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2 avril 2025
Opinions
PAR Ousseynou Nar GUEYE
TRADUIRE EN ACTES LE NOUVEAU PARADIGME ÉTATIQUE DE PATRIOTISME ÉCONOMIQUE
La récente audience accordée par le ministre Yankhoba Diémé au géant chinois CSCE, qui souhaite "élargir ses réalisations" dans le pays, contraste douloureusement avec les promesses de contenu local faites aux entrepreneurs nationaux du bâtiment
La semaine dernière, à la fin de cette première quinzaine de mars, le magazine panafricain négropolitain «Jeune Afrique», auquel j’ai l’heur de collaborer en qualité d’auteur indépendant de tribunes depuis sept ans, publie un article économique au titre passablement alarmiste (mais, à juste… titre !), sous la plume du journaliste Bilal Mousjid : Pourquoi le Btp a le moral en berne au Sénégal.
En chapeau de cet article fouillé : «Impayés, arrêt des chantiers dans certaines zones, notamment sur le littoral de Dakar, conditions d’octroi des marchés publics… Le secteur du Btp sénégalais peine à sortir la tête de l’eau malgré la forte demande de logements et les nombreux projets d’infrastructures dans le pays.»
Dans cet article de Jeune Afrique, une voix autorisée, l’entrepreneur de second-œuvre de bâtiment Oumar Ndir, élu depuis septembre dernier président du Spebtps, le syndicat patronal du Btp affilié au Conseil National du Patronat Sénégalais, y analyse notamment que «la dette intérieure (Ndlr : estimée à 300 milliards de F Cfa) s’est aggravée depuis 2023, mettant en péril la capacité des entreprises à honorer leurs engagements financiers et sociaux, (compromettant) leur capacité d’investissement, freinant l’embauche et fragilisant l’ensemble de l’écosystème économique.(…) Plus de 10 000 emplois ont été perdus et 20 000 emplois ont été suspendus».
Diantre ! Ceci, pour un secteur stratégique, le Btp, représentant près de 30% des investissements publics de l’Etat sénégalais, plus de 4% du Pib du pays et plus de 200 000 emplois directs.
A cet égard, dans une rencontre récente avec les représentants du Btp sénégalais, en ce mois de mars toujours, le ministre Yankhoba Diémé (portefeuille des Infrastructures et des transports terrestres et aériens) a tôt fait de les rassurer de ce que «leurs «préoccupations en termes forts» ont bien été enregistrées : paiement de la dette intérieure, préférence nationale, contenu local, souveraineté économique […]».
Sans toutefois que ce représentant du gouvernement ne promette de mesures précises.
Or, ne voilà-t-il pas que cette semaine en cours débute, par une information, sur le constructeur chinois Csce (China Construction Engineering Company), reçu par le même ministre Diémé. Csce, considérée comme l’une des quatre plus grandes sociétés chinoises de construction, a, à son actif, la réhabilitation de quatre stades au Sénégal dont trois déjà livrés, et le quatrième (le Stade Léopold Sédar Senghor) qui le sera en avril prochain. Csce, à la suite de cette audience ministérielle, comme dans une audience précédente avec le chef de l’Etat Bassirou Diomaye Faye, déclare par communiqué, «vouloir poursuivre et élargir ses réalisations au Sénégal. (…), à commencer par l’élargissement de la route Kaolack-Tambacounda (280 km) et l’extension de l’Aibd».
L’auteur de ces lignes s’est entretenu à ce sujet avec des acteurs nationaux du secteur de la construction et les a interrogés, et tous considèrent qu’il y a là comme un problème de… dissonance cognitive. Le ministre Diémé, s’il est déjà riche d’une longue et fructueuse carrière politique au sein de Pastef, est également un ancien employé de banque. Ce qui présume plutôt favorablement de sa capacité de compréhension des attentes des acteurs économiques nationaux. Ces acteurs ne réclament pas moins que des mesures politiques fortes soient prises au sommet de l’Etat pour encadrer et réguler «la concurrence étrangère».
Leurs arguments pour expliquer, justifier et défendre cela, peuvent s’entendre. Cette concurrence étrangère a eu la part du lion depuis 25 ans. Tant qu’il s’est agi de grands travaux effectués sur financement par des dons de pays bailleurs, il a pu se comprendre que lesdits pays «exigent» que la commande des travaux et des intrants soit faite auprès des entrepreneurs de leurs pays respectifs. Toutefois, depuis quinze années au moins, les grands travaux structurants dans le Btp ont été effectués avec des financements sous forme d’emprunts lourds de l’Etat sénégalais (pour la construction de l’Aibd, de routes nationales et de ponts dans l’Hinterland, d’autoroutes à péage, de barrages hydro-électriques…). Des emprunts à rembourser par nos compatriotes contemporains et par les générations futures. «Qui paie, commande.» Cela ne se justifie donc pas - (ou plus !) - que la commande publique n’aille pas prioritairement aux opérateurs sénégalais du Btp, qui «ont beaucoup souffert d’être écartés systématiquement» des grands travaux durant les deux mandats du président Macky Sall, au profit d’entreprises du Btp étrangères : turques indiennes, chinoises…
L’espoir est revenu. Aussi, nos constructeurs nationaux n’ont de cesse de s’étonner du fait qu’à l’heure de la souveraineté économique et du patriotisme économique fortement proclamés par nos nouveaux dirigeants, on entende encore des entreprises étrangères du Btp réclamer la plus grosse part des marchés publics et vouloir ne leur laisser que la portion congrue. A une ère où les Usa se ferment aux biens manufacturiers étrangers, où la Chine n’ouvre ses frontières à aucun acteur économique grand ou moyen… : apprenons des leaders économiques de ce monde !
Il ne faut pas être grand clerc pour comprendre que donner un franc Cfa à une société à capitaux majoritairement étrangers et à personnels fortement composés d’expatriés (pesant le plus lourd dans la masse salariale de ces sociétés), c’est… «exporter nos emplois». Au nom de quoi ? Peut-être pour «faire faire rapidement» et «inaugurer tout aussi rapidement» ? Sous pression des bailleurs multilatéraux ? Sous pression (fictive !) de l’opinion publique nationale ? Il serait malvenu, en tous les cas, que l’on persiste en haut lieu à privilégier des entrepreneurs étrangers.
Et c’est là le lieu de souligner que ce n’est pourtant pas l’expertise nationale qui manque. Il y a des champions nationaux du Btp, et il faut œuvrer à faire émerger plus de champions nationaux encore. Toute autre vison est du court-termisme. Inspirons-nous donc, en cela, de pays africains géographiquement et socio-culturellement proches, comme le Maroc ! Le Maroc a su faire émerger ses champions nationaux du Btp, et même dans d’autres filières, comme la fabrication d’automobiles et la construction ferroviaire.
Nos rares (trois ?) champions nationaux du Btp que sont la Cse, la Cde et Eiffage ont une expertise reconnue, non seulement au Sénégal, mais aussi dans la sous-région ouest-africaine, et jusque dans la Cemac francophone d’Afrique centrale. Ce trio est aussi la locomotive de plusieurs entreprises sénégalaises de second-œuvre de bâtiment auxquelles elles sous-traitent avec réussite les travaux d’électricité, d’étanchéité, de climatisation, d’ascenseurs, etc. Il y a là tout un écosystème sénégalais du Btp, du secteur national de la construction et du second-œuvre de bâtiment, à préserver et à promouvoir. Ici et en dehors de nos proches frontières, au sein des espaces économiques dont nous sommes membres et dans lesquels les entreprises sénégalaises ont vocation naturelle à se mouvoir, y compris comme leaders (Uemoa, Cedeao, Omvs, Omvg, et pourquoi pas, Zlecaf…).
Dans la haute Administration sénégalaise, il y a des technocrates à hautes responsabilités qui en sont d’accord, conseillent en ce sens et pensent que «les choses doivent et vont changer» : en effet, contre toute logique développementale, il n’est pas possible que nos nouvelles autorités emboîtent le pas des «douze années bétonnières» de Macky Sall ; qu’elles semblent persister à faire peu de cas du Btp sénégalais et fassent systématiquement recours aux entreprises à capitaux étrangers et à implantation extravertie, pour la réalisation de nos grands travaux. Ce serait un paradoxe difficile, voire impossible à défendre, pour et par un régime politique qui se targue d’être patriote, y compris en matière d’investissements publics.
Dans le nouvel Etat pétrolier et gazier qu’est le Sénégal, de forts engagements étatiques ont été pris avant lui, puis réaffirmés par le président Diomaye, en faveur d’une politique de «contenu local», à hauteur de 70% des dépenses effectuées dans les filières gazière et pétrolière ; 70% de ces dépenses devant être effectuées auprès d’entrepreneurs nationaux. Eh bien, faisons-en autant pour des chaînes de valeur plus traditionnelles, mais tout aussi structurantes : et le Btp est, sans conteste, un de ces secteurs stratégiques.
Et le Btp sénégalais prouve le mouvement en marchant («to walk the talk») : ses deux syndicats patronaux les plus en vue se sont engagés pour la mise en place d’un consortium, réunissant aussi les promoteurs immobiliers et les banques, pour construire 300 000 des 500 000 logements sociaux dont a besoin l’Etat sénégalais sur les dix prochaines années, en en respectant la territorialisation spatiale prévue.
