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26 novembre 2024
Opinions
PAR L’ÉDITORIALISTE DE SENEPLUS, BOUBACAR BORIS DIOP
CE VIEIL HOMME, NOTRE ENFANT…
Wade a desservi Karim, renforcé la cote de popularité de Macky tout en donnant de lui-même une image négative. En somme, trois coups de pierre contre sa réputation et contre la libération de son fils
Boubacar Boris Diop, Éditorialiste de SenePlus |
Publication 24/03/2015
Des analystes pourtant peu suspects de passion partisane continuent à regretter que la Crei n’ait été apparemment réactivée que pour juger Karim Wade. Même si on peut leur reprocher de tenir pour quantité négligeable ses co-inculpés ou d’oublier trop vite les nombreux dossiers déjà instruits, leur trouble mérite la plus grande attention. Il nous rappelle qu’au Senegal l’autorité publique n’a jamais vraiment su quelle attitude adopter à l’égard des auteurs de crimes économiques. C’est peu de dire que ces derniers, du fait de leur forte capacité de redistribution, sont plus souvent admirés que stigmatisés.
Il se raconte du reste, sous forme de blague populaire, qu’à des détenus ordinaires se plaignant des faveurs accordées à ces prisonniers de luxe, un régisseur aurait répliqué, excédé : «Ecoutez, ce n’est pas pareil, vous, vous êtes des voleurs alors qu’eux ont détourné !» Cette complaisance à l’égard de ceux qui dilapident nos maigres ressources s’explique-t-elle par le fait que le même personnel politique se partage le pouvoir depuis l’Indépendance ? L’hypothèse peut être avancée sans risque.
Le plus fascinant, c’est que Me Abdoulaye Wade, alias le «pape du Sopi», a été élu, après une exceptionnelle mobilisation populaire, pour briser ce cercle vicieux de la gabegie et de l’impunité. Quel Sénégalais peut s’en souvenir aujourd’hui sans un formidable éclat de rire ? Sous son règne, le système est devenu complètement fou ! Dès ses premières heures au Palais, il déclare à Idrissa Seck, qui l’enregistre en secret– drôle de gens, n’est-ce pas ?- : «Nos problèmes d’argent sont désormais derrière nous», avant d’ajouter cette phrase hallucinante : «Même les gangsters savent s’en tenir a un strict code d’honneur quand vient l’heure de se partager le butin.»
Il n’est dès lors pas étonnant qu’au cours de ses deux mandats à la tête du pays, on ait eu l’impression d’un gigantesque foutoir financier. Bien des cadres ayant travaillé avec Me Wade, en particulier ceux qui venaient de la Gauche, n’étaient pas des corrompus, loin s’en faut. Mais ceux qui l’étaient ne se sont pas du tout gênés. Les affaires en tous genres– terrains, trafic de devises voire de drogue– ont sans cesse défrayé la chronique et des milliers de gens qui tiraient le diable par la queue, ont amassé en peu de temps une colossale fortune.
Dans un petit pays à l’élite aussi «compacte», tout finit par se savoir, même, et peut-être surtout, ce que les medias choisissent, pour diverses raisons, de taire. Et– ne soyons donc pas si oublieux– Karim Meissa Wade, à la tête de moult ministères stratégiques, était au centre de tout. La justice lui demande depuis juillet 2014 de justifier l’accroissement phénoménal de sa fortune à l’époque où son père était chef de l’Etat. Il n’en a pas été capable et cela lui a valu une peine ferme de six ans et une amende de 138 milliards de francs Cfa.
On peut certes entendre les critiques des ONG des Droits de l’homme qui voient dans la Crei une juridiction d’exception violant les normes du droit international mais on a aussi eu le sentiment que pour ses avocats leur client, lâché par certains de ses prête-noms et complices, confondu sur des points importants, était devenu indéfendable. On les a donc davantage entendus en conférence de presse qu’à la barre du tribunal qu’ils ont du reste finalement boycotté. Il est d’ailleurs difficile de savoir à quoi ont bien pu servir les avocats étrangers supposés plaider en faveur de Karim Wade.
Malgré le gros cafouillage sur le compte de Singapour– un point, il faut le souligner, non pris en compte par le juge Henri-Grégoire Diop–, personne n’a été surpris par le verdict du 23 mars. Il n’y a pas lieu de se réjouir qu’une personne encore dans la force de l’âge soit obligée de rester quatre années en prison mais des dizaines de milliers d’autres Sénégalais purgent la même peine sans que cela n’émeuve personne.
L’avertissement vaut pour tous nos futurs chefs d’Etat. Ce qui arrive à Karim Wade doit leur faire comprendre qu’il est inadmissible et dangereux de détourner les suffrages populaires au profit de sa famille.
L’ex-président Wade, naguère tout-puissant, n’a rien pu faire pour sauver son fils. Il n’a même pas pu trouver un hôtel pour y organiser ce que le politologue Mbaye Thiam a appelé sur Sud FM «la dévolution paternelle du parti». Cela en dit long sur la brutalité de la chute de Wade. Il s’était pourtant montré si agressif à maintes reprises que le pays a eu de sérieuses craintes pour la sécurité des biens et des personnes le jour du verdict. A l’arrivée il y a eu plus de peur que de mal.
Me Wade, conscient de son faible pouvoir de nuisance ces temps-ci, s’y était sûrement attendu et c’est sans doute pour cela qu’il a fait de son fils le candidat du PDS à la présidentielle de 2017. Le projet, c’est de lui faire porter les habits de lumière du prisonnier politique, si populaire que le régime n’aura d’autre choix que de ne pas le maintenir en détention. Est-ce bien sérieux ? En vérité, cela s’appelle raisonner la tête à l’envers.
Tout d’abord, Karim Wade, qui n’a jamais remporté le moindre scrutin, est un binational. On le voit mal renoncer à son passeport français pour briguer les suffrages des électeurs sénégalais. Et au fait, dans quelle langue leur demanderait-il de voter pour lui ? C’est un point central que tout le monde semble avoir oublié. Sauf, probablement, l’intéressé lui-même et son père. Me Wade, qui a affronté tous les présidents, de Senghor à Macky Sall, sait bien ce qu’élection veut dire dans notre pays. Il serait étonnant qu’il entretienne au fond de lui-même la moindre illusion quant aux chances de son fils pour l’élection de 2017.
Il sait bien, pour le dire familièrement, que les carottes sont cuites.
Wade aura en effet tout essayé mais les appels du pied à l’armée n’ont pas eu plus d’écho que sa menace insolite de prendre le maquis. Et pour faire monter la tension, il ne s’est interdit aucune grossièreté à propos de la famille Sall. Ce faisant, il a desservi Karim Wade, renforcé la cote de popularité de Macky Sall tout en donnant de lui-même une image encore plus négative qu’à l’ordinaire. En somme, trois coups de pierre contre sa réputation et contre une cause, la dernière d’un vieux combattant, qui lui tient tant à cœur : la libération de son fils.
Une fin de parcours aussi douloureuse– il est des moments où le vieil homme suscite en effet une vague compassion– rappelle, toutes proportions gardées, celle d’Alboury Ndiaye. La tradition rapporte qu’au soir de sa vie, affamé et au bord de l’épuisement, le Bourba Djoloff fut obligé de voler une écuelle de lait dans l’arrière-cour d’une maison de Dosso, dans l’actuel Niger. Surpris par la propriétaire, il n’eut d’autre choix que de nier avec véhémence. En vain : un enfant l’avait vu en secret, qui témoigna contre lui. Il aurait alors déclaré à son griot : « J’ai été tout-puissant au Djoloff et voilà à quoi je suis réduit. Tout est perdu et je sais que ma fin est proche.»
Alboury Ndiaye, immortalisé entre autres par le dramaturge Cheik Aliou Ndao, a été peut-être le moins ambigu, le moins controversé de nos héros nationaux mais un cruel destin avait pris avantage sur le guerrier errant, panafricaniste avant la lettre. Du célèbre politicien libéral aussi, on peut dire, mais hélas pour de moins glorieuses raisons, que tout est perdu aujourd’hui, même l’honneur.
Il ne lui reste plus qu’à solliciter la clémence de celui dont il a dit tout récemment que jamais il ne serait au-dessus de Karim Wade. Peut-être s’exprimait-il ainsi en surestimant ses capacités à infléchir le cours de la justice. En homme qui a toujours cru au seul rapport de force, il est bien conscient d’être à la merci du régime de Sall. La surenchère verbale va rester de mise pendant quelque temps pour sauver les apparences mais il est très probable qu’il va bientôt jouer, en coulisses, la seule carte qui lui reste raisonnablement : solliciter la grâce présidentielle. Et si Macky Sall venait à céder aux pressions, l’on n’entendra probablement plus parler ni de l’homme Karim Wade ni encore moins du candidat sans peur et sans reproche. On peut supposer qu’il sera aussi oublié des Sénégalais que l’est à l’heure actuelle sa sœur. Le président pourrait être tenté de se montrer magnanime après avoir su se montrer ferme.
Qu’adviendrait-il des Bibo Bourgi et autres Mamadou Pouye, condamnées en même temps que Karim ? La question n’est pas simple car une libération générale ferait désordre dans l’opinion.
Quoi qu’il arrive, gardons-nous de jeter trop vite la pierre à Me Abdoulaye Wade. Ce quasi centenaire au regard perdu, si tragiquement solitaire, c’est nous-mêmes qui l’avons librement enfanté dans l’allégresse générale il y a une quinzaine d’années. Au-delà du sort personnel de son fils, c’est de cela que nous devrons nous souvenir demain et après-demain.
emprisonnée pour avoir tenté d'échapper à son bourreau, Dieynaba Ndiaye incarne le paradoxe d'une justice qui punit les victimes. Nous vous demandons en faveur de cette survivante récemment hospitalisée en raison de son état de santé dégradant
"La femme est la racine première, fondamentale de la nation où se greffe tout apport, d'où part aussi toute floraison." déclarait Mariama Bâ. En cette veille de la Campagne des 16 jours d'activisme contre les Violences faites aux femmes et aux filles, nous vous adressons cette lettre.
Le Sénégal pose les fondations d'une nouvelle ère à travers l'Agenda National de Transformation et cette 15ᵉ législature à laquelle vous appartenez. L'idéal d'une nation souveraine, juste, prospère et ancrée dans de fortes valeurs, telle défendue par le président de la République. La vision Sénégal 2050, claire et audacieuse, suscite l'espoir du bonheur et de la justice auprès des populations.
Et pourtant, ce beau tableau est noirci par une tâche. Cette tâche que l'on retrouve sur le poignet des femmes, leur visage, leur cou et leur corps. Une tache tantôt visible, tantôt invisible qui prend forme davantage sur le tableau, sous nos yeux. Notre inaction et notre silence, nous rend complices de ce fléau qui corrompt la racine de la nation.
Honorable, cette tâche est portée par des milliers de nos filles, nos soeurs, nos mères. Elle a noirci leur vie, affecté leur entourage et leur progéniture. À titre d'exemple, Dieynaba Ndiaye, une jeune femme pleine de vie et de rêves, qui se retrouve en prison pour avoir essayé de s'échapper à cette ombre pesante.
Mariée à un homme, Dieynaba avait espoir de vivre une vie idéale d'amour et de paix. Elle ne s'attendait pas à ce que, dans la nuit du 16 avril 2024, son homme peigne son visage et son corps de tâches horribles. "Malgré mes saignements et mes cris, il a continué à me frapper avec une force inimaginable." relate-t-elle dans sa plainte adressée au Procureur de Matam. Le calvaire de Dieynaba s'est poursuivi quand elle a voulu fuir cette violence. Son mari l'a emmené en brousse, puis fait sortir violemment de sa voiture et l'a abandonné au milieu des arbres avec des coups et des injures.
Dieynaba rêvait d'une vie saine et prospère, pas d'une vie où le tableau sera obscurci par cette tâche noire qui est la violence conjugale. En tant que survivante, elle avait confiance en dame justice, pour réparer l'honneur et briser l'injustice. Mais là où elle espérait un bras fort et droit, elle n'a trouvé qu'un mur froid sans voix.
Honorable, Dieynaba purge présentement au Camp Pénal de Dakar une peine bien supérieure à celle de son bourreau. Un bourreau qui a précédemment brisé la vie de six autres épouses, dont une qui a succombé à la lourdeur de cette tâche. Nous vous demandons à travers cette lettre d'agir en faveur de cette survivante qui a récemment été hospitalisée à Abass Ndao en raison de son état de santé dégradant.
Nous demandons sa libération immédiate, elle mérite plus d'empathie et de considération à cause du traumatisme qu'elle a vécu. Dieynaba doit être auprès des siens pour panser ses douleurs et non pas dans une cellule qui ravive ses malheurs.
Honorable, nous avons foi en votre sens de la justice sociale et votre soutien à la dignité humaine. Si nous n'agissons pas rapidement, les violences basées sur le genre risquent d'entacher la vision Sénégal 2050 qui aspire à une société inclusive et équitable. Chaque acte de violences faites aux femmes et aux filles est une atteinte non seulement aux individus, mais à l'idéal collectif que nous visons.
Pour un Sénégal sûr, un Sénégal juste et un Sénégal sensible aux besoins spécifiques des femmes et des filles, il est impératif que nous faisons qu'un et défendons #FreeDieynaba.
Johanna D. est porte-parole du Collectif des survivantes anonymes et membre de l'Alliance sénégalaise contre les violences faites aux femmes et filles handicapées.
par Abdoul Aziz Diop
POUR LA LIBÉRATION IMMÉDIATE DE MOUSTAPHA DIAKHATÉ
Les ingrédients du cocktail frelaté de Pastef sont : l’anti-institutionnalisme à travers de l’excès zèle inoculé par Sonko, la confusion des pouvoirs... La démocratie sénégalaise qui ne s’adapte à aucun moule préconçu n’a que du mépris pour l’arriviste
Me El Hadji Diouf se distingue au Barrreau de Dakar par la manière inédite de dissoudre la gravité dans un mélange de styles dont personne ne lui dispute la propriété.
Un grand avocat !
Face aux journalistes, Me Diouf invoque les droits et libertés de son client Moustapha Diakhaté en mettant en exergue le cocktail frelaté et enivrant de Pastef dont les ingrédients sont :
- l’anti-institutionnalisme à travers de l’excès zèle inoculé par Ousmane Sonko à la Division spéciale de la cybersécurité (DSC) ;
- la confusion des pouvoirs par un exécutif profane et borderline ;
- l’insulte de petits et moins petits voyous chauffés à blanc comme emballage…
Qui maintenant ose encore en attendre une performance économique, l’augmentation considérable des revenus de l’État et des services publics irréprochables de la santé, de l’éducation, de l’énergie, de la culture et j’en oublie ?
Peut-être encore Sonko dont le goût amer de la victoire se manifeste par l’affolement provoqué par les éclairages émancipateurs et démassificateurs du direct dont l’éveilleur de conscience Moustapha Diakhaté a le secret à des heures de grande écoute.
Peine perdue !
