profit ensemble. Cette vision a été déclinée en détails lors de la déclaration d’Arusha le 5 février 1967. Nyerere exposait les pièges de l’économie de marché, de l’accumulation du capital ainsi que des programmes des institutions internationales néolibérales [3]. Nous pouvons donc tout naturellement qualifier ces politiques d’éléments constitutifs du panafricanisme de droite.
Amilcar Cabral, par son organisation méthodique des zones rurales, montre l’importance de la dimension scientifique pour atteindre les objectifs du socialisme. Son modèle était articulé autour des tabancas (communautés villageoises) qui géraient les activités éducatives, sanitaires et agricoles [4]. Pour se passer de la monnaie coloniale, les tabancas faisaient du troc pour développer l’économie solidaire.
Nous entendons également l'appel de Cheikh Anta Diop, nous mettant en garde contre les illusions de l'intégration économique sans une organisation politique solide. Il nous exhorte à embrasser un fédéralisme africain, rétablissant les liens entre nos peuples pour garantir notre survie collective. Pour Cheikh, les histoires locales doivent être décloisonnées afin de mettre en avant l’unité du continent. Selon lui, la vanité d’être Wolof, Bambara, Toucouleur, etc. [...] doit faire place à la fierté d’être africain [5], surtout que ces cloisons n’existent que par ethnicisme. Soixante ans après nos indépendances politiques des années 60, le fait d’être sénégalais, malien, guinéen, kényan, etc. est une réalité qui n’est qu’un point de départ du lien entre libération nationale et unité africaine. Unis dans notre diversité, nous forgerons un avenir meilleur pour les générations à venir loin des xénophobes au nationalisme stérile qui instrumentalisent la « question identitaire » à des fins purement politiciennes et électoralistes.
Ainsi, nous nous engageons dans cette quête pour l'unité africaine, guidés par les voix inspirantes de Nkrumah, Sankara, Nyerere, Mamadou Dia, Cabral et Cheikh Anta Diop. Le panafricanisme de gauche est notre chemin vers un avenir de liberté et d'union.
Dans notre quête d'un panafricanisme de gauche authentique, il est impératif de reconnaître et d'embrasser le rôle essentiel des femmes dans la construction d'une société égalitaire et juste. L'inclusion des femmes et la promotion de l'égalité des sexes sont des piliers fondamentaux de cette vision. Pour réaliser pleinement les aspirations de notre peuple, il est crucial de remettre en question et de transformer les structures patriarcales qui persistent dans nos sociétés. Cela passe par une réforme profonde du Code de la famille, garantissant aux femmes des droits égaux et une autonomie réelle. En plaçant les droits des femmes au cœur de notre action, nous affirmons notre engagement envers une transformation sociale véritablement progressiste et inclusive. En effet, une véritable révolution panafricaine de gauche ne peut être réalisée que si elle intègre totalement les luttes pour l'émancipation des femmes, faisant ainsi avancer non seulement l'unité africaine, mais aussi la justice sociale dans toute sa diversité.
Nous nous réjouissons de constater que le président nouvellement élu du Sénégal, Bassirou Diomaye Diakhar Faye, se réclame du panafricanisme de gauche et que son programme de gouvernance compte s'articuler autour de cet idéal. Nous encourageons vivement le président Faye et son gouvernement à mettre en œuvre des politiques en faveur d'une rupture avec les différentes ramifications de l’impérialisme, d’une redistribution équitable de la richesse et de l’intégration africaine. De même, nous saluons l'initiative de ce nouveau régime d'avoir créé un ministère dédié à l'intégration africaine. Cette démarche témoigne d'une volonté affirmée de renforcer les liens entre les nations africaines et de promouvoir une coopération mutuellement bénéfique. Nous espérons que les actions de ce gouvernement contribueront à contrer les discours xénophobes et anti-panafricanistes qui commencent à émerger, même s'ils demeurent marginaux.
En travaillant ensemble dans un esprit de solidarité et de collaboration, nous sommes convaincus que nous pouvons surmonter les défis qui se dressent sur notre chemin vers une Afrique libre, unie et progressiste.
