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26 novembre 2024
Opinions
Par Moussa KAMARA
NTS ?
S’il a fallu déposer 15 briques pour dire pendant 3 minutes 21 jours durant des inepties et des arguties, on se pose des questions sur les véritables motivations de ces candidats.
Les politicards nous ont longtemps habitués à leurs frasques. Depuis l’Indépendance ces débordements discursifs et trop peu persuasifs nous sont périodiquement serinés.
S’il a fallu déposer 15 briques pour dire pendant 3 minutes 21 jours durant des inepties et des arguties, on se pose des questions sur les véritables motivations de ces candidats.
On a entendu des candidats fustiger avec beaucoup de véhémence le sort réservé à tous ceux qui ne parlent pas français. Comme si ne pas parler français constituait un obstacle infranchissable. Et beaucoup d’énormités faisant croire que le nombre d’apprenants des daaras serait supérieur de plusieurs fois le nombre de têtes d’élèves. Ces nationalistes plutôt des autarcistes, ont déjà franchi le cap des candidatures. Que nous réservent-ils si jamais ils franchissent les portes de l’Assemblée ?
Qui ne se souvient de ce candidat sans illusion à l’élection présidentielle et qui l’assumait sans complexe ? Tout le contraire de ces nombreux candidats pleins d’illusions qui se voient déjà députés voire président avant le verdict des urnes. La population a certes augmenté mais il est malheureux de constater le dépérissement de ce qui caractérisait sa brillance.
L’espace public est présentement occupé par des individus prétendument bardés de diplômes et dont l’expression orale pousse à douter de l’origine de leurs titres. La presse a souvent fait ses choux gras sur ces faux journalistes, médecins, inspecteurs, policiers, gendarmes et j‘en passe. Quant à nos chroniqueurs, certains sont d’une outrecuidance assez affligeante.
Les gens de ma génération collectionnaient des livres et heureusement certains ont transmis cette passion à leur progéniture. Aujourd’hui être in c’est avoir un smartphone dernier cri. Il y a quelques mois déjà, je faisais référence à la tendance de nos filles servantes à domicile à demander si la maison était équipée de Wifi avant de parler salaire. Internet fait aujourd’hui partie de l’univers de différentes couches de la population.
Tout le monde ou presque a son portable et Dieu seul sait ce que le téléphone cache. Internet est ouvert à tout le monde. Quand tu ne sais ni lire et ni écrire, tu utilises ta voix, les photos et vidéos. Ce sentiment qui te donne l’impression de participer à la vie, chasse toute peur du ridicule. Cette crainte du ridicule qui habite tout homme sensé est devenue très certainement une denrée rare. J’ose ne pas croire que ce genre de Sénégalais n’est pas celui que Y’en a marre nous vendait avant 2012. Le fameux Nouveau Type de Sénégalais.
Par Kaccoor Bi - Le Temoin
COULEURS ÉLECTORALES
Avec 41 listes électorales en compétition et au nom d’une certaine démocratie, ce scrutin coutera au contribuable plus de 10 milliards dans un pays en ruine avec des délinquants à col blanc qui ont complétement dépecé l’économie.
Chapeau bas à tous ces messieurs et dames qui ont tenu à suivre le temps d’antenne de partis, mouvements et autres associations parmi lesquels des plaisantins.
Avec 41 listes électorales en compétition et au nom d’une certaine démocratie, ce scrutin coutera au contribuable plus de 10 milliards dans un pays en ruine avec des délinquants à col blanc qui ont complétement dépecé l’économie. Il faudra bien qu’on leur coupe la tête ou leur fasse goûter le confort de nos prisons. Un coût colossal qui pouvait être moindre si l’esprit de patriotisme avait prévalu pour un bulletin unique. Tant pis pour les finances publiques !
Une campagne bien agitée et colorée avec une belle ambiance féminine. Ça vous dérange, vous autres féministes enragées ou radicales ? Souffrez d’entendre que sans vous, nos gracieuses dames, cette campagne aurait été morose. Il y avait des couleurs, du rythme et des courbes. Vous voulez un dessin ?
Le côté insolite de ce processus électoral pour les Législatives anticipées reste cependant la présence d’un guest star. Un ancien président, tête de liste d’une coalition, « en campagne WhatsApp » depuis le… Maroc. La tectonique des plaques. Vive le progrès et la technologie et chapeau au ministre de la Communication qui n’a pas jugé utile de procéder à des restrictions sur internet . L’ex- puissant Chef avait pourtant juré prendre sa retraite politique après avoir quitté le pouvoir, en mars. Le pauvre ! Le cœur a ses raisons que la raison ignore ! Devoir faire sa campagne par WhatsApp et privé de vote. Il lui faudra beaucoup de courage pour venir et exercer son devoir civique.
L’autre star de cette campagne reste bien sûr la tête de liste du parti au pouvoir qui parlait du Sénégal aux électeurs pendant que les autres parlaient de lui. La particularité de ses contempteurs, ils faisaient parler leurs cœurs plutôt que de privilégier une démarche constructive. On a vite fait de les ranger dans la cour des aigris et jaloux. Le drame, ils s’offusquent d’entendre le nom de leur ennemi juré. Cela a donné lieu à un carnage dans la belle et vieille ville de Ndar.
Au terme de cette consultation électorale, il faudra que, dès lundi, ce charmant pays retrouve sa respiration. Que ceux qui seront désavoués par les électeurs la ferment définitivement pour ne plus empester l’air. Le pays devra se mettre au travail avec moins de discours et plus d’actes. Il doit rester cet îlot de démocratie dans une Afrique en proie à toutes les turbulences, à toutes les convulsions et à tous les démons. Une démocratie déjà sanctionnée par trois alternances pacifiques. L’autre grand chantier qui devient impérieux, ce serait la rationalisation du nombre de partis politiques. Ils nous coûtent la peau des fesses !
Par El hadji NDIAYE
NON À L’APOLITISME DES INTELLECTUELS
Le Pastef, parti somme toute, hybride s’écarte progressivement de son engagement de transformation sociale, voire systémique. Nous avons besoin de penseurs, de leaders d’opinion et de personnalités publiques défenseurs des intérêts du pays
« Le vieux monde se meurt, le nouveau monde tarde à apparaître et dans ce clair-obscur surgissent les monstres » - Gramsci.
Antonio Gramsci, dans ses Cahiers de prison, théorise le rôle fondamental des intellectuels dans la reproduction et la consolidation des idéologies dominantes. Cette conception veut que les intellectuels ne soient pas de simples observateurs passifs, mais des acteurs investis de la mission de défendre et promouvoir les intérêts de leur classe sociale. Qu’ils soient organiques ou traditionnels, ils deviennent les piliers de la cohésion idéologique qui soutient le pouvoir en place, incarnant ainsi les aspirations et la vision du groupe social dont ils émanent.
On peut se demander si cette conception gramscienne n’a pas été finement exploitée par le Pastef qui, avant même son accession au pouvoir, avait saisi l’importance du rôle des intellectuels organiques pour forger une idéologie propre. Au point que ses idées populistes, autrefois dissidentes, sont devenues hégémoniques dans le débat public sénégalais. Ce parti a su imposer un ensemble de concepts creux tels que “souveraineté”, “rupture”, “système”, “projet”, “transformation systémique”, qui se sont ancrés dans les esprits comme autant d’objectifs collectifs pour un changement radical de l’avenir de notre pays. Portées par le désenchantement face aux graves manquements du régime Benno Bokk Yakar, ces idées sont parvenues à capter le mécontentement populaire exacerbé par l’augmentation du coût de la vie, la montée des inégalités, le manque d’emplois, les scandales financiers, la violation des libertés et la persistance des pratiques clientélistes. En mobilisant une cohorte d’intellectuels, Pastef a œuvré à l’élaboration d’une vision alternative appelée « le projet » et à la mise en place d’une contre-hégémonie qui, jusqu’à mars 2024, semblait pour 53% des électeurs sénégalais, répondre aux attentes du peuple en quête de justice, de transparence et de… rupture.
Mais, à l’épreuve des faits, l’exercice du pouvoir a mis en lumière les carences du Pastef, révélant les contradictions entre ses idéaux et ses pratiques. À rebrousse-poil de ses promesses de campagne, ce parti, somme toute, hybride s’écarte progressivement de son engagement de transformation sociale, voire systémique du Sénégal. Les reniements, le recours au clientélisme politique, l’adoubement des transhumants , les présumés scandales et les difficultés économiques ont anéanti la confiance et l’élan populaire dont Pastef jouissait. Il s’en est suivi une érosion progressive de la crédibilité de ceux qui se voulaient les porteurs d’un changement radical, laissant dans leur sillage des craintes quant à leur capacité à gérer un État.
Dès lors, il revient aux intellectuels (enseignants, artistes, leaders religieux, influenceurs) habituellement perçus comme « neutres » et souvent apostrophés de la pire des manières par les patriotes de se muer en intellectuels organiques, engagés dans la défense des intérêts supérieurs de la nation sénégalaise. « Vivre signifie être partisans », écrivait Gramsci. Le Sénégal d’aujourd’hui a besoin de penseurs, de leaders d’opinion et de personnalités publiques qui défendent et promeuvent les intérêts de notre pays. Ces hommes et femmes doivent s’engager au-delà de la sphère purement intellectuelle, en participant activement aux luttes sociales et en œuvrant à la construction d’une nouvelle vision qui répond aux aspirations et valeurs de la société sénégalaise, afin de contrebalancer l’hégémonie exercée par le pouvoir actuel, lequel n’hésite pas à manipuler l’opinion publique et à réprimer toutes voix dissidentes.
Face au populisme ambiant et aux menaces, il est nécessaire de réinsuffler dans la conscience collective les valeurs essentielles du « vivre-ensemble », de ramener les repères culturels et moraux qui se sont effrités sous la pression d’un pouvoir orienté vers les intérêts d’un groupe au détriment du peuple. Il faut proposer une vision du Sénégal fondée sur la solidarité, la probité, l’intégrité et la vérité, qui rappelle que tout développement se doit d’être inclusif et respectueux des attentes de tous les citoyens.
Ainsi, la mobilisation des masses ne suffit plus. Cette « guerre de mouvement », certes très importante, doit être complétée par une « guerre de position » sur les plans éducatif, culturel et médiatique, laquelle s’inscrit dans la durée. Elle se joue sur le terrain des idées et ses acteurs sont les intellectuels. Afin de protéger l’identité nationale, il est indispensable de mettre en œuvre une vision fondée sur les besoins réels du Sénégal. Il y va du salut de notre nation. Il revient donc aux intellectuels de concevoir une contre-hégémonie qui dépasse une simple opposition mécanique aux slogans populistes. Cette contre-hégémonie doit offrir une vision inclusive, durable, orientée vers la justice sociale, l’émergence économique et respectueuse des identités culturelles spécifiques au Sénégal. C’est le moment du sursaut afin de produire et structurer une voie porteuse de renouveau et de cohésion, pour restaurer la confiance collective et garantir au Sénégal un avenir stable et prospère.
*ELHADJI NDIAYE
par Henriette Niang Kandé
LEÇONS ET ENJEUX D’UN SCRUTIN ANTICIPÉ
Le Pastef a exploité une zone grise de 64 jours pour s'implanter partout, pendant que l'opposition se débattait dans l'urgence. Seule Sénégal Kese émerge avec un contrat de législature détaillé. Absence totale de femmes têtes de liste
La campagne électorale des législatives anticipées du 17 novembre prochain prend officiellement fin, ce soir, à minuit. Quarante et une listes, qui, si elles avaient investi des candidats dans toutes les régions électorales et aux scrutins majoritaire et proportionnel, titulaires et suppléants, auraient présenté 11480 candidats et candidates à la députation. Pour 165 sièges.
Une lecture un peu plus attentive de ces listes, mais qui ne s’est concentrée que sur les titulaires des listes proportionnelles, c’est-à-dire nationales, donne à tirer quelques constatations.
La première réside dans le fait qu’une seule sur les 41 listes officiellement validées par le Conseil constitutionnel, a investi des candidats dans tous les départements électoraux, y compris ceux de la diaspora. Il s’agit de celle de Pastef, le parti au pouvoir. Dans la foulée de l’annonce de la dissolution de l’Assemblée nationale en septembre, et la déclaration de la tenue d’élections législatives anticipées, le président de la République avait omis d’informer que le Conseil constitutionnel vers lequel il s’était tourné pour fixer la date de l’élection, avait aussi, dans sa décision rendue, décidé que les dispositions concernant le parrainage ne s’appliqueraient pas. La décision qui n’a pas été publiée au journal officiel, est restée « secrète » pendant 64 jours. Cette période a été mise à profit par le Pastef pour investir partout. L’opposition, elle, n’a eu que 10 jours pour le faire.
Ces 10 jours ont obligé les partis et coalitions de partis de l’opposition à se co-coaliser (TakkuWallu, Sam sa kaddu, Jamm ak Njariñ pour les plus connues) dans de nombreux départements. Les uns laissant aux autres la possibilité de faire gagner leurs alliés, dans les zones où ils pensent être majoritaires. Mercredi dernier, ils ont adopté le même plan, en direction de la Diaspora, ce qui signifie que les discussions n’ont pas cessé, même en pleine campagne, adoptant ainsi la logique de l’essaim plutôt que celle de preux chevaliers.
La deuxième constatation réside dans le fait qu’aucune d’elles n’a porté une femme en tête de liste nationale. Les mâles ambitions l’ont emporté et les réflexes continuent à se déployer sur une logique discriminatoire, malgré l’introduction, en 2010, de la loi sur la parité absolue, exigible à toutes les institutions, totalement ou partiellement électives. La mise en œuvre de cette loi avait suscité dans certaines catégories de la population, de grandes espérances. Elle était perçue comme un antidote à la crise de la représentation politique. Des arguments divers et variés avaient été présentés : celui du droit à l’égalité, (comme un droit fondamental), celui de la proportionnalité de la population, celui utilitaire (« se priver de la moitié des compétences de la société, c’est-à-dire celle des femmes, réduit l’efficacité d’action »), celui des intérêts et comportements spécifiques (la représentation des femmes recouvre les actions qu’elles entreprennent, non seulement au nom de l’électeur qu’elles représentent, mais aussi la nature dont le représenté lui-même aurait agi). Il se jouait alors le défi du renouveau des élites. On peut être dubitatif quant aux résultats de la prévision relative au bouleversement dans la classe politique avec l’application de cette loi.
La troisième observation est l’appellation des partis ou coalitions. Sur les 41 listes, 31 portent des identités à consonance wolof, (quelques-unes faisant fi de l’orthographe de cette langue pourtant codifiée), 2 en pular, 7 se distinguent par leur libellé en français. La prédominance du wolof, dans tous les domaines, qu’il soit privé et même officiel, aujourd’hui, est sans conteste. De plus en plus, le français, perd du terrain et, tire… la langue.
On ne peut s’empêcher d’indiquer cette originalité, relative à la liste And ci koolute nguir Sénégal, dont l’abréviation AKS est la même que celle des initiales du nom de sa tête de liste, Abdou Karim Sall. Hubris ? On peut le penser fortement. Abdou Karim Sall, dans nos mémoires, est celui qui, en 2009, alors ministre de l’Environnement, s’est rendu à Lompoul pour planter un arbre à l’occasion de la journée dédiée. En costume-cravate, debout sur une natte pour protéger ses chaussures de ville dont le cuir bêlait encore, donnait le top départ de ce qui était une tradition depuis plus de 30 ans. On ne peut également s’empêcher de rappeler, à son « crédit », le transfert dans son domaine privé d’oryx, (une espèce protégée de gazelles), en pleine période de Covid. A la bronca des défenseurs de la nature qui avaient demandé sa démission, il avait répondu, pour se défendre, que c’était dans un souci de protection de la consanguinité qu’il les avait transférées dans sa réserve personnelle. Last but not least, en juin 2023, maire de la commune de Mbao, et Directeur de l’Autorité de Régulation des Télécommunications et des Postes, (ARTP), il inaugurait en grandes pompes, sur le territoire de sa commune, un «Garage de taxis clando», officialisant ainsi une catégorie de transports qui ne remplit aucun critère lui permettant de faire commerce de cette activité.
Une autre originalité relevée est celle de la liste RV Natangué, dont la tête de liste, M. Ousmane Kane est… sans profession. En tout cas, en ce qui le concerne, la case dédiée indique « néant ». Et il n’est pas le seul. Sur les 60 candidats, 16, (soit le quart) n’ont pas de profession. Depuis plusieurs années, l’irruption dans le champ politique de certains « corps étrangers », renseigne du niveau où s’est rendu le déclassement de la vie politique. Dans un pays normal, les candidats à la députation respectent le dispositif de « la file d’attente », qui socialise les candidats les candidats au métier politique, en leur inculquant le sens de la normalité et de l’Etat dans ses différents niveaux. Les aspirants politiques apprennent alors à attendre et à se valoriser, tout en côtoyant des cercles de sociabilités parallèles.