La démocratie sénégalaise qui ne s’adapte à aucun moule préconçu n’a que du mépris pour l’arriviste.
Libérez Tapha.
Abdoul Aziz Diop, Pacte institutionnel (PI) de défense des institutions de la République et de la démocratie, Chevalier de l’Ordre national du Lion.
par Maniang Fall
THIAROYE : DU MASSACRE À LA RECONNAISSANCE
EXCLUSIF SENEPLUS - Les concessions au compte-gouttes de l'État français ne suffisent plus face aux exigences de vérité et de justice. La mention "Mort pour la France" accordée à six tirailleurs ne suffira pas à éteindre l'incendie mémoriel
La célébration du 80ème anniversaire des massacres de Thiaroye coïncide avec l’essor d’un vent qualifié de souverainisme et panafricanisme en Afrique francophone en général, en Afrique de l’Ouest en particulier. Cet élan est en général porté par la jeunesse. Les enjeux de cette célébration ne peuvent être pleinement compris qu’à la lumière du contexte actuel. Sauf indication contraire, tous les éléments factuels sont tirés des écrits de l’historienne Armelle Mabon, maîtresse de conférences à l’Université de Bretagne Sud[i].
Qui sont ces « tirailleurs sénégalais » et leur itinéraire ?
Pour commencer, comme beaucoup le savent, ces dits travailleurs sénégalais proviennent en réalité de différents pays d’Afrique dite noire faisant partie de l’empire colonial français en Afrique occidentale et en Afrique équatoriale. Une grande partie d’entre eux fut enrôlée de force.
En transit sur le camp de Thiaroye en novembre 1944 pour rentrer chez eux, ces tirailleurs furent faits prisonniers dès 1940 par l’Allemagne durant la débâcle de l’armée française. Comme l’Allemagne ne voulut pas les interner chez elle pour éviter une « contamination raciale », ils furent transférés en France dans des « Frontstalags ». Ces derniers sont des camps de prisonniers du Reich en dehors du territoire allemand. Cependant, l’encadrement est allemand, de même les règles ou les procédures en vigueur dans les mêmes camps en Allemagne, comme le système de travail obligatoire dans les « Arbeitkommandos », y furent appliquées. Ainsi des tâches ou plutôt des corvées leur furent assignées. En contrepartie des travaux forcés, de maigres rémunérations leur furent versées dans des livrets d’épargne gérés par les Frontstalags.
Paradoxalement, ce faisant en dehors des camps pour les corvées, ces tirailleurs purent rentrer en contact avec les populations qui transfèrent sur eux la compassion ou la sympathie envers les prisonniers français métropolitains inaccessibles. Via un système de marrainage ou de parrainage, de nombreux tirailleurs furent « adoptés » par des familles françaises. Ces liens donnèrent parfois naissance à des couples dits mixtes et par ricochet à des enfants dits métis. Plusieurs évasions eurent lieu. Leurs auteurs en général arrivèrent à rejoindre la résistance et/ou furent protégés par les populations locales à leurs risques et périls. Ce fut de facto une forme de « fraternisation[ii] » entre deux populations qu’un océan de préjugés et de stéréotypes, créé et entretenu par l’idéologie et la propagande coloniales, pouvaient séparer ou voire opposer.
Au cours de la guerre 1939-1945, la gestion des Frontstalags alla changer quand l’armée allemande fut à court de ressources humaines surtout dans le front Est où elle fut bousculée après la défaite de Stalingrad en hiver 1942 en ex-URSS. Ce fut pourquoi elle retira les soldats allemands affectés à la surveillance des Frontstalags. Ce fut ainsi qu’à partir de ce moment-là, la surveillance des prisonniers tirailleurs fut sous-traitée à l’armée française de la zone dite libre. Ce changement ne put que contribuer au pourrissement supplémentaire du climat dans les Frontstalags entre les prisonniers et leurs nouveaux surveillants qui furent des « ex-collègues » ou « ex-camarades » bien qu’étant sous la bannière du régime collaborationniste de Vichy sous la direction du maréchal Pétain. Ce surcroît de tension fut un facteur d’accélération du rapatriement des tirailleurs dès que possible.
Un autre facteur ayant contribué à la précipitation des rapatriements-démolitions des tirailleurs fut le dénommé « blanchiment » ou « blanchissement » des troupes.
Dans le courant de 1944, devant l’imminence de l’effondrement ou de la capitulation de l’Allemagne nazie estimée en termes de mois, la libération des villes sans être une formalité put être envisagée sans les tirailleurs, mais aussi en général sans toutes les troupes de type présumé non-aryen comme les Juifs, les Arméniens, les Tziganes, etc. Le cas le plus emblématique du « blanchiment » s’opéra avec la libération de Paris en août 1944. En accord avec l’état-major des « Alliés », le général De Gaulle décréta que « Paris devait être libéré par des soldats uniquement Blancs [iii]». Tous les soldats non-aryens de la division Leclerc furent parqués près d’Orléans dont Frantz Fanon[iv], martiniquais et futur théoricien de la lutte d’indépendance et de la lutte des peuples du Tiers-Monde en général, entre autres avec son livre-culte « Les damnés de ta terre ». Il fallait à tout prix occulter et invisibiliser l’apport des entités racisées ou colonisées dans la défaite du nazisme. S’y serait peut-être aussi ajouté une volonté d’éviter une « fraternisation » avec les populations urbaines et/ou « une contamination raciale » comme l’assuma crûment le Reich.
Ce n’est pas l’objet de cet article, mais le questionnement sur le caractère véritablement antifasciste de la seconde guerre mondiale mériterait d’être posé, si on isole l’entreprise d’extermination des Juifs, des Tziganes, des LGBT, etc. N'est-ce pas que l'essence du fascisme ou du nazisme est la remise en cause de l'unité du genre humain dans son ensemble en érigeant une hiérarchie sur la base de critères présumés raciaux, ethniques, culturels, etc. ? Comment pourrait-on décerner un label d’antifascisme ou d’antinazisme à des Etats perpétuant durant la guerre la politique d’apartheid pratiquée dans leurs colonies et/ou dans leur pays à l’image des USA, chef de file du « monde libre civilisé et démocratique » où la ségrégation perdura officiellement jusque dans les années 1960. Qui pourrait mieux caractériser cet apparent paradoxe qu’Aimé Césaire dans « Discours sur le colonialisme » : "Oui, il vaudrait la peine d’étudier, cliniquement, dans le détail, les démarches d’Hitler et de l’hitlérisme et de révéler au très distingué, très humaniste, très chrétien bourgeois du XXe siècle qu’il porte en lui un Hitler qui s’ignore, qu’Hitler l’habite, qu’Hitler est son démon, que s’il le vitupère, c’est par manque de logique, et qu’au fond, ce qu’il ne pardonne pas à Hitler, ce n’est pas le crime en soi, le crime contre l’homme, ce n’est pas l’humiliation de l’homme en soi, c’est le crime contre l’homme blanc, c’est l’humiliation de l’homme blanc, et d’avoir appliqué à l’Europe des procédés colonialistes dont ne relevaient jusqu’ici que les Arabes d’Algérie, les coolies de l’Inde et les nègres d’Afrique [...]".
Après quatre ans de captivité, les tirailleurs emprisonnés allaient être rapatriés en Afrique en novembre 1944. Ce rapatriement s’intégra dans la cadre d’un processus plus vaste de démobilisations plus connu sous le nom de « blanchiment » des tirailleurs jusqu’à alors en activité.
Le rapatriement des tirailleurs
En prélude au rapatriement, les tirailleurs de différents Frontstalags étaient regroupés à Morlaix en provenance de différents endroits de France : Granville, Rennes, Pontivy, Coëtquidan, La Fléche, Versailles avec un effectif total de 1950 hommes environ. Au moment du départ de Morlaix pour Dakar le 5 novembre, 315 tirailleurs refusèrent d’embarquer à bord du bateau britannique « Circassia » car ils exigèrent le règlement de l’intégralité de leur solde de captivité durant quatre années. Ces derniers seront transférés à Loudéac-Trévé dans les Côtes d’Armor. En fin de compte, l’effectif des tirailleurs à bord s’éleva à 1615 personnes environ. Ce nombre sera important par la suite. Des débarquements de tirailleurs évoqués ultérieurement dans une escale à Casablanca au Maroc ne furent pas avérés.
Bien que cela fût devinable sous un cadre colonial discriminatoire, il est important de noter que le taux de la solde de captivité des tirailleurs d’Afrique dite Noire fut inférieur à celui perçu par leurs « homologues français » et peut-être même à ceux d’Afrique du Nord. En effet, Les tirailleurs avaient droit, en plus de leur solde de captivité, à une solde de traversée, une indemnité de combat de 500 francs, une prime de démobilisation et une prime de maintien sous les drapeaux, après la durée légale, équivalente à la prime de rengagement.
Face aux revendications relatives au paiement des différents droits, au moins pour les soldes de captivité car l’indemnité de traversée ne pouvant être versée avant l’arrivée, les autorités françaises décidèrent du versement seulement du quart en France et les trois-quarts restants à Dakar, soi-disant pour éviter des vols durant le voyage.
Le massacre et ses causes
Dès leur débarquement à Dakar le 21 novembre 1944, les 1615 tirailleurs exigèrent le versement de tous leurs dus restants. Les autorités militaires coloniales refusèrent de leur verser leur argent estimant dans leur mentalité coloniale raciste que les montants déjà perçus furent déjà excessifs pour des « nègres ».
Par ailleurs, l’administration coloniale proféra aux tirailleurs des accusations immondes de vols, de pillage, de dépouillage ou de détroussage de leurs collègues morts au regard du montant cumulé de leurs salaires de travaux forcés retirés de livrets d’épargne où ils furent placés. En outre, les autorités coloniales tentèrent d’escroquer les tirailleurs en voulant imposer un taux de change moitié moindre au détriment des tirailleurs entre le Franc de la métropole et le Franc des colonies.
Devant la détermination et la fermeté affichées par les tirailleurs, la hiérarchie militaire coloniale débita à l’endroit des tirailleurs d’odieuses calomnies sous différents angles :
- En remettant en cause l’état réel de leurs services, en les soupçonnant d’avoir passé leur temps à courir derrière les femmes blanches sous prétexte que certains sont mariés ou pères d’enfants en France ;
- En les suspectant d’être contaminés par « le virus communiste » ;
- En les accusant d’une intelligence avec l’ennemi allemand au motif que certains d’entre eux parlèrent plus ou moins bien l’allemand. Le Général Dagnan, commandant de la division Sénégal-Mauritanie, l’affirma d’une manière on ne peut plus clair : « Il ne fait aucun doute qu’à la base, il y a une influence allemande qui s’est exercée pendant les quatre années de captivité. (…) La répartition dans l’ensemble de nos territoires africains de cet afflux d’éléments animés vis-à-vis de la Mère patrie de sentiments plus que douteux, déterminera très vite un grave malaise parmi nos populations jusqu’alors parfaitement loyales et fidèles. (…) Ils formeront très vite le noyau agissant de tous les groupements hostiles à la souveraineté française.[v]»
Ce que ne purent comprendre les officiers de la coloniale, c’est la dialectique de l’histoire qui fit que la France, en enrôlant de milliers de tirailleurs dans sa guerre au sein même de sa métropole, engendra les germes qui allaient féconder et secouer son empire colonial. En métropole, les tirailleurs observèrent les failles, les contradictions de la société qui leur fut maquillée jusqu’alors supérieure, voire parfaite par la propagande coloniale. La débâcle militaire française en 1940 détruisit définitivement dans leurs têtes le mythe de l’invincibilité ou l’invulnérabilité de la puissance coloniale. Comme leurs ainés de la guerre 1914-1918, ils croisèrent dans les rues ou les routes de France des handicapés physiques ou mentaux de type leucoderme. L’aliénation, le conditionnement sous le colonialisme matraquant le mythe d’un être Blanc sans « défauts », ni « aspérités » imposèrent au régime colonial le rapatriement à la métropole de tout colon Blanc n’étant plus dans la « norme supérieure » quant à leurs apparences physiques ou à leurs présumées capacités intellectuelles.
Les tirailleurs revinrent avec une conscience de leur dignité humaine qui devrait être respectée et protégée contre toute atteinte à ce qu’ils estimèrent être leurs droits.
Face à ce qu’elles considérèrent comme une spoliation consistant en une escroquerie dans le taux de change pour leur épargne, mais aussi en non-paiement de leurs droits tels que la solde de captivité, les tirailleurs restèrent fermes et déterminés dans leurs revendications. Cinq cents tirailleurs devant rentrer au Mali refusaient de partir sans avoir reçu l’intégralité de leurs droits. Le 28 novembre 1944, c’est la même détermination qui fut opposée au Général Dagnan venu au camp de Thiaroye pour les « amener à la raison ». Contre son refus de satisfaire leurs demandes, les tirailleurs bloquaient sa voiture dont le passage ne fut possible que contre la promesse de réétudier d’une manière plus attentive leurs revendications. Ce furent les derniers échanges « pacifique » entre les tirailleurs et les autorités coloniales.
L’issue de cette journée du 28 novembre 1944 marqua un tournant se traduisant par la décision de la hiérarchie militaire de réduire par les armes la détermination des tirailleurs.
Le 1er décembre 1944 à l’aube, le camp de Thiaroye fut encerclé par un char américain, deux half-tracks, trois automitrailleuses, deux bataillons d’infanterie, un peloton de sous-officiers et hommes de troupes français, trois compagnies indigènes. La troupe ouvrait le feu sur les tirailleurs appelés en rassemblement[vi]. Ce fut un véritable carnage, les survivants se comptaient parmi ceux qui s’étaient couchés ou ceux qui ne furent pas touchés dans leurs baraquements.
Mensonges, Manipulations, falsifications sur le quoi, pourquoi, le bilan d’un crime d’Etat ?
Jusqu’au discours du président français François Hollande en 2012 au Sénégal qui parle d’une répression sanglante, les « évènements de Thiaroye [viii]» sont officiellement présentés comme une mutinerie ou une rébellion armée[ix]. C’est ce que corrobore un rapport du Général Dagnan : « Ma conviction était formelle : tout le détachement était en état de rébellion. Il était nécessaire de rétablir la discipline et l’obéissance par d’autres moyens que les discours et la persuasion. ». Cette version est confirmée par un autre rapport transmis au même général Dagan : « Je préviens les mutins, une fois encore, que je vais faire usage de mes armes. Ils me rient au nez, m’insultent, se montrent de plus en plus menaçants. Je fais tirer une salve en l’air : débordement d’insultes. Des coups de feu semblent venir des baraques de la face sud. (…) Je fais sonner le « garde à vous » et préviens une dernière fois les mutins d’évacuer les baraques ou je fais ouvrir le feu. Les mutins bravent tout, ricanent. (…) Je fais sonner l’ouverture du feu. (…) Il a duré 10 à 15 secondes. (…) Tout est rentré tragiquement dans l’ordre. ».