Il n’est pire (Etat) sourd que celui qui ne veut entendre ? Mais, encore faut-il que les principaux «dépositaires d’enjeux» (pour tenter une traduction personnelle de l’anglais «stakeholders») parlent à haute et intelligible voix à cet Etat (sénégalais). Et ne cessent de lui murmurer à l’oreille. Nous en prenons de plus en plus le chemin. Désormais, il apparait que notre Btp entend faire savoir qu’il refuse -(et aidons-les à la réfuter)- la «fausse vérité tacite» selon laquelle «donner du travail aux entreprises nationales n’est pas une priorité». Eh bien si, c’est même une surpriorité. Ces entreprises nationales redistribuent localement de la richesse et empêchent les gens de prendre les pirogues.
Il y a là comme un nouvel état d’esprit, la forte émergence et l’enracinement d’une mentalité de conquérants, des préalables qui font les champions économiques nationaux. En effet, on n’avait pas souvenance d’une forte activité de plaidoyer public des syndicats patronaux du Btp, depuis plusieurs années. Qu’ils le fassent aujourd’hui, et ce depuis plusieurs mois, cela est plutôt une bonne nouvelle. Bien nommer quelque chose, c’est déjà le réaliser à moitié.
Ousseynou Nar Gueye est Associé-Gérant d'Axes & Cibles Com
L’IA COMME BIEN PUBLIC, UNE NÉCESSITÉ DE GARANTIR LA RÉGULATION DE CETTE TECHNOLOGIE
"L'un des principaux défis auxquels nous faisons face en matière de régulation de l'IA, c'est la protection des données personnelles. Ainsi, il est recommandé par exemple d’avoir une classification en fonction de l’analyse de l’impact sur la vie privée."
L’intelligence artificielle (IA) est aujourd’hui un véritable tournant dans l’évolution technologique et économique de nos sociétés. Au-delà de sa capacité à automatiser certains processus, elle occupe un rôle clé dans la façon dont nous produisons, partageons et consommons l’information. Par son pouvoir algorithmique, elle influence directement les processus de construction de l’opinion publique, en orientant les débats citoyens à travers les recommandations automatisées.
C’est ainsi que dans le cadre des consultations du Forum Information et Démocratie, des pays d’Afrique comme le Sénégal, le Bénin la Côte d’Ivoire, la Mauritanie, ont donné leurs avis sur la gouvernance de l’intelligence artificielle en formulant des recommandations. En collaboration avec Jonction, une organisation sénégalaise spécialisée dans la défense des droits numériques, 07 experts, dont votre serviteur a élaboré les recommandations du Sénégal pour une gouvernance inclusive de l’IA.
L’intégration de l’intelligence artificielle dans le cadre du New Deal technologique du Sénégal représente une étape significative dans les programmes et projets de modernisation de l'État. Le pouvoir public reconnaît clairement l’IA comme un levier stratégique pour propulser son développement numérique, soulignant son potentiel dans divers secteurs, comme l’éducation, la santé, la gouvernance et l’économie.
Toutefois, cet engagement soulève d’importantes interrogations sur la régulation de cette technologie, en particulier dans un contexte où ses effets se déploient à une échelle mondiale et, plus encore, en tant que bien public. Dans cette perspective, la régulation de l’IA apparait comme une nécessité incontournable pour assurer sa gouvernance, sa transparence et la protection des droits fondamentaux des individus.
L’Intelligence artificiel, un outil stratégique pour la gouvernance informationnelle
L'histoire de l'humanité a toujours été influencée par le contrôle de l'information, qui est un bien immatériel mais qui a un poids énorme sur le plan politique et économique.
Aujourd'hui, les grandes entreprises technologiques qui dominent le paysage numérique mondial se trouvent dans une position clé grâce à leur maîtrise des données et des algorithmes. Cette influence des algorithmes leur permet de façonner, parfois sans qu'on s'en rende compte, les sujets qui occupent l'espace public, orientant ainsi les discussions tant nationales qu'internationales.
Le scandale de Cambridge Analytica a mis en lumière les dangers de cette concentration de pouvoir : manipulation de l'opinion publique, atteinte à la vie privée, et détournement des données à des fins politiques. Cet incident souligne l'importance d'une régulation stricte de l'intelligence artificielle (IA), tant au niveau national qu'international, pour sauvegarder les principes démocratiques et les libertés fondamentales. Ce qui recommande de donner une place importante à l’IA et son impact dans l’espace de l’information dans le cadre des formations au numérique et à l’information et Impliquer les acteurs de la société́ civile dans le cadre de gouvernance dédiée à l’IA
La question centrale réside dans le fait que l'IA, par son déploiement global, ne connaît pas de frontières géographiques. Cette absence de frontières, couplée à la domination des technologies numériques par les pays développés, constitue un risque majeur pour les pays les moins avancés, notamment pour l'Afrique. Le Sénégal, comme d'autres nations africaines, bien qu'étant un consommateur des technologies numériques, peine souvent à avoir un poids significatif dans la définition des règles qui régissent ces technologies. Cette asymétrie de pouvoir technologique met en lumière la nécessité pour le Sénégal et les autres pays africains de renforcer leur souveraineté informationnelle.
La régulation de l’IA : un cadre nécessaire pour protéger les données personnelles et la vie privée
L'un des principaux défis auxquels nous faisons face en matière de régulation de l'IA, c'est la protection des données personnelles. Ainsi, il est recommandé par exemple d’avoir une classification en fonction de l’analyse de l’impact sur la vie privée.
Avec cette technologie qui change complètement la façon dont nous collectons, traitons et partageons nos données, il est vraiment essentiel de garantir une protection solide qui s'adapte aux réalités technologiques d'aujourd'hui. La première ligne de défense cette protection repose sur la formation et la sensibilisation des développeurs d’IA. Ceux-ci doivent être formés aux meilleures pratiques en matière de protection des données dès la phase de conception des technologies. Il ne s’agit pas uniquement d’intégrer des normes de sécurité, mais aussi d’inculquer aux développeurs une culture de la protection des données comme un principe fondamental dans la création des outils technologiques. Dans cette optique, il serait intéressant de créer des modules spécifiques sur la protection des données personnelles, à intégrer dès le début du développement des systèmes d'IA.
En parallèle, il devient important de renforcer la formation des utilisateurs. Les citoyens doivent être dorénavant informés des risques qu'implique l'utilisation des technologies d'IA et apprendre les bonnes pratiques pour protéger leur vie privée. Cette formation peut être concrétiser par des programmes d’éducation au numérique, garantissant ainsi un écosystème sûr et responsable. Tout de même, la formation permettra aux différents acteurs d’avoir un niveau significatif de littéracie numérique.
Des régimes de responsabilité clairs et une autorité de régulation dédiée
Un élément essentiel dans la régulation de l’IA, c'est de poser des bases solides au niveau du régime de la responsabilité. Il est nécessaire de définir le régime de responsabilité́. En effet, chaque acteur, que ce soit un développeur, un fournisseur ou un déployeur, doit savoir exactement ce qu'il doit assumer en termes d'impact de ses systèmes d’IA. Cela nécessite l'établissement d'une autorité de régulation habilitée à superviser les pratiques, veiller à une composition inclusive de cette autorité́ ou entité́ si toutefois une autorité́ existante assure le contrôle et à s'assurer qu'elles respectent les normes mises en place. Cette autorité devrait posséder des prérogatives d’enquête et de sanction, et son fonctionnement devrait être suffisamment inclusif pour représenter tous les intérêts des différentes parties.
La régulation de l’IA implique également la mise en place de mécanismes de recours pour les utilisateurs dont les droits ont été violés. En cas de manquements, les citoyens doivent ainsi pouvoir faire appel à des voies de recours efficaces pour obtenir réparation. À cette fin, il convient de prévoir des audits externes réguliers des systèmes d’IA, afin de garantir leur conformité avec les normes de protection des données et de la vie privée. Ces audits devraient être réalisés par des entités indépendantes et avoir un caractère public, afin d’assurer une transparence maximale.
Pour conclure, il est primordial de réaliser que cette révolution est une chance incroyable pour le Sénégal, à condition de la réguler de manière à en faire un véritable bien commun. Le pays doit agir de façon décisive pour garantir une gouvernance responsable de l’IA, en créant des mécanismes de régulation solides qui préservent les droits des citoyens tout en favorisant l’innovation. Il est important que cette régulation ne se limite pas au contexte national, mais s’inscrive dans une dynamique régionale et internationale, collaborant avec d’autres nations africaines pour relever les défis communs posés par les géants technologiques. Il est de la responsabilité des autorités sénégalaises de veiller à ce que l’IA soit utilisée de manière équitable, transparente et respectueuse des droits de tous, et ce, dans l’intérêt général.
Par Baba DIENG
LE TRIOMPHE DES CASSEURS
Pour le parti Pastef, choisir la voie insurrectionnelle afin d’accéder au pouvoir est beaucoup plus facile que d’abroger une simple loi d’amnistie. La nouvelle manie consiste désormais à dénicher des subterfuges et arguties pour se tirer d’affaire.
Pour le parti Pastef, choisir la voie insurrectionnelle afin d’accéder au pouvoir est beaucoup plus facile que d’abroger une simple loi d’amnistie. Celle-ci, vraisemblablement rejetée au moment de son adoption, est devenue une quadrature du cercle. Après leur écrasante victoire aux Législatives, on s’attendait à ce que cette promesse électorale - une parmi tant d’autres- soit tenue toutes affaires cessantes. Mais leurs atermoiements injustifiés ont fini par jeter le doute dans nos certitudes : l’abrogation totale de cette loi d’amnistie n’est pas si prosaïque que ça... La nouvelle manie consiste désormais à dénicher des subterfuges et arguties pour se tirer d’affaire.