Les profils
Si la rhétorique n’est pas nouvelle, chaque campagne se joue en partie sur une demande de remplacement. Cette année encore le profil professionnel des candidats est quasi le même que pour celui de la législature précédente, écourtée de deux ans. On aurait pu penser qu’avec la « révolution » de mars 2024, la représentation changerait le visage de notre future Assemblée nationale. Il n’en est rien. La couleur est annoncée par un candidat à la députation qui a clairement publié les bans de « son mariage » la tête de liste de son parti (celui au pouvoir) et qui n’entend « jamais divorcer ».
Les listes indiquent des disparités entre les futurs députés, quant à leurs professions respectives. Des « professeur titulaire des Universités », en passant par des « inspecteur des impôts et domaines » ou des « journaliste », côtoieront des « sans profession », « bureaucrate », une « maraîcheuse » (liste Mankoo liggeyal Sénégal), qui partageront les bancs de l’hémicycle avec quelques personnes déjà rodées à la politique nationale.
Les commerçants, hommes/ femmes d’affaires, ménagères, occupent sur les listes, (à une ou deux exceptions près), plus du quart du nombre des investis. Viennent ensuite les enseignants (tous niveaux confondus), les cadres (administratifs, comptables, techniciens supérieurs). Le reste se partage entre les administrateurs de société/ entrepreneurs, cultivateurs, chauffeurs/transporteurs, éleveurs, mareyeurs. D’autres métiers sont représentés, parmi ceux qu’exercent les futurs représentants artisanaux, la boulangerie et la boucherie pour les métiers de bouche, la menuiserie et la peinture pour le bâtiment.
Sur la liste conduite par Moustapha Mbacké Dieng (Docteur en économie islamique), parmi 64 inscrits, 19 sont des chefs religieux, représentant le quart des potentiels futurs députés.
Peut-être qu’un examen plus systématique de la sociologie des députés de la XVème législature, permettra de caractériser l’évolution de la nature des profils et de montrer que l’espace politique et dans le cas précis, parlementaire, structuré par le temps passé en politique et la dynamique d’une carrière qui mettent aux prises différents profils : des profanes, des technocrates. Sans oublier quelques candidats aux professions « usurpées ».
Les exposés des contrats de législature des différents partis et coalitions de partis ont été qu’inaudibles, pour cause de violences verbales et quelques fois physiques, ayant émaillé le temps de la campagne. Des manifestations émeutières ont suivi des déclarations de guerrières et ont eu pour conséquences des atteintes aux personnes et aux biens. Même si, pour des raisons compréhensibles, les atteintes aux personnes, a fortiori lorsqu’elles sont létales, sont les plus sensibles et les plus commentées, parce que les plus choquantes, il n’en demeure pas moins que celles contre les biens, bien que différentes et variées, le sont tout autant. L’impact pour la société est grand.
Cependant, il est un sujet qui a traversé et a été soulevé par les acteurs des partis de l’opposition : celui de la loi d’amnistie. Votée par l’Assemblée nationale en mars 2024, avant la tenue de l’élection présidentielle, cette loi porte sur les faits liés aux manifestations politiques ayant ébranlé le pays entre février 2021 et février 2024. Si tous ont promis de la faire abroger en introduisant une proposition de loi, dès qu’ils seront installés à l’Assemblée nationale, la question a été posée essentiellement à Ousmane Sonko, tête de liste de Pastef, bénéficiaire de cette loi qui faisant le pas de la mémoire expurgée a conclu à l’oubli. Amnistie-Amnésie. Un fait sans retour et sans trace. Lui, si prolixe sur bien d’autres sujets, n’y a pas répondu. Tous les silences ne font pas le même bruit.
Les contrats de législature
Un des travers de la démocratie sénégalaise est le phénomène de la transhumance, qui renvoie à la manière d’un homme politique qui quitte le parti auquel il appartient, pour le parti au pouvoir ou en passe de l’être. Les transhumants, assimilés à des brouteurs se méprennent souvent sur eux-mêmes et ne deviennent que mépris pour les autres qu’ils viennent soutenir.
Dénoncé à la veille de toutes les élections, le phénomène a pris racine. Mais, un fait nouveau est apparu, qui ne s’était jamais produit auparavant : des candidats, inscrits en bonne position sur la liste nationale, ont tourné casaque, alors que la campagne était lancée, pour accompagner le directoire du parti au pouvoir. Dans leurs explications du pourquoi, suinte une «intelligence» de la mauvaise foi doublée d’une sidérante agilité de contorsion politique. Devenus une sorte d’abat-jour qui éclaire d’une lumière blafarde toutes les tares des régimes qui se sont succédé, les transhumants, anciens ou nouveaux, se montrent toujours à la porte de la mode en détaillant la réversibilité de leur garde-robe idéologique. Dans la transhumance, on voit également que l’égalité femmes-hommes progresse à grands pas dans l’espace politique.
Les unes et les autres, s’y partagent équitablement le poids de l’ineptie lourdingue.
La réforme du Code de la Famille a été évoquée. Pour «Défar sa goxx» qui la promet, car il est injuste que le père soit, dans une famille, le détenteur exclusif du monopole de l’autorité parentale. Pour plus d’équité, la mère doit avoir le même droit. A cela, il faut ajouter la valorisation du travail des femmes au foyer.
La coalition Sénégal Késé (tête de liste Thierno Alassane Sall) est celle qui, véritablement, a le mieux préparé cette campagne électorale. En 10 jours, elle a dressé une liste de candidats, répartis dans pratiquement tous les départements électoraux, sans qu’on ait entendu de voix s’élever pour manifester un quelconque mécontentement ou une frustration. S’il y en a eu, la « crise » a dû être bien gérée. C’est également la seule coalition dont on peut se procurer le contrat de législature, mis à la disposition du public. Parmi les réformes qu’elle proposera, on peut citer l’égalité dans l’autorité parentale pour le voyage des enfants, une réforme du Code électoral, de la loi d’amnistie, de l’Inspection générale d’Etat (IGE), une loi en faveur des travaux d’intérêt général, la mise en place de commissions d’enquête et celle à rendre opérationnelle et effective, la mission d’évaluation des politiques publiques.
La coalition dirigée par Amadou Ba (Jamm ak Njariñ) a fait sa campagne en déclinant les propositions qu’elle compte introduire : le vote du budget de l’Assemblée nationale au début de chaque session budgétaire (et la publication à chaque fin de session, du bilan financier), la réforme du fonctionnement des commissions, une proposition pour le service obligatoire militaire citoyen et civique (une nouveauté), l’extension du contenu local dans tous les secteurs d’activités économiques, une révision de la couverture maladie universelle, une proposition de loi pour la transformation semi-industrielle des matières premières à hauteur de 25% avant toute exportation, une autre visant à durcir la réponse pénale contre les offenses commises contre les convictions religieuses, une dernière étant une offre à l’accès à l’information et aux services publics et à la transparence de l’administration. La liste n’est pas exhaustive.
La coalition Samm sa kaddu elle, proposera une loi criminalisant l’homosexualité.
Pastef défendra, à l’Assemblée nationale, les 8 Pôles territoires, dont la description est contenue dans le Référentiel Sénégal 2050.
Le pôle de Dakar qui est actuellement macrocéphale, verra un développement maitrisé et redeviendra un carrefour culturel de rand international.
Le pôle de Thiès valorisera les industries extractives, d’agro-industries et de tourisme balnéaire.
Le pôle Centre fera valoir un développement durable avec la valorisation de son patrimoine culturel
Le pôle Diourbel-Louga, sera un foyer religieux d’envergure mondial, tandis que le Pôle Nord comme le Pôle Sud deviendront agro-industriels et compétitifs, et garantiront notre souveraineté alimentaire.
Le pôle Nord-Est produira des engrais et sera un bassin agropastoral moderne. Le dernier Pôle, celui du Sud-Est, deviendra un bassin économique dynamique et diversifié.
Un discours nouveau est apparu, tenu par la tête de liste des Nationalistes, qui met en garde contre la présence, l’expansion et l’extension d’une communauté étrangère, celle des Guinéens, qui à terme est un danger pour le Sénégal et les Sénégalais. Une de ses propositions est de faire obligation par la loi, de la détention de carte d’étranger. Une autre proposition sera d’interdire aux femmes libanaises, d’accoucher au Sénégal, comme il est interdit aux Sénégalaises vivant au Liban d’y donner la vie. Il prône l’application d’une réciprocité.
Tafsir Thioye, tête de liste, engage la coalition Sopi à moderniser l’Assemblée nationale et son administration, à renforcer la diplomatie parlementaire et la qualité de la représentation. Au plan législatif, des propositions seront faites pour promouvoir la coproduction législative avec une articulation des citoyens et de la société civile. Au plan du contrôle, les séances des questions orales et d’actualité seront organisées régulièrement.
Il est évident que là ne sont pas les seuls contrats de législature énoncés par les acteurs de cette campagne des législatives anticipées. Mais ce sont les seuls que nous avons pu avoir en notre possession. Souvent, il nous a été répondu que les contrats de législature n’étaient pas disponibles, parce que non rédigés. Cet état de fait nous interpelle quant à ce qu’est devenu notre rapport à l’écrit qui déteint sur les pratiques institutionnelles, où l’expression orale et Whatsapp sont devenus la règle, qui contrastent avec la réflexion sur des sujets importants d’action publique et l’exigence d’une présentation distinguée. Seulement, nous avons observé que pour tous ceux-là, la confusion était patente entre une campagne de législatives et une campagne présidentielle.
Dimanche, le peuple sénégalais ira choisir ses représentants à l’Assemblée nationale. La campagne électorale a clairement distingué deux conceptions de la politique qui se sont confrontées : l’une valorisant les coups, les menaces, les insultes, quand l’autre s’est évertuée à mettre en avant le bien commun, même s’il est caricatural de y voir une opposition entre des acteurs portés vers une élection, quoi qu’il en coûte et de l’autre des « idéalistes » vantant une conception pure, pragmatique de la politique. Tous se sont accordés sur une chose : le pays, malgré ses prétentions d’exceptionnalité, parait s’enfoncer dans un tunnel. Les divisions se multiplient et l’unité devient problématique. Malgré certaines fulgurances, c’est au citoyen sénégalais de se rendre aux urnes, pour remettre le pays dans son centre de gravité. Et sans concession
par l'éditorialiste de seneplus, Amadou Elimane Kane
LA CONSCIENCE PANAFRICAINE OU L’IDÉE D’UN CONTINENT AFRICAIN DÉBARRASSÉ DE LA BIBLIOTHÈQUE COLONIALE
EXCLUSIF SENEPLUS - La volonté de l’ouvrage de Séverine Awenengo Dalberto sur la Casamance est d’installer le doute dans nos esprits. Si la vision historique reste occidentale, le propos est déformé, distordu, détourné de sa fonction initiale
Amadou Elimane Kane de SenePlus |
Publication 14/11/2024
« Ainsi l'impérialisme, tel le chasseur de la préhistoire, tue d'abord spirituellement et culturellement l'être, avant de chercher à l'éliminer physiquement. La négation de l'histoire et des réalisations intellectuelles des peuples africains noirs est le meurtre culturel, mental, qui a déjà précédé et préparé le génocide ici et là dans le monde » - Cheikh Anta Diop
Quand il s’agit de publier des recherches scientifiques et historiques de l’histoire du continent africain, et du Sénégal en particulier, il convient d'articuler le récit aux réalités africaines et épistémologiques de la pensée qui définit le mode culturel du territoire en question, sans s'aliéner des idéologies européocentristes qui sont à l’œuvre. Quand cette histoire, mille et une fois détournée, se retrouve dé-fragmentée à travers un épisode historique, dont nous n’avons aucune maîtrise, la problématique devient caduque.
Dans l’essai, à l’apparence scientifique et historique de Séverine Awenengo Dalberto, L’idée de la Casamance autonome - Possibles et dettes morales de la situation coloniale au Sénégal, il est intéressant de lire les chapitres pour constater que l’étude s’appuie sur une période définie par le code colonial et que les propos qui en ressortent deviennent un récit qui va à l’encontre de la vérité historique. Circonscrire les recherches documentaires à la seule vision coloniale est un procédé idéologique qui nous indigne.
En effet, comment croire à un questionnement qui ne tiendrait pas compte de la frise historique réelle de l’histoire africaine ? Les frontières coloniales existent depuis 1884, suite à la répartition européenne définie par la Conférence de Berlin. Or, l’Afrique pré-coloniale a bel et bien existé et, si les conflits n’étaient pas absents, ils n’avaient pas le caractère déstructurant imposé par les ravages de la colonisation.
Cette démonstration sur la volonté d’autonomie de la Casamance est une vision qui part du modèle colonial et qui, malgré un apparat de défense de nos valeurs, n’est en réalité qu’une posture néocoloniale. Comme dit l’adage, le chemin de l’enfer est pavé de bonnes intentions.
Pour revenir à l’ouvrage, il y a deux aspects majeurs qui installent férocement le doute. Le premier est celui de l’origine des sources documentaires qui sont pour la plupart issues des archives françaises et coloniales[1]. Plus loin, l’auteure indique qu’il faut toutefois porter un regard nouveau sur les Archives nationales du Sénégal, comme si cette source était la seule à devoir être remise en cause. Tout comme on observe les ressources cartographiques, réduites à leur plus simple expression, et tirées d’adaptation de la réécriture coloniale. Cette volonté est clairement énoncée : Pour écrire cette histoire, il faut donc porter un regard nouveau sur une documentation coloniale pourtant très pratiquée, remettre l'archive sur la table [...][2]
Il aurait été pourtant intéressant de considérer la situation géographique, sociale et historique en retournant aux origines, celles de la Sénégambie telle qu’elle se présentait avant la découpe coloniale et aussi s’autoriser à replonger dans les arcanes historiques de l’empire du Ghana et aussi de l’empire du Mali, ne serait-ce que par un court chapitre qui en tiendrait compte.
Or, ce n’est pas le cas. L’étude démarre à partir des sources postérieures à la seconde guerre mondiale et aux conflits d'intérêts installés par les forces politiques de la décolonisation qui doivent s'entendre pour éviter la débâcle. Ainsi, ce n’est pas relire la documentation coloniale qui nous préoccupe mais bien celle de faire émerger notre histoire à partir de son socle historique.
La seconde physionomie du livre qui nous interpelle est celle de la sémantique employée. L’autonomie de la Casamance semble prononcée dans le “secret”, exprimée sur un mode mineur, à travers des énoncés modestes[3] par le pouvoir colonial qui qualifie la région comme un espace unifié de tradition et d’isolement, de fétichisme et d’anarchie[...].[4] C’est ce que semblent révéler les écrits administratifs coloniaux avec le mépris de l’époque.
Pour ce qui concerne les archives sénégalaises, l’auteure se contente de dire combien cela a été difficile d’y accéder et les relègue au niveau de l’intime, opposé à celles de la grande Histoire coloniale largement documentée. Pour la fin de cette introduction, elle renvoie alors dos à dos les forces en place, déjouées par l’esprit colonial, la nouvelle présidence de Léopold Sédar Senghor et la volonté des indépendantistes.
Plus loin encore et à l’appui des archives des services de renseignement français, l’auteure indique que la Casamance séparatiste est considérée comme une énonciation contre-hégémonique formulée, “en coulisses”, par une très petite minorité d’acteurs politiques subalternes.[5]
Est-il vraiment nécessaire, dans le contexte actuel d’une unité encore fragile, d’utiliser ce type de sémantique pour parler de l’autonomie de la Casamance ? On sait combien la lutte a été rude et meurtrière pour faire revenir la paix en Casamance et au Sénégal.
La volonté de l’ouvrage est d’installer tout simplement le doute dans nos esprits, c'est la division qu’il suggère plutôt que la pseudo-réalité de la volonté d’autonomie de la Casamance. Il semble que l’auteure veuille à tout prix imposer sa propre vision, son propre imaginaire indépendantiste, au détriment de la réalité historique et contemporaine.
Tout semble fait pour aboutir à une sorte de conclusion dénaturée qui ne tient nullement compte des traces coloniales comme contre-vérité de l’historicité africaine. Ce sont ici des recherches biaisées et relevant de procédés idéologiques qui ne s’appuient pas sur notre préoccupation d’aujourd’hui, celle de l’unité africaine. Ce livre instrumentalise notre propre mode de pensée en utilisant la Casamance comme objet de recherche, un sujet explosif en ce moment, qui ne possède aucune véracité et qui ne sert qu’à dévoyer le récit unitaire dont notre imaginaire a besoin. C’est bien la question de notre récit qui doit trouver sa place pour stabiliser notre vivre ensemble encore fragile.
Tout comme la proposition du titre est problématique car il suppose encore un lien d’interdépendance entre le Sénégal et la France. L’autonomie qui est, dans sa définition, la situation d'une collectivité, d'un organisme public dotés de pouvoirs et d'institutions leur permettant de gérer les affaires qui leur sont propres sans interférence du pouvoir central est un trompe-l’oeil.