Pour une Afrique libre, pour une Afrique unie, pour une Afrique de gauche !
Références bibliographiques
[1] Mamadou Dia, 21 mai 1962. Instruction circulaire numéro 032.
[2] Laurent Correau, 26 janvier 2009. Mamadou Dia, l’homme de refus. RFI.
[3] Amzat Boukari-Yabara, 20 avril 2018. Walter Rodney: un historien engagé, 1942-1980. Présence Africaine.
[4] Roland Colin, 2012. La pensée et la pratique sociale et politique d’Amilcar Cabral sur les chemins de l’histoire. Présence Africaine.
[5] Cheikh Anta Diop, 1990. Alerte sous les tropiques: articles 1946-1960: culture et développement en Afrique noire. Présence Africaine.
Signataires (par ordre alphabétique)
Ali Ali, militant anticapitaliste et écologique.
Khady Badiane, étudiante et révolutionnaire
Abdoulaye Djiby Barry, étudiant en histoire à l’UCAD
Amadou Woury Barry, étudiant en histoire contemporaine à l’Université de Tours
Florian Bobin, Chercheur en histoire.
Hugues-Alexandre Taliane Castanou, Ingénieur génie civil, chercheur indépendant et Militant de gauche
Bathie Samba Diagne, historien-scénariste
Mamadou Diao Diallo, Journaliste d'investigation.
Ousmane Tanor Dieng, politiste et juriste en droit public des affaires, militant de Gauche
Dame Diop, étudiant en histoire des relations internationales et stratégiques à l’UCAD
Saliou Diop, Doctorant UCAD
Serigne Modou Dia Diop, Militant de Gauche
Sëriñ Mama Fall, Maître Ès Philosophie, Militant Panafricain
Fallou Gueye, chercheur et linguiste en France
Marieme Soda Gueye, ingénieur en systèmes d’information (data scientist), militante féministe et patriote
Mouhammadou Moustapha Gueye, économiste chercheur
Serigne Modou Bousso GUEYE, juriste, spécialiste du droit privé
Souleymane Gueye, Ingénieur Projets Numériques
Usman Noreyni Gueye, communicant et militant anticapitaliste
Mamadou Lamine Bara Kane, communicant, spécialiste de la communication des entreprises et des organisations.
Serge Koue, Informaticien
Abdallah Mbaye, reporter citoyen et étudiant en science politique au Canada
Omar Ndiaye, juriste en droit international privé et diplomatie
Abdou Aziz Ndao, Étudiant en littérature africaine et post coloniale à l’UCAD et militant anticapitaliste.
Maimouna Ba Niang, étudiante en science politique et en relations internationales
Khalifa Ab. Pouye, concepteur de formations, militant pour un Renouveau démocratique
Abdoulaye Seck, économiste chercheur à l’Université du Québec et à l’Université Queens.
Amidou Sidibé, agent de développement, membre de la Ligue Panafricaine Umoja au Sénégal
Ndeye D. Tall, féministe, étudiante en sociologie
Moussa Thiaw, Spécialiste du Secteur Public, militant de la gauche
Par Amidou SIDIBE
PANAFRICANISME DE GAUCHE, PANAFRICANISME DE DROITE... POURQUOI PAS DU CENTRE !
Le panafricanisme est souvent instrumentalisé par des acteurs qui ne s'identifient pas explicitement comme panafricanistes de droite, ce qui brouille les lignes et empêche une analyse claire des différentes tendances au sein du mouvement.
Panafricanisme de gauche. Comme les termes «Djihadiste», «Terroristes», «Islamistes», le terme «Panafricanisme de gauche» peut paraître créé par les ennemis de l’Afrique pour diviser les Africains et mieux régner en Afrique mais puisque le Président Bassirou Diomaye Diakhar Faye nouvellement élu au Sénégal se proclame «panafricaniste de gauche», nous devons, nous qui croyons encore au Projet, nous accommoder et essayer de voir comment aider le Président BDDF pour matérialiser son panafricanisme de gauche...
