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3 mai 2025
Éducation
L’IFAN, UNE EXISTENCE FONDAMENTALE
Lieu de vie et de recherches de Cheikh Anta Diop, le laboratoire de datation au carbone 14 de l'Ifan a longtemps porté la vision scientifique de ce dernier. Malgré sa réhabilitation, il demeure méconnu des nouvelles générations
Ifan. La querelle autour du détachement envisagé de Pr Ismaïla Madior Fall a réveillé ce creuset de savoir et de savoir-faire. Même des étudiants de l’Université Cheikh Anta Diop ne pourraient pas dire que c’est Institut fondamental d’Afrique noire ! La recherche, fondamentale surtout, n’a pas besoin de bruit. Que d’histoires dans ce temple historique. Que de découvertes aussi dans ce lieu de convergences des esprits scientifiques. Si l’enfant Ifan, né en août 1936, était un prénom, on aurait pu lui adjoindre des noms comme Monod (Théodore), Diop (Cheikh Anta) et tant d’autres qui ont vulgarisé cette âme scientifique dans le monde. Bés bi fouille ce stimulateur de savoirs qui est à sa 88e année.
Laboratoire de datation au carbone 14 de l’Ifan : Lieu d’exil et de gloire pour Cheikh Anta Diop
1986. L’Afrique est endeuillée par la disparition de Cheikh Anta Diop, emporté par une crise cardiaque à l’âge de 63 ans. 1986 fera une autre victime bien moins médiatisée. Le laboratoire de carbone 14 de l’Ifan devenu orphelin ne survivra pas à son illustre créateur qui l’a bâti de ses propres mains. Aujourd’hui ressuscité, ce laboratoire qui sert de trait d’union entre Cheikh Anta Diop et l’Ifan a vu le jour en 1966. Retour sur l’histoire qui liait un scientifique à son labo, l’importance des recherches qui y ont été menées ainsi que ce qu’il est advenu du labo.
1960 marque un tournant dans la vie de Cheikh Anta Diop. «Je vais rentrer définitivement en Afrique noire dès la semaine prochaine, et j’essaierai de contribuer à la formation des cadres et de contribuer aussi à l’impulsion de la recherche scientifique», annonce-t-il après sa soutenance. Former les cadres, il ne lui sera pas donné l’opportunité. Les portes de l’Université de Dakar lui sont fermées du fait de son opposition à Senghor et de la mention honorable, à défaut de très honorable, sanctionnant sa thèse de doctorat. Il se consacre donc entièrement à la recherche scientifique à l’Ifan où il est recruté comme Assistant. Très vite, il gagne le respect de Théodore Monod, Directeur de l’Ifan, qui soutient son projet de création d’un laboratoire. Une salle est aménagée, du matériel acheté et Cheikh Anta Diop est envoyé en stage dans un laboratoire de radiocarbone en France. «Il s’est écoulé quatre années (1963-1966) entre le moment où fut donné le premier coup de pioche pour la construction des locaux et la mise en service du laboratoire», écrit Cheikh Anta Diop dans son ouvrage, «Le Laboratoire du radiocarbone de l’Ifan». S’appuyant sur sa formation pluridisciplinaire qui inclut notamment des études en Chimie auprès du Prix Nobel Frédérique Joliot-Curie, le chercheur monte tout seul son laboratoire et assure son fonctionnement. Pendant 20 ans, il trouvera refuge dans ce local où il mène des recherches pour donner une base scientifique à sa thèse.
Un labo pour réhabiliter l’histoire de l’Afrique
La thèse de Cheikh Anta Diop peut être résumée ainsi : La brillante civilisation de l’Égypte antique qui a inspiré Grecs et Romains était noire et africaine. En rattachant l’Afrique à l’une des plus anciennes et l’une des plus avancées civilisations humaines, C. A. Diop défie donc l’idée d’un continent noir dénié d’histoire. «En réalité, l’Afrique est à l’origine de la civilisation humaine», explique-t-il. Mais cette affirmation, aussi valorisante soit-elle, devait être étayée par des preuves scientifiques afin d’être prise au sérieux. C’est ici qu’entre en jeu le labo de carbone 14. Le principe de la datation au carbone 14 est simple : De leur vivant, les organismes absorbent du carbone qui est rejeté après leur mort. En mesurant la quantité de carbone 14 restant dans un échantillon, les scientifiques peuvent estimer l’âge de l’échantillon en calculant le temps écoulé depuis la mort de l’organisme. C’est ce principe qui permet donc à C. A. Diop de déterminer l’âge des vestiges archéologiques qu’il étudie. Il analyse aussi le taux de mélanine présent dans les tissus des momies pour déterminer leur caractère négroïde. Ses recherches en linguistique avaient déjà montré une proximité entre la langue égyptienne et certaines langues africaines.
Le labo : Un espace de vie qui ne survivra pas à son créateur
Ce labo dédié à la science était aussi un espace de vie et un lieu de socialisation pour celui qu’on avait fini par appeler l’Ermite de l’Ifan. «Cheikh y recevait. Et tous les jours que Dieu faisait, il avait à dix heures sa conversation avec Vieux Ndiaye, le planton du Rectorat, au courant de tous les ragots et rumeurs. ‘’Il en a vu des colons, celui-là’’, disait Cheikh en ricanant. Ensuite défilaient les fidèles du Cheikhisme, des militants, ...», écrit Pathé Diagne dans un livre dédié à C. A. Diop. Malheureusement, le labo connait de graves difficultés économiques au début des années 1980. «À partir des années 1980, son fonctionnement rencontre de sérieuses difficultés, notamment en raison de l’insuffisance des ressources requises pour la maintenance et le renouvellement de matériels essentiels à la réalisation des datations», écrit Cheikh Mbacké Diop, physicien et fils du Chercheur. Finalement, le labo ne survit pas à son créateur. C’est la fin d’un compagnonnage qui aura duré 20 ans (1966- 1986).
Un labo réhabilité mais pas assez connu
Le labo est ressuscité en 2003 grâce à un financement de l’Etat et de partenaires. L’équipement avec lequel travaillait C. A. Diop est aujourd’hui vétuste et dépassé. Il est cependant conservé comme un musée. Du matériel plus avancé est désormais utilisé. Tout en continuant les datations, le labo étend son champ d’action sur les questions environnementales. On y procède à une mesure de la pollution au CO2 dans l’atmosphère et dans les eaux souterraines. «Les poissons incorporent beaucoup de pollution. Nous, à travers ces différents animaux aquatiques, on peut déterminer la quantité de pollution dans l’eau. Cela aide à la prise de décision», confie l’ingénieur Alpha Omar Diallo à Rfi. Une récente enquête publiée en 2023 montre que le labo est largement méconnu. Sur 2006 étudiants interrogés, 77% ne connaissaient pas l’emplacement exact du labo, 44% ont avoué ne pas savoir ce qu’est la datation au carbone 14 et 35% ne savent pas ce que représente l’Ifan. Une ironie, sachant que l’Ifan et le labo de carbone 14 œuvrent à raviver la mémoire du continent et à préserver l’histoire et le riche patrimoine de l’Afrique.
L’UN-CHK VEUT ETRE AU «RENDEZ-VOUS DE L’AVENIR PROFESSIONNEL»
L’Université numérique Cheikh Hamidou Kane (Un-Chk) a organisé, jeudi, son premier colloque dédié au secteur informel.