Mais la thèse d’une mutinerie pour qu’elle aspire à un minimum de cohérence dut imposer un scénario réécrivant l’histoire, malmenant des faits avérés, inventant d’autres faits n’ayant existé que dans l’imagination des auteurs des rapports ou des procès-verbaux relatifs au 1er décembre 1944. Les autorités militaires mirent en branle un arsenal de manipulations, de mensonges, de falsifications pour :
- accréditer la thèse de la rébellion armée en déniant toute légitimité aux revendications des travailleurs ;
- construire « les preuves matérielles » des préparatifs de cette présumée rébellion ;
- simuler un « déroulé cohérent de la mutinerie et de l’opération de maintien de l’ordre y répondant » ;
- fabriquer un bilan à la mesure « d’une opération de maintien de l’ordre maîtrisée » ;
- pour organiser un simulacre de procès : car toute mutinerie est présumée avoir des meneurs qui devront être jugés !
Le Général Dagnan fut couvert par sa hiérarchie au Sénégal qui fut couverte par le gouvernement provisoire de De Gaulle. Il en fut ainsi durant la toute la quatrième république et la cinquième république jusqu’à aujourd’hui avec le président Emmanuel Macron. Une certaine plaidoirie ayant visé à mettre la responsabilité des « évènements de Thiaroye » sur le dos de vichystes ou pétainistes bien présents est complètement inconsistante
Les tentatives de délégitimation de la résistance des tirailleurs
Le refus du paiement des soldes de captivité est difficilement défendable au niveau de l’opinion, mais aussi niveau des sphères étatiques et surtout au niveau de l’armée. Pour essayer d’ôter toute base crédible aux revendications des tirailleurs et leur ténacité à les défendre, il fallait après les tueries produire des circulaires a posteriori attestant que leurs droits ont été réglés. Et ainsi « ils furent mus » par d’autres motivations téléguidées par « l’ennemi allemand » et/ou comme le résultat de « l’influence communiste subie ».
« Ainsi la circulaire n° 6350 du 4 décembre 1944 émanant du ministère de la Guerre (direction des Troupes coloniales) fait part d’une modification pour le paiement des soldes de captivité confirmant un télégramme du 16 novembre 1944 »[x] :
« Elles seront payées [intégralement] avant le départ de la métropole ». En note de bas de page, il est indiqué : « Cette mesure a déjà été appliquée au détachement parti de France le 5 novembre[xi]».
Pourtant « Une lettre datée du 24 novembre 1945 d’un sergent rapatrié à sa marraine de guerre nous apprend qu’il n’a toujours pas perçu le rappel de solde alors que son retour est postérieur à décembre 1944[xii]. »
L’historienne Armelle Mabon résuma les machinations de l’Etat français ainsi : « C’est le gouvernement provisoire après le massacre de Thiaroye qui a fait croire que ces hommes avaient perçu tout leur dû, via une circulaire officielle émanant de la direction des troupes coloniales, estampillée « Ministère de la guerre. » L’objectif était de montrer que les revendications des tirailleurs étaient illégitimes afin de valider la thèse construite de la mutinerie et de la rébellion armée[xiii]. ».
Et le Général André Bach, ancien responsable des archives militaires du Fort de Vincennes, abonda dans le même sens : « C’est du roman. La version présentée dans les archives ne tient pas la route ! Il n’y avait aucune raison de tirer sur des gens qui, contrairement à ce qu’on a dit, n’étaient pas armés. Un camouflage est donc immédiatement mis en place. A partir du moment où une autorité très élevée dit : « On va couvrir », c’est là que commencent les mensonges ».[xiv]
« Les preuves matérielles des préparatifs des mutins »
Une mutinerie présuppose un arsenal, une structure de liaison ou de coordination, un plan d’attaque. Or rien de tel ne fut étayé. Tout au plus, un arsenal relevant de la « petite quincaillerie » fut exhibé. Qui plus est, l’arsenal imputé aux présumés mutins n’est pas le même dans l’acte d’accusation des dits meneurs et dans le rapport du Général Dagnan : « Acte d’accusation : 75 baïonnettes, 12 revolvers, 1 mousqueton, 2 grenades, cartouches. [Rapport du] Général Dagnan : 1 poignée de pistolet de mitraillette, un chargeur, un mousqueton, 4 pistolets automatiques, deux grenades, une centaine de baïonnettes allemandes, poignards, cartouches, etc. ».
« le scénario de la mutinerie et de sa répression »
Comme dans les étapes précédentes, le scénario mal ficelé de la prétendue mutinerie est un fil continu de contradictions et de d’incohérences :
La chronologie des présumés échanges de tirs diffère selon les rapports ou selon les individus. Ces tirs débutèrent selon les versions entre 8h45 et 9h30 avec des provenances différentes.
Or « Le chef d’escadron Lemasson, qui était sur le [bateau] Circassia avec les ex-prisonniers de guerre, dans son rapport du 1er décembre 1944, est encore plus explicite car il indique qu’à 6h45, il a été prévenu que la force armée intervenait pour réduire les rebelles[xv]».
Aucun procès-verbal, aucun rapport ne firent pas mention de douilles ramassées attestant de tirs en provenance des tirailleurs ;
Le seul blessé parmi la troupe ayant attaqué le camp des tirailleurs est un « indigène » blessé dont la balle extraite de la main ne pouvait pas provenir, d’après une expertise balistique, des mousquetons en tant qu’armes imputées aux tirailleurs ;
Les 110 « indigènes » de la troupe de répression des tirailleurs présumés arrivés sans munitions à 9h20 ne pouvaient pas matériellement recevoir les cartouches en 10 minutes pour commencer à « riposter » ; Etc. ;
Armelle Mabon, la chercheuse ayant le plus travaillé sur le sujet pour faire éclater la vérité, est arrivée à la conclusion suivante : « L’armée parle de légitime défense. Or, au moins un rapport d’un officier montre un cheminement tout à fait inverse. En fait, l’ordre a été donné aux militaires de quitter l’endroit où ils étaient au petit matin du premier décembre pour se déplacer et laisser la place aux automitrailleuses afin que les forces armées puissent intervenir pour réduire les rebelles. L’ordre avait été donné la veille au soir, non pas de faire une opération de maintien de l’ordre, mais d’encercler la caserne et de tirer[xvi] ».
Une conclusion partagée par le Général André Bach, spécialiste des archives militaires :
« C’est bien un tir à tuer qui est donné, alors qu’il n’y avait aucune raison pour le faire. Fatalement, dans un cas pareil, il y a bien un ordre qui a été donné. Il a bien fallu que pendant la nuit qui précède, des ordres soient donnés. Il fallait récupérer un bataillon de nuit, ouvrir les armureries, récupérer les armes… On peut penser, vu ce qui s’est passé, qu’on a dû expliquer aux cadres militaires l’issue prévisible : leur expliquer que ça aller se terminer par des tirs sur des hommes désarmés[xvii] ».
Le feuilleton du bilan de ce crime d’Etat
Dans le fil contenu de contradictions du film officiel de la « mutinerie » de Thiaroye, le bilan macabre constitua à lui seul un feuilleton sordide. Il y eut deux bilans dans les rapports et les procès-verbaux officiels : un de 35 morts et un autre de 70 morts. De 1945 à 2014, le bilan officiel de référence était de 35 morts. Ainsi le président français François Hollande fit passer lors de deux visites au Sénégal le bilan officiel de 35 morts en 2012 à 70 morts en 2014.
Soit un bilan doublé en l’espace de deux ans ! Combien de voyages officiels de ce président français ou d’un président français aurait-il fallu pour s’approcher de la vérité du bilan macabre du crime de Thiaroye. Il est évident que le bilan macabre est minoré. De par des témoignages et certains éléments non censurés des archives, les corps de tirailleurs ne sont pas enterrés dans le cimetière militaire, mais dans trois fosses communes dont le secret de leurs localisations est toujours gardé dans les archives de l’Etat français.
Que faire pour estimer le bilan devant la rétention de parties essentielles des archives, la falsification de certains rapports militaires constatés par l’historien Martin Mourre : « Je pense que les rapports ont été falsifiés dès leur rédaction pour que les militaires se couvrent vis-à-vis de leur supérieur hiérarchique. Une série d'ensembles d’éléments sont illogiques. Par exemple, on annonce un chiffre de 35 tués… mais on ne possède le nom que de 11 personnes, donc pourquoi il en manquerait 24 ? »[xviii]
Il ne nous reste qu’à examiner les hypothèses les plus crédibles des individus s’étant penchés sur le sur sujet :
La moins crédible parmi les hypothèses est celle de l’historien Julien Fargettas[xix] qui adopte le bilan de 35 morts, bien en dessous des 70 morts reconnus par François Hollande en 2014. Ce n’est étonnant de sa part en tant qu’historien et ancien officier plus préoccupé par la défense de sa corporation que par la recherche de la vérité. Il s’est évertué à calomnier l’historienne Armelle Mabon au lieu d’attaquer ses thèses sur le terrain de la polémique universitaire argumentée[xx].
Martin Mourre avance un bilan d’une centaine de morts environ ;
Quant à Armelle Mabon, elle soutient le bilan de plusieurs centaines de morts, approximativement entre 300 et 400 morts. Pour aboutir à environ 400 morts, elle utilise un indice pertinent qui est la sous-estimation du décompte des tirailleurs arrivés dans le camp de camp de Thiaroye après leur débarquement le 21 novembre 1944 à Dakar. Après les massacres, l’effectif déclaré officiellement par les autorités militaires s’éleva à 1 300 alors que 1 615 tirailleurs furent recensés au départ. Il n’y eut aucun débarquement avéré de tirailleurs avant Dakar. Donc, 315 tirailleurs se seraient volatilisés dans l’effectif initial. Ce qui est difficilement admissible si on réfère aux appels récurrents dans l’armée pour le décompte des effectifs, mais au ravitaillement et à la logistique pour lesquels une connaissance précise des effectifs est impérative. En ajoutant les 315 tirailleurs « oubliés » et les 70 morts, cela fait 385 morts, on n’est pas loin des 400 morts. C’est l’hypothèse la plus pertinente.
Le procès ne va déroger aux subterfuges et aux manigances qui furent à l’œuvre durant toutes les étapes antérieures.
Le procès des présumés meneurs
Il n’est nullement étonnant que le procès subséquent des 34 « meneurs » fût un simulacre de procès où l’instruction fut menée exclusivement à charge à l’aide de pièces souvent montées de toutes pièces. Au nombre de huit, les chefs d’inculpation embrassent aussi bien la provocation de militaires à la désobéissance que la rébellion commise par des militaires armés. Le passé d’engagement dans la résistance de plusieurs tirailleurs fut nié, en dépit des témoignages ultérieurs prouvant le contraire. Un témoin-clé, en l’occurrence le commandant des automitrailleuses, ne fut pas entendu alors qu’il était présent à Dakar lors de l’instruction. Ces automitrailleuses dépendaient du 6ème Régiment d’artillerie coloniale (RAC). Ces « oublis » ou ces manipulations furent en résonance avec l’altération des archives à un point qu’« En 1973, le chef du Service historique de la Défense (SHAT) a exprimé sa surprise en constatant « des archives du 6ème RAC extrêmement sommaires qui ne contiennent rien sur leur participation pourtant indiscutable[xxi]».
Le prononcé du jugement de ce « procès » le 5 mars 1945 infligea des peines d’emprisonnement de d’un an à 10 ans avec des dégradations militaires. Une minorité fut condamnée à des amendes. Le pourvoi en cassation des condamnés fut rejeté le 17 avril 1945. Tous les condamnés furent graciés furent graciés en 1947 par le président français Vincent Auriol. La grâce permit aux condamnés de recouvrer leur liberté, mais n’effaça pas leur « culpabilité ». Ils restèrent dépouillés de leurs droits suite à une spoliation doublée d’une escroquerie dans les taux de change. Ils restèrent aussi pour la plupart l’objet d’une dégradation militaire. Par ce verdict, le pouvoir colonial pensait ainsi enterrer la résistance des tirailleurs de Thiaroye ainsi que leur mémoire. C’était sans compter avec la volonté de leurs descendants, des associations de tirailleurs et des organisations démocratiques, en général.
Chape de plomb et Concessions récentes de l’impérialisme français
Thiaroye fut un crime d’Etat prémédité. Ce que ne veut pas jusqu’à présent reconnaître l’Etat français. Il usa de tous les moyens possibles pour biaiser, déformer, maintenir le brouillard sur les raisons de cette boucherie, son exécution, le nombre de morts, la localisation des fosses où furent enterrées les victimes.
Le premier moyen utilisé fut la force brute consistant à interdire et à réprimer toute célébration des massacres du Thiaroye. Cela n’empêcha l’entretien de cette mémoire qui se perpétua par des poèmes comme « Aube africain » du guinéen Fodéba Keita[xxii], une littérature circulant sous le manteau, entre autres, durant la période coloniale.
Dans le complot pour étouffer toute manifestation de la vérité, l’Etat français eut recours à des méthodes plus machiavéliques se traduisant par la falsification, la création de pièces factices de documents au niveau des archives historiques. Comme pour les massacres des Algériens du 17 octobre 1961 à Paris, les archives y afférentes sont biaisées, caviardées avec des pièces tronquées, manquantes ou parfois inventées.
C’est ce que pense Armelle Mabon : « Mais le gros problème de ces archives est qu’elles ont été constituées pour alimenter un récit falsifié de ce qui s’est passé. Elles comportent des rapports rédigés sur ordre pour faire croire à une rébellion armée. Les vraies archives sont restées à Dakar. Tout porte à croire qu’elles étaient conservées au camp militaire de Bel Air jusqu’au retrait des forces françaises en 2011. Elles ne sont répertoriées nulle part, mais nous avons des témoignages sur l’existence de cartons d’archives dans lesquels pourraient se trouver la liste des personnes tuées, leur nombre ainsi que l’emplacement des fosses communes où elles ont été enterrées. Il est aussi fort probable qu’y soient consignés les montants spoliés. J’ai fait des demandes au ministère de la défense et je n’ai eu jusqu’à présent aucune réponse, alors que le dernier commandant des forces françaises au Sénégal, le général Olivier Paulus a été nommé dans la foulée directeur du Service historique de la défense [avant d’en être exclu en 2013]. S’il y a bien quelqu’un qui sait où sont ces archives, c’est lui. Ma crainte est que ces archives aient été détruites[xxiii]».
Ces mensonges et cette réécriture de l’histoire continue jusqu’à présent dans les expositions officielles. Peu avant la visite du président français Hollande en fin novembre 2014 où il révisa le bilan à la hausse à 70 morts, il y eut « L’affiche de l’exposition, le 20 novembre 2014 à Thiaroye, au Sénégal, pour commémorer le massacre qui n’a officiellement fait « que » 35 victimes parmi les tirailleurs sénégalais le 1er décembre 1944[xxiv]». Ah si le ridicule tuait !
