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2 avril 2025
Opinions
PAR L’ÉDITORIALISTE DE SENEPLUS, BOUBACAR BORIS DIOP
CE VIEIL HOMME, NOTRE ENFANT…
Wade a desservi Karim, renforcé la cote de popularité de Macky tout en donnant de lui-même une image négative. En somme, trois coups de pierre contre sa réputation et contre la libération de son fils
Boubacar Boris Diop, Éditorialiste de SenePlus |
Publication 24/03/2015
Des analystes pourtant peu suspects de passion partisane continuent à regretter que la Crei n’ait été apparemment réactivée que pour juger Karim Wade. Même si on peut leur reprocher de tenir pour quantité négligeable ses co-inculpés ou d’oublier trop vite les nombreux dossiers déjà instruits, leur trouble mérite la plus grande attention. Il nous rappelle qu’au Senegal l’autorité publique n’a jamais vraiment su quelle attitude adopter à l’égard des auteurs de crimes économiques. C’est peu de dire que ces derniers, du fait de leur forte capacité de redistribution, sont plus souvent admirés que stigmatisés.
Il se raconte du reste, sous forme de blague populaire, qu’à des détenus ordinaires se plaignant des faveurs accordées à ces prisonniers de luxe, un régisseur aurait répliqué, excédé : «Ecoutez, ce n’est pas pareil, vous, vous êtes des voleurs alors qu’eux ont détourné !» Cette complaisance à l’égard de ceux qui dilapident nos maigres ressources s’explique-t-elle par le fait que le même personnel politique se partage le pouvoir depuis l’Indépendance ? L’hypothèse peut être avancée sans risque.
Le plus fascinant, c’est que Me Abdoulaye Wade, alias le «pape du Sopi», a été élu, après une exceptionnelle mobilisation populaire, pour briser ce cercle vicieux de la gabegie et de l’impunité. Quel Sénégalais peut s’en souvenir aujourd’hui sans un formidable éclat de rire ? Sous son règne, le système est devenu complètement fou ! Dès ses premières heures au Palais, il déclare à Idrissa Seck, qui l’enregistre en secret– drôle de gens, n’est-ce pas ?- : «Nos problèmes d’argent sont désormais derrière nous», avant d’ajouter cette phrase hallucinante : «Même les gangsters savent s’en tenir a un strict code d’honneur quand vient l’heure de se partager le butin.»
Il n’est dès lors pas étonnant qu’au cours de ses deux mandats à la tête du pays, on ait eu l’impression d’un gigantesque foutoir financier. Bien des cadres ayant travaillé avec Me Wade, en particulier ceux qui venaient de la Gauche, n’étaient pas des corrompus, loin s’en faut. Mais ceux qui l’étaient ne se sont pas du tout gênés. Les affaires en tous genres– terrains, trafic de devises voire de drogue– ont sans cesse défrayé la chronique et des milliers de gens qui tiraient le diable par la queue, ont amassé en peu de temps une colossale fortune.
Dans un petit pays à l’élite aussi «compacte», tout finit par se savoir, même, et peut-être surtout, ce que les medias choisissent, pour diverses raisons, de taire. Et– ne soyons donc pas si oublieux– Karim Meissa Wade, à la tête de moult ministères stratégiques, était au centre de tout. La justice lui demande depuis juillet 2014 de justifier l’accroissement phénoménal de sa fortune à l’époque où son père était chef de l’Etat. Il n’en a pas été capable et cela lui a valu une peine ferme de six ans et une amende de 138 milliards de francs Cfa.
On peut certes entendre les critiques des ONG des Droits de l’homme qui voient dans la Crei une juridiction d’exception violant les normes du droit international mais on a aussi eu le sentiment que pour ses avocats leur client, lâché par certains de ses prête-noms et complices, confondu sur des points importants, était devenu indéfendable. On les a donc davantage entendus en conférence de presse qu’à la barre du tribunal qu’ils ont du reste finalement boycotté. Il est d’ailleurs difficile de savoir à quoi ont bien pu servir les avocats étrangers supposés plaider en faveur de Karim Wade.
Malgré le gros cafouillage sur le compte de Singapour– un point, il faut le souligner, non pris en compte par le juge Henri-Grégoire Diop–, personne n’a été surpris par le verdict du 23 mars. Il n’y a pas lieu de se réjouir qu’une personne encore dans la force de l’âge soit obligée de rester quatre années en prison mais des dizaines de milliers d’autres Sénégalais purgent la même peine sans que cela n’émeuve personne.
L’avertissement vaut pour tous nos futurs chefs d’Etat. Ce qui arrive à Karim Wade doit leur faire comprendre qu’il est inadmissible et dangereux de détourner les suffrages populaires au profit de sa famille.
L’ex-président Wade, naguère tout-puissant, n’a rien pu faire pour sauver son fils. Il n’a même pas pu trouver un hôtel pour y organiser ce que le politologue Mbaye Thiam a appelé sur Sud FM «la dévolution paternelle du parti». Cela en dit long sur la brutalité de la chute de Wade. Il s’était pourtant montré si agressif à maintes reprises que le pays a eu de sérieuses craintes pour la sécurité des biens et des personnes le jour du verdict. A l’arrivée il y a eu plus de peur que de mal.
Me Wade, conscient de son faible pouvoir de nuisance ces temps-ci, s’y était sûrement attendu et c’est sans doute pour cela qu’il a fait de son fils le candidat du PDS à la présidentielle de 2017. Le projet, c’est de lui faire porter les habits de lumière du prisonnier politique, si populaire que le régime n’aura d’autre choix que de ne pas le maintenir en détention. Est-ce bien sérieux ? En vérité, cela s’appelle raisonner la tête à l’envers.
Tout d’abord, Karim Wade, qui n’a jamais remporté le moindre scrutin, est un binational. On le voit mal renoncer à son passeport français pour briguer les suffrages des électeurs sénégalais. Et au fait, dans quelle langue leur demanderait-il de voter pour lui ? C’est un point central que tout le monde semble avoir oublié. Sauf, probablement, l’intéressé lui-même et son père. Me Wade, qui a affronté tous les présidents, de Senghor à Macky Sall, sait bien ce qu’élection veut dire dans notre pays. Il serait étonnant qu’il entretienne au fond de lui-même la moindre illusion quant aux chances de son fils pour l’élection de 2017.
Il sait bien, pour le dire familièrement, que les carottes sont cuites.
Wade aura en effet tout essayé mais les appels du pied à l’armée n’ont pas eu plus d’écho que sa menace insolite de prendre le maquis. Et pour faire monter la tension, il ne s’est interdit aucune grossièreté à propos de la famille Sall. Ce faisant, il a desservi Karim Wade, renforcé la cote de popularité de Macky Sall tout en donnant de lui-même une image encore plus négative qu’à l’ordinaire. En somme, trois coups de pierre contre sa réputation et contre une cause, la dernière d’un vieux combattant, qui lui tient tant à cœur : la libération de son fils.
Une fin de parcours aussi douloureuse– il est des moments où le vieil homme suscite en effet une vague compassion– rappelle, toutes proportions gardées, celle d’Alboury Ndiaye. La tradition rapporte qu’au soir de sa vie, affamé et au bord de l’épuisement, le Bourba Djoloff fut obligé de voler une écuelle de lait dans l’arrière-cour d’une maison de Dosso, dans l’actuel Niger. Surpris par la propriétaire, il n’eut d’autre choix que de nier avec véhémence. En vain : un enfant l’avait vu en secret, qui témoigna contre lui. Il aurait alors déclaré à son griot : « J’ai été tout-puissant au Djoloff et voilà à quoi je suis réduit. Tout est perdu et je sais que ma fin est proche.»
Alboury Ndiaye, immortalisé entre autres par le dramaturge Cheik Aliou Ndao, a été peut-être le moins ambigu, le moins controversé de nos héros nationaux mais un cruel destin avait pris avantage sur le guerrier errant, panafricaniste avant la lettre. Du célèbre politicien libéral aussi, on peut dire, mais hélas pour de moins glorieuses raisons, que tout est perdu aujourd’hui, même l’honneur.
Il ne lui reste plus qu’à solliciter la clémence de celui dont il a dit tout récemment que jamais il ne serait au-dessus de Karim Wade. Peut-être s’exprimait-il ainsi en surestimant ses capacités à infléchir le cours de la justice. En homme qui a toujours cru au seul rapport de force, il est bien conscient d’être à la merci du régime de Sall. La surenchère verbale va rester de mise pendant quelque temps pour sauver les apparences mais il est très probable qu’il va bientôt jouer, en coulisses, la seule carte qui lui reste raisonnablement : solliciter la grâce présidentielle. Et si Macky Sall venait à céder aux pressions, l’on n’entendra probablement plus parler ni de l’homme Karim Wade ni encore moins du candidat sans peur et sans reproche. On peut supposer qu’il sera aussi oublié des Sénégalais que l’est à l’heure actuelle sa sœur. Le président pourrait être tenté de se montrer magnanime après avoir su se montrer ferme.
Qu’adviendrait-il des Bibo Bourgi et autres Mamadou Pouye, condamnées en même temps que Karim ? La question n’est pas simple car une libération générale ferait désordre dans l’opinion.
Quoi qu’il arrive, gardons-nous de jeter trop vite la pierre à Me Abdoulaye Wade. Ce quasi centenaire au regard perdu, si tragiquement solitaire, c’est nous-mêmes qui l’avons librement enfanté dans l’allégresse générale il y a une quinzaine d’années. Au-delà du sort personnel de son fils, c’est de cela que nous devrons nous souvenir demain et après-demain.
À une époque où l’Afrique semble avoir perdu son initiative souveraine et sa vision géopolitique, où tous les acteurs majeurs, à l’exception de l’Afrique elle-même, semblent avoir un projet pour le continent, que sa mémoire nous guide
Amadou-Mahtar M’Bow est décédé à l’âge de 103 ans, laissant derrière lui un héritage défini par son désir d’un monde juste et équitable. On se souviendra de lui pour son engagement en faveur du savoir et du multilatéralisme et pour la diplomatie, à la fois condition de liberté et instrument nécessaire pour un avenir meilleur. D’abord ministre de l’Éducation du Sénégal, puis directeur général de l’Unesco, M’Bow a défendu des causes et créé des programmes pour le XXe siècle. Parmi ces causes figurent la nécessité de créer des liens humains par l’accès aux moyens d’information et aux technologies connexes, la corrélation entre l’universel et le patrimoine humain collectif, ainsi que la restitution à l’Afrique de son histoire et sa reconnaissance comme composante essentielle de la trajectoire humaine. Au-delà de tout cela, M’Bow avait un attachement indéfectible à une éthique humaniste de sollicitude, d’engagement, d’inclusion et de respect de l’autre.
