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26 novembre 2024
Cheikh Anta Diop
par Aboubacry Moussa LAM
MULTIPLE PHOTOS
LE PULAAR NE MÉRITE PAS CELA AU SÉNÉGAL
Vouloir imposer l’assimilation à tous par l’hégémonie forcée d’une langue est un projet insensé. Revenons à la raison et trouvons un aménagement linguistique plus équitable et plus respectueux de nos réalités
La récente contribution cosignée par Ngugi wa Thiongo et Boubacar Boris Diop, à laquelle répond celle de Boubou Sanghote, auxquelles viennent s’ajouter celles antérieures du même Boubacar Boris Diop et de Souleymane Bachir Diagne nous poussent toutes à nous pencher sur une question à laquelle nos travaux académiques et notre statut d’écrivain en langue pulaar nous avaient déjà familiarisé depuis fort longtemps. Nous ne voulions pas nous engager dans un débat qui, compte tenu de sa nature, soulève forcément des passions alimentées par des partis pris difficiles à éviter du fait de nos appartenances et de nos idéologies linguistiques différentes.
Le pulaar est notre langue maternelle et une bonne partie de notre production, toutes catégories confondues, s’est faite dans cette langue. Contrairement à Boubacar B. Diop qui s’est promis de privilégier le wolof, nous écrivons, pour le moment, plus dans la langue française (notre dernier essai dans cette langue remonte seulement au mois de mai 2023 alors que celui en pulaar à 2012). Mais, en toute honnêteté, nous sommes plus à laise en pulaar qu’en français et un amour profond nous attache au pulaar. Cela est si vrai que nous avons pris le risque de déplaire à de nombreux Fulɓe en affirmant courageusement que leur vrai combat ne doit pas être l’affirmation de la « Pulaagu » (la manière d’être des Peuls et dont ils sont très fiers) mais celle du pulaar, leur langue commune.
En effet, en 2012 quand nous écrivions cela, nous étions convaincus, après avoir assisté au Assises de Tabital Pulaagu International à Bamako, en 2002, que sans le pulaar, la « Pulaagu » ressemblerait à un « tuuba ba alaa duhól », c’est-à-dire un pantalon bouffant sans ceinture. C’est reconnaître que dans un débat linguistique, idéologique et politique impliquant cette langue, nous ne pouvons rester neutre. Cependant, en universitaire qui cherche à être digne de ce titre, tout ce que nous avancerons dans nos positions, reposera sur des faits tangibles, les plus objectifs possibles, et non sur nos voeux ou penchants.
Nous pensions donc tôt ou tard nous prononcer sur la place faite au pulaar au Sénégal, notre pays. C’est le lieu de rappeler que cette langue est transfrontalière et concerne donc plusieurs pays de l’espace compris entre le Sénégal et le Soudan (au moins 24 pays d’après certaines sources) où elle rancontre différents problèmes. Mais nous nous limiterons seulement aux difficultés du pulaar au Sénégal pour nous en tenir aux faits que nous maîtrisons.
La raison directe qui nous a poussé à nous jeter à l’eau est le constat que nous avons fait à l’occasion de l’avant-première du film « 1776 : Thierno Souleymane Baal et la Révolution du Fouta » au Cinéma Pathé de Dakar, le 3 septembre 2024. En effet, le mot de bienvenue qui débutait la projection était ainsi libellé : « DAL LEEN AK JAMM/BIENVENUE ».
Surprise et indignation seraient les termes les plus justes pour décrire l’état dans lequel nous nous retrouvâmes alors à cet instant. Comment est-il possible d’« oublier » le pulaar dans la bienvenue pour un film sur le digne fils du Fuuta que fut Ceerno Siléymaan Baal ? Il m’apparut en un éclair que cela ne pouvait pas être un oubli (une des responsables du film étant la petite fille de l’illustre personnage), mais bien quelque chose de volontaire. Nous eûmes donc brutalement la confirmation d’une conviction que nous avions déjà depuis longtemps que notre langue maternelle était, délibérément et méthodiquement, en train d’être exclue du champ linguistique du Sénégal : en effet, en la mettant de côté pour un événement concernant avant tout une région où elle était parlée, il devenait clair que sa marginalisation voire sa disparition était recherchée. En pensant aux conséquences que ce choix pouvait entraîner pour le pays, à court, moyen ou long termes, il devenait dès lors pour nous un devoir d’entrer dans le débat en l’enrichissant de nos points de vue. Notre objectif est d’apporter des éclairages permettant de voir :
1. La place du pulaar, au Sénégal surtout et en Afrique après ;
2. Certaines réflexions (anciennes et nouvelles) sur l’aménagement linguistique en Afrique et au Sénégal ;
3. La légitimité ou la pertinence de la voie suivie actuellement en matière d’aménagement linguistique ;
4. Et dans le cas contraire, la proposition de solutions qui nous semblent en mesure de rétablir l’équilibre et d’éviter au pays une aventure lourde de menaces.
Nous ne ferons pas un tour d’horizon complet sur la question de l’aménagement linguistique. Nous nous contenterons de trois réflexions qui nous semblent éclairer suffisamment la question.
Nous commençons par Cheikh Anta Diop qui, dans le cadre de la renaissance africaine, a proposé l’État fédéral comme solution organisationnelle étatique. Ce faisant, il a abordé la question de l’aménagement lingistique au niveau fédéral et au niveau des États fédérés.
Le poids du pulaar au Sénégal et en Afrique
Au Sénégal
Pour ce qui est du poids du pulaar au Sénégal, nos analyses s’appuient essentiellement sur les documents officiels que sont les deux recensements de 2013 et de 2023. Nous n’ignorons pas que les effectifs sont vraisemblablement en deçà de ce qu’ils auraient dû être en raison des difficultés de recensement en rapport avec les activités dominantes du groupe, l’élevage et l’agriculture.
Nous commençons par la cartographie qui a l’avantage d’être plus explicite quand il s’agit de camper la répartition spatiale des locuteurs des principales langues du pays.
Cette carte (voir en illustration 1) s’accompagne du commentaire suivant :
Données linguistiques pour le Sénégal
Le recensement de 2013 au Sénégal recense plus de 30 langues et dialectes parlés dans le pays. Bien que le français soit la langue officielle, il n'est parlé que par environ 37 % de la population, principalement comme deuxième langue. En revanche, 72 % utilisent le wolof pour communiquer avec les locuteurs d'autres langues sénégalaises. Le recensement indique que le wolof est également la première langue la plus parlée (50 % de la population), suivi du pular (25 %) et du sérère (11 %). En 2001, six langues ont reçu le statut de langue nationale : le wolof, le sérère, le pular, le mandingue, le soninké et le diola-foñy.
Le wolof est la langue la plus parlée dans les zones urbaines et à la radio. Le français est presque la seule langue parlée à la télévision et dans la presse écrite.
Cette description reste globalement fidèle sauf pour le statut du français à la télévision. Le wolof s’est taillé depuis la part du lion à la télévision. Cette carte de 2021 reprend des éléments du recensement de 2013 et montre clairement que le pulaar domine largement dans tous les départements de l’arrière-pays, avec un taux de couverture de 52 à 55% sauf dans les parties ouest et sud-ouest. Elle pourrait être considérée comme dépassée parce que s’appuyant sur des données remontant à onze ans. Cependant, les données du recensement de 2023 confirment la place prépondérante du pulaar dans l’arrière-pays. En effet, l’exploitation du tableau ANSD. RGPH-5, 2023, de la page 81 du rapport provisoire nous apprend que le bloc wolof/pulaar/seereer compte, à lui seul, 14 235 077 locuteurs sur un total (langues locales et étrangères confondues) de 15 940 213. Dans ces 14 235 077, le pulaar représente 4 175 468.
Il nous apprend également que les autres langues locales du pays totalisent 1 313 508 locuteurs. Ainsi, le wolof et le seereer étant cantonnés à l’ouest et au centre-ouest du pays, l’omniprésence du pulaar sur le reste du Sénégal est un fait qui demeure encore. Le décalage entre le nombre de Sénégalais (18 126 390) et les 15 548 580 représentant les locuteurs des langues locales s’explique par la non prise en compte, tout à fait logique, des enfants de moins de trois ans pas encore en âge d’être recensés comme locuteurs d’une langue donnée (2,4%), des résidents sénégalais absents (7%), des locuteurs de langues étrangères, etc.
Donc sur le plan géographique, le pulaar est la langue la plus présente, globalement parlant tandis que le wolof se cantonne essentiellement dans les villes concentrées presque toutes en pays wolof, c’est-à-dire à l’ouest du pays. Autrement dit, dans le cadre d’un aménagement linguistique équitable, ne tenant compte que des réalités objectives du terrain, le pulaar est incontournable dans de nombreuses régions (5 au total) où il est parlé, rappelons-le, par 52 à 55% des populations. Ces régions sont : Saint-Louis, Matam, Tambacounda, Kédougou et Kolda. Quand on pousse plus loin l’analyse des cartes interactives du site de « Translators Without Borders », il apparaît que même dans certaines régions où le wolof, le manndiŋka, le joolaa sont en tête, le pulaar vient en deuxième position. C’est déjà le cas pour Dakar où le wolof fait 61,6% et le pulaar 12,8%. C’est encore le cas dans la région de Sédhiou où il fait 24,1% derrière le manndiŋka (40,7%). C’est aussi le cas dans la région de Louga où il se place juste derrière le wolof (71%) avec 26,8%. C’est toujours le cas dans la région de Kaffrine où le wolof arrive en tête (avec 66,7%), suivi du pulaar qui fait 17,2%. Dans la région de Kaolack, le pulaar vient en troisième position (15%) après le wolof (61,2%) et le seereer (17%).
C’est le même cas dans la région de Diourbel où le pulaar occupe aussi la troisième place (6,3%) même si c’est loin derrière le wolof (54,8%) et le seereer (38,9%). Même en pays seereer, dans la région de Fatick, le pulaar conserve toujours sa troisième place (3, 6%) derrière le seereer (86%) et le wolof (9,3%. Dans la région de Thiès, le pulaar conserve encore sa troisième place (7,7%) derrière le wolof (72,8%) et le seereer (16%). C’est seulement dans la région de Ziguinchor que le pulaar (13,1%) vient en quatrième position après le Joolaa-Fóóñy (29%), le wolof (17,1%), le Manndiŋka (16,8). Dans les cinq régions qui restent, le pulaar est majoritaire à 52/55%.
Nous avons déjà dit plus haut que ces données sont celles tirées du recensement de 2013 et qu’on pourrait penser qu’elles ne sont plus actuelles. Il n’en est pourtant rien. En effet, l’exploitation du tableau (voir en illustration 2) issu du recensement de 2023, p. 47 ou 82 en pagination continue, montre que le poids du pulaar a même augmenté au lieu de reculer comme celui de certaines langues :
Sur les dix ans écoulés entre les deux recensements, le pulaar passe ainsi de 24,6% à 26,2% soit une progression de 1,6% alors que le seereer régresse de 11,1% à 9,6% (1,5% de perte) ; le joolaa, de 3,6% à 2,9% (0,7 de perte) ; et que le Manndiŋka reste stable (passant de 2,7% à 2,8%). Le wolof a fait le bond le plus fort en passant de 50% à 53,5%, sans doute du fait de son dynamisme propre mais aussi du fait de l’absorption du seereer complètement enclavé dans sa zone géographique. Cette absorption se ferait, d’après des sources bien informées, essentiellement dans le Bawol, avec l’islamisation et la mouridisation de certains Seereer.
En Afrique
À l’échelle du continent, le pulaar est la seule des grandes langues à aller de l’Atlantique à la mer Rouge, soit une distance, à vol d’oiseau, de 6 478 km. Il s’étend ainsi sur toute la bande saharo-équatoriale sans rupture spatiale jusqu’au Tchad et de manière discontinue jusqu’au Soudan ; se présentant ainsi comme la langue la plus répandue et la plus partagée, avec une vingtaine de pays où elle est présente. Il est ainsi sans doute la seconde langue après l’arabe en termes de répartition spatiale. Il va pratiquement du 5ème au 18ème parallèle de latitude, de l’Atlantique à la mer Rouge (zones poularophones des régions du Nil Bleu, d’Adret, de Kassala, au Soudan Oriental), soit une superficie d’environ 9 000 000 de kilomètres carrés (voir carte en illustration 3). Il est généralement classé comme la 4ème langue de l’Afrique en termes de locuteurs derrière le swahili, l’haoussa et le yoruba. Viennent ensuite l’oromo, l’igbo, l’amharique, le lingala, le zulu et, enfin, le shona.
Comme on peut le constater ici, le wolof est absent du « top 10 » des langues les plus parlées en Afrique. Au Sénégal même, son statut de langue la plus parlée ne se vérifie que dans les grandes villes que le système colonial a créées sur les côtes et dans le bassin arachidier situés à l’ouest. Donc son hégémonie est loin d’être absolue, surtout par rapport au pulaar qui tient les campagnes du pays.
Le yoruba (20,6%, soit 39,6 millions, l’haoussa (18,3% soit 35,2 millions, et l’igbo (14,8, soit 28,5 millions ne débordent que très peu les frontières du Nigéria. Autrement dit, ces trois grandes langues africaines se concentrent dans un espace géographique réduit à l’inverse du pulaar (7,9%, soit 15,3 millions) qui, bien que présent dans le même espace, se retrouve à l’ouest et à l’est de cette zone commune (voir carte en illustration 3).
L’oromo et l’amharique sont dans la même situation que le yoruba, l’haoussa et l’igbo. Ces deux grandes langues par le nombre de locuteurs se réduisent à l’espace éthiopien (voir carte en illustration 4).
Terminons par la langue la plus parlée en Afrique, le swahili. La carte en illustration 5 (le jaune) montre que cette langue occupe elle aussi un espace géographique relativement réduit : Tanzanie, Kenya, Ouganda, Rwanda, Burundi, l’est de la RDC, le nord du Mozambique, Zanzibar ; ce qui constitue un bloc compacte. cependant, son aire déborde sur le Soudan du Sud, la Somalie, le Malawi, les Comores et le Yémen. On estime le nombre des locuteurs du swahili à environ 150 000 000 là où ceux du pulaar sont évalués à 50 000 000. Mais, d’après notre ami Amadou Sadio Dia, un géographe qui a parcouru tous les pays peuls d’Afrique, ce chiffre est en deçà de ce qu’il aurait dû être.
S’il faut tenir compte du fait que les « Ful » ne sont pas reconnus dans les statistiques officielles des États comme le Sud-Soudan (prolongement méridional du Kordofan), le Kenya (périphérie occidentale du lac Turkana), l’Éthiopie (vallée de Gambella), la RCA ( les dits « Mbororo » sont présumés « nomades sans lieux fixes »). Parfois, ce sont des régimes racistes et dictatoriaux qui « trafiquent » ou biaisent les statistiques (Mauritanie, Soudan-Khartoum). Au Nigeria du nord et du nord-est, il y a un problème de définition précise et concise du concept « Fulani » pour bien des groupes et se posent des questions statistiques que le Nigeria officiel ne résout pas. Enfin, quid des Ful qui se baladent librement et tournent le dos aux autorités pour se faire recenser alors qu’ils existent bel et bien dans la réalité (sans bulletin de naissance, encore moins de carte d’identité ? [Communication personnelle du 12/10/2024].
En conclusion, l’atout incontestable du pulaar en Afrique, c’est son extension géographique. Avec un appui politique de tous les États où il est parlé, il aurait pu être un concurrent plus que sérieux pour le swahili dans le choix d’une langue de travail pour l’Union Africaine : certaines sources diplomatiques affirment même que la proposition de Kadhafi dans ce sens fut vivement combattue par les présidents du Sénégal et de la Mauritanie. On peut deviner aisément les raisons d’une telle attitude pour chacun de ces deux pays.
Une théorie défavorable
Cheikh Anta Diop
Cheikh Anta a préconisé très tôt l’usage des langues locales dans le cadre de la renaissance africaine. C’est en effet dans un texte intitulé « Quand pourra-t-on parler d’une renaissance africaine ? » qu’il écrit : « Toutes ces raisons – et bien d’autres – nous incitent à poser comme condition préalable d’une vraie renaissance africaine le développement des langues indigènes. On apprend mieux dans sa langue maternelle parce qu’il y a un accord incontestable entre le génie d’une langue et la mentalité du peuple qui la parle. D’autre part, il est évident qu’on évite des années de retard dans l’acquisition de l’enseignement » [texte publié pour la première fois en 1948 et repris dans Alerte sous les tropiques, Présence Africaine, 1990, p. 35].
Cheikh Anta estime ce retard à six ans (même page). Précisant sa pensée dans Nations nègres et culture (synthèse de ce qui devait être sa thèse de Doctorat ès Lettres publiée en 1954), précisément à la page 416 du tome II, il estime que l’unité linguistique doit d’abord être réalisée à travers le choix d’une langue unique dans un territoire. Pour le Sénégal qu’il prend pour exemple, cela doit être fait malgré la vivacité « des particularismes (sérère, diola, ou toucouleur), qui ont parfois la force d’un véritable micro-nationalisme » reposant sur l’ignorance de la parenté entre les langues de ces groupes. Lequel, pense-t-il, peut être évité par une démonstration de cette parenté (Les fondements économiques et culturels d’un État fédéral d’Afrique Noire, Présence Africaine 1960, p. 20) Mais, reconnaissant aussi que cette unité ne tombe pas du ciel, il dégage une méthodologie s’appuyant sur l’histoire de la France qui a utilisé la violence coercitive pour imposer le français :
Cette dernière, loin d’être un fait naturel propre à certains pays privilégiés et faisant défaut à d’autres, apparaît comme le résultat d’un effort officiel conscient à travers le temps. Le français n’a pu s’imposer aux différentes provinces que par un étouffement des langues locales : il importe de souligner ici qu’il ne s’agissait pas de dialectes du français mais de véritables langues différentes de la langue française ; un Basque ou un Breton, etc. qui n’a pas appris le français est incapable de saisir la moindre idée exprimée en cette langue et inversement (souligné par nous) […] La multiplicité des langues est donc un problème qui a été résolu ailleurs, du moins pratiquement, et que nous pouvons résoudre à notre tour [Nations nègres et culture, pp. 416-417].
Cheikh Anta élude la question subséquente qui vient immédiatement à l’esprit de tout décideur : le Sénégal de 1960 pouvait-il se permettre d’exercer la violence qu’un tel choix supposait ? C’est donc tout logiquement qu’il arrive à la conclusion que dans un pays comme le Sénégal, en toute objectivité, le choix du walaf s’impose comme langue nationale, comme langue de gouvernement : toutes les minorités sont pratiquement bilingues et parlent le walaf [Les fondements…, pp. 20-21].
Mais Diop sent la contestation prévisible quant à l’objectivité et à la pertinence de son choix ; il y répond et enfonce le clou : « On voit ainsi que, suivant le contexte local, des langues de culture, comme le toucouleur-peulh, entrent dans la catégorie de groupes minoritaires, tandis qu’il en est autrement dès qu’il s’agit de régions telles que le Fouta-Djallon ou le Nord-Cameroun […] Un gouvernement sénégalais approprié pratiquera un jour systématiquement une politique culturelle visant à favoriser le développement de la langue dans les meilleurs délais […] Le walaf devra devenir le plus rapidement possible la langue de gouvernement utilisée dans tous les actes publics et politiques : interventions au parlement, rédaction de la constitution, du code, etc. » [c’est nous qui soulignons ; même source, pp. 21-22].
Pour la langue fédérale, il pense que « le choix d’une telle langue devra incomber à une commission internationale compétente, inspirée par un très profond sentiment patriotique, à l’exclusion de tout chauvinisme déguisé » [Les fondements…, p. 23]. Comme dans le cadre de l’Union Soviétique, celle-ci « couvrira toutes les langues territoriales de la même façon que le russe se superpose à la langue de chaque république soviétique. » (même source et même page).
Dans son analyse, Cheikh Anta aborde aussi un point crucial pour l’aménagement linguistique en Afrique indépendante. Il remarque que les principales langues qui se sont développées au détriment d’autres ont en fait été favorisées par une économie coloniale extravertie (Nations nègres…, II, p. 416). Cheikh Anta pense qu’une telle situation pourrait évoluer et s’inverser même si certains facteurs en cause restaient encore indéterminés au moment où il écrivait : …Le jour où l’économie africaine sera entre les mains des Africains eux-mêmes et qu’elle ne sera plus adaptée à des nécessités d’exploitation mais à leurs besoins, la concentration démographique s’en trouvera modifiée : les langues de certaines régions perdront de leur importance alors que celles d’autres régions (Guinée française, par exemple) en acquerront [p. 416].
Cette prospective, même si l’économie du continent n’a pas totalement rompu avec son extraversion 70 ans après, connaît un début de vérification avec, un peu partout, des politiques publiques plus soucieuses des besoins des populations et des équilibres régionaux. Les flux de populations vers des zones, jusqu’alors privilégiées, ont totalement cessé ou en voie de se tarir : c’est le cas du bassin arachidier de l’ouest du Sénégal sous les effets combinés de l’épuisement des sols, de la sécheresse et du développement de la riziculture dans la moyenne vallée du fleuve Sénégal. Désormais les destinations recherchées des partants sont la Côte-d’Ivoire, l’Afrique Centrale ( les deux Congo et la République Centrafricaine), Orientale (Zambie), Australe (Afrique du Sud) ou même l’Europe et l’Amérique du Nord. Ce processus se fait, à n’en pas douter, au détriment de la langue wolof qui, d’un autre côté, ne bénéficie plus de l’exode rural si fort durant les années 1970 dans les centres urbains, presque tous situés en pays wolof, du fait des sécheresses répétitives. C’est cela qui inquiète les « suprémacistes » wolofs et les pousse à faire du forcing pour imposer le wolof hic et nunc (tout de suite) avant qu’il ne soit trop tard. Par suprémacistes, nous entendons tous ceux qui s’activent pour que les Wolofs soient au-dessus de tous et le wolof au-dessus de toutes les autres langues, à tout prix, et refusent de voir que le Sénégal est fondamentalement un pays multi-ethnique, où chaque groupe doit être mis à l’abri du mépris culturel et s’épanouir dans la paix. Il en existe malheureusement dans notre pays.