Dans le complot de silence de l’Etat français contre ce qu’il appela les « évènements de Thiaroye », l’action la plus spectaculaire fut la censure du film « Camp de Thiaroye » de Sembène Ousmane. Sorti en 1988, le film fut boycotté au festival de Cannes de la même année et fut interdit durant dix ans en France. Ce fut aussi l’action peut-être la plus contreproductive pour l’Etat français car le film fut non seulement primé au Mostra de Venise[xxv] en Italie, mais connut un grand retentissement en Afrique francophone et dans le monde. Ce succès incita beaucoup de monde en France à le voir par divers biais. Les cassettes du film circulèrent sous le manteau. 38 ans après sa censure en 1988, « Camp de Thiaroye » a fait partie de la sélection « Cannes Classics 2024 » au festival de cannes en mai 2024[xxvi].
La mémoire des tirailleurs de Thiaroye est restée vivace dans la conscience des peuples africains. C’est le résultat du travail d’organisations de tirailleurs, de leurs descendants, des forces de gauche, mais aussi après l’indépendance de régimes plus ou moins patriotes ou nationalistes. Ainsi en décembre 2001, le président malien Alpha inaugura un monument en leur mémoire[xxvii] avec l’inscription suivante : « À la mémoire des fusillés de Thiaroye. Cette plaque vise à perpétuer le souvenir des combattants de la Seconde Guerre mondiale dont de nombreux Soudanais [nom du Mali sous la période coloniale – Soudan français] lâchement fusillés par les autorités coloniales le 1er décembre 1944 au camp de Thiaroye près de Dakar pour avoir réclamé le paiement de leur solde, de la prime de combat et celle de démobilisation[xxviii] ». En 2024, l’Etat sénégalais, sous le régime d’Abdoulaye Wade, instaura le 23 août comme « la journée du tirailleur sénégalais » et invita tous les pays africains concernés à s’y associer. C’est le premier régime sénégalais à soulever la question des tirailleurs, mais sans esprit conséquent d’aller jusqu’au bout et dans une certaine ambigüité folklorique. Le régime suivant de Macky Sall s’est contenté durant son règne d’accompagner les revirements de façade de l’Etat français.
Depuis les années 2000, il y a un vent de renaissance panafricaniste centré autour de la revendication de réappropriation de souveraineté, de la dignité et des ressources des peuples africains. Outre la traite esclavagiste, le colonialisme, le néocolonialisme avec sa facette « Françafrique » est pointé du doigt. La jeunesse africaine, à l’avant-garde du mouvement, s’est saisi des crimes de Thiaroye 1944, entre autres. Ce mouvement déboucha sur des « coups d’Etat populaires » soldés par l’expulsion des troupes militaires française du Mali, du Burkina-Faso et du Niger. Au Sénégal, à l’issue des élections démocratiques en mars 2024, le régime opéra un début de prise de distance vis de l’Etat français et de sa politique africaine. Une première, en 2024 un président sénégalais n’a été présent ni au sommet de la francophonie, ni aux célébrations d’un débarquement en Provence, en l’occurrence le 80ème, tous les deux évènements organisés en France.
L’Etat français s’est ainsi trouvé sous une forte pression par la lutte conjuguée des peuples africains avec le soutien des forces démocratiques ou anti-impérialistes en France, sans oublier le travail acharné au niveau universitaire mené par l’historienne Armelle Mabon. Il n’a eu d’autre choix que de lâcher du lest. C’est ainsi que le 18 juin 2024, deux jours avant la rencontre entre le nouveau président sénégalais Bassirou Diomaye Faye et le président français Emmanuel Macron, discrètement le 18 juin 2024, l’Etat français a attribué la mention « Mort Pour la France » (MPF) à M’Bap Senghor et à cinq autres anciens tirailleurs originaires du Sénégal, du Burkina Faso et de Côte d’Ivoire par l’armée français le 1er décembre 1944[xxix]. Biram Senghor, orphelin de son père M’Bap fusillé quand il avait l’âge de six ans, devient 80 ans plus tard à 86 ans pupille de la nation française après s’être heurté des décennies durant au refus et au silence de l’administration française. Cela pourrait peut-être figurer comme record dans le Guinness !
Trop peu et trop tard !
Dans une tribune publiée par le journal « Le Monde », les familles des morts, des condamnés et des rapatriés spoliés de « Thiaroye 44 » ont formulé les revendications suivantes en 2016 :
«
- rendre consultables toutes les archives sur l’affaire Thiaroye ;
- proposer son aide au Sénégal pour l’exhumation des corps ;
- donner la liste des morts et leur attribuer la mention « Mort pour la France » [MPF]. Il n’y a rien de plus tragique que des morts sans nom ;
- saisir la commission d’instruction de la Cour de révision et de réexamen pour les 34 condamnés ;
- réparer les spoliations
- modifier les textes exposés au Mémorial du cimetière de Thiaroye ;
- cesser de porter atteinte à la mémoire de ces hommes et des officiers qui ont eu le courage de les défendre ;
- nommer les responsables aujourd’hui de cette obstruction à la manifestation de la vérité sur un crime commis[xxx] ».
Ces revendications recoupent grosso modo les exigences formulées par l’historienne Armelle Mabon[xxxi]. Elles s’intègrent aussi parfaitement dans la triple réhabilitation défendue par l’actuel premier ministre du Sénégal Ousmane Sonko où il plaide pour :
- « une réhabilitation humaine, en exhumant les fosses communes et en offrant une sépulture digne aux victimes ;
- une réhabilitation mémorielle, en réexaminant les cas des survivants accusés de trahison ;
- et une réhabilitation matérielle, en réclamant le paiement des indemnités et soldes promis par la France aux descendants des tirailleurs[xxxii] ».
Toutes ces exigences sont justifiées et légitimes même si des réserves pourraient être émises sur certaines modalités de la réhabilitation mémorielle avec la mention « MPF ». Mort pour quelle France : une France impérialiste ou une France colonialiste d’autant plus que les tirailleurs ont été mobilisés d’une évidence réactionnaire comme révoltes anticoloniales ou les luttes de d’indépendance d’autres pays colonisés comme l’Algérie, Madagascar ou en Indochine ou bien une autre France réellement internationaliste égalitaire ?
Quelle que soit l’éventuelle pertinence de ces réserves qui seront développées plus loin, force est de reconnaitre que les concessions sont très loin du compte par rapport aux aspirations des descendant-e-s des tirailleurs et du gouvernement sénégalais, entre autres. Même si ce dernier se déclare ouvert à reconnaître plus de MPF[xxxiii].
Encore trop peu et trop ! Et la réponse est cinglante de la part du premier ministre du gouvernement sénégalais qui se revendique souverainiste Ousmane Sonko. Il est exprimé en tant que président du parti au pouvoir « Patriotes Africains du Sénégal pour le Travail, l'éthique et la Fraternité » (Pastef)-Les Patriotes : « Nous demandons au gouvernement français de revoir ses méthodes, car les temps ont changé ! … Pourquoi cette subite « prise de conscience » alors que le Sénégal s’apprête à donner un nouveau sens à ce douloureux souvenir, avec la célébration du 80e anniversaire cette année ? ... Je tiens à rappeler à la France qu’elle ne pourra plus ni faire ni conter seule ce bout d’histoire tragique. Ce n’est pas à elle de fixer unilatéralement le nombre d’Africains trahis et assassinés après avoir contribué à la sauver, ni le type et la portée de la reconnaissance et des réparations qu’ils méritent. …Thiaroye 44, comme tout le reste, sera remémoré autrement désormais.[xxxiv]»
Dans cette logique, en mi-août 2024, l’Etat sénégalais a installé un comité de commémoration du 80ème anniversaire des tueries de Thiaroye qui aura lieu le 1er décembre 2024. Il est dirigé par l’historien Mamadou Diouf, enseignant à l’Université Columbia aux USA. Le comité se compose de deux commissions : « La première sera chargée d'établir "les preuves, les témoignages, les documents pour comprendre pleinement les évènements". La deuxième, dédiée notamment "aux réparations", devra "proposer des actions pour honorer la mémoire des victimes et sensibiliser les générations futures" sur la tuerie. [xxxv]»
Dans l’optique de ce travail, avec en toile de fond une affaire franco-africaine et non une affaire franco-sénégalaise, selon Dialo Diop, conseiller mémoire du président sénégalais Bassirou Diomaye Faye : « Au nom des Etats africains, nous allons demander au gouvernement sénégalais de faire exhumer les fosses communes qui ont été en partie localisées. Cela permettra de mettre un terme à la controverse sur le nombre de victimes, annonce Dialo Diop, conseiller mémoire du président Faye. L’urgence est là. La mention “Mort Pour la France” attribuée à six personnes est une goutte d’eau dans l’océan des morts de l’injustice coloniale. Nous demanderons à la France la restitution de l’intégralité des archives. Un refus signifierait une forme de mépris envers les Africains [xxxvi]».
Quelle formulation cohérente et conséquente des revendications autour Thiaroye-1944 ?
La justesse de la réhabilitation humaine et de la réhabilitation matérielle ne devrait souffrir d’aucune contestation de la part de tout individu tant soi démocrate et/ou sincère. Par contre, la réhabilitation mémorielle est questionnable si on n’essaie pas de l’approfondir ou de la nuancer à travers certains de ses aspects plus ou moins compromettants comme l’octroi de la mention « MPF ». Cette mention revêt un double aspect :
- un aspect relatif à des droits pour ses conjointes ou descendant-e-s en termes de pension de réversion ou d’allocations à des pupilles de la nation. A ces droits, on pourrait y ajouter un autre aussi démocratique dont devrait bénéficier la mémoire du tirailleur assassiné, c’est le droit d’être innocenté d’un crime imaginaire qu’il n’a jamais commis. Et tous les faits émergés de la censure le prouvent. L’approche d’Armelle Mabon pour le statut de « MPF » est aussi une formulation de droits démocratiques dans la bonne intention d’une égalité de traitement des tirailleurs par rapport à leurs « collègues français ». Il fait le parallèle entre l’affaire des tirailleurs de Thiaroye 1944 et l’affaire Dreyfus en France dans ces termes : « La balle est dans le camp du garde des sceaux qui peut saisir la Cour de cassation. Une réhabilitation serait un geste inédit depuis l’affaire du capitaine Dreyfus … Ces tirailleurs ont subi un traitement discriminatoire car ils étaient africains. Aurait-on laissé des soldats blancs dans des fosses communes et camouflé leur assassinat pendant si longtemps ?Thiaroye, c’est aussi une histoire du racisme[xxxvii]». Le capitaine était un officier juif dans un contexte de summum d’antisémitisme officiel entre autres en France à ce moment. Il avait été injustement accusé et condamné pour intelligence avec l‘empire allemand. Il fut libéré et réhabilité à la suite d’une grande mobilisation d’une catégorie d’individus qu’on appelle depuis lors « intellectuels ».
- un aspect politique ou idéologique de la guerre pour laquelle ou à l’issue de laquelle le tirailleur est mort.
C’est dans cet aspect politico-idéologique que l’os s’incruste dans le boudin. Car toutes les guerres dans lesquels les tirailleurs sont impliqués sont soit des guerres entre brigands impérialistes comme en 1914-1918, soit des guerres de conquête, de domination et répression d’autres peuples colonisés. Pour utiliser un jeu de mot avec leur appellation, dans toutes ces guerres les tirailleurs tirent ailleurs que vers ce qui devrait être leur véritable cible : le colonialisme ou l’impérialisme régentés par la bourgeoisie de France. Même le paravent antifasciste ou antinazi brandi par les « Alliés » pour la seconde guerre mondiale ne devrait pas faire illusion dans la lignée de ce qui a été développé ci-dessus. A savoir en dehors du projet nazi d’exterminer d’entités telles que la communauté juive, les Tziganes, les LGBT, etc., la seconde guerre mondiale ne diffère pas fondamentalement de la première guerre mondiale. Les « puissances Alliées occidentales » ont prétendu mener un combat contre un régime prônant une hiérarchie entre les présumées races pour entretenir cette même hiérarchie dans les colonies, dans leurs armées, dans leurs pays concernant les USA où la ségrégation raciale était légale jusque dans les années. Outre la boucherie de Thiaroye en décembre 1944 contre les tirailleurs, le meilleur démenti à la posture antifasciste ou antinazie des « Alliés occidentaux » est la cause sous-tendant la précipitation de leur rapatriement global : « le blanchiment ou le blanchissement de troupes » devant parachever la libération des villes comme Paris !
Et ce n’est pas tout ! La boucherie de Thiaroye 1944 ne constitue qu’un épisode de crimes de l’armée française. Il y en eut plusieurs avant. Peut-être, Thiaroye 1944 fut la seule tuerie de tirailleurs réclamant leurs dus fusillés comme des lapins par « leurs ex-frères d’armes ». Après Thiaroye, 1944 et la défaite du nazisme, les massacres de l’Etat français s’enchainèrent contre les manifestations politiques et les révoltes l’indépendance : les massacres de Sétif, Guelma et Kherrata en Algérie à partir de la signature de l’armistice entre la France et l’Allemagne le 8 mai 1945, les massacres de Madagascar en 1947, les massacres en Indochine jusqu’à la débâcle de l’armée en 1954.
Il faudrait souligner qu’au-delà de Thiaroye 1944, l’Etat français a commis une spoliation globale à travers la « cristallisation » des pensions des tirailleurs de son ex-empire colonial dans son ensemble à partir des années 1960. La conséquence fut le gel de leurs pensions déjà à un taux inférieur à ceux de leurs « collègues » français. Pour les toucher, de nombreux tirailleurs étaient obligés de vivre une partie de l’année en France dans des conditions précaires et indignes.
A la rigueur, la mention « MPF » pourrait être assumée par les tirailleurs dans le cadre d’une véritable guerre contre le nazisme avec une implication de fortes forces internationalistes en France se battant dans la perspective d’une révolution prolétarienne en France et d’une reconnaissance inconditionnelle à l’indépendance des nations sous domination coloniale. Hélas, il n’y en eut pas en France, du moins à un niveau très faible incapable de peser.
Dans cette rubrique, le passif de la gauche ou bien de « gauche » est très lourd sur toute une longue période historique :
- La révolution bourgeoise de 1789 n’a libéré ni les femmes, ni les esclaves, ni les prolétaires de France non plus ;
- Les idéologues, « grands Hommes » ou les « Lumières » furent pour l’essentiel des racistes, des colonialistes, des antisémites, des esclavagistes [xxxviii];
- C’est la « gauche » qui entreprit la conquête coloniale après la révolution de 1789 avec un Jules Ferry proclamant fièrement : « Les races supérieures ont le droit et le devoir de civiliser les races supérieures ».
- La direction ou l'implication dans les guerres coloniales en Algérie, en Indochine, au Madagascar (1945-1962), en l’occurrence le Parti « Communiste » Français (PCF) et la Section Française de L’Internationale Ouvrière (SFIO), ancêtre du Parti Socialiste (PS). Le PCF n’était pas au gouvernement durant la guerre coloniale en Algérie en 1954-1962, mais a voté tous les crédits de guerre.