Aujourd’hui, le terme « leadership visionnaire » est galvaudé. Pourtant, peu de personnalités du XXe siècle l’incarnent aussi pleinement qu’A.-M. M’Bow. Sa vie a suivi une trajectoire extraordinaire, portée par la prise de conscience précoce qu’il faisait partie de quelque chose de bien plus grand que lui-même. Il a grandi à une époque où l’idéalisme n’était pas cet objet de mépris qu’il est aujourd’hui.
Le monde sortait alors de deux guerres mondiales successives, déclenchées par ceux qui prétendaient détenir les clefs du salut de l’humanité. Dans le même temps, ces prétendus sauveurs asservissaient d’immenses populations coloniales, tout en se proclamant hérauts de la liberté. Les deux guerres mondiales ont révélé l’ironie de la prétention selon laquelle le monde abriterait des maîtres savants et des sujets ignorants. Afin de se défaire des dilemmes qui en découlaient, des individus, des peuples et des États, tant établis qu’émergents—en particulier ceux qui avaient longtemps exercé le pouvoir—se sont engagés en faveur d’un nouvel ordre mondial aspirant à l’universalité, à la justice et à l’équité.
Chez certains anciens « maîtres du monde », cet engagement affiché relevait souvent du cynisme, visant à préserver, sous de nouvelles formes, leur domination sur les autres. Mais pour des figures telles que M’Bow, ce nouveau monde offrait de nouvelles perspectives à défendre, protéger et faire prospérer. Sa mission de toute une vie fut de veiller à la reconnaissance, la préservation et l’épanouissement, sur la scène mondiale, des voix, des savoirs et des contributions des nations marginalisées et en développement. Cette quête reposait sur la conviction que le potentiel humain et la créativité sont universellement partagés, et qu’aucune nation ou groupe ne détient le monopole du savoir. Son éthique était profondément humaniste.
Une carrière prolifique
Beaucoup se demandent comment une personnalité comme M’Bow a émergé dans le contexte de l’Afrique coloniale et postcoloniale. D’où lui viennent son savoir encyclopédique, sa connaissance du monde et sa compréhension incisive des enjeux historiques ? M’Bow n’était pas seulement un érudit et un enseignant ; il était également un fonctionnaire, un ancien combattant et un pilote stagiaire. Pendant la Seconde Guerre mondiale, il a combattu en France et en Afrique du Nord et a servi dans l’Armée de l’air française, avec les Forces françaises libres.
M’Bow fut un acteur politique de premier plan, engagé dans les mouvements anticoloniaux et dans l’histoire postcoloniale du Sénégal. Il occupa plusieurs hautes fonctions au sein de l’État, dont à deux reprises le ministère de l’Éducation. De 1967 à 1971, il présida l’Association panafricaine d’archéologie, poursuivant ainsi son combat pour la valorisation du patrimoine et des savoirs africains. Fondateur de la prestigieuse Fédération des étudiants africains en France, fer de lance de la lutte contre le colonialisme, il incarna un engagement indéfectible en faveur de l’émancipation des peuples. Dernier pilier du triumvirat fondateur du Parti du Regroupement Africain (PRA), aux côtés de ses compagnons de toujours, Abdoulaye Ly et Assane Seck, il demeura inébranlable face aux tentatives d’instrumentalisation politique et à l’attrait du pouvoir.
Le dernier engagement public de M’Bow fut la présidence des Assises nationales du Sénégal ainsi que celle de la Commission de réforme des institutions sénégalaises. En 2008, à l’âge de 87 ans, il accepta de présider l’initiative du Front Siggil Sénégal. Pendant près d’un an, cette démarche rassembla les principaux partis d’opposition au gouvernement du président Abdoulaye Wade, ainsi que des dizaines d’organisations, de responsables politiques, de membres de la société civile et d’acteurs de bonne volonté venus de tous horizons à travers le pays. M’Bow disposait de l’autorité morale et de la sagesse indispensables pour mener à bien un processus délicat, destiné à formuler des propositions en vue d’un modèle de gouvernance alternatif et inclusif. Hélas, il ne vécut pas pour voir la réalisation de la Charte de consensus.
Les années Unesco (1953-1987) : remise en question de l’ordre mondial
Le mandat de M’Bow en tant que directeur général de l’Unesco (1974-1987) demeure l’un des plus transformateurs de l’histoire de l’organisation. Premier noir et africain à diriger une agence des Nations unies, il bouleversa l’ordre établi en contestant, au nom du Sud global, l’hégémonie eurocentrée dans les domaines du savoir et des échanges culturels. Son plaidoyer en faveur du Nouvel ordre mondial de l’information et de la communication (NWICO) visait à contrer la domination des médias et des systèmes de communication occidentaux, œuvrant pour un flux d’informations plus équilibré à l’échelle mondiale. Cette initiative s’inscrivait dans un projet plus vaste de refonte des dynamiques de production des connaissances, affirmant la nécessité d’une diversité culturelle et d’une inclusion véritables.[1]
M’Bow a plaidé pour une réforme des systèmes éducatifs du monde entier, afin que les programmes reflètent la diversité de l’expérience humaine. Il fut un acteur majeur de la reconstruction et de la systématisation des histoires et des contributions culturelles africaines, œuvrant à leur affranchissement de la bibliothèque coloniale, du prisme anthropologique et des représentations racistes. Le projet Histoire générale de l’Afrique (HGA) illustre cette ambition : ses huit volumes restituent la richesse et la complexité du passé africain, rompant avec des siècles d’occultation et de distorsion. Dans les années 1960, 90 % de l’histoire enseignée dans les universités occidentales était, de manière disproportionnée, centrée sur cinq nations : la Grande-Bretagne, la France, l’Allemagne, l’Italie et les États-Unis tandis que l’histoire africaine était réduite à une annexe de récits des activites européennes en Afrique, exaltant les explorateurs, missionnaires et administrateurs coloniaux dans leur prétendue « mission civilisatrice ». Grâce au projet Histoire générale de l’Afrique, des trésors méconnus du génie créatif africain ont été mis en lumière : chefs-d’œuvre et artefacts témoignant de millénaires d’histoire florissante au sein d’États majeurs tels que Kush, Aksum, le Mali, Songhaï, le Grand Zimbabwe, le Royaume du Kongo, ainsi que dans d’autres formations politiques moins connues. M’Bow reconnaissait une vérité fondamentale : la connaissance est un levier d’émancipation.
Parmi les dernières volontés de M’Bow figurait la création d’une Fondation des savoirs endogènes. Tout au long de sa vie, il n’a cessé de plaider pour que les Africains et les peuples du Sud global se réapproprient leur histoire et s’appuient sur leurs propres récits pour façonner leur avenir. Ses idées et sa vision demeurent des principes fondamentaux qui guident le travail d’institutions telles que le CODESRIA, nourrissant leur engagement à la fois comme méthodologie et comme guide éthique.
La lutte pour l’équité
La vision d’Amadou-Mahtar M’Bow s’étend au-delà de la représentation culturelle pour s’inscrire dans une lutte plus large pour un accès équitable à la technologie et au savoir. Sa position sur le transfert de technologies était claire : il ne s’agissait pas d’aide ou d’assistance, mais d’accès équitable aux outils qui façonnent et transforment les sociétés. Il a très tôt reconnu que quiconque contrôlait la technologie contrôlait l’avenir et il a veillé à ce que les pays du Sud ne soient pas laissés pour compte dans cette course :
La technologie n’est ni le privilège de quelques nations ni un outil de domination. Elle doit être partagée équitablement, afin que tous les peuples puissent participer à la construction de leur avenir[2].
Il est important de noter que dans les années 1970, Henry Kissinger était occupé à commander des rapports visant à réduire la population africaine et à contrôler les ressources du continent. M’Bow a identifié les risques profonds d’une expansion technologique incontrôlée, son potentiel à saper les valeurs spirituelles et culturelles qui constituent le fondement des sociétés. Il se méfiait du monopole occidental sur la technologie et de son utilisation comme outil de renforcement des structures de pouvoir existantes. Son plaidoyer ne portait pas uniquement sur les connaissances techniques, mais également sur la garantie que la technologie servirait à améliorer la dignité humaine, plutôt qu’à l’éroder.
M’Bow estimait que l’histoire et les contributions des nations non occidentales, en particulier celles de l’Afrique, avaient été systématiquement reléguées à l’arrière-plan. Son plaidoyer en faveur du rapatriement des objets culturels spoliés durant la colonisation revêtait une portée révolutionnaire. Dans un discours historique prononcé en 1978, il affirmait que ces objets n’étaient pas uniquement des œuvres d’art ; mais constituaient des éléments essentiels de l’identité et de la conscience historique des nations auxquelles ils avaient été arrachés :
La restitution de biens culturels aux pays auxquels ils ont été confisqués ne se résume pas à la restitution d’objets matériels ; il s’agit de rendre l’histoire et l’identité à des peuples qui ont été privés de leur passé[3].
La pensée politique de M’Bow
Comment M’Bow appréhendait-il les défis auxquels l’Afrique fut confrontée à l’issue de la colonisation ? À l’instar de figures éminentes telles que Cheikh Anta Diop et Kwame Nkrumah, il nourrissait la conviction qu’au-delà de sa diversité, un lien essentiel unissait le continent, ancré dans une histoire et des aspirations communes.
Les traditions intellectuelles de l’Afrique sont riches et diverses, profondément enracinées dans les philosophies de l’interdépendance, de l’humanisme et de l’équilibre. Il ne s’agit pas simplement d’idées du passé, mais de cadres puissants pour relever les défis actuels du développement, de la gouvernance et de la paix[4].
Ces intellectuels ont compris que l’ère postcoloniale exigeait une redéfinition de l’identité africaine, fondée sur la valorisation de son histoire et de son patrimoine culturel, tout en déconstruisant les stéréotypes persistants hérités des récits coloniaux. Leur vision de l’Afrique reposait sur l’idée d’une unité dans la diversité, prônant une identité collective qui célèbre la richesse de ses cultures et traditions. M’Bow et Diop ont dénoncé les structures néocoloniales perpétuant l’asservissement du continent, insistant sur l’impératif d’autonomie, d’autosuffisance économique et d’émancipation éducative. Ils aspiraient à une Afrique souveraine, capable de réaffirmer sa place sur la scène mondiale, tout en cultivant un esprit de solidarité et de coopération entre ses nations dans la construction d’un avenir prospère affranchi de toute domination extérieure.
M’Bow a brisé un tabou majeur à une époque où les Africains, bien que formellement intégrés aux institutions et aux mécanismes de gouvernance multilatérale après les indépendances, évoluaient encore dans une temporalité décentrée. Dans l’espace impérial, la parole d’un Africain ne pouvait être perçue que comme subversive, toute idée de réciprocité étant d’emblée écartée. Sa critique, d’une grande acuité, a mis en lumière la persistance de la spoliation des ressources culturelles et matérielles de l’Afrique et du Sud global. Il a démontré que le colonialisme n’a pas seulement facilité l’extraction de la main-d’œuvre, mais aussi l’appropriation des richesses culturelles et immatérielles, consolidant ainsi les récits de supériorité civilisationnelle européenne et occidentale. Cette spoliation se manifeste encore aujourd’hui à travers les archives, les artefacts et le patrimoine culturel conservés dans les institutions culturelles et académiques européennes.