Comment se fait-il qu’au XXIe siècle, ces postures idéologiques trouvent encore un écho dans la production éditoriale ? C’est dans ce sens que nous réfutons le travail de Séverine Awenengo Dalberto et nullement pour être dans une polémique creuse ou vide. Ce qui nous attache, c’est encore et toujours la vérité historique puisée dans notre propre récit et pas celui de la pensée coloniale.
Ainsi, si nous voulons entrer de plain-pied dans la phase réelle de notre propre récit, il convient de mettre à terre tous ces procédés idéologiques qui ne servent qu’à nous désunir une fois de plus. Si la vision historique reste occidentale, le propos est déformé, distordu, détourné de sa fonction initiale pour servir une fois de plus les intérêts en jeu, ceux des forces impérialistes qui continuent d’agir, à notre insu, pour réorganiser un discours corrompu de fausses intentions. Dans la conclusion de l’ouvrage, l’auteure n’oublie pas d’évoquer l’accession au pouvoir du parti Pastef avec l’élection de Bassirou Diomaye Faye et avec la nomination de son premier ministre Ousmane Sonko qui a défendu un projet souverainiste[6].
Ainsi, on voit bien comment la pensée néocoloniale continue d’agir pour entamer la confiance des Sénégalais, et par-delà des Africains, à se détourner de leur propre voix, de leur propre démocratie pour faire perdurer des idées réactionnaires et de balkanisation qui n’ont rien à voir avec notre conscience qui s’attache à défendre nos valeurs panafricaines, d’éthique, de justice, d’unité et de solidarité.
Amadou Elimane Kane est enseignant, écrivain poète et chercheur en sciences cognitives.
[1] Fonds des archives diplomatiques de Nantes et des Archives nationales de Pierrefitte-sur-Seine en France.
[2]L’idée de la Casamance autonome. Possibles et dettes morales de la situation coloniale au Sénégal, Séverine Awenengo Dalberto, éditions Karthala, 2024, introduction, p.26
LANCEURS D’ALERTE : LA DELATION PEUT-ELLE ETRE CIVIQUE ?
Les nouvelles autorités, dans leur démarche de rupture, ont lancé le fameux «Jub, Jubal, Jubanti». C’est dans ce cadre que le concept «lanceur d’alerte» a vu le jour. Qu’en est-il ?
Avec l’avènement de la troisième alternance, l’espoir est immense quant à l’assainissement de nos finances publiques. Les malversations, les détournements de fonds étaient devenus monnaie courante. Les nouvelles autorités, dans leur démarche de rupture, ont lancé le fameux «Jub, Jubal, Jubanti». C’est dans ce cadre que le concept «lanceur d’alerte» a vu le jour. Qu’en est-il ?
D’après les dictionnaires de la langue française, la délation est une forme de dénonciation qui obéit à des motivations méprisables. Outre le fait que l’application du qualificatif «méprisable» peut largement varier selon le point de vue, il est des cas où l’évaluation de la motivation d’un individu en des termes qui la condamnent ou l’approuvent est relativement impossible.
Attachée à la délation n’est pas présente dans l’étymologie du mot. Celui-ci provient du terme latin delator, qui a commencé par désigner un accusateur -sans autre qualification et dont la signification s’est fondue à la renaissance avec celle de «chroniqueur» -celui qui rapporte les faits-, il faut donc aller au-delà de la présente définition lexicale de la délation et commencer par la distinguer de ce qu’elle n’est pas, avant d’en dessiner les figures.
La délation n’est que l’une des espèces de la dénonciation, qui en comprend plusieurs autres dont il la faut différencier. La victime est la source la plus commune de dénonciation, et pas seulement au regard de la Justice pénale.
Aussi reconnait-on à la victime le droit de dénoncer son agresseur et aucun opprobre ne s’attache à cette dénonciation. Le délateur se distingue de la victime, sous ce rapport, le tort subi n’étant pas habituellement le moteur de la délation.
Pour dire vrai, les figures de la délation sont innombrables. Des recherches en la matière m’ont conduit à cinq figures principales : le cliché, la source occasionnelle, la source régulière, le témoin protégé et enfin le lanceur d’alerte.
Un : le cliché, qu’est-ce-que le cliché ? Dans le bestiaire mythologique, le délateur est le corbeau. Le «corbeau» envoie des lettres anonymes adressées à des habitants d’une ville. Toutefois, on peut affirmer que les corbeaux n’adressent à peu près jamais leurs dénonciations à des membres choisis d’une collectivité dans le dessein de la déstabiliser. Ils réservent leurs communications aux autorités policières, administratives ou privées -en cherchant souvent à régler un compte. Ce n’est pas la police qui reçoit le plus grand nombre de dénonciations anonymes, mais le fisc. Oui le fisc !
Deux : La source occasionnelle, qu’est-ce que c’est ? Elle se résume à toute personne qui parle à la police pour livrer une information. Pour la police, cette personne est une «source». Cette désignation est très large et s’étend originellement aux diverses personnes qui fournissent des renseignements aux policiers, serait-ce sur un mode épisodique.
En son sens plus technique, la source occasionnelle est une personne qui informe la police d’une façon répétée, sans toutefois que sa relation avec elle soit structurée par un jeu d’obligations réciproques. Ce peut être une personne à la retraite qui trompe son ennui en discutant de façon spontanée avec un îlotier de l’évolution des mœurs du quartier ou une prostituée qui est contrainte de renseigner la police pour éviter des ennuis avec elle.
Trois : La source régulière, qu’entend-on par source régulière ? C’est le premier cas de figure de la délation. On s’y réfère sous diverses appellations -mouchard, indicateur, informateur, balance, cafteur, doulos. A la différence de l’opinion, l’indicateur épingle des personnes plutôt qu’il ne renseigne sur des situations -la force de l’ennemi, le déploiement de ses effectifs et ainsi de suite. La caractéristique essentielle du mouchardage est qu’il procède de l’établissement d’un lien étroit et durable entre l’informateur et son contrôleur policier.
Quatre : Le «témoin protégé». Que signifie témoin protégé ? Le «témoin protégé» constitue le second grand cas de figure de la délation. Là aussi, on s’y réfère sous diverses appellations comme celles de «repenti» ou de «délateur».
Le «délateur» en ce sens spécifique possède un grand nombre de traits en commun avec l’indicateur, à une différence essentielle près : il accepte de témoigner en public contre ceux qu’il a dénoncés. Comme la preuve du Ministère public repose dans ces affaires sur le témoignage du délateur, ce dernier témoigne sous haute protection. Cette protection est d’autant plus nécessaire que le témoin protégé se livre fréquemment à la police parce qu’il est persuadé que ses complices veulent se débarrasser de lui.
Cinq : Le Lanceur d’alerte. Quel sens peut-on lui donner ? Au regard de l’étymologie du terme «délateur», qui renvoie à la dénonciation, le lanceur d’alerte est bien un délateur «day boolé». En tout cas, c’est le cas de figure préféré des nouvelles autorités, notamment avec le fisc, mais surtout la corruption qui gangrène l’Administration sénégalaise. Le phénomène du «sampe», avec les policiers et gendarmes dans la circulation routière, en est un.
Le lanceur d’alerte est donc celui qui prend le parti des plus faibles -les prisonniers, les petits épargnants- contre la tyrannie des plus forts -l’Etat et ses tortionnaires- par exemple, et reproduit ainsi le beau combat de David contre Goliath.
Dès lors, sommes-nous à même de répondre à notre interrogation initiale à savoir : La délation est-elle un acte civique ? Si l’on entend par civique, tout acte qui concerne le citoyen et son rôle dans la vie politique -devoirs civiques, droits civiques-, on peut, à mon sens, répondre par l’affirmative. Si ces actes ne sont orientés que vers le bien de la communauté dont le but est d’améliorer la gestion quotidienne de notre patrimoine commun, afin qu’il se débarrasse de toute forme de corruption, oui, le lancement d’alerte est bel et bien un acte hautement civique ! Il est même à encourager et à récompenser !
Yakhya DIOUF
Inspecteur de l’Enseignement Elémentaire à la retraite
Par Ibou FALL
IL LE SURNOMMAIT DEJA «SERIGNE NGOUNDOU»...
Quand un Premier ministre appelle à la violence, ça fait le tour de la planète : les agences de presse en ont fait leurs choux gras et dans le monde entier, les chancelleries se demandent ce qui arrive au Sénégal pour qu’il marche sur la tête…
C’est la dernière ligne droite : les Sénégalais votent dans quatre jours, le dimanche 17 novembre 2024, histoire d’envoyer une bande de joyeux drilles et de drôles de rigolos au Parlement. Manifestement, c’est le deuxième tour de la présidentielle qui arrive au petit trot…
On apprend dans la foulée qu'Anta Babacar Ngom se comporte comme un loubard de banlieue et qu’une plainte lui tombe sur son joli minois, avec les compliments de Pastef. Je m’en doute un peu qu’elle soit dangereuse : enfant, c’est un boa son animal de compagnie dans la nature sauvage où elle gambade loin de toute civilisation. Elle pourrait décapiter un coq d’un coup de dent ? Faut faire gaffe, elle est peut-être en plus ceinture noire de karaté…
Quant à Barthélemy Dias, qui joue les «Boy Dakar», selon le candidat Ousmane Sonko, c’est encore pire : sa petite armée et son arsenal ont de quoi effrayer même le plus aguerri des rebelles… D’ailleurs, selon Barth’, le maire de Dakar, au début des affaires troubles qui secouent le pays en 2021, Ousmane Sonko est venu chez lui tout larmoyant, sous prétexte que ce gangster de Macky Sall le menace de faire incendier sa cabane de la Cité Keur Gorgui.
Calmos, quand on a Barth’ à ses côtés dans Dakar, autant jouer «Officier n’a pas peur», lui dira celui qui n’est alors que maire de Baobabs, Sacré-Cœur et Mermoz. Il lui aurait même «appris des choses»
Entre Nègres, on se comprend…
C’est le «Dômi ndèye» Barth’, d’ailleurs, qui l’accompagne quand il doit aller répondre à la Justice, dans les affaires Adji Sarr et Mame Mbaye Niang. Bref, ils seront comme cul et chemise, à tel point que lorsque Yewwi askan wi va à l’assaut des Locales, quand Khalifa Sall propose Soham Wardini, Ousmane Sonko, du haut de ses 15% de la Présidentielle de 2019, impose son «frère d’une autre mère» Barthélemy Dias. Alors que Pastef, ou plutôt lui, le toutpuissant Pros, doit s’emparer de la citadelle dakaroise, qui est l’antichambre du Palais de l’avenue Senghor, à quelques centaines de mètres de ses ambitions présidentielles.
Grave faute politique que Pastef ne finit pas de payer…
Bref, il est aujourd’hui question entre eux de s’étriper et Ousmane Sonko, dans le style du matamore qui le caractérise, déclare la guerre à son ancien allié, en comptant sur la diligence des Forces de l’ordre, après avoir pointé du doigt le manque d’autorité du chef de l’Etat, parti à Ryad débattre des affaires israélo-arabes pendant que son pays prend feu. Rien de nouveau sous notre ciel, il le surnomme déjà «Serigne Ngoundou»
Sauf que quand un Premier ministre appelle à la violence, ça fait le tour de la planète : les agences de presse en ont fait leurs choux gras et dans le monde entier, les chancelleries se demandent ce qui arrive au Sénégal pour qu’il marche sur la tête…
Tiens, ça tombe bien, le FMI, qui regarde à la loupe les chiffres que présente le Sénégal depuis les fracassantes révélations de son chef de gouvernement, lequel révèle que son Administration est un temple de faussaires, eh bien, le Fmi, donc, suspend tout versement à juin 2025, le temps que la Cour des comptes certifie les chiffres.
Moi, je serais du FMI, dans la foulée, je ferais aussi certifier ISO 9000 la Cour des comptes, le Conseil constitutionnel, le gouvernement et le chef de l’Etat. Sait-on jamais ?
Est-ce donc pour cela que l’Union européenne est devenue une vierge effarouchée ? Les sempiternels accords de pêche ne seront pas renouvelés et la coopération se met en mode sommeil à compter du… 17 novembre. Comme le hasard est curieux ! Tout ceci ne nous explique pas comment nous en sommes arrivés là.
Mais cette semaine, il y a un début d’explication sorti du taiseux Amadou Ba, devenu politicien en campagne, donc très bavard… Dans un entretien, la tête de liste de Jamm ak njariñ explique que durant la présidentielle de mars 2024, lorsqu’il annonce que l’affaire Sonko serait jugée dans les cent jours qui suivraient son installation, juste après, il reçoit un appel du Président Macky Sall qui comprend qu’il a l’intention, une fois élu, de nommer Ousmane Sonko Premier ministre…
Bien sûr, ça tombe sous le sens : Amadou Ba et les garnements de Pastef sont en cheville depuis 2014 ; il est leur âme damnée, leur taupe, leur candidat… Ce serait l’une des raisons pour lesquelles, après 2019, Amadou Ba quittera l’attelage gouvernemental.
C’est déjà suspect, quelques années auparavant, lorsqu’il est question de licencier le turbulent syndicaliste Ousmane Sonko de la Fonction publique, que Amadou Ba, ministre des Finances, le déconseille au Président, pour éviter d’en faire un martyr. Une simple sanction au pire, au mieux, une affectation hors de Dakar ferait l’affaire, lui conseille-t-il. C’est louche, quand on sait que Amadou Ba est celui qui demande la main de Anna Diamanka, la plus célèbre du harem…
Macky Sall sera intraitable. Ainsi démarre l’aventure Sonko…
Il faudra que du beau monde se déploie pour que l’ancien ministre des Finances, en disgrâce après un exil aux Affaires étrangères, revienne dans la cour du Prince.
Macky Sall, au fond, ne lui fait pas vraiment confiance lorsqu’il en fait son candidat pour la Présidentielle de 2024. Il faut aussi reconnaître qu’il renonce à présenter sa troisième candidature de mauvaise grâce…
Ça en fait beaucoup pour une seule tête ?
A partir de là, tout part en couilles : Karim Wade, Ousmane Sonko et… lui-même hors-course, le Conseil constitutionnel devient vénal, et le pays est au bord de l’implosion. Et donc, report d’élection, amnistie générale pour les crimes commis depuis 2021 avec en prime l’élargissement de Ousmane Sonko et Bassirou Diomaye Faye. Le fameux «Protocole du Cap Manuel» dont tout le monde parle mais que peu de personnes ont vu, est la dernière pièce du puzzle qui va se rassembler le 17 novembre 2024.
La vérité des vainqueurs n’est jamais la même : à quel Sénégal se fier, dès le 18 novembre 2024 ?
Par Souleymane CISS
LA COHABITATION : ENTRE ILLUSION DEMOCRATIQUE ET BLOCAGE INSTITUTIONNEL
Pour un nouvel élu, la responsabilité et la sagesse demeurent dans la cohérence, en lui accordant une majorité absolue à l’Assemblée nationale
En France, bien que le régime d’Emmanuel Macron ait expérimenté une forme de cohabitation en 2022 et en 2024, cette situation n’est pas systématique.
En effet, après son élection en 2017, Macron a bénéficié, la même année, d’une large majorité à l’Assemblée nationale avec 350 sièges sur 577,soit 60,65 %. Les Français avaient alors décidé de lui accorder un soutien parlementaire pour qu’il puisse mettre en œuvre son programme de campagne. Il a fallu presque six ans, lors de son second mandat, pour que sa majorité parlementaire s’effondre, ouvrant ainsi la voie à une cohabitation.
Cependant, même dans une démocratie aussi mature que celle de la France, cette cohabitation a révélé certaines faiblesses. Face à des dysfonctionnements institutionnels, entravant les actions de son gouvernement, Macron n’a eu d’autre choix que de dissoudre le Parlement dans l’espoir de rétablir une majorité stable.
Aux États-Unis, les élections de mi-mandat représentent une opportunité d’évaluer la gouvernance du président en place à travers la composition du Congrès. Deux ans ne suffisent-ils pas pour juger de l’efficacité des actions d’un régime et décider de lui accorder, ou non, une majorité au Sénat ? Sans doute que si !
Dans le contexte sénégalais, Macky Sall, élu en 2012 lors du second tour, s’est vu accorder la même année une majorité absolue à l’Assemblée nationale, avec 119 sièges sur 150, soit 79,33 %. Ce soutien s’est quelque peu effrité en 2017, avec 125 sièges sur 165, représentant 49,47 % des suffrages, mais lui permettant néanmoins de continuer à déployer son programme pour la période 2012-2019. Ce n’est qu’en 2022, après dix ans au pouvoir, que sa majorité s’est réellement effondrée, reflet d’un mécontentement croissant des citoyens vis-à-vis de ses dernières années de gouvernance
Aujourd’hui, au Sénégal, Bassirou Diomaye Faye est devenu le président de la République le mieux élu de l’histoire du pays, et peut-être même de l’Afrique, avec 54,28 % des suffrages dès le premier tour. La majorité des électeurs a donc clairement choisison programme au détriment des autres propositions. Pourtant, cinq mois après cette élection historique, lorsque le président présente un projet de réformes visant à supprimer des institutions budgétivores telles que le Haut Conseil des Collectivités Territoriales et le Conseil Économique, Social et Environnemental, il se heurte à une opposition parlementaire. Quel paradoxe ! Où se situe la responsabilité dans un tel Parlement ?