Pathé Diagne
Pathé Diagne aussi s’est essayé à l’aménagement linguistique en Afrique dans un texte publié dans la revue Présence Africaine : « Linguistique et culture en Afrique », Présence Africaine, Nouvelle série, n° 46, 2ème trimestre, 1963, pp. 52-63. Appréciant la situation linguistique en Afrique de l’Ouest, il distingue deux grands types de langues : D’une part les langues urbaines véhiculaires en expansion constante : Malinke-Dioula, Wolof, Hawsa, Susu et Fon. D’autre part les parlers de groupes « ethnico-linguistiques » repliés sur eux-mêmes dans des zones quelque peu en marge des courants de l’économie moderne. Il en est de toutes sortes. Certains parlers importants : Poular, Sourhai, Tamaslek, More Djenma…d’autres constituent des dialectes d’un ou de deux villages. Les langues « urbaines véhiculaires en expansion » définissent des aires linguistiques à vocation nationale. Et c’est sur elles que devraient [sic] reposer l’insertion progressive de la culture africaine dans l’enseignement scolaire et universitaire [p. 61].
Ainsi, pour Pathé Diagne, les langues du second groupe sont condamnées à tomber dans la confidentialité, voire à disparaître à l’exception du pulaar et du More, par exemple. Les raisons qui conduisent Pathé Diagne à « repêcher » le pulaar et à l’intégrer dans le premier groupe sont d’un grand intérêt :
Il convient de leur adjoindre dans le second groupe ceux des parlers dont l’importance numérique est exceptionnelle. C’est le cas du Poular [souligné par nous]. Le choix du Poular oblige apparemment à rompre une tendance qui se dessinait sans se préoccuper de cette langue. L’assimilation des AL Poular telle qu’elle s’est faite au Sénégal et telle qu’elle s’opère par le bilinguisme au Macina et en Basse Guinée préfigurait son élimination au même titre que le Sérère ou le Sourhai devant les langues urbaines. Mais l’existence d’un autre facteur pèse : la mise en valeur des vastes régions habitées par les groupes Pular [sic], More…est susceptible d’introduire un renversement de tendance, du moins de faire apparaître de nouvelles aires linguistiques homogènes et fortes [p. 61, souligné par nous].
À l’arrivée, Pathé Diagne retient qu’il faut concevoir la politique linguistique de l’Afrique de l’Ouest autour de « quatre aires : Mandé, Hausa, wolof, Poular » (p. 61). Revenant sur l’aire wolof, Pathé Diagne estime qu’au Sénégal de l’époque, « l’unité linguistique est pratiquement réalisée. » (souligné par nous). Malgré cette unité linguistique presque terminée, Pathé Diagne se croit obligé « d’insister sur la nécessité d’un large travail d’explication sans lequel on ne ferait que susciter de violents remous »(p. 63).
Ces passages de Pathé Diagne méritent quelques commentaires :
– Bien que fervent partisan de la wolofisation totale du Sénégal, Il n’a pu ignorer l’importance du pulaar par le nombre de ses locuteurs et la résilience qui pourrait être la sienne avec un développement économique équilibré. Comme on le verra plus loin, c’est sa seule prévision que les faits ont confirmée.
– Comme le montrent clairement les tendances économiques actuelles, les éléments qui faisaient la force du wolof, n’opèrent plus aussi efficacement qu’avant ; d’où le piétinement actuel de son expansion.
Il commence tout d’abord par nous rappeler ce qu’il faut entendre par langue maternelle. Pour ce faire, Fary Ndao cite la définition de l’Unesco, l’organisme en charge de l’éducation et de la culture : « la ou les langue(s) de l’environnement immédiat et des interactions quotidiennes qui construisent l’enfant durant les quatre premières années de sa vie ». Il attire ensuite notre attention sur le fait que « beaucoup d’enfants africains, notamment en Afrique de l’Ouest, ont une langue maternelle africaine de portée nationale (wolof au Sénégal, bambara au Mali, fon au Bénin) et une seconde langue maternelle d’extension régionale parlée dans leur village, leur ville ou leur province. » Une telle situation lui permet de nous faire sa proposition d’aménagement linguistique : « En Afrique, il ne s’agira pas de remplacer le français ou l’anglais par une seule autre langue, fût-elle africaine. Il apparaît plus judicieux de se diriger vers un enseignement multilingue basé sur la langue maternelle comme le recommande l’Unesco et ses nombreuses études de cas pratiques depuis 1953. Cet enseignement pourrait se décliner comme suit : une langue africaine d’extension régionale pour la primo-alphabétisation, rapidement complétée par l’enseignement dans la langue africaine de portée nationale avant l’enseignement des langues internationales. Le triptyque « un territoire, une langue officielle, une nation » est davantage un fantasme qu’une réalité tangible dans les pays africains.
Il recommande que « la primo-alphabétisation » se fasse dans la langue maternelle de l’enfant pour qu’il puisse bénéficier de tous les avantages de l’opération ; en pulaar dans une zone comme le Fuuta mais que dans d’autres régions ayant des identités linguistiques fortes, des concertations sur le choix de la langue de primo-alphabétisation pourraient être menées par les autorités administratives avec les parents d’élèves, les enseignants appuyés par des spécialistes en sciences cognitives.
En clair, si l’enfant est dans une zone où sa langue maternelle est fortement minoritaire, il faudra une concertation entre les acteurs concernés pour trouver une solution. L’enfant devra-t-il s’exiler ou prendre par défaut la langue dominante ? Pour toute réponse, Fary Ndao nous renvoie à l’expérience burkinabè des années 2000. En tout état de cause, les réalités du Sénégal ne sont pas superposables à tout point de vue à celles du Burkina.
Une pratique hostile au pulaar
Celle de Diop
Rentré au Sénégal, Diop se lança dans la lutte politique afin de pouvoir appliquer ses idées sur la renaissance (utilisation des langues et fédéralisme). Il fonda à cet effet trois partis (B.M.S., en 1960 ; F.N.S., en 1963 et R.N.D., en 1976). Malheureusement, le succès ne fut pas au rendez-vous. Cependant, poursuivant ses idées, il délivra la plupart de ses déclarations politiques, faites dans le cadre de meetings et de manifestations, en wolof. Il tenta aussi, selon certaines sources ayant milité au sein du R.N.D., d’imposer le wolof comme langue de travail dans les réunions du parti à Dakar, même là où les locuteurs d’autres langues étaient majoritaires. Les deux organes de son dernier mouvement politique portèrent des noms wolofs (Siggi, puis Taxaw) et comportèrent une page « wolofal » (wolof transcrit en caractères arabes pour ceux qui n’ont pas accès au français).
Il est fort probable que les tentatives d’introduction du wolof à l’Assemblée nationale par Babacar Niang (finalement réussies) ont mûri au R.N.D. En effet, c’est lui, en tant que suppléant de Cheikh Anta, qui accepta d’occuper le seul siège obtenu par ce parti aux législatives de 1983 et que le titulaire avait refusé d’occuper pour des raisons de manque de transparence dans le vote. C’est le lieu de rappeler qu’il finit par créer le P.L.P. en août 1983, rompant ainsi avec le R.N.D. (avec lequel son parti fusionna par la suite, en 1997) mais conserva son idéologie. On se souvient encore de sa passe d’armes avec le ministre de l’économie et des finances, Mamoudou Touré, qu’il avait interpelé en wolof et qui lui répondit en pulaar sous l’oeil amusé de Daouda Sow, président de l’Assemblée de l’époque.
Ces premières difficultés à imposer le wolof ont dû faire prendre conscience à Cheikh Anta Diop que les choses n’étaient pas aussi simples qu’il le croyait dans ses théories estudiantines. Il avait certainement vu que le prix à payer pour étouffer une langue comme le pulaar serait énorme sans que le résultat soit pour autant garanti compte tenu de son emprise géographique, aussi bien au Sénégal (la plus parlée sur plus de 2/3 du pays, soit 142 432/196 722 kilomètres carrés) qu’en Afrique (9 000 000 de kilomètres carrés).
Sur le plan théorique, la solution de Cheikh Anta Diop qui s’inspire des modèles français et soviétique est inadaptée à l’environnement actuel. En effet, on n’est plus au temps ou une ordonnance suffisait pour tuer ou marginaliser des langues. Voyons donc de plus près la fameuse ordonnance de François 1er (dite de Villers-Cotterêts ) prise en 1639 dont l’article 111 se présentait comme suit :
– Et pour ce que telles choses sont souvent advenues sur l'intelligence des mots latins contenus esdits arrests, nous voulons d'oresnavant que tous arrests, ensemble toutes autres procédures, soient de nos cours souveraines et autres subalternes et inférieures, soient de registres, enquestes, contrats, commissions, sentences, testaments, et autres quelconques, actes et exploicts de justice, ou qui en dépendent, soient prononcés, enregistrés et délivrés aux parties en langage maternel françois et non autrement.
Et le monarque de droit divin substituait ainsi le français au latin, utilisé jusqu’alors. Ce coup de pouce royal allait lui permettre de s’imposer, à partir de ce moment, comme seule langue de l’État et de l’administration dans le royaume de France, marginalisant ainsi toutes les autres langues parlées jusqu’alors. La formule « car tel est nostre plaisir » qui termine l’ordonnance de François 1er montre que le roi était le seul à décider et n’avait de compte à rendre à personne. Aujourd’hui, nous sommes dans une démocratie régie de surcroît par une constitution qui ne donne la primauté à aucune des langues déjà codifiées (article 1er, alinéa 2 de la constitution de 2001) et préconise l’unité mais dans « le respect des spécificités culturelles de toutes les composantes de la nation. » (préambule). Quant au modèle soviétique, n’oublions pas que le russe a été imposé par la Russie impériale, d’abord, puis par l’État central soviétique, aux populations de l’Union et qu’avec la chute du mur de Berlin, en 1990, les autres langues ont repris leur droit au détriment du russe dans les États baltes et ailleurs. La présente guerre en Ukraine est partie des tentatives d’étouffement de cette langue russe, jadis dominante, au profit de l’ukrainien qu’on tente d’imposer aux minorités russophones du pays. La leçon à tirer de tout cela, c’est que la contrainte et la violence ne sont pas une garantie absolue pour pérenniser la suprématie d’une langue ; au contraire, elles suscitent une haine séculaire de la part des opprimés. S’il y a des gens que détestent les Ukrainiens, ce sont bien les Russes, contraints aujourd’hui de s’attaquer militairement à l’Ukraine pour des raisons avant tout linguistiques, car il s’agit officiellement de sauver les minorités russophones maltraitées depuis déjà de longues années et obligées de se rebeller pour exister culturellement.
Si Cheikh Anta était encore vivant, il n’aurait pas manqué, en homme avisé, de réévaluer ses propositions en matière d’aménagement linguistique. Pour la future langue de l’État fédéral africain, il opta pour le swahili (voir Antériorité des civilisations nègres, Présence Africaine, 1967, pp. 112-114) sans attendre la commission qu’il préconisait dans son livre sur l’État fédéral voir supra). Ici, on peut dire qu’il avait vu juste car cette option a finalement été choisie par l’Union africaine.
Celle de Diagne
Quant à Pathé Diagne, il a, une fois rentré au Sénégal, essayé, comme Cheikh Anta Diop de travailler la langue wolof pour la vulgariser et l’élever au rang d’une langue comparable aux grandes langues européennes. Rappelons qu’il a enseigné au département de linguistique de la faculté des Lettres et Sciences Humaines de l’université de Dakar et a poursuivi ses recherches à l’IFAN. Citons parmi ses efforts la traduction du Coran et le lancement de Kaddu (un journal) dans cette langue. Ce que nous retenons de Pathé, c’est que sa passion pour la promotion du wolof au Sénégal fut telle qu’elle l’a poussé à faire des affirmations et prévisions démenties par les faits : à savoir que l’assimilation des Haal-pulaar-en était achevée en 1963 et que le pulaar serait voué à la disparition n’eût été un facteur qui pourrait le sauver. Or les chiffres fournis par les deux derniers recensements exploités prouvent qu’il n’en est rien, même en cette année 2024, c’est-à-dire 61 ans après sa prévision ! Ajoutons aussi que le seereer n’a pas disparu comme il le prévoyait (encore 9,6% de locuteurs) et qu’en 2013 (recensement), seuls 72% de Sénégalais parlaient wolof.
Celle du colonisateur et des présidents
Les explorateurs européens, les premiers, les administrateurs coloniaux, ensuite, divisèrent les Africains en « races » et « ethnies ». Les Fulɓe, par exemple, furent séparés des autres Noirs et classés comme Hamites, des Blancs à l’origine mais qui ont perdu leur pureté raciale. Au Sénégal, sous la houlette de Faidherbe et de ses successeurs, cette approche eut pour résultat la séparation, dans les recensements des populations, des Fulɓe des Toucouleurs avec qui ils partagent la langue pulaar. Cela apparaît dans un tableau de 1925 où on peut lire : « Peuls : 202 452 […] Toucouleurs : 160 161 » ( voir, Joël Glasman, « Le Sénégal imaginé. Évolution d’une classification ethnique de 1816 aux années 1920 », in https://www.geschichte-afrikas.uni-bayreuth.de/de/team/02-Joel-Glasmann/Publikationen_Bilder-und-Dokumente/Text_Afrique-et-histoire.pdf, p. 31.
Cette manière de faire a persisté après l’indépendance ou s’est même aggravée car dans les recensements officiels, le groupe poularophone, bien que partageant la même langue et la même culture, est éclaté entre Peuls, Toucouleurs et Laobés. C’est au recensement de 2023 seulement qu’une forte protestation des intéressés a conduit l’ANSD à procéder au regroupement de ces entités. Le « diviser pour régner » est passé par là. La conséquence de cette division faisait apparaître Fulɓe et Haal-pulaar-en comme des minorités comparativement aux Seereer (surtout) et aux Wolof. En effet, Joolaa et Seereer avaient été laissés dans leur homogénéité de groupes bien que parlant des dialectes sans intercompréhension à l’inverse du pulaar dont les locuteurs, disséminés à travers le continent, se comprenaient sans trop de difficultés.
C’est le Président Senghor qui prit les premières mesures significatives en faveur des langues nationales en signant en 1972 les premiers décrets pour leur codification. Ainsi, six d’entre elles furent codifiées : manndiŋka, pulaar, seereer, soniŋke, joolaa et wolof. Pour Senghor, toutes ces langues reconnues étaient d’égale dignité et lui-même s’adressait à la nation en français.
Cependant, d’après certaines sources, il ne serait pas étranger à l’aggravation de l’éclatement du groupe poularophone dont le poids inquiétait. Abdou Diouf continua cette tradition d’utilisation de la langue officielle du pays pour ses adresses solennelles, suivies de traductions en wolof après intervention du président au journal parlé ou télévisé. Avec lui, le wolof connut un grand essor du fait de la libéralisation des ondes à partir de 1994. Entre 1981 et 1984 les États Généraux de l’Éducation et de la Formation n’avaient pu trouver un consensus pour faire du wolof la langue d’union nationale et du pulaar celle de nos relations avec le reste de l’Afrique. D’après Boubou Sanghote, il aurait refusé de répondre favorablement à une première demande d’élever le wolof au rang de seconde langue officielle en 1992, ce après avoir reçu une délégation de notables poularophones opposés au projet pour troubles que son adoption risquait de déclencher.
Avec Abdoulaye Wade, un partisan de la promotion du wolof se retrouvait au plus haut lieu de décision du pays en 2000. Rapidement, il voulut mettre toute l’administration au wolof pour en faire une langue de gouvernement comme l’avait théorisé Cheikh Anta Diop dont il partageait les idées et le militantisme dans ce domaine. Mais, comme sous Abdou Diouf, la levée de boucliers fut telle qu’il dût renoncer à la prise d’une décision frontale qui, à coup sûr, mettrait le feu aux poudres. Ici, on comprend pourquoi Senghor l’avait surnommé « Njommboor » : en effet, il adopta la stratégie du « faire sans le dire ». Ainsi, il se mit à multiplier des adresses au pays en wolof, à accorder des entretiens dans cette langue, à donner à certaines sociétés et programmes étatiques des noms en wolof. Sans exagération, on peut affirmer que sous Wade, l’État s’est wolofisé sans faire de vagues. Autrement dit, Wade a atteint ses objectifs sans tambour ni trompette.
Cependant, c’est véritablement avec Macky Sall que les langues nationales autres que le wolof ont fini d’être marginalisées. Macky a systématiquement fait suivre son adresse en français d’une seconde en wolof, faisant de facto de cette langue la seconde langue officielle du Sénégal. Prenons l’exemple du pulaar : d’après Boubou Sanghote, Macky a déjà bien tendu la gorge de cette langue pour faciliter la tâche à celui qui viendra l’égorger ! Cela n’est pas excessif au vu des faits qui vont suivre :
Sous l’euphorie de l’avènement d’un poularophone à la tête du pays et pensant que cela allait faire plaisir à celui-ci, des journalistes profitèrent du défilé du 4 avril pour élargir le cercle du français et du wolof au pulaar. Deux de leurs confrères rapportèrent le fait au président Macky Sall et le convainquirent que cela n’était pas bon pour son image de nouveau président car il risquait d’être vu comme quelqu’un de « sectaire ». D’après Sanghote, des instructions furent données par qui de droit pour que cela ne se reproduise pas. Les émissions télé « Fooyre », « Deental » existèrent avant l’avènement de Macky mais restèrent sans lendemain. C’est sous le magistère de Macky que des émissions telles que « Hiirde », « Dingiral Fulɓe », « Yeelaa », « Yiitere Golle », « Yeewtere Islam » naquirent mais devinrent rapidement irrégulières et finirent par passer à la trappe. Rares parmi elles étaient hebdomadaires. C’est le lieu de préciser que certaines d’entre elles trouvèrent refuge à la 2STV (qui compte actuellement six émissions en pulaar) ou à la TFM. Au moment où Chérif Sy qui animait la seule émission religieuse en pulaar émigrait vers la TFM, le wolof se taillait 7 à 8 magazines consacrés à l’islam. Pourtant vu le rôle des poularophones dans l’islamisation de l’Afrique et particulièrement celle du Sénégal ainsi que leur nombre, la RTS n’aurait jamais dû commettre un tel déni de justice. Si nous récapitulons, au moment où nous écrivons ces lignes, la RTS compte une seule émission de 26 minutes en pulaar (Yiitere Golle) contre 6 émissions à la 2STV, une télévision privée, appartenant certes à un ressortissant du Fuuta (El Hadji Ndiaye). Ainsi, si Macky peut se targuer d’avoir désenclavé et électrifié la partie waalo du Fuuta, avec toutes les conséquences bénéfiques que cela induit, force est de reconnaître qu’il fut véritablement un bourreau des autres langues du Sénégal. Son statut de « métis » pulaar-seereer-wolof l’a conduit sans doute à croire que le wolof pouvait être le dénominateur commun des Sénégalais, mais si l’ingénieur des mines avait prêté une bonne attention à la géographie du pays plutôt que de se focaliser sur le nombre impressionnant des locuteurs du wolof des grandes villes, toutes situées dans le tiers ouest du pays, il aurait sans doute vu qu’imposer le wolof à tous relevait d’un tour de force quasi insurmontable dans l’environnement de ce premier quart du XXIème siècle, où la révolution de l’information et de la communication a fini de rendre vaine toute tentative de contrainte linguistique comme nous l’avons vu un peu plus haut.
Celle de la RTS et d’autres sociétés et leurs conséquences
Disons dès maintenant que la pratique des présidents décrite ci-dessus rejaillit nécessairement sur celle de la RTS qui est une société d’État. On aura donc un déséquilibre dans la grille des programmes de plus en plus favorable au wolof et qui finit par aboutir au constat que :
Au Sénégal, on note une « uniformisation au plan linguistique due à l’hégémonie de la langue wolof » (FES, 2013). Le diffuseur public intègre dans sa programmation les huit langues nationales reconnues. Cependant, la langue pulaar semble être favorisée, elle dispose de programmes spécifiques sur les TV mainstream tandis que des groupes ethniques restent complètement marginalisés (voir : Charles Moumouni et Sokhna Fatou Seck Sarr, « La télévision en ligne : enjeux de régulation et pratiques de diversité culturelle en Afrique subsaharienne », in Les enjeux de l’information et de la communication, n° 22/2, 2021/22, pp. 181-195 [https://shs.cairn.info/revue-les-enjeux-de-l-information-et-de-la-communication-2021-22-page-181?lang=fr, citation, p. 188].
Ce que remarquent ces observateurs s’explique par l’ostracisme que subissent les langues autres que le wolof à la RTS. Comme les poularophones sont plus nombreux et ont plus de moyens, ils ont tout simplement trouvé leur salut dans les TV mainstream. Notons que c’est là une riposte à laquelle la RTS ne s’attendait sans doute pas : la révolution communicationnelle est allée trop vite.
Pour analyser le cas spécifique du pulaar, les attaques contre la langue commencèrent d’abord par la technique du « cheval de Troie » qui a bien fonctionné en Mauritanie sur le plan politique. Mais le dernier ministre haal-pulaar nommé pour avaliser la « hassanisation » totale a fini par être démis faute de vouloir obéir jusqu’au bout. Elle a failli fonctionner avec un grand intellectuel haal-pulaar dont une contribution fit date. Après le tollé général qu’elle suscita au sein de la communauté poularophone, l’intéressé a fini par prendre conscience de la complexité de la question et est, depuis, revenu sur sa proposition et pense aujourd’hui que le multilinguisme est plus adapté au contexte du Sénégal :
Mais le forcing fait pour le wolof a, depuis, pris de l’ampleur. Ainsi, de la technique du « cheval de Troie », on est passé à celle du « camouflage linguistique » : Une certaine journaliste dont les prénom et nom sont loin de sonner wolof est l’animatrice de « Lantinoor », une émission faite en wolof. Cela paraît curieux. Pourtant cela ne l’est pas tant car cette personne est née à Rufisque et dans son portrait consultable sur la toile, on voit qu’elle est très à l’aise en wolof et peut-être même plus à l’aise en wolof qu’en français. Cela explique peut-être pourquoi un autre magazine d’actualité qu’elle animait déjà avant, se fait en wolof. Pourtant le nom du magazine, « Kassabor », est en joolaa et signifie « entraide » ou « confession publique » selon certaines sources.