Le Président Macky Sall, subitement atteint d’une libéralité débonnaire envers ses grands ennemis, a décidé, dans la folie, d’amnistier les casseurs. Il a voulu signer un cessez-le-feu définitif avec les insurgés. Cette loi d’amnistie, fût-elle ignominieuse, a une face pouvant être considérée comme diurne : elle a permis à nos souverainistes de retrouver la liberté et le Palais présidentiel, malgré toutes leurs incartades. Les entrepreneurs de la violence, qui ont appelé les jeunes à sortir dans la rue pour se livrer au sacrifice suprême, ont bénéficié, contre toute raison, de cette mesure de clémence. La République, dans un souci d’apaisement, a décidé d’être amnésique ; elle a incité ses citoyens à l’oubli et au pardon. Sauf que les préalables du pansement de nos traumatismes ont été volontairement ostracisés : la vérité et la justice.
Certains Sénégalais, armés d’une soi-disant motivation politique, ont décidé de s’attaquer aux fondements de notre République, c’est-à-dire nos institutions, sans être jugés et sévèrement condamnés par la Justice. Mais, pis, ces parias se sont partagé cinq milliards de nos pauvres francs Cfa dans la clandestinité. L’on se souvient de l’indignation du député Alioune Ndao, devenu un sous-fifre de Pastef après avoir servi l’ancien satrape aux mains maculées de sang, à cause de la modicité de cette somme. Il a estimé que ces petits soldats du «Projet», qui se sont engagés dans une sédition permanente et généralisée contre l’Etat de Droit, devaient recevoir plus de sous. Plus de reconnaissance. D’une manière générale, les commanditaires de l’insurrection ont essayé de récompenser les pilleurs incendiaires à la mesure de leurs actes de vandalisme. Vive les casseurs !
La recherche de la vérité sur les événements dramatiques qui ont eu lieu, dans ce pays, n’est pas une préoccupation pour les tenants du pouvoir. Il faut dire que l’éclatement de la vérité arrachera des duvets à tout le monde. Ce n’est pas avec ce pouvoir que l’on découvrira la lumière sur tout ce qui s’est passé ces dernières années. Ces théoriciens du «mortal kombat» et de l’embrasement général, impliqués on ne peut plus loin dans les exactions qui ont été commises, ont, eux aussi, d’énormes responsabilités qui doivent être situées. La manifestation de toute la vérité, et non celle des vainqueurs, risque d’être mâtinée de démons…
Pour se débarrasser de cette suffocante loi d’amnistie, Pastef, par le truchement du député Amadou Bâ, a choisi la justice sélective. Celle-ci découle logiquement de leur vision manichéenne et étriquée du monde : il y a, d’une part, de bons Sénégalais et, d’autre part, de la vermine. Les Forces de défense et de sécurité, qui ne peuvent pas se prévaloir d’avoir agi pour une «motivation exclusivement politique», seront donc livrées à la Justice. N’eussent été l’héroïsme et la bravoure de ces défenseurs infatigables de la République, notre devenir en tant que grande démocratie serait inimaginable. Nous leur devons respect et reconnaissance. De l’autre côté, selon cette scandaleuse loi d’interprétation, les vandales n’ont qu’à se targuer d’avoir vandalisé tout sur leur passage pour des raisons politiques, afin d’échapper à nos juridictions. Cette manœuvre, qui détourne l’amnistie de ses missions primitives pour protéger quelques-uns, est extrêmement dangereuse pour nos institutions. Il y a de fortes chances que cette loi passe à l’Assemblée nationale comme un couteau chaud dans du beurre, avec la majorité mécanique du parti Pastef. Toujours est-il que nos «intellectuels» pétitionnaires et la Société civile ont l’obligation morale de s’opposer farouchement à cette «interprétation de la farce». Le pardon doit être accordé à tout le monde. Ou à personne. Faut-il rappeler que le Collectif des universitaires pour la démocratie (Cud), subitement devenu atone, nous disait, dans «La loi d’amnistie ou le second assassinat des martyrs de 2021 à 2024», que cette loi d’amnistie est une «invite à l’amnésie dont la vraie nature n’est autre qu’un permis de tuer». Il faut donc militer pour qu’elle soit «totalement» abrogée. C’est l’unique combat qu’il faut mener.
Par Baba DIOP
LE FAUTEUIL
Il n’y a pas que les dirigeants politiques qui se cramponnent à leur fauteuil, toute griffes dehors se disant qu’ils ont l’éternité devant eux. Imam Khoutba de la mosquée de Ton’s, lui aussi s’accroche à son fauteuil d’imam, en dépit de son âge avancé
Il n’y a pas que les dirigeants politiques qui se cramponnent à leur fauteuil, toute griffes dehors se disant qu’ils ont l’éternité devant eux. Imam Khoutba de la mosquée de Ton’s, lui aussi s’accroche à son fauteuil d’imam, en dépit de son âge plus qu’avancé. Ses rouko sont accompagnés du craquement de ses os, une musique qui perturbe les prieurs. Ses nafila qui défient tous les autres, s’étirent en longueur. Ce qui fait bailler les fidèles et leur crée des fourmillements aux jambes. La reconversion d’Imam Khoutba avait séduit Ton’s qui fut son meilleur souteneur au moment des élections à l’imamat. Ton’s avait plaidé la cause de celui allait devenir Imam Khoutba. Ton’s en bon orateur avait mis sous l’éteignoir, le passé fantasque de Khoutba qui fut dans sa ville natale, loin de la capitale, un excellent danseur de salsa. Il s’était donné pour surnom Pacheco, à qui il vouait une adoration. Khoutba avait une impressionnante collection de disques.
Une fois élu, Imam Khoutba prit ses aises. Ses soucis financiers étaient terminés. Dans son gafaka pleuvaient des « bakha » tous neufs. On avait beau demandé à Imam de passer la main rien n’yfit. Des médiateurs s’étaient succédé à sa porte mais Imam Khoutba restait dur d’oreille. Alors Ton’s immobilisa toute son imagination. Il glissa du somnifère dans le ataya de l’imam qui le fit dormir 24 heures d’affilé. Imam se réveilla à la clinique, entouré d’infirmières toutes habillées en blanc et greffage jusqu’à la chute des reins. Et imam Xutba de s’extasier « Aguena aldiana ak kouril ayniyi ma weur. Bayil nalé ak sen diakka »
Par Papa M TANDIAN
SENEGAL, ENTRE ESPERANCE DE RUPTURE ET DEFI D’IMPATIENCE
Donc nous y voilà ! Et Maintenant que Faire (sic) ? Jadis quête d’une révolution soviet balbutiante, ici et aujourd’hui lancinante question qui trahit des attentes démesurées que porte une multitude dans un pays où tout est urgent.
Au commencement de ce nouveau règne politique dite du ‘Projet’ fut un raz de marée électoral aux proportions d’un tsunami qui finit par emporter les dernières velléités désespérées d’une autre ère finissante... Les goorgorlous harassés et lassés des jeux politiciens décidèrent sans ambages de sonner le glas d’un cycle ‘libéral’ (de Wade a Macky) épuisé, qui pour un temps suscita bien des espoirs avant d’être gangrené par le clientélisme et la corruption. En effet l’ascension du Pastel aux accents messianiques consacrait l’épuisement d’une gouvernance APR devenue dysfonctionnelle, source d’un immense haut-le-cœur notamment chez ceux qui comme nous en avaient applaudi la promesse après avoir déchanté des errements du précèdent régime PDS à bout de souffle.
Donc nous y voilà ! Et Maintenant que Faire (sic) ? Jadis quête d’une révolution soviet balbutiante, ici et aujourd’hui lancinante question qui trahit des attentes démesurées que porte une multitude dans un pays où tout est urgent. Un pays qui à peine a fini de délivrer ses suffrages commence à balloter entre espérance de rupture et défi d’impatience. Et comme en l’an 1917 des Soviets sommes-nous à l’orée d’un moment fondateur, un moment emblématique de rupture radicale avec le passé ou simplement s’agirait-il d’un nouvel ersatz d’accommodement avec un ‘système’ sous un verbe plus inspiré voire populiste comme dirait l’autre opposant. Mais laissons donc aux politiciens d’en face l’aplomb de tirer des plans sur la comète et de jouer les Cassandre. Et contentons nous plus humblement de tenter d’esquisser quelques enjeux cruciaux à cette croisée des chemins.
Après avoir présenté au public son Plan 2050, une vision somme toute cohérente des fins publiques pour lesquelles le Pastef a entrepris de conquérir et d’exercer le pouvoir il reste à cet attelage à prioriser les défis, définir les objectifs et exécuter durablement les politiques publiques y afférant. Ces modalités restent sine qua non à toute chance de succès.
Mais d’abord pour ce faire il requiert de s’installer définitivement dans un nouveau paradigme mental. Le Pastef n’est plus le farouche opposant incarnant la promesse du changement il est devenu le pouvoir, celui qui a le pouvoir de faire bouger les choses pour nous citoyens pour le meilleur (et le pire). Opérer cette mue de l’opposant épisodique au gouvernant à temps plein est un ajustement psychologique à compléter sans nuance par tout gouvernant en charge pour asseoir sans ambiguïté les conditions d’image et de crédibilité nécessaires à l’autorité de gouverner. Car après avoir remporté une éclatante victoire électorale il est maintenant venu le temps de la construire. Le chemin vers une transformation systémique tant déclamé sera long et semé d'embûches. Il va falloir savoir tenir le guidon sans quitter de vue l’horizon (2050 sic).