Une telle opposition, s’opposant à des réformes pourtant approuvées par la majorité des électeurs, non seulement va à l’encontre des volontés populaires récemment exprimées, mais menace également la démocratie représentative.
La leçon à tirer pour le peuple sénégalais est que la cohabitation ne prend tout son sens que lorsqu’un chef d’État a déjà fait ses preuves, comme lors du second mandat de Macron en 2022. Pour un nouvel élu, la responsabilité et la sagesse demeurent dans la cohérence, en lui accordant une majorité absolue à l’Assemblée nationale. D’où l’importance de voter pour la liste Pastef dirigée par le Premier ministre, Ousmane Sonko
Souleymane Ciss est Coordonnateur de l’Alliance Démocratique pour la Justice et l’Équité Sociale (ADÉJE).
PAR Cheikh Anta Babou
L’AFFAIRE GÉNÉRAL KANDE, LORSQUE L’HISTOIRE SE RÉPÈTE
Les exemples du Lieutenant-Colonel Mademba Sy et du Commandant Faustin Preira constituent des précédents historiques. Ils rappellent que l'excellence reconnue de l'armée sénégalaise n'exclut pas l'existence de rivalités internes
L’affectation du Général de Brigade Souleymane Kandé comme attaché militaire à l’ambassade du Sénégal à New Delhi en mai 2024 continue de défrayer la chronique. La déclaration récente du Premier ministre Ousmane Sonko lors de son meeting de Campagne à Zinguichor, mettant en garde les politiciens qui seraient tentés de politiser la situation n’a fait qu’attiser l’attention sur le cas. Chacun y va de sa théorie.
Pour certains, le général est la victime d’une cabale d’officiers supérieurs plus anciens que lui, jaloux de son ascension fulgurante. Pour d’autres, il payé le prix de son outrecuidance lorsque, avec le soutien du président Macky Sall, il ignora les instructions de son supérieur hiérarchique, le chef d’Etat Major Général des Armées (CEMGA) Birame Diop, aujoudhui ministre des Forces Armées, pour lancer une offensive d’envergure contre les rebelles en Casamance.
D’autres encore l’accusent d’être un opposant encagoulé du nouveau régime et même insinuent qu’il préparait un coup d’État.
L'ampleur que la presse et l’opinion publique donnent à ce cas peut laisser croire que nous avons affaire à une situation inédite. Pourtant, il n’en est rien. Avant le Général Kandé, deux officiers supérieurs de l’armée du Sénégal ont été affectés, contre leur gré, comme attaché militaire au niveau des ambassades du Sénégal, dans des circonstances similaires.
Le Lieutenant-Colonel (LC) Mademba Sy est le premier officier supérieur sénégalais à être nommé attaché militaire contre sa volonté. LC Mademba Sy était avec le LC Jean Alfred Diallo les deux seuls officiers de ce rang dans l’armée sénégalaise lors que le pays acquiert son indépendance en 1960. Le LC Mademba Sy qui, comme LC Jean Alfred Diallo, a servi dans l’armée française, était un officier particulièrement brillant et populaire parmi les officiers et les militaires du rang. Il avait, cependant, la réputation d’être très ambitieux et il ne cachait pas sa volonté de devenir un jour CEMGA et peut être même chef de l’Etat. On le soupçonnait d’être de connivence avec un groupe d’officiers qui travaillaient pour lui et qui s’activaient à saper l’autorité du LC Jean Alfred Diallo, son rival, nommé CEMGA lors de la crise de 1962.
Le président Senghor, conscient de cette rivalité et du danger qu’elle représentait pour la jeune armée nationale, avait éloigné LC Sy en le faisant nommer chef l’Etat Major de l’Union Africaine et Malgache de Défense (U.A.M/D), dont le quartier général était à Ouagadougou. Lorsque le LC Diallo a été promu CEMGA, le LC Sy demanda son affectation à Dakar pour, dit-il, aider son camarade dans l’effort de construction de la nouvelle armée nationale, mais il n’a pas reçu l’approbation du CEMGA. Après avoir quitté son poste à l’U.A.M/D, LC Sy qui souhaitait retourner au Sénégal fut affecté à Paris comme attaché militaire à l’ambassade du Sénégal en France. C’était une première dans l’histoire de la jeune diplomatie sénégalaise. Il restera à ce poste jusqu’en 1969.
La même année (1963) que le LC Mademba Sy a été affecté à l’ambassade du Sénégal à Paris, le président Senghor prit la même décision concernant un autre cadre de l’armée, le Commandant Faustin Preira. Le Cmdt Preira qui avait des états de service impeccables dans l’armée française a joué un rôle crucial pendant la crise de 1962. Il commandait alors le bataillon de parachutistes basé à Rufisque. En ce jour fatidique du 17 décembre 1962, qui a marqué le paroxysme de la crise au sommet de l’Etat opposant le président de la République Léopold Sédar Senghor et le président du Conseil Mamadou Dia, la gendarmerie, la garde nationale et l’armée, répondant aux ordres des deux protagonistes de la crise, se faisaient face au niveau du palais présidentiel, du bâtiment de l’Assemblée nationale et de la radio nationale. Le soutien de l’armée en général et surtout des parachutistes commandés par le commandant Preira au président Senghor a été décisif pour éviter une guerre fratricide au sein des forces de sécurité et pour la victoire finale du président de la République sur le président du Conseil.
Cependant, le cmdt Preira comme son camarade LC Mademba Sy, acceptait mal la tutelle du CEMGA Diallo. Lorsque ce dernier lui envoya un soldat pour servir de liaison entre son unité et l’Etat Major, il refusa de le recevoir. Cet acte d’insubordination lui coûtera son commandement et 45 jours d’arrêt de rigueur. Après avoir purgé sa peine, le président Senghor décida de le nommer attaché militaire à l’ambassade du Sénégal à Washington. Il refusa pour un moment d’obtempérer et sollicita un soutien dans les milieux politiques et religieux, y compris le calife général des mourides Serigne Falilou Mbacké, mais en vain. Il finira par rejoindre son poste.
Ces événements que je viens de décrire n’altèrent en rien l’identité fondamentale de l’armée sénégalaise dont le patriotisme, le professionnalisme et la loyauté aux autorités civiles en font un modèle respecté à travers le monde. Il faut simplement reconnaître que l’armée est un corps social vivant composé d’hommes et de femmes talentueux et ambitieux. Il est tout à fait normal que le choc des ambitions crée parfois des soubresauts. Mais durant plus de soixante ans d’existence, l’armée a démontré qu’elle a des ressources pour gérer ses contradictions internes sans nuire à la stabilité de l’Etat.
Cheikh Anta Babou est Professeur d’histoire, University of Pennsylvania.
par Aboubacry Moussa LAM
MULTIPLE PHOTOS
LE PULAAR NE MÉRITE PAS CELA AU SÉNÉGAL
Vouloir imposer l’assimilation à tous par l’hégémonie forcée d’une langue est un projet insensé. Revenons à la raison et trouvons un aménagement linguistique plus équitable et plus respectueux de nos réalités
La récente contribution cosignée par Ngugi wa Thiongo et Boubacar Boris Diop, à laquelle répond celle de Boubou Sanghote, auxquelles viennent s’ajouter celles antérieures du même Boubacar Boris Diop et de Souleymane Bachir Diagne nous poussent toutes à nous pencher sur une question à laquelle nos travaux académiques et notre statut d’écrivain en langue pulaar nous avaient déjà familiarisé depuis fort longtemps. Nous ne voulions pas nous engager dans un débat qui, compte tenu de sa nature, soulève forcément des passions alimentées par des partis pris difficiles à éviter du fait de nos appartenances et de nos idéologies linguistiques différentes.
Le pulaar est notre langue maternelle et une bonne partie de notre production, toutes catégories confondues, s’est faite dans cette langue. Contrairement à Boubacar B. Diop qui s’est promis de privilégier le wolof, nous écrivons, pour le moment, plus dans la langue française (notre dernier essai dans cette langue remonte seulement au mois de mai 2023 alors que celui en pulaar à 2012). Mais, en toute honnêteté, nous sommes plus à laise en pulaar qu’en français et un amour profond nous attache au pulaar. Cela est si vrai que nous avons pris le risque de déplaire à de nombreux Fulɓe en affirmant courageusement que leur vrai combat ne doit pas être l’affirmation de la « Pulaagu » (la manière d’être des Peuls et dont ils sont très fiers) mais celle du pulaar, leur langue commune.
En effet, en 2012 quand nous écrivions cela, nous étions convaincus, après avoir assisté au Assises de Tabital Pulaagu International à Bamako, en 2002, que sans le pulaar, la « Pulaagu » ressemblerait à un « tuuba ba alaa duhól », c’est-à-dire un pantalon bouffant sans ceinture. C’est reconnaître que dans un débat linguistique, idéologique et politique impliquant cette langue, nous ne pouvons rester neutre. Cependant, en universitaire qui cherche à être digne de ce titre, tout ce que nous avancerons dans nos positions, reposera sur des faits tangibles, les plus objectifs possibles, et non sur nos voeux ou penchants.
Nous pensions donc tôt ou tard nous prononcer sur la place faite au pulaar au Sénégal, notre pays. C’est le lieu de rappeler que cette langue est transfrontalière et concerne donc plusieurs pays de l’espace compris entre le Sénégal et le Soudan (au moins 24 pays d’après certaines sources) où elle rancontre différents problèmes. Mais nous nous limiterons seulement aux difficultés du pulaar au Sénégal pour nous en tenir aux faits que nous maîtrisons.
La raison directe qui nous a poussé à nous jeter à l’eau est le constat que nous avons fait à l’occasion de l’avant-première du film « 1776 : Thierno Souleymane Baal et la Révolution du Fouta » au Cinéma Pathé de Dakar, le 3 septembre 2024. En effet, le mot de bienvenue qui débutait la projection était ainsi libellé : « DAL LEEN AK JAMM/BIENVENUE ».
Surprise et indignation seraient les termes les plus justes pour décrire l’état dans lequel nous nous retrouvâmes alors à cet instant. Comment est-il possible d’« oublier » le pulaar dans la bienvenue pour un film sur le digne fils du Fuuta que fut Ceerno Siléymaan Baal ? Il m’apparut en un éclair que cela ne pouvait pas être un oubli (une des responsables du film étant la petite fille de l’illustre personnage), mais bien quelque chose de volontaire. Nous eûmes donc brutalement la confirmation d’une conviction que nous avions déjà depuis longtemps que notre langue maternelle était, délibérément et méthodiquement, en train d’être exclue du champ linguistique du Sénégal : en effet, en la mettant de côté pour un événement concernant avant tout une région où elle était parlée, il devenait clair que sa marginalisation voire sa disparition était recherchée. En pensant aux conséquences que ce choix pouvait entraîner pour le pays, à court, moyen ou long termes, il devenait dès lors pour nous un devoir d’entrer dans le débat en l’enrichissant de nos points de vue. Notre objectif est d’apporter des éclairages permettant de voir :
1. La place du pulaar, au Sénégal surtout et en Afrique après ;
2. Certaines réflexions (anciennes et nouvelles) sur l’aménagement linguistique en Afrique et au Sénégal ;
3. La légitimité ou la pertinence de la voie suivie actuellement en matière d’aménagement linguistique ;
4. Et dans le cas contraire, la proposition de solutions qui nous semblent en mesure de rétablir l’équilibre et d’éviter au pays une aventure lourde de menaces.
Nous ne ferons pas un tour d’horizon complet sur la question de l’aménagement linguistique. Nous nous contenterons de trois réflexions qui nous semblent éclairer suffisamment la question.
Nous commençons par Cheikh Anta Diop qui, dans le cadre de la renaissance africaine, a proposé l’État fédéral comme solution organisationnelle étatique. Ce faisant, il a abordé la question de l’aménagement lingistique au niveau fédéral et au niveau des États fédérés.
Le poids du pulaar au Sénégal et en Afrique
Au Sénégal
Pour ce qui est du poids du pulaar au Sénégal, nos analyses s’appuient essentiellement sur les documents officiels que sont les deux recensements de 2013 et de 2023. Nous n’ignorons pas que les effectifs sont vraisemblablement en deçà de ce qu’ils auraient dû être en raison des difficultés de recensement en rapport avec les activités dominantes du groupe, l’élevage et l’agriculture.
Nous commençons par la cartographie qui a l’avantage d’être plus explicite quand il s’agit de camper la répartition spatiale des locuteurs des principales langues du pays.
Cette carte (voir en illustration 1) s’accompagne du commentaire suivant :
Données linguistiques pour le Sénégal
Le recensement de 2013 au Sénégal recense plus de 30 langues et dialectes parlés dans le pays. Bien que le français soit la langue officielle, il n'est parlé que par environ 37 % de la population, principalement comme deuxième langue. En revanche, 72 % utilisent le wolof pour communiquer avec les locuteurs d'autres langues sénégalaises. Le recensement indique que le wolof est également la première langue la plus parlée (50 % de la population), suivi du pular (25 %) et du sérère (11 %). En 2001, six langues ont reçu le statut de langue nationale : le wolof, le sérère, le pular, le mandingue, le soninké et le diola-foñy.
Le wolof est la langue la plus parlée dans les zones urbaines et à la radio. Le français est presque la seule langue parlée à la télévision et dans la presse écrite.
Cette description reste globalement fidèle sauf pour le statut du français à la télévision. Le wolof s’est taillé depuis la part du lion à la télévision. Cette carte de 2021 reprend des éléments du recensement de 2013 et montre clairement que le pulaar domine largement dans tous les départements de l’arrière-pays, avec un taux de couverture de 52 à 55% sauf dans les parties ouest et sud-ouest. Elle pourrait être considérée comme dépassée parce que s’appuyant sur des données remontant à onze ans. Cependant, les données du recensement de 2023 confirment la place prépondérante du pulaar dans l’arrière-pays. En effet, l’exploitation du tableau ANSD. RGPH-5, 2023, de la page 81 du rapport provisoire nous apprend que le bloc wolof/pulaar/seereer compte, à lui seul, 14 235 077 locuteurs sur un total (langues locales et étrangères confondues) de 15 940 213. Dans ces 14 235 077, le pulaar représente 4 175 468.
Il nous apprend également que les autres langues locales du pays totalisent 1 313 508 locuteurs. Ainsi, le wolof et le seereer étant cantonnés à l’ouest et au centre-ouest du pays, l’omniprésence du pulaar sur le reste du Sénégal est un fait qui demeure encore. Le décalage entre le nombre de Sénégalais (18 126 390) et les 15 548 580 représentant les locuteurs des langues locales s’explique par la non prise en compte, tout à fait logique, des enfants de moins de trois ans pas encore en âge d’être recensés comme locuteurs d’une langue donnée (2,4%), des résidents sénégalais absents (7%), des locuteurs de langues étrangères, etc.
Donc sur le plan géographique, le pulaar est la langue la plus présente, globalement parlant tandis que le wolof se cantonne essentiellement dans les villes concentrées presque toutes en pays wolof, c’est-à-dire à l’ouest du pays. Autrement dit, dans le cadre d’un aménagement linguistique équitable, ne tenant compte que des réalités objectives du terrain, le pulaar est incontournable dans de nombreuses régions (5 au total) où il est parlé, rappelons-le, par 52 à 55% des populations. Ces régions sont : Saint-Louis, Matam, Tambacounda, Kédougou et Kolda. Quand on pousse plus loin l’analyse des cartes interactives du site de « Translators Without Borders », il apparaît que même dans certaines régions où le wolof, le manndiŋka, le joolaa sont en tête, le pulaar vient en deuxième position. C’est déjà le cas pour Dakar où le wolof fait 61,6% et le pulaar 12,8%. C’est encore le cas dans la région de Sédhiou où il fait 24,1% derrière le manndiŋka (40,7%). C’est aussi le cas dans la région de Louga où il se place juste derrière le wolof (71%) avec 26,8%. C’est toujours le cas dans la région de Kaffrine où le wolof arrive en tête (avec 66,7%), suivi du pulaar qui fait 17,2%. Dans la région de Kaolack, le pulaar vient en troisième position (15%) après le wolof (61,2%) et le seereer (17%).
C’est le même cas dans la région de Diourbel où le pulaar occupe aussi la troisième place (6,3%) même si c’est loin derrière le wolof (54,8%) et le seereer (38,9%). Même en pays seereer, dans la région de Fatick, le pulaar conserve toujours sa troisième place (3, 6%) derrière le seereer (86%) et le wolof (9,3%. Dans la région de Thiès, le pulaar conserve encore sa troisième place (7,7%) derrière le wolof (72,8%) et le seereer (16%). C’est seulement dans la région de Ziguinchor que le pulaar (13,1%) vient en quatrième position après le Joolaa-Fóóñy (29%), le wolof (17,1%), le Manndiŋka (16,8). Dans les cinq régions qui restent, le pulaar est majoritaire à 52/55%.
