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2 avril 2025
Opinions
par Rahmane Idrissa
SOUVERAINISME SAHÉLIEN, BILAN D'ÉTAPE
La prétendue libération du Sahel cache une régression politique : sous couvert de souveraineté retrouvée, les militaires ont marginalisé la société civile et restauré un ordre ancien où le citoyen redevient sujet
Quatre ans après, le moment est venu de constater que la prétendue vague souverainiste du Sahel n’était qu’une bulle – et une bulle qui a crevé. Il y avait des raisons pour qu’elle soit une vague ; et, de mon point de vue très biaisé (libéral-humaniste et progressiste, si l’on doit mettre des mots sur ce point de vue), il y avait des raisons de vouloir qu’il soit une vague, comme jadis la démocratisation. Mais il n’a pu l’être et ne le pouvait sans doute pas.
Il faut partir du fait que le souverainisme est un phénomène exclusivement sahélien : au moins, c’est ce que nous dit l’observation empirique. La bulle qui a d’abord paru une vague ne s’est développée que dans le Sahel central, c’est-à-dire au Mali, au Burkina Faso et au Niger (dans l’ordre chronologique) ; mais le discours souverainiste, assorti de quelques actes de rigueur – visant certains aspects du partenariat avec la France ou du passé colonial – est utilisé au sommet de l’État au Sénégal (le Sahel côtier) et au Tchad (le Sahel extrême), dans des contextes politiques d’ailleurs très différents, voire diamétralement opposés. Des turbulences ont même atteint le nord Nigeria – la seule section du Sahel qui fusse « anglophone » – par contamination du Niger : on y a vu flotter le drapeau russe, emblème du souverainisme du Sahel central.
Autocritiques et victimes
Bien entendu, les ingrédients qui se sont concentrés pour former ce souverainisme sahélien existent ailleurs en Afrique, dans les consciences d’une section de la jeunesse et des élites. Pour bien le situer, il faut remarquer, en simplifiant un peu, que le débat africain doit se comprendre en une division entre les « Autocritiques » et les « Victimes ». L’origine du débat se trouve dans l’état désastreux du continent dans l’économie du monde, et la place au bas de l’échelle qui lui revient de manière systématique du point de vue d’à peu près tous les critères de vie collective que le système hégémonique actuel considère comme devant être standards. Cette réalité pose la question : à qui la faute ? Les Autocritiques répondent, « à nous » ; les Victimes, « aux autres, et surtout, aux Blancs, à l’Occident ».
Je dis que j’ai simplifié parce que, comme toujours, il s’agit ici d’un spectre, voire d’un kaléidoscope, plutôt que d’une opposition franche et tranchée. Il n’y a pas d’un côté ceux qui sont purement autocritiques et de l’autre ceux qui sont purement des victimaires. Plutôt, suivant les expériences, les sensibilités, les biais divers et variés, on est autocritique par rapport à un sujet donné, et victime par rapport à d’autres. Il est vrai que certains ont une plus grande tendance autocritique (c’est certainement mon cas) et d’autres une plus grande tendance victime. L’Autocritique va se focaliser sur les tares de nos sociétés et de nos systèmes politiques en les expliquant à travers nos fautes et erreurs, nos carences et incompétences, nos défauts intellectuels et moraux ; il appellera à une réforme en règle au plan social et individuel ; la révolution, à ses yeux, sera une révolution intérieure, une subversion des forces de retard, de stagnation et de division ; et son idéologie sera progressiste, ce qui revient à critiquer tout ce qui, au sein de nos sociétés, s’oppose à l’émancipation des plus vulnérables et à la remise en cause permanente que nécessite le désir de justice et d’inclusion dans un collectif très hétérogène, et tissu de contradictions. La Victime, au contraire, va se focaliser sur les étrangers hégémoniques (Occident) et le système international rendus responsables de notre misère à travers la domination (geo)politique, l’exploitation (géo)économique, les interventions et interférences en tout genre, la destruction ou l’oppression de notre identité par la volonté d’imposer des normes prétendument universelles ; il appellera à un retour à nos valeurs et fondements ; la révolution, à ses yeux, sera une révolution extérieure, une attaque contre les forces du mépris, du pillage et de la manipulation ; et son idéologie sera nationaliste, ce qui revient à mobiliser le peuple autour de l’identité nationale et du combat contre un ennemi fixe et permanent, qui, du point de vue des anciennes colonies françaises, est la France – coalisant toutes les déprédations et toutes les impositions contre lesquelles il convient de se révolter.
Ces deux positionnements entraînent toutes sortes d’implications et de conséquences au plan sociopolitique. Par exemple, le régime politique idéal de l’Autocritique est une sorte de démocratie, c’est-à-dire un régime politique qui reflète le fait que la société est hétérogène et pleine de contradictions ; personne ne détient à lui tout seul toute la vérité, si bien que le débat libre est nécessaire ; et la quête permanente de la justice nécessite une certaine flexibilité et fluidité du pouvoir politique, qui a tendance à stabiliser et ossifier les situations afin de protéger ses détenteurs du jour. Le régime politique idéal de la Victime est une forme de dictature, reflétant le fait que la société est moins importante que la nation, qui est un corps unifié qui a besoin d’un chef ; il y a une unanimité autour des valeurs et fondements, qui ne peuvent être remis en question, car cela saperait l’identité nationale ; et la lutte contre l’étranger dominateur et ses agents intérieurs implique une force, voire une violence ou cruauté du pouvoir, qui doit donc être rigide et concentré.
Le rapport à l’histoire est différent aussi : l’Autocritique cherche dans notre passé aussi bien les sources du retard et de l’entrave que les dynamiques de progrès et de l’émancipation, dans le but de combattre les unes et de s’inspirer des autres – si bien que l’histoire devient la mesure du progrès et des rechutes ; la Victime revit la geste éternelle et exaltante de la lutte entre l’oppression étrangère (occidentale) et de la libération, geste qui n’est jamais achevée, puisqu’on ne peut accepter qu’on a perdu, et reconnaître qu’on a gagné revient à cesser d’exister : la victime ne peut exister sans le bourreau, et donc le bourreau doit toujours exister.
Je précise à chaque fois « occidentale » parce que la psyché de la Victime, en contexte africain, ne reconnaît pas d’autre oppresseur, malgré quelques regimbements contre « les Arabes » (qui ont été de grands négriers) et les « Chinois ». (La psyché de la Victime pense à travers de telles grandes catégories essentialisantes, d’où les guillemets).
On peut trouver des meilleurs termes, bien sûr, que « autocritiques » et « victimes », mais ils décrivent bien le terrain. Et on voit que, par rapport à la réalité africaine, les « autocritiques » sont ce qu’il est convenu d’appeler ailleurs « la gauche », et les « victimes » sont la droite. À cet égard, j’ai toujours trouvé curieux que la gauche occidentale se coalise avec, et écoute plutôt les « victimes » que les « autocritiques », sauf dans les rares cas où les « victimes » vont jusqu’au bout de leur logique et dévoilent des couleurs sur lesquelles il est impossible de se tromper : des gens comme Kémi Séba révèlent alors que « les Africains » aussi peuvent être fascisants. Ce paradoxe s’explique sans doute par le fait que la gauche occidentale est plus préoccupée par sa bagarre avec la droite occidentale que par ce qui se passe en Afrique. Dans cette bagarre, les « victimes » sont plus utiles que les « autocritiques », qui paraissent même encombrants. En critiquant les sociétés africaines, les autocritiques peuvent apporter de l’eau au moulin des doctrinaires de droite en Occident, dans leur quête de validations pour leur racisme et leur arrogance identitaire ; tandis qu’en se prenant à l’Occident comme une entité impérialiste et raciste, les « victimes » confortent plutôt la position d’autocritique à travers laquelle la gauche se définit, tout en jetant une pierre dans le jardin de la droite. De l’autre côté, les « autocritiques » africains peuvent reconnaître une certaine vérité dans les critiques de l’Afrique en provenance de la droite occidentale, mais sans pouvoir y adhérer car ces critiques sont entachées d’un caractère systématique et racisant qui dénote une malveillance foncière vis-à-vis de l’Afrique. De ce fait, il n’y a pas de possibilité d’alliance structurante entre les gauches africaine et occidentale du fait de positionnements stratégiques différents sur leurs terrains respectifs.
La question de la souveraineté se pose différemment du point de vue des Autocritiques et des Victimes. Si les deux sont d’accord sur le fait que, dans le monde comme il va, les diverses entités politiques africaines (États, regroupements régionaux) doivent faire bloc et se tailler une marge d’autonomie propice à la défense de leurs intérêts, ils ne s’entendent pas sur ce que faire bloc implique ; sur ce qu’est l’autonomie ; et sur ce que sont les intérêts. À tous ces niveaux, les Autocritiques sont guidés par l’impératif du progrès et de la justice, les Victimes par ceux de l’identité et de l’adversité. Par exemple, les intérêts, du point de vue des Autocritiques, c’est le bien-être (welfare) des populations, et donc tout ce qui, dans le monde des relations internationales, peut porter du tort à ce bien-être est sujet à contentieux et conflit. Par suite, (1) la critique des relations internationales est nuancée et fine, puisque dans le système d’échanges et de rapports, certaines tendances favorisent le bien-être des citoyens, et d’autres lui portent tort ; et (2) il faut reformer et renforcer les institutions et organisations étatiques et nationales pour leur permettre de soutenir la défense de cet intérêt par une capacité d’agir et de faire pression notable. De l’autre côté, chez les Victimes, les intérêts, sont définis par rapport à l’ennemi : ils sont le contraire de ce que l’ennemi défend. Ainsi, si l’ennemi défend les droits humains, il est de notre intérêt de les attaquer et de s’en débarrasser. L’ennemi essaie perpétuellement de nous dominer et de nous contrôler, l’histoire le montre : pour savoir ce qu’il est important pour nous de faire, il ne s’agit plus que de voir ce qu’il nous demande de ne pas faire. Dans cette optique, le travail intérieur de réforme et renforcement n’est pas essentiel tant qu’on est en capacité de rejeter l’ennemi, soit concrètement par des actes de rupture, soit symboliquement par des actes permettant de l’humilier et de l’embarrasser (au sens où l’anglais parle, en argot, de « to own »). La souveraineté des Victimes est ainsi plus facile à proclamer que celle des Autocritiques. La souveraineté, du point de vue de ces derniers, requiert un plan et une vision stratégique, et donc du travail pour atteindre une fin ; celle du point de vue des premiers peut se contenter d’une navigation à vue et d’escarmouches tactiques, qui n’a pas de fin en vue (comme indiqué plus haut, la défaite est inacceptable, la victoire impossible).
Comme je l’ai indiqué, ces attitudes peuvent être mêlées parmi les groupes et les individus, ce d’autant plus qu’elles n’ont jamais été clarifiées, comme l’ont été les attitudes de gauche et de droite en Occident, par des mobilisations partisanes, des références culturelles bien établies, et une longue histoire de combats et de positionnements par rapport à des enjeux décisifs. Mais il faut reconnaître que la tendance victime est, aujourd’hui, plus puissante que la tendance autocritique au sein des intelligentsias et de la jeunesse africains, quoiqu’elle ne le soit pas au sein de la population générale – ce qui crée une sorte de contradiction entre l’élite pensante et les publics africains. Cette puissance n’est pas récente, mais le fait qu’elle génère pratiquement une pensée unique, une doxa, l’est.
Dans les années 1960, les deux tendances étaient inextricablement mêlées. Il fallait construire des nations indépendantes sur des sociétés modernes, ce qui impliquait de blâmer la « nuit coloniale » (formule d’époque) du point de vue de l’identité nationale (tendance victime) et les héritages régressifs (la triade féodalisme/obscurantisme/parasitisme) du passé « archaïque et arriéré » (autre formule d’époque) du point de vue du progrès social et sociétal (tendance autocritique). Il y avait des slogans tonitruants contre l’impérialisme et des plans de développement qui étaient de véritables projets de société, non de simples programmes électoraux. Les pays étaient dirigés par des partis uniques, mais il y avait plus de pluralisme au sein de ces partis que parmi les différents partis de l’ère démocratique, parce que s’y joignaient des syndicalistes, des féministes, des paysans, etc. – tout cela sous le principe du centralisme démocratique, avec des débats moins libres que dans un contexte libéral, mais plus sincères que sous une dictature.