L’Université numérique Cheikh Hamidou Kane (Un-Chk) a organisé, jeudi, son premier colloque dédié au secteur informel. Cette activité, portée par son pôle d’Innovation et d’expertise pour le développement (Pied) et le pôle Lettres sciences humaines et de l’éducation (Lshe), prépare la création d’une licence, d’un master et d’une formation doctorale en sociologie économique axée sur le secteur informel pour mieux intégrer les groupes professionnels informels dans la société par le biais d’incubateurs
L’Université numérique Cheikh Hamidou Kane (UnChk) a organisé, ce 16 mai, la 9e édition de la série de conférences «Eno Jokko». Pendant deux jours, à l’auditorium Khaly Amar Fall de l’Ucad, il a été question du secteur informel qui devrait être intégré dans les filières de l’université. Sophie Guèye, fondatrice de l’association «Les racines de l’espoir» était l’invitée de cette rencontre présidée par le Professeur Ousmane Sall, Vice-recteur chargé de la recherche, de l’innovation et des partenariats de cette université. Mme Guèye, à travers ses actions humanitaires, appuie les jeunes et les invite à avoir la patience en bandoulière. Avec les deux journées de colloque dédiées à l’avenir du secteur informel, l’ex-Uvs veut façonner un environnement «plus inclusif et dynamique, représentant un rendez-vous incontournable pour l’avenir professionnel». En effet, face au défi de la formalisation, malgré l’intérêt croissant que suscite le secteur informel, l’Université ambitionne de former des communautés d’apprenants qui pourront mettre leur savoir au profit de la société, en développant des partenariats stratégiques.
Son slogan «Foo Nekk Foofu La» témoigne de cette proximité et de cette opportunité offerte à toute personne désirant bénéficier de formation universitaire où qu’elle se trouve. «L’Un-Chk promeut l’émergence d’un nouveau modèle d’enseignement basé sur le numérique avec un système pédagogique innovant. Elle a pour mission de développer des programmes et des projets d’enseignement à distance ou en présentiel, dans le cadre de la formation initiale, de la formation continue et de la formation professionnelle, la promotion des valeurs africaines et universelles», lit-on.
VERS LA CONSOLIDATION DU CALENDRIER ACADEMIQUE
Le ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’innovation, El Hadji Abdourahmane Diouf, a annoncé, jeudi, à Dakar, être en concertation avec les acteurs universitaires pour mettre en place un calendrier académique intangible.
Dakar, 16 mai (APS) – Le ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’innovation, El Hadji Abdourahmane Diouf, a annoncé, jeudi, à Dakar, être en concertation avec les acteurs universitaires pour mettre en place un calendrier académique intangible.
”Depuis que nous avons pris la tête du ministère, nous travaillons avec les acteurs et nous avons finalement décidé d’aller en séminaire à la fin du mois de mai pour discuter, avec l’objectif principal de rétablir le calendrier académique, ce qui peut régler beaucoup de difficultés financières rencontrés par le secteur”, a-t-il dit.
Il a souligné que ce séminaire avec les acteurs sera l’occasion de discuter de toutes les questions connexes au calendrier universitaire notamment le recrutement des enseignants-chercheurs, la question des vacataires de l’université, la question des chantiers inachevés du ministère, entre autres.
”Nous espérons qu’avec la participation de tous les acteurs, au début du mois de juin, nous parviendrons à une solution”, a-t-il ajouté en marge de la cérémonie de sortie de la 51e promotion du centre d’études des sciences et technique de l’information (CESTI) de l’Université Cheikh Anta Diop (UCAD) de Dakar.
”Depuis au moins une dizaine d’années, on n’a pas un calendrier académique stable au Sénégal et cela a des conséquences naturellement sur le plan académique, sur le plan financier et cela fait de l’université sénégalaise une exception, dans la mesure où nous sommes l’une des rares universités du monde à ne pas avoir un calendrier académique intangible”, a déploré M. Diouf.
Ce glissement du calendrier, selon lui, a aussi un impact financier négatif. Par exemple, a-t-il dit, ”pratiquement toute les licences au Sénégal sont aujourd’hui délivrées sur quatre années au lieu de trois années, sans pour autant que l’étudiant redouble. Alors imaginez une année de bourse, une année de salaire pour les enseignants, une année de repas, une année de subventions de l’État cumulé sur 12 années”.
Cela montre que la plupart des difficultés financières notées au niveau de l’Enseignement supérieur peuvent être résolues par l’Enseignement supérieur lui même s’il consent à faire l’effort de revenir à une année académique normale, a soutenu le ministre.
Une autre question importante pour rétablir le calendrier universitaire, c’est l’orientation des bacheliers, a fait savoir Abdourahmane Diouf.
”Depuis des années, les bacheliers sont orientés cinq à huit mois après le bac. Nous avons un objectif très ambitieux mais pas impossible qui est d’orienter les étudiants avant la fin du mois d’août. Nous y travaillons et nous avons de très belles projections”, a-t-il assuré.
par Youssouf Mbargane Guissé
LA RÉVOLUTION CONCEPTUELLE AFRICAINE EN MARCHE
EXCLUSIF SENEPLUS - Desserrer l’hégémonie conceptuelle de l’Occident impérialiste sur nos sociétés nécessite l’officialisation profonde des langues africaines et leur pratique généralisée
« Leur dépendance caractéristique a toujours empêché l’oligarchie et la bourgeoisie de se constituer une doctrine propre… Et, sur le plan idéologique, elles n’ont jamais produit un « corps d’idées » qui légitiment leur action politique. Elles étaient (et sont encore) des bourgeoisies incomplètes, doctrinairement castrées. Il n’est donc pas étonnant qu’elles aient toujours été à l’avant de la docilité dans le domaine de la pensée. Car comme elles ne produisent pas leurs propres concepts, elles reprennent à leur compte les concepts élaborés par les intellectuels (bourgeois) étrangers » - Edgar Monteil, philosophe et sociologue péruvien.
Depuis ces dernières années, des changements importants sont apparus dans le champ intellectuel africain au moment où la géopolitique mondiale est en train de basculer vers une nouvelle reconfiguration des rapports de forces. On assiste à une remise en cause de la volonté de l’occident impérialiste de soumettre son modèle aux Etats et nations de la planète. Ces changements marquent une étape majeure dans le processus de libération de l’étau conceptuel du monde occidental sur nos sociétés. Cette question capitale de la souveraineté de la pensée, condition de la libération définitive de l’aliénation, de la dépersonnalisation et de la dépendance a été la préoccupation de nombreux intellectuels de toutes disciplines sur le continent. C’est particulièrement à la fin de la première guerre mondiale, dans le contexte de ce qu’on a appelé « La question nègre », que s’est développe le réveil des colonies à l’indépendance, de même que les mouvements d’affirmation noirs aux Etats Unis d’Amérique et dans les Caraïbes.