Peu de gens auront vécu une vie aussi longue, aussi exaltante et aussi marquante que celle de M’Bow, une existence jalonnée d’événements historiques majeurs. Il nourrissait une soif insatiable de savoir, alimentée par son immersion précoce dans les traditions intellectuelles soufies et par sa conviction que l’histoire africaine était un trésor à dévoiler. L’engagement de M’Bow à découvrir et à partager cette richesse de connaissances a profondément marqué ses contributions au monde, faisant de lui une figure emblématique dans le débat sur le patrimoine multidimensionnel africain.
Selon son gendre, Amadou Kane, l’un des derniers souhaits de M’Bow était que sa prière mortuaire ait lieu à la mosquée omarienne de Dakar, où il avait été baptisé en 1921. Si cela n’était pas possible, il voulait, au moins, que son corps passe par ce lieu. Le lien de M’Bow avec les traditions soufies était profond, enraciné dans son histoire familiale. Il était l’héritier intellectuel d’une riche tapisserie de pensée, tissée à travers les siècles et les continents, reliant l’Afrique au monde arabe, à l’Europe, à l’Asie et aux Amériques, nourrie par des influences allant de Cheikh Ahmed Tidjani à Omar Tal, d’Ibn Rushd à Montesquieu. Son éducation lui avait inculqué des valeurs profondément ancrées, façonnées par l’éducation et la culture.
La position de M’Bow était sans équivoque : la culture n’est ni un luxe ni un divertissement, et les Africains n’ont jamais existé en dehors du monde, ou dans un « monde extérieur » (Außenwelt, au sens schmittien du terme). Sa critique du cadre déséquilibré de l’accès à l’information et à la technologie et donc au savoir soulevait des questions plus profondes sur un universalisme fondé sur une hiérarchie des cultures et des civilisations. Il estimait que la capacité humaine à créer et à penser était répartie de manière égale, inistant sur l’importance d’un accès équitable pour tous. Pour M’Bow, la réalisation de l’idéal universel exigeait des échanges culturels, qui ne pouvaient être réalisés qu’en rééquilibrant l’accès au savoir et à l’information. Cependant, l’Afrique se voyait systématiquement privée de sa contribution légitime à cet effort collectif. Par conséquent, les acteurs africains saisissaient pleinement l’élan qui les incitait à remettre en question leurs conditions sociales et à repenser les bases de leur engagement avec l’Occident.
M’Bow a activement participé aux débats mondiaux sur la technologie, à l’Onu notamment sur le transfert de technologies. Il a plaidé pour le renforcement du travail et de la mission de la Cnuced, une organisation intergouvernementale dédiée à la défense des intérêts commerciaux du monde en développement. Il critiquait un système où le contrôle technologique était concentré entre les mains de quelques acteurs, leur permettant de concevoir et d'imposer une vision du monde commune à tous. Ses préoccupations, toujours d’actualité, touchaient des questions fondamentales: qui détient le pouvoir sur la technologie ? À quoi ressemblerait l’ordre mondial si l’Afrique en était exclue ?
L’idée selon laquelle la contribution d’intellectuels africains comme M’Bow a été marginalisée ou invisibilisée découle en grande partie de la manière dont nous avons souvent perçu la nature du savoir provenant d’Afrique. Le manque de reconnaissance de ces contributions témoigne d’un problème plus vaste de limitation des perspectives sur la pensée africaine. M’Bow a grandi et a été éduqué à la croisée de diverses cultures et traditions intellectuelles à l’aube d’un monde qui émergeait du contexte colonial. Son envergure intellectuelle démontre la créativité et l’adaptabilité avec lesquelles les Africains ont toujours répondu aux défis de leur temps. En somme, M’Bow incarne l'intellectuel dans sa forme la plus complète.
Avec le décès de M’Bow, nous perdons l’un des penseurs et acteurs politiques les plus influents du XXe siècle. Son immense curiosité intellectuelle, son esprit ambitieux et son profond humanisme se reflètent dans son œuvre prolifique.[5]
En intervenant dans les débats mondiaux à une époque où les voix africaines en étaient souvent exclues, des penseurs comme M’Bow ont affirmé un principe de parité intellectuelle. En effet, la simple présence de la pensée africaine dans le domaine public était considérée comme intrinsèquement subversive. L’engagement et l’intégrité inébranlables de M’Bow lui ont permis de remettre en question et de renverser des structures d’oppression bien ancrées, révélant des possibilités qui avaient longtemps été occultées.
En résumé, les contributions intellectuelles de M’Bow ont été profondément imprégnées par son identité à multiples facettes — sénégalais, africain, musulman et citoyen du monde. Son insatiable curiosité et sa résilience morale ont guidé son engagement dans la gouvernance mondiale et la politique africaine. Il est resté ferme dans ses principes, inflexible face aux défis. M’Bow était, en effet, l’arc qui demeura toujours droit.
A.-M. M’Bow était une légende vivante. Nous avons perdu une figure rassurante, une passerelle entre le XXe et le XXIe siècle. Cependant, alors qu’il rejoint le monde des ancêtres, nous sommes enrichis par son héritage de sagesse, de courage et de force morale. À une époque où l’Afrique semble avoir perdu son initiative souveraine et sa vision géopolitique, où tous les acteurs majeurs, à l’exception de l’Afrique elle-même, semblent avoir un projet pour le continent, que sa mémoire nous guide vers l’autodétermination, l’unité et un sens renouvelé de notre mission.
Notes
[1] Voir le rapport MacBride, connu sous le nom de « Plusieurs voix, un seul monde : vers un nouvel ordre mondial de l’information et de la communication plus juste et plus efficace », commandé par l’Unesco. https://unesdoc.unesco.org/ark:/48223/pf0000372754
[2] Discours sur la technologie et le développement global, 1982.
[3] A.-M. M’Bow, 1978, “A Plea For The Return Of An Irreplaceable Cultural Heritage To Those Who Created It: An Appeal par Mr. Amadou-Mahtar M'Bow, irector General of UNESCO”, The UNESCO Courier: a window open on the world, XXXI, 7, p. 4-5, illus.
– 1974, ‘Enquête préliminaire sur le village de Gaya, et les villages de Sénoudébou et Dembakané, 1955– 1956’, L’UNESCO et l’avenir. Paris : UNESCO.
– 1976, Le monde en devenir (réflexions sur le nouvel ordre économique international), Paris : UNESCO.
– 1977, L’UNESCO et la solidarité des nations—L’esprit de Nairobi. Paris :UNESCO.
– 1979, L’UNESCO et la solidarité des nations—De la concertation au consensus. Paris : UNESCO.
– 1981, L’UNESCO et la solidarité des nations—Entreprendre l’avenir. Paris : UNESCO.
– 1982, Le Temps des Peuples, Paris : Editions Laffont Paris.
– 1982, Aux Sources du Futur. Paris : UNESCO.
– 1984, Choisir L’Espoir, Paris : UNESCO.
– 1986, L’UNESCO: universalité et coopération internationale. Paris : UNESCO.
Amadou-Mahtar M’Bow passed away at the age of 103, leaving behind a legacy defined by his desire for a just and equitable world. He will be remembered for his commitments to knowledge and multilateralism, and to diplomacy as both a condition of freedom and a necessary instrument of a better future. First as Minister of Education in Senegal and then as Director-General of UNESCO, M’Bow championed causes and laid agendas for the twentieth century. These included the necessity for human connection through access to the means of information and related technologies; the relatability of the universal to the collective human heritage; and the restitution to Africa of its history and its recognition as an essential component of the human trajectory. Underneath it all, M’Bow had an unwavering attachment to a humanistic ethos of solicitousness, engagement, inclusion and respect for the other.
Today, the term ‘visionary leadership’ is often overused. However, few twentieth-century figures embody it as fully as A-M M’Bow. His life followed an extraordinary trajectory, shaped by an early understanding that he was part of something far greater than himself. He came of age in an era when idealism was not the object of scorn it often is today. The world had emerged from two successive world wars, instigated by those who professed to possess the means for human salvation. These so-called saviors were subjugating vast colonial populations, all while proclaiming themselves champions of freedom. The two world wars revealed the irony of the pretence that the world contained knowing masters and unknowing subjects. To extricate themselves from the associated dilemmas, individuals, peoples, and both established and emerging states—especially those who had long wielded power pledged themselves to a new world order: one that aspired to universality, justice, and equity.
For some former ‘masters of the world’, this professed commitment was often an exercise in cynicism, designed to maintain their ascendency over others in new guises. But for the likes of M’Bow, the new world offered new possibilities to be defended, protected and nurtured. His lifelong mission became to ensure that the voices, knowledge and contributions of marginalised and developing nations were recognised, preserved and allowed to flourish on the global stage. This was grounded in the belief that human potential and creativity are universally distributed and no single nation or group holds a monopoly on knowledge. His ethos was deeply humanistic.
A Prolific Career
Many wonder how a figure like M’Bow could emerge in the context of colonial and postcolonial Africa. What informed his encyclopedic knowledge, his worldliness and his incisive understanding of historical stakes? M’Bow was not only a scholar and teacher but also a civil servant, a war veteran and a trainee pilot. He fought in World War II in France and North Africa and served in the French air force, where he was involved with the Free French Forces.
M’Bow was a political actor who was active in anticolonial movements and in the postcolonial history of Senegal. He held several positions in Senegal, including serving twice as minister of education. He also served as President of the Pan-African Archaeological Association from 1967 to 1971. M’bow was the founder of the famous Federation of African Students in France, which was very active in the anticolonial struggle. M’Bow was the last standing pillar of the triumvirate that co-founded the PRA (Parti du regroupement africain), which included his lifelong companions Abdoulaye Ly and Assane Seck. He resisted political intoxication and cooptation and he did not succumb to the allure of power.
M’Bow’s last public engagement was to chair the Assises nationales du Senegal—Senegal’s national dialogue—as well as the Commission on the reform of Senegal’s institutions. In 2008, at the age of eighty-seven, he agreed to preside over the initiative led by the Siggil Senegal Front, which for nearly a year brought together the main parties in opposition to President Abdoulaye Wade’s government and dozens of various organisations across the whole country. M’Bow commanded the moral authority and the wisdom to mediate a strained process that was meant to generate propositions for an alternative and inclusive model of governance. He did not live to see the fulfillment of the Consensus Charter he managed to spearhead by bringing together politicians, civil society and people of good will from all walks of life.