- Un projet de déchéance de la nationalité française pour des personnes d'origine étrangère par le gouvernement de « gauche » Hollande-Valls 2012-2017 (au moins pour ce projet, Christiane Taubira fit preuve de ce qui lui restait de dignité en refusant de le défendre comme ministre de la justice). Selon l’usage, chaque président français, du moins du PS, choisit un parrain. Celui de François Hollande fut Jules Ferry !
Ce n’est pas parce qu’il n’y a pas eu une gauche française ayant incarné une position, une force vraiment anti-chauvine conséquente que l’alternative internationaliste entre les prolétaires de France et les peuples colonisés ne devrait pas être posée. Tout au contraire, quelle que soit la faiblesse des forces qui la portent, cela semble la seule voie de salut de l’humanité en butte à un désastre écologique, à des guerres « civilisationnelles » menées par les différentes puissances impérialistes, à du sionisme et du jihadisme mortifères, etc.
La « gauche » des pays dominés anciennement colonisés qui a viré sa cuti sont est mal placée pour faire la leçon à cette « gauche » française. Par exemple au Sénégal, la présidence et la primature (siège du premier ministre) furent considérées jusqu’à récemment comme un repaire d’entrisme d’anciens maoïstes, trotskystes, anarchistes, etc.
Dans les pays d’Afrique noire, force est de reconnaître que les tirailleurs bénéficièrent d’une certaine aura et suscitèrent la fierté dans de nombreuses familles mêmes élargies. Mais il n’en demeure pas moins l’existence d’un imaginaire négatif provoqué par le passage des tirailleurs dans différents pays contre leurs luttes de libération nationale qui semble être inconnu et/ou refoulé par les présumées élites. Par exemple au Madagascar, les femmes pour faire taire leurs enfants qui pleurent les menacent d’appeler les « tirailleurs sénégalais ». Et c’est dire, les tirailleurs ont dû y laisser une réputation tout sauf glorieuse. De même au Vietnam, les descendant-e-s qui furent le fruit de la « collaboration horizontale » de femmes vietnamiennes et de tirailleurs africains firent toujours l’objet de stigmatisations. Il ne s’agit nullement d’accabler les tirailleurs qui furent en général enrôlés de force comme le furent les « Malgré nous » en Alsace embrigadés par l’Allemagne sous l’occupation pour « servir » dans les pays de l’Est. Contre ces malentendus ou préjugés, des initiatives de contact et d’explications pourraient être prises entre Etats ou entre associations des différents Etats concernés.
Il en résulte de tout cela que cela constitue une révolte à genoux d’esclaves que des Africains demandent quelque chose à l’Etat français parce que leurs ancêtres se sont battus ou sont morts pour la France. C’est un signe de servilité.
La déviation symétrique existe au niveau de certaines organisations politiques en France ou une partie de la population française motivant la reconnaissance de certains droits à des étrangers africains d’une manière utilitariste : par exemple, « leurs ancêtres ont contribué à notre libération » ou bien « ils nous sont utiles économiquement pour une population vieillissante que nous sommes, surtout en faisant des tâches que nous ne voulons pas faire ».
Toute autre est l’approche anti-impérialiste internationaliste considérant une planète dominée par un système capitaliste où circulent sans entraves les capitaux, les marchandises et les biens immatériels. Au niveau des êtres humains, la liberté de circulation est refusée pour l’essentiel seulement aux prolétaires de pays dominés. Les classes dominantes de tous les pays se déplacent sans problèmes. Il en est de même pour les citoyen-ne-s des pays impérialistes sous condition de pouvoir économique.
De ce constat, il peut en découler la revendication suivante :
- Liberté de circulation, d’installation de tous les prolétaires nomades en France ou ailleurs ;
- Egalité complète des droits entre tous les travailleurs, y compris le droit de vote à toutes les élections.
C’est un postulat comme base d’une lutte pour une véritable émancipation sociale en France et une lutte pour la libération de la domination impérialiste des peuples dominés, voire au-delà. Il y a un terreau pour ce socle, à savoir la solidarité active et agissante de nombreuses associations et de plusieurs organisations de la gauche véritable envers les sans-papiers. Grâce aux nombreuses engrangées dans ces luttes, les « clandestins » sont devenus des sans-papiers gagnant en visibilité et aussi en dignité.
Mais cela ne suffit pas comme plateforme au regard du pillage économique, culturel enduré durant des siècles avec le maintien de bases militaires françaises dans différents pays d’Afrique. A cet effet, on devrait aller au-delà de la réhabilitation matérielle légitime des tirailleurs et exiger :
- La remise de toutes les dettes contractées vis-à-vis de la France par ses ex-colonies ;
- L’abandon sans contrepartie de tous les intérêts économiques français dans les ex-colonies françaises d’Afrique, en particulier les implantations de tous les monopoles impérialistes ;
- La fermeture de toutes les bases militaires françaises et le retrait de toutes les troupes militaires françaises en Afrique.
[ii] Cela montrerait qu’en présence d’organisations vraiment internationalistes à rebours de tout chauvinisme pro-colonial ou pro-impérialiste, il y avait des bases pour construire des ponts entre les peuples colonisés et les classes exploitées non pas rétablir la 3ème république bourgeoise, mais pour le renversement du capitalisme en métropole coloniale et la libération des peuples colonisés avec comme préalable la reconnaissance du droit inconditionnel à l’autodétermination des nations colonisées jusqu’à la séparation complète par la reconnaissance d’une indépendance politique.
[viii] Cela rappelle les « évènements d’Algérie 1961 » pour désigner la guerre coloniale menée par l’Etat français en Algérie en 1954-1962, les « évènements du 17 octobre 1961 » à Paris pour nommer une manifestation du Front de Libération Nationale (FNL) où plusieurs centaines d’Algériens furent tués. Décidément, le mot « évènement » est l’euphémisme préféré de l’Etat français pour refouler son passé criminel.
"Quand il sortit de sa bouche son fameux «ni oui, ni non» dans le cadre très solennel de la Salle de banquets du Palais de la République en ce jour spécial de Saint-Sylvestre 2019, il était loin de s’imaginer qu’il venait de signer sa descente aux enfers"
Quand il sortit de sa bouche son fameux «ni oui, ni non» dans le cadre très solennel de la Salle de banquets du Palais de la République en ce jour spécial de Saint-Sylvestre 2019, Macky Sall était loin de s’imaginer qu’il venait de signer sa descente aux enfers. Sorti victorieux d’une Présidentielle sans gros suspens où il s’en tira à bon compte en surclassant ses quatre autres concurrents, rescapés du double filtre du parrainage et de la justice, que sont Idrissa Seck, Ousmane Sonko, Madické Niang et Pr Issa Sall, le Président Sall en oublia jusqu’à son engagement couché noir et blanc dans son livre «Le Sénégal au cœur».
L’alors président de la République y avait réitéré, sans trembler, ce qui était une évidence constitutionnelle, à savoir que s’il était réélu, il en serait à son second et donc –en bon français- dernier mandat. C’était sans compter avec le pouvoir, ses effets enivrants, ses courtisans, capables de faire changer d’avis le plus honnête des humains. Ses thuriféraires traduiront en actes ce à quoi, lui, pensait le matin, en se rasant. Interrogé par Vox Populi, au lendemain de la réélection du Président Sall, Ismaila Madior Fall, celui qui est chargé de traduire en actes les désirs du Président, y alla de son «en principe», signe qui ne trompe pas que ni le «nul ne peut exercer plus de deux mandats consécutifs» contenu dans la Constitution ni les écrits d’un bouquin ne tenaient devant la volonté présidentielle de se représenter.
Tous ceux qui osaient ramer à contre-courant de cette volonté étaient décapités sans ménagement, le poste de Premier ministre supprimé. Sory Kaba, ancien directeur des Sénégalais de l’extérieur, Moustapha Diakhaté, ancien chef de cabinet du président de la République et autre Moussa Diop, ancien Dg de Dem Dikk expérimentèrent l’oukase présidentielle qui ordonnait que personne, dans l’Etat-Apr, ne débatte des mandats du Président, encore moins de leur durée ou de leur nombre. Sauf si ça allait dans le sens d’envisager un possible troisième mandat –deuxième quinquennat, pour les plus zélés soutiens du chef. En effet, ce qui est cocasse dans l’affaire, c’est que ceux qui théorisaient une possible troisième candidature gagnaient dans l’estime du Château et montaient en grade, aussi bien dans l’Etat que dans le parti. Alors que ceux qui osaient penser le contraire dégringolaient dans le protocole de la République et du parti présidentiel.
Comme dit la sagesse, le temps est le symbole parfait de notre impuissance. La fin du mandat approchant inéluctablement, le «ni oui, ni non» devait naturellement céder la place à un «Oui» catégorique, lourd de dangers, ou à un «Non» qui signerait la débandade dans les rangs de la Majorité mais moins risqué. Ainsi, c’est un Macky Sall pris de vitesse par ses opposants et plus occupé à réduire son principal adversaire, Ousmane Sonko, «à sa plus simple expression», qui se résolut, le 3 juillet 2023, à huit mois de la Présidentielle, d’annoncer qu’il ne briguerait pas une troisième candidature. Trop tard ! En huit mois, il fallait choisir un candidat de substitution, gérer l’Etat, s’occuper de ses turbulents adversaires et faire appliquer, comme il l’a promis, les décisions de justice, y compris celle condamnant le leader de Pastef. Ainsi, c’est du bout des lèvres et la mort dans l’âme qu’il porta, contraint et forcé, son choix sur Amadou Bâ.
Conséquence : tous ceux qui se voyaient califes, à la place du calife, prirent le large. Aly Ngouille Ndiaye, Mame Boye Diao, feu Mahammed Boun Abdallah Dione déclarèrent leurs candidatures. Ceux qui étaient restés ne l’étaient que pour garder encore leurs privilèges et ne montrèrent aucun enthousiasme à accompagner le candidat (par défaut ?) de Benno. Au contraire, Mame Mbaye Niang, Thérèse Faye et autres proches du «Patron» multipliaient les bâtons dans les roues de Amadou Bâ avec la suspecte complicité du chef. C’est donc sans surprise que Bâ mordit la poussière devant le candidat par procuration de Sonko, Bassirou Diomaye Faye qui, en un seul tour, plia le scrutin.
Et c’est ce Macky Sall dont les plans avaient tous échoué sur l’autel de ses propres ambitions tendant à neutraliser celles de son candidat qui vint, huit mois après, conduire une liste qu’il escomptait victorieuse pour imposer une cohabitation au duo Diomaye-Sonko avec, comble de ridicule, des inter-coalitions ponctuelles dans certaines localités, avec le honni Amadou Bâ. Qu’attendre d’une telle alchimie qui défie toute logique ? Rien. Dans un jeu d’échec, on aurait dit : «mât» pour Macky qui a joué et perdu.
Par Ababacar Safy NGOM
POUR UNE ASSEMBLEE NATIONALE DE RUPTURE...
La victoire éclatante de Pastef aux élections législatives anticipées constitue un important pas franchi dans la réalisation du Projet qui a suscité, depuis sa conception, et aujourd’hui plus que jamais, l’espoir d’un avenir meilleur pour toute la nation
Le Pastef (Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité) a largement remporté les élections législatives anticipées du 17 novembre 2024.
Cette victoire éclatante constitue un important pas franchi dans la réalisation du PROJET. Ce Projet a suscité, depuis sa conception, et aujourd’hui plus que jamais, l’espoir d’un avenir meilleur pour toute la nation.
La majorité de la population sénégalaise, dans toute sa composante, a consenti de lourds sacrifices humains, financiers et matériels pour la réalisation de ce projet politique et social. Même la lutte pour l’accession de notre pays à l’indépendance n’a pas suscité autant de mobilisation de jeunes, de femmes, de personnes âgées, du monde rural, des intellectuels. Par conséquent, il est du devoir des gouvernants et de chaque citoyen d’œuvrer pour que ces espoirs ne soient pas vains. Car il est très peu probable que le peuple sénégalais se remobilise avec autant d’énergie autour d’une offre politique et sociale si celui-ci n’aboutit pas. L’Assemblée nationale, c’est là que bat le cœur de notre démocratie. Ce haut lieu par excellence du débat public doit procéder à de profondes mutations aussi bien dans son fonctionnement que par ses acteurs, que sont les députés.
Le défi de l’analphabétisme en français à relever et la complexité des textes de loi
Tous les documents présentés par le gouvernement à l’Assemblée nationale sont rédigés exclusivement dans la langue officielle. Ainsi de nombreux députés travaillent sur la base de documents dont ils n’ont aucune maitrise. Il est vrai que des efforts considérables sont consentis durant la 12e législature où l’Institution s’est dotée de cabines d’interprétation simultanée. Ce système d’interprétation simultanée de l’Assemblée nationale est équipé de huit cabines.
Dans sa première phase, les six langues nationales suivantes : pulaar, sereer, wolof, joola, mandinka, soninke sont utilisées en interprétariat direct, en plus du français. Il permet aux députés qui en exprime le besoin de participer aux débats en séances plénières dans les langues précitées, d’être compris du gouvernement et de leurs collègues par l’interprétariat et surtout de faire figurer toutes leurs interventions dans le journal des débats. Toutefois, cette avancée ne concerne que le travail en plénière, elle n’est pas effective dans les débats en commission et la documentation. Le problème qui se pose est que certains interviennent sur la base d’une documentation incomprise et/ou incomplète tandis d’autres préfèrent garder le silence pour ne pas subir des railleries politiques. Au-delà de la compréhension textuelle des documents, l’autre grand défi à relever est la compréhension technique des dossiers. Les textes de lois proposés couvrent naturellement divers domaines de la vie publique (finances, transports, environnement). Le député est appelé, seul, à étudier ces textes, à les comprendre, à en débattre.
Pour mieux outiller les parlementaires, une ONG avait recruté en faveur de l’Institution une quinzaine d’assistants de haut niveau. Ces derniers sont affectés dans les différentes commissions et travaillent dans des conditions précaires sans couverture sociale. L'idéal serait de régulariser la situation de ces assistants, déjà expérimentés, et de nouer un partenariat avec une université. Une plateforme de doctorants et de docteurs aux profils divers pourrait conseiller tous les députés des différents Groupes et les Non-inscrits.
Une meilleure remontée des doléances des mandants
Le travail de circonscriptions, qui consiste à écouter les populations, à comprendre les problématiques auxquelles elles font face, est essentiel pour une bonne qualité des remontées des doléances. Pour cela, il faut instituer dans chaque département une Permanence parlementaire bien équipée, et un personnel à la charge de l’Assemblée nationale. Cette Permanence sera un local décentralisé de l’Institution, utilisé par les députés élus de chaque circonscription départementale pour recevoir les populations. Le rôle du personnel de ces permanences serait entre autres « de répondre aux courriers, de recevoir les administrés et de ‘traiter’ leurs demandes, ce qui implique notamment des interventions auprès des administrations » comme l’indique Patrick Lidec, dans son article intitulé « Les députés, leurs assistants et les usages du crédit. Une sociologie du travail ».