L’ambition semble clairement énoncée. Faire table rase (ou presque) de l’existant dit ‘système’ pour un projet totalisant qui veut propulser un pays - jusque-là sclérosé dans des schémas d’éternel recommencement - vers une modernité souveraine assumée sans complexe. Soit. Mais l’accouchement sous nos yeux suit parfois les méandres d’une dialectique parfois déroutante entre pragmatisme / réalisme et idéalisme politique porté par des jeunes militants intrépides gardien du temple. Surmonter ces soubresauts sera un des écueils à déjouer tout au long du parcours.
Car en vérité il faut dire que dans un pays plombé par des dynamiques sociétales d’une pesante inertie, fourvoyé par toutes sortes d’obscurantismes mode RS ou télé réalité, lesté par des corporatismes à col blanc cramponnés à ses biens et avantages (même parfois mal acquis) … les vraies mutations durables c’est-à-dire le développement prendra du temps, de la pédagogie et de la ténacité. Les réformes engagées ici et maintenant prendront des années avant de transformer structurellement l’économie et de donner des emplois et du pouvoir d’achats aux cohortes de goorgorlous qui piaffent d’impatience. En attendant le cap doit être maintenu sans frémir. Autrement dit continuer à approfondir la réflexion sur les défis et solutions de souveraineté économique tout en préservant son énergie dans l’exécution des stratégies à la fois structurelles et sectorielles et en tenant compte des dynamiques internes et des contraintes externes qui façonnent notre identité de pays. Garder la trajectoire malgré les possibles embardées sur une longue marche.
En effet les chantiers sont immenses. De la nécessite urgente (mais o combien délicate) d’une stabilisation des finances publiques ou de la rationalisation des dépenses (sans tomber dans l’austérité) aux actions plus ou moins longues de redressement voire de refondation, l’agenda de réformes sera jaugé et jugé à sa capacité à produire / exécuter des solutions face aux dysfonctionnements socio économiques majeurs de notre Sénégal. Ils ont pour noms (sans être exhaustif) la nécessite d’élargir / diversifier la base économique en renforçant la productivité surtout agricole tout en impulsant le développement industriel local des PME/PMI en facilitant leur accès au crédit ; réorienter une croissance vers des directions plus créatrices d’ emplois en soutenant l’agriculture par des infrastructures rurales adaptées (irrigation, stockage) et en impulsant des secteurs -toujours en retard malgré les ef forts consentis - comme les transports, l’énergie, les TIC pour améliorer la compétitivité des entreprises ; reformer le fisc pour élargir l’assiette des contribuables et réduire l’évasion fiscale avant de reconsidérer plus tard une monnaie plus arrimée à nos priorités économiques qu’à celles de la BCE ; repenser le rôle stratégique de l’État dans l’économie en privilégiant des partenariats public-privé dans le financement de projets clés d’infrastructures sans saturer les finances publiques ; au plan local mieux réaménager le territoire en corrigeant les inégalités régionales d’accès aux services notamment entre Dakar et le reste du pays ; au plan extérieur promouvoir une diplomatie économique sans a priori et des accords de libre échange pour soutenir les exportations ; et enfin au plan social reformuler la politique éducative en faveur d’une meilleure allocation des ressources et pour corriger un déséquilibre caractérisé par une sous-représentation ( un tiers des effectifs) des formations techniques et scientifiques en augmentant les investissements dans les infrastructures éducatives dédiées aux technologies industrielles (y compris les métiers du gaz et du pétrole) pour plus généralement assurer une meilleure adéquation entre l'offre de formation et les besoins du marché. Car de toutes ces interventions à opérer cette dernière est sans doute (avec la sante) la plus déterminante c.à.d. la plus transformative du capital humain au travail. Car la source de notre sous-développement avant tout autre facteur est d’abord est le manque de de savoir de savoir-faire et de qualification...Mais arrêtons-la cet inventaire à la Prévert !
Car en même temps que leur pertinence, les conditions de possibilité et d’efficacité de ces initiatives restent tributaires de la construction d’un nouveau cadre de gouvernance économique et institutionnelle sous tendu par des mécanismes robustes de lutte et de système de contrôle contre la corruption pour garantir une gestion publique transparente et responsable. Une évolution de l’État vers un nouveau paradigme économique requiert un profond changement des institutions et des mœurs du pouvoir politique. Ailleurs comme au Rwanda ces standards de recevabilité ont fourni les effets d’accélération et de multiplication pour un impact maximal dans la gestion des ressources publiques.
Enfin qu’il soit dit que le vrai enjeu n’est pas tant la prochaine perfusion d’argent qui viendra des bailleurs internationaux - cela ne règlera que pour un temps fini les dépenses les plus pressantes du Trésor public - mais plutôt dans la capacité de ce gouvernement à combiner dans le bon ordre et le bon tempo ces politiques publiques loin de la cacophonie des chroniqueurs bonimenteurs de tout acabit qui ne peuvent que brouiller l’intelligibilité des dynamiques en cours. C’est à ce prix que notre marge de manœuvre vis-à-vis de toute dépendance extérieure financière ou autre pourra se consolider et se conforter chemin faisant.
Et pour clore gardons-nous de n’aborder les défis du moment que sous l’angle gestionnaire de l’allocation des ressources voire de la solvabilité d’un État confronté à une mauvaise passe de cashflow. Car le renouveau économique ne sera pas sans clameur et sans douleur et pour advenir il sera crucial pour ce nouvel État ‘souverainiste’ (mais encore très héritier de Colbert) aussi d’instaurer une culture de la participation citoyenne dans la gestion des affaires publiques en impliquant davantage les populations par des consultations / concertations publiques pour une appropriation accrue dans l’initiation et le suivi des grands projets et des reformes parfois difficiles à entreprendre. En attendant les lendemains qui chantent ! ce serait aussi un axe de recherche de consensus pour tempérer une société polarisée et donner à sa grisaille quotidienne un sens et un horizon. Car en ces temps de morosité qui portent ‘au pessimisme de l’intelligence’ il importe de susciter (comme Gramsci) le nécessaire ‘optimisme de la volonté’ apte à galvaniser les énergies pour les ruptures fortes annoncées. Cela ne relève pas strictement de l’économie. Mais du politique. Ou des deux.
Par Dr Tapsirou Bocar BA
FAUT-IL ALLER VERS UN CODE FONCIER ?
Avec la troisième alternance politique au Sénégal, de nouvelles perspectives de réforme se dégagent, notamment dans les secteurs clés de l’agriculture, de l’élevage et de l’industrialisation, conformément à la vision 2050
Avec la troisième alternance politique au Sénégal, de nouvelles perspectives de réforme se dégagent, notamment dans les secteurs clés de l’agriculture, de l’élevage et de l’industrialisation, conformément à la vision 2050. Cependant, ces transformations ne sauraient aboutir sans une réforme foncière adaptée..
La dispersion des textes législatifs actuels engendre une insécurité juridique et institutionnelle, favorisant des conflits fonciers et communautaires. Face aux défis persistants du secteur foncier, deux axes majeurs s’imposent : l’harmonisation du cadre juridique et son adaptation aux exigences du développement économique et durable.
I. Une nécessaire harmonisation du cadre juridique foncier
L’harmonisation du droit foncier passerait par l’adoption d’un code foncier unifié, regroupant toutes les dispositions légales et réglementaires dans un texte clair et accessible. Cette réforme renforcerait la lisibilité des normes, réduirait les conflits et garantirait une meilleure sécurité juridique pourles citoyens et les investisseurs.
- Une articulation entre le Code Général des Collectivités Territoriales et le Code du Domaine de l’État.
Actuellement, le Code Général des Collectivités Territoriales, en son article 13, qui définit le domaine des collectivités territoriales gagnerait à être harmonisé avec le Code du Domaine de l’État. L’élargissement de la propriété publique exige une mise à jour de ce dernier code, tant dans son intitulé que dans son contenu, afin d’y intégrer le domaine des collectivités territoriales.
- Une articulation entre le Code du Domaine de l’État etla loi sur les Partenariats Public-Privé (PPP)
Une articulation des dispositions de l’article 9 du Code du Domaine de l’État consacrant un régime rigide de protection du domaine public et celles de l’article 16 de la loi du 2 mars 2021 sur les Partenariats Public-Privé à propos des droits réels des investisseurs, est impérative.
Cette réforme permettrait de clarifier le régime juridique des droits réels sur les installations du domaine public, facilitant ainsi l’accès au financement pour les investisseurs privés. En sécurisant les droits des partenaires privés, l’État favoriserait l’attractivité des investissements et la mobilisation de capitaux pour le développement des infrastructures et la modernisation des équipements publics.
Ii. Une adaptation du cadre foncier aux enjeux du développement économique et durable
La domanialité publique doit évoluer d’une approche essentiellement protectrice vers une stratégie de valorisation des terres. Cette approche de la domanialité publique, inspirée du Code français du domaine de l’État de 1957, est dépassée en ce qu’elle limite la flexibilité et l’exploitation des ressources foncières pour le développement économique.