The UNESCO Years (1953–1987): Challenging the Global Order
M’Bow’s tenure as Director-General of UNESCO (1974–1987) stands out as one of the most transformative in the organisation’s history. He was the first Black and African person to lead a United Nations agency, and during his time M’Bow shook the established order by challenging Eurocentric dominance in knowledge and cultural exchange on behalf of the Global South. His advocacy for the New World Information and Communication Order (NWICO) aimed to counter the dominance of Western media and communication systems and ensure a more equitable global flow of information. This initiative exemplified his broader effort to redefine global knowledge production, emphasising cultural diversity and inclusivity.[2]
M’Bow advocated for reform in educational systems worldwide, ensuring that curricula reflected the global diversity of human experience. He spearheaded efforts to reconstruct and systematise African histories and cultural contributions and to free them from the colonial library, the anthropological account and racist gaze. The General History of Africa (GHA) project is a testament to this mission—comprising eight volumes that reflect Africa’s rich and complex history. In the 1960s, 90 per cent of the history that was taught in Western universities was disproportionately centred on five countries—Britain, France, Germany, Italy and the United States. African history was reduced to accounts about European activities in Africa, the trials and triumphs of explorers, missionaries and colonial administrators in the ‘civilising mission’. The General History of Africa project helped uncover masterpieces and artifacts of creative genius that reflect millennia of rich history across significant polities such as Kush, Aksum, Mali, Songhai, Great Zimbabwe and the Kingdom of Kongo, as well as lesser-known political formations. M’Bow recognised a fundamental truth: knowledge is a means to emancipation.
His last will included the establishment of a Foundation of Endogenous Knowledges. Throughout his life, he tirelessly advocated for Africans and people of the Global South to reclaim and rely on their history and their own narratives. M’Bow’s insights and vision remain foundational principles guiding the work of institutions like CODESRIA, shaping both their methodology and ethical framework.
The Fight for Equity
Amadou-Mahtar M’Bow’s vision extended beyond cultural representation to a broader fight for equitable access to technology and knowledge. His stance on the transfer of technology was clear: it was not about aid or assistance but about equitable access to the tools that shape and transform societies. He recognised early on that whoever controlled technology controlled the future and he sought to ensure that the Global South was not left behind in this race:
Technology is not the privilege of a few nations, nor should it be a tool of domination. It must be shared equitably, so that all peoples can partake in the shaping of their futures.[3]
It is important to note that the 1970s was a time when Henry Kissinger was busy commissioning reports aimed at reducing African populations and controlling the continent’s resources. M’Bow identified the deeper risks posed by unchecked technological expansion—its potential to undermine the spiritual and cultural values that form the bedrock of societies. He was wary of Western monopoly over technology and its use as a tool to reinforce existing power structures. His advocacy was about not just technical knowledge but ensuring that technology could be used to enhance human dignity, rather than erode it.
M’Bow believed that the histories and contributions of non-Western nations, particularly Africa, had been systematically suppressed. His call for the repatriation of cultural artifacts looted during colonialism was groundbreaking. In a historic speech in 1978,[4] he argued that these objects were not just art but essential elements of identity and historical consciousness for the nations from which they were taken:
The restitution of cultural property to the countries from which it was taken is not simply a matter of restoring material objects; it is about returning history and identity to peoples who have been deprived of their past.
M’Bow’s Political Thought
How did M’Bow perceive the challenges that Africa faced in the wake of colonisation? What he shared in common with other prominent figures of the time, such as Cheikh Anta Diop and Kwame Nkrumah, was the belief that there was something fundamental that connected all of us in our diversity.
The intellectual traditions of Africa are rich and diverse, deeply rooted in the philosophies of interconnectedness, humanism and balance. These are not simply ideas from the past but powerful frameworks for addressing today’s challenges of development, governance and peace.[5]
These intellectuals understood that the postcolonial era necessitated a re-evaluation of African identity, that they emphasised the continent’s rich history and cultural heritage while rejecting the lingering stereotypes imposed by colonial narratives. Their vision for Africa encompassed the idea of unity amidst diversity, advocating for a collective identity that celebrated the myriad cultures and traditions of the continent. Both M’Bow and Diop critiqued the neocolonial structures that continued to impede Africa’s progress; they insisted on the need for autonomy, economic self-sufficiency and educational empowerment. They envisioned an Africa that could reclaim its agency, fostering a sense of solidarity and collaboration among its nations to build a prosperous future free from external domination.
M’Bow broke a significant taboo at a time when Africans still operated within a configuration of time that was devolved, despite having been ‘admitted’ into institutions and spaces of multilateral governance following independence. Across the imperial space, the utterance of an African could only be seen as subversive, as the very assumption of reciprocity itself was suspended. M’Bow’s critique was profound; he illuminated the ongoing continuities in the extraction of cultural and physical resources from Africa and the Global South. He argued that colonialism not only facilitated the extraction of labour but also enabled the appropriation of cultural and immaterial resources, thereby perpetuating narratives of European and Western civilisational superiority. This extraction is evident in the archives, artifacts and cultural heritage that remain withheld in European knowledge and cultural institutions.
Few have lived a life as long, as exhilarating and as impactful as M’bow’s, encompassing significant historical events. He possessed an insatiable thirst for knowledge, heightened by his early exposure to Sufi intellectual traditions and the belief that African history was a treasure trove waiting to be explored. M’Bow’s commitment to uncovering and sharing this wealth of knowledge shaped his profound contributions to the world, making him a pivotal figure in the discourse surrounding African multidimensional heritage.
According to his son-in-law, Amadou Kane, one of M’Bow’s last wishes was for his mortuary prayer to be held at the Umarian Mosque in Dakar, where he was baptised in 1921. If this was not possible, he wanted his body at least to be taken past it. M’Bow’s connection to Sufi traditions ran deep, rooted in his family history. He was the intellectual heir to a rich tapestry of thought, spanning centuries and continents, linking Africa to the Arab world, Europe, Asia and the Americas, with influences ranging from Cheikh Ahmed Tidjani to Umar Tal, from Ibn Rushd to Montesquieu. His upbringing instilled in him deeply held values, shaped by education and culture.
M’Bow’s stance was unequivocal: culture was neither a luxury nor mere entertainment and Africans had never existed outside of the world or in a ‘world-outside’ (Außenwelt, in the Schmittian sense). His critique of the imbalanced framework of access to information and technology—and thus to knowledge—raised deeper questions about a universalism predicated on a hierarchy of cultures and civilisations. He believed that the human ability to create and think is evenly distributed, hence the importance of equitable access for all. For M’Bow, the realisation of the universal ideal required cultural exchange, which could be achieved only by rebalancing access to knowledge and information. Yet Africa was being denied its rightful contribution to this endeavour. Consequently, African actors keenly understood the nature of the impetus driving them to challenge their social conditions by reshaping the terms of engagement with the West.
M’Bow engaged with the global discourse on technology, notably in UN debates on technology transfer. He was in support of strengthening the work and mission of UN Trade and Development (UNCTAD), an intergovernmental organisation dedicated to defending the trade interests of the developing world. He was critical of a system that concentrated technological control in the hands of a few and allowed them to engineer life and shape meaning for everybody. His concerns centred on questions that remain relevant today: Who controls technology? What would the world order look like if Africa were excluded?
The idea that the contribution of African intellectuals like M’Bow have been margnalised or invisibilised stems largely from how we have often thought about the nature of knowledge coming out of Africa. The lack of engagement with such contributions speaks to a broader issue of limiting perspectives on African thought. M’Bow grew up and was educated at the intersection of diverse cultures and intellectual traditions at the dawn of the world that was coming out of the colonial script. His intellectual breadth demonstrates the creativity and adaptability with which Africans have always responded to the challenges of their time. In short, M’Bow was an intellectual in the fullest sense of the word.
With the passing of M’Bow, we have lost one of the most influential thinkers and political actors of the twentieth century. His immense intellectual curiosity, aspirational spirit and deep humanism are reflected in his prolific body of work.[6]
By intervening in global debates at a time when African voices were often excluded, thinkers like M’Bow asserted a principle of intellectual parity. For the very presence of African thought in the public domain was seen as inherently disruptive. M’Bow’s unwavering commitment and integrity allowed him to challenge and reverse entrenched structures of oppression, revealing possibilities that had long been obscured.
In summary, M’Bow’s intellectual contributions were profoundly shaped by his multilayered identity—as a Senegalese, an African, a Muslim and a global citizen. His insatiable curiosity and moral resilience guided his involvement in global governance and African politics. He stood firm in his principles, unyielding in the face of challenges. M’Bow was, indeed, the bow that was never bent.
A-M M’Bow was a living legend. We have lost a reassuring figure who bridged the twentieth and twenty-first centuries. Yet, as he transitions to the realm of ancestorhood, we are enriched by his legacy of wisdom, courage and moral fortitude. At a time when Africa seems to have lost sovereign initiative and geopolitical vision, when every major actor but Africa itself seems to have a vision for the continent, may his memory guide us back to self-determination, unity and a renewed sense of purpose.
Notes
[1] First published on March 24, 2025 in the CODESRIA Bulletin (CODESRIA Bulletin, Nos 5&6, 2024 , pp.27-30)
[2] See the MacBride Report, a popular name for ‘Many Voices, One World: Towards a New More Just and More Efficient World Information and Communication Order’,commissioned by UNESCO. https://unesdoc.unesco.org/ark:/48223/pf0000372754
[3] Speech on Technology and Global Development, 1982.
– 1974, ‘Enquête préliminaire sur le village de Gaya, et les villages de Sénoudébou et Dembakané, 1955– 1956’, L’UNESCO et l’avenir. Paris : UNESCO.
– 1976, Le monde en devenir (réflexions sur le nouvel ordre économique international), Paris : UNESCO.
– 1977, L’UNESCO et la solidarité des nations—L’esprit de Nairobi. Paris :UNESCO.
– 1979, L’UNESCO et la solidarité des nations—De la concertation au consensus. Paris : UNESCO.
– 1981, L’UNESCO et la solidarité des nations—Entreprendre l’avenir. Paris : UNESCO.
– 1982, Le Temps des Peuples, Paris : Editions Laffont Paris.
– 1982, Aux Sources du Futur. Paris : UNESCO.
– 1984, Choisir L’Espoir, Paris : UNESCO.
– 1986, L’UNESCO: universalité et coopération internationale. Paris : UNESCO.
PAR MATEL BOCOUM
CROISSANT… DE MARS
"Il peut rapprocher autour d’une théière et agrémenter des échanges, tout le contraire du croissant lunaire. Celui-ci est toujours au menu de discussions au début et à la fin de chaque ramadan."
Après la célébration de l’Eid communément appelé, sous nos cieux, fête de la Korité, les fidèles musulmans renouent, dans notre pays, avec les trois repas du jour. Nombreux sont ceux qui étaient pressés de déguster un bon croissant chaud au petit matin après un mois de jeûne.