Amzat Boukari Yabara, historien et Président de la Ligue Panafricaine Umoja précise : «La politique africaine doit se faire avec une seule chose au centre : le panafricanisme. Et c’est par rapport à ce centre qu’on se positionne à gauche (panafricanisme des peuples pour faire simple) ou à droite (panafricanisme des institutions pour résumer)... Amzat Boukari Yabara enchaîne : «Tous les pays africains et leurs régimes participent à l’histoire du panafricanisme. Certains, de manière réactionnaire et conservatrice (droite), d’autres de manière modérée (centre) et d’autres de manière progressiste et révolutionnaire (gauche). Et à l’intérieur de chaque pays, ces lignes se retrouvent.
Le Sénégal a produit des figures panafricaines de droite (Senghor n’était pas du tout contre l’État fédéral mais c’est la question de la confédération qui le discrédite), de centre (Diop était pour l’État fédéral) ou de gauche (Majhemout Diop). C’est par rapport au panafricanisme qu’il faut classer les dirigeants et non en les excluant du panafricanisme sinon les exclure signifie que le panafricanisme ne peut pas être un critère idéologique. Si on fait cela, on calme les panafricanistes autoproclamés en leur demandant clairement quel panafricanisme. Celui de droite réactionnaire ou celui de gauche révolutionnaire ? Rodney en parle dans son texte du sixième congrès panafricain.
Tant qu’on ne place pas le panafricanisme au centre du débat et qu’on en fait une sorte de paradis pur et vierge, on ne pourra pas utiliser le panafricanisme pour classer les panafricanistes autoproclamés qui sont généralement tous à droite mais ne se disent jamais panafricanistes de droite. Le panafricanisme est le terrain de jeu et c’est sur ce terrain que se battent les forces de droite, du centre et de gauche. Si on n’a pas cette lecture, on fait du panafricanisme quelque chose qui est hors sol et sans prise. Un autre critère est que panafricanisme avec une politique internationaliste est un panafricanisme de gauche... C’est le panafricanisme qui est le terrain de jeu. Et c’est le terrain de jeu qui définit les règles, les positions et le jugement. Il faut donc évaluer toutes les politiques à partir du panafricanisme car c’est ce seul terrain qui compte. Mais si on les met en dehors du terrain, on ne les juge plus sur la base de nos critères panafricanistes, ce qui me semble être une erreur politique... Les pays qui s’unissent sont ceux qui sont sur un même panafricanisme.
Par exemple, si la Côte d’Ivoire de Ouattara et le Ghana de Addi s’unissent, ce sera des États-Unis d’Afrique sur la base d’un panafricanisme de droite. Si l’Alliance des Etats du Sahel (AES), constitué par le Niger, le Burkina et le Mali fusionne, ce sera des États-Unis d’Afrique sur la base d’un panafricanisme de gauche... Le panafricanisme est un terrain de jeu, c’est l’échiquier et sur l’échiquier il y a les pions.
Donc, l’enjeu n’est pas de savoir si les pions sont panafricains car le terrain de jeu est le panafricanisme. L’enjeu est de savoir pour quels intérêts roulent les pions.
Amidou SIDIBE est agent de développement,
Membre de la Ligue Panafricaine Umoja au Sénégal, Membre du FRAPP
PRECISION : Ce texte est un échange avec Amzat Boukari Yabara, Historien et Président de la Ligue Panafricaine Umoja
Par Denis NDOUR
QUELLE PLACE POUR LA RELIGION DANS L’EXERCICE DU POUVOIR ?
L’annonce du président de la République, en Conseil des ministres, de la création d’une Direction des affaires religieuses, logée à la Présidence, a fait couler beaucoup d’encre,
L’annonce du président de la République, en Conseil des ministres, de la création d’une Direction des affaires religieuses, logée à la Présidence, a fait couler beaucoup d’encre, non pas parce que la direction n’est pas la bienvenue, mais à cause du fait que cette dernière est chargée de la prise en charge de l’insertion des diplômés en arabe.
Dans la logique, cette prise en charge devrait relever du ministère de l’Enseignement supérieur et de la formation, et du ministère du Travail.