Nous avons déjà dit plus haut que ces données sont celles tirées du recensement de 2013 et qu’on pourrait penser qu’elles ne sont plus actuelles. Il n’en est pourtant rien. En effet, l’exploitation du tableau (voir en illustration 2) issu du recensement de 2023, p. 47 ou 82 en pagination continue, montre que le poids du pulaar a même augmenté au lieu de reculer comme celui de certaines langues :
Sur les dix ans écoulés entre les deux recensements, le pulaar passe ainsi de 24,6% à 26,2% soit une progression de 1,6% alors que le seereer régresse de 11,1% à 9,6% (1,5% de perte) ; le joolaa, de 3,6% à 2,9% (0,7 de perte) ; et que le Manndiŋka reste stable (passant de 2,7% à 2,8%). Le wolof a fait le bond le plus fort en passant de 50% à 53,5%, sans doute du fait de son dynamisme propre mais aussi du fait de l’absorption du seereer complètement enclavé dans sa zone géographique. Cette absorption se ferait, d’après des sources bien informées, essentiellement dans le Bawol, avec l’islamisation et la mouridisation de certains Seereer.
En Afrique
À l’échelle du continent, le pulaar est la seule des grandes langues à aller de l’Atlantique à la mer Rouge, soit une distance, à vol d’oiseau, de 6 478 km. Il s’étend ainsi sur toute la bande saharo-équatoriale sans rupture spatiale jusqu’au Tchad et de manière discontinue jusqu’au Soudan ; se présentant ainsi comme la langue la plus répandue et la plus partagée, avec une vingtaine de pays où elle est présente. Il est ainsi sans doute la seconde langue après l’arabe en termes de répartition spatiale. Il va pratiquement du 5ème au 18ème parallèle de latitude, de l’Atlantique à la mer Rouge (zones poularophones des régions du Nil Bleu, d’Adret, de Kassala, au Soudan Oriental), soit une superficie d’environ 9 000 000 de kilomètres carrés (voir carte en illustration 3). Il est généralement classé comme la 4ème langue de l’Afrique en termes de locuteurs derrière le swahili, l’haoussa et le yoruba. Viennent ensuite l’oromo, l’igbo, l’amharique, le lingala, le zulu et, enfin, le shona.
Comme on peut le constater ici, le wolof est absent du « top 10 » des langues les plus parlées en Afrique. Au Sénégal même, son statut de langue la plus parlée ne se vérifie que dans les grandes villes que le système colonial a créées sur les côtes et dans le bassin arachidier situés à l’ouest. Donc son hégémonie est loin d’être absolue, surtout par rapport au pulaar qui tient les campagnes du pays.
Le yoruba (20,6%, soit 39,6 millions, l’haoussa (18,3% soit 35,2 millions, et l’igbo (14,8, soit 28,5 millions ne débordent que très peu les frontières du Nigéria. Autrement dit, ces trois grandes langues africaines se concentrent dans un espace géographique réduit à l’inverse du pulaar (7,9%, soit 15,3 millions) qui, bien que présent dans le même espace, se retrouve à l’ouest et à l’est de cette zone commune (voir carte en illustration 3).
L’oromo et l’amharique sont dans la même situation que le yoruba, l’haoussa et l’igbo. Ces deux grandes langues par le nombre de locuteurs se réduisent à l’espace éthiopien (voir carte en illustration 4).
Terminons par la langue la plus parlée en Afrique, le swahili. La carte en illustration 5 (le jaune) montre que cette langue occupe elle aussi un espace géographique relativement réduit : Tanzanie, Kenya, Ouganda, Rwanda, Burundi, l’est de la RDC, le nord du Mozambique, Zanzibar ; ce qui constitue un bloc compacte. cependant, son aire déborde sur le Soudan du Sud, la Somalie, le Malawi, les Comores et le Yémen. On estime le nombre des locuteurs du swahili à environ 150 000 000 là où ceux du pulaar sont évalués à 50 000 000. Mais, d’après notre ami Amadou Sadio Dia, un géographe qui a parcouru tous les pays peuls d’Afrique, ce chiffre est en deçà de ce qu’il aurait dû être.
S’il faut tenir compte du fait que les « Ful » ne sont pas reconnus dans les statistiques officielles des États comme le Sud-Soudan (prolongement méridional du Kordofan), le Kenya (périphérie occidentale du lac Turkana), l’Éthiopie (vallée de Gambella), la RCA ( les dits « Mbororo » sont présumés « nomades sans lieux fixes »). Parfois, ce sont des régimes racistes et dictatoriaux qui « trafiquent » ou biaisent les statistiques (Mauritanie, Soudan-Khartoum). Au Nigeria du nord et du nord-est, il y a un problème de définition précise et concise du concept « Fulani » pour bien des groupes et se posent des questions statistiques que le Nigeria officiel ne résout pas. Enfin, quid des Ful qui se baladent librement et tournent le dos aux autorités pour se faire recenser alors qu’ils existent bel et bien dans la réalité (sans bulletin de naissance, encore moins de carte d’identité ? [Communication personnelle du 12/10/2024].
En conclusion, l’atout incontestable du pulaar en Afrique, c’est son extension géographique. Avec un appui politique de tous les États où il est parlé, il aurait pu être un concurrent plus que sérieux pour le swahili dans le choix d’une langue de travail pour l’Union Africaine : certaines sources diplomatiques affirment même que la proposition de Kadhafi dans ce sens fut vivement combattue par les présidents du Sénégal et de la Mauritanie. On peut deviner aisément les raisons d’une telle attitude pour chacun de ces deux pays.
Une théorie défavorable
Cheikh Anta Diop
Cheikh Anta a préconisé très tôt l’usage des langues locales dans le cadre de la renaissance africaine. C’est en effet dans un texte intitulé « Quand pourra-t-on parler d’une renaissance africaine ? » qu’il écrit : « Toutes ces raisons – et bien d’autres – nous incitent à poser comme condition préalable d’une vraie renaissance africaine le développement des langues indigènes. On apprend mieux dans sa langue maternelle parce qu’il y a un accord incontestable entre le génie d’une langue et la mentalité du peuple qui la parle. D’autre part, il est évident qu’on évite des années de retard dans l’acquisition de l’enseignement » [texte publié pour la première fois en 1948 et repris dans Alerte sous les tropiques, Présence Africaine, 1990, p. 35].
Cheikh Anta estime ce retard à six ans (même page). Précisant sa pensée dans Nations nègres et culture (synthèse de ce qui devait être sa thèse de Doctorat ès Lettres publiée en 1954), précisément à la page 416 du tome II, il estime que l’unité linguistique doit d’abord être réalisée à travers le choix d’une langue unique dans un territoire. Pour le Sénégal qu’il prend pour exemple, cela doit être fait malgré la vivacité « des particularismes (sérère, diola, ou toucouleur), qui ont parfois la force d’un véritable micro-nationalisme » reposant sur l’ignorance de la parenté entre les langues de ces groupes. Lequel, pense-t-il, peut être évité par une démonstration de cette parenté (Les fondements économiques et culturels d’un État fédéral d’Afrique Noire, Présence Africaine 1960, p. 20) Mais, reconnaissant aussi que cette unité ne tombe pas du ciel, il dégage une méthodologie s’appuyant sur l’histoire de la France qui a utilisé la violence coercitive pour imposer le français :
Cette dernière, loin d’être un fait naturel propre à certains pays privilégiés et faisant défaut à d’autres, apparaît comme le résultat d’un effort officiel conscient à travers le temps. Le français n’a pu s’imposer aux différentes provinces que par un étouffement des langues locales : il importe de souligner ici qu’il ne s’agissait pas de dialectes du français mais de véritables langues différentes de la langue française ; un Basque ou un Breton, etc. qui n’a pas appris le français est incapable de saisir la moindre idée exprimée en cette langue et inversement (souligné par nous) […] La multiplicité des langues est donc un problème qui a été résolu ailleurs, du moins pratiquement, et que nous pouvons résoudre à notre tour [Nations nègres et culture, pp. 416-417].
Cheikh Anta élude la question subséquente qui vient immédiatement à l’esprit de tout décideur : le Sénégal de 1960 pouvait-il se permettre d’exercer la violence qu’un tel choix supposait ? C’est donc tout logiquement qu’il arrive à la conclusion que dans un pays comme le Sénégal, en toute objectivité, le choix du walaf s’impose comme langue nationale, comme langue de gouvernement : toutes les minorités sont pratiquement bilingues et parlent le walaf [Les fondements…, pp. 20-21].
Mais Diop sent la contestation prévisible quant à l’objectivité et à la pertinence de son choix ; il y répond et enfonce le clou : « On voit ainsi que, suivant le contexte local, des langues de culture, comme le toucouleur-peulh, entrent dans la catégorie de groupes minoritaires, tandis qu’il en est autrement dès qu’il s’agit de régions telles que le Fouta-Djallon ou le Nord-Cameroun […] Un gouvernement sénégalais approprié pratiquera un jour systématiquement une politique culturelle visant à favoriser le développement de la langue dans les meilleurs délais […] Le walaf devra devenir le plus rapidement possible la langue de gouvernement utilisée dans tous les actes publics et politiques : interventions au parlement, rédaction de la constitution, du code, etc. » [c’est nous qui soulignons ; même source, pp. 21-22].
Pour la langue fédérale, il pense que « le choix d’une telle langue devra incomber à une commission internationale compétente, inspirée par un très profond sentiment patriotique, à l’exclusion de tout chauvinisme déguisé » [Les fondements…, p. 23]. Comme dans le cadre de l’Union Soviétique, celle-ci « couvrira toutes les langues territoriales de la même façon que le russe se superpose à la langue de chaque république soviétique. » (même source et même page).
Dans son analyse, Cheikh Anta aborde aussi un point crucial pour l’aménagement linguistique en Afrique indépendante. Il remarque que les principales langues qui se sont développées au détriment d’autres ont en fait été favorisées par une économie coloniale extravertie (Nations nègres…, II, p. 416). Cheikh Anta pense qu’une telle situation pourrait évoluer et s’inverser même si certains facteurs en cause restaient encore indéterminés au moment où il écrivait : …Le jour où l’économie africaine sera entre les mains des Africains eux-mêmes et qu’elle ne sera plus adaptée à des nécessités d’exploitation mais à leurs besoins, la concentration démographique s’en trouvera modifiée : les langues de certaines régions perdront de leur importance alors que celles d’autres régions (Guinée française, par exemple) en acquerront [p. 416].
Cette prospective, même si l’économie du continent n’a pas totalement rompu avec son extraversion 70 ans après, connaît un début de vérification avec, un peu partout, des politiques publiques plus soucieuses des besoins des populations et des équilibres régionaux. Les flux de populations vers des zones, jusqu’alors privilégiées, ont totalement cessé ou en voie de se tarir : c’est le cas du bassin arachidier de l’ouest du Sénégal sous les effets combinés de l’épuisement des sols, de la sécheresse et du développement de la riziculture dans la moyenne vallée du fleuve Sénégal. Désormais les destinations recherchées des partants sont la Côte-d’Ivoire, l’Afrique Centrale ( les deux Congo et la République Centrafricaine), Orientale (Zambie), Australe (Afrique du Sud) ou même l’Europe et l’Amérique du Nord. Ce processus se fait, à n’en pas douter, au détriment de la langue wolof qui, d’un autre côté, ne bénéficie plus de l’exode rural si fort durant les années 1970 dans les centres urbains, presque tous situés en pays wolof, du fait des sécheresses répétitives. C’est cela qui inquiète les « suprémacistes » wolofs et les pousse à faire du forcing pour imposer le wolof hic et nunc (tout de suite) avant qu’il ne soit trop tard. Par suprémacistes, nous entendons tous ceux qui s’activent pour que les Wolofs soient au-dessus de tous et le wolof au-dessus de toutes les autres langues, à tout prix, et refusent de voir que le Sénégal est fondamentalement un pays multi-ethnique, où chaque groupe doit être mis à l’abri du mépris culturel et s’épanouir dans la paix. Il en existe malheureusement dans notre pays.
Pathé Diagne
Pathé Diagne aussi s’est essayé à l’aménagement linguistique en Afrique dans un texte publié dans la revue Présence Africaine : « Linguistique et culture en Afrique », Présence Africaine, Nouvelle série, n° 46, 2ème trimestre, 1963, pp. 52-63. Appréciant la situation linguistique en Afrique de l’Ouest, il distingue deux grands types de langues : D’une part les langues urbaines véhiculaires en expansion constante : Malinke-Dioula, Wolof, Hawsa, Susu et Fon. D’autre part les parlers de groupes « ethnico-linguistiques » repliés sur eux-mêmes dans des zones quelque peu en marge des courants de l’économie moderne. Il en est de toutes sortes. Certains parlers importants : Poular, Sourhai, Tamaslek, More Djenma…d’autres constituent des dialectes d’un ou de deux villages. Les langues « urbaines véhiculaires en expansion » définissent des aires linguistiques à vocation nationale. Et c’est sur elles que devraient [sic] reposer l’insertion progressive de la culture africaine dans l’enseignement scolaire et universitaire [p. 61].
Ainsi, pour Pathé Diagne, les langues du second groupe sont condamnées à tomber dans la confidentialité, voire à disparaître à l’exception du pulaar et du More, par exemple. Les raisons qui conduisent Pathé Diagne à « repêcher » le pulaar et à l’intégrer dans le premier groupe sont d’un grand intérêt :
Il convient de leur adjoindre dans le second groupe ceux des parlers dont l’importance numérique est exceptionnelle. C’est le cas du Poular [souligné par nous]. Le choix du Poular oblige apparemment à rompre une tendance qui se dessinait sans se préoccuper de cette langue. L’assimilation des AL Poular telle qu’elle s’est faite au Sénégal et telle qu’elle s’opère par le bilinguisme au Macina et en Basse Guinée préfigurait son élimination au même titre que le Sérère ou le Sourhai devant les langues urbaines. Mais l’existence d’un autre facteur pèse : la mise en valeur des vastes régions habitées par les groupes Pular [sic], More…est susceptible d’introduire un renversement de tendance, du moins de faire apparaître de nouvelles aires linguistiques homogènes et fortes [p. 61, souligné par nous].
À l’arrivée, Pathé Diagne retient qu’il faut concevoir la politique linguistique de l’Afrique de l’Ouest autour de « quatre aires : Mandé, Hausa, wolof, Poular » (p. 61). Revenant sur l’aire wolof, Pathé Diagne estime qu’au Sénégal de l’époque, « l’unité linguistique est pratiquement réalisée. » (souligné par nous). Malgré cette unité linguistique presque terminée, Pathé Diagne se croit obligé « d’insister sur la nécessité d’un large travail d’explication sans lequel on ne ferait que susciter de violents remous »(p. 63).
Ces passages de Pathé Diagne méritent quelques commentaires :
– Bien que fervent partisan de la wolofisation totale du Sénégal, Il n’a pu ignorer l’importance du pulaar par le nombre de ses locuteurs et la résilience qui pourrait être la sienne avec un développement économique équilibré. Comme on le verra plus loin, c’est sa seule prévision que les faits ont confirmée.
– Comme le montrent clairement les tendances économiques actuelles, les éléments qui faisaient la force du wolof, n’opèrent plus aussi efficacement qu’avant ; d’où le piétinement actuel de son expansion.
Il commence tout d’abord par nous rappeler ce qu’il faut entendre par langue maternelle. Pour ce faire, Fary Ndao cite la définition de l’Unesco, l’organisme en charge de l’éducation et de la culture : « la ou les langue(s) de l’environnement immédiat et des interactions quotidiennes qui construisent l’enfant durant les quatre premières années de sa vie ». Il attire ensuite notre attention sur le fait que « beaucoup d’enfants africains, notamment en Afrique de l’Ouest, ont une langue maternelle africaine de portée nationale (wolof au Sénégal, bambara au Mali, fon au Bénin) et une seconde langue maternelle d’extension régionale parlée dans leur village, leur ville ou leur province. » Une telle situation lui permet de nous faire sa proposition d’aménagement linguistique : « En Afrique, il ne s’agira pas de remplacer le français ou l’anglais par une seule autre langue, fût-elle africaine. Il apparaît plus judicieux de se diriger vers un enseignement multilingue basé sur la langue maternelle comme le recommande l’Unesco et ses nombreuses études de cas pratiques depuis 1953. Cet enseignement pourrait se décliner comme suit : une langue africaine d’extension régionale pour la primo-alphabétisation, rapidement complétée par l’enseignement dans la langue africaine de portée nationale avant l’enseignement des langues internationales. Le triptyque « un territoire, une langue officielle, une nation » est davantage un fantasme qu’une réalité tangible dans les pays africains.
Il recommande que « la primo-alphabétisation » se fasse dans la langue maternelle de l’enfant pour qu’il puisse bénéficier de tous les avantages de l’opération ; en pulaar dans une zone comme le Fuuta mais que dans d’autres régions ayant des identités linguistiques fortes, des concertations sur le choix de la langue de primo-alphabétisation pourraient être menées par les autorités administratives avec les parents d’élèves, les enseignants appuyés par des spécialistes en sciences cognitives.