- Il faut une nécessaire valorisation foncière au service du financement des collectivités territoriales et des pôles territoriaux.
L’État demeure aujourd’hui le propriétaire quasi-exclusif du domaine public alors que les collectivités territoriales en sont essentiellement réduites à de simples gestionnaires sous le contrôle de l’État. Cette situation limite leur capacité d’action et de financement des compétences qui leurs sont transférées. Une réforme clarifiant la distinction entre domaine public et privé des collectivités territoriales permettrait d’accroître leur autonomie financière et de favoriser par extension le financement des pôles territoriaux.
- L’accès à la propriété foncière pour les particuliers : un enjeu de stabilité sociale
Depuis la loi 2011-06 du 30 mars 2011, le législateur s’inscrit dans une dynamique de faciliter l’accès des citoyens à la propriété foncière, qu’il va d’ailleurs confirmer en 2017, à travers la loi 2017-31 du 15 juillet 2017. Ces efforts doivent être renforcés afin de garantir l’effectivité de la loi et d’encourager l’investissement privé. La sécurisation des titres de propriété et la simplification des procédures administratives sont essentielles pour rendre le marché foncier plus dynamique et attractif.
- La prise en compte des impératifs du développement durable
Dans un contexte marqué par l’exploitation des hydrocarbures et les défis environnementaux liés au changement climatique et à la transition énergétique, la législation foncière doit intégrer les principes du développement durable. L’article 25 nouveau de la Constitution sénégalaise consacre l’importance de la dimension écologique et durable, qui devrait être pleinement reflétée dans les réformes foncières. Une meilleure régulation des activités d’exploitation des ressources naturelles et une gestion durable des terres s’imposent pour assurer un équilibre entre la croissance économique et la préservation des écosystèmes au bénéfice des populations et des générations futures.
En résumé, pour relever les défis liés à l’harmonisation et à l’adaptation du cadre juridique foncier, la réforme foncière à envisager devrait s’orienter vers l’adoption d’un code foncier regroupant tous les instruments juridiques en la matière et tenant compte des nouveaux enjeux.
Par Assane Sy
UNE NECESSITÉ DE GARANTIR LA RÉGULATION DE L'IA
L’intelligence artificielle est aujourd’hui un véritable tournant dans l’évolution technologique et économique de nos sociétés.
L’intelligence artificielle (IA) est aujourd’hui un véritable tournant dans l’évolution technologique et économique de nos sociétés. Au-delà de sa capacité à automatiser certains processus, elle occupe un rôle clé dans la façon dont nous produisons, partageons et consommons l’information. Par son pouvoir algorithmique, elle influence directement les processus de construction de l’opinion publique, en orientant les débats citoyens à travers les recommandations automatisées.
C’est ainsi que dans le cadre des consultations du Forum Information et Démocratie, des pays d’Afrique comme le Sénégal, le Bénin, la Côte d’Ivoire, la Mauritanie, ont donné leurs avis sur la gouvernance de l’intelligence artificielle en formulant des recommandations. En collaboration avec Jonction, une organisation sénégalaise spécialisée dans la défense des droits numériques, 07 experts, dont votre serviteur, ont élaboré les recommandations du Sénégal pour une gouvernance inclusive de l’IA.
L’intégration de l’intelligence artificielle dans le cadre du New Deal technologique du Sénégal représente une étape significative dans les programmes et projets de modernisation de l’État. Le pouvoir public reconnaît clairement l’IA comme un levier stratégique pour propulser son développement numérique, soulignant son potentiel dans divers secteurs, comme l’éducation, la santé, la gouvernance et l’économie.
Toutefois, cet engagement soulève d’importantes interrogations sur la régulation de cette technologie, en particulier dans un contexte où ses effets se déploient à une échelle mondiale et, plus encore, en tant que bien public. Dans cette perspective, la régulation de l’IA apparait comme une nécessité incontournable pour assurer sa gouvernance, sa transparence et la protection des droits fondamentaux des individus.
L’Intelligence artificiel, un outil stratégique pour la gouvernance informationnelle
L’histoire de l’humanité a toujours été influencée par le contrôle de l’information, qui est un bien immatériel mais qui a un poids énorme sur le plan politique et économique.
Aujourd’hui, les grandes entreprises technologiques qui dominent le paysage numérique mondial se trouvent dans une position clé grâce à leur maîtrise des données et des algorithmes. Cette influence des algorithmes leur permet de façonner, parfois sans qu’on s’en rende compte, les sujets qui occupent l’espace public, orientant ainsi les discussions tant nationales qu’internationales.
Le scandale de Cambridge Analytica a mis en lumière les dangers de cette concentration de pouvoir : manipulation de l’opinion publique, atteinte à la vie privée, et détournement des données à des fins politiques. Cet incident souligne l’importance d’une régulation stricte de l’intelligence artificielle (IA), tant au niveau national qu’international, pour sauvegarder les principes démocratiques et les libertés fondamentales. Ce qui recommande de donner une place importante à l’IA et son impact dans l’espace de l’information dans le cadre des formations au numérique et à l’information et d’impliquer les acteurs de la société civile dans le cadre de gouvernance dédiée à l’IA
La question centrale réside dans le fait que l’IA, par son déploiement global, ne connaît pas de frontières géographiques. Cette absence de frontières, couplée à la domination des technologies numériques par les pays développés, constitue un risque majeur pour les pays les moins avancés, notamment pour l’Afrique. Le Sénégal, comme d’autres nations africaines, bien qu’étant un consommateur des technologies numériques, peine souvent à avoir un poids significatif dans la définition des règles qui régissent ces technologies. Cette asymétrie de pouvoir technologique met en lumière la nécessité pour le Sénégal et les autres pays africains de renforcer leur souveraineté informationnelle.
La régulation de l’IA : un cadre nécessaire pour protéger les données personnelles et la vie privée
L’un des principaux défis auxquels nous faisons face en matière de régulation de l’IA, c’est la protection des données personnelles. Ainsi, il est recommandé par exemple d’avoir une classification en fonction de l’analyse de l’impact sur la vie privée.
Avec cette technologie qui change complètement la façon dont nous collectons, traitons et partageons nos données, il est vraiment essentiel de garantir une protection solide qui s’adapte aux réalités technologiques d’aujourd’hui. La première ligne de défense de cette protection repose sur la formation et la sensibilisation des développeurs d’IA. Ceux-ci doivent être formés aux meilleures pratiques en matière de protection des données dès la phase de conception des technologies. Il ne s’agit pas uniquement d’intégrer des normes de sécurité, mais aussi d’inculquer aux développeurs une culture de la protection des données comme un principe fondamental dans la création des outils technologiques. Dans cette optique, il serait intéressant de créer des modules spécifiques sur la protection des données personnelles, à intégrer dès le début du développement des systèmes d’IA.
En parallèle, il devient important de renforcer la formation des utilisateurs. Les citoyens doivent être dorénavant informés des risques qu’implique l’utilisation des technologies d’IA et apprendre les bonnes pratiques pour protéger leur vie privée. Cette formation peut être concrétiser par des programmes d’éducation au numérique, garantissant ainsi un écosystème sûr et responsable. Tout de même, la formation permettra aux différents acteurs d’avoir un niveau significatif de littéracie numérique.
Des régimes de responsabilité clairs et une autorité de régulation dédiée
Un élément essentiel dans la régulation de l’IA, c’est de poser des bases solides au niveau du régime de la responsabilité. Il est nécessaire de définir le régime de responsabilité́. En effet, chaque acteur, que ce soit un développeur, un fournisseur ou un déployeur, doit savoir exactement ce qu’il doit assumer en termes d’impact de ses systèmes d’IA. Cela nécessite l’établissement d’une autorité de régulation habilitée à superviser les pratiques, veiller à une composition inclusive de cette autorité́ ou entité́ si toutefois une autorité́ existante assure le contrôle et à s’assurer qu’elles respectent les normes mises en place. Cette autorité devrait posséder des prérogatives d’enquête et de sanction, et son fonctionnement devrait être suffisamment inclusif pour représenter tous les intérêts des différentes parties.
La régulation de l’IA implique également la mise en place de mécanismes de recours pour les utilisateurs dont les droits ont été violés. En cas de manquements, les citoyens doivent ainsi pouvoir faire appel à des voies de recours efficaces pour obtenir réparation. À cette fin, il convient de prévoir des audits externes réguliers des systèmes d’IA, afin de garantir leur conformité avec les normes de protection des données et de la vie privée. Ces audits devraient être réalisés par des entités indépendantes et avoir un caractère public, afin d’assurer une transparence maximale.
Pour conclure, il est primordial de réaliser que cette révolution est une chance incroyable pour le Sénégal, à condition de la réguler de manière à en faire un véritable bien commun. Le pays doit agir de façon décisive pour garantir une gouvernance responsable de l’IA, en créant des mécanismes de régulation solides qui préservent les droits des citoyens tout en favorisant l’innovation. Il est important que cette régulation ne se limite pas au contexte national, mais s’inscrive dans une dynamique régionale et internationale, collaborant avec d’autres nations africaines pour relever les défis communs posés par les géants technologiques. Il est de la responsabilité des autorités sénégalaises de veiller à ce que l’IA soit utilisée de manière équitable, transparente et respectueuse des droits de tous, et ce, dans l’intérêt général.