Cependant, la question fondamentale c’est : pourquoi spécifiquement les diplômés en arabe et non les autres diplômés ? Une telle décision pourrait créer une confusion ou des suspicions sur le respect de la laïcité.
Pour rappel, le président de la République non seulement s’est toujours aligné sur les principes des Assises nationales, mais encore à la veille de l’élection présidentielle du 24 mars 2024, s’est aussi engagé pour l’application des principes du Pacte de bonne gouvernance démocratique qui a réaffirmé les valeurs culturelles et démocratiques qui nous ont toujours liés : une République Laïque et Démocratique • un Etat Unitaire Décentralisé • une Souveraineté du Peuple • une Pluralité, ciment de l’unité nationale et fondement de toute prise de décision publique.
En effet, la réflexion sur la relation Etat de Droit et laïcité, nous permet de déterminer la primauté du Droit et la neutralité de l’Etat relativement à l’expression et à la pratique du culte, en faisant respecter la croyance et la non-croyance par rapport aux religions révélées.
Arrêtons de faire l’amalgame consistant à associer, voire confondre la laïcité de la France et celle du Sénégal qui revêt une particularité unique au monde. Dans ce contexte, nous avons la libre expression de chaque option spirituelle dans l’espace public, ce qui est contraire aux reproches non fondés adressés à la laïcité soit par méconnaissance de l’histoire, soit par simple mauvaise foi.
En effet, au Sénégal, le temporel et le spirituel se côtoient au quotidien sans conflit, à travers la cohabitation entre autorités coutumières, traditionnelles, politiques et religieuses. Nous savons tous que depuis très longtemps, les rapports entre Etat et autorités religieuses sont marqués par une collaboration élégante, teintée parfois de méfiance, de prudence, comme s’il s’agit de pouvoir qui s’exerce de concert dans le respect et la discrétion.
Ainsi, la tolérance étatique, pour ne pas dire privilège, explique alors les égards réciproques, et dans une large mesure, l’exception de la stabilité politique du Sénégal car les chefs religieux sont des régulateurs sociaux.
Bref, au Sénégal, la laïcité est ainsi faite dans un cadre d’équilibre religio-étatique, garantissant relativement un apaisement social et politique. C’est pourquoi nous ne devons jamais accepter des pyromanes pour des raisons fanatiques, ou non avouées, nous divertir dans un débat visant à éliminer la laïcité dans notre charte fondamentale.
Pourquoi avoir peur de la laïcité si cette dernière constitue l’un des piliers de notre cohésion sociale ? Cela serait absurde et dangereux que de vouloir la remettre en cause à ce stade où notre Nation est magnifiée à travers le monde pour son exception.
D’ailleurs, ceux qui tentent de semer la confusion oublient l’origine étymologique du mot laïcité qui vient du mot grec «laos». Celui-ci désigne l’unité d’une population considérée comme indivisible. Le laïc est l’homme du Peuple, qu’aucune prérogative ne distingue ni n’élève au-dessus des autres. L’unité du «laos» est donc, à la fois, un principe de liberté mais également un principe d’égalité. L’égalité se fonde sur la liberté de conscience, reconnue comme première et de même portée pour tous. C’est en cela qu’aucune conviction spirituelle ne doit bénéficier d’une reconnaissance, ni d’avantages matériels ou symboliques qui seraient source de discrimination. Au sein de la cité, les hommes ont à vivre ensemble. La puissance publique, chose commune à tous, comme l’exprime le terme latin «res publica», sera donc neutre sur le plan confessionnel : «neuter» signifie «ni l’un ni l’autre». Cette neutralité est à la fois garantie d’impartialité et condition pour que chacun puisse se reconnaître dans cette République, cette cité dont tous les membres se retrouvent ainsi sur le même pied.
Il faut le reconnaître, beaucoup de réflexions, d’études juridiques, politiques, sociologiques et anthropologiques ont été menées pour démontrer l’influence, voire l’injonction des religieux dans l’exercice des pouvoirs politiques.
Cependant, notre pays se distingue à la fois des pays historiquement chrétiens où le combat laïc s’inscrivait dans un élan démocratique, et des autres pays musulmans où la laïcité était privilégiée par des régimes autoritaires.