Cependant, à partir des années 1970, le progressisme a commencé à reculer, sans doute principalement parce que son principal objet, le développement social et politique, était entré dans des blocages et effondrements qui en signalaient l’échec patent. Au Sahel, il y a eu une ultime tentative de le raviver sous Thomas Sankara, au Burkina Faso, mais cela n’a pas réussi. L’échec du développement s’est notamment traduit par l’afro-pessimisme, ce moment délétère (années 1980-90) où l’autocritique était devenue très difficile parce qu’elle renforçait la critique des tares africaines qui provenait d’Occident avec une empathie très limitée (empathie limitée d’ailleurs non pas par malignité ou mauvaise intention, mais parce que l’expérience occidentale – la vie dans la prospérité du capitalisme avancé et ses innombrables et souvent invisibles dividendes – formait une barrière psychologique qui empêchaient une généralité d’Occidentaux de se reconnaître dans ce que vivaient les Africains). Cette période d’humiliation et de sentiment d’être en dernière instance gouverné par des gens qui ne vous comprennent pas et ne peuvent donc vous aimer a alimenté une rancune en sourdine, dans laquelle a infusé la tendance victime – qui, elle aussi, avait été un moment estourbie par la chute du développement (c’est un véritable évènement que cette chute du développement en Afrique, et qui attend son historien). Naturellement, des choses comme les programmes d’ajustement structurel ou les déclarations à l’emporte-pièce de personnalités ou médias occidentaux (en zone francophone, celles de Nicolas Sarkozy sur la France qui n’aurait pas besoin de l’Afrique, ou encore sur l’homme africain qui ne serait pas entré dans l’histoire), ont fourni des preuves empiriques à ce sentiment de marginalisation et de domination. Et si la démocratisation rapprochait l’Afrique de l’Occident au plan des valeurs politiques, il se produisait tout de même un mouvement divergent, au plan des valeurs sociales et sociétales entre les deux entités – particulièrement entre l’Afrique et l’Europe, plus qu’entre l’Afrique et les États-Unis. La psyché africaine (celles des élites surtout) devenait très darwinienne et libertarienne – en actes plutôt qu’en doctrine, ce qui est pire en quelque façon – au plan social, et très conservatrice au plan sociétal, alors même qu’en Europe (plus qu’aux États-Unis) on restait très socialiste au plan social, en dépit de la doctrine néolibérale de l’Union européenne ; et on devenait très « société ouverte » au plan sociétal (tout le tintamarre « LGBT » qui donne des crises d’angoisse aux bons pères de famille de Dakar, Abuja et Lusaka).
Bien entendu, cette division ne sépare pas « l’Afrique » de « l’Occident » comme le voudrait le discours de la tendance victime en Afrique : elle est transversale aux sociétés du monde et indique, de cette façon, que la mondialisation n’a pas seulement approfondi les interdépendances matérielles, elle a créé un public moral sans frontière – particulièrement à l’ère des réseaux sociaux – qui aiguise les affrontements autour des comportements et des valeurs, opposant le plus souvent ceux qu’on peut globalement considérer comme des libéraux-humanistes à ceux qu’on pourrait qualifier de conservateurs-identitaires, et ce à travers la planète, avec des inflexions particulières à chaque contexte. Ainsi, en Afrique, le libéral-humanisme est identifié à « l’Occident » tandis que les conservateurs-identitaires sont ceux qui définissent leurs attitudes et opinions à travers l’essence culturelle de l’Afrique – essence qui peut être islamique dans les sociétés islamisées, chrétienne dans les christianisées, etc. Mais on retrouve des camps similaires à l’intérieur dudit Occident : la seule différence, c’est qu’en Afrique, le camp conservateur-identitaire est dominant, alors qu’en Occident, il y a un équilibre entre les deux camps (même si les conservateurs-identitaires clament que les libéraux-humanistes sont dominants). L’analyse « courte » la plus probante de ce phénomène que je connaisse est un essai de David Brooks, paru dans le New York Times il y a trois ans sous un titre parlant : « Globalization is Over. The Global Culture Wars Have Begun ».
Bref, pour en revenir à notre récit, la vieille tendance autocritique n’a pas récupéré : elle existe toujours, mais elle n’est pas audible et ne fait pas mouvement. Reprendra-t-elle un jour du poil de la bête ? Qui sait ! Je l’espère pour ma part, mais sa tâche a toujours été plus difficile, étant plus concrète et, pour ainsi dire, salissante ; et il lui faut réinventer un autre futur et d’autres lendemains qui chantent, puisque ceux jadis promus et promis – le développement et la modernisation tels qu’on les comprenait en 1965 – sont devenus inconcevables. Pendant ce temps, la tendance victime remplit le vide, s’imposant même parfois à des gens qui appartiendraient normalement à l’autre camp, mais qui se laissent entraîner par le mouvement, car c’est plus simple de ne pas nager à contre-courant, même si ledit courant nous entraîne vers l'abîme.
Au Sahel, au moins, le souverainisme tel qu’il a été récupéré par la dictature a clarifié les choses : pratiquement 100% de ceux qui relèvent de la tendance autocritique – même ceux qui n’en étaient pas tout à fait conscients, mais qui le sont à présent – ont été exclus du système par des voies plus ou moins désagréables : exil, emprisonnement, autocensure stricte et intégrale. Et ceux qui sont de l’équipe victime ont trouvé le régime qu’il leur fallait : militaire et victimaire, avec la posture sur la défensive et le drapeau bouchant l’horizon. Ils sont non pas tant la pensée unique que la seule voix autorisée.
Ce qui nous amène donc au sujet central de cet essai, la bulle souverainiste du Sahel.
La bulle souverainiste du Sahel
Il y a des bulles en politique comme en économie. La bulle est, en gros, un moment d’euphorie collective par rapport à une valeur donnée – soit une marchandise ou un bien en économie, un idéal ou une aspiration en politique – suscité par un évènement isolé, et qui change non pas le réel, mais notre perception du réel. C’est-à-dire qu’aucune valeur supplémentaire n’est ajoutée à la valeur initiale, mais on devient convaincu que la valeur initiale s’est démultipliée, et qu’on est devenu soudain plus riche (bulle économique) ou plus puissant (bulle politique). Mais la bulle finit par crever, nous laissant dans un état groggy, un état de désillusion et de gueule de bois.
En politique, ce processus ressemble parfois aux étapes d’une tragédie grecque, avec un élément déclencheur, le gonflement soudain de l’hubris, et une catastrophe sans remède. C’est ce qui s’est passé au Sahel.
L’élément déclencheur, en ce qui concerne la bulle économique, est un engouement généralisé pour une valeur, si bien que ce qui produit le gain économique pour les spéculateurs, ce n’est pas la valeur elle-même, mais l’engouement qui s’est fait autour d’elle. Dans le cas du Sahel, l’élément déclencheur fut un mouvement de panique – au sens où l’on parle de panique morale, sauf que, dans ce cas, il s’agissait d’une panique politique. La présence apparemment soudaine et ubiquitaire de forces étrangères, qu’il s’agisse d’ailleurs de forces armées ou de « forces » de stabilisation – c’est-à-dire les pourvoyeurs d’aide humanitaire et d’assistance en matière de biens publics – connotées occidentales, a été défini comme une invasion. Une grille de lecture fondée sur des émotions négatives – la peur, le ressentiment, la méfiance, et même, dans certains cas, la haine – a été appliquée à cette sorte d’interférence, se traduisant par des mots clefs alarmistes comme « occupation » et « pillage ». Cette grille de lecture a généré un narratif très adaptatif qui savait, (1) évoluer suivant les évènements pour maintenir et préserver ses thèses centrales, qui pouvaient se résumer comme une sorte de complot occidental contre le Sahel (ces thèses, étant complotistes, voyaient des complots partout), et (2) se couler dans des mentalités très différentes pour obtenir les mêmes résultats. Par exemple, le narratif du pillage : les gens instruits le déclinaient sous la forme, « les Occidentaux (plus souvent, les Français) organisent la destruction de nos pays par les djihadistes afin de faire main basse sur leurs énormes richesses minières » ; mais j’ai une fois interviewé un notable rural qui a appliqué ce narratif à son niveau de compréhension de la réalité, et m’a expliqué que les Français faisaient atterrir des avions près de son village afin d’embarquer le bétail qui leur était pris par les djihadistes. (Il faut savoir que dans la langue du cru le mot pour « richesse » est le même que le mot pour « bétail ». Il est vrai qu’en français, « cheptel » et « capital » ont la même étymologie). Certaines de ces peurs trouvaient leur source dans des traumatismes récents. Toute l’Afrique, et pas seulement le Sahel, a été choquée par la manière dont la France et la Grande-Bretagne, avec le blanc-seing otanesque des États-Unis, ont précipité la chute et le meurtre du colonel Kadhafi, un personnage que l’Occident officiel – pour reprendre la formule de Vladimir Poutine – considérait comme une brute sanguinaire alors que l’opinion générale, sur le continent, était qu’il était ce rare leader africain qui joignait l’acte à la parole dans la promotion de la cause africaine. Cette action a été considérée en Afrique comme un attentat contre le continent. Rien n’a mieux prédisposé les Africains à soutenir Poutine contre l’OTAN. Elle a fait connaître l’OTAN jusque dans les chaumières, et de la plus désastreuse façon. Aussi n’ai-je pas été surpris de recevoir par WhatsApp dès le 28 juillet 2023, le lendemain du putsch de Niamey, une rumeur panique (« transférées plusieurs fois ») circulant dans cette capitale et qui clamait que « les troupes de l’OTAN » allaient être parachutées sur le Camp Bagagi (une caserne qui se trouve au centre de la ville) pour commettre un nouvel attentat anti-africain.
L’apparition de la bulle s’est faite de manière différente dans chacun des trois pays, mais elle a partout obéi à la même logique.
Au Mali, la bulle a précédé le putsch, et elle pouvait potentiellement réaliser les investissements de certains des acteurs – elle aurait très bien pu aboutir, à un moment donné, à une république islamique sous la houlette de l’imam Dicko ; elle devait mener, aux yeux des intellectuels progressistes, à une « refondation » de la nation à travers la démocratie délibérante (c’est de là qu’est venue l’idées d’assises nationales). Il s’agirait-là, pour ces acteurs, de l’acquisition d’une certaine souveraineté : les salafistes disent depuis des décennies qu’étant donné la démographie massivement islamique du Mali, ce pays se devait d’avoir une république islamique, et n’en était empêché que par « la laïcité à la française » (la formule n’est pas tout à fait exacte si l’on considère la pratique malienne de la laïcité, mais ajouter « français » à quelque chose de ce genre permet de le rendre encore plus horrible aux yeux des militants) ; les progressistes et panafricains souhaitaient remplacer la « démocratie à l’occidentale » par une « démocratie endogène », ce qui était là le fin mot de la souveraineté à leurs yeux – même si les linéaments concrets de cette démocratie endogène n’étaient pas très clairs.
Au Burkina, la bulle a accompagné le putsch. Le capitaine Traoré l’a d’ailleurs astucieusement utilisée pour précipiter la chute du lieutenant Damiba, lorsqu’il a fait répandre le bruit que ce dernier comptait faire appel aux militaires français du contingent Sabre pour sauver son pouvoir.
Au Niger, la bulle a suivi le putsch, en grande partie à cause de la réaction maladroite de la Cédéao de Bola Tinubu, un leader mal renseigné sur l’état d’esprit dans le pays voisin (les Anglophones d’Afrique de l’Ouest, en général, ne comprennent pas grand-chose de ce qui se passe dans les pays francophones, et vice-versa).
Lorsqu’une bulle est en pleine activité, elle prend des caractères de réalité impressionnants. L’observateur froid sent que c’est une activité pathologique, un peu comme la spéculation dans le domaine économique. Mais elle donne l’impression de pouvoir produire une réalité nouvelle (ce qui est antithétique avec son caractère de bulle), parce qu’on a tendance à confondre l’unanimisme qu’elle met en scène à grand bruit avec une véritable force socio-politique capable de changer le réel.
Le moteur de cette activité pathologique, c’est l’hubris, une passion exaltée et orgueilleuse, et toujours punie. L’hubris, ce fut ce moment d’ivresse qui s’est produit lorsque les frappés de panique se sont rendus compte qu’ils pouvaient provoquer le départ des « occupants » et dire merde à la France et à la « communauté internationale » (ONU, États occidentaux, organisations régionales et sous-régionales) sans que, apparemment, ceux-ci puissent y faire quoi que ce soit. Ce fut une manière de divine surprise qui a entraîné les Sahéliens dans d’extraordinaires excès d’arrogance amère et exaltée, aussi bien dans le verbe que dans l’action. L’humiliation presque sadique infligée à l’ambassadeur de France, Sylvain Itté, par les putschistes nigériens, est une illustration archétypale de ce moment où nous avons dévoilé notre laid visage de rancune souffrante et de goût d’une vengeance petite, dépourvue de toute noblesse.