Alors que se déroulaient sur le terrain révoltes, résistances et mouvements de libération, des intellectuels de ces communautés exploraient autour de la Revue « Présence Africaine » en France, les voies et moyens intellectuels de la souveraineté culturelle et politique dont témoignent les deux grands Congrès des Intellectuels, écrivains et artistes noirs, tenus à Paris en 1956, puis à Rome en 1959. Parmi les fortes productions intellectuelles alternatives de l’époque et celles après les indépendances, on peut en citer quatre fort marquantes : « Nations nègres et culture » de Cheikh Anta Diop,[1]« Les damnés de la terre » de Frantz Fanon,[2] « L’Afrique doit s’unir » de Kwame Nkrumah,[3]« L’accumulation à l’échelle mondiale » de Samir Amin,[4]« L’arme de la théorie » et « La pratique des armes » de Amilcar Cabral.[5]
Mais la consolidation des régimes répressifs dans les nouveaux Etats sous domination néocoloniale a vu le reflux de la résistance intellectuelle et culturelle qui cependant, n’a jamais cessé ni dans les académies, ni sur le terrain de par les luttes nationales et sociales des syndicats, de la jeunesse et des masses.
Cette période d’opacité de la réalité néocoloniale est en train de s’estomper progressivement, d’une part du fait de l’échec patent des politiques économiques libérales et de l’immense désastre causé sur le continent dont la pauvreté, l’insécurité et le désarroi,[6] d’autre part du fait de l’éveil de conscience et des affirmations identitaires nés de la pluralité culturelle ouverte par la mondialisation. Mais surtout le contexte est celui de l’émergence d’une nouvelle génération de chercheurs et savants « armés de sciences jusqu’aux dents » ainsi que d’artistes et créateurs de talent ayant repris le flambeau. Cette nouvelle période ouverte offre désormais l’opportunité de « la remise en cause des anciennes hégémonies et d’émergences de nouvelles légitimités ». En effet se dessine une reconfiguration dans l’armature intellectuelle jusqu’ici dominée par les traditions académiques universalistes occidentales dans leurs objets, méthodes et finalités. La pensée et les savoirs endogènes interviennent désormais avec une approche holistique des réalités vues sous leurs connexions multiples. La production des connaissances sur les dynamiques de transformations sociales, politiques et culturelles, doit désormais intégrer les dimensions des écologies, des héritages, de la symbolique et des pratiques anthropologiques. Une telle nouveauté introduit un renversement des paradigmes, visions et interprétations et met en scène l’intervention d’autres acteurs intellectuels de la tradition que le mode colonial de production des sciences avait jusqu’ici mis à l’écart de façon délibérée.
La rupture épistémologique qui s’enclenche porte sur la question essentielle de la souveraineté culturelle car les Africains doivent reconceptualiser de manière autonome et en toute responsabilité leur destin existentiel par la sélection des éléments constitutifs de leur propre futur.[7]La déconstruction de l’appareil idéologique d’hégémonie conceptuelle du capitalisme libéral a été menée de manière vigoureuse et savante par la première génération d’intellectuels africains dans les différentes disciplines académiques, mais aussi antérieurement dans la puissante littérature arabo islamique de résistance anti coloniale au 19e siècle, au sein des confréries soufi et aussi par des penseurs libres. Cette remise en cause se poursuit en de nouveaux termes au sein des générations actuelles qui se donnent la main dans les réseaux et nouvelles plateformes scientifiques, artistiques et culturelles.[8]Il s’agit dans ces nouveaux espaces de solidarité et de coopération intellectuelle et esthétique, d’inventer de nouveaux paradigmes d’un développement endogène intégral. Une nouvelle vision critique, prospective, opérationnelle se fortifie, fondée sur le potentiel créateur et subversif des héritages politiques et intellectuels africains et des enseignements des luttes des peuples pour la démocratisation et l’humanisation du monde encore si tardives.
En effet cette rupture épistémologique est une remise en cause du modèle universaliste de développement capitaliste imposé. Elle oblige de sortir définitivement du courant hégémoniste de la modernisation occidentale, de ses chiffres, mythes et falsifications. La rupture bouscule certaines traditions académiques figées et remet en cause le formatage intellectuel dû aux formations reçues. Elle implique un renouvèlement nécessaire des problématiques, des méthodes et approches, nécessitant la réévaluation des académies de recherche, d’enseignement et de formation et leur réadaptation conforme aux besoins du projet essentiel de la modernité africaine. La rupture trouve ses ressorts dans l’appropriation des multiples avancées artistiques, écologiques, philosophiques réalisées par les générations successives d’Africains de sources culturelles et de traditions intellectuelles diverses. Elle s’enrichit particulièrement des résultats probants issus de la coopération fructueuse entre disciplines au sein des équipes, réseaux et plateformes africains et internationaux. Mais ce processus d’élaboration conceptuelle trouve sa substance historique, sa force et sa légitimité politique lorsqu’il puise sa sève nourricière de l’expérience sociale et culturelle des masses et contribue de manière décisive à la rénovation de la pensée sociale.
L’approche totalisante fournie par l’économie politique et l’anthropologie culturelle permet alors aux chercheurs des différentes disciplines fragmentées de se rejoindre au carrefour de la transdisciplinarité et d’appréhender la dimension globale et intégrée des dynamiques au sein des sociétés. Elle doit mettre en lumière au sein de celles-ci, l’exploitation sociale fondamentale de classe, la base économique et les intérêts financiers qui fondent les alliances avec le capitalisme international dominant. Elle édifie sur l’existence d’un bloc hégémonique d’Etat compradore et sur les idéologies justificatrices de la domination et de la servitude.
Mais desserrer l’hégémonie conceptuelle de l’Occident impérialiste sur nos sociétés nécessite l’officialisation profonde des langues africaines et leur pratique généralisée dans l’éducation, les académies, l’administration, la vie économique et politique. Il s’agit de consacrer de manière irréversible et féconde la liaison de l’école à la vie, de la science et des innovations technologiques aux systèmes productifs, de fonder la gouvernance sur l’éthique. Seul en effet, ce nouveau paradigme de l’usage des langues africaines peut assurer la participation populaire libre, faisant désormais de l’espace politique, le foyer pacifié et véridique de la délibération, de la transparence, de la redevabilité. En réalité, la question linguistique, au-delà de son caractère pédagogique et de communication, constitue le cœur existentiel de l’identité, des appartenances sociales, des liens avec la nature et la Transcendance. La langue est en réalité le carrefour des temps et des espaces. Elle reproduit l’individu et les communautés en tant qu’histoire, mémoire, réponses et possibilités. La langue est donc le terreau fertile d’où germe l’esprit sacré d’insoumission et de révolte pour la reprise collective de l’initiative historique. La révolution conceptuelle repose ainsi sur les trois piliers suivants : la langue, la pratique sociale et l’esprit critique. Ces trois éléments sont porteurs de la rupture. Ils constituent le processus dialectique par lequel la pensée se régénère et l’homme s’affirme debout et résolu face aux défis.
C’est donc à travers les luttes sociales patriotiques et révolutionnaires que les individus et les communautés actent la désaliénation, valorisent leurs cultures et affirment leur identité africaine. C’est le « retour de soi à soi à un niveau supérieur », selon la belle formule de Joseph Ki Zerbo. Une telle perspective historique est déjà ouverte sur le continent et dans la Diaspora par l’action des intellectuels, savants et artistes, des partis politiques révolutionnaires et par les mobilisations des mouvements des jeunes, des femmes et des organisations citoyennes de veille. Désormais ces forces organisées prennent place sur l’échiquier politique africain tandis qu’émergent de nouveaux « dirigeants spirituels de la révolution », incarnation pour la jeunesse et les masses des modèles de courage et d’abnégation que furent les héros et les martyrs de la libération du continent. La tâche historique sans précédent est à présent de réveiller le génie culturel africain et de manière irréversible, « faire basculer l’Afrique sur la pente de son destin fédéral ».[9]
Les productions intellectuelles doivent pour cela éclairer le difficile chemin des luttes de classe anticapitalistes et des combats anti-impérialistes, démocratiques et citoyens en cours, mais aussi analyser les transitions complexes qui se dessinent dans la géopolitique mondiale, dans l’économie, la politique et la culture dans nos pays. Les avant-gardes révolutionnaires sur le continent devront à partir de là, élaborer et coordonner les stratégies unitaires libératrices qui s’imposent pour mettre fin définitivement à l’abject « néocolonialisme vivant »[10] qui ronge encore l’Afrique et ses enfants. Les prochaines saisons historiques verront alors s’ouvrir pour les peuples réunis, le vaste horizon de la paix, de la prospérité et du renouveau.