Ils semblent respirer une bouffée d’air frais malgré les bienfaits thérapeutiques du mois sacré qui permet aussi, selon les exégètes, de se départir de certaines aspérités comme l’orgueil, la suffisance et de cultiver le sens du partage et du pardon. Dans un monde globalisé, le croissant est bien au menu au petit déjeuner même s’il n’arrive pas à supplanter des aliments traditionnels qui résistent à l’usure du temps. C’est le cas du bogobe, cette bouillie épaisse à base de farine, très prisée au Botswana, ou encore des ignames ou manioc très nutritifs en Guinée, pour ne citer que ceux-là. Toutefois, même s’il n’est pas riche en nutriments, le croissant est de plus en plus prisé dans plusieurs pays du monde à l’image du pain. Il est apprécié de partout et illumine les visages quand il est servi avec du bon café chaud. Il peut rapprocher autour d’une théière et agrémenter des échanges, tout le contraire du croissant lunaire.
Celui-ci est toujours au menu de discussions au début et à la fin de chaque ramadan. Il est parfois au cœur de sujet de dissensions. Chaque fois qu’il réapparaît, il intensifie son attraction, laissant souvent les musulmans sénégalais sur leur faim. L’observation du croissant lunaire, condition de la fixation du mois de ramadan, n’a pas permis d’harmoniser des positions dans certaines régions du monde islamique. À travers une analyse détaillée et profonde de la situation, des sociologues comme Moustapha Wone mettent en évidence cette nécessité de toujours relativiser. Il est question de faire en sorte que ce croissant lunaire, pas du tout savoureux, ne crée pas des germes de division. Pour lui, comme pour d’autres, tout est une question de croyances, d’habitude ou de conviction. Si dans notre pays, il n’est pas encore facile de célébrer la fête de Korité à la même date, chaque partie essaie d’avancer des raisons valables pour justifier la légitimité de son croissant lunaire. Certains s’appuient sur la tradition prophétique et essaient de la perpétuer en s’alignant sur La Mecque.
Une posture remise en question par ceux qui évoquent une différence du fuseau horaire et de l’espace géographique. Ils considèrent que pour obéir à cette logique, il faudrait commencer par s’acquitter des 5 prières quotidiennes au même moment que La Mecque. D’autres convoqueraient une tradition bien de chez nous et agiraient par solidarité locale ou parentale. Toujours est-il que pour des sociologiques, cette diversité de posture ne découle pas d’une absence de foi ou de volonté de s’unir autour de l’essentiel. Elle exige simplement une mise à niveau ou remise à niveau, quitte à engager des concertations avec toutes les parties concernées.
Tous reconnaissent qu’elle est bien lointaine l’époque où l’horizon ne dépassait pas les frontières du village ou du terroir. Même si tous ne semblent pas vibrer sur les mêmes fréquences, la position des fidèles musulmans n’est pas motivée par une désolidarité religieuse ou nationale selon les sociologies. Une différence de références est à l’origine de cette mésentente. Ce qui laisse croire que le croissant lunaire est apprécié à l’aune de la solidarité parentale ou territoriale. En tout cas, malgré des positions divergentes, le rêve est permis d’éliminer les influences négatives liées à l’apparition du croissant lunaire et de croire qu’une fête à l’unisson ne relève guère d’un poisson d’avril. Le recours à l’astronomie a permis d’enterrer des démons de la division… qui surgissent à l’ombre du mois lunaire
PAR SIDY DIOP
LES AFFAIRES SONT LES AFFAIRES
Un logisticien de 25 ans qui donne 67 millions à un marabout pour booster sa réussite… Voilà un chef d’entreprise qui sait investir. La technique du marabout était simple : « Des forces occultes bloquent ta réussite, mais je peux t’aider. »
Un logisticien de 25 ans qui donne 67 millions à un marabout pour booster sa réussite… Voilà un chef d’entreprise qui sait investir. La technique du marabout était simple : « Des forces occultes bloquent ta réussite, mais je peux t’aider. »
Ce qui, il faut le reconnaître, est plus vendeur que « J’ai bien peur que tu sois mauvais en affaires. » Chaque rituel coûtait une fortune, chaque hésitation était balayée par une menace de ruine ou de malédiction. En quelques mois, l’entrepreneur, pris dans cette spirale mystique, a lessivé ses comptes, emprunté à sa famille et ponctionné l’entreprise.
C’est là que frère et sœur, les vrais sauveurs de cette histoire, sont intervenus. Un signalement, une enquête, et voilà le charlatan pris à son propre jeu : un faux dernier paiement, un rendez-vous, et la police au bout du chèque. Résultat, une peine d’un an ferme est requise, avec remboursement des 67 millions et 5 millions de dommages et intérêts. Autrement dit, une tentative de restitution des fonds à leur propriétaire légitime. À condition, bien sûr, que l’argent ne se soit pas déjà évaporé… dans des sphères tout aussi occultes.
par Nioxor Tine
UNE TRANSITION COMPLEXE
La vocation d’un régime antisystème ou tout au moins son ambition, devrait être de verrouiller toutes les portes, qui pourraient rendre possible un retour en arrière, sur le plan de l’évolution politique de notre Nation
Le vote de la loi portant interprétation de la loi d’amnistie nº2024-09 du 13 mars 2024, en vue de la clarifier, a lieu, un an jour pour jour, après la passation de pouvoir entre l’ancien président Macky Sall et son remplaçant, M. Bassirou Diomaye Diakhar Faye. Cette coïncidence est non seulement symbolique, mais surtout révélatrice du grand malentendu, qui a prévalu, durant les douze derniers mois, entre les tenants de la continuité néocoloniale de Benno Bokk Yakaar et les cadres dirigeants de Pastef, chantres de la transformation systémique.
Il est vrai que le temps aura cruellement fait défaut. C’est ainsi, qu’entre le 24 mars 2024 qui a vu le duo Diomaye-Sonko s’emparer du gouvernail présidentiel et le 17 novembre 2024, date de l’avènement de la majorité parlementaire Pastef, il était difficile d’initier une quelconque réforme institutionnelle dans une Assemblée acquise à l’opposition. Pire, on a même pu noter une ferme volonté des parlementaires de l’ancien pouvoir du Benno-APR de déstabiliser le nouveau régime patriotique.
Politiquement défaits et électoralement désavoués, à deux reprises, par le verdict des urnes, la nouvelle opposition fait paradoxalement montre d’un activisme démesuré, d’autant plus indécent, que de multiples reproches peuvent leur être faits sur leur gestion cavalière de l’Etat, entre 2012 et 2024. La liste de leurs frasques, délits et crimes est si longue, que les magistrats de notre pays n’arrivent pas à les instruire dans des délais raisonnables, provoquant l’impatience voire l’ire des citoyens, qui trouvent les procédures judiciaires interminables. Cette lenteur est mise à profit par les délinquants à col blanc de l’ancien régime, incriminés, pour lancer des campagnes médiatiques et digitales manipulatrices, ininterrompues, en vue d’entraver le cours normal d’une Justice, elle-même malade, comme l’ont confirmé des Assises, qui lui ont été dédiées, du 28 mai au 4 juin 2024.
La vérité crue et amère est que l’institution judiciaire de notre pays a été maintenue dans un état de de vulnérabilité à divers lobbies (étatique, religieux, financiers…), qui l’a rendue impotente et incompétente, l’empêchant de dire véritablement le Droit. Ce n’est pas en quelques mois que ces vices peuvent être corrigés, d’où l’urgence de refonder la Justice.
Par ailleurs, l’ébullition, qui gagne le champ social et qui amène nos autorités à plaider pour la signature d’un pacte avec les partenaires sociaux, est la meilleure preuve du caractère superficiel des démocraties électorales, encore plus marqué sous nos cieux. Malgré des scores électoraux flatteurs et une majorité parlementaire confortable, les tares du fameux système persistent aux dépens des nouvelles autorités. Nous citerons l’hyper-présidentialisme (bridé momentanément par l’hypertrophie de la Primature), un parlement conservant encore une fonction d’enregistrement – fut-ce pour la bonne cause –, la primauté accordée aux droits civils et politiques par rapport à ceux sociaux et économiques, le maintien de lois liberticides, dans nos textes de lois.
La vocation d’un régime antisystème ou tout au moins son ambition, devrait être de verrouiller toutes les portes, qui pourraient rendre possible un retour en arrière, sur le plan de l’évolution politique de notre Nation.
Certes, la bonne foi de nos nouveaux gouvernants est perceptible à travers plusieurs actes posés, comme une reddition des comptes plus sincère que les précédentes, dénuée d’arrière-pensées politiciennes, davantage de courage politique dans la question foncière, la dénonciation des accords de pêche, le congédiement des troupes étrangères, la divulgation des entourloupes du précédent régime au niveau des finances publiques, une volonté affichée d’industrialisation et d’autosuffisance alimentaire…
Mais tout le monde connaît les limites de l’approche moralisatrice en politique, quand on sait que le chemin de l’enfer est pavé de bonnes intentions.
Dans le passé, les forces de gauche militaient pour une révolution nationale et Démocratique, à orientation socialiste avec distanciation vis-à-vis des paradigmes de l’économie libérale.
Dans l’étape actuelle de notre évolution politique, il faudrait que les forces se réclamant du progrès de l’humanité et de l’équité sociale, dont le camp patriotique, se donnent, à tout le moins, les moyens politiques de leurs nobles ambitions.
Cela passe par la mise en œuvre de mécanismes de démocratie participative, de mobilisation populaire et de co-construction citoyenne.
Il est important d’élargir les espaces d’expression citoyenne, de promouvoir les libertés et de libérer l’initiative militante au sein du camp patriotique, dont les membres doivent devenir de véritables sentinelles de la transformation systémique.
Halte aux emprisonnements intempestifs, aux délits d’opinions, se référant aux offenses aux chefs de l’Etat, aux troubles non avérés à l’ordre public… !
L’adoption d’une nouvelle Constitution par référendum est incontournable.
Il faut rassembler le maximum de forces intéressées autour d’un programme minimum commun et privilégier une délibération consensuelle et inclusive sur le devenir de nos Nations appelées, à plus ou moins brève échéance, à se fédérer.
PAR SAMBA OUMAR FALL
LA FOLIE DE LA CONSOMMATION
"Chez nous, le gaspillage que certains économistes conçoivent comme « la science de la satisfaction des besoins illimités à partir de ressources limitées » est souvent érigé en règle et il faut se rendre dans les maisons pendant le ramadan."
Le mois béni du ramadan, mois de l’acceptation, de la bienfaisance, de l’élévation, est parti comme il était venu. Le temps passe vraiment vite. Eh oui. Ça me rappelle une vieille chanson « L’heure fugitive » que l’on fredonnait sans relâche à l’élémentaire. « L’heure s’enfuit, fugitive elle passe, comme un oiseau dans les grands cieux Il faut marcher, il faut franchir l’espace. Car, notre temps est précieux… » …. Et bla-bla et bla-bla. Après un mois d’abstinence, c’est le bout du tunnel pour ceux qui ont prié dimanche ou lundi (nos parents chrétiens eux devront patienter encore). Rien n’est donc éternel pour qui sait être patient ; pas même trente jours de jeûne, de privation. De savoir que l’on n’aurait plus à s’abstenir de manger, de boire, de fumer, de calomnier ou encore de mentir entre l’aube et le crépuscule, a rendu certains visages radieux, rayonnants. Mais avons-nous passé cet examen avec brio ? Avons-nous vraiment réussi à faire pénitence et à purifier nos âmes en ce laps de temps ?