L’hubris est un moment étrange, qui mêle, chez celui qui en est atteint, un intense sentiment de puissance à la conviction d’avoir raison sur toute la ligne alors même que ceux qui l’observent froidement de l’extérieur mesurent toute sa faiblesse et toute sa déraison, sans que cependant leur voix teintée de pitié et d’étonnement puisse le toucher. Lorsqu’il est collectif, il se manifeste par une euphorie publique gonflée de vanité absurde. J’en recevais les échos du Niger à l’automne 2023. Un de mes amis, qui n’était pas le moins du monde atteint de la fièvre générale, me décrivait des scènes navrantes, comme ces petits talibés qui s’égaillaient dans les rues en brandissant des drapeaux du Niger, heureux d’être – à ce qu’on leur avait dit – libérés.
Cet hubris populaire a été perçu, à l’extérieur du Sahel, comme la voix du peuple. Petit à petit, et parfois assez rapidement (cas des États-Unis) les puissances qui se disaient championnes de la démocratie, valeur politique que les Occidentaux prétendaient partager avec les Africains, ainsi que la Cédéao, se sont alignées sur ce qui semblait être la volonté générale des Sahéliens. Dans ce moment d’arrogance hubristique, cela ne les a pas protégées des insultes, suspicions et avanies aussi peu diplomatiques que contre-productives. Une « victoire » a été ainsi obtenue sur celui qu’on croyait être l’ennemi : la démocratie, l’Occident, la France, la Cédéao… Mais au fur et à mesure que l’étendue de cette victoire apparaissait, on comprenait qu’il s’agissait, en réalité, d’une terrible défaite (je reviens plus loin sur ce « on »). La bulle commença à faire pschhhttt, et à un moment donné, elle fut crevée par ceux-là même dont elle avait favorisé la prise de pouvoir.
Une bulle crève parce qu’elle n’est pas une vague. La comparaison, ici, peut se faire avec la démocratisation des années 1990, qui était une vague, dans le sens où elle a effectivement changé le réel par rapport aux régimes prétoriens qui étaient en place auparavant. Sous son impulsion, un espace public peuplé d’une presse écrite et audiovisuelle libre et d’associations de défenses de toutes sortes de droits s’est mis en place, des institutions politiques nouvelles sont apparues, y compris un parlement réellement multipartite (contrairement aux parlements de parti unique des années 1960), et un appareillage d’administration d’un état de droit. Les pays sont devenus des républiques, leurs habitants, des citoyens. On sait, bien sûr, tous les problèmes et dysfonctionnements qui sont ensuite apparus, mais la démocratisation n’était pas une bulle, comme elle l’a prouvé en se répandant, en dépit d’obstacles ardus et tenaces, dans des espaces socio-politiques de plus en plus étendus : par exemple, la décentralisation, adoptée par les pays à la fin des années 1990 et au début des années 2000, était surtout l’extension des institutions de la démocratie dans l’espace rural, avec parfois des effets révolutionnaires (par exemple, dans les terroirs encore dominés par des seigneuries et marqués par des infériorités sociales allant jusqu’à l’esclavage – notamment parmi les Touareg et les Peuls – le vote a donné un pouvoir réel à des masses marginalisées par les dominations traditionnelles, au point de déstabiliser et parfois de renverser les seigneuries).
Par contraste, le souverainisme n’a rien créé de neuf. Au contraire, en aboutissant à des dictatures militaires, il a mené à la destruction ou à la déréalisation de ce qui avait été créé trente ans plus tôt.
La bulle souverainiste, en enfiévrant l’opinion générale sahélienne, a attiré des groupes de spéculateurs politiques différents quant à leurs origines sociopolitiques, mais rassemblés par la même adhésion à la tendance victime : les panafricains mouture XXIe siècle, les religieux (musulmans, chrétiens, « traditionalistes »), et les culturalistes (très minoritaires : par exemple, les kémites). Tous espéraient profiter de ce moment pour réaliser leur rêve, et si le rêve n’était pas le même, quelque chose de nouveau aurait pu sortir de cette congrégation hétéroclite si ces différents groupes avaient réellement pu tenir des assises nationales libres. Ce fut l’occasion, très brève, et qui ne s’est présentée qu’au Mali, où quelque chose de similaire aux conférences nationales de 1991-93 aurait pu transformer la bulle en vague souverainiste : car, après tout, la démocratisation du Sahel aurait très bien pu éclater comme une bulle, c’est ce qui est arrivé par exemple à travers l’Afrique centrale à la même époque. La différence entre 1991-93 et 2021-23, c’est qu’alors les militaires avaient été mis sur la touche, alors que cette fois-ci, ils sont aux manettes.
Achille Mbembé a écrit récemment une analyse qui revient à expliquer l’avènement des militaires comme un retour à la situation coloniale : la perte du statut de citoyen et la chute dans celle de sujet. C’est historiquement un peu plus compliqué et intéressant que cela – et il faut remonter à plus loin dans le temps pour comprendre l’ensemble de la dynamique.
Les sociétés sahéliennes d’avant le colonialisme existaient sous deux formes : les communautés politiques acéphales (dans mes écrits, je les appelle coetii, pluriel de coetus, un mot latin qui veut dire « association politique »), et les États-canton, comme les appelait Maurice Delafosse, qui en fait une bonne description. Ces derniers, qui étaient des royaumes ou des seigneuries, avaient une élite trifide, une aristocratie militaire, un collège de prêtres et/ou des marabouts, et une communauté de grands marchands – tous la plupart du temps organisés en lignages. La tête de l’État était occupée par l’aristocratie militaire et son chef.
Cela n’avait rien d’extraordinaire et je ne suis pas, ici, en train de décrire une sorte d’organisation atavique de la société sahélienne. Les sociétés d’ancien régime d’Europe étaient organisées de façon très similaire dans leur structure élitaire : aristocratie, clergé, bourgeoisie – et la participation au pouvoir d’État était normalement réservée à l’aristocratie. (Qu’on se souvienne de Saint-Simon qui reprocha à Louis XIV et à ses ministres non nobles d’avoir imposé un « long règne de vile bourgeoisie », pratique d’ailleurs abandonnée par ses successeurs).
La colonisation a effectivement traité les populations du Sahel en sujets ; et de plus, comme l’indique Mbembé, elle l’a fait à travers un certain primat du militarisme (le Sahel intérieur – du Mali au Tchad – est longtemps resté une sorte de frontier, au sens américain, de l’Empire français – avec ce qu’on pourrait qualifier d’un « long règne de vile soldatesque »). Mais c’est elle, également, qui a introduit dans la région une élite politique civile, qui n’existait pas auparavant – une élite capable de participer et de détenir le pouvoir politique sans exciper de la force militaire ni de la légitimité religieuse, sur la base d’un savoir laïc et de l’esprit de la loi citoyenne. À l’arrivée du colonisateur, il n’y avait, en fait d’États dans le Sahel, que des États religieux (des théocraties) et militaires (des statrocraties), voire un mélange des deux (l’Almamy Samory Touré et ses Sofas), mais aucun État civil. À son départ, il n’y avait que des États civils, ou du moins qui aspiraient à l’être et à le demeurer.
Par suite, l’histoire politique du Sahel indépendant peut se lire comme une lutte titanesque entre ces deux élites, les militaires et les civils. Les militaires ont l’avantage de posséder les armes, les civils ne peuvent se reposer que sur les normes héritées de l’État civil métropolitain (la France en ce qui concerne le Sahel, d’où l’importance de la référence « républicaine », et notamment l’injonction faite à l’armée d’être républicaine). Il y a, de fait, quelque chose d’« endogène » (suivant le sens pseudo-identitaire que la tendance victime donne à ce terme) dans le pouvoir militaire au Sahel : en tout cas, comme l’autorité maraboutique, auquel il s’associe volontiers (c’est, de façon spectaculaire, le cas en ce moment dans les trois pays), il bénéficie d’une mémoire historique plus longue dans la région.
Le pouvoir civil a été attaqué dès 1963 au Niger, par un leader militaire, trois ans seulement après l’indépendance ; en 1966, le pouvoir militaire s’est imposé au Burkina (Haute-Volta) ; puis en 1968 au Mali. Il s’est finalement installé au Niger en 1974 et au Tchad, l’année suivante. Si on totalise les nombres d’années de pouvoir militaire contre les nombres d’années de pouvoir civil dans les trois pays, et surtout si l’on admet que le pouvoir de Blaise Compaoré était en réalité plus militaire que civil, les militaires ont régné pendant plus de temps dans les trois pays que les civils, depuis l’indépendance. Le pouvoir militaire s’est aussi toujours imposé plus facilement à la population, non seulement parce qu’il fait peur – car c’est un pouvoir basé sur le commandement, non la loi – mais aussi parce qu’il suscite certains naïfs préjugés favorables parmi les masses. Cela n’est certes pas particulier au Sahel, mais j’ai toujours été frappé par des faits banals, et révélateurs par leur banalité même, comme ceci par exemple : les véhicules de transport public au Sahel (Mali, Niger, Burkina) sont souvent ornés de macarons portant le portrait de personnes célèbres. Dans l’ordre des figures de leadership, seuls sont représentés sur ces vignettes des chefs militaires et des marabouts, jamais des leaders civils. Je ne crois pas que ce genre de choses renvoie à un héritage colonial : cela remonte à notre ancien régime – et contrairement aux Français, nous n’avons pas fait de révolutions.
Par exemple, je disais : pouvoir basé sur le commandement, non la loi. Aujourd’hui, pour dire « loi » en haoussa, on utilise le mot doka. Mais la doka n’est pas une loi, c’est un édit, voire un oukase. Dans le système étatique haoussa, il n’y avait pas de lois au sens où on l’entend aujourd’hui. Il y avait des coutumes (al’adu) et des commandements (doka). Aujourd’hui, avec leurs législatures factices, voire pas de législature du tout (Niger), les pays du Sahel existent largement sous l’égide de l’oukase plutôt que de la loi. Il n’y a pas longtemps, la junte de Niamey a pris une décision exposant à de lourdes peines toute personne qui accueillerait un étranger suspect. Cela m’a aussitôt fait songer à une comédie haoussa qui passait souvent à la télévision nigérienne dans les années 1980, et qui illustrait le pouvoir ubuesque des princes d’ancien régime, Sarki ya hanna sabkan bako, « Le roi a interdit d’accueillir des étrangers ». (Le comique de l’affaire étant qu’un monsieur a reçu par erreur un étranger et essaie d’échapper à la punition en le cachant dans une malle – d’où une série de quiproquos).
Dans cette perspective, il n’est pas surprenant que lorsque les militaires ont finalement voulu asseoir leur pouvoir, ils ont eux-mêmes crevé la bulle. Les intellectuels francophones, qu’ils se disent progressistes, révolutionnaires, panafricains ou autre, ont été plus ou moins brutalement marginalisés, car ils font partie de l’élite civile, exogène par rapport au vieux système élitaire sahélien et surtout, capables, si on leur lâchait la bride, de recommencer des revendications et des critiques sur la base des normes de l’État civil. Ceux, parmi eux, qui ne s’étaient pas soumis ont été attaqués comme étant des « apatrides », des agents de la France et de l’étranger ; ceux qui se sont soumis ont néanmoins été humiliés et réduits à l’état de citron qu’on presse et jette, comme les premiers-ministres du Mali et du Burkina. En revanche, des liens étroits ont été établis avec les religieux (y compris chrétiens), qui incitent la population à la patience et à la soumission.
Gueule de bois
Aujourd’hui, la bulle a complètement crevé. Les pays sont dirigés par une faction militaire entourée d’une clientèle et de tous ceux que satisfait l’apparent triomphe de la tendance victime ; et le reste de la population est tombé dans l’état de sujets, privés de représentation politique, d’espace public, et de l’initiative citoyenne dans le cadre d’une société civile. Et malheureusement pour elle, s’il était possible de s’agiter sans fin contre des dirigeants civils dans un cadre démocratique que l’on croyait sans valeur, il paraît trop dangereux de s’opposer à des militaires insensibles à la loi et détenteurs de la force brute, à qui on a imprudemment passé toutes les transgressions jusqu’à ce qu’ils se trouvent en capacité d’opprimer et de réprimer sans entrave.
Aujourd’hui que la bulle a crevé, l’opinion générale (c’est elle, le « on » à qui j’ai fait allusion plus haut) est dans une sorte de stupéfaction face à la catastrophe qu’elle a elle-même provoquée :
Inexorables dieux, qui m’avez trop servi
À quels mortels regrets ma vie est réservée !