Deux autres magazines sur la RTS1 s’intitulent « Champ contre Champ » et « Pluriel » alors qu’ils passent en wolof. Pour « Pluriel », nous avons, comme pour « Kassabor », un animateur dont les nom et prénom ne sonnent pas du tout wolof mais plutôt seereer. Ces faits curieux semblent indiquer une technique de camouflage qui permet d’éviter la confirmation du constat qu’au Sénégal, à la télévision, il y a « une uniformisation au plan linguistique due à l’hégémonie du wolof » (voir Charles Moumouni et Sokhna Fatou Seck Sarr, « La télévision en ligne : enjeux de régulation et pratiques de diversité culturelle en Afrique subsaharienne », in Les enjeux de l’information et de la communication, n° 22/2, 2021/22, pp. 181-195 qui citent, FES, 2013).
Quand on analyse cette pratique qui a cours à la RTS, on voit clairement que c’est l’assimilation qui est recherchée : ce sont des personnes wolofisées (c’est leur droit le plus absolu) qui animent des magazines dont le nom est emprunté à une autre langue du pays ou au français mais qui se font en wolof. Un tel choix n’est pas innocent car il contribue à réduire la langue utilisée pour le nom du magazine au rang d’appendice du wolof qui devient ainsi le dénominateur commun au Sénégal. Tous ceux qui ne sont pas prêts à accepter cela, sont qualifiés de sectaires. Dans l’entendement de certains, est sectaire toute personne qui refuse de se laisser assimiler.
Le sectarisme : parlons-en. Parler sa langue, ce n’est pas faire du sectarisme ; c’est tout simplement être soi-même. Qui est le plus sectaire entre celui qui ne parle que sa langue et veut que les autres parlent obligatoirement sa langue et celui qui, en plus de sa langue, parle une autre langue ? Les enclaves soninkés et wolofs du Fuuta sont bilingues, les commerçants wolofs du Fuuta ne sont pas obligés de parler pulaar ; s’ils le font, ils le font en toute liberté et pour le bien de leurs affaires. Alors pourquoi ne pas reconnaître la même liberté aux poularophones en pays wolofs ?
Le « neɗɗo ko banndum » (on ne peut avoir mieux que son parent) : parlons-en. Wade a fait pire que Macky dans ce domaine : il a fait du « neɗɗo ko ɓiyum » (on ne peut avoir mieux que son enfant) et cela poursuit encore le PDS (sans Karim, le parti ne doit rien faire). On s’est beaucoup trompé sur la véritable appartenance des Ba, Diallo, Soh et autres Bary promus par Macky : pour certaines personnes, ignorantes ou malintentionnées, ils ne pouvaient être que des Fulɓe ou des Haal-pulaar-en mais nombreux parmi eux étaient en réalité des gens qui avaient fini de se wolofiser depuis longtemps, ne parlaient un traître mot de pulaar et se reconnaissaient plus dans la peau de Wolofs que dans une autre. Il y a belle lurette que le nom ne fait plus l’ethnie dans nos grandes villes et même dans certaines de nos campagnes. Au nom de quoi Abdoulaye Wade peut-il faire de son fils ministre d’État, ministre de la coopération internationale, de l’aménagement du territoire, des transports aériens, des infrastructures (soit quatre ministères, et des plus juteux, entre les mains d’une seule personne qui, de surcroît, a la possibilité de rendre directement compte au président de la République) ; de sa fille Sindiély sa conseillère spéciale en matière de culture ; donner la présidence du groupe parlementaire libéral à Doudou Wade, son neveu ; tenter de nous imposer comme vice-président le même fils et vouloir encore aujourd’hui le rendre incontournable dans la vie politique du pays sans que certains ne trouvent rien à y redire ? Parce qu’il est wolof ? Macky ne devrait-il pas avoir le droit de nommer son frère ministre comme l’avait fait Abdou Diouf sans remarques sarcastiques ? Non, parce qu’il n’est pas wolof ? Certains suprémacistes doivent se faire à l’idée que ce pays n’est pas un bien des seuls Wolofs et que nous avons tous les mêmes droits et devoirs. Chacun doit donc pouvoir y parler sa langue sans tentative de restriction ou de diabolisation.
Tout observateur objectif conviendra avec nous que cette grande langue ne mérite pas le traitement qu’elle a subi jusqu’ici. En effet, une langue qui est la plus parlée sur plus de 2/3 du territoire sénégalais ; est majoritaire dans 5 régions sur 14 ; 2ème dans 4 régions sur 14 ; 3ème dans 4 régions sur 14 et 4ème dans une seule région sur 14 ; va de l’Atlantique à la mer Rouge ; est présente dans plus d’une vingtaine de pays en Afrique ; compte une importante diaspora (en Europe, en Amérique du Nord, dans les pays du Golfe, en Afrique Centrale et Australe, etc.) ; cette langue, disons-nous, ne mérite pas des tentatives d’étouffement que tout le monde constate à travers des faits concordants :
Parmi ces faits, citons avant tout la violation sournoise de la Constitution du Sénégal qui ne dit nulle part qu’une seule langue doit être utilisée dans les services. L’utilisation exclusive du wolof dans les serveurs des banques, des compagnies de téléphonie, d’Air Sénégal, du TER, du BRT, etc. est contraire à l’esprit et à la lettre de la Constitution. Il est évident que cette pratique illégale ne peut même pas prétendre reposer sur des nécessités commerciales. Si nous prenons Air Sénégal, cela crève les yeux que dans ses différentes dessertes africaines, les locuteurs du pulaar sont plus nombreux que ceux du wolof. Si cette compagnie devait strictement s’en tenir aux bonnes pratiques commerciales, elle aurait dû utiliser le pulaar avant même le wolof, pourtant elle ne l’a pas fait. Mais ce qui est scandaleux, c’est le fait qu’elle s’entête dans son attitude injustifiable malgré les protestations répétées de ses usagers utilisant le pulaar. Dakar étant une métropole ouest-africaine, avec l’omniprésence du pulaar dans cette partie du continent, les lignes du TER et du BRT sont inévitablement utilisées par des Africains poularophones qui ne parlent pas un traître mot de wolof et qui n’auraient eu aucun embarras avec l’utilisation du pulaar. Ces remarques peuvent être étendues à tous les services destinés au grand public.
Tout le monde comprend que ce qui est recherché ici, c’est d’imposer le wolof à tous en faisant fi de nos lois et du bon sens. On oublie seulement que nous ne sommes plus au XVIème siècle où il suffisait d’une simple ordonnance pour condamner une langue à la disparition.
Cette langue doit donc être respectée et valorisée à la hauteur de son poids indéniable. Ainsi, les correctifs qui vont suivre nous semblent indispensables pour éviter au Sénégal une erreur aux conséquences forcément préjudiciables à sa stabilité.
Que faire ?
Il faut donc nous ressaisir et prendre un certain nombre de mesures correctives propres à nous faire retrouver un aménagement linguistique plus conforme aux poids respectifs de nos langues et gage de paix et de stabilité :
En matière d’aménagement linguistique
La première chose à faire est de revoir l’approche de Cheikh Anta Diop et de Pathé Diagne. En effet, leur modèle est loin de tenir compte des réalités actuelles sur le terrain. Le Sénégal ayant reconnu les principales langues du pays depuis 1972, il est difficile aujourd’hui de revenir à une seule langue qu’on imposerait à tous, avec le prix politique que cela suppose parce que cela passera nécessairement par la violence : on n’a jamais vu une communauté linguistique consciente négocier l’étouffement de sa langue. Il s’y ajoute que le résultat escompté, la disparition des langues visées, est quasi impossible à atteindre du fait d’un environnement global peu favorable.
Plus largement, au vu des résultats du recensement et dans la recherche d’une coexistence harmonieuse entre les différents grands groupes linguistiques du pays, le gouvernement du Sénégal devrait adopter, au minimum, comme langues de travail le wolof, le pulaar et le seereer. Pierre Baligue Diouf propose 6 langues mais pas comme langues de travail mais comme langues à enseigner au secondaire. Il s’agit du wolof, du pulaar, du seereer, du manndiŋka, du joolaa et du soniŋke (voir « Innovations pédagogiques pour l’intégration des langues nationales africaines dans l’éducation : quel état des lieux au Sénégal » in https://hal.science/hal-03640374/document, p. 159.
Cela nous rapprocherait du modèle suisse que n’apprécie pas beaucoup Cheikh Anta Diop mais qui est plus conforme à nos réalités et à la préservation de la paix dans notre pays. Ici, nous partageons la critique de Souleymane Bachir Diagne à Cheikh Anta Diop : « …il veut une langue unique. Cela n’a pas de sens d’avoir une langue d’unification : pourquoi le projet devrait-il être un projet qui imite l’Etat-Nation, c’est-à-dire être homogène avec une seule langue, de manière centralisée? ». En effet, force est de constater que nous sommes dans un État multi-ethnique et dans un contexte politique totalement différent. Sans même aller jusqu’en Suisse, le Sénégal peut s’inspirer de l’exemple éthiopien : voilà un pays où 100 langues sont parlées (nous n’en avons pas autant au Sénégal) mais qui a choisi de se doter de 5 langues de travail pour le gouvernement : l’amharique (29% de la population, l’oromo (34%), le tigrigna (6%), le somali (6%) et l’afar (?). Le cas de l’Afrique du Sud est aussi très intéressant. Le 1er alinéa de l’article 6 de la constitution de ce pays dispose :
1) Les langues officielles de la République sont le sepedi, le sotho, le tswana, le swati, le venda, le tsonga, l’afrikaans, l’anglais, le ndébélé, le xhosa et le zoulou.
Pour le statut du pulaar, le Sénégal pourrait s’inspirer de l’exemple rwandais. Voilà un pays où les trois principaux groupes ethniques (Hutus, 81, 7% ; Tutsis, 9, 5%, Twas, 1, 8%) qui font 93,3% de la population parlent tous la même langue, le kinyarwanda. Le Rwanda s’est doté de 4 langues officielles : le kinyarwanda, le français, l’anglais et le swahili. Les 3 premières langues s’expliquent par l’histoire du pays (unité linguistique, colonisation belge et élite tutsie anglophone du fait de son exil en Ouganda). Le choix du swahili est intéressant à analyser. Le swahili a été érigé en langue officielle en 2017 en respect à la promesse faite par le Président Kagamé lors de l’adhésion du Rwanda à la Communauté des États de l’Afrique de l’Est, en 2006. C’est le lieu de rappeler que le swahili est une langue très parlée en Afrique de l’Est alors que le nombre des « Swahiliens » rwandais est estimé à 6500 individus. Autrement dit, le Rwanda a surtout tenu compte du rayonnement régional du swahili pour l’élever au rang de langue officielle. Le statut du swahili en Afrique de l’Est est comparable à celui du pulaar en Afrique de l’Ouest. À cela, il faut ajouter le fait qu’au Sénégal, le pulaar est la 2ème langue du pays après le wolof. Toutes ces deux raisons militent en faveur de l’élévation du pulaar au rang de langue officielle à côté du français et du wolof à l’instar du swahili au Rwanda.
Ce n’est pas par coquetterie que tous ces pays multi-ethniques comme le Sénégal ont choisi le multilinguisme : c’est pour assurer l’épanouissement de toutes leurs composantes ethniques et préserver ainsi une coexistence harmonieuse entre elles. Nous le verrons plus bas : l’unité linguistique a montré ses limites depuis le génocide rwandais. Le Sénégal n’y gagnera rien donc et sa recherche a de fortes chances d’ouvrir la boîte de Pandore et de nous valoir des lendemains tragiques compte tenu de la configuration géographique de nos principales langues (voir carte ci-dessus).
En matière d’éducation
Nous ne sommes pas un spécialiste des sciences de l’éducation, mais le simple bon sens nous fait croire qu’une bonne introduction de nos langues nationales à l’école exige les conditions qui vont suivre :
– Eviter toute précipitation préjudiciable à l’atteinte des objectifs : de nombreux échecs dans ce domaine en Afrique s’expliquent par une absence de préparation suffisante avant le lancement des programmes ;
– Un principe directeur qui permette à chaque petit Sénégalais d’être scolarisé dans sa langue maternelle. Pour ce faire, il faut que le maillage du territoire soit optimal de manière à éviter des choix imposés. Si ce qui est recherché ce sont bien les gains que l’enfant est supposé faire en apprenant dans sa langue, il est évident qu’un tel objectif ne saurait être atteint avec une autre langue imposée du fait de l’absence de la langue idoine ;
– Des enseignants bien formés dans les différentes langues et en nombre suffisant ;
– Des outils pédagogiques de qualité aussi bien pour les élèves que pour les enseignants.
Donner au pulaar sa part légitime pour éviter la déchirure
Pour en revenir au pulaar, il doit être présent dans le TER, le BRT et Air Sénégal, dans la téléphonie (il n’y a pas que les wolofophones qui utilisent ces services ; il faut penser aux nombreux poularophones africains qui vivent au Sénégal ou visitent le pays.
Dans les noms des programmes étatiques, il convient de donner au pulaar la place qui doit être la sienne.
Dans le domaine des media, il est urgent donc de rééquilibrer les grilles des programmes en donnant au pulaar un temps correspondant à son poids démographique au Sénégal (26%) et en Afrique (4ème langue du continent). Autrement dit, revenir au strict respect du poids de chaque langue sénégalaise en lui accordant un temps en conformité avec son poids.
Certaines grandes émissions radio ou télé doivent pouvoir avoir leur version pulaar du fait de leur intérêt particulier ; ce ne sont pas les spécialistes qui manquent.
Une émission genre « Terroir » de la télévision du Mali doit naître : le présentateur introduit et met l’élément tel qu’il a été pris sur le terrain. Cela permet à ceux qui sont dans le pays profond de paraître et d’être connus des autres parties du pays. Pour cela, Il faut se donner les moyens et la volonté de couvrir toutes les manifestations d’envergure sans discrimination de groupes ou de langues et accepter que la télévision nationale appartienne à tous.
Compte tenu du poids du pulaar en Afrique, et pour le rayonnement politique et culturel bien compris du Sénégal, une rédaction entièrement dévolue à cette langue doit être mise en place et une fréquence dégagée pour la diffusion de programmes s’adressant au pays et au monde, à commencer par l’Afrique. En effet, il y a fort à parier que si ces programmes sont bien pensés, l’audience ne fera pas défaut et s’étendra de l’Atlantique à la mer Rouge. Le Sénégal y gagnera sans aucun doute non seulement sur le plan culturel mais aussi économique. Dire cela n’a rien d’une trouvaille car c’est ce que font déjà les grandes radios telles que R.F.I., V.O.A (Voice of America) ainsi que la télévision Canal+ qui a mis dans son bouquet RTI (Radio-télévision Fulɓe Internationale) ainsi que Pulaagu qui ne diffuse que de la fiction en langue pulaar depuis le 29/4/2024.
La marginalisation du pulaar ou, plus grave, sa mort recherchée, n’atteindra pas son objectif du fait d’un environnement peu favorable : révolution de l’audio-visuel qui permet un pluralisme médiatique. Si vous n’êtes pas satisfait d’une télé ou d’une radio, vous pouvez ouvrir la vôtre et la positionner sur satellite, sur le net, la mettant ainsi à la disposition de tous.
Une langue disparaît difficilement d’après le constat même de Cheikh Anta Diop qui cite l’exemple irlandais auquel on pourrait ajouter celui de la Finlande (avec le peuple Suomi qui reconstitua sa langue pratiquement à partir de rien ; voir Kalevala e Fulbheyá d’Elias Lönnrot et d’Alfadyó Mokaheere, 1983).
En clair, ceux qu’on cherche à étouffer linguistiquement ne se laissent pas faire et trouvent d’autres moyens d’exister. Ainsi, ils se créent un autre univers linguistique et culturel qui leur donne ce qu’on leur refuse dans les médias d’État :
Aujourd’hui déjà, de nombreux poularophones du Sénégal et de la Mauritanie ( pour nous en tenir à une information vérifiée) se rabattent sur les radios de proximité ou radios communautaires pour suivre les informations, passer leurs communiqués, participer à des émissions interactives, écouter leur musique préférée, etc. Ces radios deviennent de plus en plus nombreuses et détournent progressivement l’auditoire poularophone des chaînes de la RTS mais également de certaines chaînes privées qui ont connu un réel engouement avec la libéralisation des ondes marquée par la naissance de Sud FM le 1er juillet 1994.
En effet, ne se reconnaissant pas dans les programmes diffusés essentiellement en wolof, les populations ont fini par trouver leur bonheur dans ces radios qui collaient bien à leurs préoccupations. Certaines d’entre elles, bien que portant les noms de villages bien du Fuuta, émettent en réalité sur le net, à partir des États-Unis d’Amérique ou du Canada (c’est le cas de Daw FM et de Radio Haayre-Laaw auxquelles il faut ajouter Pulaar Speaking, une radio d’Association ). Pour les capter, les auditeurs se servent de leurs téléphones portables : il suffit de payer une connexion internet dont le coût est quasiment à la portée de tous, avec la baisse incessante des prix ; donc une solution quasi parfaite permettant d’échapper à ce qui est perçu comme la tyrannie d’une langue et d’une culture. Du coup, nos parents nous ont eux-mêmes demandé de ne plus faire d’avis de décès sur la RTS mais plutôt sur les radios locales au motif qu’ils écoutaient surtout désormais Radio Demet, Radio Tulde, Radio Dóɗél, etc. Et cerise sur le gâteau, les groupes WhatsApp de tous types et de toutes tailles achèvent de « déconnecter » presque totalement les ruraux poularophones des programmes radio de la RTS.
À ces radios s’ajoutent de plus en plus des télévisions en ligne parmi lesquelles on peut citer : RTFI (télé Fulɓe Internationale), Pulaagu, Manda TV Sénégal, Fulɓe Production, Piindi TV, Afrika Pulaar TV, Pinal TV Mali, Pinal TV Winndere, Fuuta Vision TV, Fouta Plus, Kawral Production, Tiitoonde TV, Tele Mbedda Móritani, PPM TV, Hoodere Pulaagu, Fulɓe TV, Fewdaare Fouta TV (Guinée, Fuuta Jaloŋ). Parmi ces télévisions, les plus suivies sont : Afrika Pulaar TV, avec 200 000 abonnés sur Facebook et ip tv ; Piindi TV, avec 192 000 abonnés sur YouTube et ip tv ; RTFI, avec 45 000 abonnés sur Facebook et IPTV.
Étant donné que TFI (chaîne généraliste) et Pulaagu (chaîne thématique diffusant des séries et des dramatiques), sont désormais sur Canal+ et sont accessibles moyennant un abonnement, rien n’empêche plus désormais les téléspectateurs insatisfaits de prendre le large. Les choses sont encore plus simples pour Marodi TV Pulaar qui est sur YouTube. Comme Sunu Yeuf occupe la 3ème place du top 9, avec 10% de parts d’audience derrière TFM (13%) et Sen TV (12%), il est fort probable qu’avec la naissance de Pulaagu (présent sur Canal+ comme Sunu Yeuf), la RTS, déjà absente de ce top 9, dégringolera un peu plus du fait de la perte de ses téléspectateurs poularophones. Il est donc temps que ses dirigeants se demandent si cette descente aux enfers n’est pas liée à une wolofisation de plus en plus poussée, qui fait fuir tous ceux qui ne se reconnaissent pas dans ce choix parce qu’ils pensent avoir un droit de « visibilité » sur une télévision qui, en théorie, appartient à tous. En effet ce choix, qui peut être pardonné aux télévisions privées, ne peut l’être pour la RTS qui pensait faire face à leur concurrence en clonant leurs programmes en wolof et en réduisant de manière drastique les programmes dans les autres langues du pays.
Sur le plan de la téléphonie, la porte que refuse d’ouvrir Orange pour des raisons que rien ne justifie, sera grandement ouverte par l’opérateur Free qui va offrir « bientôt la possibilité de choisir la langue pulaar avec le service client, de parler à des téléconseillers dans cette langue ». Free va même proposer un service adapté aux éleveurs, majoritairement poularophones : une puce pour lutter contre le vol du bétail ! Pour plus de détails, suivre le lien https://www.seneweb.com/news/Societe/le-pulaar-dans-les-supports-de-communica_n_431859.html.
Décidément, on n’est plus au temps de François 1er mais bien sous le règne de la révolution technologique qui ne permet plus l’uniformité. En effet, comme le téléphone portable permet de recevoir tout ce qu’on souhaite, assurant ainsi une indépendance et une liberté quasi totales à tous, il devient impossible d’empêcher une diffusion de masse de contenus qui, progressivement, creuseront un fossé de plus en plus profond et large entre le groupe et le reste de la communauté nationale. Autrement dit, on aura un résultat aux antipodes de celui qui était recherché : à la place de l’unité et de la cohésion forcées, on va semer et laisser se développer les germes de la division entre nos différents groupes linguistiques.
Les Sénégalais qui veulent se faire assimiler pour diverses raisons individuelles ou collectives peuvent le faire en toute liberté mais vouloir imposer l’assimilation à tous par l’hégémonie forcée d’une langue est un projet insensé, gros de menaces pour notre pays ; et qui ne nous garantira même pas une plus grande unité nationale, au contraire.
En effet, depuis le génocide des Tutsis au Rwanda de 1994, cette certitude aussi est tombée : Tutsis et Hutus parlent tous le kinyarwanda et pourtant la désunion et la haine entre eux étaient telles que les premiers furent massacrés sans état d’âme par les seconds à hauteur du chiffre effarant de 800 000 personnes ou plus ! Puisque nos autorités actuelles sont convaincues qu’il faut mettre nos enfants à l’anglais dès le primaire (décision dont l’expérimentation débute dès la rentrée 2024-2025), à quoi bon développer un ghetto linguistique qui n’a aucune chance de dépasser les frontières orientales du Sénégal et à plus forte raison conquérir le continent comme on aurait pu le faire avec le choix d’une autre langue ? Revenons à la raison et trouvons un aménagement linguistique plus équitable et plus respectueux de nos réalités !
Aucun peuple n’a renoncé à sa langue sans la violence dont la forme peut varier : elle peut être physique ou morale. Or le contexte actuel du Sénégal et du monde ne permet d’user d’une violence du genre de celle qui a tué certaines langues dans l’histoire. Le prix à payer serait trop fort pour un résultat quasi inatteignable. La paix n’a pas de prix.