En clair, si l’enfant est dans une zone où sa langue maternelle est fortement minoritaire, il faudra une concertation entre les acteurs concernés pour trouver une solution. L’enfant devra-t-il s’exiler ou prendre par défaut la langue dominante ? Pour toute réponse, Fary Ndao nous renvoie à l’expérience burkinabè des années 2000. En tout état de cause, les réalités du Sénégal ne sont pas superposables à tout point de vue à celles du Burkina.
Une pratique hostile au pulaar
Celle de Diop
Rentré au Sénégal, Diop se lança dans la lutte politique afin de pouvoir appliquer ses idées sur la renaissance (utilisation des langues et fédéralisme). Il fonda à cet effet trois partis (B.M.S., en 1960 ; F.N.S., en 1963 et R.N.D., en 1976). Malheureusement, le succès ne fut pas au rendez-vous. Cependant, poursuivant ses idées, il délivra la plupart de ses déclarations politiques, faites dans le cadre de meetings et de manifestations, en wolof. Il tenta aussi, selon certaines sources ayant milité au sein du R.N.D., d’imposer le wolof comme langue de travail dans les réunions du parti à Dakar, même là où les locuteurs d’autres langues étaient majoritaires. Les deux organes de son dernier mouvement politique portèrent des noms wolofs (Siggi, puis Taxaw) et comportèrent une page « wolofal » (wolof transcrit en caractères arabes pour ceux qui n’ont pas accès au français).
Il est fort probable que les tentatives d’introduction du wolof à l’Assemblée nationale par Babacar Niang (finalement réussies) ont mûri au R.N.D. En effet, c’est lui, en tant que suppléant de Cheikh Anta, qui accepta d’occuper le seul siège obtenu par ce parti aux législatives de 1983 et que le titulaire avait refusé d’occuper pour des raisons de manque de transparence dans le vote. C’est le lieu de rappeler qu’il finit par créer le P.L.P. en août 1983, rompant ainsi avec le R.N.D. (avec lequel son parti fusionna par la suite, en 1997) mais conserva son idéologie. On se souvient encore de sa passe d’armes avec le ministre de l’économie et des finances, Mamoudou Touré, qu’il avait interpelé en wolof et qui lui répondit en pulaar sous l’oeil amusé de Daouda Sow, président de l’Assemblée de l’époque.
Ces premières difficultés à imposer le wolof ont dû faire prendre conscience à Cheikh Anta Diop que les choses n’étaient pas aussi simples qu’il le croyait dans ses théories estudiantines. Il avait certainement vu que le prix à payer pour étouffer une langue comme le pulaar serait énorme sans que le résultat soit pour autant garanti compte tenu de son emprise géographique, aussi bien au Sénégal (la plus parlée sur plus de 2/3 du pays, soit 142 432/196 722 kilomètres carrés) qu’en Afrique (9 000 000 de kilomètres carrés).
Sur le plan théorique, la solution de Cheikh Anta Diop qui s’inspire des modèles français et soviétique est inadaptée à l’environnement actuel. En effet, on n’est plus au temps ou une ordonnance suffisait pour tuer ou marginaliser des langues. Voyons donc de plus près la fameuse ordonnance de François 1er (dite de Villers-Cotterêts ) prise en 1639 dont l’article 111 se présentait comme suit :
– Et pour ce que telles choses sont souvent advenues sur l'intelligence des mots latins contenus esdits arrests, nous voulons d'oresnavant que tous arrests, ensemble toutes autres procédures, soient de nos cours souveraines et autres subalternes et inférieures, soient de registres, enquestes, contrats, commissions, sentences, testaments, et autres quelconques, actes et exploicts de justice, ou qui en dépendent, soient prononcés, enregistrés et délivrés aux parties en langage maternel françois et non autrement.
Et le monarque de droit divin substituait ainsi le français au latin, utilisé jusqu’alors. Ce coup de pouce royal allait lui permettre de s’imposer, à partir de ce moment, comme seule langue de l’État et de l’administration dans le royaume de France, marginalisant ainsi toutes les autres langues parlées jusqu’alors. La formule « car tel est nostre plaisir » qui termine l’ordonnance de François 1er montre que le roi était le seul à décider et n’avait de compte à rendre à personne. Aujourd’hui, nous sommes dans une démocratie régie de surcroît par une constitution qui ne donne la primauté à aucune des langues déjà codifiées (article 1er, alinéa 2 de la constitution de 2001) et préconise l’unité mais dans « le respect des spécificités culturelles de toutes les composantes de la nation. » (préambule). Quant au modèle soviétique, n’oublions pas que le russe a été imposé par la Russie impériale, d’abord, puis par l’État central soviétique, aux populations de l’Union et qu’avec la chute du mur de Berlin, en 1990, les autres langues ont repris leur droit au détriment du russe dans les États baltes et ailleurs. La présente guerre en Ukraine est partie des tentatives d’étouffement de cette langue russe, jadis dominante, au profit de l’ukrainien qu’on tente d’imposer aux minorités russophones du pays. La leçon à tirer de tout cela, c’est que la contrainte et la violence ne sont pas une garantie absolue pour pérenniser la suprématie d’une langue ; au contraire, elles suscitent une haine séculaire de la part des opprimés. S’il y a des gens que détestent les Ukrainiens, ce sont bien les Russes, contraints aujourd’hui de s’attaquer militairement à l’Ukraine pour des raisons avant tout linguistiques, car il s’agit officiellement de sauver les minorités russophones maltraitées depuis déjà de longues années et obligées de se rebeller pour exister culturellement.
Si Cheikh Anta était encore vivant, il n’aurait pas manqué, en homme avisé, de réévaluer ses propositions en matière d’aménagement linguistique. Pour la future langue de l’État fédéral africain, il opta pour le swahili (voir Antériorité des civilisations nègres, Présence Africaine, 1967, pp. 112-114) sans attendre la commission qu’il préconisait dans son livre sur l’État fédéral voir supra). Ici, on peut dire qu’il avait vu juste car cette option a finalement été choisie par l’Union africaine.
Celle de Diagne
Quant à Pathé Diagne, il a, une fois rentré au Sénégal, essayé, comme Cheikh Anta Diop de travailler la langue wolof pour la vulgariser et l’élever au rang d’une langue comparable aux grandes langues européennes. Rappelons qu’il a enseigné au département de linguistique de la faculté des Lettres et Sciences Humaines de l’université de Dakar et a poursuivi ses recherches à l’IFAN. Citons parmi ses efforts la traduction du Coran et le lancement de Kaddu (un journal) dans cette langue. Ce que nous retenons de Pathé, c’est que sa passion pour la promotion du wolof au Sénégal fut telle qu’elle l’a poussé à faire des affirmations et prévisions démenties par les faits : à savoir que l’assimilation des Haal-pulaar-en était achevée en 1963 et que le pulaar serait voué à la disparition n’eût été un facteur qui pourrait le sauver. Or les chiffres fournis par les deux derniers recensements exploités prouvent qu’il n’en est rien, même en cette année 2024, c’est-à-dire 61 ans après sa prévision ! Ajoutons aussi que le seereer n’a pas disparu comme il le prévoyait (encore 9,6% de locuteurs) et qu’en 2013 (recensement), seuls 72% de Sénégalais parlaient wolof.
Celle du colonisateur et des présidents
Les explorateurs européens, les premiers, les administrateurs coloniaux, ensuite, divisèrent les Africains en « races » et « ethnies ». Les Fulɓe, par exemple, furent séparés des autres Noirs et classés comme Hamites, des Blancs à l’origine mais qui ont perdu leur pureté raciale. Au Sénégal, sous la houlette de Faidherbe et de ses successeurs, cette approche eut pour résultat la séparation, dans les recensements des populations, des Fulɓe des Toucouleurs avec qui ils partagent la langue pulaar. Cela apparaît dans un tableau de 1925 où on peut lire : « Peuls : 202 452 […] Toucouleurs : 160 161 » ( voir, Joël Glasman, « Le Sénégal imaginé. Évolution d’une classification ethnique de 1816 aux années 1920 », in https://www.geschichte-afrikas.uni-bayreuth.de/de/team/02-Joel-Glasmann/Publikationen_Bilder-und-Dokumente/Text_Afrique-et-histoire.pdf, p. 31.
Cette manière de faire a persisté après l’indépendance ou s’est même aggravée car dans les recensements officiels, le groupe poularophone, bien que partageant la même langue et la même culture, est éclaté entre Peuls, Toucouleurs et Laobés. C’est au recensement de 2023 seulement qu’une forte protestation des intéressés a conduit l’ANSD à procéder au regroupement de ces entités. Le « diviser pour régner » est passé par là. La conséquence de cette division faisait apparaître Fulɓe et Haal-pulaar-en comme des minorités comparativement aux Seereer (surtout) et aux Wolof. En effet, Joolaa et Seereer avaient été laissés dans leur homogénéité de groupes bien que parlant des dialectes sans intercompréhension à l’inverse du pulaar dont les locuteurs, disséminés à travers le continent, se comprenaient sans trop de difficultés.
C’est le Président Senghor qui prit les premières mesures significatives en faveur des langues nationales en signant en 1972 les premiers décrets pour leur codification. Ainsi, six d’entre elles furent codifiées : manndiŋka, pulaar, seereer, soniŋke, joolaa et wolof. Pour Senghor, toutes ces langues reconnues étaient d’égale dignité et lui-même s’adressait à la nation en français.
Cependant, d’après certaines sources, il ne serait pas étranger à l’aggravation de l’éclatement du groupe poularophone dont le poids inquiétait. Abdou Diouf continua cette tradition d’utilisation de la langue officielle du pays pour ses adresses solennelles, suivies de traductions en wolof après intervention du président au journal parlé ou télévisé. Avec lui, le wolof connut un grand essor du fait de la libéralisation des ondes à partir de 1994. Entre 1981 et 1984 les États Généraux de l’Éducation et de la Formation n’avaient pu trouver un consensus pour faire du wolof la langue d’union nationale et du pulaar celle de nos relations avec le reste de l’Afrique. D’après Boubou Sanghote, il aurait refusé de répondre favorablement à une première demande d’élever le wolof au rang de seconde langue officielle en 1992, ce après avoir reçu une délégation de notables poularophones opposés au projet pour troubles que son adoption risquait de déclencher.
Avec Abdoulaye Wade, un partisan de la promotion du wolof se retrouvait au plus haut lieu de décision du pays en 2000. Rapidement, il voulut mettre toute l’administration au wolof pour en faire une langue de gouvernement comme l’avait théorisé Cheikh Anta Diop dont il partageait les idées et le militantisme dans ce domaine. Mais, comme sous Abdou Diouf, la levée de boucliers fut telle qu’il dût renoncer à la prise d’une décision frontale qui, à coup sûr, mettrait le feu aux poudres. Ici, on comprend pourquoi Senghor l’avait surnommé « Njommboor » : en effet, il adopta la stratégie du « faire sans le dire ». Ainsi, il se mit à multiplier des adresses au pays en wolof, à accorder des entretiens dans cette langue, à donner à certaines sociétés et programmes étatiques des noms en wolof. Sans exagération, on peut affirmer que sous Wade, l’État s’est wolofisé sans faire de vagues. Autrement dit, Wade a atteint ses objectifs sans tambour ni trompette.
Cependant, c’est véritablement avec Macky Sall que les langues nationales autres que le wolof ont fini d’être marginalisées. Macky a systématiquement fait suivre son adresse en français d’une seconde en wolof, faisant de facto de cette langue la seconde langue officielle du Sénégal. Prenons l’exemple du pulaar : d’après Boubou Sanghote, Macky a déjà bien tendu la gorge de cette langue pour faciliter la tâche à celui qui viendra l’égorger ! Cela n’est pas excessif au vu des faits qui vont suivre :
Sous l’euphorie de l’avènement d’un poularophone à la tête du pays et pensant que cela allait faire plaisir à celui-ci, des journalistes profitèrent du défilé du 4 avril pour élargir le cercle du français et du wolof au pulaar. Deux de leurs confrères rapportèrent le fait au président Macky Sall et le convainquirent que cela n’était pas bon pour son image de nouveau président car il risquait d’être vu comme quelqu’un de « sectaire ». D’après Sanghote, des instructions furent données par qui de droit pour que cela ne se reproduise pas. Les émissions télé « Fooyre », « Deental » existèrent avant l’avènement de Macky mais restèrent sans lendemain. C’est sous le magistère de Macky que des émissions telles que « Hiirde », « Dingiral Fulɓe », « Yeelaa », « Yiitere Golle », « Yeewtere Islam » naquirent mais devinrent rapidement irrégulières et finirent par passer à la trappe. Rares parmi elles étaient hebdomadaires. C’est le lieu de préciser que certaines d’entre elles trouvèrent refuge à la 2STV (qui compte actuellement six émissions en pulaar) ou à la TFM. Au moment où Chérif Sy qui animait la seule émission religieuse en pulaar émigrait vers la TFM, le wolof se taillait 7 à 8 magazines consacrés à l’islam. Pourtant vu le rôle des poularophones dans l’islamisation de l’Afrique et particulièrement celle du Sénégal ainsi que leur nombre, la RTS n’aurait jamais dû commettre un tel déni de justice. Si nous récapitulons, au moment où nous écrivons ces lignes, la RTS compte une seule émission de 26 minutes en pulaar (Yiitere Golle) contre 6 émissions à la 2STV, une télévision privée, appartenant certes à un ressortissant du Fuuta (El Hadji Ndiaye). Ainsi, si Macky peut se targuer d’avoir désenclavé et électrifié la partie waalo du Fuuta, avec toutes les conséquences bénéfiques que cela induit, force est de reconnaître qu’il fut véritablement un bourreau des autres langues du Sénégal. Son statut de « métis » pulaar-seereer-wolof l’a conduit sans doute à croire que le wolof pouvait être le dénominateur commun des Sénégalais, mais si l’ingénieur des mines avait prêté une bonne attention à la géographie du pays plutôt que de se focaliser sur le nombre impressionnant des locuteurs du wolof des grandes villes, toutes situées dans le tiers ouest du pays, il aurait sans doute vu qu’imposer le wolof à tous relevait d’un tour de force quasi insurmontable dans l’environnement de ce premier quart du XXIème siècle, où la révolution de l’information et de la communication a fini de rendre vaine toute tentative de contrainte linguistique comme nous l’avons vu un peu plus haut.
Celle de la RTS et d’autres sociétés et leurs conséquences
Disons dès maintenant que la pratique des présidents décrite ci-dessus rejaillit nécessairement sur celle de la RTS qui est une société d’État. On aura donc un déséquilibre dans la grille des programmes de plus en plus favorable au wolof et qui finit par aboutir au constat que :
Au Sénégal, on note une « uniformisation au plan linguistique due à l’hégémonie de la langue wolof » (FES, 2013). Le diffuseur public intègre dans sa programmation les huit langues nationales reconnues. Cependant, la langue pulaar semble être favorisée, elle dispose de programmes spécifiques sur les TV mainstream tandis que des groupes ethniques restent complètement marginalisés (voir : Charles Moumouni et Sokhna Fatou Seck Sarr, « La télévision en ligne : enjeux de régulation et pratiques de diversité culturelle en Afrique subsaharienne », in Les enjeux de l’information et de la communication, n° 22/2, 2021/22, pp. 181-195 [https://shs.cairn.info/revue-les-enjeux-de-l-information-et-de-la-communication-2021-22-page-181?lang=fr, citation, p. 188].
Ce que remarquent ces observateurs s’explique par l’ostracisme que subissent les langues autres que le wolof à la RTS. Comme les poularophones sont plus nombreux et ont plus de moyens, ils ont tout simplement trouvé leur salut dans les TV mainstream. Notons que c’est là une riposte à laquelle la RTS ne s’attendait sans doute pas : la révolution communicationnelle est allée trop vite.
Pour analyser le cas spécifique du pulaar, les attaques contre la langue commencèrent d’abord par la technique du « cheval de Troie » qui a bien fonctionné en Mauritanie sur le plan politique. Mais le dernier ministre haal-pulaar nommé pour avaliser la « hassanisation » totale a fini par être démis faute de vouloir obéir jusqu’au bout. Elle a failli fonctionner avec un grand intellectuel haal-pulaar dont une contribution fit date. Après le tollé général qu’elle suscita au sein de la communauté poularophone, l’intéressé a fini par prendre conscience de la complexité de la question et est, depuis, revenu sur sa proposition et pense aujourd’hui que le multilinguisme est plus adapté au contexte du Sénégal :
Mais le forcing fait pour le wolof a, depuis, pris de l’ampleur. Ainsi, de la technique du « cheval de Troie », on est passé à celle du « camouflage linguistique » : Une certaine journaliste dont les prénom et nom sont loin de sonner wolof est l’animatrice de « Lantinoor », une émission faite en wolof. Cela paraît curieux. Pourtant cela ne l’est pas tant car cette personne est née à Rufisque et dans son portrait consultable sur la toile, on voit qu’elle est très à l’aise en wolof et peut-être même plus à l’aise en wolof qu’en français. Cela explique peut-être pourquoi un autre magazine d’actualité qu’elle animait déjà avant, se fait en wolof. Pourtant le nom du magazine, « Kassabor », est en joolaa et signifie « entraide » ou « confession publique » selon certaines sources.