Contrairement à l’histoire de la laïcité en Europe, incarnée par l’institution ecclésiale, la religion imposait ses vues et ses règles avant de se voir successivement écartée de l’art, de la science, de la politique, du Droit et aujourd’hui de la culture.
La laïcité au Sénégal est plurielle. Il n’y a pas un seul et unique modèle de laïcité. En effet, la laïcité n’est qu’un modèle de sécularisation politique qui se distingue par la séparation des institutions religieuses et politiques d’une société. Il y a donc plusieurs modes de séparation de ces institutions qui dépendent forcément de l’histoire de leur relation. Si on polémique souvent sur la laïcité, c’est notamment parce que le laïcisme -doctrine excluant le religieux de l’espace public- en fait une valeur qui conduit à polariser le débat public.
L’Etat se veut moderne, avec une perspective de reconversion des mentalités et des impératifs économiques, mais les individus et les familles sont encore tirés par des pesanteurs traditionnelles, culturelles et religieuses.
Nous le savons, la famille constitue la structure de base de la société. Elle s’inscrit à la fois dans la tradition et le passé, car elle en porte les marques des développements antérieurs, mais se définit en rapport avec l’avenir car elle agrège de facto différentes générations.
En s’appuyant sur les valeurs de la famille, le Président Bassirou Diomaye Faye ne devrait pas faire moins que ses prédécesseurs en ce qui concerne la laïcité, gage de notre stabilité.
Pour rappel, déjà le 7 juin 1963, le Président Senghor décline sa conception de la laïcité qu’il veut et promeut pour le pays en disant ceci : «Laïcité, pour nous, n’est ni l’athéisme ni la propagande anti-religieuse. J’en veux pour preuve les articles de la Constitution qui assurent l’autonomie des communautés religieuses. Notre loi fondamentale va plus loin, ce qui fait de ces communautés les auxiliaires de l’Etat dans son œuvre d’éducation, de culture.»
Le Président Abdou Diouf en 1984 : «La laïcité ne saurait être anti religieuse : ce ne serait d’ailleurs pas une véritable laïcité, ce serait comme, hélas, dans certains pays, instituer l’athéisme comme religion d’Etat.»
«Je suis allé à Touba en disciple mouride, et non en ma qualité de chef de l’Etat. (..) Notre relation est empreinte de sincérité. Je ne suis pas un politicien qui cherche le pouvoir. Si je sollicite ses prières, c’est pour mes autres responsabilités sur le plan international», disait le chef de l’Etat sénégalais, Abdoulaye Wade, de ses rapports avec le Khalife général des Mourides, Serigne Mouhamadou Lamine Bara Mbacké.
Il y a une sorte d’immixtion mutuelle entre les deux sphères (politique et religieuse) qui fait qu’au Sénégal, malgré la consécration constitutionnelle de la laïcité, les pratiques donnent une tournure inédite à ce principe républicain. Par ailleurs la sécularisation n’est pas la perte d’influence du religieux dans une société, mais la perte d’évidence du religieux. Autrement dit, il n’y a rien d’évident à ce que le Code de la famille sénégalais soit relativement conforme à des valeurs musulmanes, chrétiennes ou tiédos.
On se situe ici dans l’optique de la «laïcité neutralité», définie comme «le cadre juridique qui cherche à permettre la coexistence de toutes les identités, la plus pacifique et la plus harmonieuse possible».
Aujourd’hui, si l’enseignement religieux devait être instauré à l’école, toutes les religions devraient y trouver leur compte. Ainsi, autant les daaras ont besoin d’être soutenus financièrement par l’Etat, autant les juvénats et séminaires catholiques ont aussi besoin d’être accompagnés financièrement par l’Etat.
C’est pourquoi, avant la mise en œuvre de cette décision relative de la Direction des affaires religieuses, le président de la République devrait impérativement nous édifier sur la vision, la mission et le cahier des charges de cette direction, pour rassurer tous les Sénégalais, musulmans, chrétiens ou adeptes de religions traditionnelles, en organisant une large concertation entre tous les acteurs religieux pour épiloguer positivement sur la question.