Ce sont autant de questions que l’on devrait se poser si l’on en croit l’imam de notre quartier, qui est revenu, hier, dans son sermon, sur les notions de bienveillance et de gaspillage. Parce que le Sénégalais qui sait être bienveillant à sa manière, est aussi un vrai expert dans l’art de gaspiller. Et le ramadan, pourtant censé nous épargner certaines dépenses, malmène nos bourses. Normal, quand chacun veut rattraper en quelques heures les trois repas perdus. Chez nous, le gaspillage que certains économistes conçoivent comme « la science de la satisfaction des besoins illimités à partir de ressources limitées » est souvent érigé en règle et il faut, pour s’en convaincre, se rendre dans les maisons pendant le ramadan. Le gaspillage atteint son paroxysme. On multiplie par deux voire trois la quantité de nourriture à préparer et jette plus de la moitié à la poubelle. Un énorme gâchis ! Et pendant les fêtes et autres cérémonies familiales, c’est encore pire. C’est la frénésie des achats, les excès de nourriture… Tous les moyens sont bons pour dépenser. Sans compter parfois.
Notre environnement social encourage le gaspillage. On assiste partout à une frénésie de consommation, une extravagance qui ne dit pas son nom. Normal quand l’argent est acquis facilement. Parfois, les gens éprouvés par la vantardise et incapables de dompter leurs âmes, s’adonnent à des dépenses débridées lors des fêtes et autres cérémonies familiales ; des événements qui dévorent des sommes colossales qui auraient pu servir dans des choses beaucoup plus utiles. Et le plus terrible, c’est qu’on en est arrivé à gaspiller, à jeter des quantités considérables de nourriture, alors que non loin de nous, des citoyens vivent dans une pauvreté chronique, n’arrivent pas à joindre les deux bouts et crèvent de faim. Nous gaspillons tout ce que nous possédons et ce n’est malheureusement que quand les puits sont à sec que nous connaissons la véritable valeur de l’eau.
Nous avons beau être aussi riches que Crésus, nos ressources ne sont pas inépuisables. Il nous revient d’en user intelligemment, tout en évitant de réduire notre consommation à un niveau assimilable à de l’avarice, de la cupidité. Car le Seigneur, dans la sourate Al Isra (Le voyage nocturne), à la sourate 29, avertit : « Ne porte pas ta main enchaînée à ton cou et ne l’étends pas non plus trop largement sinon tu te trouveras blâmé et chagriné ». Quand nos possessions nous démangent au point de ne pas savoir quoi en faire, il faut en faire profiter aux autres. Ainsi conseillait un vieux sage. Parce que la bonne utilisation de l’argent consiste à ce qu’il soit dépensé dans les nécessités envers soi, sa famille. Ou à en faire profiter aux plus nécessiteux qui n’ont pas reçu de Dieu les mêmes faveurs sur Terre.
Donner l’aumône n’a jamais appauvri personne puisqu’on donne toujours à la mesure de ses moyens. Si on a beaucoup, on donne beaucoup ; si on a peu, on donne peu, mais de bon cœur. L’aumône doit être désintéressée ; il ne faut pas attendre d’être sollicité pour aider ceux qui sont dans le besoin. En faisant l’aumône, on fait œuvre de miséricorde, rend le pauvre joyeux et irradie son cœur de joie. Dans un monde de compétition et en crise de bienveillance, la folie de la consommation ne doit pas guider nos actes. Il nous faut adopter de bonnes méthodes de consommation, car le Seigneur interdit formellement la prodigalité, le gaspillage. Chacun doit donc emprunter le chemin de la sobriété et de la modération dans ses dépenses, mais aussi être raisonnable et mesurer les choses selon le besoin.
Les belles feuilles de notre littérature par Amadou Elimane Kane
DE LA DÉCOLONISATION DE LA PENSÉE CRITIQUE AU RÉCIT AFRICAIN
EXCLUSIF SENEPLUS - Son essai, riche en références et en analyses, pose les bases d'une méthodologie qui intègre l'histoire, la cosmogonie et l'oralité comme pierres angulaires d'une lecture authentique de la littérature africaine
Notre patrimoine littéraire est un espace dense de créativité et de beauté. La littérature est un art qui trouve sa place dans une époque, un contexte historique, un espace culturel, tout en révélant des vérités cachées de la réalité. La littérature est une alchimie entre esthétique et idées. C’est par la littérature que nous construisons notre récit qui s’inscrit dans la mémoire. Ainsi, la littérature africaine existe par sa singularité, son histoire et sa narration particulière. Les belles feuilles de notre littérature ont pour vocation de nous donner rendez-vous avec les créateurs du verbe et de leurs œuvres qui entrent en fusion avec nos talents et nos intelligences.
L’essai littéraire, dans son acceptation traditionnelle, est un texte qui, par ses arguments, cherche à convaincre le lecteur. Pour cela, l’auteur utilise différents procédés qui enrichissent une réflexion, sans viser à divertir, et propose une vision nouvelle sur une problématique donnée, en structurant son propos et en l’appuyant d’exemples significatifs.
Cette démarche est véritablement à l'œuvre dans l’essai de Mamadou Kalidou Ba qui porte un titre enrichi de plusieurs paradigmes : Décoloniser la critique littéraire africaine - Nouvelles perspectives théoriques et critiques - Approche ontologique du texte africain.
Cette proposition est éminemment pertinente pour parvenir à une analyse approfondie et juste du texte littéraire africain, avec des entrées d'études qui tiennent compte des symboles et de l’imaginaire littéraires de la littérature africaine.
En effet, Mamadou Kalidou Ba, spécialiste de l’analyse littéraire africaine, s’attache à démontrer combien les référents culturels, l’empreinte sociale, les enjeux sociétaux et symboliques doivent être au centre de la critique littéraire, si l’on veut restituer, dans sa complexité, l’imaginaire littéraire africain qui s’inspire d’un réel historique, tout autant que de ses représentations structurelles.
Même si Mamadou Kalidou Ba prend le soin de préciser qu’il ne s’agit pas de circonscrire l’espace littéraire africain dans un carcan identitaire, il convient toutefois d’en faire un portrait qui prend sa source dans des archétypes qui sont définis par une expérience cognitive africaine.
Comme le souligne Aimé Césaire, cité par l’auteur dans son essai, la conception littéraire, au-delà de son universalité, est travaillée par ce qui est fondamental, ce sur quoi tout le reste s’édifie et peut s’édifier : le noyau dur et irréductible ; ce qui donne à un homme, à une culture, à une civilisation sa tournure propre, son style et son irréductible singularité.[1]
En effet, malgré ses déplacements géographiques liés à la migration choisie ou celle plus tragique de la traite et de l’esclavage, l’anthropologie africaine et ses spécificités possèdent un ancrage qui s’inscrit dans son parcours ontologique.
De plus, Mamadou Kalidou Ba souligne la mise en demeure idéologique qui incarne un négationnisme culturel, imposé par l’esclavage, la période coloniale et postcoloniale comme autant de simulacres d’un impérialisme de la pensée.
Et c’est ce qu’aujourd’hui les chercheurs, les intellectuels et les écrivains africains doivent non seulement combattre mais également transformer en essais qui relèvent d’une véritable analyse anthropologique et sociologique qui s’occupent, dans un mouvement pluriel, de la trajectoire africaine dans son histoire et dans son imaginaire.
Ainsi à travers son étude, Mamadou Kalidou Ba pose plusieurs problématiques pour recouvrir un nouveau paysage dans la critique littéraire africaine.
Il s’agit tout d’abord de se débarrasser de l’utilisation des logiques occidentales qui ne convoquent que des réflexions ethniques ou tribales, asservies à un phantasme irréel, qui sont des impasses culturelles et humaines. Il ne faut pas oublier l’impact de toutes les ruptures épistémologiques liées à l’imposition de langues et de croyances exogènes qui a perduré pendant plusieurs siècles.
En réalité, l’imaginaire africain possède des savoirs pluriels qui prennent leur racine dans un multilinguisme étonnant et créateur de récits et dans un passé à la didactique orale. De plus, la cosmogonie qui oeuvre dans la narration africaine est celle qui finalement est aux origines de la création du monde et de celle des humains. Cette empreinte culturelle puissante constitue un assemblage littéraire singulier qui métamorphose la mise en récit, la temporalité, l’imaginaire et la personnification de l’univers africain.
La critique littéraire moderne doit donc se situer à cette intersection, celle de l’intertextualité fondatrice et des spécificités ontologiques de la pensée africaine.
Tout comme, il faut retenir que la création littéraire africaine puise dans tous ses totems pour parvenir à des caractéristiques narratives originales qui s’entendent à la lumière d’une critique qui accepte toutes les tensions ne cherchant qu’à rompre avec l’ignorance.
Cette nouvelle ontologie de la critique littéraire africaine est une révélation indispensable à la poursuite de notre propre récit. Ainsi, l’histoire, la cosmogonie, les langues africaines, la culture de l’oralité deviennent des angles d’analyse, en somme à valeur pédagogique, pour éclairer les sources natives de la critique littéraire africaine.
Ainsi, l’essai, éminemment scientifique, historique et engagé, de Mamadou Kalidou Ba devient un ouvrage incontournable de la pensée critique littéraire africaine. Argumenté, illustré et référencé, il devient un opus indispensable à tous ceux qui travaillent sur la formation de la création littéraire et à ses analyses théoriques et méthodologiques. Cet ouvrage, qui pose une première pierre à notre pyramide métaphysique de la critique littéraire africaine, en appelle d’autres qui pourront encore embrasser toute la production littéraire africaine contemporaine.
Amadou Elimane Kane est écrivain, poète.
[1] Aimé Césaire, Discours sur le colonialisme, Paris, Présence Africaine, 1955, p. 89.
Les entreprises ferment et le pouvoir d’achat des ménages a littéralement fondu. Ce qui est paradoxal par contre, c’est de vouloir s’approprier les réalisations du pouvoir sortant tout en vouant aux gémonies les ex-dirigeants
Une bonne nouvelle pour les Sénégalais qui ressentent durement la difficile conjoncture économique. Serigne Guèye Diop, ministre de l’Industrie et du commerce, a présidé, ce jeudi 26 mars 2025, une réunion du Conseil national de la consommation, où il a annoncé une nouvelle baisse de 60 francs Cfa du prix du riz ordinaire. Au détail, le kilogramme passe de 410 à 350 F Cfa. La mesure sera officiellement entérinée par le président de la République, le 3 avril 2025. Il faut déjà dire que le cours mondial du riz a emprunté une courbe descendante depuis janvier 2024. De 660 dollars, le prix du riz est à 478 dollars la tonne au mois de février 2025, soit une diminution de 110 000 francs par tonne. C’est dire que cette baisse, qui est à saluer, ne saurait être mise au crédit des efforts de l’Etat en termes de subventions ou de renonciation à des taxes.