[1] Cheikh Anta Diop (1965). Nation nègre et culture. Paris : Présence Africaine
[2] Frantz Fanon (1975). Les Damnés de la terre. Paris : éd. Maspero.
[3] Kwame Nkrumah (1964). L’Afrique doit s’unir. Paris, Payot.
[4] Samir Amin (1971). L’Accumulation à l’échelle mondiale. Paris : éd. Anthropos.
[5] Amilcar Cabral (1975). I. L’arme de la Théorie, II. La pratique des armes. Paris : éd. Maspero.
[6] Voir Samir Amin (1989). La faillite du développement en Afrique. Paris : éd. L’Harmattan.
[7] Ndongo Samba Sylla (2014). (dir.) Pour une autre Afrique. Eléments de réflexion pour sortir de l’impasse. Paris : L’Harmattan. Felwine Sarr (2016.). Afrotopia. Paris, éditions Philippe Rey
[8] Voir parmi les nombreuses initiatives, les travaux et publications remarquables du groupe des samedis de l’économie : Déconstruire le discours néolibéral T1 (2014) - T2 (2015). (Sous la direction) Demba Moussa Dembélé, Ndongo Samba Sylla, Henriette Faye). Dakar : éditions Arcade-Fondation Luxembourg. Voir également les travaux, publications de l’Institut Panafricain de Stratégies sur les questions importantes de la sécurité et de la Paix sur le continent
[10] Abdoulaye Ly. (1981). L’émergence du néocolonialisme au Sénégal. Dakar : éd. Xamlé.<
Texte Collectif
UN PARTI PRIS DÉCONCERTANT
Nous nous désolidarisons du communiqué indigent par la forme et indigne par son contenu, publié le 10 mai 2024 par la Coordination SAES du Campus de Dakar sur l'affectation à l'IFAN d'Ismaïla Madior Fall
« Affaire Ismaïla Madior Fall » : le communiqué de la Coordination du SAES détonne et étonne de par ses partis pris
Le professeur Ismaïla Madior Fall a admis avoir « introduit une demande auprès du recteur » de l'UCAD, le professeur Ahmadou Aly Mbaye pour son affectation à l'IFAN Cheikh Anta Diop. Le professeur Fall a par ailleurs ajouté à cela que le recteur « ne peut que soumettre sa demande aux instances délibérantes des deux institutions (IFAN et FSJP) pour avis avant de prendre une décision ». Avant lui, le porte-parole du recteur, professeur Mbaye Thiam, avait soutenu à travers un communiqué : « si jamais son département d'origine ne veut pas le libérer ou que le département de l'IFAN visé ne veut pas l'accueillir, le Recteur ne pourra nullement l'y affecter ».
Ainsi donc, de l'aveu même du rectorat et du requérant, le recteur n'est en rien souverain en matière d'affectation des personnels d'enseignement et de recherche à l'IFAN Ch. A. Diop. Cette absence de souveraineté du recteur en la matière est même codifiée par le décret 84-1184 qui régit l'Institut puisque celui-ci dispose que la décision d'affectation non seulement échoit au comité scientifique de l'IFAN Ch. A. Diop mais qu'au cas où le recteur venait à assister aux délibérations de cette instance : « il les préside mais ne prend pas part aux votes » (article 8).
Pourquoi, le recteur de l'UCAD a-t-il tenu à « consulter » le directeur de l'IFAN sur une « affectation » du professeur Fall sans que le comité scientifique de l'Institut n'ait été saisi ?
Pourquoi le directeur de l'IFAN a tenu à faire part de cette « information » relative à « une consultation pour affectation », lors de l'Assemblée de l'IFAN du 30 avril 2024 alors que le département d'origine du requérant à la FSJP n'a pas délibéré sur la question, ni du reste le comité scientifique de l'IFAN ? Pourquoi nulle part dans les communiqués du professeur Fall et du professeur Thiam, porte-parole du recteur, il n'est curieusement pas fait mention d'une autre condition sine qua non à toute affectation : « un arrêté du ministre de l'Enseignement supérieur » qui doit nécessairement survenir « après avis de l'Assemblée de l'Université » (article 24) ? Face à autant de questions sans réponses, face à autant de violations patentes du décret 84-1184, nombreux ont été les acteurs du monde académique à se réjouir du communiqué d'un syndicat qui a jugé utile d'alerter contre toute velléité d'affectation irrégulière. Tout aussi nombreux ont-ils été à se demander pourquoi la Coordination SAES du campus de Dakar a manqué d'être à l'avant-garde d'un combat pour le respect du décret sur la mobilité des PER à l'IFAN, dans un contexte de violations récurrentes des règles de fonctionnement de l'institution universitaire par l'autorité.
C'est pourquoi, la surprise a été grande de voir la Coordination SAES du Campus de Dakar rendre public un communiqué dans lequel elle allègue de « rumeurs persistantes », « d'informations non fondées » et pis, elle crie son « indignation » avant de dénoncer des « délits d'opinion ». Ladite Coordination va même jusqu'à reprendre la rhétorique du professeur Fall qui parle de « règlement de compte » à son encontre. Pourquoi de tels parti pris ? A la faveur de qui se font ces petits arrangements avec les faits qui demeurent pourtant implacables et irréfutables ?
En conséquence, nous, enseignants-chercheurs et chercheurs de l'UCAD, tous membres réguliers du Syndicat Autonome de l'Enseignement supérieur (SAES), portons à la connaissance de la communauté scientifique et de l'opinion publique que :
- nous nous désolidarisons du communiqué n°8, indigent par la forme et indigne par son contenu, publié le 10 mai 2024 par la Coordination SAES du Campus de Dakar ;
- nous demandons au Bureau national du SAES de mener une enquête sur la délibération qui a entouré ce dérapage ;
- nous exigeons du bureau du SAES de la Coordination du Campus de Dakar de convoquer dans les plus brefs délais une Assemblée générale et d'inscrire à l'ordre du jour « l'affaire de l'affectation du professeur Ismaïla Madior Fall à l'IFAN Ch. A. Diop » afin de donner à la base la possibilité de se faire entendre sur cette affaire.