On parle de « mode résignation », de « allons seulement ». Mais la résignation n’est probablement qu’une phase. Personne n’aidera les Sahéliens à retrouver leur liberté perdue. Les Occidentaux feignent de croire qu’ils désirent avoir sur l’échine cette botte militaire, et du reste, ils n’ont jamais vraiment cru que les Sahéliens étaient capables de démocratie ; la Cédéao n’est plus qu’une vue de l’esprit : elle a été véritablement vaincue, surtout parce qu’elle n’a pas voulu se battre. Aujourd’hui, les dangers apparaissent, qui la mineront. Le président bissau-guinéen a chassé sa délégation, qui voulait le persuader de régler les nombreux contentieux qui l’opposent à ses adversaires politiques – et il s’est rapproché de Poutine, le patron des dictateurs. Au Togo, le ministre Dussey, qui se pose, dans son site web, en panafricain victimaire (il s’est fendu récemment d’un discours anti-occidental où il se dit « fatigué » de se voir imposer des choses par l’Occident, dans un Togo que ledit Occident a pourtant laissé mijoter en paix dans sa dictature néronienne), veut rejoindre le club des juntes du Sahel – avec, à la clef, la mise à disposition du port de Lomé ; mis en appétit par le même juteux marché, Mahama, le nouveau président démocratiquement élu du Ghana courtise les juntes, avec sans doute en tête les retombées possibles pour les ports d’Accra et de Téma – ceci, dans un pays où une jeunesse frustrée admire « le président IB » (le dictateur du Burkina) et se raconte des histoires dorées sur le despote militaire Jerry Rawlings.
Mais ce n’est pas la fin de l’histoire. Malgré leur peur du béret et les legs de l’histoire, les Sahéliens se sont soulevés à plusieurs reprises contre un pouvoir militaire, au moins au Burkina Faso et au Mali ; et parmi les militaires même il y a des « civils » ou, plus précisément, des républicains, qui se taisent ou parfois – au Burkina surtout – sont « purgés ». Le discours est en train de changer, au point que même la France apparemment honnie retrouve des sympathies. Ce genre de chose annonce toujours un changement dans les opinions et les attitudes. Si les juntes ne s’adaptent pas en changeant à temps de trajectoire, une convergence dangereuse peut se faire entre une colère populaire de plus en plus expressive, et les risques accrus d’un coup d’État républicain. Après tout, au Sahel, il n’y a jamais de coup d’État sans une effervescence préalable de l’opinion générale – ce qui explique un phénomène qui étonne toujours les observateurs étrangers, la « popularité » de ces putschs. C’est qu’ils sont littéralement des putschs populaires, c’est-à-dire répondant aux vœux de la population ; et lorsqu’ils ne le sont pas, la population le fait savoir, comme cela est arrivé à Gilbert Diendiéré en 2015. Si les militaires républicains se tiennent présentement à carreau, c’est que la population n’a pas encore manifesté le degré nécessaire de mécontentement et de colère. Elle est encore en mode résignation : mais ce serait une erreur de croire qu’elle y serait éternellement.
Les autres Sahéliens
Pour finir, quid du Sénégal et du Tchad ?
Le Sénégal est un cas intéressant. Il n’a pas connu de bulle souverainiste – les causes qui ont généré ce phénomène au Sahel intérieur n’y existaient pas – mais a porté au pouvoir un parti souverainiste. L’intéressant, peut-être, dans cette affaire, c’est qu’il n’y a qu’au Sénégal qu’il y a un parti souverainiste. Je ne sais pas pourquoi, je n’ai pas étudié la question, mais cela reflète en tout état de cause la sophistication et la complexité de la scène politique sénégalaise. D’ailleurs, ce n’est pas parce qu’il est souverainiste qu’il a gagné l’élection, détail qui nous ramène à quelque chose que j’ai dit au début de cet essai à propos de la contradiction entre le public et l’élite pensante. Les Sénégalais, comme d’ailleurs les populations du Sahel avant leur fièvre souverainiste, veulent de la bonne gouvernance et un leadership pas trop sale – au minimum. Ils ont voté Pastef parce qu’il leur a promis ces deux choses, pas à cause de la souveraineté. C’est exactement la même raison pourquoi John Dramani Mahama a gagné l’élection au Ghana. J’étais au Ghana en juillet, et le discours public s’était braqué contre le président Akufo-Addo de façon similaire à ce qui s’était passé naguère au Sénégal contre Macky Sall (même si Sall l’a plus cherché, comme on dit, que Akufo-Addo). En décembre, lors d’un séjour prolongé à Dakar, j’ai constaté que le public commence déjà à exiger plus de résultats de l’équipe au pouvoir dans ces domaines, avec une certaine virulence. Le Pastef promeut, cependant, toujours la cause souverainiste, tendance victime, et lors de mes nombreux déplacements en taxi, j’ai pu constater que les ondes radio étaient inondées par des débats ou, le plus souvent, des monologues passionnés sur la traite négrière et le camp de Thiaroye. Le Pastef dit qu’il fait du souverainisme de gauche – sans doute parce que l’anti-impérialisme est marqué à gauche : mais si cela est vrai dans le contexte occidental, j’ai tâché de démontrer plus haut que cela n’est pas automatiquement le cas dans le contexte africain. Surtout lorsqu’on fait de l’anti-impérialisme poussiéreux, plus soucieux des empires du passé que de ceux de l’heure – USA, Russie, Chine. Et pendant qu’on consacre des temps d’antenne exorbitants aux crimes esclavagistes du XVIIIe siècle (lesquels sont, par ailleurs, attribués exclusivement aux « Blancs »), il y a encore des assujettis traditionnels au Sénégal et à travers tout le Sahel sur lesquels c’est silence radio.
Le Tchad aurait pu connaître une bulle souverainiste, mais il me semble qu’en essayant d’en créer une artificiellement, le président Déby l’a définitivement empêchée d’éclore. Déby a observé les dividendes politiques que ses collègues militaires du Sahel central ont retiré du souverainisme dégagiste anti-France et s’est dit, « pourquoi pas moi ? ». Sauf que ce n’est pas du tout la même configuration. Ici, le souverainisme risque d’être discrédité aux yeux des Tchadiens du fait de son instrumentalisation par leur président peu aimé. Et en rompant avec la France, à qui on reprochait surtout de le soutenir, il risque plutôt de lui rendre service auprès de l’opinion générale tchadienne. (Cela servira-t-il cependant de leçon à la France, qui n’a jamais le courage de couper les ponts avec les despotes africains, bien qu’elle en paie le prix fort auprès des peuples ? Je ne pense pas.)
PAR SANKOUM FATY
HONORABLES DÉPUTÉS, VOUS VOUS ÊTES TROMPÉS DE CIBLE
Il est paradoxal dans un État de droit que de voir légitimer des actes de violence quasi-insurrectionnels soldés par l’incendie des archives universitaires, anéantissement des fonds de commerce privés, domiciles, biens publics...
La proposition de loi dite « interprétative » en plus des incohérences de fond et de forme que nous avons soulignées dans un précédent post, cible effectivement les membres de forces de défense et de sécurité comme l’ont souligné dans les médias, plusieurs observateurs avertis et non avertis animateurs des ‘wax sa xalaat’.
Poussant leurs analyses, ils estiment sans exagération aucune, que la proposition de loi tend à protéger et récompenser les casseurs et sanctionner les membres des FDS.
L’allusion y est évidente à ces derniers qui, dans le cadre de l’exercice de leurs fonctions d’agents chargés de l’application des lois, pourraient être amenés à commettre les crimes et délits visés.
Il est paradoxal dans un État de droit que de voir légitimer des actes de violence quasi-insurrectionnels soldés par l’incendie des archives universitaires, anéantissement des fonds de commerce privés (magasins , stations services), domiciles, biens publics etc..
On est hors la loi quand on commet des « infractions dans l’exercice d’une liberté publique ». Ils ont raison, ceux qui disent que vous créez une discrimination (partisane) entre les auteurs d’infractions qui ont une motivation politique et ceux, comme les Forces de déffense et de sécurité qui ont une motivation professionnelle d’agents de l’Etat chargés de la mission régalienne de maintien de l’ordre public conformément à la loi voté par votre institution.
En effet la loi 70-037 du 13 Octobre 1970 relative à l’usage des armes et à l’emploi de matériel spécial de barrage par les militaires de la gendarmerie et les membres des forces de police permet le recours à cette force extrême dans les conditions qu’elle fixe.
Si on sait que les membres de ces Forces de déffense et de sécurité dans le cadre des textes réglementaires sur leur emploi ( décret 74-571 du 13 Juin 1974 pour la gendarmerie) appliqués au maintien de l’ordre, sont soumis à un régime implacable de sanctions tant disciplinaires que pénales en cas de faute, on se passerait bien d’une initiative parlementaire aussi controversée.
PAR PAPE ALÉ NIANG
REDDITION DES COMPTES, NE PAS COMMETTRE LES ERREURS DES PRÉCÉDENTS RÉGIMES
Le ministre de la Justice est bien conscient de la complexité de ces dossiers financiers. Leur traitement n’est pas aussi simple. Et trop de communication peut avoir un effet boomerang
Personne ne peut être contre la reddition des comptes. La culture de la reddition des comptes doit être encouragée à tous les niveaux de la société. Cela nécessite un engagement fort à promouvoir l'éthique et l'intégrité dans le secteur public, ainsi qu'une sensibilisation continue du public aux questions de corruption et d'abus de pouvoir. Elle est un élément fondamental de toute société démocratique ancrée dans la bonne gouvernance. La reddition des comptes assure la transparence, la responsabilité et l'intégrité au sein des institutions publiques. La poursuite en justice des personnes soupçonnées de corruption, de concussion ou autres prévarications portant sur des deniers publics est considérée comme une mesure nécessaire pour décourager de telles pratiques.
Mais il ne faut jamais se tromper d’objectifs et surtout ne pas commettre les erreurs des précédents régimes. Le plus récent est celui du président de la République sortant Monsieur Macky Sall. Tout un tintamarre médiatique a été orchestré autour de la CREI (la Cour de répression de l’enrichissement illicite) suscitant beaucoup d’espoir auprès des populations. Au bout du compte, l’affaire s’est dégonflée comme un ballon de baudruche. Combien de millions, pour ne pas dire de milliards, ont été dépensés dans le procès-traque de Karim Wade ? Nous avons même entendu un avocat péremptoire déclarer : « En une semaine, si l’État me donne les moyens, je vais retrouver les milliards planqués à l’étranger par Karim Wade. »
Monsieur Antoine Diome, à l’époque agent judiciaire de l’État, a fait le tour du monde avec ses commissions rogatoires. Les résultats ont été nuls. Un zéro pointé. Les Sénégalais ont été tenus en haleine par un procès fortement médiatisé. Karim fut condamné à 6 ans de prison ferme et 138 milliards de francs CFA d’amende pour enrichissement. Après 3 ans d’emprisonnement, il fut libéré et exilé de force à Doha dans des conditions jamais élucidées. Pire, les autres dignitaires du régime de Wade qui étaient sur la liste de la CREI ont été tout simplement oubliés. Et pour cause, soit ils ont transhumé à l’APR ou se sont rapprochés du président d’alors, Macky Sall. Karim Wade n’a pas versé un seul franc dans les caisses de l’État. Et rien n’a été recouvré. Que des miettes : Un terrain sur la corniche, les appartements d’Eden Roc appartenant à Ibrahima Aboukhalil, alias Bibo Bourgy, que des pontes de la République se sont vite partagés…
D’ailleurs, suite à une plainte de Bibo Bourgy, dans le même dossier, l’État du Sénégal a été condamné définitivement par la chambre commerciale internationale de la cour d’appel de Paris à verser à l’homme d’affaires franco-sénégalais, d’origine libanaise, la somme de 168,5 milliards en guise de dédommagement, outre les intérêts. C’est dire qu’en matière de reddition des comptes, la CREI a été en réalité une véritable escroquerie. Et le régime de Macky n’osera jamais dire combien ils ont dépensé dans cette traque. Bien au contraire. Sinon elle n’a servi qu’à enrichir d’autres personnes. D’où la question : doit-on privilégier l'emprisonnement des détourneurs de biens publics ou plutôt se concentrer sur l'objectif principal de les récupérer parce qu’indûment acquis ? Tout d'abord, il est important de noter que l'emprisonnement ne garantit pas toujours le recouvrement des actifs acquis indûment. Même si des individus sont condamnés et purgent une peine d’emprisonnement ferme, cela ne signifie pas nécessairement qu'ils restitueront leurs biens mal acquis.