La parité n’est pas une fin en soi
La loi n° 2010- 11 du 28 mai 2010 a instauré la parité absolue homme-femme au Sénégal dans toutes les institutions totalement ou partiellement électives. C’est une disposition législative discriminatoire positive au bénéfice des femmes qui a pour but de donner un coup de fouet au combat des femmes suite au constant qu’il y a une amélioration de la participation féminine mais lente. Mais il faudrait aussi être plus rigoureux dans la gestion des acquis comme la parité, ne pas se contenter d’envoyer beaucoup de femmes à l’Assemblée nationale parce que nombreuses d’entre elles ont besoin d’encadrement, d’accompagnement dans des aspects divers. On constate aussi que les femmes députées ne s’expriment pas assez à l’Assemblée nationale. Elles ont effectivement un talent et un leadership avérés parce qu’étant les sujets d’une sélection dans un milieu jadis réservé aux hommes. Mais en dehors de certaines députées rompues aux tâches oratoires et aux joutes politiques, d’autres arrivent rattrapées par certains blocages psychologiques qui interrogent le système social sénégalais. Finalement, au-delà de l’aspect numérique de la représentation des femmes à l’Assemblée nationale, les véritables défis auxquels doivent faire face les organismes de promotion de la condition féminine s’articulent autour des questions suivantes :
• Quels sont les voies et moyens pour accroître leur efficacité ?
• Quelles pratiques ou leçons les parlementaires actuelles peuvent-elles donner à celles qui aspirent à le devenir ?
• Comment améliorer les méthodes d’intervention des femmes dans le processus parlementaire ?
• Quelles stratégies mettre en place pour optimiser leur influence sur le processus politique par la voie législative ?
Défis propres aux députés des sénégalais de l’extérieur
Le premier défi des députés des Sénégalais de l’Extérieur est de définir et de trouver leur place dans les nombreux modes de représentation de la Diaspora, que ce soit au niveau ministériel, institutionnel et associatif. Toutes ces institutions ou associations peuvent légitimement endosser ce rôle et agir comme porte-paroles ou représentants de ces citoyens établis à l’étranger. Les difficultés des députés des Sénégalais de l’Extérieur sont essentiellement de deux ordres : les moyens et la visibilité. Les circonscriptions dans lesquelles ils ont été élus sont très vastes et les doléances variées. A défaut de les doter de moyens de se déplacer à l’intérieur de la circonscription, il faut, dans chaque circonscription de la Diaspora, installer une permanence parlementaire. L’élu de la Diaspora doit être associé aux rencontres entre les autorités publiques et les Sénégalais de l’Extérieur mais aussi être impliqué dans le déroulement des programmes dédiés à la Diaspora.
Eviter à tout prix le piege des majorités écrasantes
Plusieurs pièges qui sapent la bonne perception et l’influence de l’Assemblée nationale doivent être évités par la majorité actuelle :
• Les mécanismes de contrôle parlementaire risquent d’être compromis ou même paralysés du fait de la proximité politique et de l’absence d’une opposition significative.
• La tentation des réflexes autoritaires qui guette les partis dominants. Ce sont des comportements en apparence banals, qui alimentent l’indifférence, l’absence d’intérêt et les désillusions des citoyens à l’égard de l’Institution parlementaire. Ce sont entre autres les invectives entre députés dans les séances plénières, les interruptions intempestives des députés de l’opposition, certains vont même jusqu’à demander aux ministres de ne pas répondre à tel ou tel député….
Le défi de l’automatisation du processus législatif
Le processus législatif est largement manuel avec beaucoup de manipulations de papiers depuis l’établissement du calendrier de travail, les convocations jusqu’à l’exploitation des rapports de Commission. Plusieurs milliers de papiers sont imprimés pour informer de la tenue d’une Conférence des Présidents, convoquer les députés pour la Commission et la plénière à suivre sans compter les milliers de pages de rapport issues des différentes commissions. Ces mêmes documents sont distribués au personnel administratif concerné. De même, chaque amendement déposé par un parlementaire ou le ministre pendant la Plénière est aussitôt imprimé et distribué à tous les députés et au gouvernement. Naturellement tout ceci a un coût financier mais aussi un impact sur la qualité du travail et la gestion du temps. L’automatisation du processus législatif et du suivi des interventions parlementaires est bénéfique à plusieurs égards. En plus de l’optimisation des coûts et de la facilitation de la traçabilité, cette automatisation induira incontestablement une diminution de la charge de travail mais aussi une professionnalisation et une rapidité de celle-ci. L’automatisation du travail législatif peut être une solution au défi de la communication parlementaire pour l’inclusion des populations. Elle donnera aux citoyens une possibilité de suivre le processus législatif et la prise de décision. L’ignorance du public sur le travail du parlement alimente les suspicions et les fantasmes. Par ailleurs, l’administration devrait être plus proactive surtout concernant l’objectif de donner plus de visibilité aux activités institutionnelles des députés sur le terrain. Le contrôle parlementaire des Commissions entre les sessions est méconnu du public et est pourtant très important. D’autres aspects comme le déficit de représentation de l’Assemblée nationale et le mode de scrutin sont des obstacles à la performance de l’Institution et nécessitent des concertations plus larges.
Ababacar Safy Ngom est expert IT de l’Assemblée parlementaire de la Francophonie
Directeur de l’Informatique de l’Assemblée nationale du Sénégal, auteur du livre “L’assemblée nationale du Sénégal : relecture d’une longue pratique de la representation parlementaire”
D’APRÈS LES RÉSULTATS DES LÉGISLATIVES, LA RESTRUCTURATION DE PASTEF S’IMPOSE À MATAM
Nabadji Civol émerge comme le fer de lance du parti dans la région, dominant largement les autres communes. Cette géographie électorale dessine les contours des défis qui attendent le Pastef pour les prochaines échéances
Le scrutin du 17 novembre 2024 a permis au Pastef de réaliser une razzia au niveau national, mais le département de Matam reste un chantier à consolider. Professeur Aliou Thiongane, responsable du parti dans cette région, revient sur les succès, les insuffisances, et les axes prioritaires pour renforcer leur ancrage dans la région, tout en répondant aux critiques de l’opposition.
Les leçons tirées du scrutin du 17 novembre 2024
Le scrutin du 17 novembre 2024 a permis à notre parti le Pastef et au Premier ministre d’avoir la majorité qualifiée à l’Assemblée nationale permettant ainsi au président de la République Bassirou Diomaye Diakhar Faye et à son Premier ministre Ousmane Sonko de conduire la transformation systémique pour le bien-être du peuple sénégalais. Cette vision Sénégal 2050 du tandem Diomaye-Sonko permet de sortir le Sénégal de la pauvreté vers l’émergence, la souveraineté, l’équité territoriale, la prospérité et la bonne gouvernance.
Au niveau national, les Sénégalais ont plébiscité le Premier ministre Ousmane Sonko en lui octroyant la majorité des départements et une proportion importante de députés de la liste nationale. Au niveau local, notamment dans le département de Matam, la réalité est tout autre. Nous n’avons pas pu atteindre nos objectifs qui étaient de remporter le vote du département avec les deux députés. Malgré le soutien des alliés, la victoire n’a pas été au rendez-vous. Cela prouve qu’il reste encore du travail à faire au niveau de Matam, notamment dans la massification du parti, dans l’organisation et dans le fonctionnement. Nos adversaires avaient plus de moyens certes, surtout financiers et logistiques, mais cela ne constitue pas la seule raison du résultat obtenu. Vu l’évolution du nombre de voix par rapport à la Présidentielle avec une nette augmentation, un travail à la base permettrait de convaincre nos compatriotes à voter massivement pour le Pastef.
Les localités du Diéri, qui avaient gagné lors de la présidentielle, ont confirmé leur vote et leur ancrage au projet et au Pastef. Le bastion du Pastef au Fouta, à Matam demeure incontestablement dans les villages du Diéri (Sédo et autres). La commune de Nabadji Civol pèse trois à cinq fois plus de voix que toutes les autres communes du département. Elle est la commune la plus vaste, la plus peuplée du département où le Pastef a toujours gagné les élections, notamment dans le Diéri depuis la Présidentielle.
Cependant, celles du Dandé Mayo et des autres tardent encore à rallier le train du Pastef. Le travail doit être accentué dans ces localités avec une bonne stratégie de sensibilisation et de communication.
Avenir politique du Pastef à Matam après les élections législatives
La restructuration du parti s’impose à Matam, de même que le mode de fonctionnement. Les responsables locaux ont besoin de plus d’appui et d’accompagnement de la direction centrale. Les leaders qui ont toujours gagné dans leurs localités méritent d’être promus dans les instances du parti au niveau local et central. Cela renforce leur motivation et galvanise la base. Actuellement, ce qui est factuel est que la commune de Nabadji Civol est le bastion de Pastef au niveau du Fouta, dans les zones du Diéri. Nous allons vers des élections locales dans deux ans, mais le travail doit commencer dès maintenant. La massification au niveau de la base doit être encadrée, encouragée et soutenue. Notre objectif est de conquérir toutes les communes du département en y installant des responsables de Pastef de première heure. Cela nécessite un travail titanesque, mais surtout une bonne organisation, des moyens et des réalisations sur le terrain.
Il faudra une restructuration du parti au niveau local d’abord. Ensuite, travailler à la massification de la base, appuyer les responsables dans leurs activités de massification, opter pour une démarche inclusive avec les responsables politiques locaux, les jeunes, les femmes, les porteurs de voix et, enfin, la coordination départementale et les sections communales doivent travailler en étroite collaboration, superviser et encourager les opérations de mise en place des cellules dans les quartiers et villages.
Message adressé aux électeurs et au peuple sénégalais
Le 24 mars 2024, en élisant au premier tour Bassirou Diomaye Diakhar Faye en qualité de président de la République du Sénégal, le peuple sénégalais donnait au tandem Diomaye-Sonko les pleins pouvoirs pour conduire ses destinées. Cette prouesse inédite dans l’histoire politique du Sénégal était également l’aboutissement d’un nouveau contrat politique et social qui mettait le Sénégal et les Sénégalais au cœur d’un nouveau paradigme dont la souveraineté et le patriotisme constituent les leitmotivs. Un nouveau contrat social, rompant d’avec les pratiques rétrogrades des régimes précédents, qui fait renaître l’espoir dans les cœurs et les esprits de tout un peuple et de sa diaspora, dont la contribution financière et politique à l’aboutissement du Projet est sans commune mesure. Armé de sa foi, le président avait, dès sa prestation de serment le 2 avril, dégagé les grands axes de la nouvelle doctrine de refondation de l’État, de la nation sénégalaise et de son économie, pour un Sénégal souverain, juste, prospère et ancré dans les valeurs fortes du triptyque “Jub Jubbal Jubbanti”. Le Premier ministre Ousmane Sonko mettant en œuvre les orientations du président de la République, s’est attelé, avec l’expertise nationale, à l’élaboration d’un nouveau référentiel des politiques publiques dénommé Agenda national de transformation, Vision Sénégal 2050. Ce projet est un ambitieux programme qui dépasse les contingences politiques et électoralistes, et vise le développement du Sénégal à long terme, avec une déclinaison temporelle à court et moyen terme pour répondre aux urgences attentes pressantes du peuple sénégalais meurtri par une gestion gabégique et patrimoniale des ressources publiques par l’ancien régime. Nos autorités, notamment le président de la République et le Premier ministre, ont pris l’engagement ferme de développer le Sénégal à travers le Projet de transformation systémique, vision 2050. C’est un projet ambitieux et réalisable qui permet de sortir le Sénégal de la pauvreté et d’aller vers le développement, la souveraineté et la prospérité. Enfin, j’estime, comme Monsieur le Premier ministre, que la mise en œuvre de ce projet dans ses différentes phases (court, moyen et long terme) nécessite un engagement et un consensus patriotique fort de tous les acteurs. L’appel du Premier ministre à un nouveau Pacte de stabilité sociale (Pass) constitue, à mon avis, le premier défi à relever.
Ce projet ne peut réussir que si le peuple sénégalais se l’approprie et en fait le sien. Les députés nouvellement élus seront ceux de la rupture, du peuple par le peuple et pour le peuple. Ils ont été choisis pour défendre les intérêts du peuple, être la voix des sans-voix et élaborer des lois qui reflètent les aspirations du peuple. Les intérêts du brave, vaillant et courageux peuple sénégalais, déjà meurtri par des années de gouvernance gabégique et clanique, doivent être sauvegardés au détriment des intérêts crypto-personnels et corporatistes.
Pour un Sénégal souverain, juste et prospère, pour et par les Sénégalais, sous la vision éclairée de Bassirou Diomaye Diakhar Faye et la conduite pragmatique du Premier ministre Ousmane Sonko.
Les priorités politiques du Pastef à l’instar des populations locales de Matam
En effet, tout développement vise le bien-être du capital humain qui, en retour, doit être en bonne santé, bien instruit, compétent, dynamique et bien préparé à répondre aux défis multiples du monde moderne ; un capital humain productif, capable de supporter et de promouvoir sa souveraineté dans le cadre d’une gouvernance transparente et vertueuse des affaires publiques et d’une équité judiciaire, sociale et territoriale.
Ainsi, le projet de transformation systémique postule un capital humain sain, instruit, éduqué (civique) dans un environnement judiciaire, territorial, social et économique équitable. Ce postulat réaffirme un des droits fondamentaux de l’homme et qui est garanti par la Constitution sénégalaise, le droit à la santé qui constitue l’alpha et l’oméga de la vie tout simplement, d’un droit à la vie et non d’un droit à la survie (“dunda wereyane”). Dans un autre registre, il faudra relever que la réussite du projet ne peut s’opérer que sur une “bonne gouvernance solide et un engagement patriotique de portée africaine” qui constituent un sacerdoce pour Monsieur le président de la République, le Premier ministre et tous les patriotes du Sénégal et de sa diaspora qui partagent les mêmes idéaux. Ils consti- tuent le socle, les fondements sur lesquels doit s’appuyer la transformation nationale envisagée en application du référentiel. Pour dire que le projet porte l’espoir de tout un peuple à travers ses axes stratégiques, dont le capital humain constitue le fil rouge pour asseoir le développement équilibré et équitable du pays à travers les différents pôles de développement (huit pôles). Le Projet de transformation systémique envisage, dans le cadre du développement économique, d’achever les chantiers en cours dans la région de Matam, notamment le bitumage des routes, le nouvel hôpital de Ourossogui, l’aéroport de Ourossogui, l’université de Matam, d’encourager la création d’emplois avec le pôle économique agropastoral de Matam, de moderniser l’agriculture et l’élevage, de promouvoir l’autosuffisance en riz, en lait…
Les belles feuilles de notre littérature par Amadou Elimane Kane
CHEIKH HAMIDOU KANE OU LE BÂTISSEUR DES TEMPLES DE NOTRE MÉMOIRE
EXCLUSIF SENEPLUS - Si L’aventure ambiguë retraçait le choc culturel de l’Occident, Les Gardiens du Temple pose la problématique de la réappropriation de l’identité africaine à l’aide d’une reconstruction globale conscientisée et unitaire
Amadou Elimane Kane de SenePlus |
Publication 25/11/2024
Notre patrimoine littéraire est un espace dense de créativité et de beauté. La littérature est un art qui trouve sa place dans une époque, un contexte historique, un espace culturel, tout en révélant des vérités cachées de la réalité. La littérature est une alchimie entre esthétique et idées. C’est par la littérature que nous construisons notre récit qui s’inscrit dans la mémoire. Ainsi, la littérature africaine existe par sa singularité, son histoire et sa narration particulière. Les belles feuilles de notre littérature ont pour vocation de nous donner rendez-vous avec les créateurs du verbe et de leurs œuvres qui entrent en fusion avec nos talents et nos intelligences.