Les politiques et les religieux doivent s’assumer
Nos politiciens, hommes et femmes, doivent mieux s’assumer. La plupart des formations politiques qu’ils lancent portent des noms wolofs ou français, le pulaar étant dédaigné :
L’ancien ministre d’État des affaires étrangères de Wade créa, en 2010, un parti auquel il donna pour nom « MPC/Luy Jot Jotna » (Mouvement Politique Citoyen/Luy Jot Jotna). Comme on le voit, il a ignoré le pulaar et choisi le français et le wolof. Faisant preuve de plus de prudence sans doute du fait de son enracinement plus solide, celle qui fut le maire de Podor lança, en 2017, un mouvement politique dénommé « Oser l’Avenir ». C’est du français certes mais elle ne tourne pas le dos à sa langue maternelle au profit d’une autre langue du pays.
Le parti d’un autre Podorois s’appelle AG/Jotna et sa nouvelle coalition mise sur pied à l’occasion des législatives de novembre 2024 a pour nom « And Gor ». Et pourtant, cette personne est bien née à Podor, en plein Fuuta et parle pulaar. Pour être juste cependant, reconnaissons que c’est cette même personne qui lança, dans le cadre du déploiement de « Senegaal Dem-Dikk », une ligne « Fuuta Yaa-Ngartaa » (entre Richard-Toll et Haayre-Laaw) malgré la contestation du syndicat de la compagnie sur le choix d’un nom en pulaar, d’après Gondiel Ka.
Si l’ancien Premier ministre et candidat à la présidence a donné à son parti le nom de « Nouvelle Responsabilité », il a aussi lancé une coalition dénommée « Jàmm Ak Njariñ » ; encore du wolof pour une organisation dont le leader est un poularophone. Ici, reconnaissons qu’il n’a pas les mains libres et que ce choix s’explique sans doute par le consensus qu’il a dû trouver avec ses partenaires.
Il aura suivi en cela les pas du président sortant qui avait appelé son parti APR (Alliance Pour La République) et sa coalition « Bennoo Bokk Yaakaar ». Dans ce tableau morose pour le pulaar, deux exceptions à noter : la coalition « Addu Jam (AJ)», (Apporte le Bien) en pulaar, composée d’agriculteurs et d’éleveurs, a osé choisir un nom entièrement en pulaar. C’est aussi le cas de la coalition « Nafoore Sénégal » dont la base est le département de Goudiry, au Ɓunndu. Ces faits méritent d’être notés. Malheureusement, nous venons d’apprendre (7/10/2024 à 19h 34) que la première coalition a été recalée parce que son chèque a été rejeté. Au moins voilà des gens qui n’ont pas tourné le dos à leur langue pour des raisons électoralistes.
Que nos politiciens et politiciennes ne s’y trompent pas, Ce n’est pas en renonçant à ce qu’on est qu’on aura à coup sûr l’électorat wolofophone qu’ils courtisent. Et que l’électorat poularophone le dise ou non, il ne peut être content d’un tel manque de considération pour sa langue, et cela peut faire beaucoup de déçus qui peuvent faire très mal. Qu’ils trouvent des noms de partis dans lesquels leurs bases électorales, avant tout poularophones, se retrouvent. La leçon que Macky a régulièrement reçue dans une certaine zone du pays malgré les investissements sans précédents effectués pour elle et les actes d’allégeance à l’endroit de ses dignitaires doit les faire méditer : ce n’est donc pas avec un nom de parti emprunté au wolof qu’on fera oublier à certains suprémacistes à quelle communauté on appartient ! Et comme pour ce Jiggeejo (un parent à plaisanterie) qui, sentant un gros poisson sous son pied, lâche celui qu’il avait déjà dans sa main pour pouvoir attraper celui qui était sous son pied, il y a fort à parier qu’ils perdront l’un sans avoir pris l’autre ; lâchant ainsi la proie pour l’ombre !
Nos guides religieux aussi doivent faire plus attention à l’usage du pulaar lors de cérémonies spécifiques au groupe mais aussi dans leurs sermons. Comme nous l’avons déjà écrit ailleurs, quand quelqu’un se déplace de Guédiawaye à la mosquée omarienne (pour prendre un exemple significatif) pour la prière ou la wazifa du vendredi, les deux grandes prières du calendrier musulman, ce n’est pas pour entendre un sermon ou une communication faits en grande partie en wolof. Il serait resté dans son quartier s’il n’était pas à la recherche d’autre chose. Dans le même ordre d’idées, lors de sa ziarra annuelle, le pulaar doit occuper une place centrale parce que de nombreuses personnes qui viennent de l’arrière-pays ne comprennent ni ne parlent wolof. Dans cette mosquée, il y a donc un équilibre à trouver entre le pulaar qui doit être sa première langue et le wolof qu’il faut aussi utiliser pour les wolofophones qui y prient du fait du voisinage. Comme on dit en pulaar « yiɗande hoore mum, wonaa añande banndum » (« vouloir pour soi-même, ce n’est pas vouloir priver le proche ». Parlons d’abord notre langue dans les lieux de culte qui nous sont spécifiques. Dans la mosquée de la Cité Assemblée, les sermons sont faits en wolof même par l’imam titulaire qui est plus à l’aise en pulaar que dans cette langue. Nous trouvons cette pratique normale parce que le wolof est largement majoritaire dans cette zone. Le désir de satisfaire les fidèles de langue wolof ne doit pas amener nos guides à en oublier la langue de leur communauté. Ils doivent s’organiser pour satisfaire les uns et les autres. Avec un agenda dont l’objectif est, clairement, d’étouffer toutes les autres langues au profit d’une seule, il n’y a plus aucun complexe à porter en bandoulière son pulaar ou son seereer et à avoir la garde haute jusqu’au jour où chaque langue du pays aura sa juste place dans notre aménagement linguistique.
Paradoxalement Macky a été aussi celui par lequel a débuté l’inversion tant redoutée par Pathé Diagne, Cheikh Anta Diop ainsi que tous ceux qui militent pour le choix immédiat du wolof comme langue officielle en donnant une remarquable impulsion au développement de l’intérieur du pays. Son slogan « Un Sénégal de tous et pour tous » résume parfaitement son action. Il lança donc les instruments de ce développement (PUDC, PUMA, DAC etc.), avec comme objectif prioritaire l’électrification rurale et les infrastructures de transport et de désenclavement des régions de l’intérieur. Les bases du décollage économique étaient ainsi construites, permettant de ce fait le début du processus de rattrapage entre le centre-ouest et le reste du pays. À terme, les conséquences d’un tel processus seront la fixation des populations dans leurs terroirs où elles pourront s’épanouir sans devoir désormais se rendre en pays wolof où certains de leurs ancêtres sont restés définitivement et se sont fait assimiler. Cette politique d’équité, beaucoup de ceux qui ont profité jusqu’ici de l’exclusivité des actions de développement entreprises par l’État et qui sont conscients de la diminution consécutive de l’influence de leur terroir, de leur culture mais surtout de leur langue, ne l’ont jamais pardonnée à Macky. Cela pourrait expliquer la constance du vote défavorable qu’il essuya du début à la fin de son mandat dans certaines zones du pays. L’acharnement de Macky à museler le pulaar et les autres langues avait essentiellement pour objectif de chercher à éviter les foudres de ces nostalgiques de la suprématie du pays wolof. Peine perdue car il fut accusé d’investir toutes les richesses du pays au Fuuta ; en un mot, de faire du « Neɗɗo ko banndum » quand tous les faits objectifs montraient que d’autres régions ont eu une part plus importante dans ses investissements : autoroute Ilaa-Tuubaa, pont sur la Gambie, différents ponts et routes en Casamance, au Sénégal Oriental, dans la région de Fatick, autoponts, TER et BRT à Dakar, hôpitaux de dernière génération dans plusieurs régions. On voit bien donc que l’aversion (nous pesons bien nos mots) de Macky Sall que charrièrent certains réseaux sociaux ne peut pas s’expliquer par une injustice excessive à l’endroit de certaines communautés ou régions. Il y a incontestablement un sentiment que nous n’aimerions pas qualifier mais qui devrait inquiéter tous les Sénégalais conscients et soucieux de l’harmonie, mieux, de l’amour qui doit prévaloir entre les différentes composantes de ce pays.
Les langues étant les outils d’expression, de communication mais aussi les éléments qui incarnent le plus l’identité des communautés humaines, toutes les décisions qui les concernent doivent être pesées et repesées minutieusement avant d’être arrêtées. À 70 ans passés, on peut s’autoriser certaines vérités, avec l’espoir qu’elles tomberont dans de « bonnes oreilles ». Le pulaar n’est pas une petite langue : il ne l’est pas au Sénégal où, sur le plan géographique, il est la première du pays mais aussi en Afrique où il occupe la 4ème place du point de vue du nombre des locuteurs et la première (des langues autochtones africaines) du point de vue de l’étendue géographique. Si l’histoire générale de l’Afrique a été publiée dans cette langue, ce n’est pas par hasard. Si le pulaar a été pressenti pour faire partie des langues de travail de l’Union Africaine, ce n’est pas non plus par hasard. Une telle langue ne peut pas être mise entre parenthèses ou étouffée comme un dialecte parlé par quelques individus. Cette vérité-là, tous les intellectuels wolofs lucides, épris de paix et de justice doivent l’admettre au lieu de faire la sourde oreille et de fermer les yeux sur ce qui se passe actuellement au risque de mettre en péril cette paix si appréciable que beaucoup d’Africains nous envient. Nous leur rappelons à cet égard une chose qu’ils n’ignorent pas, à savoir que le vrai intellectuel est celui qui s’implique pour combattre l’injustice. Nous ne voulons pas être un oiseau de mauvais augure : la tourmente nous menace déjà tant des frustrations de plus en plus difficiles à contenir s’accumulent. Et si nous voulons rester en paix, suivons ces grands pays cités ci-dessus et écoutons l’un de nos plus brillants intellectuels, pour ne pas le nommer, le Professeur Souleymane Bachir Diagne qui, courageusement, a recommandé, à plusieurs occasions le multilinguisme pour le nôtre. Que nos gouvernants refusent donc d’écouter le chant de certains tritons et s’engagent résolument et irréversiblement dans la voie d’un multilinguisme salvateur. Sur la base de la proposition de Samba Diouldé Thiam, « la possession d’au moins trois langues [dont le français], par tout élève qui termine le cycle primaire », il faut oser demander aux Wolofs de faire un effort d’ouverture vers les autres langues car le problème se pose surtout chez eux. Si l’option de l’officialisation devait être retenue, que ce soit, au minimum, avec nos trois premières langues qui s’imposent par leur poids démographique et géographique.
Livres en pulaar écrits par l’auteur :
– Paalél njuumri. Binndanɗe e jeewte (La gourde de miel, écrits et conférences), Dakar, Éditions Papyrus-GIE, 2000, 2005, 2019.
– Sawru Ganndal. Yoo Tuubaako artir jabbere mum (l’arme du savoir. Que le Blanc soit plus modeste), Dakar, Éditions Papyrus Afrique, 2005, 2019 ; existe aussi en audio (Chérif Ba, sur YouTube).
– Fulɓe gila Héli-e-Yooyo haa Fuuta Tooro (Les Peuls de Héli-et-Yoyo au Fouta Toro), Dakar, Éditions Papyrus Afrique/Presses Universitaires de Dakar, 2012.
Le Conseil national de développement de la nutrition, en collaboration avec l’Inspection de l’éducation et de la formation (IEF) de Sédhiou (sud), a lancé, jeudi, une caravane de sensibilisation sur la lutte contre les troubles dus à la carence en iode
Le Conseil national de développement de la nutrition, en collaboration avec l’Inspection de l’éducation et de la formation (IEF) de Sédhiou (sud), a lancé, jeudi, une caravane de sensibilisation sur la lutte contre les troubles dus à la carence en iode, avec la participation des établissements scolaires de la commune, a constaté l’APS.
”Nous sommes à Sédhiou pour partager avec toute la population l’importance de la lutte contre les carences en iode”, a déclaré Adama Guirane, chargé de la fortification des aliments au CNDN.
M. Guirane a indiqué que la carence en iode est un problème de santé publique au Sénégal, soulignant qu’elle impacte négativement la population, en particulier les femmes et les enfants.
Les élèves jouent un rôle crucial en tant que vecteurs de sensibilisation pouvant promouvoir la consommation de sel iodé dans leurs foyers et communautés, a-t-il dit.
Il a insisté sur les risques liés à la carence en iode et les avantages d’une alimentation adéquatement iodée, affirmant que des efforts sont nécessaires pour relever le taux de croissance des enfants et améliorer leur parcours scolaire.
Selon lui, les conséquences de la carence en iode sont nombreuses, citant les avortements, la mortalité néonatale, les retards mentaux et les goitres, qui affectent particulièrement les femmes et les enfants.
Les enquêtes menées dans la zone sud révèlent une stagnation de la croissance des enfants, nécessitant des interventions pour lutter contre les carences en iode, en fer et en vitamine, a-t-il ajouté.
Omar Diagne, inspecteur de l’éducation et de la formation (IEF), a souligné l’importance de cette initiative pour améliorer la santé publique et le développement des enfants dans la région.
VERS L’INTRODUCTION DE L’ENSEIGNEMENT DE L’ANGLAIS A L’ELEMENTAIRE
L’introduction de l’anglais à l’Elémentaire notamment au niveau du CM1 et du CM2 sera effective à la rentrée des classes prochaine pour une phase expérimentale, a annoncé, jeudi, le Secrétaire général du gouvernement.
Dakar, 19 sept (APS) – L’introduction de l’anglais à l’Elémentaire notamment au niveau du CM1 et du CM2 sera effective à la rentrée des classes prochaine pour une phase expérimentale, a annoncé, jeudi, le Secrétaire général du gouvernement.
”Le Premier ministre demande au ministre de l’éducation de veiller, en ce qui concerne l’introduction de l’Anglais, aussi bien pour la phase expérimentale que pour le déploiement, à l’élaboration d’une feuille de route précise et réaliste en veillant à l’égalité d’accès des apprenants ainsi que l’adéquation avec les besoins de production et du monde travail’’, a indiqué Ahmadou Al Aminou Lo.
Lisant les recommandations du Conseil interministériel sur la rentrée 2024 -2025, présidée par le Premier ministre, Ousmane Sonko, M. Lo a annoncé à cet effet que ”les ministres chargés de l’éducation nationale et de la formation professionnelle, en rapport avec toutes les parties prenantes, engageront dès cette année, la refonte profonde des curricula de l’Education et de la Formation, selon la Vision du Projet”.
Il a rappelé que cette vision est axée sur la souveraineté nationale, la promotion des valeurs et de la citoyenneté, de l’histoire authentique et des langues nationales, des sciences, des techniques et du numérique, de la sécurité routière, de l’éducation environnementale et du développement durable.
Concernant les langues nationales, le Premier ministre a émis le souhait de faire le bilan des initiatives en cours et de lui soumettre les résultats, a t-il rapporté.
Parmi toujours les réformes, ‘’les ministres chargés de l’Education nationale, de l’enseignement supérieur et de la Formation professionnelle, en rapport avec toutes les parties prenantes, engageront dès cette année, la réforme du système d’évaluation certificative (CFEE, BFEM, BAC) en lien avec la refonte des curricula’’, a fait savoir le Secrétaire général du gouvernement.
Il a indiqué par ailleurs que ”le ministre de l’Education nationale devra prendre les dispositions idoines pour mettre en œuvre la Stratégie numérique pour l’Éducation, avec notamment la création, dès la rentrée scolaire, d’une filière numérique et le démarrage de son expérimentation au sein des Lycées Nation-Armée pour la Qualité et l’Équité (LYNAQE) et de certains lycées d’excellence’’.
Le ministre de l’Enseignement supérieur est invité, en rapport avec le ministre des Finances et du Budget, à ‘’veiller à la finalisation des chantiers en cours dans les campus pédagogiques et sociaux’’.
Le ministre de l’Education nationale est invité ‘’à déployer la Nouvelle Initiative pour la Transformation Humaniste de l’Éducation (NITHÉ) pour la promotion des valeurs et de la citoyenneté’’.
Par Amadou Lamine SALL
QUELLE EST DONC CETTE TENACE QUERELLE TANT ENTRETENUE ENTRE SENGHOR ET CHEIKH ANTA DIOP ?
Enivrons-nous de leur héritage. Enseignons leurs œuvres à nos enfants. Méditons leurs pensées et servons-nous en, quand arrive la nuit de la peur et de l’angoisse. Ils ont, tous les deux, laissé la plus belle et la plus haute des pyramides dans la mémoire
Nous ne connaissons en Afrique, en son temps, exerçant une aussi profonde influence, aucun nom qui soit plus grand, plus doué, plus cultivé et plus étoffé que Senghor et Cheikh Anta Diop !
Comme Tocqueville en parlait pour le 18ème siècle, nous pouvons avouer aussi pour le 20ème siècle, qu’un immense homme de lettres et un savant, homme de pensées et de sciences de la recherche, Sédar Senghor et Cheikh Anta, sont «devenus les principaux hommes politiques du pays, et des effets qui en résultèrent.» Deux hommes qui ont forgé leur légende et « qui par le commerce de la pensée et de la plume, combiné avec l’intervention dans les affaires publiques, ont exercé la plus grande influence dans leur temps.» Cela relève de leur génie propre !Ils ont fait l’éclat du Sénégal !
Entre Senghor et Cheikh Anta, une «famille d’esprit» opposée, «mais au-delà de la diversité de leurs opinions, un esprit de famille qui fait de la politique, non une profession, mais un prolongement naturel de la vie intellectuelle et artistique d’une époque.» N’ont suivi et succédé à ces deux icônes que des «hommes politiques professionnels» et raides !»Avec eux, le Sénégal «a changé et nous a changés !» Il aurait même changé Dieu ! Nous semblons ne plus être doués que pour le malheur, l’inculture, la haine, l’indiscipline, l’insulte, l’indignité ! Nombre d’entre nous ont renoncé à nos valeurs ! Le peu qui nous sort encore la tête de l’eau, c’est cette honte de ne plus être les premiers, comme hier Senghor et Cheikh Anta l’étaient en Afrique ! Le Premier ministre du Mali, Choguel Kokalla Maïga, à sa manière, nous l’a rappelé en s’adressant à son petit frère, homologue du Sénégal, venu à Bamako leur rendre visite en ce mois d’août 2024. Son hommage à Senghor avec cette reconnaissance au pré-panafricaniste qui a inventé la Fédération du Mali et l’a mise en place avec Modibo Keïta, inaugurant ainsi l’unité régionale avec ses «cercles concentriques» avant l’unité panafricaniste à hauteur de tout le continent et aujourd’hui encore si lointaine, presque utopique. Choguel Maïga s’exprime devant Ousmane Sonko installé au pouvoir 65 ans après. Émouvant. Puisse Choguel Maïga, étiqueté brillantissime intellectuel à qui, vrai ou faux, Sédar avait attribué une bourse d’étude en France, lutter de toutes ses forces et au-delà, pour rendre aux Maliens la liberté des urnes etle chant de la démocratie.
Oui, certes Senghor n’a pas tout réussi, mais la démocratie sénégalaise tant chantée par le monde et qui a permis par des alternances apaisées à grandir le Sénégal, on la doit, si infime soit-elle, d’abord à Senghor qui a commencé par instituer des courants politiques au-delà du parti unique, courants qu’Abdou Diouf a ouvert et amplifié et qui ont fini par donner une République ouverte à tous, jusqu’à Diomaye aujourd’hui. Il fallait bien commencer par quelque chose ! Ne raccourcissons pas l’histoire ! Pour encore demain, la jeunesse doit savoir et ne rien ignorer de notre histoire démocratique ! «Le Noir est une couleur, le Nègre une culture. Il y a des Nègres qui ne sont pas des Noirs», dit-on. Depuis l’Égypte, les fils de l’Afrique prodigieuse n’ont pas encore construit plus grand que les pyramides ! Cheikh Anta Diop attend ! Puisse son mausolée à Thieytou être reconstruit sous forme de pyramide. Pour la mémoire et le symbole ! «Formez-vous, armez-vous de sciences jusqu’aux dents (…) et arrachez votre patrimoine culturel (…) La plénitude culturelle ne peut que rendre un peuple plus apte à contribuer au progrès général de l’humanité…» nous dit Cheikh Anta Diop ! «Accéder à la modernité sans piétiner notre authenticité», recommande Senghor. Sachons une fois pour toute que Senghor et Cheikh Anta Diop, sans l’affrontement politique de deux hommes différents de camp, mais intellectuellement «enflés » et complémentaires, se rencontrent, quelque part, dans leur théorie. Quand «l’humanisme de Senghor consiste à affirmer la complémentarité des cultures et des civilisations», Cheikh Anta Diop «rêvait d’une synthèse entre ancrage et métissage culturel ». Comme Sédar, il était à la fois marié avec l’Afrique et avec une française admirable. Cessons donc de les opposer, deux haches à la main, et prions pour avoir dans ce pays en mutation d’autres Cheikh Anta Diop à venir, d’autres Senghor à venir.
Les deux hommes s’appréciaient et se respectaient. Je les ai vu arriver au mariage de maître Boucounta Diallo. Ensemble, verre à la main, ils échangeaient. En paix et en fraternité. Sembene Ousmane, le rebelle, était là, lui aussi. Il fêtera Senghor au CICES, en maître de cérémonie, le recevant en grande pompe avec les écrivains membres de la section sénégalaise du Pen Club International. Sembene, ce jour-là, habilla Senghor, pour le symbole, d’un soyeux boubou de «maître des circoncis» Ramenons les choses au beau et pas toujours au laid et à la division !
Allez donc prendre connaissance également de l’émouvante dédicace de Cheikh Anta Diop à Senghor, en lui offrant un exemplaire de son mythique ouvrage : « Nations nègres et culture. » Lisez la touchante lettre de condoléance de Senghor à Madame Diop. Vous serez alors ému par le respect et l’affection qui unissaient les deux hommes ! C’est sur la ligne de feu de la politique pour accéder au pouvoir, qu’ils se sont opposés et avec un respect mutuel. Normal que Senghor défende son trône que Cheikh Anta Diop voulait conquérir. Normal que Cheikh Anta Diop marquât sa différence de programme politique avec Senghor pour conquérir et convaincre son propre électorat. Ce qui est la nature même de la lutte politique et de la conquête du pouvoir. D’ailleurs, à la vérité, que faisait Cheikh Anta Diop en politique ? Il était déjà entré dans l’histoire, grand dans l’histoire et plus grand encore que la politique !