S’y ajoute que nous sommes dans une société très complexe. Nous assisterons bientôt à des interventions pour plus de clémence dans le traitement des dossiers. Bon nombre de pontes de la République écroués actuellement à Rebeuss finiront au pavillon spécial, loin des affres de nos prisons peu conformes pour ne pas dire du tout aux normes internationales en la matière. Qu’on le veuille, le reconnaisse ou pas, l’État prêtera une attention toute particulière à ces détenus.
Le ministre de la Justice est bien conscient de la complexité de ces dossiers financiers. Leur traitement n’est pas aussi simple. Et trop de communication peut avoir un effet boomerang. Car à coup sûr, les Sénégalais demanderont des comptes sur tous les dossiers médiatisés. Dans cette optique, il est important de privilégier d'autres approches pour assurer une reddition des comptes efficace. Raison pour laquelle, à l’Assemblée nationale, le ministre de la Justice avait évoqué la possibilité d’une médiation pénale. Plutôt que de se concentrer uniquement sur l'emprisonnement des présumés coupables, l'accent doit être mis sur l'établissement de mécanismes efficaces pour identifier, geler et récupérer les biens mal acquis.
Le toilettage des textes sur la médiation pénale est impératif en ce sens que dans sa formulation actuelle par les dispositions de l’article 32 du Code de procédure pénale, ce mode de règlement des procédures ne semble pas permettre la prise en compte des infractions qui ont fortement troublé l’ordre public. En effet, le législateur sénégalais a toujours voulu apporter une réponse ferme à ces genres d’infraction, notamment en interdisant la mise en liberté provisoire d’office et en prolongeant les délais de prescription. En conséquence, le changement du dispositif législatif en matière de médiation pénale parait aujourd’hui plus que nécessaire. En effet, pour sacrifier à ce besoin de transparence des populations dans le traitement des dossier judiciaire, l’opinion doit être informée afin d’éviter certaines pratiques du passé qui ont conduit tout bonnement à l’échec.
Pour réussir dans cette optique, il est essentiel de disposer d'institutions solides, indépendantes et transparentes. On nous avait vendu la CREI. On connaît la suite de l’histoire. Aujourd’hui, cette même CREI a été transformée en pool judiciaire financier. Son efficacité sera jugée sur pièce. La reddition des comptes est donc obligatoire pour promouvoir la transparence et l'intégrité au sein des gouvernements et des institutions publiques. Mais l'approche ne doit pas être uniquement axée sur l'emprisonnement car l'objectif principal est de récupérer l'argent volé et les biens indûment acquis
Par Baba DIOP
NIOKHI FOON
Ton’s était tout heureux. Et même plus. Son fils, l’unique, le plus beau, était venu lui annoncer après six ans de mariage, enfin la naissance de celui qui désormais sera son petit fils et qui portera son nom.
Ton’s était tout heureux. Et même plus. Son fils, l’unique, le plus beau, était venu lui annoncer après six ans de mariage, enfin la naissance de celui qui désormais sera son petit fils et qui portera son nom.
Tons oubliant ses marakiss était parti à toute allure trouver Tata dans la cuisine pour la mettre au parfum. Tata se mit à danser le « Moulaye Tieuguine » écumoire haut levé. Elle dansait à en perdre le mouchoir de tête laissant découvrir ses gris-gris multicolores emmêlés dans ses tresses. Tata avait raison de danser, car toutes ces années-ci, elle avait fait le tour des faiseurs de miracles siphonnaient son « nafa ». Mais le résultat est là, se dit-elle.
Le jour du baptême du nouveau-né, Ton’s mit ses plus beaux atours : une chemise à plastron, un boubou palmane serti de points ajourés, son bonnet carré rouge hissé au sommet du crâne. Ton’s se dandinait, bombant le torse sous le froufrou de ses habits. Qu’il est beau Ton’s, quand il s’y met. Tata sortit ses « libidor » pour donner le change à Ton’s. Comme tous les baptêmes au mois de ramadan, la lambada se fait après le ndogou. Ton’s exigea de prier avant de manger et de se contenter de deux ou trois dattes comme mise en bouche. Il y eut des grommellements. Ton’s prit l’initiative de diriger la prière. Au premier rakka, alors que les fidèles avaient le front collé au sol, se pointa le fou du quartier, Niokhi foon, une grosse pierre en main, vociférant : « Niokhilène sen poss. Kou sigui ma doore, kou sigui woul ma door ». Et Ton’s de tirer sur le boubou de celui qui faisait office de Naïm pour lui glisser à l’oreille : « awama wéthite cotisélema ma »
Par Alpha Amadou SY
QUAND DONALD TRUMP RENIE L’HÉRITAGE DES LUMIÈRES ET FISSURE L’OCCIDENT
Sans revenir ici avec Georges Corm sur les divers récits mythologiques sur la naissance de l’Occident, il importe d’attirer une attention soutenue à des moments cruciaux dans la consolidation de la notion d‘Occident
Dans le contexte actuel où s’opèrent des mutations géopolitiques indéniables, cette interrogation de Georges Corm retrouve un regain d'intérêt : Comment un terme banal d’orientation géographique et astrologique, soit le mot « Occident », a-t-il pu devenir une aussi redoutable frontière de l’esprit, plus infranchissable que toutes les barrières naturelles séparant les sociétés ; un producteur de sentiment très variés d’altérité radicale ; un slogan porteur de tant d’espérances humanistes mais aussi de nombreuses réactions de révulsion ? »
Sans revenir ici avec Georges Corm sur les divers récits mythologiques sur la naissance de l’Occident, il importe d’attirer une attention soutenue à des moments cruciaux dans la consolidation de la notion d‘Occident.
Parmi ces tournants, il est parfaitement pertinent de retenir le triomphe de la Révolution française. Sa portée a été telle qu’elle a été saluée par le puissant philosophe allemand Hegel comme un magnifique lever de soleil en tant qu’elle témoignait de l’avènement d’une constitution désormais érigée surl’idée de droit. Plus prosaïquement, tout qui ne relevait pas de la raison était désormais déclarée nulle et non avenue !
Cependant, les principes constitutifs de l’État de droit, produits du rationalisme philosophique, véhiculaient déjà un dualisme préjudiciable au triomphe d’une République des citoyens que prétendait consacrer le triomphe de la Révolution de 1789. Ce dualisme, aux accents d’une contradiction quasi insoluble, se déclinait en termes d’opposition entre le droit de propriété et le principe de l’égalité dont les principaux antagonistes sont,respectivement, les Girondins et les Jacobins..
Leurs luttes fratricides déboucheront à la répression du 9 - ème thermidor qui restaure la primauté du droit de propriété et réhabilite la bourgeoisie libérale.
Dans cette mouvance, s’enclenche une relation étroite, qui frise l’osmose, entre l’économie de marché et l’État de droit, marques déposées du monde dit libre. Et ce univers, qui renvoie à l’Occident, n’est pas seulement libre mais il est aussi le seul à visage humain car ayant l’apanage de la Civilisation dont les critères sont exclusivement la science, la technique et le christianisme. Partant, tous les autres peuples hors de l’espace occidental sontravalés au rang de sauvages et de barbares. De cette bipolarisation naît la mission civilisatrice dont l’objectif déclaré est d’apporter aux indigènes les lumières, afin de les aider à se libérer du naturalisme dans lequel ils végètent.
Mais, comme pour rétablir l’ordre des raisons, cet ethnocentrisme, qui a accompagné en Europe toute la période d’accumulation primitive du capital, sera pris à partie par l’anthropologie culturelle américaine qui met en fonction la notion de relativisme culturel. Précisément, les animateurs de cette école, parmi lesquels Melville Herskovits, fustigent le projet anthropologique européen, en tant que prétention des Européens à juger les autres cultures à partir de catégories systématiquement connotées par leur propre vécu.
Cette critique a trouvé son prolongement dans le souci publiquement exprimé en 1947, par le Bureau Exécutif de l’American Anthropological Association, de voir comment la Déclaration des Droits de l’Homme en perspective, pourrait « être applicable à tous les êtres humains, et ne pas être une déclaration de droit conçue uniquement dans les termes des valeurs dominantes dans les pays d’Europe occidentale et d’Amérique ? »
En officialisant cette extension des droits de l’homme aux peuples colonisés, les USA en ont tiré une double dividende. Outre leur accès aux marchés jusqu’ici chasses-gardées de la vieille Europe, ils fortifient le monde occidental dont ils prennent le leadership. Du coup, ils s’installent dans une meilleure posture pour rivaliser avec l’URSS, laquelle, en prenant parti pour le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, s’impose comme l’alliée naturelle des pays en lutte pour leur indépendance.
Pour réaliser l’enjeu de cette prise de position, il convient de rappeler que l’alliance conçue pour vaincre le nazisme n’a pas mis un terme à la bipolarisation du monde. Au contraire, la Conférence, tenue à Yalta en 1945, dessine une carte géopolitique qui cristallise la réalité des deux blocs d’une forte adversité comme en témoignent les conflits qui ont émaillé la « guerre froide ». Le mythe d’un Occident, incarnation du monde dit libre opposé au camp socialiste, conçu comme l’empire du mal, s’incrusta dans bien des consciences.
Et la Conférence de Bandoeng de 1955 ne se contentera pas seulement de prendre acte de l’existence de ces deux pôles ; elle en a ajouté un autre, celui des Non-alignés.
Rappelons que, dès la fin de la seconde conflagration mondiale, l’Europe, qui en est sortie éprouvée, n’avait trouvé de mieux à faire que de se mettre docilement sous l’aile protectrice des Américains. En témoignent l’adoption du Plan Marshall pourle financement de sa reconstruction, l’adhésion à l’OTAN pour sa couverture sécuritaire et sa dépendance de l’industrie des armes de la nouvelle puissance économique, politique et militaire.
L’ordre issu du cycle dessiné par Yalta 1945 sera de rigueur jusqu’à effondrement du Mur de Berlin, en novembre 1989. Cependant, l’éclatement de l’empire soviétique laisse tout de même subsister une Russie suffisamment forte pour hanter la nuit des Occidentaux, toujours persuadés d’être les seuls porteurs des valeurs du monde libre. Cette conviction alimente le recadrage de la carte géopolitique mondiale. Ainsi, la théorie du fossé, née aux États-Unis, sera mise à contribution pour militer en faveur de la démocratisation des pays non-occidentaux. La sommation issue du Sommet de la Baule, en 1990, reste une version francophone de cette nouvelle stratégie géopolitique.
En dépit des tumultes et contradictions intérieures au camp occidental, tous les leaders, européens comme américains, ont scrupuleusement veillé à préserver cette identité de l’Occident. Mais, il reviendra à Donald Trump de franchir le rubicond par des mesures draconiennes qui participent de la partition de l’Occident. Ainsi, s’inscrivant en porte-à-faux contre le principe sacré du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, à la proclamation duquel ses propres compatriotes anthropologues avaient apporté un précieux concours, il nourrit le projet d’annexer le Groenland et de faire du Canada le 51 -ème Ètat des USA.
Pire, convaincu que les Européens ont toujours fait de son pays leur vache à lait, Donald Trump les met en demeure de contribuer désormais à leur propre sécurité sous peine de les sevrer de toute assistance. Dans cette mème dynamique, il déclenche la guerre commerciale contre ses alliés, au risque même de porter préjudice aux citoyens américains.
L’Europe est d’autant plus meurtrie que ces mesures s’opèrent à partir d’une lecture déroutante qui autorise Donald Trump à laver de tout soupçon Vladimir Poutine pour désigner Volodymyr Zelensky comme président d’un pays agresseur. Cette prise de position sans précédent dans l’histoire qui porte le mythe de l’Occident, assortie d’une menace de quitter l’OTAN, a inspiré cette réflexion à Ursula Von Der Leyen, Présidente de la Commission européenne, : « L’Europe fait face à un danger clair et immédiat d’une ampleur qu’aucun d’entre nous n’a connue dans sa vie d’adulte … L’avenir d’une Ukraine libre et souveraine, d’une Europe en sécurité et prospère, est en jeu ». Aussi a - t-elle mis en demeure l’Europe de se « réarmer »,
Toutefois, cet appel au réarmement est plus facile à lancer qu’ à traduire dans les actes car, en plus des questions financières, juridiques et stratégiques, la concordance des avis reste une épineuse équation Il s’agit notamment de se demander comment trouver des plages de convergence entre la France, l’Allemagne et l’Italie qui ont des prétentions à faire prévaloir, la Turquie aux dents longues et l’Angleterre dont la sortie de l’Union européenne commande une singulière mode de coopération.