PAR MEÏSSA DIAKHATÉ
L’INTERPRÉTATION DE LA LOI PORTANT AMNISTIE EN DROIT FACILE
Telle que rédigée, sans tenir en considération les probables amendements d’origine parlementaire ou gouvernementale, la proposition de loi portant interprétation rétrécit le champ d’application de la loi portant amnistie de 2024
Ma part de vérité sur l’abrogabilité ou non de la loi n° 2024-09 du 13 mars 2024 portant amnistie, je l’avais déjà exprimée à travers deux papiers diffusés en pleine période de crise pré-électorale :
Par ces écrits, je faisais prospérer des réflexions sur le « débat autour de la révocabilité de l’amnistie » ou « l’irrévocabilité de la loi d’amnistie devant les juridictions nationales ».
Mais aujourd’hui, le débat se pose à l’Assemblée nationale sous une logique particulière : fallait-il interpréter ? En interprétant la loi portant amnistie, serait-il possible de mettre l’emphase sur la « réparation » et l’« imprescriptibilité » de certains actes d’extrême gravité ?
A cet égard, il est essentiel, au-delà des états d’âme et des faces cachées des praticiens du droit, d’exposer, en droit facile, la signification de la « proposition de loi n° 05/2025 portant interprétation de la loi portant amnistie n° 2024-09 du 13 mars 2024 ».
Certes, la vérité sur les hauts faits parlementaires aide à mieux clarifier le débat, mais les extravagances juridiques ne font que noyer actuellement la perspective d’une compréhension juste pour le citoyen, siège de la légitimité du droit.
En écho à cette remarque, nous livrons ici quelques analyses critiques mais didactiques sur la version initiale de la proposition de loi portant interprétation qui alimente le débat en cours sur l’amnistie.
I) La « loi d’amnistie » n’existe pas !
Ce premier point mérite une attention particulière, d’autant plus qu’il est récemment relevé, avec regret, dans les écrits d’un célèbre praticien du droit.
Existe-t-il une catégorie juridique appelée « loi d’amnistie ». En droit sénégalais, le Législateur emploie le plus souvent la notion de « loi d’amnistie ».
Juridiquement, nous n’enseignons que la « loi » au sens de loi ordinaire ou loi simple, la « loi organique » sur création ou renvoi de la Constitution et la « loi constitutionnelle » une contraction de la « loi portant révision de la Constitution ». En dehors de ces catégories, il est d’usage décrire « loi …… portant … ».
En droit, les mots ont leurs sens. Autrement dit, les mots donnent sens au droit. D’ailleurs, la tradition législative sénégalaise ne connait pas la notion de « loi d’amnistie » mais plus rigoureusement celles de : i) « Ordonnance n° 60-32 du 18 octobre 1960 portant amnistie » ; ii) « Loi n° 64- 08 du 24 janvier 1964 autorisant l’amnistie » ; iii) « Loi n° 67-05 du 24 février 1967 autorisant l’amnistie de certaines infractions » ; iv) « Loi n° 76-21 du 19 mars 1976 portant amnistie de plein droit des infractions à caractère politique » ; v) « Loi n° 81-18 du 06 mai 1981 portant amnistie » ; vi) « Loi n° 88-01 du 04 juin 1988 portant amnistie » ; vii) « Loi n° 91-40 du 10 juillet 1991 portant amnistie » et ix) « Loi n° 2024-09 du 13 mars 2024 portant amnistie ».
En tenant compte de ces précisions, il n’est pas heureux de rencontrer « loi d’amnistie » dans un écrit prétendu expert, de surcroît popularisé. Dans le même ordre d’idées, il est regrettable de lire, dans les cas de 2004 et 2005, les écarts légistiques « loi n° ……. portant loi d’amnistie » : viii) « Loi n° 2004-20 du 21 juillet 2004 portant loi d’amnistie » et ix) « Loi n° 2005-05 du 17 février 2005 portant loi d’amnistie ». S’agissait-il d’une trouvaille ou des errements d’un nouveau régime ? Y avait-il des raisons juridiques sous-jacentes ? Rien ne semble le prouver ! C’est simplement un amalgame sémantique.
En effet, la justesse d’esprit nous suggère d’adopter la bonne formule : « loi … portant amnistie » ou « proposition de loi … portant interprétation de la loi portant amnistie » ou toute autre formule plus conforme.
D’ailleurs, il nous faudrait certainement emprunter un langage propre à d’autres systèmes juridiques pour pouvoir relativiser voire contester cette affirmation.
2) Interpréter ou abroger ?
En droit international, aussi bien certains instruments (les quatre conventions et les trois protocoles additionnels dits droit de Genève, la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants du 10 décembre 1984 et le Statut de Rome) et principes (comme le jus cogens ou norme impérative du droit international général) que certaines expériences tirées du droit comparé renseignent sur le sens et la portée de l’abrogation d’une loi portant amnistie.
Sous l’angle du droit interne, l’abrogation se heurterait à une loi pénale : la « non-rétroactivité de la loi pénale plus sévère ». Corollaire du principe de légalité criminelle, ayant lui-même valeur constitutionnelle, le principe de non-rétroactivité de la loi pénale plus sévère signifie qu’une loi nouvelle plus sévère que la loi ancienne ne s’applique pas aux faits commis et non définitivement jugés avant son entrée en vigueur.
En vertu de ce principe cardinal du droit pénal, le recours à une loi portant interprétation, pour circonscrire le périmètre d’application de la nouvelle loi, semble être plus du ressort de la mesure. Abroger la loi portant amnistie équivaudrait simplement à un reniement législatif sur le plan pénal. La proposition de loi portant interprétation serait sans doute la solution intermédiaire, la moins nihiliste.
Telle que rédigée, sans tenir en considération les probables amendements d’origine parlementaire ou gouvernementale, la proposition de loi portant interprétation rétrécit le champ d’application de la loi portant amnistie de 2024.
A proprement parler, il n’est pas question, en l’espèce, de juger les crimes de sang ou des actes quelconques en fonction de leur gravité. Au contraire, c’est le rattachement « exclusif » du crime ou du délit à « une motivation politique » qui délimite le champ d’application de la loi portant amnistie au sens de la nouvelle volonté du Législateur.
Ainsi, « les faits se rapportant à des manifestations ne sont compris dans le champ de la loi que s’ils ont une motivation exclusivement politique ».
A défaut d’une énumération par le législateur de viser certains actes précis, il reviendra alors au juge saisi de procéder par exclusion afin de déterminer les faits exclus ou non de l’amnistie parce qu’ils ont ou non « une motivation exclusivement politique ».
3) Assister ou réparer ?
Faudrait-il établir un lien entre « l’assistance » et « la réparation ? L’assimilation, pour ne pas dire la confusion, n’est pas possible, du moins à la lecture des textes administratifs et juridiques en vigueur au Sénégal.
Nous n’entendons pas ici éprouver la foi de certains, mais tâcherons d’être dans le sens d’une vérification de la VERITE.
Sur le plan administratif, il n’est pas superfétatoire de noter et de rappeler à l’intelligence de l’opinion l’existence de « l’arrêté ministériel n° 017450 du 30 juillet portant création et fixant les règles d’organisation et de fonctionnement du Comité chargé de proposer une assistance aux ex-détenus et autres victimes de la période pré-électorale ».
Sur le fondement de l’arrêté ministériel, il est créé, au sein du Ministère en charge des Solidarités, un Comité ayant pour mission principale de fournir « une assistance multiforme » aux ex-détenus et autres victimes de la période allant du 1er février 2021 au 25 février 2024. Le caractère multiforme est attesté par la présence, en plus de certaines structures étatiques (Primature, 19 ministères, Direction générale à la Protection sociale et de la Solidarité, Délégué général à la l’Entreprenariat rapide des Femmes et des Jeunes, Agence nationale de la Statistique et de la Démographie, Fonds de Solidarité nationale, Office national des Pupilles de la Nation, Observatoire nationale des Lieux de Privation de Liberté) ainsi que de deux (02) représentants des ex-détenus et autres victimes, deux (02) représentants de la société civile et toute personne ou structure dont la compétence est jugée utile.
Le Comité est notamment chargé : « i) de statuer sur les bases juridiques et administratives de l’assistance à fournir ; ii) de définir les conditions et critères d’identification des ex-détenus et autres victimes bénéficiaires de l’assistance ; iii) de dresser la liste définitive des ex-détenus et autres victimes ; iv) d’établir une base de données des personnes concernées et leurs profils ; v) d’identifier les besoins généraux et spécifiques des ex-détenus et autres victimes ; vi) de proposer des actions urgentes à entreprendre ; vii) d’identifier et de proposer des mécanismes de mobilisation rapide des ressources financières destinées à la mise en œuvre de l’assistance par les structures concernées ; viii) de proposer un plan de mobilisation sociale et de communication ayant pour objet de susciter un élan de réconciliation nationale, de pardon et de solidarité ; ix) de définir un plan de mise en œuvre des actions identifiées ; de proposer un dispositif de suivi-évaluation des activités ».
A ce que je considère, cet acte réglementaire, à caractère impersonnel, n’a été ni juridiquement contesté ni politiquement décrié.
En lisant ces dispositions, on ne résiste pas logiquement à la volonté de se poser certaines questions.
Les « autres victimes » (opérateurs économiques, marchands ambulants, citoyens, agents des forces de défense et de sécurité, etc.), se sont-ils présentées devant ce Comité avant l’établissement de la « liste définitive » ?