Deux autres magazines sur la RTS1 s’intitulent « Champ contre Champ » et « Pluriel » alors qu’ils passent en wolof. Pour « Pluriel », nous avons, comme pour « Kassabor », un animateur dont les nom et prénom ne sonnent pas du tout wolof mais plutôt seereer. Ces faits curieux semblent indiquer une technique de camouflage qui permet d’éviter la confirmation du constat qu’au Sénégal, à la télévision, il y a « une uniformisation au plan linguistique due à l’hégémonie du wolof » (voir Charles Moumouni et Sokhna Fatou Seck Sarr, « La télévision en ligne : enjeux de régulation et pratiques de diversité culturelle en Afrique subsaharienne », in Les enjeux de l’information et de la communication, n° 22/2, 2021/22, pp. 181-195 qui citent, FES, 2013).
Quand on analyse cette pratique qui a cours à la RTS, on voit clairement que c’est l’assimilation qui est recherchée : ce sont des personnes wolofisées (c’est leur droit le plus absolu) qui animent des magazines dont le nom est emprunté à une autre langue du pays ou au français mais qui se font en wolof. Un tel choix n’est pas innocent car il contribue à réduire la langue utilisée pour le nom du magazine au rang d’appendice du wolof qui devient ainsi le dénominateur commun au Sénégal. Tous ceux qui ne sont pas prêts à accepter cela, sont qualifiés de sectaires. Dans l’entendement de certains, est sectaire toute personne qui refuse de se laisser assimiler.
Le sectarisme : parlons-en. Parler sa langue, ce n’est pas faire du sectarisme ; c’est tout simplement être soi-même. Qui est le plus sectaire entre celui qui ne parle que sa langue et veut que les autres parlent obligatoirement sa langue et celui qui, en plus de sa langue, parle une autre langue ? Les enclaves soninkés et wolofs du Fuuta sont bilingues, les commerçants wolofs du Fuuta ne sont pas obligés de parler pulaar ; s’ils le font, ils le font en toute liberté et pour le bien de leurs affaires. Alors pourquoi ne pas reconnaître la même liberté aux poularophones en pays wolofs ?
Le « neɗɗo ko banndum » (on ne peut avoir mieux que son parent) : parlons-en. Wade a fait pire que Macky dans ce domaine : il a fait du « neɗɗo ko ɓiyum » (on ne peut avoir mieux que son enfant) et cela poursuit encore le PDS (sans Karim, le parti ne doit rien faire). On s’est beaucoup trompé sur la véritable appartenance des Ba, Diallo, Soh et autres Bary promus par Macky : pour certaines personnes, ignorantes ou malintentionnées, ils ne pouvaient être que des Fulɓe ou des Haal-pulaar-en mais nombreux parmi eux étaient en réalité des gens qui avaient fini de se wolofiser depuis longtemps, ne parlaient un traître mot de pulaar et se reconnaissaient plus dans la peau de Wolofs que dans une autre. Il y a belle lurette que le nom ne fait plus l’ethnie dans nos grandes villes et même dans certaines de nos campagnes. Au nom de quoi Abdoulaye Wade peut-il faire de son fils ministre d’État, ministre de la coopération internationale, de l’aménagement du territoire, des transports aériens, des infrastructures (soit quatre ministères, et des plus juteux, entre les mains d’une seule personne qui, de surcroît, a la possibilité de rendre directement compte au président de la République) ; de sa fille Sindiély sa conseillère spéciale en matière de culture ; donner la présidence du groupe parlementaire libéral à Doudou Wade, son neveu ; tenter de nous imposer comme vice-président le même fils et vouloir encore aujourd’hui le rendre incontournable dans la vie politique du pays sans que certains ne trouvent rien à y redire ? Parce qu’il est wolof ? Macky ne devrait-il pas avoir le droit de nommer son frère ministre comme l’avait fait Abdou Diouf sans remarques sarcastiques ? Non, parce qu’il n’est pas wolof ? Certains suprémacistes doivent se faire à l’idée que ce pays n’est pas un bien des seuls Wolofs et que nous avons tous les mêmes droits et devoirs. Chacun doit donc pouvoir y parler sa langue sans tentative de restriction ou de diabolisation.
Tout observateur objectif conviendra avec nous que cette grande langue ne mérite pas le traitement qu’elle a subi jusqu’ici. En effet, une langue qui est la plus parlée sur plus de 2/3 du territoire sénégalais ; est majoritaire dans 5 régions sur 14 ; 2ème dans 4 régions sur 14 ; 3ème dans 4 régions sur 14 et 4ème dans une seule région sur 14 ; va de l’Atlantique à la mer Rouge ; est présente dans plus d’une vingtaine de pays en Afrique ; compte une importante diaspora (en Europe, en Amérique du Nord, dans les pays du Golfe, en Afrique Centrale et Australe, etc.) ; cette langue, disons-nous, ne mérite pas des tentatives d’étouffement que tout le monde constate à travers des faits concordants :
Parmi ces faits, citons avant tout la violation sournoise de la Constitution du Sénégal qui ne dit nulle part qu’une seule langue doit être utilisée dans les services. L’utilisation exclusive du wolof dans les serveurs des banques, des compagnies de téléphonie, d’Air Sénégal, du TER, du BRT, etc. est contraire à l’esprit et à la lettre de la Constitution. Il est évident que cette pratique illégale ne peut même pas prétendre reposer sur des nécessités commerciales. Si nous prenons Air Sénégal, cela crève les yeux que dans ses différentes dessertes africaines, les locuteurs du pulaar sont plus nombreux que ceux du wolof. Si cette compagnie devait strictement s’en tenir aux bonnes pratiques commerciales, elle aurait dû utiliser le pulaar avant même le wolof, pourtant elle ne l’a pas fait. Mais ce qui est scandaleux, c’est le fait qu’elle s’entête dans son attitude injustifiable malgré les protestations répétées de ses usagers utilisant le pulaar. Dakar étant une métropole ouest-africaine, avec l’omniprésence du pulaar dans cette partie du continent, les lignes du TER et du BRT sont inévitablement utilisées par des Africains poularophones qui ne parlent pas un traître mot de wolof et qui n’auraient eu aucun embarras avec l’utilisation du pulaar. Ces remarques peuvent être étendues à tous les services destinés au grand public.
Tout le monde comprend que ce qui est recherché ici, c’est d’imposer le wolof à tous en faisant fi de nos lois et du bon sens. On oublie seulement que nous ne sommes plus au XVIème siècle où il suffisait d’une simple ordonnance pour condamner une langue à la disparition.
Cette langue doit donc être respectée et valorisée à la hauteur de son poids indéniable. Ainsi, les correctifs qui vont suivre nous semblent indispensables pour éviter au Sénégal une erreur aux conséquences forcément préjudiciables à sa stabilité.
Que faire ?
Il faut donc nous ressaisir et prendre un certain nombre de mesures correctives propres à nous faire retrouver un aménagement linguistique plus conforme aux poids respectifs de nos langues et gage de paix et de stabilité :
En matière d’aménagement linguistique
La première chose à faire est de revoir l’approche de Cheikh Anta Diop et de Pathé Diagne. En effet, leur modèle est loin de tenir compte des réalités actuelles sur le terrain. Le Sénégal ayant reconnu les principales langues du pays depuis 1972, il est difficile aujourd’hui de revenir à une seule langue qu’on imposerait à tous, avec le prix politique que cela suppose parce que cela passera nécessairement par la violence : on n’a jamais vu une communauté linguistique consciente négocier l’étouffement de sa langue. Il s’y ajoute que le résultat escompté, la disparition des langues visées, est quasi impossible à atteindre du fait d’un environnement global peu favorable.
Plus largement, au vu des résultats du recensement et dans la recherche d’une coexistence harmonieuse entre les différents grands groupes linguistiques du pays, le gouvernement du Sénégal devrait adopter, au minimum, comme langues de travail le wolof, le pulaar et le seereer. Pierre Baligue Diouf propose 6 langues mais pas comme langues de travail mais comme langues à enseigner au secondaire. Il s’agit du wolof, du pulaar, du seereer, du manndiŋka, du joolaa et du soniŋke (voir « Innovations pédagogiques pour l’intégration des langues nationales africaines dans l’éducation : quel état des lieux au Sénégal » in https://hal.science/hal-03640374/document, p. 159.
Cela nous rapprocherait du modèle suisse que n’apprécie pas beaucoup Cheikh Anta Diop mais qui est plus conforme à nos réalités et à la préservation de la paix dans notre pays. Ici, nous partageons la critique de Souleymane Bachir Diagne à Cheikh Anta Diop : « …il veut une langue unique. Cela n’a pas de sens d’avoir une langue d’unification : pourquoi le projet devrait-il être un projet qui imite l’Etat-Nation, c’est-à-dire être homogène avec une seule langue, de manière centralisée? ». En effet, force est de constater que nous sommes dans un État multi-ethnique et dans un contexte politique totalement différent. Sans même aller jusqu’en Suisse, le Sénégal peut s’inspirer de l’exemple éthiopien : voilà un pays où 100 langues sont parlées (nous n’en avons pas autant au Sénégal) mais qui a choisi de se doter de 5 langues de travail pour le gouvernement : l’amharique (29% de la population, l’oromo (34%), le tigrigna (6%), le somali (6%) et l’afar (?). Le cas de l’Afrique du Sud est aussi très intéressant. Le 1er alinéa de l’article 6 de la constitution de ce pays dispose :
1) Les langues officielles de la République sont le sepedi, le sotho, le tswana, le swati, le venda, le tsonga, l’afrikaans, l’anglais, le ndébélé, le xhosa et le zoulou.
Pour le statut du pulaar, le Sénégal pourrait s’inspirer de l’exemple rwandais. Voilà un pays où les trois principaux groupes ethniques (Hutus, 81, 7% ; Tutsis, 9, 5%, Twas, 1, 8%) qui font 93,3% de la population parlent tous la même langue, le kinyarwanda. Le Rwanda s’est doté de 4 langues officielles : le kinyarwanda, le français, l’anglais et le swahili. Les 3 premières langues s’expliquent par l’histoire du pays (unité linguistique, colonisation belge et élite tutsie anglophone du fait de son exil en Ouganda). Le choix du swahili est intéressant à analyser. Le swahili a été érigé en langue officielle en 2017 en respect à la promesse faite par le Président Kagamé lors de l’adhésion du Rwanda à la Communauté des États de l’Afrique de l’Est, en 2006. C’est le lieu de rappeler que le swahili est une langue très parlée en Afrique de l’Est alors que le nombre des « Swahiliens » rwandais est estimé à 6500 individus. Autrement dit, le Rwanda a surtout tenu compte du rayonnement régional du swahili pour l’élever au rang de langue officielle. Le statut du swahili en Afrique de l’Est est comparable à celui du pulaar en Afrique de l’Ouest. À cela, il faut ajouter le fait qu’au Sénégal, le pulaar est la 2ème langue du pays après le wolof. Toutes ces deux raisons militent en faveur de l’élévation du pulaar au rang de langue officielle à côté du français et du wolof à l’instar du swahili au Rwanda.
Ce n’est pas par coquetterie que tous ces pays multi-ethniques comme le Sénégal ont choisi le multilinguisme : c’est pour assurer l’épanouissement de toutes leurs composantes ethniques et préserver ainsi une coexistence harmonieuse entre elles. Nous le verrons plus bas : l’unité linguistique a montré ses limites depuis le génocide rwandais. Le Sénégal n’y gagnera rien donc et sa recherche a de fortes chances d’ouvrir la boîte de Pandore et de nous valoir des lendemains tragiques compte tenu de la configuration géographique de nos principales langues (voir carte ci-dessus).
En matière d’éducation
Nous ne sommes pas un spécialiste des sciences de l’éducation, mais le simple bon sens nous fait croire qu’une bonne introduction de nos langues nationales à l’école exige les conditions qui vont suivre :
– Eviter toute précipitation préjudiciable à l’atteinte des objectifs : de nombreux échecs dans ce domaine en Afrique s’expliquent par une absence de préparation suffisante avant le lancement des programmes ;
– Un principe directeur qui permette à chaque petit Sénégalais d’être scolarisé dans sa langue maternelle. Pour ce faire, il faut que le maillage du territoire soit optimal de manière à éviter des choix imposés. Si ce qui est recherché ce sont bien les gains que l’enfant est supposé faire en apprenant dans sa langue, il est évident qu’un tel objectif ne saurait être atteint avec une autre langue imposée du fait de l’absence de la langue idoine ;
– Des enseignants bien formés dans les différentes langues et en nombre suffisant ;
– Des outils pédagogiques de qualité aussi bien pour les élèves que pour les enseignants.
Donner au pulaar sa part légitime pour éviter la déchirure
Pour en revenir au pulaar, il doit être présent dans le TER, le BRT et Air Sénégal, dans la téléphonie (il n’y a pas que les wolofophones qui utilisent ces services ; il faut penser aux nombreux poularophones africains qui vivent au Sénégal ou visitent le pays.
Dans les noms des programmes étatiques, il convient de donner au pulaar la place qui doit être la sienne.
Dans le domaine des media, il est urgent donc de rééquilibrer les grilles des programmes en donnant au pulaar un temps correspondant à son poids démographique au Sénégal (26%) et en Afrique (4ème langue du continent). Autrement dit, revenir au strict respect du poids de chaque langue sénégalaise en lui accordant un temps en conformité avec son poids.
Certaines grandes émissions radio ou télé doivent pouvoir avoir leur version pulaar du fait de leur intérêt particulier ; ce ne sont pas les spécialistes qui manquent.
Une émission genre « Terroir » de la télévision du Mali doit naître : le présentateur introduit et met l’élément tel qu’il a été pris sur le terrain. Cela permet à ceux qui sont dans le pays profond de paraître et d’être connus des autres parties du pays. Pour cela, Il faut se donner les moyens et la volonté de couvrir toutes les manifestations d’envergure sans discrimination de groupes ou de langues et accepter que la télévision nationale appartienne à tous.
Compte tenu du poids du pulaar en Afrique, et pour le rayonnement politique et culturel bien compris du Sénégal, une rédaction entièrement dévolue à cette langue doit être mise en place et une fréquence dégagée pour la diffusion de programmes s’adressant au pays et au monde, à commencer par l’Afrique. En effet, il y a fort à parier que si ces programmes sont bien pensés, l’audience ne fera pas défaut et s’étendra de l’Atlantique à la mer Rouge. Le Sénégal y gagnera sans aucun doute non seulement sur le plan culturel mais aussi économique. Dire cela n’a rien d’une trouvaille car c’est ce que font déjà les grandes radios telles que R.F.I., V.O.A (Voice of America) ainsi que la télévision Canal+ qui a mis dans son bouquet RTI (Radio-télévision Fulɓe Internationale) ainsi que Pulaagu qui ne diffuse que de la fiction en langue pulaar depuis le 29/4/2024.
La marginalisation du pulaar ou, plus grave, sa mort recherchée, n’atteindra pas son objectif du fait d’un environnement peu favorable : révolution de l’audio-visuel qui permet un pluralisme médiatique. Si vous n’êtes pas satisfait d’une télé ou d’une radio, vous pouvez ouvrir la vôtre et la positionner sur satellite, sur le net, la mettant ainsi à la disposition de tous.
Une langue disparaît difficilement d’après le constat même de Cheikh Anta Diop qui cite l’exemple irlandais auquel on pourrait ajouter celui de la Finlande (avec le peuple Suomi qui reconstitua sa langue pratiquement à partir de rien ; voir Kalevala e Fulbheyá d’Elias Lönnrot et d’Alfadyó Mokaheere, 1983).
En clair, ceux qu’on cherche à étouffer linguistiquement ne se laissent pas faire et trouvent d’autres moyens d’exister. Ainsi, ils se créent un autre univers linguistique et culturel qui leur donne ce qu’on leur refuse dans les médias d’État :
Aujourd’hui déjà, de nombreux poularophones du Sénégal et de la Mauritanie ( pour nous en tenir à une information vérifiée) se rabattent sur les radios de proximité ou radios communautaires pour suivre les informations, passer leurs communiqués, participer à des émissions interactives, écouter leur musique préférée, etc. Ces radios deviennent de plus en plus nombreuses et détournent progressivement l’auditoire poularophone des chaînes de la RTS mais également de certaines chaînes privées qui ont connu un réel engouement avec la libéralisation des ondes marquée par la naissance de Sud FM le 1er juillet 1994.