Cette interrogation en soulève cette autre : en attendant de faire prospérer ses propres industries d’armement dans quel pays l’Europe pourrait-elle se procurer des armes ? Le penchant de Trump pour la Russie conjugué aux coûts élevés des droits de douanes n’oblige-t-il pas les Européens à tourner le dos aux Américains qui en étaient jusqu’ici leurs principaux fournisseurs ?
En tout état de cause, l’Europe, qui avait déjà étalé sa fragilité avec ses milliers de victimes de la COVID 19, est dans une tourmente qui l’oblige à mener sa lutte d’émancipation.
Quant à Donald Trump, en mettant au rancart le rationalisme philosophique, lequel avait présidé à l’élaboration des principes de droits de l’homme, il est entrain de décliner un ordre fondé sur la puissance et la gloire. Sans coup férir, il reprend à son compte les méthodes prédatrices qui ont présidé à la conquête du Far West dont l’esprit guerrier est condensé dans cette chanson qui accompagne le feuilleton Dallas : « Dallas glorifie la loi du plus fort/ Malheur à celui qui ne l’a pas compris ».
De toute évidence, la montée de l’extrême droite, sous la houlette des leaders de la trempe de Trump, promeut la loi de la jungle au détriment de toute forme de rationalité. Ainsi, les faibles sont mis en demeure de se soumettre sous peine d’être exterminés. Dès lors, la curiosité est de savoir dans quelle mesure les peuples auront-ils cette intelligence positive de cette dynamique pernicieuse qui les permettrait de se mobiliser en renouant avec l'idéal de liberté, d’égalité et de fraternité.
par Amadou Diaw
ET SI L’ON ESSAYAIT LE TRAVAIL
EXCLUSIF SENEPLUS - Le silence, souvent perçu comme une simple absence de bruit, revêt en réalité une profonde signification dans nos vies. Il est un lieu de régénération propice à la réflexion, à l’introspection
Lorsque les murmures de l’ignorance se muent en clameurs assourdissantes, c’est alors que la voix de la sagesse, celle des sachants doit se faire entendre.
Le silence, souvent perçu comme une simple absence de bruit, revêt en réalité une profonde signification dans nos vies. Il est un lieu de régénération propice à la réflexion, à l’introspection.
Dans le tumulte de nos existences modernes, marquées par un flot continu d’informations et de sollicitations, le silence apparaît comme un refuge précieux.
Cette nécessité d’une cure de silence s’applique particulièrement aux politiques, nouveaux et anciens dirigeants, aux divers acteurs de notre espace, presse, société dite civile, universitaires, chroniqueurs, etc. Tous parlent souvent, et fort. Ils semblent aussi souffrir de surdité, surtout lorsque vous ne partagez pas leurs idées. Plusieurs d’entre eux, occupent des stations qui influent directement sur le devenir de notre pays.
La capacité à prendre des décisions éclairées dépend en grande partie de la capacité à se déconnecter du tumulte extérieur pour se connecter à notre intériorité. Le silence offre souvent, un espace de recul précieux pour questionner nos motivations profondes, évaluer l’impact de nos actions et réaligner nos valeurs sur l’intérêt commun.
Et surtout, remettons la valeur « travail » au cœur de nos vies.
Oui, ensemble, observons une cure de silence et essayons nous au travail.
PAR Ibou Fall
LA LOI D’AMNÉSIE
Hier dénoncé comme un "coup d'État constitutionnel", le texte devient aujourd'hui le prétexte idéal pour désigner de nouveaux coupables. Qui aurait cru que l'amnésie collective pouvait être aussi sélective ?
Cette semaine, c’est Amadou Bâ, le député de Pastef venu de Thiès, qui se retrouve en haut de l’affiche. Ce n’est pas rien, surtout la huitaine où le chef de l’Etat, Bassirou Diomaye Faye, se rend à Touba pour y rencontrer le khalife auquel il transmet également, et c’est sans doute une première dans les annales, les salutations de son Premier ministre. C’est de notoriété publique, parmi les occupants du Petit Palais, il est «le meilleur de tous les temps», dont le marabout réside à Darou Moukhty et auquel le Président Diomaye Faye fera l’honneur de rendre visite dans la foulée.
C’est également la semaine où Madame le «gros calibre» des Affaires étrangères se présente devant la Représentation nationale pour répondre aux questions des députés, dont les exagérations de Guy Marius Sagna sur le sort des trois travailleurs de la Francophonie qui en sont finalement cinq. Après son show télévisé, Madame le «gros calibre» de l’Intégration africaine s’offrira une expédition en Mauritanie pour papoter avec les autorités du pays voisin à propos du sort de nos compatriotes qui y résident. On y aurait tendance à les confondre avec les délinquants qui prennent d’assaut les côtes européennes depuis la Méditerranée.
Devant une Assemblée nationale acquise à sa cause, Mme Yassine Fall, pour finir, vendra l’avènement d’une nouvelle ère qui sortira le Sénégal de là où Pastef le trouve en avril 2024 : un pays en ruines, avec des chiffres truqués, une économie sous perfusion et mise en observation par les bailleurs de fonds traditionnels qui attendent le retour à l’orthodoxie proclamée par le régime «Sonko môy Diomaye» pour l’aider à atteindre la souveraineté à grands coups de prêts.
Et donc, Amadou Bâ prend sur lui de marquer l’histoire de l’Assemblée nationale aux côtés de feu Isidore Ezzan, lequel laisse à la postérité l’exploit d’effacer de nos mémoires l’assassinat de Maître Babacar Sèye dont les commanditaires roupillent du sommeil du juste depuis trente-deux ans.
Il faut quand même reconnaître au député Pastef que le vrai crime est fomenté en Conseil des ministres le 28 février 2024, puis signé par Macky Sall, au moyen d’un décret qui propose un projet de loi d’amnistie le 1er mars suivant, que contresigne Amadou Ba, alors Premier ministre, lequel signe par la même occasion sa défaite à la Présidentielle de mars 2024. Oublie-t-il alors qu’il est le candidat de la Coalition Benno bokk yaakaar ?
Jusqu’où va se nicher l’art de se tirer une balle dans le pied… Et donc, le résultat de palabres nocturnes, résumées sous le vocable de «protocole du Cap Manuel», doit passer devant les députés. La proposition de loi efface d’un trait de plume résolu, «les infractions commises tant au Sénégal qu’à l’étranger» entre février 2021 et mars 2024. Il est surtout question, pour Macky Sall -qui aurait eu cette lumineuse révélation à La Mecque, devant la Kaaba, selon le lobbyiste Robert Bourgi-, de réconcilier le Sénégal avec lui-même.
Le replet chéri de la «Darling Kôr» internationale a la ferme intention de rétablir dans leurs droits civiques et politiques, les personnes qui les auraient perdus durant cette période trouble, aux cris de «gatsa-gatsa», armées de lance-pierres, entre autres armes atomiques, pour sortir le président de la République de son Palais avant de le découper au canif en tranches sur les grandes avenues. Tout un programme…
Dans l’opinion, ça s’estomaque de tant de mansuétude. Il y a même Amnesty International, à l’épatante l’indignation sélective, qui s’en offusque : «Le projet de loi d’amnistie soumis au Parlement concernant les manifestations qui ont eu lieu entre mars 2021 et février 2024 et au cours desquelles plus de soixante personnes ont été tuées, est un affront aux familles des victimes de ces violences et une prime troublante à l’impunité.» Bien entendu, pour les droits-de-l’hommiste mondiaux, les criminels sont à chercher dans les rangs des Forces de l’ordre sénégalaises.
Il n’empêche, Me Aïssata Tall Sall, ministre de la Justice d’alors, vêtue de sa plus belle robe d’avocate pour défendre ce que l’opposition désigne comme un «coup d’Etat constitutionnel», fera passer sa proposition comme lettre à la poste. Pastef fera semblant de s’en outrer, malgré le bénéfice qu’il en tire : c’est par là que Bassirou Diomaye Faye, Ousmane Sonko et un millier d’insurgés recouvrent la liberté qui les mène direct au Palais au terme du scrutin du 24 mars 2024.
La passation de service est même sympathique entre le Président sortant et le nouvel impétrant. Des fuites récentes nous en apprennent davantage : ça discute en privé, de nuit, chez Macky Sall, quelque temps auparavant. L’avenir nous en apprendra sans doute de bien belles, sur la trahison de Macky Sall qui poignarde par traîtrise la République du Sénégal.
Il ne faudra pas longtemps aux nouveaux maîtres du pays pour changer d’avis et de ton, à propos de l’ancien Président qui, pendant la campagne, est ménagé. Selon Ousmane Sonko, apparemment, ils viennent de se rendre compte qu’ils sont les victimes d’une intox : l’ennemi, ce n’est pas le gentil Macky Sall, mais le fourbe Amadou Ba, lequel serait à l’origine de tous les complots possibles et imaginables, dont sans doute le traquenard de Sweet Beauté.
D’ailleurs, c’est bien simple, l’imbroglio du Conseil constitutionnel qui élimine Karim Wade porte sa signature. Macky est prêt à tout pour réparer l’ignominie juridique en reportant les élections qui verraient alors par la suite, en décembre 2024, les candidatures de Karim Wade et Ousmane Sonko, -et sans doute Macky Sall- acceptées. Bref, tout ceci demande une interprétation. Et c’est Amadou Bâ, l’autre, celui de Pastef, qui s’y colle : ces grands dadais de Sénégalais, qui comprennent quand on leur explique longtemps et avec patience, ont besoin de savoir qui bénéficie de la loi d’amnésie de Macky Sall. Tout comme il faut leur préciser quel est le profil des victimes des événements susvisés (les casseurs indemnisés avec l’argent public) et celui des criminels (les tortionnaires du régime défunt) qui devront en répondre.
Sur ces entrefaites, ce qu’il reste de «Y’en a marre», par la voix de Thiat, s’en révolte. Les autres, qui occupent des présidences de Conseil d’administration, n’ont pas le temps aux frivolités.
C’est le moment que choisit une petite brigade de fillettes voilées pour semer le bordel devant le collège Saint-Gabriel. Bien sûr, le Premier ministre a averti les contrevenants : il ne sera plus toléré qu’une école catholique interdise le port du voile dans ses murs.
Pourquoi se gêner en plein Ramadan…
On a failli l’oublier : c’est durant ces jours pleins d’optimistes sur l’avenir que Aliou Cissé signe avec la Libye pour mener leurs troupes de footballeurs dans la cour des grands du monde et accessoirement sur le toit de l’Afrique.
Elle n’est pas belle, la vie ?
PAR BASSIROU SAMB
GRATUITÉ DES ACTES D'ÉTAT CIVIL, UNE PROMESSE QUI SOULÈVE DES INTERROGATIONS
"L'accès à ces documents implique un coût pour les collectivités. Une gratuité totale, sans compensation, pourrait déséquilibrer leurs finances et compromettre leur autonomie."
La récente annonce du Premier ministre concernant la gratuité des actes d'état civil a suscité de vives réactions au sein de la population et des acteurs locaux. Bien que cette mesure puisse sembler séduisante, elle soulève des questions essentielles sur la réelle intention du gouvernement et sur l'impact qu'elle aura sur la gestion des collectivites territoriales
Selon la Constitution, les collectivités territoriales disposent d'une libre administration. Cela signifie qu'elles ont le droit de se gérer de manière autonome, notamment à travers leurs organes délibérants, comme le conseil municipal. Les décisions relatives à la tarification des services, y compris celle des actes d'état civil, relèvent de leur compétence. Actuellement, les déclarations de naissance, de décès ou de divorce sont déjà gratuites, mais pour obtenir une copie de ces actes, les citoyens doivent acheter un timbre dont le prix est fixé par l'organe délibérant de chaque collectivité.
Cela souligne un fait fondamental : l'accès à ces documents implique un coût pour les collectivités. Une gratuité totale, sans compensation, pourrait déséquilibrer leurs finances et compromettre leur autonomie.
Il convient alors de s'interroger sur la viabilité d'une telle approche. Les fonds de dotation, déjà en baisse, arrivent souvent tardivement et ne répondent pas toujours aux besoins urgents des collectivités. Dans un contexte où ces dernières peinent à équilibrer leurs budgets, il est impératif de s'interroger sur les conséquences d'une telle mesure.
Les collectivités sont les premières à connaître les réalités du terrain et à comprendre les besoins de leur population. Les décisions prises par le chef du gouvernement, sans consultation préalable, risquent d'être déconnectées des enjeux locaux. Il est donc essentiel de replacer le débat sur la gratuité des actes d'état civil dans un cadre plus large de concertation entre l'État et les collectivités territoriales. Plutôt que d'imposer des mesures qui pourraient nuire à la libre administration. Il serait judicieux de créer des espaces de dialogue. Ces concertations permettraient de trouver des solutions adaptées qui tiennent compte des réalités financières des municipalités tout en garantissant un accès équitable aux services publics pour tous.