Sans ce Comité, des ex-détenus et autres victimes blessés pouvaient-ils être soulagés par des soins médicaux et des soutiens spécifiques ?
Les montants annoncés de 500 000 FCFA pour les blessés ou 1 000 000 FCFA pour la perte de vies humaines suffisent-ils à apaiser les douleurs ou à rembourser même les funérailles ? Nous ne le pensons pas.
Cette assistance ministérielle ou gouvernementale ne mérite pas d’être confondue avec l’idée de « réparation » adossée à la proposition de loi portant interprétation.
A ce stade de traitement du dossier des ex-détenus et autres victimes, il ne peut s’agir que d’une « assistance ». Cela nous amène à dé-corréler l’assistance ministérielle ou gouvernementale de la « réparation » d’ordre judiciaire.
La réparation a une résonnance judiciaire signifiant toute personne victime d’un dommage, quelle qu’en soit la nature, a droit d’en obtenir réparation de celui qui l’a causé par sa faute et que le droit à réparation du préjudice éprouvé par la victime avant son décès, étant né dans son patrimoine, ce droit se transmet à ses héritiers.
Au regard de la proposition de loi portant interprétation, il existe deux procédures permettant aux ex-détenus et autres victimes d’aboutir à la réparation par l’Etat.
La première procédure est possible devant l’Agence judiciaire de l’Etat (AJE) conformément au 5e alinéa de l’article 3 du décret n° 70-1216 du 7 novembre 1970 portant création d’une Agence judiciaire de l’Etat et fixant ses attributions : « Après consultation des administrations compétentes, il peut être proposé à la partie adverse toute transaction utile ; la transaction n’aura d’effet qu’après approbation par le Ministre chargé des Finances ». Pour ce cas précis, l’ex-détenu ou autre victime doit alléguer un « préjudice anormal » causé par un « fonctionnement défectueux » du service public pénitentiaire ou ceux de la Police nationale ou de la Gendarmerie nationale.
La seconde procédure se déroule devant la Cour suprême au sens de l’article 3 de la loi organique n° 2017-09 du 17 janvier 2017 abrogeant et remplaçant la loi organique n° 2008-35 du 08 août 2008 sur la Cour suprême, modifiée par la loi organique n° 2022-16 du 23 mai 2022 : « Il est créé (…) une Commission juridictionnelle chargée de statuer sur les demandes d’indemnité présentées par les personnes ayant fait l’objet d’une décision de détention provisoire et qui ont bénéficié d’une décision définitive de non-lieu, de relaxe ou d’acquittement ».
L’une de ces deux voies pourrait être explorée lorsque la loi portant interprétation de la loi d’amnistie n° 2024-09 du 13 mars 2024 sera mise en vigueur.
par Madieye Mbodj
REDDITION DES COMPTES, ABROGATION DE LA LOI D’AMNISTIE ET SYNDROME DE L’IMPOSTEUR
Les bourreaux de naguère cherchent désespérément à se faire passer aujourd’hui pour les victimes. Victimes en toute vérité de leurs propres turpitudes et manigances, jusqu’ici couvertes d’un épais manteau marron d’impunité
‘’Règlement de comptes’’, ‘’chasse aux sorcières’’ et aux sorciers, les bourreaux de naguère cherchent désespérément à se faire passer aujourd’hui pour les victimes. Victimes en toute vérité de leurs propres turpitudes et manigances, jusqu’ici couvertes d’un épais manteau marron d’impunité à tout-va. Le psychologue clinicien Mamadou Mbodj a su trouver les mots justes pour caractériser cette faune-là : « Nous avons affaire à des profils dont les trajectoires ont été largement conditionnées par une logique de prédation institutionnalisée, où l’accès aux ressources publiques tenait lieu d’identité sociale et de preuve de réussite. Pour nombre d’entre eux, la perte de cet accès a généré un vide existentiel profond, doublé d’un sentiment insupportable. Ce vide est aujourd’hui comblé par une agitation permanente, un activisme bruyant, une surenchère rhétorique destinée autant à l’opinion publique qu’à eux-mêmes, dans une tentative désespérée de restaurer une légitimité perdue. Ce n’est donc pas tant l’avenir du pays qui les préoccupe que la restauration de leur propre place dans un système dont ils ont intériorisé les codes et les réflexes. Cette fébrilité nourrie par une incapacité à se réinventer hors des cercles de pouvoir, se traduit par une volonté obsessionnelle de discréditer les nouvelles autorités » (In Journal 24h du 8 mars 2025, Rubrique Opinions, page 9).
Syndrome de l’imposteur
‘’Le syndrome de l’imposteur ‘’ traduit essentiellement chez une personne une incapacité à évaluer de façon réaliste ses aptitudes et compétences, et en même temps un décalage conflictuel entre la perception déformée qu’elle se fait des autres et sa perception biaisée de soi-même. Surtout quand il s’agit, comme dans le cas de notre pays, de ces grossiers personnages prédateurs devant l’Eternel, qui s’étaient imaginé avoir signé un bail à vie avec un pouvoir autocratique aux privilèges indus et infinis ! Les voici subitement paniqués par le déclenchement de cet exercice démocratique et républicain que constitue la reddition des comptes, à travers une ‘’opération mains propres’’ transparente qui, au demeurant, ne fait que commencer. Ils n’ont encore rien vu en effet, le défilé devant la barre sera aussi long et pénible pour eux que les malversations et autres supplices inhumains infligés à notre peuple tout au long de ces décennies.
Reddition des comptes
Quand un certain Farba Ngom, un Moustapha Diop et tutti quanti voient leur immunité parlementaire levée ou menacée de l’être, quand un Mansour Faye se fait notifier une interdiction d’embarquement à l’aéroport international de Dakar, cela leur suffit pour ameuter les médias et crier « au scandale, à l’acharnement et à la dictature de l’Etat-Sonko » (sic) ! Et l’ex- « Première Dame » de jeter des cris d’orfraie pour s’indigner du traitement réservé à son ex-ministre de frère ! Ca dëgg-dëgg, ñii ñoo ñàkk jom ! Ont-ils seulement pensé aux milliers de Sénégalais emprisonnés, torturés ou tués entre 2021 e 2024 ? Ont-ils oublié « les 55 jours de la Cité Keur Gorgui », cette séquestration arbitraire de Sonko & famille, avec interdiction d’aller prier à la mosquée, d’aller en classe à l’école, de se rendre à la boutique du quartier ou ailleurs ? Imposture, quand tu nous tiens, et la transition est vite trouvée ! Il est bien question pour nous de bannir à jamais l’impunité de nos mœurs politiques. Mais puisque chez nos adeptes de la servitude volontaire, de l’autocratie et de la prédation le ridicule ne tue point, les voici se livrant volontiers à l’amalgame et à la manipulation : Pastef, s’écrient-ils à tue-tête, cherche à imposer une abrogation partielle et non totale de la loi d’amnistie n°2024-09 du 13 mars 2024 du président Macky Sall, aux seules fins, selon eux, de couvrir « les crimes et délits commis par les Pastéfiens » ! Le seul fait que ce soient les porte-étendards de l’APR/BBY qui s‘égosillent à présent pour exiger sous tous les toits ‘’l’abrogation totale" d’une loi dont ils sont les seuls initiateurs et responsables de l‘ adoption, suffit à rendre suspecte et non crédible leur posture du moment.
Abrogation de la loi d’amnistie
Mais puisqu’il est établi que « c’est la chronologie qui confond les faussaires », soulignons tout de suite que, en ce mois de mars de l’année passée, Pastef et APR/BBY n'avaient déjà pas le même point de vue sur cette loi, aujourd’hui encore moins. En Commission à l’époque, les députés Pastef s’étaient abstenus, en attendant d’être clairement édifiés sur le champ d’application de la loi. Ensuite en plénière, ils ont conséquemment voté contre la loi d’amnistie, dès l’instant que celle-ci, sans aucun doute possible, incluait les crimes de sang dans son champ d’application. Aujourd‘hui encore, cette position de principe de Pastef n’a pas varié d’un iota. Mais comme il n’y a pas pire sourd que celui qui ne veut pas entendre, le député Guy Marius Mouhamed Sagna, après avoir exprimé son accord avec l’initiative parlementaire de son camarade de Pastef Amadou Ba, a annoncé son intention de déposer un amendement à l’Article Premier de la proposition de loi, explicitant que « les crimes de sang, les cas de torture, les traitements et autres peines cruels et dégradants sont exclus du champ d'application de la loi d'amnistie ».
La proposition de loi interprétative du député Amadou Ba ne vise à soustraire aucun criminel politique de son champ d’application, mais consiste plutôt à proposer une rédaction ne laissant pas place à une interprétation ambigüe ou dévoyée : des crimes de sang clairement établis, avec leurs auteurs, complices ou donneurs d’ordre identifiés et à punir sévèrement devant la justice, quels qu’ils soient, cela n’a rien à voir avec des actes citoyens de résistance et de légitime défense, qui sont des droits et des devoirs imprescriptibles consacrés par la loi et toutes les Constitutions démocratiques à travers le monde. N’en déplaise à cette grande avocate, ci-devant présidente de groupe parlementaire qui prédisait à ces jeunots inexpérimentés de Pastef une impasse inextricable en cas de vote d’un projet ou d’une proposition de loi d‘abrogation de la loi d’amnistie de Macky Sall, l’expertise des cadres de Pastef et de leurs députés, leurs capacités multiples à déjouer, encore une fois, les sinistres traquenards du clan APR/BBY, devraient la persuader de cesser de sous-estimer et de regarder son monde de haut !