Autre fait admirable que nous raconte feu Bara Diouf, patron du quotidien national Le Soleil, que je rapporte dans mon ouvrage «Senghor : ma part d’homme», édition 2006. C’était lors de sa conférence sur Senghor le 29 décembre 2006, à l’hôtel Novotel. Bara Diouf témoigne : « Cheikh Anta Diop me téléphone et me dit qu’il se rend au Caire, en Égypte, et qu’il souhaiterait être accompagné par la presse. Je lui réponds que je n’ai pas d’argent pour faire partir un journaliste pendant un mois. Voyez avec les Arabes s’ils ne peuvent pas faire un geste. – «Cela me sera difficile», me répond Cheikh Anta. Alors je prends mon téléphone et j’appelle Madame Alexandre la secrétaire du Président Senghor au Palais. Il me reçoit et je lui rends compte de la requête de Cheikh Anta. Il me remet cinq millions de Francs et me dit ceci : «Il faut couvrir son voyage et le faire accompagner. Je ne veux pas qu’il y ait des traces de mon intervention, donc je n’en parle pas à notre ambassadeur. Que tout soit discret. Vois-tu, mon cher Bara, je ne laisserais jamais seul Cheikh Anta sur les bords du Nil.»
En lieu et place de ceux qui, à longueur de cœur et de pensée, sont ensevelis dans la partialité, la rancœur et la revanche, et qui tentent, sans se lasser, de mettre en duel Senghor et Cheikh, de les opposer, de les séparer, de les diviser, prions plutôt pour que le Sénégal, ce grand petit pays dont la renommée dépasse ses frontières, voie naître d’autres Senghor et d’autres Cheikh Anta Diop. Enivrons-nous de leur héritage. Enseignons leurs œuvres à nos enfants. Méditons leurs pensées et servons-nous en, quand arrive la nuit de la peur et de l’angoisse. Ils ont, tous les deux, laissé la plus belle et la plus haute des pyramides dans la mémoire des hommes. Leur héritage est comme un puits inépuisable. Leur nom et leur contribution à la marche de l’humanité, sont entrés d’un même pas cadencé dans l’histoire et la postérité. Les opposer pour en faire un fonds de commerce intellectuel, ne conduit qu’au ridicule, à la petitesse, à l’oubli et au néant.
M’inspirant de l’enseignement de Al Makhtoum, évitons ce qui est malencontreusement arrivé au Dieu unique ! Il nous a donné le prophète Mohamed. Il ne peut plus nous en donner un autre d’identique ou de plus grand. Le voudrait-il, il ne le pourrait ! Dieu ne peut plus le faire et ne le fera plus jamais, jusqu’à la fin des temps ! Comme Jésus ! C’est acté. C’est écrit ! C’est ainsi ! Par contre, nous ses si humbles, si fragiles, si éphémères sujets, avons, de par sa grace et sa Générosité sans fin, la force de prier pour que naissent d’autres Senghor, d’autres Cheikh Anta Diop. Il s’agit de grandir son pays, l’Afrique, le monde et de laisser un héritage digne de l’humanité comme celui de ses deux fils étoiles du Sénégal !
Bien des idées reçues et qui perdurent hélas encore, nous trompent et montrent du doigt tant de mensonges et de manipulations ! Tenez, comment par ailleurs interpréter cette posture de Mamadou Dia, qui, dès sa sortie de ses très longues années de prison par grâce présidentielle de Senghor, est allé de lui-même rencontrer «son ami» qui l’avait ainsi fait punir. Dia embrassa Senghor et le remercia. Mamadou Dia est un saint ! Cet acte émouvant et d’infinie humanité de sa part, dépassa un Senghor surpris ! Il ne peut exister plus touchante grandeur ! Et pourtant on en a voulu à Dia d’être allé au Palais embrasser Senghor «qui l’a poignardé dans le dos avec la complicité de la France», comme l’a craché, odieusement, en direct à la RTS, tel quel, bave et haine à la bouche, l’invité habile, hostile et vengeur du courtois et pudique journaliste d’une RTS pourtant si professionnelle, respectueuse et éthique qui, en ce douloureux dimanche du 28 juillet 2024, ne méritait pas de faire subir à son public, sur sa chaine, la diffusion d’une telle sortie haineuse et si violemment sectaire ! Feu Mamadou Dia ne serait pas d’accord !
L’invité délirant rempile de plus belle face au journaliste de la RTS, presque médusé, en vomissant encore ceci : «Il faut cesser d’avoir à la tête de nos pays des hommes d’État comme Senghor, Abdou Diouf, Abdoulaye Wade, Macky Sall… Senghor est une calamité, un dictateur, un grand Blanc… Senghor et tous les autres, c’est kif-kif bourico !» Un être normalement constitué ne peut pas ainsi s’exprimer sur la chaine nationale, face aux Sénégalais ! Cela ne doit plus arriver !
De cette émission de la RTS du dimanche 28 juillet 2024, si suivie par attachement à un journaliste solide et humble, nous en avons rapporté ici, par respect et pudeur, le moins pénible, le moins reptilien, le moins tragique et gluant, le moins répulsif et lépreux, le moins déshonorant et indigne, le moins indécent des propos de l’invité récidiviste ! Il creuse toujours, sans se lasser, pour déterrer Senghor et brûler ses os ! Mais la tombe de Sédar est un puits au fond inatteignable ! N’insulte pas Senghor qui veut pour aller dormir ensuite en ronflant ! Et dire que des liens de sang ont scellé par la volonté de Dieu les Senghor à sa famille ! Nul n’est un chef-d’œuvre achevé, hormis Dieu ! Senghor est déjà «mémorisé», «mémorialisé» avant toute mémoire. Il est «Onussisé». Il est «panafricanisé». Il est mondial Il est une histoire ineffaçable, une grande et très belle histoire. Comme Cheikh Anta Diop !
Nous nous inclinons respectueusement devant la famille de ce cruel et hérétique pourfendeur de métier, une famille où veille un homme hors du commun, un immense, intense et bel esprit. Il est dans l’ombre. Il est dans le silence, la paix, la méditation, la prière et la lumière des livres. Il est bon et affectueux. Et nous l’aimons de tout notre cœur. La revanche et les insultes aux morts, ne sont dignes d’aucune créature humaine, à moins de s’être éloigné et des hommes et même des bêtes, loin, très loin du divin ! Que le Seigneur veille sur cet homme pierreux, à l’âme sèche. Qu’Il lui ôte ce poison du cœur. Qu’il éteigne en lui cet incendie qui l’habite et le consume ! En paix, revenons à Senghor et à Cheikh Anta Diop ! On peut facilement penser que «Les deux hommes n’étaient pas faits pour se rencontrer, ni même pour s’estimer.» Et pourtant, c’est ce qui est arrivé. Cela est dû à un seul mot, une seule soif, une seule quête : la culture ! Senghor, poète et homme d’État, «homme du destin et de l’Histoire.» Cheikh Anta : «la permanence de l’intelligence», l’énergie et la rage du chercheur chevillé à rendre à l’Afrique prodigieuse son éclat et sa grandeur. Un temps jadis gouverné par deux grands penseurs et chercheurs ! Ce printemps si rare, à la fois ensoleillé et givré quelque part, reviendra-t-il ? Nous en sommes profondément nostalgique ! Le futur vaudra-t-il ce passé si rempli, si puissant, si nourrissant ? Nous en doutons au regard de la course folle des hommes vers l’argent, l’inculture, le pouvoir.
Par-dessus les générations, ce que nous avons vu et vécu au Sénégal avec Senghor, Cheikh Anta Diop, Pathé Diagne, Birago Diop, Sembene Ousmane, Majmouth Diop, Abdoulaye Ly, Amadou Mokhtar Mbow, Assane Seck, Alioune Diop de Présence africaine, Alioune Sène, Bara Diouf, Moustapha Niasse, Djibo Ka, Mame Less Dia, Doudou Sine, Abdou Anta Ka, le sociologue Pierre Fougeyrollas, le mathématicien Souleymane Niang, Sémou Pathé Guèye le philosophe, le Professeur Alassane Ndao, et tant d’autres, comme époque d’un foyer ardent de culture et d’esprit de révolte et de contestation, jusque dans l’arène politique aujourd’hui si rabougrie et miséreuse, ne peut être comparé à nul autre temps. Senghor resta intraitable avec ses brillantissimes opposants, intellectuels émérites. Répressif - au sens où on laisse l’individu exercer sa liberté tout en lui assignant des limites dont la transgression entraîne une sanction pénale prononcée par une juridiction-il ne lâcha rien. Les opposants non plus. Ce fut un temps de belles et grandes gueules, de «grandes plumes, de rigueur, de mentorat, de grande exigence !» Les têtes étaient pleines, les acteurs charismatiques et brillants, cultivés jusqu’à la moelle et rebelles. Nul n’entendait parler d’argent, de corruption, de manque d’éthique et de dignité ! Seules les idées portées par une immense culture, l’engagement intellectuel, le courage politique, dominaient. Respect !
Sous Senghor et Cheikh Anta, les relations, les luttes et les combats entre l’élite intellectuelle et le pouvoir, étaient une délicieuse confiture. Senghor prenait sa plume, comme intellectuel et non comme chef d’État, pour répondre directement par presse interposée, à ses détracteurs. Ce fait est rare et unique ! Il ne serait pas inintéressant de se poser aujourd’hui, depuis le départ de Senghor, la question du «rapport des intellectuels et des ‘écrivains’ au pouvoir, et quel est le rapport du pouvoir aux intellectuels, ‘aux écrivains ‘» Ne serait-il pas utile que « les intellectuels et les écrivains empêchent que la direction du changement soit exclusivement l’affaire des hommes au/du pouvoir ?»
Toujours ou très souvent, partout, «Les intellectuels mettent en cause l’ordre établi et contestent la gestion de la vie sociale en dénonçant le manque de démocratie et de liberté, l’injustice sociale, la domination extérieure acceptée selon eux par le pouvoir. Exclus des lieux des décisions nationales, ces intellectuels réagissent à cette exclusion en se repliant sur des idéologies ou des positions doctrinales…»
Cheikh Anta Diop restera Cheikh Anta Diop. Senghor restera Senghor. Immortels et éternels tous les deux. Prions pour Sédar et Cheikh Anta. Qu’ils reposent en paix. Apprenons à nous élever, à grandir et à servir le beau ! Seul le beau rend beau ! Août 2024.
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JUBBANTI, ÉLEVONS CETTE LANGUE EN ÉLEVANT SON ORTHOGRAPHE
«Jubbanti» et non Jubanti, «Ceddo» et non Cedo, «Siggi» et non Sigi ou encore Kër et non Keur . Adoptons la bonne orthographe. La parole d’Arame Fal, de Pathé Diagne, Cheikh Anta Diop ou d'Ousmane Sembène est souveraine. Explication de Mademba Ndiaye
Au moment où le débat sur l’introduction des langues nationales dans le système éducatif est très actuel, il n’est pas juste que des responsables au sommet ne respectent pas les normes orthographiques de ces langues dans leur communication officielle.
Dans le slogan de campagne en wolof «Jub Jubal Jubbanti » du Pastef, le mot «Jubbanti » est souvent écrit avec un seul « B ». Ce qui est une faute du point de vue des linguistes confirmés. Bien que les spécialistes eurent donné la règle juste, les membres du Pastef semblent persister à écrire ce mot à leur convenance, avec un seul « B » au lieu de 2 « BB ».
En répondant à notre entrevue sur le Pacte de Bonne gouvernance, Mademba Ndiaye invite les membres de Pastef à adopter humblement la bonne orthographe, celle retenue par les scientifiques qui font autorité dans ce domaine.
Mais quand on remonte l’histoire, cette question de l’orthographe juste de certains mots wolof n’est pas nouvelle comme le rappelle fort à propos Mademba Ndiaye.
Sous le magistère du président Léopold Sédar Senghor, bien des mots wolof ont ainsi fait l’objet de débat féroce entre intellectuels. Le président Senghor, poète confirmé et puriste s’était affronté au trio composé d’Ousmane Sembène,, Pathé Diagne et Cheikh Anta quant à l’orthographie des mots « Ceddo», « Siggi » par exemple.
Senghor, le poète, grammairien et puriste de la langue imposant de manière péremptoire sa volonté au linguiste Pathé Diagne, à l’écrivain-réalisateur Ousmane Sembène, ou à l’historien Cheikh Anta Diop, savant plutôt pluridisciplinaire, qui n’est pas un nain en matière de linguistique, lui qui a établi la patentée linguistique entre les peuples d’Afrique.
En somme, l’écriture du mot JUBBANTI » a amené le journaliste émérite Mademba Ndiaye, aujourd’hui consultant, à rappeler cette histoire entres ces géants intellectuels dans leurs domaines respectifs a ceux qui ont oublié ou à le faire savoir à ceux qui ne l’ont jamais appris, notamment les jeunes.
Suivez son explication dans cette vidéo.
L'ÉDITORIAL DE RENÉ LAKE
DÉCOLONISER LA JUSTICE
EXCLUSIF SENEPLUS - Dans un État démocratique et de droit, la séparation des pouvoirs entre l'exécutif, le législatif et le judiciaire est fondamentale pour assurer le bon fonctionnement et l'indépendance de chaque institution
Aller chercher le savoir jusqu’en…Chine ! Cette recommandation de bon sens est une invite à aller au-delà des frontières de la vieille métropole coloniale pour chercher les meilleures pratiques (best practices), surtout quand, dans un domaine particulier, celle de l’ex-colonisateur n’est pas le meilleur exemple pour la bonne gouvernance à laquelle les Sénégalaises et les Sénégalais aspirent. S’il y a bien un domaine où la France n’est pas une référence à l’échelle mondiale, c’est bien celui de la Justice dans son rapport avec l’Exécutif.
Dans un État démocratique et de droit, la séparation des pouvoirs entre l'exécutif, le législatif et le judiciaire est fondamentale pour assurer le bon fonctionnement et l'indépendance de chaque institution. Au lendemain de la remise au président Diomaye Faye du rapport général des Assises de la justice qui se sont tenues du 15 au 17 juin 2024, ce texte a l’ambition de mettre en lumière l'importance de cette séparation et pourquoi il est critiqué que le président de la République soit également le président du Conseil Supérieur de la Magistrature.
Prévention de l'abus de pouvoir. La séparation des pouvoirs empêche la concentration excessive de pouvoir entre les mains d'une seule personne ou d'un seul organe. Chaque branche agit comme un contrepoids aux autres, ce qui limite les abus potentiels et favorise la responsabilité.
Indépendance judiciaire. En particulier, l'indépendance du pouvoir judiciaire est essentielle pour garantir des décisions impartiales et justes. Les juges doivent être libres de toute influence politique ou pression externe afin de pouvoir appliquer la loi de manière équitable. En de bien nombreuses occasions, tout le contraire de ce que l’on a connu depuis plus de 60 ans au Sénégal et qui a culminé pendant les années Macky Sall avec une instrumentalisation politique outrancière de la justice.
Fonctionnement efficace du législatif. Le pouvoir législatif doit être libre de proposer, examiner et adopter des lois sans interférence de l'exécutif ou du judiciaire. Cela assure la représentation démocratique des intérêts de la population et la formulation de politiques publiques diverses et équilibrées.
Le président de la République et le Conseil Supérieur de la Magistrature -
Le Conseil Supérieur de la Magistrature (CSM) est souvent chargé de la nomination, de la promotion et de la discipline des magistrats. Dans de nombreux pays démocratiques, il est critiqué que le président de la République soit également le président de cet organe pour plusieurs raisons notamment celle du conflit d’intérêt potentiel et de la menace pour la séparation des pouvoirs.
En occupant simultanément ces deux fonctions, le président peut influencer directement les décisions judiciaires et les nominations de magistrats, compromettant ainsi l'indépendance judiciaire. Cette perversion n’a été que trop la réalité de la justice sénégalaise depuis les années 60 avec une accélération sur les deux dernières décennies avec les régimes libéraux arrivés au pouvoir après une alternance politique.
Cette situation a fortement affaibli la séparation des pouvoirs au Sénégal en concentrant trop de pouvoir entre les mains de l'exécutif, ce qui a régulièrement mené à des décisions politiquement motivées plutôt qu'à des décisions basées sur le droit.
La crainte d’une République des juges -
Les acteurs sociaux favorables à la présence du chef de l’État dans le CSM invoquent régulièrement la crainte d’une "République des Juges". Cette idée d'une "République des juges" où le pouvoir judiciaire dominerait les autres branches gouvernementales, n'est pas pertinente dans un système démocratique où il existe de multiples recours et des contrepoids aux potentiels abus des juges. Cette idée relève plus du fantasme jacobin que d’un risque réel dans une démocratie bien structurée, où il existe plusieurs niveaux de recours judiciaires permettant de contester les décisions des juges. Ces recours assurent que les décisions judiciaires peuvent être réexaminées et corrigées si nécessaire.
Par ailleurs, le pouvoir législatif a le rôle crucial de créer des lois et de superviser l'exécutif. En dernier ressort, le législatif peut modifier des lois pour contrer toute interprétation judiciaire excessive ou inappropriée, assurant ainsi un équilibre des pouvoirs.
Enfin, l'indépendance judiciaire signifie que les juges sont libres de rendre des décisions impartiales, mais cela ne signifie pas qu'ils sont au-dessus des lois ou qu'ils ne sont pas responsables. Les juges doivent toujours interpréter et appliquer les lois dans le cadre des normes constitutionnelles établies par le législatif.
La crainte d’une République des juges est un chiffon rouge agité en France depuis longtemps pour justifier un système judiciaire bien plus attaché à l’Exécutif que dans les autres démocraties occidentales.
Historiquement, le président de la République française a été le président du Conseil Supérieur de la Magistrature. Cette pratique a été critiquée pour son impact potentiel sur l'indépendance judiciaire. Actuellement, la réforme de 2016 a réduit le rôle direct du président dans le CSM, mais des questions persistent sur l'indépendance réelle.
De son côté, le système américain illustre une stricte séparation des pouvoirs, où le président n'a qu’un rôle indirect dans la nomination des juges fédéraux. Dans ce processus le président est chargé uniquement de nommer et seul le Sénat américain détient le pouvoir de rejet ou de confirmation. Cela vise à maintenir une certaine distance entre l'exécutif et le judiciaire.
L'Allemagne pour sa part maintient également une séparation rigoureuse des pouvoirs avec des organes distincts pour l'exécutif, le législatif et le judiciaire, évitant ainsi toute concentration excessive de pouvoir et préservant l'indépendance du pouvoir judiciaire.
Le modèle progressiste sud-africain -
L'Afrique du Sud offre un cas fascinant de respect de la séparation des pouvoirs, essentielle pour la stabilité démocratique et la protection des droits constitutionnels depuis la fin de l'apartheid. Suit une exploration de la manière dont la séparation des pouvoirs est respectée dans le système judiciaire sud-africain.
La Constitution sud-africaine, adoptée en 1996 après la fin de l'apartheid, établit clairement les pouvoirs et les fonctions de chaque institution de l’État : l'exécutif, le législatif et le judiciaire. Elle garantit également les droits fondamentaux des citoyens et définit les principes de gouvernance démocratique.
La Constitution insiste sur l'indépendance du pouvoir judiciaire, affirmant que les tribunaux sont soumis uniquement à la Constitution et à la loi, et ne doivent pas être influencés par des intérêts politiques ou autres pressions externes. Les juges sont nommés de manière indépendante, et leurs décisions ne peuvent être annulées que par des procédures juridiques appropriées, garantissant ainsi leur autonomie dans l'interprétation et l'application de la loi.
La Cour constitutionnelle est la plus haute autorité judiciaire en matière constitutionnelle en Afrique du Sud. Elle est chargée de vérifier la constitutionnalité des lois et des actions du gouvernement, de protéger les droits fondamentaux des citoyens, et de maintenir l'équilibre entre les pouvoirs. La Cour constitutionnelle a le pouvoir de rendre des décisions contraignantes pour toutes les autres cours, garantissant ainsi l'uniformité et la primauté du droit constitutionnel.
En plus de la Cour constitutionnelle, l'Afrique du Sud dispose d'un système judiciaire complet avec des tribunaux inférieurs qui traitent des affaires civiles, pénales et administratives à différents niveaux. Chaque niveau de tribunal joue un rôle spécifique dans l'administration de la justice selon les lois applicables.
La Cour constitutionnelle a souvent été appelée à vérifier la constitutionnalité des lois adoptées par le Parlement sud-africain. Cela démontre son rôle crucial dans le maintien de la séparation des pouvoirs en s'assurant que les lois respectent les normes constitutionnelles et les droits fondamentaux.
Les juges en Afrique du Sud sont nommés sur la base de leur compétence professionnelle et ne sont pas soumis à des influences politiques directes. Cela garantit que leurs décisions sont prises en fonction du droit et non de considérations partisanes ou externes.
La séparation des pouvoirs renforce la protection des droits fondamentaux des citoyens en permettant au pouvoir judiciaire d'agir comme un contrepoids aux actions potentiellement inconstitutionnelles ou injustes du gouvernement ou du législateur.
En respectant la séparation des pouvoirs, l'Afrique du Sud renforce la confiance du public dans le système judiciaire, crucial pour la stabilité politique, économique et sociale du pays.
Se référer aux bonnes pratiques –
La Fondation Ford a joué un rôle significatif et historique dans le processus d'élaboration de la Constitution sud-africaine de 1996. Franklin Thomas, président de cette institution philanthropique américaine de 1979 à 1996, a été un acteur clé dans ce processus. Avant les négociations constitutionnelles officielles qui ont conduit à la Constitution de 1996, l’institution philanthropique américaine a soutenu financièrement des recherches approfondies et des débats critiques sur les principes et les modèles constitutionnels. Cela a permis de jeter les bases d'une réflexion constructive et informée parmi les diverses parties prenantes en Afrique du Sud.
Des rencontres et des dialogues ont été facilités entre les leaders politiques, les juristes, les universitaires, ainsi que les représentants de la société civile et des communautés marginalisées. Ces forums ont joué un rôle crucial en encourageant la participation démocratique et en favorisant la compréhension mutuelle nécessaire à la construction d'un consensus constitutionnel.
Par ailleurs, plusieurs organisations de la société civile en Afrique du Sud ont joué un rôle actif dans les négociations constitutionnelles. Cela comprenait des groupes de défense des droits humains, des organisations communautaires et des instituts de recherche juridique.