Cheikh Hamidou Kane est un écrivain rare. Rare car peu littérateur et peu bavard. Ces ouvrages littéraires au nombre de deux ne sont pas la répétition d’une œuvre qui aurait épuisé son souffle. Non, ses publications vont à l’essentiel et nous disent toujours, en même temps qu’ils racontent par leur construction romanesque, ce que nous devons retenir de notre histoire, de notre mémoire, de nos hésitations et de nos complexités humaines.
Si les livres de Cheikh Hamidou Kane appartiennent pleinement au patrimoine littéraire africain, ils sont aussi le reflet de la condition humaine, inspiré de la philosophie et des sciences sociales qui nous éclairent de toute leur intelligence, de toute leur splendeur remplie de générosité et d’humanité.
Après plus de vingt ans de silence et L’aventure ambiguë, publié en 1961, qui, par sa force philosophique, est devenu un livre culte de l’Afrique du 20ème siècle, Les Gardiens du Temple reprennent le fil du récit, interrompu par la fin tragique de Samba Diallo.
Situé juste après les Indépendances, ce livre-ci n’a pas encore effacé « l’ambigüité » des rapports entre les Africains, nouveaux maîtres de leur destin, et les anciens colonisateurs qui règnent encore comme des pères fondateurs, sûrs d’eux-mêmes et qui cherchent inlassablement à laisser leurs empreintes dans un monde nouveau qui aspire à la révolution et à la Renaissance. Construit à partir de personnages dissemblables, aux expériences multiples, le récit des Gardiens du Temple est avant tout la tentative de réhabiliter l’histoire de l’Afrique ravagée par l’esclavage, la déportation et la colonisation.
Ce livre ultime de Cheikh Hamidou Kane parle de la réconciliation identitaire de l’Afrique avec les Africains et qui propose un nouveau mode d’appartenance culturelle et sociale, celui de l’union, celui de la tradition africaine sans revendication, sans aspérité, celui de la concordance qui est la seule planche de salut pour les hommes.
Par la bouche de Daba Mbaye, jeune historienne penseuse intellectuelle et politique, Cheikh Hamidou Kane envoie un message fort qui est celui de la reconstruction unitaire : « Il n’est de Renaissance de l’Afrique-mère que par l’unité, la solidarité fraternelle et le savoir ». En filigrane, Cheikh Hamidou Kane nous dit aussi que savoir c’est connaître, savoir c’est créer, savoir c’est avancer sur les voies de la renaissance africaine.
Mais les personnages de Cheikh Hamidou Kane, de Daba Mbaye à Salif Bâ ou encore Farba Mâri, s’ils sont profondément attachés à la tradition, ils n’en sont pas moins préoccupés par la mutation majeure qui appelle une refondation totale du continent africain qui doit abandonner les oripeaux d’une colonisation et d’une ère post-coloniale dévastatrices au profit de l’aventure humaine, pour voir renaître des peuples enfin réconciliés sur une voie commune, celle de l’unité fondamentale des civilisations : unité culturelle, unité politique et économique, unité sociale, unité humaine qui constituent les piliers des terres africaines de nouveau debout.
Mais Cheikh Hamidou Kane va encore plus loin. À travers les récits imaginaires de ses personnages, il clame une « libération totale du continent – États-Unis d’Afrique – socialisme africain » ! Nous y voilà car la pensée de Cheikh Hamidou Kane est constante depuis très longtemps, sa vision panafricaine s’accompagne du triptyque de l’unité, de l’éthique et de la fraternité.
Car à travers ce nouveau récit, Cheikh Hamidou Kane pose bien la question de la déontologie à ses semblables. Si L’aventure ambiguë retraçait le choc culturel de l’Occident qui conduisait Samba Diallo à l’anéantissement de lui-même, Les Gardiens du Temple pose la problématique de la réappropriation de l’identité africaine à l’aide d’une reconstruction globale conscientisée et unitaire qui vient fracasser la volonté coloniale qui est celle de la division, du malentendu et de la corruption organisée.
Cheikh Hamidou Kane prévient que si l’Afrique ne fonctionne pas en une unité solide au moyen de ses voies géopolitiques, culturelles et sociales, elle sera vouée à de nouveaux schismes et à la décadence qui seront les fantômes de la colonisation mais qui auront pris le visage d’un nationalisme exacerbé et stérile, d’un cercle vicieux retranché sur lui-même et qui contient un paradoxe insoluble, celui de l’enfermement.
C’est avec cette nouvelle ambigüité que se débattent les personnages de Cheikh Hamidou Kane mais lui, en narrateur omniscient et conscient, il donne les clés d’un monde meilleur à bâtir, celui de la confiance, celui de la dignité, celui de la transversalité et de la lutte solidaire.
L’esthétisme littéraire de Cheikh Hamidou Kane est de nouveau à l’œuvre car au-delà de la fiction, il s’appuie sur les valeurs universelles qui doivent guider celui qui crée celui qui propose la réflexion, qui sont celles de la vision humaine pour une société plus juste. La littérature inspirée des sciences humaines a toujours beaucoup plus à dire que le simple exercice stylistique du roman. La force de Cheikh Hamidou Kane c’est de réaliser la promesse d’une littérature qui raconte de manière fine et authentique ce que l’homme doit investir pour proposer une société nouvelle, en société en continuité avec l’histoire mais qui ouvre les portes d’un horizon moderne qui soit en phase avec les aspirations humaines, toutes les respirations humaines. En cela, Les Gardiens du Temple est un grand livre, un livre fondamental pour la reconquête des terres belles d’Afrique qui doivent porter les flambeaux prometteurs d’une renaissance guidée par l’unité, par la générosité, par l’éthique, par le principe de réalité, par le bon sens et par une exigence tenace qui dépasse l’intérêt personnel, assassin de tant d’espérance. Une reconstruction salutaire pour enfin faire rejaillir les flamboyants de la civilisation africaine.
Les gardiens du temple, roman, éditions Stock, Paris, 1995
Amadou Elimane Kane est enseignant et poète écrivain.
Dans un milieu où les inégalités et les vulnérabilités sociales font florès, le député africain ne peut se contenter d’être un législateur technique n’ayant d’égard qu’a la régularité formelle des normes juridiques
A la suite des élections législatives anticipées au Sénégal, le temps est peut-être venu de parler de ce personnage central du jeu démocratique, le député. Dans le contexte africain, le député, en tant que représentant élu, est souvent perçu comme un acteur clé de la consolidation démocratique et du développement socio-économique. Pourtant, cette figure est aussi confrontée à des défis spécifiques liés à l’histoire coloniale, aux particularités culturelles et aux dynamiques socio-politiques des États du continent. Si le rôle du député est universellement défini par la fonction de représentation, ses responsabilités en Afrique prennent une dimension singulière : il est à la fois médiateur entre les institutions étatiques et les populations, et souvent perçu comme un intermédiaire dans la redistribution des ressources.
Le député est la figure centrale du système de représentation parlementaire à tout le moins historiquement. Investi du mandat de représenter la nation tout entière, il agit en tant que liant entre les aspirations populaires et l’exercice du pouvoir politique. Mais qu’est-ce qu’un bon député ? La question, en apparence simple, renferme une complexité et des aspérités qui méritent qu’on s’y penche avec rigueur. Ce concept s’inscrit à l’intersection de la philosophie politique, de l’histoire des institutions et de la sociologie des élites.
Porter une réflexion sur le concept du bon député dans une perspective africaine, en mobilisant des références historiques, philosophiques et sociologiques adaptées aux réalités du continent est une bonne entrée pour fixer les contours de cette figure particulière. A ce compte, il faudra explorer d'abord les héritages historiques et culturels de la représentation parlementaire en Afrique, avant d’analyser les qualités et devoirs d’un député dans ce contexte. Enfin, nous examinerons le rôle du bon député dans la consolidation des jeunes démocraties africaines et le rapprochement entre l’État et ses citoyens.
Héritages historiques et culturels de la représentation parlementaire en Afrique
La majorité des systèmes parlementaires en Afrique est un héritage sans bénéfice d’inventaire des puissances coloniales européennes. Inspirés des modèles britanniques, français ou portugais, ces systèmes ont été imposés sans jamais tenir compte des structures politiques et socio-anthroplologique préexistantes. C’était proprement un épistémicide institutionnel. Les députés africains du XXe siècle, notamment ceux des années post-indépendance, étaient souvent des visages de l’élite urbaine formée dans les institutions coloniales. L’objectif principal des parlements de cette époque était de stabiliser des États-nations fragiles et de remplacer les institutions coloniales par des structures locales. Mais en creux il s’agissait de perpétuer, sous un format diffèrent, les reliques et l’emprise du colon en projetant sons ombre tutélaire sur toutes les dynamiques en cours. Si bien que la justification souventes fois avancée est très interlope puisqu’au fond, il s’agissait, non point de faire advenir des institutions afro centrées mais de déposséder les peuples de la rationalité qui présidait leur structure traditionnelle de gouvernance collective. Déjà conditionnées à des obédiences métropolitaines ces élites ont omis de repenser à nouveaux frais ces institutions et ont continuer à reléguer les masses populaires aux périphéries extérieures du pouvoir évacuant ainsi leurs aspirations fécondées par leur culturalité. Nul doute alors que cet état de fait est annonciateur d’un télescopage de légitimités et de concurrence normative dans la régulation sociale.
Dès lors, cette importation a créé une onde de perturbation qui a abouti à un irrémédiable décalage entre les attentes des populations locales et les pratiques politiques des élites parlementaires. Les sociétés africaines, fortement ancrées dans des traditions communautaires et des formes de gouvernance locale (comme les conseils d’anciens), ont parfois eu du mal à s’identifier à un modèle de représentation abstrait. Ainsi, le bon député africain doit, dès l’origine, en palliant ces défectuosités historiques, combiner les principes d’un parlementarisme moderne avec des pratiques participatives enracinées dans les réalités culturelles.
Dans les sociétés traditionnelles africaines, la notion de leadership emprunte à une orthopédie axiologique de service, de consensus et de solidarité que la notion de Ubuntu rend parfaitement. Le chef ou le représentant est avant tout celui qui veille sur les besoins de la communauté, agit avec intégrité, respecte les équilibres sociaux, assure le maintien des écritures cosmogonique et historiographique. Ces principes, souvent ignorés à dessein par les cadres parlementaires hérités de la colonisation, restent pourtant une source d’inspiration pour définir le bon député africain.
Cheikh Anta Diop, dans ses réflexions sur les sociétés traditionnelles africaines, rappelle que les modèles de gouvernance en Afrique ne sont pas uniquement des répliques ou des reprises sans inventaire des modèles occidentaux, mais qu’ils puisent dans des normativités sociales propres. Le député africain, dans ce cadre, doit incarner une figure à la fois moderne et enracinée dans ces valeurs locales.
Les qualités et devoirs du bon député dans un contexte africain
L’intégrité et la responsabilité
En Afrique, la corruption maladive constitue un défi majeur pour les institutions démocratiques. Le bon député se distingue avant tout par son intégrité, sa distance avec l’argent. Dans une région où les ressources publiques sont souvent capturées par des élites, il doit se positionner comme un protecteur du bien commun. L’intégrité personnelle, soutenue par une éthique de la responsabilité, est essentielle pour restaurer la confiance des citoyens envers leurs représentants.
L’importance de l’éthique comme levier de transformation politique n’est plus à démontrer. Sous ce trait, un bon député africain, selon cette vision, est celui qui défend les valeurs universelles de justice et d’égalité tout en respectant les obligations morales envers sa communauté.
Max Weber, dans son essai Le Savant et le Politique (1919), distingue deux éthiques fondamentales en politique : l’éthique de la conviction et l’éthique de la responsabilité. Un bon député doit conjuguer ces deux dimensions. D’un côté, il doit agir conformément à des prescriptions axiologiques qui incarnent des valeurs universelles telles que la justice, l’égalité et la probité. De l’autre, il doit prendre en compte les conséquences de ses actions, en adoptant des positions pragmatiques au service du bien commun.
Dans une société où la corruption politique est souvent dénoncée, l’intégrité personnelle du député devient une qualité essentielle. Cette vertu, soulignée par des sociologues contemporains comme Pierre Rosanvallon (Le bon gouvernement, 2015), est au cœur de la confiance que les citoyens placent dans leurs représentants.
Le bon député doit également posséder une compétence technique et une capacité d’analyse qui lui permettent de « faire droit » de manière éclairée, de penser la qualité de la bonne loi, de la loi nécessaire pour que la loi ne bavarde point. Les lois sont actes de sagesse, de justice et de raison concluait Portalis après avoir relevé qu’elles n’étaient pas de purs actes de puissance. Toutefois, cette compétence ne doit pas se couper de la réalité sociale des citoyens. Le célèbre juriste insistait d’ailleurs : Il ne faut point de lois inutiles ; elles affaibliraient les lois nécessaires ; elles compromettraient la certitude et la majesté de la législation. Le professeur Ysaac Yankhoba NDIAYE exposait déjà avec véhémence et une pointe de provocation, toute son irrévérence sur l’art de mal légiférer. Alors, pour être efficace, le député doit non seulement maîtriser les arcanes du pouvoir, mais aussi rester connecté aux préoccupations quotidiennes de ses électeurs.
Représentativité et proximité
Dans un milieu où les inégalités et les vulnérabilités sociales font florés, le député africain ne peut se contenter d’être un législateur technique n’ayant d’égard qu’a la régularité formelle des normes juridiques. Il doit également être un médiateur social, à l’écoute des besoins des citoyens. Le rôle du député africain dépasse celui d’un simple législateur : il doit aussi se positionner comme un médiateur social. En établissant un dialogue constant avec les citoyens et en s’investissant dans leurs préoccupations, il devient un vecteur de cohésion sociale et un défenseur des droits fondamentaux. Cette médiation exige une capacité d’écoute active, une présence régulière sur le terrain et un engagement concret pour faire remonter les priorités locales au niveau national. Dans de nombreux contextes africains, où l’État peut sembler éloigné des citoyens, le député doit jouer ce rôle de pont entre les institutions et la population, contribuant ainsi à renforcer la confiance dans les systèmes démocratiques et à promouvoir une gouvernance véritablement inclusive. Cela implique une profonde compréhension des dynamiques et des besoins moraux, économiques, culturels et politiques propres à sa circonscription et, plus largement, à la nation
Cela pose la question de la double fonction du député : s’il légifère pour la nation, il est aussi perçu comme un canal pour accéder aux ressources publiques. Le bon député doit donc trouver un équilibre entre son rôle national et ses responsabilités locales.