Pastef, les démocrates sincères et les patriotes authentiques de notre pays prêtent une oreille sereine et vigilante aux rodomontades brandies, urbi et orbi, par leur « Front pour la Défense de la Démocratie et de la République ». Ils sont les premiers d’ailleurs à ne pas croire à ce machin !
Nous célébrons dans quelques jours l’an un de la victoire historique du 24 mars 2024. Ce jour-là, le peuple africain du Sénégal, sa jeunesse en tête, arrachait au prix de sacrifices énormes et prolongés, une victoire d’étape inédite et exemplaire, sur le long chemin escarpé de la révolution démocratique, sociale, citoyenne et populaire en marche, sonnant l’ère du Jub, Jubal, Jubbanr pour un Sénégal souverain, juste et prospère dans une Afrique unie, libre et de progrès. En fidélité à cette voie, nous relèverons ensemble tous les défis, malgré les embûches et autres difficultés passagères, afin de répondre efficacement aux immenses attentes populaires, donnant ainsi corps à l’espoir gigantesque insufflé aux générations jeunes et moins jeunes, par Pastef et le tandem Diomaye-Sonko.
Madieye Mbodj est vice-président de Pastef-Les Patriotes, chargé de la vie politique nationale.
Par Mohamed GUEYE
ON NE PEUT S’INDUSTRIALISER SANS L’AGRICULTURE
Pour une économie qui réfléchit fortement aux moyens d’éviter de contracter la «fièvre hollandaise», n’est-il pas déjà trop tôt pour tenter de mettre l’accent sur le développement des secteurs comme la pétrochimie ou les mines ?
Comme ses prédécesseurs, le gouvernement actuel reprend à son compte le mantra de l’industrialisation du pays. Si Abdoulaye Wade et Macky Sall évoquaient la possibilité de développer l’industrie dans le pays, Bassirou Diomaye Faye semble décidé à en faire une véritable politique et se donner les moyens de la réaliser. Quasiment dès son discours de prise de fonction, le chef de l’Etat voyait dans la relance de l’industrie, le moyen de développer une politique d’import-substitution, qui permettrait au Sénégal de rééquilibrer sa balance commerciale en diminuant les importations, notamment des produits de première nécessité, qui pèsent lourd sur le budget de l’Etat.
La considération et la vision que Macky Sall avait pour l’industrie et la politique d’industrialisation, pouvaient se résumer au choix porté sur son dernier ministre dans ce secteur : un quasi analphabète qui ne s’est jamais intéressé à rencontrer les chefs d’entreprise de son secteur ou à tenir des réunions avec eux. Même aux temps forts de la crise du Covid, ce ministre, qui n’a jamais pu tenir un seul discours en français aux journalistes ou aux députés, encore moins à des potentiels industriels étrangers, a été content de s’exhiber devant les caméras dans une entreprise qui fabriquait des masques de protection. Quant à la Lettre de politique de développement de son secteur, on peut se demander s’il l’a jamais lue. Bassirou Diomaye Faye, sur ce point, semble à ce jour montrer plus de détermination. Le dernier communiqué du Conseil des ministres disait d’ailleurs à ce sujet : «La Vision Sénégal 2050 accorde une importance primordiale à l’accélération de l’industrialisation du pays à travers la restructuration et le développement de plusieurs filières prioritaires telles que la pétrochimie, les phosphates, l’horticulture et le tourisme. Il s’agit de bâtir une économie attractive et robuste orientée vers la valorisation endogène de nos potentialités et ressources naturelles, et fortement créatrice d’emplois décents.» Dans cette optique, le communiqué poursuit : «Le chef de l’Etat a demandé aux ministres en charge de l’Economie et de l’Industrie, en liaison avec l’Apix, d’évaluer les zones économiques spéciales et les agropoles créés en termes d’entreprises installées, d’investissements et d’innovations technologiques réalisés, de facilités (administratives, fiscales, foncières…) accordées par l’Etat, d’emplois créés et de contribution à la promotion des exportations et au dynamisme des pôles territoires.»
Est-ce une coïncidence ? On a, en tout cas, pu remarquer l’activisme que les ministres de l’Agriculture et du Commerce du gouvernement Sonko ont développé ces derniers temps. On aurait été tenté de croire que ces personnalités se sont investies avec détermination dans la réalisation de la politique industrielle dont le Président a brossé les lignes lors de la rencontre du mercredi au Palais. Mais seulement si l’on oublie de contextualiser.
Il faut savoir que le citoyen lambda vit une période difficile de Ramadan et de Carême, faite de privations du fait de la hausse sensible des prix de première nécessité. Les baisses de prix annoncées à l’arrivée au pouvoir de la nouvelle équipe dirigeante n’ont eu à ce jour que des effets… d’annonce. Si même les produits locaux ne connaissent pas de baisse, il est naturel, dirait-on, que les responsables politiques des secteurs concernés se rendent auprès des producteurs pour comprendre ce qui peut justifier la situation. D’autant que la fin du Ramadan approche, qui est une période où les consommateurs sénégalais se ruent sur les marchés. Les commerçants en profitent souvent pour faire de la rétention de produits et spéculer sur une hausse inévitable.
Dans des circonstances où le gouvernement se vantait, en début de campagne agricole, d’avoir injecté plus d’argent qu’aucun autre régime n’a jamais eu à la faire dans ce pays, ses ministres semblent avoir besoin de tâter sur le terrain, les limites de leurs politiques. La tournée dans les zones de production horticole, de nos deux ministres Mabouba Diagne et Serigne Guèye Diop, a donné l’occasion aux producteurs d’oignon de lancer leur cri d’alarme sur les risques de mévente de leur produit, dans la perspective proche de l’ouverture des frontières aux produits venant d’Europe, particulièrement de la Hollande. Si cela ne dépendait que d’eux, l’embargo sur les importations serait encore prolongé.
Cela donne à nos politiciens l’ampleur des défis auxquels ils doivent faire face. Théoriquement, le producteur sénégalais ne devrait même pas se plaindre de la concurrence de l’oignon importé, parce que, toujours en théorie, le pays est autosuffisant en oignon. Le pays produit environ 400 mille tonnes d’oignon, pour une consommation estimée en 2023 à 300 mille. Le manque de système de conservation, d’aire de stockage, ainsi aussi, il faut le dire, que l’esprit de lucre, font que les pertes post-récoltes se chiffrent en milliers de tonnes, et le pays est contraint de se tourner vers l’étranger.
Les mêmes problèmes se posent en ce qui concerne la pomme de terre, ainsi que d’autres produits. Quasiment toutes les filières agricoles du pays, où le paysan sénégalais a fait montre de dynamisme et de résilience, pour produire souvent dans des conditions pénibles, souffrent de mauvaises politiques de l’Etat. Quand ce ne sont pas les engrais et les semences qui ne sont pas appropriés pour la spéculation concernée, ce sont les difficultés rencontrées pour stocker les récoltes dans des conditions idoines. Ainsi, alors que l’agriculture sénégalaise est en mesure de produire tout ce dont a besoin le consommateur local, le pays est obligé aujourd’hui d’importer l’essentiel de sa nourriture. On a vu les conséquences de cette situation lors des crises nées du Covid-19 et de la guerre entre la Russie et l’Ukraine. Coupé de ses zones habituelles d’approvisionnement, le consommateur sénégalais a dû payer le prix fort pour pouvoir assurer son alimentation. Ce qui a renchéri sur son mode de vie
Cette question n’étant pas encore réglée, les dirigeants politiques, sans doute enivrés par les effluves de gaz et de pétrole sortant de nos côtes, commencent à rêver à une industrie pétrochimique ou de transformation industrielle. Bizarrement, au moment où nos parents et voisins guinéens commencent à faire des rêves en technicolor avec les perspectives de l’exploitation des minerais de fer de Simandou, qui devrait commencer bientôt, les autorités sénégalaises ne parlent pas encore de la reprise éventuelle du fer de la Falémé, avec l’implantation, qui avait été planifiée par Macky Sall, d’une aire de transformation à Sendou, sur le site du port minéralier. Chat échaudé par Arcelor Mittal sans doute ?
Quoi qu’il puisse en être, le pouvoir actuel devrait lancer un signal plus clair de son engagement sur le développement agro-industriel. On peut ne pas aimer l’implication des investisseurs étrangers dans notre agriculture, et vouloir développer des coopératives de producteurs. Mais, il ne faudrait pas oublier qu’à côté de ces producteurs, on devrait trouver des transformateurs et des commerçants. L’avantage de mettre en place ces nombreuses petites structures serait, outre de donner du travail aux petits producteurs, de lutter contre l’exode rural et de fournir des revenus décents aux producteurs. Mais si l’on veut développer une agriculture compétitive, qui soit en mesure de nourrir les nationaux et d’exporter ses surplus, on ne pourra pas faire longtemps l’impasse sur l’agro-industrie. Celle-ci ne signifie pas nécessairement investissements étrangers. Le Sénégal a montré qu’il possède suffisamment de capitaines d’industrie en mesure de faire face à la concurrence étrangère dans ce domaine. En plus, pour une économie qui réfléchit fortement aux moyens d’éviter de contracter la «fièvre hollandaise», n’est-il pas déjà trop tôt pour tenter de mettre l’accent sur le développement des secteurs comme la pétrochimie ou les mines ?