En encourageant des initiatives visant à promouvoir la justice sociale, l'équité raciale et les droits fondamentaux, ces efforts ont contribué à ancrer ces valeurs dans le processus constitutionnel sud-africain. Cela a été essentiel pour contrer les héritages de l'apartheid et pour établir un cadre constitutionnel solide basé sur les principes de l'État de droit et de la démocratie.
Le rôle de ces initiatives dans l'élaboration de la Constitution sud-africaine a laissé un héritage durable de liberté et de justice en Afrique du Sud. La Constitution de 1996 est largement reconnue comme l'une des plus progressistes au monde, protégeant une vaste gamme de droits et établissant des mécanismes forts pour la protection de la démocratie et de l'État de droit.
L'expérience sud-africaine a souvent été citée comme un modèle pour d'autres pays en transition ou confrontés à des défis de consolidation démocratique ou de rupture systémique. Elle démontre l'importance du partenariat entre les acteurs nationaux dans la promotion de la bonne gouvernance et des droits humains.
Nécessité d'une transformation systémique au Sénégal –
Avec l'arrivée au pouvoir du mouvement Pastef, il est crucial pour l’administration Faye-Sonko de ne pas tomber dans le piège des petites réformes qui maintiennent intact le système ancien mais d'envisager une réforme judiciaire qui s'inspire des meilleures pratiques internationales, telles que celles observées en Afrique du Sud.
Décoloniser et émanciper la justice au Sénégal implique de repenser et de réformer le système judiciaire de manière à renforcer l'indépendance, la transparence et l'efficacité. S'inspirer des meilleures pratiques internationales tout en adaptant ces modèles au contexte spécifique du Sénégal est essentiel pour promouvoir une gouvernance démocratique solide et durable, répondant aux aspirations des citoyens pour une justice juste et équitable. L’instrumentation politique de la Justice doit devenir une affaire du passé au Sénégal.
Réformer la Justice pour assurer la Rupture au Sénégal ne peut se concevoir que dans un cadre plus général de refondation des institutions. L’éditorial SenePlus publié sous le titre “Pour une théorie du changement“ développe cet aspect de manière explicite. L’ambition pastéfienne de sortir le Sénégal du système néocolonial est partagée par l’écrasante majorité des Sénégalais et des jeunesses africaines. Cette ambition doit cependant être exprimée dans la présentation d’un cadre général clair, discuté et élaboré avec les citoyens. Le processus doit être réfléchi, inclusif et sérieux. Cela aussi, c’est la Rupture exigée par les Sénégalaises et les Sénégalais le 24 mars 2024.
LE SÉNÉGAL DE SENGHOR À SONKO, UNE GESTION PARADOXALE DE L'ÈRE POSTCOLONIALE
Nous assistons à l’ouverture de la troisième République, celle de la renaissance, mais surtout de la fierté d’être africain avec ou sans l’onction de l’ancien maître. On survivra sans le dessert. Et l’on retrouve ici comme la réhabilitation de Mamadou Dia
Gaston Kelman et Jemal M Taleb |
Publication 07/04/2024
Le Sénégal ne laisse aucun Africain indifférent parce qu’il s’est toujours présenté comme un modèle unique. Unique, il l’a été dans l’approche mémorielle de l’histoire de l’Afrique. En effet, avec la porte de non-retour de l’île de Gorée, on a le mémorial qui a su imposer à tous les présidents américains de s’incliner devant le drame de la traite négrière. On se serait attendu à ce que chaque côte africaine ait le sien. Le Sénégal l’a fait. L’honneur est sauf. Un jour peut-être… Un jour qui sait… Les autres comprendront que les âmes des déportés attendent cela de nous pour devenir respectables au pays des ombres. Après le mémorial pour l’histoire, la bien nommée Statue de la Renaissance dont l’espérance de vie est plus que millénaire, pointe le doigt vers un avenir radieux et offre au continent qui en manque cruellement, une trace de notre génération pour la postérité.
Mais le Sénégal est aussi unique dans sa gestion paradoxale de l’ère postcoloniale, mélange d’une aliénation outrancière à l’Occident et du plus bel espoir de changement. En effet, la gouvernance des nations africaines postcoloniales s’inscrit sur quelques axes majeurs. Les frontières entre ces axes ne sont pas étanches. Nous allons nous contenter d’en illustrer trois ici, parce qu’ils comportent des des éléments assez forts non perceptibles à première vue. Tous ces axes sont des suites bien logiques d’une histoire unique, celle de l’Afrique et de l’Afrique francophone en particulier, faite de violence, de soumission, d’humiliation, d’aliénation, de traumatisme. Il y a au cœur de tout cela, cette difficulté de la France à comprendre que le monde évolue, même l’Afrique. Puis on voit poindre quelque chose comme une aube nouvelle au pays des énigmatique Signares.
Premier axe : le temps des coups d’état.
Le coup d’état est un mode assez répandu d’accès au pouvoir en Afrique. C’était le modèle le plus logique. Le colon avait fait signer des accords iniques par des dirigeants dont il avait organisé l’accession au pouvoir. Si quelqu’un ne correspondait pas ou plus à son modèle, il le faisait déposer par un plus docile. Tenus par la peur, les dirigeants espéraient ne pas devoir assister à la destruction programmée de leur pays comme ce fut le cas pour la Guinée, parce que Sékou Touré avait osé dire non au plan unilatéral de la France sur son pays.
Un autre aspect justifiait le coup d’état. Le colon a usé de la violence comme seul modèle d’exercice de pouvoir sur les indigènes. Le gouverneur venu d’un pays démocratique n’était pas élu par ceux qu’il dirigeait. Il leur était imposé par la force et exerçait cette force sur eux comme unique outil de gouvernance. C’est donc le seul modèle de dévolution et de conservation de pouvoir que le dirigeant africain connaissait.
Il convient de noter que le coup d’état n’est pas mort. Il reprend même de la vigueur. Pourtant, le concept a très fortement évolué. Jadis, c’est l’Occident qui fomentait des coups d’état pour mettre des dirigeants à sa solde. Il n’a d’ailleurs pas abandonné cet axe. Mais aujourd’hui, les coups d’état sont aussi organisés localement pour déposer les dirigeants que l’on juge trop à la solde de l’Occident.
Deuxième axe : la tentation dynastique.
Il y a quelques années, le coauteur de ce texte, Gaston Kelman, publiait un article intitulé « La tentation dynastique ». Il soutenait que c’était le modèle de gouvernance le plus conforme aux aspirations des humains. C’est celui dont on trouve la trace dans tous les peuples non acéphales. En Occident, il était déjà en cours pendant la période de barbarie médiévale. On le retrouve à la renaissance et il assure le développement de l’Occident. La démocratie inventée cinq siècles avant l’ère chrétienne ne séduit personne et n’a absolument pas ébranlé ce modèle qui allait de pair avec la monarchie. C’est quand il a achevé son développement avec ce système aux contours clairs – je suis le chef et je lègue le pouvoir à mon fils – que l’Occident a mis en place ce fourre-tout qui a pour nom « démocratie » dont on ne trouve pas une application identique dans deux pays. Ici, on a recours à la votation-référendum, ailleurs la démocratie est dite représentative, avec une élection par les individus ou par les grands électeurs, au scrutin uninominal ou de type proportionnelle, elle même totale ou partielle. Et après avoir démocratiquement élu ses représentants, le peuple est obligé de descendre dans la rue tous les jours pour se faire entendre, pour faire respecter ses droits, parce que quelques lobbies n’en font qu’à leur tête et se paient la sienne.
La tentation dynastique est logique dans les nations en construction comme les nations africaines ou les… Etats-Unis d’Amérique. Qui peut imaginer que Georges W. Bush aurait été président si son père ne l’avait été avant lui ! Hilary Clinton aurait-elle rêvé de la Maison blanche si elle ne l’avait connue à travers son Bill ! On sait que Barack Obama y a pensé – et peut-être y pense encore – pour sa Michelle et que les Kennedy un instant ont été convaincus qu’ils allaient se céder le bail les uns après les autres, par ordre d’aînesse sur plusieurs générations. En Occident et en France en particulier, les présidents de la république créent souvent une véritable cour familiale autour d’eux.
Fort logiquement, le modèle dynastique a le vent en poupe en Afrique. Il ne s’agit point d’approuver ou de désapprouver. Personne ne se félicitait des coups d’état. Ils étaient logiques parce que le dominant ne voulait pas lâcher le dominé. Le modèle dynastique qui s’insinue dans le paysage africain charrie toute la panoplie de personnages qui va avec, le dauphin, le régent et même Brutus. Parfois elle prend des formes qui pourraient échapper aux statistiques. Sur une vieille photo en noir et blanc des années 1960/1970 (à voir en illustration 2), on voit divers personnages. Ce qui les caractérise, c’est qu’ils ont tous exercé le pouvoir suprême et continuent à se léguer le palais présidentiel. Il y a la Jomo Kenyatta, premier président du Kenya (1964/1978) qui tient un gamin de cinq ans par la main. On y voit Daniel Arap Moï qui sera le deuxième président (1978/2002) et Mwaï Kibaki (2002/2013) qui sera le troisième. L’enfant que Jomo tient en main, c’est son fils Uhuru, qui avait été élu en 2013.
Point n’est besoin de faire l’inventaire de la situation actuelle. Les cas sont nombreux. On a – ou on a eu – au pouvoir des régences, des Brutus et des dauphins. Il paraît que le président camerounais, un modèle assez exceptionnel de longévité, caresserait le rêve – ou y serait poussé par la courtisanerie – de voir son fils Franck lui succéder.
L’axe majeur : les nervis de l’Occident et de la France en particulier.
L’Afrique est secouée par des mouvements de révolte. On a l’impression d’assister au deuxième acte des indépendances. Ces mouvements sont-ils identiques partout ? Ce qui est certain, ils sont tous placés sous un commun dénominateur, le sentiment anti français. C’est ce bel euphémisme qu’ont choisi les médias hexagonaux. Mais hélas, la situation est bien plus explosive, beaucoup plus préoccupante qu’un pâle sentiment. Il s’agit de la haine suscitée et entretenue par l’arrogance des gouvernants français, leur autisme face aux évolutions en Afrique. Cette situation est décriée même par certains élus et inconditionnels de la France. Cette situation a créé un sentiment de ras-le-bol qui frise l’asphyxie au sein de la jeunesse.
Il existe sur le continent des dirigeants que l’on considère à la solde de la France. Ils seraient plus là pour les intérêts du maître que pour le développement de leur pays. Ce sentiment a été renforcé récemment par le soutien que ces dirigeants on apporté à l’Eco, cette monnaie que l’on a proposé pour remplacer le CFA.
La colère a franchi un cran avec la levée de bouclier de la CEDAO contre le coup d’état au Niger. La lecture que le continent a fait de la position de la CDEAO était qu’elle obéissait à la France qui gigotait dans des positionnements ubuesques, d’un comique troupier. Certains de ces présidents vont jusqu’à dire qu’ils doivent tout à la France et que leurs pays vivent sous perfusion grâce à l’aide au développement. L’obstination de la France à s’appuyer sur ces nervis, plutôt que de concevoir un autre système de relations avec l’Afrique, voilà le carburant du ressentiment de la jeunesse africaine. Et parmi cette jeunesse, on compte le nouveau pouvoir du Sénégal.
Le Sénégal, un cas à part.
Puis il y a le Sénégal qui apparaît au départ comme la terre de l’aliénation et de l’adaptation simiesque au modèle occidental, et français en particulier. Paradoxalement au fil de l’évolution de la gouvernance de ce pays, on observe un mouvement ascendant, comme irrésistible, espoir de désaliénation. Avec l’avènement du nouveau pouvoir, nous avons réparti l’ère post coloniale du Sénégal en trois républiques.
1. Senghor et la république de l’aliénation.
Qu’est-ce qui a pu pousser ce Sérère dans cet inattendu degré d’aliénation pour un intellectuel ! En effet, l’on conçoit fort bien que le traumatisme de l’impérialisme pousse le dominé à se croire inférieur. Mais dans toutes les situations, l’essence de l’intellectuel est de prêcher la libération, ce bien vers lequel aspire tout individu. Et du temps de la lutte pour la libération, on n’imaginait pas un intellectuel digne de ce nom qui ne soit pas « engagé ». L’engagement était le signe distinctif de l’intellectuel colonisé et toutes les dissertations de français tournaient autour de ce thème.
Des compagnons de route de Senghor qui ont connu la même histoire (Mamadou Dia le colonisé) ou même des situations plus complexes (Césaire, descendant d’esclave et colonisé) ont eu des discours plus libres, plus engagés. On n’oubliera pas Le discours sur le colonialisme de Césaire et son cri selon lequel, le malheur de l’Afrique c’est d’avoir rencontré la France. On n’oubliera pas non plus le Cahier d’un retour au pays natal, véritable manifeste de la libération et de la grandeur future de l’Afrique qu’il voit « multiple et une, verticale dans sa tumultueuse péripétie, avec ses bourrelets et ses nodules, un peu à part, mais à portée du siècle comme un cœur de réserve ».
Senghor ne voit l’Afrique que sous la tutelle de la France. Il est dans une allégeance assumée, revendiquée, professée. Il veut y embarquer le Sénégal et toute l’Afrique qui pour lui est «attachée à la France par le nombril». Le plaidoyer du premier président par rapport à la langue française est tout simplement inqualifiable. Le Français, cet outil merveilleux qu’il aurait trouvé dans les décombres du colonialisme, il voudrait l’ériger en trésor africain, dont les langues maternelles occuperaient désormais la même place que le basque ou l’occitan. La fascination de Senghor par rapport à la langue française – et l’allégeance à la France qu’elle reflète – est sans borne. « Le français, offre une variété de timbres dont on peut tirer tous les effets : de la douceur des alizés la nuit sur les hautes palmes, à la fulgurance de la foudre sur la tête des baobabs_ ». Désormais, après avoir fait verdir les chênes et rougir les vignes, la poésie française sifflera sur la cime des palmiers et des baobabs d’Afrique. On a l’impression que pour lui, son sérère natal, le wolof, le bambara, la langue de Servantes ou celle de Dante ne peuvent pas exprimer la poésie. En un mot, c’est la France et la colonisation qui ont créé l’Afrique. La France elle-même n’en demandait pas tant.
On a de la peine a penser qu’un intellectuel, de surcroit président d’un état, ignore que les deux fondements d’une nation sont justement le territoire et la langue ; que comme le lui opposera Sembene Ousmane, «on ne décolonisera pas l’Afrique avec les langues étrangères». Justement, Senghor ne demande pas la décolonisation de l’Afrique, mais son effacement et sa dissolution dans la francophonie. Vous avez dit francophonie ! On lui offre généreusement d’avoir été le créateur de cette supposée unité culturelle. On lui offre une place à l’Académie française et un peu partout, on pense au timeo danaos_ du grand prêtre troyen Laocoon. Après le poète qui voudrait assujettir le culture africaine à la francophonie, l’homme politique va défendre les intérêts de la France et pour atteindre cet objectif, rien ne va l’arrêter.
Même pas son compagnon de route, Mamadou Dia. Avec le père de la Négritude, il fonde en 1948 le Bloc Démocratique Sénégalais (BDS). Les rôles sont repartis. Senghor sera président de la république et lui Président du conseil des ministres dès 1956. C’est lui qui signera quatre ans plus tard les accords d’indépendance du Sénégal. Le modèle de gouvernement est un régime parlementaire bicéphale où les deux hommes se partagent le pouvoir exécutif. Senghor président de la République et gardien de la Constitution, a une fonction de représentation, surtout au niveau international. Mamadou Dia élabore la politique intérieure et économique du pays. Plus radical que Senghor, il veut rompre le vis-à-vis avec la France en diversifiant les partenaires. Pour Senghor c’est non-négociable. Il organise le renversement de Dia pour sauvegarder les intérêts de la France et le condamnera à la prison à perpétuité dont il purgera douze années.
En quoi la position du poète président est-elle exceptionnelle ? L’Afrique a connu et connaît encore des dirigeants assujettis. Mais chez les uns et les autres, on sent plus la peur que la conviction. Il y a parfois aussi des aliénés naïfs qui pensent que l’aide de l’occident leur est nécessaire. Avec Senghor, nous sommes en présence du complexe du dominé qui n’arrive pas à se libérer de l’emprise du maître. L’aliénation de Senghor est unique. Il n’a pas peur de la France, il l’aime. Il lui est dévoué. Il est convaincu qu’elle est supérieure et que l’Afrique doit l’accepter et s’arrimer à elle, faire partie comme au temps jadis, de l’empire colonial, de la même façon que la Martinique ou Wallis et Futuna.
L’ère de l’aliénation Senghorienne se terminera avec l’appendice Abdou Diouf, roi fainéant, qui récoltera lui aussi pour services rendus, une retraite dorée au sommet de l’organisation de la… francophonie.
Abdoulaye Wade le bâtisseur ou la deuxième république.
Après l’intermède Diouf, un géant de l’Afrique contemporaine prend le pouvoir au Sénégal. C’est aussi un ancien et permanent opposant à Senghor. Abdoulaye Wade arrive au pouvoir à la faveur de la démocratie, ce canevas de la culture occidentale supposé universel et panacée du développement. C’est occidental, donc c’est excellent pour cette annexe de l’Occident que le Sénégal a toujours rêvé d’être. Les longues années de l’opposition, et l’indéniable intelligence de Gorgui, cet homme plein d’ambition pour son pays, vont faire le reste. L’homme est un prince bâtisseur. Il ne veut rien de moins que de changer la face du Sénégal. Il ouvre des chantiers pharaoniques dans l’urbanisme et les infrastructures. La puissance symbolique de certaines de ses réalisations est inégalée. La statue de la Renaissance est la première merveille de l’Afrique contemporaine et les monuments qu’il envisage de bâtir sous le nom des sept merveilles sont une ambition de grand homme.
Abdoulaye Wade va solliciter un troisième mandat pour terminer l’œuvre engagée. Il ne l’aura pas. Si Senghor a réussi à positionner son dauphin, Wade sera éjecté par le sien, Brutus Macky Sall. L’homme mènera une campagne farouche contre son ancien mentor pour soutenir contre vents et marrées cette nouveauté qu’est la limitation des mandats. Le Sénégal y tient mordicus, car ce doit être un indicateur des sociétés civilisées. Le discours le plus courant de Dakar à l’époque était le suivant. « Wade est excellent. On n’aura pas mieux, mais il a fait ses deux mandats, il doit partir ».
Que retiendrons-nous du règne appenditiel de Macky Sall ? Qu’il a poursuivi vaille que vaille quelques chantiers de Wade ; qu’il a construit un TER trop utile mais trop coûteux, ou qu’il se félicitait de l’amour que la France a toujours manifesté pour le Sénégalais, puisque les soldats sénégalais avaient le dessert et les autres rien. Peut-être on retiendra aussi cet alignement caricatural et attristant à l’option dictée par Paris sur les coups d’état qui secouent le Sahel. Mais on retiendra surtout sa volonté farouche de ne pas s’appliquer la limitation de mandats. Et tout y est passé, l’interprétation très opportuniste des textes constitutionnels, le harcèlement et l’emprisonnement arbitraire des opposants, la répression sanglante des soulèvements populaires…
Bassirou Diamoye Faye et la rupture de la troisième république.
Une image a fait le tour de la planète. Un jeune homme arpente une plateforme, une femme à sa droite, une femme à sa gauche. Cet jeune homme, c’est le nouveau président du Sénégal le soir de son élection. Et ces deux jeunes dames, ce sont ses épouses. Nous sommes au Sénégal, un pays africain où la polygamie est autorisée. Nous sommes en présence de Bassirou Diamoye Diakhar Faye, le tout nouveau président de la république et de deux jeunes dames, en beauté, en grâce et au port altier. On écrirait une encyclopédie en plusieurs volumes pour analyser la puissance de cette image. En Afrique, beaucoup de présidents ont plusieurs épouses. Mais la pensée unique leur interdit d’assumer leur culture. La même pensée unique ici vante parfois son charme et l’appelle affectueusement « poly amour ». Alors, ces présidents et hauts responsables tartuffent à qui mieux-mieux et laissent leurs épouses dans l’ombre. Le jeune président assume. Mais ce n’est pas tout.
Le jeune homme qui parade avec ses deux épouses n’est pas celui qui était prévu à cette place. En fait, le père de cette aventure se nomme Ousmane Sonko, l’homme a abattre du régime Sall. Il aurait pu mettre le Sénégal à feu et à sang. Il a choisi une voie inédite. Puisqu’il est l’homme a abattre, puisqu’il ne cherche pas le pouvoir mais le bien du Sénégal, il trouve parmi ses compagnons celui que le magnat Sall ne pourra pas récuser. Et comme l’équipe est porteuse d’une vision et que nous sommes au Sénégal où on ne court pas derrière un messie mais derrière un programme de changement, le choix du parti est plébiscité par le peuple. On a connu des situations en Afrique où des candidats demandaient le boycott des élections présidentielles quand ils ne pouvaient pas se présenter ou celui des autres scrutins pour qu’il n’y ait pas un conseiller municipal de leur parti, encore moins un maire ou un député qui pourraient leur faire de l’ombre.
Quelle que soit la suite que ce gouvernement donnera à son aventure, nous assistons à une authentique révolution dans le modèle de gestion du pouvoir en Afrique. Nous assistons à l’ouverture de la troisième république, celle de la renaissance, mais surtout de la fierté d’être africain avec ou sans l’onction de l’ancien maître. On survivra sans le dessert. Et l’on retrouve ici comme la réhabilitation de Mamadou Dia.
Tout le monde peut se revendiquer de Mamadou Dia puisque l’aliénation senghorienne ne fait plus recette. Le baptême d’un bâtiment ou d’une rue en son nom, c’est bon à prendre. Mais l’ancien président du Conseil posait l’autonomie de son pays par rapport à la France comme un impératif. Depuis son éviction, aucun président sénégalais, même pas Abdoulaye Wade, n’a osé relever le défi, viser ce niveau d’émancipation mentale. C’est donc à ce rendez-vous avec l’histoire que l’on attend de cette équipe de jeunes au profil de baba cool. Elle aussi revendique l’héritage de Dia. Le discours de campagne allait dans ce sens. Ousmane Sonko et ses camarades ont martelé leur exigence : que la France nous laisse tranquille comme les autres anciennes puissances coloniales le font pour leurs anciennes colonies. Les premiers gestes de la nouvelle équipe sont prometteurs et portent une puissance symbolique novatrice. Et en filigrane, on croit entendre comme ces mots d’Aimé Césaire quand il hurle aux autres, accommodez-vous de moi, je ne m’accommoderai point de vous.