Le rôle du bon député dans la consolidation démocratique africaine
Promouvoir une démocratie participative et inclusive
La démocratie représentative en Afrique est souvent critiquée pour son caractère élitiste, où les députés apparaissent éloignés des préoccupations des citoyens, par sa trop forte dépendance au pouvoir de l’argent, par la servilité aux logiques de partis. Le bon député doit contribuer à une démocratisation de l’espace politique, en encourageant des mécanismes participatifs comme les consultations populaires et les assemblées locales, en replaçant le citoyen au centre du jeu social. L’économiste et philosophe Felwine Sarr, dans *Afrotopia* (2016), plaide pour une réinvention des institutions africaines afin qu’elles s’arriment davantage aux normativités anthropologiques.
Dans ce cadre, le député doit se positionner comme un relais entre l’État et les citoyens, facilitant une gouvernance plus inclusive et plus transparente. Il est un passeur de sens.
Un autre défi pour le bon député africain est de promouvoir l’État de droit dans des contextes où les institutions sont souvent fragiles, dévoyées et fortement politisées. Cela implique un engagement actif contre les abus de pouvoir et pour le respect des normes constitutionnelles. Par son rôle au parlement, il contribue à limiter les dérives autoritaires et à garantir l’équilibre des pouvoirs. Ici, l’héritage des figures emblématiques de la lutte pour l’indépendance, telles que Patrice Lumumba ou Nelson Mandela, offre des exemples de leadership fondés sur des principes éthiques et démocratiques.
Le député est souvent tiraillé entre deux déontologies : représenter la nation dans son ensemble, et répondre aux attentes spécifiques de sa circonscription ou de son parti. Cette dualité exige une capacité de discernement et une aptitude à concilier des intérêts parfois contradictoires. Edmund Burke, célèbre parlementaire britannique du XVIIIe siècle, affirmait que le rôle du député n’était pas de suivre aveuglément les volontés de ses électeurs, mais de leur offrir son jugement éclairé.
Autant dire que le mandat du député, dans les démocraties modernes, est de nature représentative et non impérative. Le postulat de cette distinction est que le député n’est pas corseté par des instructions formelles de ses électeurs mais agit selon sa propre délibération et sa conscience pour l’intérêt général. Dans le cadre du mandat représentatif, le député n’est pas le simple ventriloque d’une circonscription mais un représentant de la nation tout entière, comme le stipule souvent le droit constitutionnel. Cette approche vise à préserver l’autonomie des parlementaires, leur permettant de fabriquer la loi avec discernement et de dépasser les revendications locales et les partisaneries pour adopter une vision à hauteur nationale et globale des enjeux.
Cependant, ce modèle soulève des tensions, notamment dans les jeunes démocraties et dans les dispositions où les électeurs attendent des réponses concrètes et immédiates à leurs préoccupations locales. En Afrique, par exemple, le député est souvent perçu comme un médiateur entre l’État et sa communauté d’électeurs, chargé de défendre leurs intérêts proches. Cela crée une contradiction entre la logique universelle du mandat représentatif et les attentes pratiques des citoyens. Si le député doit théoriquement exercer sa fonction en toute indépendance, il ne peut ignorer les pressions sociopolitiques qui pèsent sur lui, soulignant ainsi le défi de concilier sa responsabilité nationale avec les attentes spécifiques des électeurs.
La communication et la proximité comme leviers de légitimité
Dans les démocraties contemporaines dont les marqueurs topiques sont une défiance croissante envers les institutions politiques, un besoin irrépressible des sociétés civiles jeunes et informées d’accéder à la vie politique, le bon député doit continuellement réinventer sa relation avec les citoyens. La communication transparente, la consultation régulière et la pédagogie sur les enjeux complexes deviennent des outils essentiels pour restaurer la confiance. Les travaux de Jürgen Habermas sur l’espace public (Théorie de l’agir communicationnel, 1981) rappellent que le dialogue est un pilier fondamental de toute démocratie participative.
Le député, en tant que représentant de la nation tout entière, doit s’affranchir des loyautés de coterie pour exercer la plénitude son rôle au service de l’intérêt général. L’allégeance à un parti politique, bien que souvent nécessaire pour accéder au pouvoir, ne devrait jamais primer sur les responsabilités qu’impose le mandat parlementaire. Les logiques de chapelle, souvent dictées par des calculs électoraux ou des intérêts de groupe, risquent de compromettre l’indépendance du député et de l’enfermer dans des clivages qui freinent la recherche de solutions aux défis communs. L’émancipation des diktats partisans permet au député de légiférer avec intellection (les sont des actes de sagesse, de justice et de raison), en s’appuyant sur une analyse objective des enjeux et sur les besoins réels des citoyens, plutôt que sur des consignes idéologiques ou électoralistes.
Mais à bien considérer, cette émancipation ne signifie pas un rejet des partis politiques, mais plutôt une réaffirmation de l’autonomie intellectuelle et morale du député dans le cadre de son mandat. Cette posture exige un sens aigu de la responsabilité et un engagement éthique profond pour transcender les intérêts particuliers et adopter une vision collective des politiques publiques. En Afrique, où les systèmes politiques sont souvent marqués par des alliances fragiles et des divisions tribales ou régionales, l'indépendance des députés vis-à-vis des pressions partisanes est cruciale pour renforcer la légitimité des parlements et consolider la démocratie. Un député émancipé des logiques partisanes qui n’en est pas un simple notaire ou un vil vicaire au sein de l’hémicycle, est ainsi mieux à même d’incarner un leadership éclairé et de contribuer à une gouvernance plus inclusive et efficace.
Tout compte fait, le bon député en Afrique ne peut être une simple copie de son homologue des démocraties occidentales. Il doit être un acteur enraciné dans les réalités socioculturelles africaines, tout en incarnant des valeurs universelles de justice, d’intégrité et de responsabilité. Dans un environnement marqué par des défis multiples — corruption, pauvreté, fragilité des institutions —, il se distingue par sa capacité à concilier les attentes locales et les exigences nationales. Ainsi, le bon député est non seulement un législateur au profil pénurique, mais aussi un bâtisseur de lien social en facilitant les transactions entre et citoyen et l’État, un défenseur des principes démocratiques et un artisan du développement. Dans cette quête, l’Afrique dispose d’une riche tradition de gouvernance politique communautaire et de figure institutionnelle dans les démocraties traditionnelles, qui peuvent stimuler la construction d’une démocratie parlementaire véritablement africaine et résolument moderne en tant que la modernité n’est pas une donnée figée mais évolutive. A contrario, le bon députe ne devrait assurément pas être ce jocrisse ou ce sycophante qui, confondant l’hémicycle avec un tatami, se donne en spectacle par des coups d’éclat (des coups de ténèbres devrions-nous dire en toute rigueur stylistique) pour assouvir je ne sais quel besoin. Cette posture altère la dignité de la fonction et la joliesse du sacerdoce parce que, dans notre régime parlementaire, le député est le vis-à-vis institutionnel de l’exécutif encore qu’originairement le parlement était le siège total de la souveraineté en ce qu’il rend présent (re-présente) le peuple.
En définitive, le bon député est un singulier pluriel, à la croisée des dimensions éthiques, intellectuelles et sociales. Héritier des idéaux des Lumières, il doit conjuguer compétence, intégrité et proximité avec les citoyens. Dans une époque marquée par des défis globaux — climatiques, sociaux, économiques —, son rôle dépasse la simple représentation : il devient un acteur et un moteur de la transformation sociétale. Ainsi, le bon député n’est pas seulement un élu ; il est un serviteur de l’intérêt général, engagé dans une quête constante d’équilibre entre les aspirations du peuple et les exigences du gouvernement démocratique.
par Djibril Sambou
QUELLE PLACE POUR SONKO DANS LA MISE EN ŒUVRE DE LA TRANSFORMATION SYSTÉMATIQUE ?
La création d'une vice-présidence aux prérogatives renforcées apparaît comme la solution idoine. Cette innovation constitutionnelle permettrait d'optimiser le leadership du chef de Pastef tout en modernisant la gouvernance sénégalaise
À un moment crucial de son histoire, le Sénégal se trouve à la croisée des chemins. Face à des défis socio-économiques complexes et des attentes croissantes pour une gouvernance plus juste et souveraine, le pays a besoin d’un leadership exceptionnel. Avec la large victoire de Pastef aux élections législatives, Ousmane Sonko émerge comme la figure politique incontournable, porteur d’un projet visionnaire pour le Sénégal. Cependant, pour concrétiser une transformation systématique et durable, Sonko doit occuper un rôle exécutif à la hauteur de son envergure et de ses ambitions.
Le poste de président de l’Assemblée nationale: Un rôle limité pour Sonko
Depuis la publication des tendances lourdes donnant Pastef et son leader largement vainqueur des élections législatives, les apôtres du système hérité de la colonisation ont synchronisé leurs violons pour convaincre l’opinion que le poste de président de l’Assemblée nationale serait mieux indiqué pour M. Ousmane Sonko. Leur objectif non déclaré est de confiner le PROS (président Ousmane Sonko) à l’arbitrage des débats parlementaires, loin des leviers stratégiques du pouvoir exécutif nécessaires pour piloter les grandes réformes attendues par le peuple sénégalais.
Bien que prestigieux, le poste de président de l’Assemblée nationale demeure fondamentalement un rôle de gestion législative. Le président de l’Assemblée est un arbitre et un coordinateur des débats parlementaires, dont l’influence, bien que notable, est confinée au cadre législatif. Un tel rôle limiterait la capacité de Sonko à mettre en œuvre les réformes majeures contenues dans son programme ambitieux pour la transformation systémique, notamment les initiatives du Plan Sénégal 2050 qui exigeront une autorité exécutive directe. Ce rôle limiterait également la capacité de Sonko à mobiliser les institutions pour le changement, compte tenu du fait que son leadership de dépasse de loin les attentes d’un poste législatif. Enfin, cela limiterait la pleine exerce de son charisme ; Sonko est un homme d’État capable de fédérer et d’inspirer les masses, ce qui dépasse le cadre procédural et souvent restreint de la présidence de l’Assemblée.
On le sait, Pastef regorge de talents tels qu’Ayib Daffé, qui pourraient brillamment diriger l’Assemblée nationale, libérant ainsi Sonko pour des responsabilités exécutives plus stratégiques. Limiter Sonko à ce poste équivaudrait à dilapider un potentiel immense, une opportunité que le Sénégal ne peut se permettre de perdre.
Premier ministre ou vice-président : Quelle position pour maximiser l’impact de Sonko ?
Le rôle de Premier ministre, bien qu’offrant davantage de pouvoir exécutif, reste limité par sa dépendance au président de la République. Le Premier ministre agit comme un exécutant des orientations présidentielles, ce qui bride sa capacité à impulser des changements structurels.
À l’inverse, une réforme constitutionnelle créant un poste de vice-président, avec des prérogatives renforcées, apparaît comme une nécessité historique pour répondre aux aspirations du peuple sénégalais et relever les défis du moment. Ce poste offrirait un cadre idéal pour exploiter pleinement les compétences de Sonko. Ce poste, inédit dans l’histoire politique du Sénégal, permettrait de renforcer la continuité institutionnelle. En cas d’absence ou d’empêchement du président, le vice-président pourrait prendre les rênes du pays sans perturber la mise en œuvre des politiques publiques. Il permettrait également un partage stratégique du pouvoir exécutif.
Contrairement au Premier ministre, le vice-président jouerait un rôle clé dans l’élaboration et la mise en œuvre des grandes orientations nationales. Enfin, il renforcerait la modernisation de la gouvernance sénégalaise. Ce modèle, inspiré de pays comme les États-Unis, donnerait un signal fort de rupture avec les anciennes pratiques centralisatrices.
Dans ce cadre, le vice-président assumera toutes les responsabilités actuelles du Premier ministre en plus de certains pouvoirs que détient le président de la République.
En somme, le poste de vice-président offrirait à Sonko un cadre pour incarner une transformation profonde tout en modernisant les institutions de la République.
Plaidoyer pour une réforme constitutionnelle ambitieuse
Pour traduire cette vision en réalité, une réforme constitutionnelle introduisant le poste de vice-président s’impose. Cette transformation institutionnelle serait bien plus qu’un simple ajustement administratif ; elle représenterait une avancée stratégique dans la gouvernance sénégalaise.
Les bénéfices de cette réforme sont multiples avec, notamment :
Un pouvoir équilibré. En confiant des responsabilités stratégiques au Vice-président, le Sénégal pourrait accélérer les réformes sans monopolisation du pouvoir par une seule entité.
Une meilleure résilience de l’État. Ce modèle garantirait la continuité de l’État en cas de crise majeure, politique ou sanitaire.
Une proximité accrue avec le peuple. Le vice-président, élu ou désigné dans une première phase, serait un interlocuteur direct des citoyens, agissant comme un médiateur entre la population et les institutions.
Dans une phase transitoire, le vice-président pourrait être élu par les députés à la majorité des deux tiers. À l’avenir, ce poste pourrait être intégré dans l’élection présidentielle, comme cela se fait aux États-Unis.
Ousmane Sonko : Un leadership indispensable dans la mise en place d’un Sénégal nouveau
Ousmane Sonko ne se limite pas à être un simple politicien. Sa trajectoire, marquée par une intégrité exemplaire et une vision audacieuse, en fait l’homme de la situation pour le Sénégal. Ses priorités incluent (1) une souveraineté économique accrue. En réduisant la dépendance aux partenaires étrangers et en valorisant les ressources locales, il prône un développement endogène et durable. (2) Une justice sociale équitable. Son engagement pour l’éducation, la santé et la réduction des inégalités reflète sa volonté de mettre les citoyens au cœur de l’action publique. (3) Une gouvernance transparente : Il milite pour une rupture totale avec les pratiques clientélistes, favorisant la reddition des comptes et l’exemplarité institutionnelle.
Sonko est bien plus qu’un visionnaire ; il est un catalyseur de changement. Pour réaliser ces ambitions, il a besoin des outils appropriés, et le poste de vice-président, renforcé par des prérogatives exécutives, est le cadre idéal pour matérialiser ses réformes.
Pour terminer, il faut noter que le Sénégal est à un moment décisif de son histoire. Ni le poste de président de l’Assemblée nationale, ni un rôle limité de Premier ministre ne permettraient à Ousmane Sonko de conduire efficacement la transformation systématique attendue. Une réforme constitutionnelle créant un poste de vice-président est la solution naturelle pour répondre aux défis de l’heure et refléter la nouvelle ère politique incarnée par Sonko.
Aux côtés du président Bassirou Diomaye Diakhar Faye, Ousmane Sonko pourrait devenir l’architecte du Sénégal de demain. Un Sénégal souverain, prospère et équitable, à la hauteur des attentes de son peuple. Le moment est venu de faire ce choix audacieux pour écrire une nouvelle page de l’histoire nationale.