En effet, ne se reconnaissant pas dans les programmes diffusés essentiellement en wolof, les populations ont fini par trouver leur bonheur dans ces radios qui collaient bien à leurs préoccupations. Certaines d’entre elles, bien que portant les noms de villages bien du Fuuta, émettent en réalité sur le net, à partir des États-Unis d’Amérique ou du Canada (c’est le cas de Daw FM et de Radio Haayre-Laaw auxquelles il faut ajouter Pulaar Speaking, une radio d’Association ). Pour les capter, les auditeurs se servent de leurs téléphones portables : il suffit de payer une connexion internet dont le coût est quasiment à la portée de tous, avec la baisse incessante des prix ; donc une solution quasi parfaite permettant d’échapper à ce qui est perçu comme la tyrannie d’une langue et d’une culture. Du coup, nos parents nous ont eux-mêmes demandé de ne plus faire d’avis de décès sur la RTS mais plutôt sur les radios locales au motif qu’ils écoutaient surtout désormais Radio Demet, Radio Tulde, Radio Dóɗél, etc. Et cerise sur le gâteau, les groupes WhatsApp de tous types et de toutes tailles achèvent de « déconnecter » presque totalement les ruraux poularophones des programmes radio de la RTS.
À ces radios s’ajoutent de plus en plus des télévisions en ligne parmi lesquelles on peut citer : RTFI (télé Fulɓe Internationale), Pulaagu, Manda TV Sénégal, Fulɓe Production, Piindi TV, Afrika Pulaar TV, Pinal TV Mali, Pinal TV Winndere, Fuuta Vision TV, Fouta Plus, Kawral Production, Tiitoonde TV, Tele Mbedda Móritani, PPM TV, Hoodere Pulaagu, Fulɓe TV, Fewdaare Fouta TV (Guinée, Fuuta Jaloŋ). Parmi ces télévisions, les plus suivies sont : Afrika Pulaar TV, avec 200 000 abonnés sur Facebook et ip tv ; Piindi TV, avec 192 000 abonnés sur YouTube et ip tv ; RTFI, avec 45 000 abonnés sur Facebook et IPTV.
Étant donné que TFI (chaîne généraliste) et Pulaagu (chaîne thématique diffusant des séries et des dramatiques), sont désormais sur Canal+ et sont accessibles moyennant un abonnement, rien n’empêche plus désormais les téléspectateurs insatisfaits de prendre le large. Les choses sont encore plus simples pour Marodi TV Pulaar qui est sur YouTube. Comme Sunu Yeuf occupe la 3ème place du top 9, avec 10% de parts d’audience derrière TFM (13%) et Sen TV (12%), il est fort probable qu’avec la naissance de Pulaagu (présent sur Canal+ comme Sunu Yeuf), la RTS, déjà absente de ce top 9, dégringolera un peu plus du fait de la perte de ses téléspectateurs poularophones. Il est donc temps que ses dirigeants se demandent si cette descente aux enfers n’est pas liée à une wolofisation de plus en plus poussée, qui fait fuir tous ceux qui ne se reconnaissent pas dans ce choix parce qu’ils pensent avoir un droit de « visibilité » sur une télévision qui, en théorie, appartient à tous. En effet ce choix, qui peut être pardonné aux télévisions privées, ne peut l’être pour la RTS qui pensait faire face à leur concurrence en clonant leurs programmes en wolof et en réduisant de manière drastique les programmes dans les autres langues du pays.
Sur le plan de la téléphonie, la porte que refuse d’ouvrir Orange pour des raisons que rien ne justifie, sera grandement ouverte par l’opérateur Free qui va offrir « bientôt la possibilité de choisir la langue pulaar avec le service client, de parler à des téléconseillers dans cette langue ». Free va même proposer un service adapté aux éleveurs, majoritairement poularophones : une puce pour lutter contre le vol du bétail ! Pour plus de détails, suivre le lien https://www.seneweb.com/news/Societe/le-pulaar-dans-les-supports-de-communica_n_431859.html.
Décidément, on n’est plus au temps de François 1er mais bien sous le règne de la révolution technologique qui ne permet plus l’uniformité. En effet, comme le téléphone portable permet de recevoir tout ce qu’on souhaite, assurant ainsi une indépendance et une liberté quasi totales à tous, il devient impossible d’empêcher une diffusion de masse de contenus qui, progressivement, creuseront un fossé de plus en plus profond et large entre le groupe et le reste de la communauté nationale. Autrement dit, on aura un résultat aux antipodes de celui qui était recherché : à la place de l’unité et de la cohésion forcées, on va semer et laisser se développer les germes de la division entre nos différents groupes linguistiques.
Les Sénégalais qui veulent se faire assimiler pour diverses raisons individuelles ou collectives peuvent le faire en toute liberté mais vouloir imposer l’assimilation à tous par l’hégémonie forcée d’une langue est un projet insensé, gros de menaces pour notre pays ; et qui ne nous garantira même pas une plus grande unité nationale, au contraire.
En effet, depuis le génocide des Tutsis au Rwanda de 1994, cette certitude aussi est tombée : Tutsis et Hutus parlent tous le kinyarwanda et pourtant la désunion et la haine entre eux étaient telles que les premiers furent massacrés sans état d’âme par les seconds à hauteur du chiffre effarant de 800 000 personnes ou plus ! Puisque nos autorités actuelles sont convaincues qu’il faut mettre nos enfants à l’anglais dès le primaire (décision dont l’expérimentation débute dès la rentrée 2024-2025), à quoi bon développer un ghetto linguistique qui n’a aucune chance de dépasser les frontières orientales du Sénégal et à plus forte raison conquérir le continent comme on aurait pu le faire avec le choix d’une autre langue ? Revenons à la raison et trouvons un aménagement linguistique plus équitable et plus respectueux de nos réalités !
Aucun peuple n’a renoncé à sa langue sans la violence dont la forme peut varier : elle peut être physique ou morale. Or le contexte actuel du Sénégal et du monde ne permet d’user d’une violence du genre de celle qui a tué certaines langues dans l’histoire. Le prix à payer serait trop fort pour un résultat quasi inatteignable. La paix n’a pas de prix.
Les politiques et les religieux doivent s’assumer
Nos politiciens, hommes et femmes, doivent mieux s’assumer. La plupart des formations politiques qu’ils lancent portent des noms wolofs ou français, le pulaar étant dédaigné :
L’ancien ministre d’État des affaires étrangères de Wade créa, en 2010, un parti auquel il donna pour nom « MPC/Luy Jot Jotna » (Mouvement Politique Citoyen/Luy Jot Jotna). Comme on le voit, il a ignoré le pulaar et choisi le français et le wolof. Faisant preuve de plus de prudence sans doute du fait de son enracinement plus solide, celle qui fut le maire de Podor lança, en 2017, un mouvement politique dénommé « Oser l’Avenir ». C’est du français certes mais elle ne tourne pas le dos à sa langue maternelle au profit d’une autre langue du pays.
Le parti d’un autre Podorois s’appelle AG/Jotna et sa nouvelle coalition mise sur pied à l’occasion des législatives de novembre 2024 a pour nom « And Gor ». Et pourtant, cette personne est bien née à Podor, en plein Fuuta et parle pulaar. Pour être juste cependant, reconnaissons que c’est cette même personne qui lança, dans le cadre du déploiement de « Senegaal Dem-Dikk », une ligne « Fuuta Yaa-Ngartaa » (entre Richard-Toll et Haayre-Laaw) malgré la contestation du syndicat de la compagnie sur le choix d’un nom en pulaar, d’après Gondiel Ka.
Si l’ancien Premier ministre et candidat à la présidence a donné à son parti le nom de « Nouvelle Responsabilité », il a aussi lancé une coalition dénommée « Jàmm Ak Njariñ » ; encore du wolof pour une organisation dont le leader est un poularophone. Ici, reconnaissons qu’il n’a pas les mains libres et que ce choix s’explique sans doute par le consensus qu’il a dû trouver avec ses partenaires.
Il aura suivi en cela les pas du président sortant qui avait appelé son parti APR (Alliance Pour La République) et sa coalition « Bennoo Bokk Yaakaar ». Dans ce tableau morose pour le pulaar, deux exceptions à noter : la coalition « Addu Jam (AJ)», (Apporte le Bien) en pulaar, composée d’agriculteurs et d’éleveurs, a osé choisir un nom entièrement en pulaar. C’est aussi le cas de la coalition « Nafoore Sénégal » dont la base est le département de Goudiry, au Ɓunndu. Ces faits méritent d’être notés. Malheureusement, nous venons d’apprendre (7/10/2024 à 19h 34) que la première coalition a été recalée parce que son chèque a été rejeté. Au moins voilà des gens qui n’ont pas tourné le dos à leur langue pour des raisons électoralistes.
Que nos politiciens et politiciennes ne s’y trompent pas, Ce n’est pas en renonçant à ce qu’on est qu’on aura à coup sûr l’électorat wolofophone qu’ils courtisent. Et que l’électorat poularophone le dise ou non, il ne peut être content d’un tel manque de considération pour sa langue, et cela peut faire beaucoup de déçus qui peuvent faire très mal. Qu’ils trouvent des noms de partis dans lesquels leurs bases électorales, avant tout poularophones, se retrouvent. La leçon que Macky a régulièrement reçue dans une certaine zone du pays malgré les investissements sans précédents effectués pour elle et les actes d’allégeance à l’endroit de ses dignitaires doit les faire méditer : ce n’est donc pas avec un nom de parti emprunté au wolof qu’on fera oublier à certains suprémacistes à quelle communauté on appartient ! Et comme pour ce Jiggeejo (un parent à plaisanterie) qui, sentant un gros poisson sous son pied, lâche celui qu’il avait déjà dans sa main pour pouvoir attraper celui qui était sous son pied, il y a fort à parier qu’ils perdront l’un sans avoir pris l’autre ; lâchant ainsi la proie pour l’ombre !
Nos guides religieux aussi doivent faire plus attention à l’usage du pulaar lors de cérémonies spécifiques au groupe mais aussi dans leurs sermons. Comme nous l’avons déjà écrit ailleurs, quand quelqu’un se déplace de Guédiawaye à la mosquée omarienne (pour prendre un exemple significatif) pour la prière ou la wazifa du vendredi, les deux grandes prières du calendrier musulman, ce n’est pas pour entendre un sermon ou une communication faits en grande partie en wolof. Il serait resté dans son quartier s’il n’était pas à la recherche d’autre chose. Dans le même ordre d’idées, lors de sa ziarra annuelle, le pulaar doit occuper une place centrale parce que de nombreuses personnes qui viennent de l’arrière-pays ne comprennent ni ne parlent wolof. Dans cette mosquée, il y a donc un équilibre à trouver entre le pulaar qui doit être sa première langue et le wolof qu’il faut aussi utiliser pour les wolofophones qui y prient du fait du voisinage. Comme on dit en pulaar « yiɗande hoore mum, wonaa añande banndum » (« vouloir pour soi-même, ce n’est pas vouloir priver le proche ». Parlons d’abord notre langue dans les lieux de culte qui nous sont spécifiques. Dans la mosquée de la Cité Assemblée, les sermons sont faits en wolof même par l’imam titulaire qui est plus à l’aise en pulaar que dans cette langue. Nous trouvons cette pratique normale parce que le wolof est largement majoritaire dans cette zone. Le désir de satisfaire les fidèles de langue wolof ne doit pas amener nos guides à en oublier la langue de leur communauté. Ils doivent s’organiser pour satisfaire les uns et les autres. Avec un agenda dont l’objectif est, clairement, d’étouffer toutes les autres langues au profit d’une seule, il n’y a plus aucun complexe à porter en bandoulière son pulaar ou son seereer et à avoir la garde haute jusqu’au jour où chaque langue du pays aura sa juste place dans notre aménagement linguistique.
Paradoxalement Macky a été aussi celui par lequel a débuté l’inversion tant redoutée par Pathé Diagne, Cheikh Anta Diop ainsi que tous ceux qui militent pour le choix immédiat du wolof comme langue officielle en donnant une remarquable impulsion au développement de l’intérieur du pays. Son slogan « Un Sénégal de tous et pour tous » résume parfaitement son action. Il lança donc les instruments de ce développement (PUDC, PUMA, DAC etc.), avec comme objectif prioritaire l’électrification rurale et les infrastructures de transport et de désenclavement des régions de l’intérieur. Les bases du décollage économique étaient ainsi construites, permettant de ce fait le début du processus de rattrapage entre le centre-ouest et le reste du pays. À terme, les conséquences d’un tel processus seront la fixation des populations dans leurs terroirs où elles pourront s’épanouir sans devoir désormais se rendre en pays wolof où certains de leurs ancêtres sont restés définitivement et se sont fait assimiler. Cette politique d’équité, beaucoup de ceux qui ont profité jusqu’ici de l’exclusivité des actions de développement entreprises par l’État et qui sont conscients de la diminution consécutive de l’influence de leur terroir, de leur culture mais surtout de leur langue, ne l’ont jamais pardonnée à Macky. Cela pourrait expliquer la constance du vote défavorable qu’il essuya du début à la fin de son mandat dans certaines zones du pays. L’acharnement de Macky à museler le pulaar et les autres langues avait essentiellement pour objectif de chercher à éviter les foudres de ces nostalgiques de la suprématie du pays wolof. Peine perdue car il fut accusé d’investir toutes les richesses du pays au Fuuta ; en un mot, de faire du « Neɗɗo ko banndum » quand tous les faits objectifs montraient que d’autres régions ont eu une part plus importante dans ses investissements : autoroute Ilaa-Tuubaa, pont sur la Gambie, différents ponts et routes en Casamance, au Sénégal Oriental, dans la région de Fatick, autoponts, TER et BRT à Dakar, hôpitaux de dernière génération dans plusieurs régions. On voit bien donc que l’aversion (nous pesons bien nos mots) de Macky Sall que charrièrent certains réseaux sociaux ne peut pas s’expliquer par une injustice excessive à l’endroit de certaines communautés ou régions. Il y a incontestablement un sentiment que nous n’aimerions pas qualifier mais qui devrait inquiéter tous les Sénégalais conscients et soucieux de l’harmonie, mieux, de l’amour qui doit prévaloir entre les différentes composantes de ce pays.
Les langues étant les outils d’expression, de communication mais aussi les éléments qui incarnent le plus l’identité des communautés humaines, toutes les décisions qui les concernent doivent être pesées et repesées minutieusement avant d’être arrêtées. À 70 ans passés, on peut s’autoriser certaines vérités, avec l’espoir qu’elles tomberont dans de « bonnes oreilles ». Le pulaar n’est pas une petite langue : il ne l’est pas au Sénégal où, sur le plan géographique, il est la première du pays mais aussi en Afrique où il occupe la 4ème place du point de vue du nombre des locuteurs et la première (des langues autochtones africaines) du point de vue de l’étendue géographique. Si l’histoire générale de l’Afrique a été publiée dans cette langue, ce n’est pas par hasard. Si le pulaar a été pressenti pour faire partie des langues de travail de l’Union Africaine, ce n’est pas non plus par hasard. Une telle langue ne peut pas être mise entre parenthèses ou étouffée comme un dialecte parlé par quelques individus. Cette vérité-là, tous les intellectuels wolofs lucides, épris de paix et de justice doivent l’admettre au lieu de faire la sourde oreille et de fermer les yeux sur ce qui se passe actuellement au risque de mettre en péril cette paix si appréciable que beaucoup d’Africains nous envient. Nous leur rappelons à cet égard une chose qu’ils n’ignorent pas, à savoir que le vrai intellectuel est celui qui s’implique pour combattre l’injustice. Nous ne voulons pas être un oiseau de mauvais augure : la tourmente nous menace déjà tant des frustrations de plus en plus difficiles à contenir s’accumulent. Et si nous voulons rester en paix, suivons ces grands pays cités ci-dessus et écoutons l’un de nos plus brillants intellectuels, pour ne pas le nommer, le Professeur Souleymane Bachir Diagne qui, courageusement, a recommandé, à plusieurs occasions le multilinguisme pour le nôtre. Que nos gouvernants refusent donc d’écouter le chant de certains tritons et s’engagent résolument et irréversiblement dans la voie d’un multilinguisme salvateur. Sur la base de la proposition de Samba Diouldé Thiam, « la possession d’au moins trois langues [dont le français], par tout élève qui termine le cycle primaire », il faut oser demander aux Wolofs de faire un effort d’ouverture vers les autres langues car le problème se pose surtout chez eux. Si l’option de l’officialisation devait être retenue, que ce soit, au minimum, avec nos trois premières langues qui s’imposent par leur poids démographique et géographique.
Livres en pulaar écrits par l’auteur :
– Paalél njuumri. Binndanɗe e jeewte (La gourde de miel, écrits et conférences), Dakar, Éditions Papyrus-GIE, 2000, 2005, 2019.
– Sawru Ganndal. Yoo Tuubaako artir jabbere mum (l’arme du savoir. Que le Blanc soit plus modeste), Dakar, Éditions Papyrus Afrique, 2005, 2019 ; existe aussi en audio (Chérif Ba, sur YouTube).
– Fulɓe gila Héli-e-Yooyo haa Fuuta Tooro (Les Peuls de Héli-et-Yoyo au Fouta Toro), Dakar, Éditions Papyrus Afrique/Presses Universitaires de Dakar, 2012.