Gaston Kelman est écrivain.
Jemal M Taleb est avocat au barreau de Paris, Diamantis & Partners.
ELGAS DÉCRYPTE L'ALTERNANCE AU-DELÀ DES DISCOURS CONVENUS
Les ruptures sont incarnées par des pratiques sur le long-terme. Ce qu’on appelle système est souvent un fantasme collectif que la conquête du pouvoir cible. La notion de panafricanisme de gauche est une habile trouvaille - ENTRETIEN
Elgas revient avec recul et nuance dans cet entretien sur l'élection de Diomaye Faye et sur la véritable portée de cette alternance politique. Il interroge notamment l'idée d'une rupture définitive avec l'héritage de Senghor et replace le débat sur l'indépendance du Sénégal dans une perspective historique plus large.
Seneweb : La victoire de Bassirou Diomaye Faye à l’élection présidentielle a été présentée au Sénégal aussi bien qu'ailleurs comme une rupture avec l’ère inaugurée par Léopold Sédar Senghor. Partagez-vous ce point de vue ?
Elgas : Cela me semble être une lecture paresseuse, facile et rapide. Elle est du reste un récit que font pro domo les dégagistes, en oubliant une donnée majeure : les ruptures sont incarnées par des pratiques sur le long-terme ; les annonces sont souvent des prophéties trahies et c’est bien là quelque chose de factuel. Un Etat, c’est d’abord une continuité institutionnelle. Toute alternance est porteuse de rupture, de nouveauté, de nouveaux horizons, certes l’illusion d’une pureté nouvelle est contraire à ce qui fait la force des administrations, leur capacité à survivre à toutes tempêtes. Attribuer un quelconque magistère presqu’éternel à Senghor, comme substance d’un système inchangé, c’est accréditer l’idée que tout était plus ou moins condamné d’avance et les dés pipés. Une nation, un pays, un Etat évoluent, souvent dans une lenteur institutionnelle imperceptible. Les marqueurs de l’ère Senghor, si jamais on devait arriver à les nommer – bicéphalisme avec Dia, centralité étatique, socialisme – ne sont pas restés structurants pendant les magistères suivants. Et si on reste dans une telle optique, c’est déresponsabiliser les gouvernants. Ce qu’on appelle système est souvent un fantasme collectif que la conquête du pouvoir cible et que son exercice réhabilite immanquablement d’où d’ailleurs le sentiment de statu quo. Bassirou Diomaye Faye a été bien élu, comme le furent avant lui Wade et Sall. Il lui reste de poser les actes d’une rupture avec les pratiques malfaisantes. Ce sont elles plus que le système, le nid des problèmes qui s’endurcissent avec le temps. Cela me paraît résolument plus pertinent que de pourchasser l’héritage de Senghor, c’est s’acharner sur l’ombre et pas la proie, préférer le confort des symboles à l’inconfort des faits.
Certains de ses partisans en commentant son élection ont déclaré : le Sénégal prend enfin son indépendance. Y a-t-il une part de réalité ?
C’est encore là la manifestation des euphories compréhensibles mais ivres et illusionnées. C’est presque nihiliste de supposer que les tous les hommes des régimes successifs, les intellectuels, les universitaires, les religieux, les artistes, les citoyens, n’ont jamais rien fait et se complaisaient dans une position d’allégeance. L’indépendance ne se proclame pas, elle se vit. Dans l’état actuel de notre économie, des flux de capitaux qui soutiennent encore l’édifice économique, d’un informel émietté qui ne donne pas de ressources majeures à l’Etat, les ambitions de souveraineté doivent répondre à un travail méthodique de longue haleine et à une habileté pour créer les conditions locales de la prospérité. Étant entendu qu’aucune autarcie, aucun isolement, aucune rupture avec le monde, et le flux des échanges, n’a jamais créé nulle part au monde, les conditions d’un essor. L’histoire regorge d’exemples de ce genre, les cités-Etats médiévales les plus développées étaient celles ouvertes au commerce du monde. Tout enclavement réduit la portée des échanges. La notion d’indépendance devrait du reste être étudiée dans sa symbolique au Sénégal, avec la notion de « surga », qui montre la prévalence d’une dépendance interne qui, inéluctablement, influe dans les consciences. L’indépendance est un horizon, sans illusion d’enfermement. On ne l’acquiert pas par un vote seul, fût-il démocratique mais par une ingénierie politique.
Le nouveau président s’est présenté dans Le Monde comme un “panafricaniste africain de gauche”. Ce qui fait un peu penser à Cheikh Anta Diop. Parmi les soutiens de M. Faye figure Dialo Diop, membre fondateur du Rassemblement National Démocratique (RND), le dernier parti politique créé par Cheikh Anta Diop. L’élection de ce nouveau président est-elle une forme de revanche de Cheikh Anta Diop sur Senghor?
Il y a bien longtemps que Cheikh Anta Diop a pris sa revanche sur Senghor. Il bénéficie d’une aura bien plus grande et il est plus cité. Mais attention également à ne pas épouser des récits tout faits. Wade comme Macky Sall ont revendiqué un ancrage panafricain, et Senghor davantage avec le FESMAN, les NEAS et il a fait de la capitale Dakar, le refuge et le havre d’un dialogue avec les Haïtiens entre autres. Il ne faut pas toujours dans une dynamique conflictuelle de segmentation du panafricanisme. Senghor est déjà condamné par le tribunal de l’histoire, mais ensevelir tout son héritage serait contre productif et bien injuste. La notion de panafricanisme de gauche est une habile trouvaille, c’est un pléonasme, parce que le panafricanisme est du côté de la justice, de la solidarité et de l’égalité. Mais très souvent, au pouvoir, il a trahi, l’exemple de Sékou Touré étant le plus emblématique des glissements où le pouvoir devient autoritaire, répressif, fermé à l’ouverture et ne gardant plus du panafricanisme comme identité vidée. La vigilance doit être de mise pour que les mots comme l’histoire ne soient pas tronqués.
Y a-t-il nécessité selon vous de réhabiliter Senghor et sa pensée ?
Senghor est présenté ou caricaturé comme le symbole de la soumission à la France ou jugé trop universel. La nouvelle ère qui s’ouvre sera-t-elle synonyme de repli identitaire comme certains le craignent ou plutôt de rééquilibrage ?
Je n’ai aucun catastrophisme avec le régime qui arrive. Je lui souhaite de réussir, tout en étant conscient que cela sera dur au vu des attentes. Je ne crains ni repli, ni racornissement de notre identité. Il serait bien vain de nier que Senghor avait des relations énamourées avec la France et que cela a influé dans sa gouvernance. Tout comme il faut se garder de condamnation définitive, il faut se garder de promettre l’échec au nouveau régime. Senghor ne doit pas être l’obsession du nouveau régime, ce serait une terrible erreur. Il a reçu un plébiscite, avec une plateforme formidable pour construire, il serait mal inspiré de s’assombrir avec l’énergie sombre de la rancœur. La terre espérée de l’homme c’est l’avenir, pas farfouiller dans les tombes.
Enfin, votre dernier essai s’intitulait « Les Bons Ressentiments ». Ces bons ressentiments ont-ils été palpables dans la séquence politique que nous venons de vivre ?
Je ne parlerai pas de bons ressentiments. Tout est prématuré pour l’instant pour statuer. Je parlerai de révolutions conservatrices. C’est ce qui a cours partout sur le globe. La défiance contre des élites, et le retour souhaité à des valeurs anciennes. C’est un bouleversement tant le conservatisme a toujours été populaire avec un État qui osait l’impopularité d’aller à rebours. Ce qui change c'est que le conservatisme est porté par l’Etat qui devient une caisse de résonance et pas de régulation de la foule. Beaucoup s’en réjouissent. J’ai plein de doute, pour dire le moins.
par Dialo Diop
LE LEGS POLITIQUE DE CHEIKH ANTA DIOP ET LES DÉFIS CONTEMPORAINS
Éclairage sur les principes qui inspirèrent la conduite politique de Cheikh Anta durant ses années partisanes, et comment il fut un aiguillon du pouvoir senghorien, se positionnant contre le gouvernement tout en faisant recours aux institutions
Dans ce témoignage précis, Dialo Diop, compagnon de route du Rassemblement national démocratique (RND), apporte un éclairage sur les principes qui inspirèrent la conduite politique de Cheikh Anta Diop durant ses années partisanes, et comment il fut un aiguillon du pouvoir senghorien, se positionnant contre le gouvernement tout en faisant recours régulièrement aux institutions. En second lieu, il montre les traces actuelles de cet héritage, tant parmi les intellectuels que les militants.
Rencontre avec Cheikh Anta Diop et parcours intellectuel et militant
Hasard ou nécessité, mon père, Ibrahima Blondin Diop, fut un ami personnel de Cheikh Anta Diop. « Médecin africain » de formation, il a choisi, à la veille des « Indépendances africaines », de poursuivre un cycle complet d'études médicales à Paris (doctorat et spécialité en endocrinologie). De ce fait, mes frères et moi-même avons eu l'occasion de rencontrer Cheikh Anta Diop dès 1958, nos domiciles étant proches dans la banlieue parisienne, lui à Villemomble et nous à Gournay. Rentré au pays immédiatement après avoir soutenu sa thèse de doctorat d'Etat ès lettres en 1960, nous ne l'y retrouverons qu'en 1965. Il rendait régulièrement visite au papa, quand il se trouvait à Dakar, jusqu'à sa mort subite, le 7 février 1986, où son certificat de décès fut établi par son fidèle et vieil ami !
Cependant, ma relation personnelle avec lui s'est nouée après ma sortie de prison en mars 1974, lors de la libération de tous les prisonniers politiques du Sénégal (une vingtaine), prélude à une « ouverture démocratique » limitée. C'est en effet dans les rangs de la jeunesse du Rassemblement national démocratique (RND) que Cheikh Anta Diop dirigeait, que j'ai eu l'opportunité de réviser ma formation marxiste-léniniste initiale pour m'orienter vers le nationalisme africain ou panafricanisme. Je fus ainsi le plus jeune membre du Bureau politique du RND durant la période de lutte pour sa reconnaissance légale (1976-1981).
Du point de vue du cursus académique, outre la majeure partie de mon cycle primaire et secondaire à Paris (lycées Montaigne et Louis-le-Grand), j'ai passé un baccalauréat série A à Dakar (1968) et obtenu une licence de philosophie à Paris 8 Vincennes (1970). Après ma sortie de prison, j'ai repris mes études de médecine à la Faculté de Dakar, d'où j'ai été exclu en fin de troisième année. C'est ainsi que j'ai dû regagner Paris, afin d'y achever mon cycle d'études médicales de 1978 à 1982 (Paris 6 Pitié-Salpêtrière).
Rentré au pays, j'y ai exercé dans la fonction publique loin de la capitale, en Casamance notamment, et me suis en fin de compte de compte réorienté vers la biologie moléculaire sur les conseils avisés du prof. Cheikh Anta Diop, qui me l'a désignée comme une « science d'avenir ». C'est ainsi qu'après un recyclage en maîtrise de biochimie, puis un DEA de biologie moléculaire (1986-1988), j'ai soutenu une thèse de doctorat ès sciences biologiques en 2006 (Paris 6 Jussieu).
Enfin, en ce qui concerne mon parcours politique, disons simplement que depuis que j'ai viré ma cuti de la maladie infantile du gauchisme, j'ai adhéré au RND, dont je suis membre fondateur, siégeant au Bureau politique depuis 1976, élu secrétaire général adjoint au Second Congrès (1992), puis SG titulaire aux Troisième et Quatrième Congrès (2008-2016). Notre parti ayant fusionné, en compagnie d'autres alliés politiques, avec celui des Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l'éthique et la fraternité (Pastef), j'assume à présent les fonctions de vice-président dudit parti, chargé du panafricanisme et des questions mémorielles.
Le parcours politique de Cheikh Anta Diop témoigne de la continuité de son engagement
Il convient de relever que le premier parti politique auquel il a adhéré à la fin des années 1940, durant ses études universitaires à Paris, fut le Rassemblement démocratique africain (RDA), dont il a dirigé la section estudiantine en France de 1950 à 1953. De même, le troisième et dernier parti politique qu'il crée après son retour définitif au pays en 1960 et dirige jusqu'à son dernier souffle est le Rassemblement national démocratique (RND) en 1976. Entre-temps, il a initié deux autres partis politiques, le Bloc des masses sénégalaises (BMS, 1961) et le Front national sénégalais (FNS, 1963-1964) qui furent respectivement dissous et interdits par le président Léopold Senghor. Quant au RND, il dut lutter pied à pied et faire face, quasiment seul, au despotisme senghorien cinq ans durant, avant d'obtenir de son successeur désigné, la reconnaissance légale du parti, en 1981.
L'on voit ainsi apparaître, dès le début de son engagement, une constante caractéristique de la conduite politique de Cheikh Anta Diop : la volonté de rassembler les forces patriotiques et démocratiques, de faire bloc ou front face à l'adversaire, doublée du souci de considérer l'Afrique comme un seul et unique champ de bataille, une totalité organique, définissant la patrie à défendre et la nation à reconstruire. Il s'agit là, d'un invariant politique, d'ordre à la fois stratégique et tactique, que l'on retrouva tout au long de son parcours.
En témoignent notamment sa visite à Londres en 1951, à la tête d'une délégation de l'Association des étudiants du RDA venue rencontrer ses homologues de la West African Students' Union (WASU) qui, à leur tour, vont participer au Premier Congrès panafricain des étudiants africains tenu à Paris en juillet de la même année, ou encore sa solidarité active avec le Front de libération nationale (FLN) d'Algérie dès le déclenchement de la guerre d'indépendance le 1* novembre 1954, et l'année suivante, avec celle de l'Union des populations du Cameroun (UPC), section camerounaise du RDA dirigée par Ruben Um Nyobe (1913-1958). Plus tard, il dénonce le soutien occidental (anglo-américain et franco-allemand) au programme d'armement atomique du régime d'apartheid en Afrique du Sud, et apporte le ferme soutien du RND à la résistance armée du Polisario contre le projet d'annexion monarchique marocain, pour le respect du droit à l'autodétermination du peuple sahraoui.
Encore étudiant et prêchant par l'exemple au début des années 1950, il multiplie les conférences publiques à l'intention tantôt d'un auditoire africain lettré à Paris, tantôt d'un public dakarois ou saint-louisien réputé analphabète, auquel il s'adressait alors en wolof, durant ses vacances, pour attirer l'attention de l'opinion sur la « nécessité et la possibilité d'un enseignement dans la langue maternelle en Afrique' » ou bien sur les risques de sécheresse et de désertification au Sahel...
Et l'on retrouve aussi dans le programme de son parti jamais reconnu, le FNS (1963-1964), ses thèmes de prédilection récurrents et transversaux tels que « réaliser l'unité fédérale de l'Afrique noire » au plan po-litique, « restaurer la conscience de notre continuité historique » au plan culturel, « rechercher la sécurité économique du citoyen » au plan social et enfin « créer des secteurs d'État dans l'industrie et l'agriculture » au plan économique?.
C'est dire à quel point, tout au long d'une vie d'épreuves et de luttes théoriques et pratiques, il a su faire preuve de constance et de lucidité dans ses orientations politique et doctrinale, autant que de cohérence et de rigueur dans ses méthodes de lutte et de travail.
Malgré son engagement, Cheikh Anta Diop n'accède jamais au pouvoir, quitte à rester en retrait
L'une de ses formules favorites, répétée au soir de sa vie, indiquait que ni lui-même, ni ses partis politiques successifs « n'étaient intéressés par le pouvoir pour le pouvoir », réaffirmant ainsi son indifférence aux « délices et poisons » de la toute-puissance étatique !
C'est dans le cadre de son combat politique partisan qu'il va donner la mesure de l'ampleur et de l'originalité de son engagement personnel. En 1958, l'effondrement de la Quatrième République française, sous les coups de massue de la défaite de Dien Bien Phu, de la résistance algérienne et de la montée en puissance du RDA et des autres mouvements anticolonialistes (PAI, PRA, etc.), est sanctionné par le retour au pouvoir du général Charles de Gaulle. Cette évolution inattendue va nécessiter une révision déchirante de la politique coloniale de la France en Afrique. Un comité ad hoc fut donc créé pour la rédaction de l'avant-projet de Constitution de la future Cinquième République, à soumettre au référendum. Quelques élus africains de l'ancien empire devenu « Union française » furent conviés à y prendre part. Pressenti, Cheikh Anta Diop opposa un refus catégorique, arguant qu'on ne saurait lui demander d'aider à « une réflexion sur la meilleure manière de ligoter et asservir son propre peuple » !
Et ceci, contrairement aux députés Félix Houphouët Boigny et Léopold Sédar Senghor, qui vont non seulement y siéger, mais finiront de surcroît par se retrouver, au lendemain du référendum du 28 septembre, ministre ou secrétaire d'Etat dans le premier gouvernement de Gaulle. Et cela jusqu'à leur installation en 1960 comme présidents des pseudo-républiques de Côte d'Ivoire et du Sénégal respectivement !
Après sa mémorable soutenance de thèse, le 9 janvier 1960, et son retour immédiat au pays, avec l'intention déclarée de contribuer à la formation des cadres et à la recherche scientifique, ce pédagogue né s'est vu privé d'enseignement pendant deux décennies et même arbitrairement (mais brièvement) mis en prison en 1962, suite à une provocation partisane dans un contexte électoral.
Il a en outre su résister aux oftres insistantes du président Senghor de rallier son régime, moyennant un double quota substantiel de ministres et de députés, à condition qu'il renonce au programme de son propre parti et consente à le dissoudre dans le sien, l'Union progressiste sénégalaise (UPS).
Paradoxalement, la faible participation du RND à la vie politique assure sa longévité
Le paradoxe n'est qu'apparent, car c'est précisément l'originalité de sa ligne politique, centrée sur les besoins des masses laborieuses, ainsi que le caractère atypique de ses méthodes de lutte non violente, qui désorientaient le régime néocolonial senghorien… Tout en renforçant dans le même temps l’influence et le crédit du nouveau parti dans l’opinion. Telle semble être la logique explicative de la durabilité, voire de l’accroissement
continu de l’influence de sa pensée et de son action politique dans le pays d’abord, puis sur l’ensemble la jeunesse africaine.
Il fait preuve de la même fermeté sur ses principes lorsqu'à la suite d'une fausse accusation de « tentative de coup d'État » visant à éliminer l'aile patriotique du régime, alors incarnée par l'ancien président du Conseil Mamadou Dia', il contracte une alliance politique avec les partisans de ce dernier. Face au refus obstiné du président Senghor de reconnaître ce nouveau « Front » en 1963, Cheikh Anta Diop va tenir parole en patientant plus d'une décennie, jusqu'à la libération de tous les prisonniers politiques du Sénégal en mars 1974, avant de créer le 3 tévrier 1976 son dernier parti, le RND, qui compte Mamadou Dia parmi ses cofondateurs... C'est alors dans le cadre d'un regroupement hétérogène de courants politiques divers que le secrétaire général (SG) fondateur assisté de deux adjoints, M° Babacar Niang et D' Moustapha Diallo, déploie ses talents de stratège et d'organisateur. Il s'agissait aussi bien d'adeptes du nationalisme africain, fidèles compagnons de Cheikh Anta Diop secrétaire général (SG) ou de l'ex-président Mamadou Dia, associés à divers partis et groupuscules d'obédience marxiste-léniniste, dont l'ancien Parti africain de l'indépendance (PAI), que de personnalités indépendantes, patriotes et démocrates sincères. La cohésion d'un tel ensemble reposait, outre les statuts adaptés à un parti de masse plutôt qu'à un parti d'avant-garde, sur les trois textes fondateurs du RND :
• un manifeste, dont le premier objectif est l'avènement d'un État de type nouveau, indépendant et souverain, démocratique et populaire ;
• treize principes d'organisation avec un article 1e stipulant que « dans toutes les réunions du Parti, les langues de travail sont les langues nationales et, éventuellement, le français » ;
• un programme en 29 mesures parmi lesquelles, primo : « décoloniser complètement l'appareil d'État » ; deuxio : « réviser tous les accords inégaux qui portent atteinte à notre souveraineté nationale ou lèsent nos intérêts nationaux » ; tertio : « réviser la Constitution pour substituer au pouvoir personnel incontrôlable et incontrôlé, un pouvoir démocratique, contrôlable et contrôlé ».
La naissance du parti entraîna une modification unilatérale et autoritaire de la Constitution sénégalaise avec la fameuse loi restrictive des partis politiques dite « des trois courants de pensée » (socialisme démocra-tique, libéralisme et communisme). Préférant la contre-attaque à l'autodéfense, le parti a riposté au double plan politique et judiciaire. D'abord par une lettre ouverte au chef de l'Etat, lui rappelant, dates à l'appui, que prétendre appliquer rétroactivement à la demande de reconnaissance du RND des dispositions qui sont postérieures à sa création équivaudrait à suspendre la Constitution de facto : « En décider autrement c'est refuser d'appliquer la loi ; c'est suspendre la Constitution. Ce que personne n'a le droit de faire, fût-il le Président de la République. » Ensuite, par l'introduction d'un recours en excès de pouvoir auprès de la Cour suprême, dont la section administrative était présidée par Bruno Cheramy, maître de requêtes au Conseil d'Etat français et, par ailleurs, conseiller juridique du Président de la République... En dépit de ce conflit d'intérêt manifeste, ce magistrat a reconnu sur le fond le bien-fondé dudit recours, tout en déboutant le parti pour « tardiveté de la requête », le 8 janvier 1978 !
Ainsi, dès après le prononcé du délibéré par le juge suprême, c'est dans la salle des pas perdus du palais de justice de Dakar que le secrétaire général (SG) Cheikh Anta Diop demanda à l'énorme foule présente, de poursuivre au grand jour le travail d'organisation et d'implantation du RND à travers le pays, insistant sur la légitimité de notre combat et le refus de passer dans la clandestinité : « La détermination du peuple est plus forte qu'un simple récépissé. Le défaut de bulletin de naissance ne saurait empêcher un enfant de vivre et de grandir. Un jour viendra où nous obtiendrons ce récépissé qu'on nous refuse aujourd'hui ; alors nous le banaliserons en le jetant à la poubelle.