L'annonce du Premier ministre soulève également une question plus large sur la nature du populisme dans le discours politique. En promettant la gratuité des actes d'état civil, le gouvernement cherche-t-il réellement à améliorer la vie des citoyens ou à gagner des points ? La frontière entre l'engagement sincère et le populisme devient floue, et il est de notre responsabilité, en tant que citoyens, de rester vigilants.
Par Olivier SAGNA
ÉMILE FAURE, LE GRAND INCONNU DU COMBAT POUR L’INDEPENDANCE
Dans la longue marche du Sénégal vers l’indépendance, il existe un personnage historique qui reste particulièrement méconnu des Sénégalais et Sénégalaises, en la personne d’Émile Faure.
Dans la longue marche du Sénégal vers l’indépendance, il existe un personnage historique qui reste particulièrement méconnu des Sénégalais et Sénégalaises, en la personne d’Émile Faure.
Né le 19 novembre 1892 à Saint-Louis du Sénégal, il est le fils d'Eugène André Faure, un Français, employé de la maison de commerce bordelaise Maurel et Prom, et de Mama Touré, présentée comme une descendante de l’Almamy Samory Touré . Comme nombre d’Africains issus des milieux privilégiés de l’époque, il est envoyé en France pour y faire ses études. Il fréquente d’abord le lycée Saint Genest de Bordeaux avant de suivre les cours de l’école des Arts et Métiers, l'une des plus prestigieuses écoles d'ingénieurs françaises. Devenu ingénieur conseil, il travaille comme chef du bureau d'études de la société d’André Guinard, spécialisée dans les pompes.
Émile Faure commence ses activités militantes au début des années 1920 en adhérant à l’Union Inter coloniale (UIC), une organisation anticolonialiste proche du Parti communiste français (PCF) regroupant les originaires des colonies françaises et éditant le journal Le Paria. À l’époque, elle compte dans ses rangs un certain Nguyen Aï Quoc, plus tard connu sous le nom d’Ho Chi Minh, le père de l’indépendance du Vietnam, Messali Hadj, fondateur de l’Étoile nordafricaine (ENA) et père du nationalisme algérien et le Malgache Jean Ralaimongo, fondateur de la Ligue Française pour l’Accession des Indigènes de Madagascar aux Droits de Citoyen (LFAIMDC) et précurseur du nationalisme malgache.
En 1924, il adhère également à La Fraternité africaine, dont il devient le Président en octobre 1924, avant qu’elle ne cesse ses activités quelques mois plus tard. En son sein, il côtoie Lamine Ibrahima Arfang Senghor mais reste en marge des activités du Comité de défense de la Race Nègre (CDRN) créé en mars 1926. En revanche, il participe au lancement du journal Le Courrier des Noirs, journal bilingue français-anglais, lancé par Camille Saint-Jacques en novembre 1927, dont il est le trésorier. À la mort de Lamine Senghor, il rejoint Tiéméko Garan Kouyaté au sein de la Ligue de défense de la Race Nègre (LDRN). Puis, au début de l’année 1930, il l’accompagne dans la création de l’Institut nègre, conçu sur le modèle du Tuskegee Institute créé par des Afro-américains à l’initiative de Booker T. Washington en Alabama (Etats Unis). La vocation de cette structure, dont il est le trésorier, est de « donner une éducation intellectuelle, professionnelle et artistique aux nègres de toute nationalité, (…) strictement en dehors de toute action politique ou religieuse ».
Cependant, l’initiative fait long feu, suite notamment, à une violente campagne de dénigrement, menée par le journaliste d’extrême droite François Coty dans le journal L’Ami du peuple, qui dénonce les liens existant entre certains des initiateurs et les communistes. Malgré cela, Tiéméko Garan Kouyaté participe, en août 1930, au Vème Congrès de l’Internationale syndicale rouge (ISR), à l’occasion duquel il est élu membre du Comité exécutif du Comité Syndical International des Ouvriers Nègres (CSION). Il y rencontre des personnalités comme James W. Ford, L. Hawkins, Helen McClain et George Padmore, représentants le Parti communiste des États-Unis, Frank Macaulay (Nigéria), Albert Nzula (Afrique du Sud), E.F. Small (Gambie) ou encore Jomo Kenyatta (Kenya). Le Congrès terminé, Tiéméko Garan Kouyaté visite l’Union des Républiques socialistes soviétiques (URSS) ainsi que l’Allemagne sur le chemin du retour, ce qui n’est pas du goût de certains membres de la LDRN.
En effet, tous sont loin d’être membres ou sympathisants du PCF et à son arrivée en France, il doit faire face à une fronde conduite par l’aile nationaliste de la LDRN. Elle est notamment animée par Émile Faure et le Guadeloupéen André Béton qui, avec son frère Isaac Béton, avait milité au sein de l’Association pan-africaine, créée par Gratien Candace en 1921. Elle s’oppose, non seulement, à toute collaboration avec le mouvement communiste international mais également avec ce qu’elle appelle les organisations « blanches », à savoir les partis politiques français. C’est ainsi que lorsque le guadeloupéen Stéphane Rosso propose que la LDRN publie des articles dans les journaux français, et plus particulièrement dans L'Humanité, journal du PCF qui est selon lui le seul journal à « défendre les indigènes et dénoncer les injustices ou scandales coloniaux », Émile Faure lui rétorque que seul le journal La Race Nègre est capable de toucher les masses nègres. Ce bras de fer entre nationalistes et communistes, préfigure la controverse qui sera posée par George Padmore dans son ouvrage « Panafricanisme ou Communisme ». Il prend subitement une tournure beaucoup plus conflictuelle, lorsque Tiéméko Garan Kouyaté refuse de rendre compte à Émile Faure, devenu Président de la LDRN en mai 1930, de l’utilisation des fonds qu’il lui a remis afin de permettre la publication du journal de LDRN en difficulté financière. Le 11 janvier 1931, lors d’une assemblée générale de la LDRN, Émile Faure déclare que la réunion est illégale et ajoute qu'il a porté plainte contre Tiéméko Garan Kouyaté pour abus de confiance, action irrégulière dans les fonctions de Secrétaire général et refus de remettre au Président des documents de l’organisation. Néanmoins, un nouveau bureau est élu qui voit l’éviction d’Émile Faure de son poste de président ce qui l’amène à engager une bataille judiciaire afin de garder l’appellation Ligue de défense de la Race nègre et le journal La Race nègre. Quelques mois plus tard, il obtient gain de cause et renouvèle les instances de la LDRN dont il redevient le président tout en gérant La Race Nègre. Émile Faure partage avec le Sénégalais Adolphe Mathurin, le fait de ne reconnaitre qu'un seul parti, celui de sa race. Dans le n°4 du journal La Race-Nègre, il le fait savoir en commentant de manière virulente la parution du numéro de La Race Nègre publié par Tiéméko Garan Kouyaté. À cette occasion, il écrit, « Un certain nombre de mauvais nègres se sont permis de faire paraitre une feuille à entête du journal La Race Nègre. Ces gredins sont au nombre de cinq, anciens membres de la Ligue, dissidents par naïveté ou exclus par escroquerie et abus de confiance. (…). Ces pauvres types n’agissent d’ailleurs par pour leur compte : leur insuffisance est si grande qu’il leur faut toujours avoir des maitres blancs même lorsqu’ils crient « vive la liberté » ».
LA RACE NEGRE
L’existence d’une tendance foncièrement nationaliste au sein du mouvement anticolonialiste nègre n’est pas une nouveauté en soi comme le montre l'article «Chacun sa race» publié par Adolphe Mathurin dans La Race Nègre de septembre 1927. Dans celui-ci, il écrit : « Sachez-le, il n'est de liberté que dans le chemin d'une tenace persévérance. C'est un axiome. Par un travail suivi, nous arriverons sans naufrage au terme de notre voyage. Mais, je vous le dis, nul autre mieux que nous, ne saurait ouvrager notre libération totale. (…). Race de mes frères, sors de ta torpeur ! Secoue le joug qui t’écrase. Et puisqu’en Europe comme en Amérique des négrophobes sans vergogne ont semé ton mépris, puisque l’on nous voue une haine sans raison ni excuse, soit, chacun sa race ». La ligne de conduite préconisée est la même dans l’article d’André Béton intitulé « Par le fusil ou l'argent » et publié dans La Nègre de mars 1928. Exposant comment il entrevoit l’émancipation du Nègre, il déclare : « Trois moyens s’offrent à son esprit pour aboutir à ce résultat. Le premier serait de compter de sa force naturelle physique et de son nombre, et, dans un sursaut de révolte, chasser le blanc qui l'opprime, l'exploite comme une bête de somme et le méprise. Dans ce cas, il agirait seul, et n'aurait à compter sur le concours d'aucune autre race. Dans la deuxième hypothèse, il tendrait une oreille complaisante à certaines doctrines et accepterait des cadres blancs afin de se débarrasser de ses bourreaux. Enfin, la petite minorité à laquelle j'appartiens, croit à une évolution certaine mais lente, par le développement de l'individu et du sentiment de solidarité ethnique, dont nous avons un sens aiguisé.»
En fait, ce qui est nouveau c’est que désormais, ce courant s'affiche en mettant ouvertement en avant la dimension strictement raciale de son combat, fortement influencé en cela par le garveyisme, En effet, toutes les idées, ou presque, développées par Marcus Garvey se retrouvent dans les propos d’Émile Faure et de ses camarades, à savoir la méfiance envers les communistes, le primat accordé à la race, la volonté de bâtir une économie nègre, le thème du retour en Afrique ainsi qu’aux traditions africaines, l'incantation de l'unité africaine ou plus exactement de la Race Nègre et bien entendu le combat émancipateur des peuples nègres symbolisé par le slogan «L'Afrique aux Africains». Dans un autre texte publié dans La Race Nègre en 1934, probablement rédigé par Émile Faure, le ton et les mots sont tout aussi tranchés : «En présence de la pourriture sociale irrémédiable de la France, de l’état de guerre endémique de l’Europe, des doctrines politiques et sociales monstrueuses qui s’y font jour, nous ne devons avoir qu’un seul mot d’ordre : TIRONS-NOUS DE LÀ !».
Alors que le fascisme et le nazisme gagnent du terrain en Europe, la LDRN, qui refuse de se mettre sous une quelconque tutelle, survit tant bien que mal, réduisant ses activités au strict minimum faute de moyens.
Ainsi, La Race Nègre, qui est théoriquement mensuel, ne parait qu'une seule fois par an entre avril 1931 et 1936. De plus, elle mène très peu d’activités en direction la diaspora africaine résidant dans les grands ports français pendant que Tiémoko Garan Kouyaté la mobilise à travers l’Union des Travailleurs Nègres (UTN), qu’il a créée en septembre 1932 avec pour journal Le Cri des Nègres. En direction des colonies, elle se contente de la diffusion de son journal, à quoi s’ajoute durant l’été 1935, l’envoi d’un « Appel fraternel aux Nègres du monde entier », invitant à la création en Afrique « d’un État Nègre Indépendant, où tous, nous vivrons, heureux, en Paix et Fraternité Africaines ». Émile Faure et ses camarades sortent cependant de leur torpeur lors de l'agression italienne contre l'Éthiopie. À cette occasion, La Race Nègre publie un article virulent intitulé « Épurons notre race », dans lequel elle dénonce les députés noirs au parlement français, ainsi que le gouvernement haïtien, jugés incapables d'adopter une position de ferme soutien à l'Éthiopie. Le 3 mai 1936, à l'issue du second tour des élections législatives, le Front Populaire l'emporte. Pour nombre de colonisés, cette victoire est un peu la leur, car, même s'ils n'ont pas pu faire entendre leurs voix dans les urnes, ils ne peuvent voir que d'un bon œil l'accession des communistes et des socialistes au pouvoir. Ces derniers ont, en effet, pris régulièrement le parti des colonisés, chacun à leur manière.
Cependant, force est de constater que le programme colonial du Rassemblement Populaire est des plus inconsistants en la matière, puisqu'il prévoit simplement la création d'une commission d'enquête parlementaire devant se rendre en Afrique du Nord et en Indochine, l'Afrique noire, Madagascar et les Antilles n'étant pas mentionnés dans cette initiative. C’est dans ce contexte que, début février 1937, Nguyen The Truyen, un militant indochinois anticolonialiste, rédige un texte qu'il adresse aux organisations regroupant les colonisés de France. Intitulé « Pour le Congrès intercolonial », il déclare que l’objectif principal est la création d'un « vaste Rassemblement intercolonial » qui est en réalité une tentative de faire revivre l'Union inter coloniale (UIC). D’ailleurs, dans un article intitulé « L'enseignement du passé », Nguyen The Truyen écrit que l’UIC « est morte après dix années de lutte mais son exemple demeure, nous encourage et nous éclaire ».