Cette bonne nouvelle arrive dans un contexte de polémique persistante suite à la publication du rapport de la Cour des comptes sur l’état des finances publiques de 2019 à 2023. En effet, la mission du Fmi, qui était très attendue, est restée dans le diplomatiquement correct. Ceux qui attendaient, dans le communiqué final, les termes «validation», «confirmation» ou même leurs synonymes, ont vite déchanté, car le Ptf s’est juste contenté de «constater», de «revoir» ou de «corriger» les «graves lacunes dans le contrôle budgétaire et la reddition des comptes, soulignant l’urgence de mettre en œuvre des réformes structurelles. La mission (du Fmi) a cherché à mieux cerner l’ampleur des écarts et les insuffisances juridiques, institutionnelles et procédurales qui les ont rendus possibles. Les discussions ont également porté sur l’identification de mesures correctrices pour améliorer la transparence budgétaire, renforcer le contrôle des finances publiques et la récurrence de telles pratiques». Tout au plus, le Fmi s’attend à «des réformes audacieuses et crédibles» pour un «retour rapide à l’objectif de déficit budgétaire fixé par l’Uemoa», mais surtout «placer la dette publique sur une trajectoire durablement décroissante». Et dans ce sens, des «mesures prioritaires (qui) incluent la rationalisation des exonérations fiscales et la suppression progressive des subventions énergétiques coûteuses et non ciblées» sont attendues, pour ne pas dire exigées.
«Dites-nous comment vous avez fait pour nous berner»
Et devant la demande des nouvelles autorités pour un nouveau programme appuyé par le Fmi, celui-ci se dit être «prêt à accompagner le Sénégal» à condition de tirer «les enseignements de l’audit (de la Cour des comptes) (...) Les discussions sur un éventuel nouveau programme débuteront dès que des mesures correctrices auront été engagées pour remédier aux déclarations erronées, et peu après l’examen du dossier par le Conseil d’administration du Fmi». En langage moins diplomatique, le Fmi dit aux autorités : «Si vous dites que les comptes sont maquillés, dites-nous comment vous avez fait pour nous berner. Et apportez les corrections sur vos supposées falsifications avant toute nouvelle collaboration selon nos conditions, c’est-à-dire la rationalisation des exonérations fiscales et la suppression progressive des subventions énergétiques coûteuses et non ciblées.» Donc le Fmi a indirectement rejeté les accusations de falsification de la dette et du déficit par Ousmane Sonko. Est-ce la raison pour laquelle Edward Gamayel et ses collègues ont été reçus par les plus hautes autorités, sauf le Premier ministre ? En tout cas, le communiqué du Fmi ne l’a pas cité parmi ceux qui ont eu des échanges avec son équipe. «Au cours de sa visite, l’équipe a rencontré Son Excellence M. Bassirou Diomaye Faye, président de la République, M. Ousmane Diagne, ministre de la Justice, M. Abdourahmane Sarr, ministre de l’Economie, du plan et de la coopération, M. Cheikh Diba, ministre des Finances et du budget, ainsi que plusieurs hauts responsables de l’Administration. L’équipe a également eu des échanges fructueux avec des représentants des syndicats, de la Société civile et des partenaires au développement.» C’était bien l’une des très rares fois depuis l’histoire de la coopération avec les institutions de Bretton Woods, que le chef du gouvernement n’a pas daigné recevoir une mission du Fonds, surtout dans un contexte aussi sensible !
La réputation ternie du Sénégal
Et suite à la mission du Fmi, Jeune Afrique informe que les eurobonds sénégalais échéant en 2048 ont enregistré une décote de 35% à la Bourse de Londres, avec des taux d’intérêt grimpant à près de 15%, un record historique pour le pays. Un taux presque usurier qui témoigne que le Sénégal poursuit inexorablement sa descente aux enfers dans les méandres de la finance internationale.
C’est vraiment dommage pour le Sénégal. Pourtant, ce pouvoir a hérité d’une situation extraordinairement favorable, marquée par une alternance démocratique largement saluée à l’échelle internationale. Il disposait ainsi d’un capital diplomatique exceptionnel qu’il aurait pu exploiter intelligemment pour «vendre» une nouvelle image du pays, renforcer sa visibilité sur la scène internationale et attirer davantage d’investissements et de partenariats stratégiques. Malheureusement, Pastef n’a pas su capitaliser sur ces atouts comparatifs pour impulser une dynamique positive à leur gouvernance. Ce manque de vision stratégique à l’international est d’autant plus regrettable que le contexte était propice à un repositionnement ambitieux du Sénégal dans le concert des nations.
En lieu et place de cela, ce pouvoir a préféré se lancer dans une entreprise de dénigrement du pouvoir sortant, qui a eu comme conséquence la réputation ternie du Sénégal. L’on a sorti cette histoire de «dette cachée» reprise par les médias internationaux (Rfi et France 24) qui ne se sont pas posé les questions essentielles : comment a-t-on pu cacher 7 milliards de dollars, soit près de 5 mille milliards de francs Cfa dont les créanciers existent ? Dont le remboursement est effectif ? Et dont les montants sont traçables dans des comptes à la disposition de tous les corps de contrôle ? Qui dit dette, dit débiteur et créancier. Donc qui sont ces créaciers qui ont bien voulu se cacher ?
Une dette «cachée» de 5000 milliards est en réalité bien traçable
En septembre dernier, dans notre chronique «Sonko n’aime pas le Sénégal», nous disions : «Ce gouvernement, à commencer par son chef, se doit d’être plus sérieux. Il ne faut pas mettre la politique politicienne trop en avant, au risque de nuire à la crédibilité du Sénégal, avec des répercussions immédiates sur la notation du pays et sur les taux d’intérêt.» Le temps semble nous donner raison car cette polémique montre que le 26 septembre 2024, quand Ousmane Sonko faisait face à la presse pour accuser le pouvoir sortant d’avoir menti sur les chiffres, il mettait sciemment en danger la souveraineté nationale, de par ses accusations sans fondements qui ont eu le don de ruiner la signature, le crédit et le prestige du Sénégal.
Le Fmi sait très bien que la dette supposée «cachée», qui s’élève à environ 5000 milliards, est en réalité bien traçable dans les livres du secteur parapublic, comme la Sar, Petrosen, le Port autonome de Dakar, à l’Aibd, à Air Sénégal ou à la Senelec, entre autres… Elle s’appelle la dette du secteur parapublic ou «quasi-dette de l’Etat» qui n’a servi que de garantie. D’ailleurs, cette dette n’est pas traçable au Trésor. Mais l’organisme semble profiter du jeu du Premier ministre pour mettre enfin la pression sur le régime et imposer son agenda avec ses conditions draconiennes. Le Sénégal se retrouve désormais à la merci du Fmi, avec des conséquences sociales graves pour les populations. Avec l’abaissement de la note souveraine, la suppression annoncée des subventions et l’ajustement structurel qui se profile à l’horizon, le Sénégal se retrouve dos au mur. Sa crédibilité et sa signature en prennent un sacré coup. Dénigrer Macky Sall et son régime en valait-il la peine ? «Moi, je ne suis pas sûr que les Chinois, les Américains, les Français, les Arabes, les Japonais ou les Russes dévoilent les vrais chiffres de leur économie. Ni qu’Orange ou Microsoft publient leurs chiffres réels. Comment un Premier ministre ou un chef d’Etat peut-il flinguer la crédibilité de son propre pays sur la scène internationale juste pour régler des comptes politiques ? On s’est tiré une balle dans le pied ! Je ne comprends pas. Partout dans le monde, les dirigeants se battent pour rendre leur pays attractif. Si le Premier ministre avait dit : «on revient à l’orthodoxie financière», personne n’aurait été contre, mais il faut des actes concrets derrière. Or, qu’a-t-on fait ? Flinguer notre économie pour mettre Macky Sall et ses proches en prison, c’est léger comme motif. Quand tu discrédites la parole publique et l’Administration, tu te sabordes toi-même», dira Fadel Barro dans une interview à Seneweb. Ou veut-on masquer son incompétence et son immobilisme en cherchant des prétextes avec ce rapport ?
Les deux objectifs ratés de Sonko
Ousmane Sonko, en annonçant des comptes falsifiés, avait deux objectifs : dans le court terme, salir le régime de Macky Sall pour des gains électoraux, et ensuite, sur le long terme, s’attirer les bonnes grâces du Fmi là où l’ancien régime croisait le fer avec l’organisme pour maintenir les subventions. Echec et mat ! Le Sénégal continue d’emprunter à des taux très élevés et sur des délais très courts. Ce 25 mars, nous avons encore emprunté 250 milliards sur le marché de l’Uemoa. Pire, à l’issue de sa mission, le Fmi n’a pas lâché du lest et continue de geler sa coopération avec le Sénégal, sous réserve que le gouvernement prouve qu’il y a bien eu manipulation et maquillage, et qu’il signe le mémorandum officiel de l’arrêt des subventions. Et une Loi de finances rectificative se profile pour mieux serrer la vis sur les dépenses sociales. Le Sénégal sera obligé de supprimer les subventions et voir les prix de l’électricité, du carburant, du gaz butane et des denrées de première nécessité monter en flèche.
Des temps difficiles s’annoncent pour ce pays. Ousmane Sonko est tombé dans le piège par inexpérience et par volonté de nuire coûte que coûte à l’ancien régime, même s’il devait passer par abaisser la note souveraine du pays et fragiliser sa signature. Il a en partie réussi, car après un an de gouvernance du duo Diomaye-Sonko, pas un seul projet d’envergure n’a été lancé.
Les entreprises ferment et le pouvoir d’achat des ménages a littéralement fondu. Ce qui est paradoxal par contre, c’est de vouloir s’approprier les réalisations du pouvoir sortant tout en vouant aux gémonies les ex-dirigeants. L’horloge, elle, continue de tourner, et dans trois ans, ce pouvoir fera face au Peuple, seul juge de ses actions. Sonko sourit certainement des «ruines» qu’il a causées, et le Sénégal pleure. Sonko n’est vraiment pas le pendant africain de Mahatir Mohamed.
PAR CHEIKH TIDIANE MBAYE
LES MOTS QUI BLESSENT, QUAND LA PRESSION SOCIALE FRAGILISE LES INDIVIDUS
"Pourquoi tu n'es pas encore marié ?, Pourquoi n'as tu pas encore d'enfant ? Pourquoi es tu toujours au chômage ? - autant de questions qui traduisent une pression sociale parfois insoutenable.