Après avoir été débouté par la Cour suprême, le Secrétariat politique (SEPO) prit l'initiative d'une pétition nationale exigeant la légalisation du RND et de tous les partis politiques qui en font la demande. Elle a aussitôt recueilli des milliers de signatures, parmi lesquelles plusieurs centaines de personnalités et d'intellectuels de renom. Mais c'est la diffusion par le quotidien parisien Le Monde, sous forme d'encart pu-blicitaire, d'un échantillon de cette liste de pétitionnaires, qui va provoquer la colère du président Senghor et une polémique ouverte dans les colonnes d’un journal étranger.
Un recours régulier aux outils de lutte officiels
L'on retrouve ici l'illustration d'une autre règle méthodologique du SG du RND, qui consiste à veiller dans toute lutte, individuelle ou a fortiori collective, à être et demeurer dans son bon droit : avoir la vérité, et donc la justice, de son côté aux yeux de tout observateur impartial. En cas de conflit majeur et de contentieux juridique, il faut épuiser les procédures légales dans la mesure du possible, avant d'engager une épreuve de force imposée par l'obstination de l'adversaire.
Toutefois, après la légalisation du parti par le président Abdou Diouf, le 18 juin 1981, l'acte politique emblématique de la démarche pédagogique de Cheikh Anta Diop et de son éthique personnelle reste, à notre avis, son attitude face aux premières élections générales auxquelles le RND a pu participer, le 27 février 1983. Un double scrutin, présidentiel et législatif, se tenait le même jour, tous deux à tour unique. Le Bureau politique (BP) du Parti choisit d'appeler à l'abstention pour l'élection présidentielle et de demander au peuple la majorité parlementaire pour le RND. Une option tactique qui sera assimilée par certains à une entente cait que le pouis tir un eond sectes lord ma posie le buteleide de anger de cion dectorale politique locale à partir du Parlement : la légitimité d'une majorité collégiale prévalant naturellement sur celle d'un seul individu, fût-il président de la République et chef de l'État !
Au terme d’une campagne électorale menée tambour battant à travers tout le pays et exclusivement en langue nationale, c’est le président de la Cour suprême lui-même, « juge des élections », qui, l’avant-veille du scrutin, émet une simple « circulaire » autorisant le vote avec la seule carte d’électeur, sans présentation concomitante d’une pièce d’identité, ouvrant ainsi la voie à un bourrage d’urnes sans limite !
Le samedi après-midi, le SEPO donna une conférence de presse alertant l'opinion nationale et internationale sur cette manœuvre qui enlevait toute signification au scrutin du lendemain, équivalant de ce tait à « une non-élection ». En conséquence, dès le 2 mars, le Bureau Politique du Parti, élargi aux candidats, rendit publique une résolution affirmant qu'il était hors de question pour le RND de siéger dans une Assemblée nationale issue d'un tel scrutin. Elle précisait en outre que le Parti ne participerait plus à aucune élection sans identification de l'électeur ni secret du scrutin, c'est-à-dire sans passage obligatoire à l'isoloir. Naturellement, Cheikh Anta Diop, tête de liste et unique élu du Parti, s'abstint d'occuper « le siège du refus», en ces termes :
J'ai le regret de vous faire savoir que je m'en tiens à l'engagement que j'avais pris le 13 mars 1983, devant l'Assemblée générale du RND, de ne pas siéger à l'Assemblée nationale. Notre parti, qui a longtemps lutté pour le triomphe de la démocratie au Sénégal, voudrait, par voie de conséquence, que soit garantie l'irréversibilité du processus de démocratisation de nos institutions. Puisse notre manière de protester contribuer dans l'avenir à sauver nos mœurs électorales de la dégradation. C'est aussi par respect pour tous nos militants dont les votes ont été bafoués que notre parti a choisi cette forme appropriée de protestation. Chaque parti politique a sa philosophie. La nôtre n'est pas élastique.
Cette lettre de démission sans précédent, lue intégralement en séance plénière par le président du Parlement et retransmise en direct par la radiotélévision nationale, est restée gravée dans la mémoire de ses concitoyens ! D'autant plus qu'une campagne de désinformation gouvernementale l'amènera à persister et signer à l'occasion d'une interview accordée à Elimane Babacar Faye sous le titre : « Je ne siégerai pas à l'Assemblée nationale ; le RND ne fera partie d'aucun gouvernement. » Ultime illustration de son éthique en politique, il ajoutait : « Qu'est-ce qui explique que soudainement un certain nombre de journalistes font chorus pour essayer de falsifier et de caricaturer notre personnalité et nos idées? Peine perdue, car s'ils contrôlent leur plume, ils ne contrôlent pas mes actes. Or, c'est par des actes que je répondrai toujours aux allégations issues de l'imagination des gens. »
Cette position de principe, fondée sur un style politique qui lui était propre, il s'efforçait de l'inculquer à la jeunesse du parti et le caractérisait ainsi : « le culte de la vérité et la sérénité de l'expression ». L'on peut croire que sa leçon a été retenue, car malgré des secousses répétées consécutives à sa disparition précoce et soudaine, le RND a su maintenir le cap du boycott électoral pendant une décennie (1983-1993), jusqu'à obtenir, dans le cadre de la Commission nationale de réforme du Code électoral (1992), le respect de deux principes démocratiques, à la fois élémentaires et fondamentaux, universellement exigibles : une seule voix par personne et le secret du scrutin.
Les légataires qui s'inscrivent aujourd'hui dans la pensée de Cheikh Anta Diop
La force démonstrative et persuasive des travaux scientifiques de Cheikh Anta Diop, autant que de son combat politique, explique sans doute qu'il ait connu des adhésions et suscité des vocations en plus grand nombre ailleurs en Afrique et surtout dans la diaspora extracontinentale. Ce n'est assurément pas un hasard si son premier et principal disciple et compagnon de route scientifique aura été Théophile Obenga du Congo, tandis qu'un des plus fins connaisseurs de sa pensée holistique, le regretté Jean-Marc Ela du Cameroun, ne l'a jamais rencontré, s'étant contenté de fréquenter son œuvre...
Et c'est un autre grand écrivain africain, Ayi Kwei Armah du Ghana qui, dans le cadre d'une coopérative multifonction dénommée Per Ankh et située à Popenguine, a initié une entreprise collective de traduction multilingue (neuf langues africaines, de l'Akan au Zulu, trois européennes et dernièrement une sémitique, l'arabe) de textes classiques de la littérature égypto-nubienne antique à partir du texte hiéroglyphique, après translittération (Shemsw Bak®).
De même, ce sont nos compatriotes africains-américains des États-Unis qui auront été les premiers et, à notre connaissance, les seuls, à lui avoir rendu sincèrement et de son vivant l'hommage solennel qu'il méritait en 1985. C'est en effet le maire Andrew Young de la ville d'Atlanta (Georgie), qui l'a invité officiellement à célébrer en personne le lancement d'une Journée Cheikh Anta Diop au niveau municipal (tous les 4 avril).
Pour sa part, Morehouse College lui a décerné un doctorat honoris causa, dans la chapelle Martin Luther King de l'établissement. Rappelons qu'il n'avait pas été convié à prendre part au premier Festival mondial des arts nègres de Dakar (1966), malgré sa participation fort remarquée aux deux Congrès des écrivains et artistes noirs de Paris (1956) et Rome (1959) à l'issue desquels il fut décidé de tenir ce futur festival en terre afri-caine, une fois les indépendances acquises. Ainsi, ni lui-même, ni le défunt érudit africain-américain quasi centenaire W.E.B. Dubois n'ont-ils pu recevoir en personne le prix décerné conjointement par le Colloque scientifique du festival aux « deux intellectuels africains ayant exercé l'influence la plus profonde sur la pensée noire au XX° siècle » !
Il n'en demeure pas moins que le plus bel hommage posthume, le plus durable aussi et sans doute celui auquel il eût été le plus sensible, reste la marée montante et irrésistible de l'intérêt porté par la jeunesse africaine du continent comme de la diaspora à son double héritage scientifique et politique. La quantité et la qualité, en croissance exponentielle, des travaux issus de son nouveau paradigme révolutionnaire africain, d'ordre à la fois conceptuel, méthodologique et programmatique, produits en wolof aussi bien qu'en français et anglais, en attendant le kiswahili et le hausa, l'arabe ou le mandarin, entre autres, en sont des preuves éloquentes.
Un bel exemple local en est fourni par l'équipe regroupée autour du romancier Boubacar Boris Diop, qui met en œuvre concrètement le même paradigme, en publiant des traductions bilingues (wolof et français) de classiques de la littérature tant nationale qu'internationale, en version papier, e-book et audio-book, ainsi qu'un périodique en ligne d'informations en wolof, Lu defu waxu. Et ceci, en dépit de l'exclusion persistante de l'œuvre de Cheikh Anta Diop des curriculae de l'enseignement officiel dans son pays de naissance... qui, il est vrai, demeure la plus vieille colonie française d'Afrique (près de quatre siècles de domination, alors que la Guinée n'a connu que soixante ans d'occupation coloniale : de la capture de Samory en 1898 au « Non » de Sékou Touré en 1958).
Cela dit, il est difficile de répondre dès à présent et de façon exhaustive à cette question pour deux raisons au moins : le caractère transdisciplinaire, voire encyclopédique, de l'œuvre du savant longtemps os-tracisée, sinon dénigrée, d'une part; la dimension de rupture paradigmatique de sa contribution politique théorique et pratique, qui fait l'objet d'une sorte d'occultation par le silence en lieu et place de la diabolisation antérieure, d'autre part ! C'est dire que nul « légataire », ni institutionnel ni individuel, ne saurait accaparer l'immense patrimoine intellectuel légué par Cheikh Anta Diop, en priorité à la jeunesse africaine du continent et de la diaspora d'ascendance africaine directe, mais aussi et plus largement à la jeunesse du monde entier. Car toutes deux portent solidairement la lourde responsabilité de sauver notre planète et tous ses habitants des multiples menaces d'autodestruction qui la guettent de nos jours.
Certaines idées politiques de Cheikh Anta Diop apparaissent aujourd'hui comme visionnaires
Elles sont nombreuses, mais nous ne retiendrons que les principales idées phares, à commencer par sa fameuse prédiction de 1960, au tournant des « indépendances africaines », sur le danger d'une éventuelle « sud-américanisation » de l'Afrique si ses dirigeants échouaient, à l'image de Simon Bolivar, à réunifier le continent divisé par le partage impérial de Berlin (1885). Une anticipation qui s'est vérifiée jusqu'à la caricature avec, notamment, la multiplication des guerres civiles et/ou étrangères, des coups d'État militaires ou constitutionnels, des compétitions électorales devenues la principale source d'instabilité et de violence, sans compter le phénomène de cocaïnisation massive du continent qui, de zone de transit vers l'Europe, s'est transformé en centre de consommation.
Cette clairvoyance ne relève d'aucun don particulier ; elle s'explique par sa méthode d'analyse consistant à « étudier l'histoire non pour s'y complaire, mais pour y puiser des leçons'». Il pense certes d'abord à l'histoire multimillénaire des peuples africains, mais aussi à l'expérience accumulée par les autres peuples du monde, en particulier ceux d'Asie, des Amériques et d'Océanie.
Il en est de même pour l'idée quasi obsessionnelle qu'un « État africain continental est une condition préalable à la survie des sociétés noires, où qu'elles se trouvent. Les communautés noires doivent trouver les moyens d'articuler leur unité historique. [...] Les liens entre les Africains noirs et les Noirs d'Asie, d'Océanie, des Caraïbes, d'Amérique du Sud et des États-Unis doivent être renforcés sur une base rationnelle'° ».
Une autre idée essentielle de sa doctrine politique souligne le rôle déterminant de la culture nationale, et donc des langues africaines, comme « le rempart le plus puissant contre les agressions étrangères"». D'où l'urgente nécessité de doter nos langues nationales du statut de langues de travail, c'est-à-dire d'administration et d'enseignement ! Ainsi que l'ardente obligation de s'entendre sur le choix d'une seule et même langue africaine d'unification pour le travail d'administration et d'éducation dans le futur État fédéral.
De même, Cheikh Anta Diop a dit et répété que « la sécurité précède le développement ». Une tormule galvaudée depuis lors par de nombreux chefs d'État africains, le plus souvent incapables de garantir aussi bien la paix civile sur leur territoire (la sécurité des personnes et des biens), que l'intégrité de leurs frontières extérieures. Il avait même précisé : « Au xx' siècle, un continent qui ne peut pas assurer sa propre sécurité militaire, qui ne contrôle pas en particulier son espace atmosphérique et cosmique, n'est pas indépendant et ne peut pas se développer'?.• » L'observation vaut a fortiori pour ce début de xxI siècle de tous les dangers.
Au vu de l'insécurité généralisée vécue de nos jours par tous les peuples et Etats africains sans exception (sans compter nos compatriotes de la diaspora d'ascendance africaine directe d'Occident et d'Orient), une première évidence saute aux yeux : aucun peuple lucide ne saurait déléguer ni sa sécurité, ni sa souveraineté à autrui, et surtout pas à un État étranger, c'est-à-dire non africain ! Autrement dit, une défense efficace du territoire repose d'abord sur une autodéfense populaire, structurée et disciplinée, tout comme la protection réelle des civils commence par une autoprotection collective, citoyenne et organisée.
Autre formule-choc chère à Cheikh Anta Diop : « l'intégration politique précède l'intégration économique!3 ». Or, les organismes africains dits d'intégration régionale ou sous-régionale (UEMOA/ CEMAC, UMA, CEDEAO, SADC, etc.) considérés par Cheikh Anta Diop comme autant de « faux ensembles », ne sont tout simplement pas viables, dans la mesure où « l'organisation rationnelle des économies africaines ne saurait précéder l'organisation politique de l'Afrique'». Pire, ils ont fini de se discréditer dernièrement aux yeux de l'opinion, non pas du fait de leur impuissance, mais surtout en s'affichant en véritables clubs de désintégration de l'Afrique, avec la manipulation de certains dirigeants africains contre d'autres, à l'instigation de puissances extracontinentales !
Enfin, venons-en au défi énergétique. « Au commencement est l'énergie. Tout le reste en découle », écrivait Cheikh Anta Diop dans son manifeste politique, publié au lendemain de sa soutenance de thèse, à la veille de la cascade des fausses indépendances africaines des années 1960. Mais il n'est pas sans intérêt de signaler, d'une part, que c'est à l'occasion de la première conférence de presse du RND, légalisé le 12 août 1981 à la Chambre de commerce de Dakar, qu'il a pour la première fois et longuement exposé sa proposition d'une « doctrine énergétique africaine » basée sur le vecteur hydrogène; et, d'autre part, que son avant-dernière communication publique, donnée au Symposium international de Kinshasa (avril 1985) sur le thème « La science, la technique et le développement de l'Afrique : l'Afrique et son avenir », avait pour titre : « Le problème énergétique africain ». C'est dire l'importance qu'il a toujours accordée à cette question centrale afin de mettre en évidence l'unicité et la cohérence de sa démarche en politique comme en science.
Sa communication débutait en ces termes : « Faisons une projection dans le proche avenir et demandons-nous quelle sera la physionomie énergétique du monde dans les 30 à 40 ans, aux confins des années 2010-2020. » Résumons sommairement son analyse telle qu'elle a été publiée dans les colonnes du journal du RND'5. Après avoir réitéré son postulat de base, à savoir que « nos principaux problèmes de sécurité et de développement ne peuvent trouver de solution qu'à l'échelle continentale et mieux dans un cadre fédéral », il attire l'attention sur « la vitesse à laquelle notre continent est vidé de ses richesses non renouvelables pendant notre somnolence », en prenant pour exemple « un Koweit africain comme le Gabon [qui] sera dans moins de 60 ans une caisse vide ». Se situant donc d'emblée dans la perspective d'un État fédéral continental ou subcontinental, il propose :
Un schéma de développement énergétique qui tienne compte à la fois des sources d'énergie renouvelables et non renouvelables, de l'écologie et des progrès techniques des prochaines décennies. [...] L'Afrique Noire devra trouver une formule de pluralisme énergétique associant harmonieusement les sources d'énergie suivantes : hydroélectrique (barrages), solaire, géothermique, nucléaire, hydrocarbures (pétrole) et thermonucléaire. Les cinq premières sources d'énergie sont déja exploitables à des degrés différents en Atrique et dans le reste du monde, alors que la dernière ne l'est même pas en laboratoire, mais il ne fait pas de doute, malgré un certain pessimisme de méthode, que son exploitation sera opérationnelle d'ici 40 ans, c'est-à-dire bien avant deux générations, et ce, au moment précis où le règne du pétrole s'achève avec l'épuisement des dernières nappes terrestres. Cependant, si cette source d'énergie devenait exploitable avec un contrôle efficace de la réaction thermonucléaire, les besoins énergétiques de la planète seraient couverts pour une période d'un milliard d'années. Les futurs appareils qui produiront cette énergie, que l'on appelle réacteurs thermonucléaires ou tokamaks (à cause de l'origine soviétique des premiers appareils d'essais qui portent ce nom) seront alimentés au stade vraiment opérationnel et définitif avec de l'hydrogène dit lourd qui sera obtenu essentiellement par l'électrolyse de l'eau de mer.
Il poursuit : « En ce qui concerne l'énergie solaire, le développement des recherches en vue d'abaisser le prix de revient des photopiles permettra peut-être de disposer au seuil de l'an 2000 de centrales solaires opérationnelles (dites héliovoltaïques terrestres ou solaires). »
On a coutume de dire qu'il n'est de science que prédictive. Pour mieux illustrer à la fois l'envergure paradigmatique et le caractère visionnaire de la réflexion du penseur africain contemporain capital, nous prendrons deux exemples significatifs : il a dit et répété que la politique ne l'intéressait guère et qu'il s'y est engagé par simple devoir patriotique, ajoutant que son tempérament le poussait plutôt vers la recherche scientifique, avec la physique théorique comme domaine de prédilection.
Dans l’ultime article qu’il a donné à la Revue sénégalaise de philosophie, en conclusion du colloque « Philosophie, Science et Religion16 » qu’il avait présidé, Cheikh Anta Diop revient sur un sujet déjà évoqué dans sa somme finale, Civilisation ou Barbarie17, et discute dans le détail les résultats de l’expérience d’un certain Alain Aspect, chercheur au laboratoire physique théorique de l’université de Paris Orsay. Il prédit que ses résultats expérimentaux auront pour conséquence un bouleversement radical de notre conception de la réalité et de la rationalité, à la lumière des dernières découvertes dans l’univers des particules élémentaires. Quarante ans plus tard, Alain Aspect s’est vu attribué le prix Nobel de physique !
Le second exemple est plutôt révélateur de la démarche méthodique de Cheikh Anta Diop en sciences humaines. Il s’agit de sa préface à l’ouvrage du professeur de sciences économiques Makhtar Diouf : la longue citation vaut le détour...
Il s’agit d’un véritable programme de refonte des structures économiques actuelles à partir de l’analyse de leurs défauts. Ce livre contribuera à éclairer la décision des cadres appelés à forger le destin économique de l’Afrique. C’est un puissant outil de conscientisation que tous les agents impliqués dans le développement de l’Afrique devraient lire. Ce qui manque le plus, et ceci ne dépend pas de l’auteur, c’est la volonté politique pour la mise en œuvre de toutes les idées fécondes contenues dans ce travail d’avant-garde. Une volonté politique, non pas seulement régionale, mais continentale, suffisamment forte pour accepter la création d’un exécutif continental fédéral africain permettant l’organisation rationnelle de l’économie du continent et l’édification de nouveaux États adaptés à l’ère cosmique qui est la nôtre.
Même l’égoïsme lucide militerait pour l’émergence d’une telle volonté politique. Si elle tardait à apparaître dans les cercles des spécialistes qui gouvernent aujourd’hui le destin de l’Afrique, l’instinct vital des masses, et la volonté de survie des peuples africains ne tarderaient pas à l’engendrer au sein des couches sociales les plus déshéritées, comme une lame de fond venant briser tous les obstacles secondaires qui bouchent l’avenir du continent et risquent de compromettre son destin18.
L’autonomie énergétique africaine et le développement de l’industrialisation passaient en effet pour lui par une fédération africaine, au cœur de son projet politique
Le message politique fondamental légué par Cheikh Anta Diop est tiré de l’expérience historique singulière accumulée sur la longue durée par les peuples africains du continent et d’ascendance africaine directe ailleurs dans le monde (schématiquement pour la souche mère : un cycle de grandeur multimillénaire, puis de régression pluriséculaire et enfin de renaissance en cours), un message qui tient en une formule lapidaire : « hors la fédération panafricaine, point de salut ! Ni pour les Africains du continent, ni pour ceux de ses diasporas d’Orient comme d’Occident, dans la mesure où le sort individuel et collectif de nos compatriotes à l’étranger dépend directement de la position et du statut de l’Afrique dans le rapport de force mondial ».
Mais le stratège africain a pris soin de préciser qu'à la différence des deux grandes fédérations du xx* siècle, les États-Unis et l'URSS qui, comme tout projet impérial, ont été bâties par le fer, le feu et le sang, le projet fédéral africain devra se réaliser, non par la contrainte, mais plutôt par la persuasion, une adhésion consciente et volontaire étant la condition sine qua non de sa pérennité et de son épanouissement.
D’autant que sa conception de la renaissance africaine, telle qu’esquissée dans sa vision de l’État fédéral, est incompatible avec toute forme de discrimination ethnoraciale, de genre (vu que la tradition endogène à l’Afrique est le matriarcat), de caste ou de classe, ou encore d’ordre confessionnel ou idéologique ! Comme lui-même a pu le dire à propos de son travail multidimensionnel et du programme qui en résulte : « Malgré les insuffisances inévitables, les grandes lignes sont solides et les perspectives justes19. »
Aimé Césaire a pu dire que « le plus court chemin vers l'avenir passe, comme toujours, par l'approfondissement du passé ». En vue de la reconstruction d'une Afrique souveraine, réunifiée et véritablement démo-cratique, nous aurons vraisemblablement autant, sinon plus, à apprendre de l'expérience de l'Égypto-Nubie antique prédynastique durant ses millénaires d'édification communautaire et égalitaire, que de l'histoire des trois empires successifs (Ancien, Moyen et Nouvel) de l'ère pharaonique, prototype de l'État territorial centralisé, monarchique, théocratique et par conséquent inégalitaire.