Fidèle à la ligne politique consistant à prendre ses distances avec les organisations « blanches », Émile Faure, suspecte le PCF d’être derrière cette initiative. Pour en avoir le cœur net, il adresse d’ailleurs une correspondance aux initiateurs du Rassemblement intercolonial dans laquelle il demande si c'est le Front populaire qui a besoin de fédérer les coloniaux ou bien si ce sont les coloniaux qui ont besoin du Front populaire ! Mieux, assistant à une des réunions préparatoires à la création du Rassemblement intercolonial, il s’en prend à Marius Moutet, ministre de Colonies, car il subventionne le journal Africa, lancé par Tiéméko Garan Kouyaté en décembre 1935. Finalement, Le Rassemblement colonial est créé en mars 1937 et compte une trentaine d’organisations regroupant les originaires des colonies françaises. Afin d'éviter l'hégémonie d'un groupe sur les autres, comme cela s'était produit au sein de l'UIC, les statuts précisent que la présidence est assurée à tour de rôle par l'un des cinq vice-présidents que sont Messali Hadj (Afrique du Nord), Émile Faure (Afrique Noire), Nguyen The Truyen (Indochine), Edmond Ramananjato (Madagascar) et Raoul Cenac-Thaly (Antilles, Guyane et Réunion).
Cependant, suite au départ progressif des organisations proches du PCF puis des dissensions entre partisans de l’assimilation et tenants de l’émancipation intégrale, dès la fin de l’année 1937, Le Rassemblement colonial tombe en léthargie. Ainsi, en décembre 1937, face au projet, un moment envisagé, de rétrocéder le Togo et le Cameroun à l’Allemagne afin d’apaiser son esprit revanchard, il se limite à publier un tract dans lequel il proclame que « les territoires coloniaux et leurs habitants ne sauraient continuer à être considérés comme biens meubles ou monnaies d’échange » et estime que « l'émancipation des colonies est la condition primordiale de la paix ».
CENTRE ANTI-IMPERIALISTE
Début 1939, alors que les signaux annonçant la seconde guerre mondiale se multiplient des hommes venus d'horizons politiques divers tentent de redonner droit de cité au combat anti-impérialiste. Ainsi, les trotskystes indochinois, organisés au sein du Bureau d'Entente des Indochinois de France (BEIF), décident d'adhérer au Rassemblement colonial. Cette convergence de vues entre trotskystes et nationalistes, tous deux hostiles à voir les colonisés jouer les supplétifs au service d’un camp ou d’un autre, débouche sur une prise de contact entre Le Rassemblement colonial et le Parti Socialiste Ouvrier et Paysan (PSOP) fondé récemment par Marceau Pivert et Daniel Guérin venus de La Gauche révolutionnaire (GR), l’aile radicale de la Section française de l'Internationale ouvrière (SFIO). Lors d'un entretien avec Émile Faure, Daniel Guérin lui expose le projet consistant à créer un centre antiimpérialiste, sur le modèle de celui animé par George Padmore à Londres, de manière à coordonner l'action des organisations françaises luttant contre le capitalisme avec celle des colonisés luttant contre l'impérialisme. À situation exceptionnelle, attitude exceptionnelle, Émile Faure, qui a toujours rejeté toute alliance avec les organisations « blanches », décide alors de franchir le pas et de s'allier avec le PSOP pour fonder le Centre de Liaison Anti-impérialiste (CLAI).
Lors de la réunion constitutive du Centre de Liaison Anti-Impérialiste (CLAI), tenue le 29 avril 1939, les participants désignent Émile Faure comme Secrétaire général. Dans le texte rédigé par Daniel Guérin pour l’occasion, il est précisé que : « Le Centre de liaison anti-impérialiste se propose de coordonner l'action de tous les groupements qui, dans les pays coloniaux, luttent contre l’impérialisme français et de ceux qui, luttant dans la métropole contre le capitalisme français, comprennent que c’est de l’intérêt des uns et des autres de conjuguer leurs efforts, car le capitalisme qui exploite les travailleurs métropolitains tire sa force principale de l’esclavagisme colonial ».
Dans la plateforme du CLAI publiée en mai 1939 dans Juin 36 l’organe du PSOP, l’accent est mis sur le fait que : « Au moment où l'impérialisme français invite les peuples par lui opprimés à défendre l'intégrité de l'Empire, le Centre de Liaison anti impérialiste déclare que, dans le conflit de demain, le droit et la justice ne seraient ni dans un camp ni dans l'autre, que l'intérêt des peuples coloniaux serait de ne prendre parti ni pour un camp ni pour l'autre. Nous dénonçons à la fois les impérialistes nantis qui arment jusqu'aux dents pour conserver le butin qu'ils ont conquis par la violence et les impérialistes moins bien servis qui arment jusqu'aux dents pour ravir aux premiers par la violence, une part de leur butin ». Cependant, dans un contexte politique marqué, sur le plan national, par la chute du gouvernement de Front Populaire, et à l’échelle internationale, par la signature des accords de Munich puis du Pacte germano-soviétique, les militants anticolonialistes se retrouvent particulièrement esseulés pour mener un combat qui semble secondaire au vu des enjeux géopolitiques internationaux.
Cette situation n’empêche pas Émile Faure de poursuivre imperturbablement la lutte aux côtés de George Padmore et Daniel Guérin et il échange régulièrement avec ses contacts en Afrique
Cependant, à la fin du mois d’octobre 1939, l'un d'eux, le Togolais Koffi Tobias résidant à Abidjan, fait l'objet d'une perquisition suite à l'ouverture d'une information contre X pour infraction contre la sureté extérieure de l'État par la Justice militaire. Alors qu'il est, a priori, suspecté de « tendances germanophiles », la police découvre la correspondance que Koffi Tobias entretient avec Émile Faure relativement aux activités du Centre de Liaison Anti-Impérialiste.
Aussitôt, l'enquête s’oriente vers Émile Faure et le 4 décembre 1939, le Tribunal militaire d'Abidjan délivre un mandat d'arrêt contre ce dernier pour « atteinte à la sureté extérieure de l'État ». Arrêté le 9 décembre à Paris, il est transféré en Côte d'Ivoire où il est jugé, condamné et incarcéré pendant trois ans à Grand Bassam avant d’être transféré à Bamako. Libéré en 1944, il rentre d’abord au Sénégal chez sa sœur Jeanne Faure, puis retourne en France où il reprend son travail d’ingénieur. Dans un texte intitulé « Mes Prisons », publié en 1947 dans la revue Crisis, fondée par WEB Du Bois en 1910 et qui est l'organe de la National Association for the Advancement of Colored People (NAACP), il raconte les terrifiantes conditions de sa détention. Sous le titre « French Terror in Negro Africa », il décrit comment, après avoir passé sept mois au secret dans une minuscule cellule, sans air et sans lumière, il avait perdu toutes ses dents et presque la vue et souffrait d’hallucinations qui l’empêchaient souvent de parler et même d’écrire.
D’une ténacité exceptionnelle, il poursuit néanmoins son combat pour l'émancipation des peuples nègres, et, fidèle à ses idéaux et à ses amitiés, il rédige en 1950 la préface d’une brochure intitulée « Le Rôle émancipateur de la République nègre d'Haïti ». Son auteur, le Haïtien Ludovic MorinLacombe, sympathisant communiste convaincu, avait en effet cheminé avec lui au sein du Comité de défense de la race nègre, de la Ligue de défense de la race nègre et de l’Union des travailleurs nègres (UTN) de même que lors du lancement du journal Le Courrier des Noirs. Ironie de l’histoire, le 27 juillet 1960, âgé de soixante huit ans, il meurt d'un cancer généralisé alors que les colonies africaines de la France accèdent, l’une après l’autre, à l'indépendance pour laquelle il n’a cessé de lutter. Il emporte dans sa tombe l'unique exemplaire d'un livre qu'il voulait publier et qui avait été interdit par les autorités françaises.
Avec la mort d’Émile Faure disparait l'une des plus grandes figures du mouvement nationaliste africain qui reste aujourd’hui largement inconnue, tant au Sénégal qu’en Afrique. Au même titre qu’un Lamine Senghor, dont il partagea la lutte, Émile Faure mérite d’être connu et reconnu et son combat, ainsi que ses textes, intégrés dans les programmes scolaires. Des recommandations doivent également être faites en direction des municipalités pour que son nom soit donné à des avenues et boulevards, dans toutes les villes du Sénégal, en commençant par Saint-Louis sa ville natale. Dans ce sens, il serait légitime d’envisager de débaptiser le lycée Charles de Gaulle de Saint-Louis pour lui donner son nom. Héros inconnu de la longue marche vers l’indépendance, il doit figurer dans notre panthéon national afin de prendre, dans notre mémoire collective et notre conscience historique, toute la place qui lui revient. Il s’agit de faire en sorte que les idéaux pour lesquels il s’est battu et la ténacité dans la lutte dont il a fait preuve inspirent la jeunesse africaine à l’heure où la question de la souveraineté de l’Afrique est plus que jamais d’actualité.
1 Mama Touré serait née en 1878 à Bamako d’un certain Abdourahmane Touré dont on ignore précisément les liens de parenté avec Samory Touré.
2 Le Professeur Olivier Sagna, retraité de l’Ecole des bibliothécaires, archivistes et documentalistes (EBAD) de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar (UCAD), est l’auteur d’une thèse de Doctorat intitulée « Des pionniers méconnus de l’indépendance : Africains et Antillais et luttes anticolonialistes dans la France de l’entre-deux-guerres (1919-1939) » soutenue en 1986 à l’Université Paris VII.
PAR OUMAR FÉDIOR
ÉCONOMIE BLEUE, LA RESSOURCE EST DANS L’EAU
À l’échelle mondiale, les océans apportent chaque année à l’économie mondiale une valeur ajoutée de 1 .500 milliards de dollars
De plus en plus usitée, l’économie bleue regorge de potentialités économiques. Mais que représente-t-elle exactement ? En termes simples, l’économie bleue désigne l’utilisation durable et la conservation des ressources aquatiques dans les environnements marins et d’eau douce. Elle comprend les océans et les mers, les côtes et les rives, les lacs, les rivières et les eaux souterraines. Dans les activités de l’économie bleue, on retrouve la pêche, l’exploitation minière, le pétrole, les biotechnologies, etc. ou utilise les milieux aquatiques.
Ces dernières, considérées comme une source d’emplois et de rentabilité économique, nourrissent un grand nombre d’habitants dans le monde, en particulier parmi les plus démunis, dépendent de la bonne santé des océans pour travailler et se nourrir. D’après les chiffres de la Fao, près de 60 millions de personnes dans le monde sont employées dans la pêche et l’aquaculture ; la majorité d’entre elles vivent dans des pays en développement et pratiquent une pêche de capture artisanale.
À l’échelle mondiale, les océans apportent chaque année à l’économie mondiale une valeur ajoutée de 1 .500 milliards de dollars. Si l’économie bleue est devenue de plus en plus un sujet actuel, c’est que dans un contexte de réchauffement climatique, c’est que les mangroves et autres habitats végétaux marins peuvent fixer jusqu’à 25% des émissions de CO2. Ils aident également à lutter contre les tempêtes et les inondations côtières. Inversement, l’économie bleue fait face à des défis comme la pollution plastique qui menace les océans. Au Sénégal, on a pris conscience des enjeux.
C’est pourquoi le troisième compact du Millenium Challenge Account a été consacré exclusivement à l’économie bleue. Il vise à développer les activités liées aux écosystèmes marins et côtiers tout en préservant la biodiversité. « Ce compact est axé sur l’économie bleue, ou le développement durable des ressources marines, côtières, et d’eau douce du Sénégal, pour la création d’emplois et la croissance économique », expliquait une note du Mca.
Cependant, ce programme de financement qui devait cibler les activités économiques liées aux écosystèmes marins, côtiers et fluvio-lacustres, a connu un coup d’arrêt avec l’arrivée du Président Donald Trump. Parlant de l’économie bleue, le ministre sénégalais de l’Économie, du Plan et de la Coopération avait suggéré une définition alternative qui pourrait être : « L’économie des villes côtières et de leurs localités polarisées respectueuses de la biodiversité et des écosystèmes marins. »