Introduction : des paroles en apparence anodines, mais profondément blessantes
Dans notre société sénégalaise, certaines questions ou remarques sont souvent posées sans mauvaise intention, mais elles peuvent être une source de souffrance pour ceux qui les reçoivent : "Pourquoi tu n'es pas encore marié ?, Pourquoi n'as tu pas encore d'enfant ? Pourquoi es tu toujours au chômage ? - autant de questions qui traduisent une pression sociale parfois insoutenable.
Ces paroles, répétées à longueur de journée, s'inscrivent dans une dynamique où l'individu est constamment évalué par la société. Ce phénomène est renforcé par des facteurs culturels, économiques et psychologiques qui méritent une analyse approfondie.
1. Les normes sociales et la pression du regard des autres
- la métaphore théâtrale de Goffman : jouer un rôle sous le regard des autres
Le sociologue Erving Goffman compare la vie sociale à une scène de théâtre où chaque individu joue un rôle en fonction des attentes de la société.
Au Sénégal, ces rôles sont souvent prédéfinis : se marier, avoir des enfants, obtenir un emploi stable. Toute deviation de ce script est perçue comme une mauvaise performance, entraînant des jugements sociaux et des remarques intrusives.
. La théorie de la déviance de Becker : être étiqueté par la société
Selon Howard Becker, la déviance n'est pas une caractéristique intrinsèque d'un individu, mais résulte d'un étiquetage social. Ainsi, une personne célibataire ou sans enfants au-delà d'un certain âge peut être considéré comme "anormale" ou malchanceuse, renforçant la stigmatisation et la pression sociale.
. Les blessures invisibles : quand les mots deviennent des coups
. Le cas de Matar Diagne : un drame causé par la pression sociale.
Matar Diagne, étudiant à l'Université Gaston Berger de Saint-Louis ( UGB ), s'est suicidé récemment après avoir été victime de jugements négatifs sur sa maladie et son comportement solitaire.
Avant son geste tragique, il a laissé un texte posthume dénonçant cette attitude hypercorrective qui pousse de nombreuses personnes à se conformer sous la pression du regard social, parfois au détriment de leur bien-être mental. Son cas illustre le poids des attentes sociales et la difficulté qu'ont certaines personnes à trouver leur place dans une société où la différence est souvent mal perçue.
. La vidéo de Fatel : un témoignage sur la pression autour de la parentalité
Fatel, épouse du célèbre rappeur Ngaka Blinde, a récemment partagé une vidéo dans laquelle elle évoque les remarques incessantes du public sur leur absence d'enfant après plusieurs années de mariage. Malgré la naissance récente de leur enfant, le couple a dû faire face à des jugements intrusifs et blessants, révélant ainsi une réalité que vivent de nombreux couples au Sénégal.
Cette situation montre à quel point la parentalité est perçue comme une obligation sociale et non comme un choix personnel, ce qui renforce la pression exercée sur les individus.
. "Les top cas" et le tribunal médiatique
Dans la culture numérique actuelle, des figures comme Adomo et d'autres influenceurs ont transformé les lives "top cas" en tribunal médiatique où la vie privée des gens est exposée et jugée en direct. Ces émissions amplifient la stigmatisation et participent à la construction d'un climat de surveillance sociale, où tout écart par rapport aux normes est scruté et commenté publiquement.
3. La dimension économique et culturelle : pauvreté, oisiveté et pression sociale
. La pauvreté, un terrain fertile pour les tensions sociales
Le manque de ressources économiques ne se limite pas à la précarité matérielle, il engendre aussi des tensions sociales et psychologiques. Jalousie, haine, calomnie, jugements des autres, méchanceté, rancune... sont autant de comportements qui peuvent être exacerbés par la frustration liée à la pauvreté. Dans un contexte où les opportunités sont limitées, certains reportent leur mal-être sur leur entourage, en critiquant ceux qui semblent réussir ou qui s'écartent des normes établies.
. L'oisiveté et l'obsession de la vie des autres
L'absence d'emploi ou d'occupation constructive laisse un vide que beaucoup remplissent en s'intéressant excessivement aux affaires des autres. Les discussions de quartier, les groupes Whatsapp et les émissions en direct sur les réseaux sociaux deviennent des espaces de commérages et de jugement collectif, où chacun donne son avis sur la vie des autres sans se soucier des répercussions psychologiques.
. La culture orale qui amplifie la surveillance sociale
Dans une société où l'oralité occupe une place centrale, les récits et commentaires circulent rapidement. Contrairement aux sociétés plus individualistes, où la discrétion et la vie privée sont valorisées, au Sénégal, les choix de vie sont un sujet collectif de débat permanent, ce qui renforce la pression sociale.
4. La nécessité d'une réponse institutionnelle et communautaire.
. Créer des espaces d'écoute bienveillante
Face au nombre croissant de personnes souffrant en silence, il est urgent de mettre en place des espaces d'écoute bienveillante à travers le Sénégal. Ces structures, animées par des professionnels ( psychologues, sociologues, travailleurs sociaux ) et des volontaires formés, pourraient offrir un cadre où les individus en détresse peuvent parler sans crainte du jugement.
. Le manque de psychologues et l'absence de culture de la consultation
Au Sénégal, le nombre de psychologues est insuffisant pour répondre aux besoins de la population. De plus, consulter un psycjologue est souvent perçu comme un aveu de faiblesse ou une maladie mentale grave. Il est essentiel de changer cette perception en intégrant progressivement la culture du suivi psychologique dans la société sénégalaise.
. Encourager les initiatives locales pour lutter contre l'oisiveté
. Créer des activités communautaires, des espaces de formation et d'emplois temporaires pourrait réduire l'oisiveté et donner aux jeunes, en particulier, un cadre plus constructif que les discussions stériles sur la vie des autres.
Conclusion : vers une culture de respect et de l'empathie
Les paroles ont un poids. Une simple question peut parfois être un fardeau pour celui qui là reçoit. Dans une société où les attentes sociales sont très marquées, il est primordial de repenser notre manière de communiquer et d'intégrer plus d'empathie dans nos interactions quotidiennes.
. Encourager une culture du respect des parcours individuels et du vivre ensemble sans pression sociale est un défi collectif. Chacun, à son niveau, peut y contribuer en veillant à la portée de ses paroles et en cultivant l'écoute bienveillante.
PAR SIDY DIOP
ET SI ON SE PAYAIT LE LUXE DU SILENCE ?
"Dans cet océan de bavardages, le silence est perçu comme une faiblesse. Celui qui se tait passe pour un ignorant, un timide ou, pire, un lâche. Ne rien dire, c’est risquer d’être effacé, de disparaître. Alors tout le monde parle."
Lors de ses rares sorties, le khalife général des Tidianes, Serigne Babacar Sy Mansour, conseille toujours le silence. Il ne crie pas, il ne gesticule pas, il ne lance pas son message dans une tirade enflammée sur un plateau télé. Non, il recommande simplement le silence. Et dans un pays où tout le monde parle en même temps, où chacun coupe la parole à l’autre avant même qu’il ait fini sa phrase, où il faut hausser le ton pour exister, ce conseil a quelque chose de révolutionnaire. Mais qui l’entendra ? Le Sénégal bruisse de paroles inutiles.
Dès l’aube, le premier boubou froissé dans la rue s’accompagne d’un flot de commentaires. À la maison, la télévision crache des débats où les chroniqueurs s’étripent à coups de certitudes. Les radios matinales prennent le relais, et voilà que des animateurs s’époumonent sur l’actualité comme si leur vie en dépendait. Dans les transports, le chauffeur de car rapide a son mot à dire sur la politique du pays, le marchand ambulant aussi, et bien sûr, son client ne peut pas laisser passer ça sans répliquer. Sur WhatsApp, dans les groupes de famille, dans les groupes d’amis, chacun balance son analyse – souvent erronée – comme un expert auto-proclamé. Et puis il y a les réseaux sociaux, ce grand défouloir, où celui qui crie le plus fort pense avoir raison par défaut.
Dans cet océan de bavardages, le silence est perçu comme une faiblesse. Celui qui se tait passe pour un ignorant, un timide ou, pire, un lâche. Ne rien dire, c’est risquer d’être effacé, de disparaître. Alors tout le monde parle. Mieux : tout le monde crie. Il ne s’agit plus de convaincre mais d’écraser l’autre sous un flot de paroles. Peu importe si elles sont vides. Pourtant, ceux qui savent parlent peu. C’est une constante. Le professeur Cheikh Anta Diop, lorsqu’il s’exprimait, pesait chaque mot comme s’il engageait sa vie. On l’écoutait religieusement. Aujourd’hui, l’effet est inverse : plus un individu parle, moins on l’écoute. Parce que tout le monde parle en même temps. Parce que la parole s’est dévaluée à force d’être galvaudée. Victor Hugo, ce bavard de génie, écrivait que « au commencement était le verbe ». C’est vrai. Mais le verbe est aussi source de malheurs. Une parole de trop et une amitié vole en éclats. Une déclaration malheureuse et une nation s’embrase. Des propos inconsidérés et des carrières s’effondrent. Les hommes politiques en savent quelque chose : à force de trop parler, ils finissent toujours par se trahir. Mais l’excès de parole ne nuit pas qu’aux puissants.
Il abîme les liens du quotidien. Une parole mal placée, un mot plus haut que l’autre, et voilà deux voisins qui se tournent le dos pour le reste de leur vie. Un message mal interprété, une phrase sortie de son contexte, et c’est une famille qui se déchire. L’époque est à la susceptibilité exacerbée, et dans un monde où chacun a son mot à dire, personne ne veut faire l’effort de comprendre l’autre. Serigne Babacar Sy Mansour a raison. Il faut réapprendre à se taire. Mais c’est plus facile à dire qu’à faire (c’est le cas de le dire). Se taire demande un effort. Cela suppose d’écouter, d’accepter que l’autre ait quelque chose à dire. Or, dans une société où chacun se considère comme le centre du monde, l’écoute est une vertu en voie de disparition. Le silence, pourtant, est un luxe. Il permet de réfléchir avant de parler, de ne pas gaspiller sa parole comme une monnaie de singe. Il donne du poids à ce qui est dit. Un silence bien placé peut avoir plus d’effet qu’un discours de deux heures.
C’est d’ailleurs une arme redoutable. Un homme politique qui se tait quand on attend de lui une réaction fait trembler plus d’un adversaire. Un chef d’entreprise qui garde le silence au lieu de répondre à une rumeur lui donne une importance qu’aucun démenti n’aurait pu lui conférer. Mais le silence ne sert pas qu’à impressionner. Il protège. Il empêche de dire une bêtise qui nous suivra toute une vie. Il permet d’éviter des conflits inutiles. Il épargne à l’esprit les agressions sonores incessantes du monde moderne. Bien sûr, tout le monde ne peut pas se taire. Mais entre le silence absolu et le vacarme permanent, il y a un juste milieu. Il y a la parole réfléchie, la parole pesée, la parole rare et précieuse. En attendant, le bruit continue. Les voix s’entrechoquent, les débats s’enveniment, la cacophonie règne. Et, dans ce grand fracas, la vérité, elle, se tait.