Mouhamed Abdallah Ly (IFAN)
Anna Marie Diagne (IFAN)
Ibrahima Thiaw (IFAN)
Doudou Diop (IFAN)
Maurice Ndeye (IFAN)
El Hadj Samba Ndiaye (FSJP)
Mouhamed Badji (FASEG)
Alioune Gueye (FASEG)
Moshe Léopold Tendeng (FASEG)
Abdoulaye Mbaye (ESP)
Aliou Ndiaye (FST)
Mamecor Faye (FST)
Bacary Manga (FST)
Yankoba Seydi (FLSH)
Serigne Seye (FLSH)
Moussa Sagna (FLSH)
Mame Sémou Ndiaye (FLSH)
Lamine Bodian (FLSH)
Ibrahima Niang (FLSH)
Pape Chérif Bertrand Bassène (FLSH)
Mamadou Thior (FLSH)
AFFECTATION À L'IFAN : LE SUDES RÉPOND AU SAES
Les éléments de la cinquième colonne essayent de détourner l'attention des véritables problèmes de gouvernance à l’UCAD. Ils montrent ainsi leur volonté de servir des intérêts crypto-personnels plutôt que ceux de la communauté universitaire - COMMUNIQUÉ
La section UCAD du SUDES/ESR dénonce une tentative de contournement illégal des procédures pour caser un ancien ministre à l'IFAN. Face aux "allégations fallacieuses" du Saes, elle réaffirme ses valeurs d'éthique et de défense des règles universitaires, à travers le communiqué ci-après :
"HALTE À L'OPÉRATION « SAUVER LES TRIPATOUILLEURS» DE TEXTES À L'UCAD !
Cher.e.s Camarades,
Dans une missive adressée à nos estimés collègues de l'UCAD, l'équipe dirigeante d'un syndicat, qui à notre grand regret, s'est positionné comme la cinquième colonne, a tenté de discréditer et de saboter la vive protestation de la section UCAD du SUDES-ESR contre la manœuvre du recteur pour caser un ancien ministre à l'IFAN en violation du décret 84-1184 du 13 octobre 1984.
Les auteurs de cette missive devraient avoir honte de qualifier de « rumeurs persistantes » et « d'informations non fondées » les faits que nous avons révélés et qu'ils n'hésitent pas, par ailleurs, à reprendre à leur compte.
La section UCAD du SUDES-ESR rappelle à la communauté universitaire les constantes factuelles de cette velléité d'instaurer à l'UCAD une exception de privilèges accordés à un enseignant alors que tou.te.s les enseignant.es, quels que soient leur rang, leur titre et leur grade sont d'égale dignité devant les textes de l'université.
En effet, les propos du porte-parole du recteur contradictoires à ceux de M. Ismaïla Madior Fall qui lui-même reconnaît avoir introduit une demande d'affectation à l'IFAN où il serait plus utile, pense-t-il, montrent à l'évidence que ces collègues syndicalistes avec leurs allégations fallacieuses et apocryphes dans cette affaire se sont fourvoyés. De plus, au nom de quelles règles et de quels usages, le recteur de l'UCAD prend-il les devants pour consulter le directeur de l'IFAN sans qu'il y ait de demande formelle comme l'a indiqué son porte-parole ? C'est cette immixtion tout autant incompréhensible qu'illégale du recteur dans un processus pourtant régi par des textes qui a alerté la section UCAD du SUDES/ESR. La procédure courait effectivement le risque d'être conduite illégalement. Les pseudos avant-gardistes n'ont visiblement pas vu venir la manigance ou s'en font complices de bonne foi.
En outre, quant à la prétendue politisation des enjeux universitaires, il est difficile de ne pas voir l'hypocrisie dans une telle déclaration. En accusant la section UCAD du SUDES/ESR de soulever des « délits d'opinion» et en préjugeant du caractère politique de sa protestation, les éléments de la cinquième colonne essayent de détourner l'attention des véritables problèmes de gouvernance à l’UCAD. Ils montrent ainsi leur volonté de servir sans discernement des intérêts crypto-personnels plutôt que ceux de la communauté universitaire.
La section UCAD du SUDES-ESR se félicite d'avoir tenu sa traditionnelle ligne de lutte et de défense des valeurs et de l'éthique professionnelle liées à la fonction d'enseignant et de chercheur sans partisanerie syndicale. Elle ne saurait transiger avec le louvoiement et la tortuosité syndicale.
En conséquence, la section UCAD du SUDES-ESR voudrait :
1. Exhorter l'ensemble de la communauté universitaire à rester solidaire pour faire barrage à toutes manœuvres illégales visant à déroger aux règles et procédures de notre université.
2. Inviter tou.te.s les camarades, quelle que soit leur affiliation syndicale à signaler toutes violations avérées ou présumées des textes de l'UCAD dont ils/elles ont connaissance.
3. Prier le ministre de l'Enseignement supérieur, de la Recherche et de l'Innovation de bien vouloir rappeler au recteur de l'UCAD dont le mandat arrive très bientôt à terme les principes élémentaires de bonne gouvernance."
par Ousmane Sy
BOUBACAR BORIS DIOP ET LES LANGUES : TOUT N’EST PAS FICTION
EXCLUSIF SENEPLUS - La lettre ouverte co-écrite avec Ngugi Wa Thiong'o laisse entrevoir une tendance sous-jacente à la hiérarchisation des langues sénégalaises, avec une mise en avant du wolof
Il est très difficile pour un passionné de lecture de résister à la plume et au style ô combien soignés de Boubacar Boris Diop. Lire cet homme procure un plaisir immense tant son cocktail est savamment bien dosé. Au-delà de ce style soigné et très souvent hautement intellectuel, il est naturel qu’on ne partage pas des fois ses positions, ses angles d’attaque et conséquemment ses conclusions.
Si la première partie de cette lettre a été dithyrambique à l’égard du destinataire, ce qui en fait peut relever d’un engagement politique, la seconde partie, par contre pose problème. Cette partie qui traite de questions et de planification linguistiques est à approfondir et à améliorer du fait qu’elle comporte en certains endroits des légèretés.
Au paraitre, elle serait bien teintée de subjectivités qui altèrent la rigueur scientifique et linguistique requise pour un tel sujet. Faire un plaidoyer pour les langues en soi est déjà une bonne chose mais la conception de l’organigramme des langues est malheureusement trahie par l’envie manifeste d’imposer le wolof comme langue officielle à la place du français.
La réflexion réfute sans ambages « toute hiérarchisation des langues » mais retombe aussitôt dans le même panneau. Le décret de 1971 avait élevé six langues (joola, mandinka,pulaar, serere, Soninke et wolof) au rang de langues nationales et pourtant malgré cette décision, la pratique linguistique aura plutôt penché pour une wolofisation tacite.
Une politique de laissez-faire qui permet sans décision administrative de donner tacitement tous les statuts à cette langue. Pour illustration, l’utilisation de nos langues dans nos médias officiels est éloquente à plus d’un titre quant à la volonté de faire du wolof la langue du travail. De fait, comme le montrent les articles de (D. C O’Brien) « the shadow-politics of wolofisation et de (Fiona Mc Laughin), Haalpulaar identity as a response to wolofisation, cette tendance à la hiérarchisation des langues entrainent des réponses communautaires. On est bien dans la hiérarchisation des langues depuis des décennies et la réflexion aurait pu relever cet état de fait, attirant ainsi l’attention du destinataire et décideur.
Le wolof est bien une lingua franca au Sénégal mais, selon les ères géographiques, nous avons encore d’autres lingua franca. Au Sud, le joola et un manding peuvent échanger en créole. Au nord, un soninke et wolof peuvent échanger en pulaar. On ne peut pas faire fi de toutes ses richesses.
Pour rappel, les recommandations du CNRF de 1983 parlaient déjà de la langue de la communauté dans un organigramme des langues à l’école qui faisait ni plus ni moins que le bilinguisme soustractif qui au fait ne promeut qu’une seule langue. La conception est bien celle-là : « la langue maternelle, d’abord. Et ensuite, disons le wolof. Ensuite, disons le swahili, le français, etc. ». On note bien la subtile et volontaire gradation vers le dessein caché. Ainsi, la réflexion part de la base des langues sénégalaises, (ce que nous partageons fort bien) mais dérive doucement vers un parti pris. A y voir de près, les autres langues ne seraient là que pour le décor. Cette conception pas loin de celle de 1983 rappelle le bilinguisme soustractif qui se résume à l’équation : L1 + L2 – L1 = ?
En effet, le wolof étant une langue maternelle, viendrait d’abord en tant que langue maternelle et ensuite reviendrait en vertu de quel statut ? Et pour quelle fonction ? Et que deviendront les autres langues nationales étant toutes celles codifiées avec les nouvelles dispositions constitutionnelles de 2001 ? Promouvoir les langues ne peut se limiter à les nommer et à les présenter pour un faire-valoir. Les promouvoir revient à les moderniser et à introduire au moins les six d’entre elles qui ont connu des études soutenues (Dr Sylla Yero 1991) dans divers domaines dont la linguistique et la production à l’école comme langues d’instruction. Le principe est d’introduire ces langues à l’école et de les y maintenir. Ce qui nous aiderait à avoir des enfants sénégalais aptes à parler au moins trois langues nationales. Cet effort qui serait renforcé de voyages d’immersion de petits locuteurs joola en pays serere et de petits locuteurs soninke en pays wolof, renforçant ainsi ce brassage culturel qui fait que le Sénégal est un havre de paix.
On voit apparaitre en filigrane dans la perception, le Sénégal (wolof) l’Afrique (le swahili) et le monde par d’abord le français. Thiong’o est Gikiyu voisin des luwo dans une région où le swahili est presque la grande langue de communication avec environ trente et soixante millions de locuteurs dont quinze pour langue première. Elle a un statut officiel dans quatre pays et au moins dans deux organisations. Le gikiyu ne s’est pas contenté de sa langue maternelle mais a suivi des principes autres que l’émotion et la subjectivité. Si nous parlons de l’Afrique, il est difficile que le mot langue soit au singulier d’une part. Et d’autre part, nous devons parler des langues africaines et point de nos langues maternelles. Même si la planification linguistique a des aspects politiques, il n’en demeure pas moins que l’arbitraire ne peut prévaloir dans ce contexte précis. Elle obéit tout au moins à une logique linguistique et sociolinguistique donc à des études soutenues sur lesquels se fondent un décideur sérieux. L’honnêteté intellectuelle de reconnaitre que le wolof est une lingua franca au Sénégal est celle-là qui nous met devant l’évidence de reconnaitre que, dans le cadre africain, le wolof n’est pas répandu. Force est de reconnaitre qu’en dehors des frontières de la Sénégambie et de la Mauritanie, le wolof reste une langue étrangère qui n’est parlée que par les ressortissants de la Sénégambie et de la Mauritanie dans une moindre mesure. Toutefois, le Sénégal a cette grande opportunité de compter parmi ses langues le mandinka et surtout le pulaar plus connu sous le vocable fulfude. On estimait déjà en 2010 le nombre de locuteurs à vingt-cinq millions de locuteurs (M. Barro 2010)[1] dans plus d’une vingtaine de pays avec des variétés dialectales mutuellement intelligibles. Ce n’est pas un hasard si nous avons aujourd’hui RFI mandenkan et RFI fulfulde. La toute nouvelle chaine Pulaagu sur le bouquet Canal+ passe des productions de plusieurs pays africains où le fulfulde est bien présent.
En Afrique de l’ouest, elles sont de loin les deux langues les plus transfrontalières et peuvent servir de moyens de communications dans tous les pays de cette région. En Afrique centrale, le fulfulde est très présent et constitue la langue véhiculaire dans le nord du Cameroun. Compte tenu de cette situation, le mandinka et le fulfulde occupent une place de choix pour figurer dans le cercle des langues de communication dans nos pays, notre sous-région et notre continent. Elles allient deux principes fondamentaux à savoir, le nombre de locuteurs et la répartition géographique. Ignorer ces données, c’est négligé un outil linguistique très important dans l’unification culturelle de l’Afrique si chère à Cheikh Anta Diop.
Ousmane Sy, ès-didactiques des langues, enseignant au lycée de Donaye Taredji.
NOS LANGUES, À CONDITION QU’ELLES PARLENT FORTEMENT NOS IMAGINAIRES
EXCLUSIF SENEPLUS - Il y a un rapport idéologique à reconstruire avec sa propre langue : celle de sortir de la vision d’un Universel qui aplatit et détruit les divers cultuels, sociologiques, anthropologiques
Ces deux écrivains, dans leurs prescriptions, posent la centralité d’une langue dans la continuation anthropologique d’une communauté pour la sauvegarde de son imaginaire. C’est par la langue que l’essence d’une communauté se prolonge. Pourquoi il n’y a pas de mots wolofs pour désigner millions, milliards ? La réponse est dans l’absence de propension exagérée d’accaparement et de richesses au-delà des besoins de survie. Pourquoi le mot « mbok » signifie de nos jours « parents » alors qu’il est de la même famille que « bokk » qui veut dire : « se partager, ou ce qui est à tous » ?
Dans la réalité du carnage foncier sous le régime de Macky Sall, ce qui est agité contre son illégalité est une expression, ce qui est à tous, « li ñepp bokk ». La communauté dépose dans les mots le sens fort d’un en- commun. Dans les autres langues africaines, longtemps résilientes aux valeurs capitalo-libéralistes, il y a des traces - mémoires d’un en-commun tenace. Donc, l’enseignement et la pratique de nos langues prolonge leur lente et forte volonté de porter l’identité, les cultures, les imaginaires propres à nos sociétés africaines.
Donc, aujourd’hui, parler, écrire nos langues sont, certes, un palier important dans la reconquête de nos cultures, de notre souveraineté. Mais sont-ils suffisants pour ne pas parler la culture dominante de l’autre ?
Nous vivons dans ce que Patrick Chamoiseau nomme un monde-relié où règne, de nos jours, une domination furtive. Dans la domination brutale, l’injonction était de remplacer sa langue, sa culture par celles des dominateurs. Aujourd’hui, la domination furtive se fait par la cybernétique, les réseaux « sociaux ». Les centres dominateurs ont anesthésié les communautés. Patrick Chamoiseau décrit l’époque dans laquelle nous vivons en ces termes : /…/ La domination furtive ne s’oppose à rien. Ses forces uniformisantes naissent de puissances dématérialisées qui se moquent des vieilles armes. Je pouvais parler ma langue. Hisser mon drapeau. Clamer mon Dieu./…/ Je demeurais la proie de pouvoirs commerciaux : images, médias, finances, médicaments, consommation… Leurs points d’impulsion ne sont plus seulement des États-Territoires, mais, au cœur du cyberspace, des nodules d’interactions qui propagent des standards auxquels tu devrais adhérer.
Si nous sommes dans ce monde de domination furtive du capitalo-libéralisme, parler et écrire sa propre langue ne suffisent plus. Les valeurs standards (l’individu, l’atomisation même en étant en groupe, l’argent, la marchandise, le marché, etc.) passent aussi dans et par nos langues.
Il y a, à mon avis, un rapport idéologique à reconstruire avec sa propre langue. Et Chamoiseau dit qu’il y a lieu de dire contre et à l’endroit de la langue dominante : « Cette langue, c’est ma patrie. Cette langue m’a choisi ou j’habite cette langue. » Cette bifurcation te met en garde de la parler en l’infusant d’énormément de mots d’emprunt d’autres langues comme le français, le wolof, etc. Le présentateur de télévision, de radio, le discoureur dans sa propre langue refuse sciemment le processus de créolisation de leur-s langue-s par des langues dominantes (français, wolof, etc. Ce rapport idéologico- affectif est tout aussi une conscience de se défaire des normes standardisées propagées par la domination furtive qui sont les filets de notre déshumanisation. Alors que nos langues nous parlent autre pour nous rappeler la tradition de notre en-commun : « Nit nitëy garabam », ((traduit difficilement par l’homme est le remède de l’homme), la préservation de notre patrimoine identitaire : ku wacc sa ànd ànd bo dem fekko mu toj » (celui qui abandonne sa culture est sans culture ». Et beaucoup, beaucoup d’autres choses.
L’autre bifurcation fondamentale est le recentrage dans nos langues de nos imaginaires, de nos cosmogonies qui pourtant se démerdent encore par des grouillements païens, traditionnels parce qu’il y a le contrôle d’autres langues, d’autres croyances religieuses. C’est dans ce sens que la prescription de Boubacar Boris Diop et de Ngugi wa Thiong’ o de mettre aux programmes de nos classes les thèses de Cheikh Anta Diop, de traduire nos monuments littéraires en langues nationales pour que les traces-mémoires de nos traditions qui s’y trouvent participent de la re-fondation de notre identité. Césaire nous parle de ne pas nous en faire des clichés de racisme, populisme : « Ce n’est pas par haine des autres races que je m’exige bêcheur (arrogant) de cette unique race (les noirs). »
Dans ce monde-en-relation, des langues disparaissent sous l’œil joyeux des langues dominantes. Des cultures, des cosmogonies aussi par le processus de l’unité universalisante, donc par la négation ou l’uniformisation de ces divers. La bataille idéologique est de sortir de la vision d’un Universel qui aplatit et détruit les divers cultuels, sociologiques, anthropologiques. À ce niveau, la bifurcation se fait par une conscience d’être comme dit Édouard Glissant (écrivain nègre) l’oiseau de son propre divers qui vole vers d’autres lieux qui cherchent pourtant à imposer leurs divers derrière le masque de l’Universel.
C’est quoi le divers que chacune de nos langues doit porter ? Hélas, je cite encore Chamoiseau (oiseau de Cham, l’ancêtre des noirs brûlés par Dieu selon l’imaginaire européen mais principalement méditerranéen, Chamoiseau est un fils de descendants d’esclaves noirs de Martinique). Il écrit : « le divers est ce qui me densifie et me disperse, m’éloigne et me ramène, me nomme et me dilue, m’a précédé et me prolongera. » Le seul véhicule des divers d’une communauté qui entre en relation avec d’autres est sa langue. Et pour continuer ce que nous fûmes, « les fils aînés du monde », sans se faire absorber et sans le faire à d’autres, Édouard Glissant nous parle : « Maintenir notre lieu dans le monde pour signifier le monde entier. »
Dr Cheikh Kasse est Enseignant-chercheur en littérature orale.
AFFECTATION À L'IFAN : LE SAES APPELLE LE SUDES À LA RETENUE
La Coordination SAES de Dakar dément les rumeurs d'une prétendue irrégularité dans la mutation d'Ismaila Madior Fall. Selon le syndicat, aucune demande n'a encore été examinée par le Comité scientifique, seul habilité à émettre un avis sur la question
La Coordination du Syndicat Autonome de l'Enseignement Supérieur (SAES) du Campus de Dakar intervient dans la polémique impliquant le Sudes et Ismaila Madior Fall à propos de l'affectation de ce dernier à l'IFAN. Elle indique dans un communiqué qu'à ce jour, aucune demande officielle n'a été déposée à l'IFAN ni examinée par son Comité scientifique, seul habilité à se prononcer sur de telles questions. La Coordination dénonce par ailleurs les « délires d'opinion » qui ont pollué le débat ces derniers jours, jetant le discrédit sur la crédibilité des instances de l'IFAN et remettant en cause la liberté de carrière des enseignants.
"Communiqué aux militants
Des rumeurs persistantes, portant sur une supposée entorse à l'application des textes de l'UCAD dans l'un de ses établissements, l'IFAN, polluent l'espace universitaire.
Des informations non fondées, car non étayées, ne sauraient remettre en cause la possibilité offerte par les textes à un enseignant-chercheur ou chercheur de faire une demande d'affectation dans un établissement de l'UCAD.
La Coordination SAES de Dakar porte à la connaissance de la communauté universitaire et de l'opinion publique qu'à ce jour, aucun acte de procédure n'a été déposé à l'IFAN et encore moins examiné par le comité scientifique de cet Institut, seule instance habilitée à émettre un avis sur le détachement d'un enseignant ou l'affectation d'un chercheur dans un établissement d'enseignement ou de recherche.
Pour rappel, le décret 84-1184 du 13 octobre 1984 en vigueur, en son article 24, dispose que « Des membres du personnel enseignant des facultés peuvent être affectés à l'IFAN pour une durée de trois ans renouvelables, par arrêté du ministre chargé de l'Enseignement supérieur, sur proposition du Comité scientifique et après avis de l'Assemblée de l'Université.»
S'il nous en souvient à ce jour, le Directeur de l'IFAN, consulté par le Recteur sur l'affectation du camarade Ismaila Madior Fall, n'a fait qu'informer l'Assemblée d'établissement lors de sa session du mardi 30 avril 2024, dans l'attente du déclenchement de la procédure telle que prévue à l'article susmentionné.
De fait, l'IFAN a une longue tradition d'accueil de collègues mus par le désir de promouvoir la recherche au sein de l'UCAD au regard du caractère prestigieux de l'Institut, qui n'a rien d'un établissement servant à caser des personnes.
Aussi, considérons-nous qu'il est intolérable que des délits d'opinion soient soulevés ces derniers jours à l'endroit du camarade Ismaël Madior Fall et que cela puisse contribuer à semer le doute :
- d'une part, sur la crédibilité des instances de l'IFAN principalement habilitées à statuer sur la question comme il l'a déjà fait dans le passé :
- d'autre part, sur le respect de la liberté accordée à tout enseignant -chercheur d'imprimer à la gestion de sa carrière l'orientation qu'il souhaite y apporter. Au surplus, l'intéressé a déjà été réintégré dans ses fonctions de Professeur titulaire à la FSJP par arrêté numéro 00001199 du 3 mai 2024.
En définitive, il appartiendra au comité scientifique de l'IFAN, une fois saisie en bonne et due forme, de prendre les décisions appropriées sur l'acceptation ou non du collègue en cause.
La coordination du SAES campus de Dakar appelle la communauté universitaire à davantage de retenue afin d'éviter de faire de l'UCAD un enjeu politique, un terrain de règlement de comptes personnel.
La coordination du SAES Campus de Dakar réaffirme son engagement pour la défense des intérêts matériels et moraux des militants et entend jouer pleinement son rôle d'avant-gardiste et de veille dans l'application des textes qui régissent la communauté universitaire."
par Ngugi wa Thiong'o et Boubacar Boris Diop
LETTRE OUVERTE À BASSIROU DIOMAYE FAYE
EXCLUSIF SENEPLUS - Les langues sénégalaises doivent être au coeur du nouveau Sénégal. Cela doit commencer par l'abandon du préalable de la maîtrise du français par les candidats à la présidence
Ngugi wa Thiong'o et Boubacar Boris Diop |
Publication 09/05/2024
Excellence, Monsieur le président de la République,
Permettez-nous de nous présenter avant d'en venir au cœur de notre propos. Nous sommes Ngugi Wa Thiong'o du Kenya et Boubacar Boris Diop du Sénégal. Tous deux romanciers et essayistes, nos œuvres les plus connues sont respectivement Decolonizing the Mind : The Politics of Language in African Literature (1986) et Murambi, le livre des ossements (2000), consacré au génocide perpétré en 1994 contre les Tutsi au Rwanda. Ce qu'il importe toutefois de souligner au regard de la motivation principale de cette lettre ouverte, c'est qu'en plus de notre production littéraire en anglais et en français - les langues des anciens colonisateurs - nous avons publié des ouvrages dans nos langues maternelles, le Kikuyu et le Wolof parmi lesquels Matigari (1986) et Bàmmeelu Kocc Barma (2017).
Nous vous félicitons sincèrement pour votre investiture en tant que nouveau président de la République du Sénégal. Nos félicitations vont également à votre Premier ministre et compagnon de lutte, M. Ousmane Sonko. Par cette brillante élection qui n'a été contestée par aucun de vos rivaux, le peuple sénégalais ne vous a pas choisi comme son maître mais comme l'esclave de ses rêves. Il ne fait aucun doute à nos yeux que vous saurez vous hisser à la hauteur de ses espérances.
Nous ne nous sommes certes jamais rencontrés en personne mais toute l'Afrique, en vérité le monde entier, vous connaît et nous savons que votre jeunesse même a fait souffler un vent d'optimisme sur le continent africain. C'est du reste pour cette raison que nous avons pris la liberté de nous adresser aujourd'hui à vous en tant que vos aînés, à l'africaine en quelque sorte, mais aussi en tant que deux de vos admirateurs.
Si l'Afrique va aujourd'hui encore si mal, c'est la faute de ses leaders politiques qui, à quelques exceptions près, comme Kwame Nkrumah, ont trahi les populations africaines. De mauvais dirigeants ont tout simplement normalisé les anomalies du colonialisme et du néo-colonialisme, qui n'est rien d'autre que l'africanisation du système colonial. Voilà pourquoi nos ressources naturelles continuent depuis si longtemps à enrichir l'Europe et l'Occident. Au moment où les regards de ces complexés restent obsessionnellement tournés vers l'Occident, on ne peut manquer de s'interroger : où sont donc nos inventeurs ? Nos ingénieurs ? Nos explorateurs spatiaux ? L'Afrique aspire à un leadership capable d'enflammer l'imagination de sa jeunesse. Mais cela ne pourra jamais se faire avec des présidents qui ne savent qu'imiter l'Occident, des présidents qui ne croient ni en eux-mêmes ni en leurs peuples. Vous, Excellence, vous avez la possibilité d'ouvrir pour votre peuple des sentiers nouveaux, vous pouvez lui redonner une telle confiance en lui-même qu'il traitera, tout naturellement, d'égal à égal avec toutes les autres nations de la terre. Gardez cependant à l'esprit que si vous choisissez cette voie, vous vous ferez bien des ennemis en Occident. Ce que l'Europe et l'Occident attendent de l'Afrique, c'est qu'elle n'arrête jamais de mettre ses matières premières à leur disposition sans rien recevoir en contrepartie. N'acceptez pas une telle iniquité. Et s'ils vous diabolisent pour cela, et ils ne manqueront pas de le faire, ne vous en souciez pas, car seul doit compter pour vous le jugement du peuple sénégalais.
Nous aimerions à présent partager avec vous quelques brèves réflexions sur la question linguistique qui nous est très familière en tant qu'écrivains. Nous avons choisi de nous concentrer sur ce problème particulier parce que, à notre humble avis, sa résolution est un préalable à toute révolution économique, politique, sociale et culturelle, et donc au bien-être de vos compatriotes.
Voici quelques points que nous tenons à souligner :
Votre pouvoir tire sa force des citoyens sénégalais. Vous les défendez, ils vous défendent. Vous leur parlez, ils vous parlent. Mais vous ne pouvez pas le faire en utilisant une langue qu'ils ne comprennent pas. N'est-ce pas là une évidence, M. le président ?
Les langues sénégalaises doivent être la pierre angulaire du nouveau Sénégal. Chaque Sénégalais a le droit d'exiger le respect de sa langue maternelle. Évitez toute hiérarchisation des langues. Priorité donc à la langue maternelle, qu'elle soit le pulaar, le seereer, le soninke, le wolof, le mandinka, le joolaa ou toute autre langue parlée au Sénégal. Mais si une langue sénégalaise, par exemple le wolof, devient celle qui permet la communication entre tous les Sénégalais, cela ne doit poser aucun problème. Voici notre conception de la politique linguistique : la langue maternelle d'abord. Ensuite, disons, le wolof. Ensuite, disons le swahili, le français, etc. Si vous connaissez toutes les langues du monde sans connaître votre langue maternelle, vous êtes en état d'esclavage mental. En revanche si après avoir maîtrisé votre langue maternelle vous y ajoutez toutes les autres langues du monde, vous n'en serez que plus riche et plus fort.
Encouragez les traductions entre les langues sénégalaises. C'est à nos yeux un point fondamental. Nous proposons à cet effet la mise en place d'un centre national d'interprétation et de traduction qui permettrait une symbiose et une fertilisation croisée entre les langues de votre pays et entre celles-ci et les langues de l'Afrique et du monde. Votre Excellence, de nombreux Africains ont apprécié le fait que lors de votre première visite officielle en Gambie, vous et le président Barrow avez échangé directement en wolof. Nous savons également que, contrairement à vos prédécesseurs, vous prononcez la plupart de vos discours à la fois en français et en wolof et nous pensons que c'est exactement ce qu'il faut faire. Faites votre discours dans une langue sénégalaise, puis mettez-le à disposition dans toutes les autres langues sénégalaises avant de le faire traduire en français. Aux Nations Unies, parlez dans une langue sénégalaise et votre propos pourra faire l'objet d'une traduction simultanée dans les langues de travail de cette organisation internationale. En d'autres termes, faites comme tous les autres présidents du monde, prononcez vos discours dans votre langue. En visite en France par exemple, faites-vous accompagner d'un interprète et adressez-vous dans une langue sénégalaise à votre homologue de l'Élysée. En bref, veillez à faire respecter partout les langues sénégalaises. Et cela doit commencer par l'abrogation dès que possible de l'étrange et embarrassant article 28 de la Constitution sénégalaise, qui exige de tout candidat à la présidence qu'il sache lire, écrire et parler couramment le français.
Organisez les paysans et les ouvriers sénégalais. Stimulez leur créativité. Ils seront vos plus ardents défenseurs. Ne vous préoccupez pas des soi-disant élites intellectuelles qui, parce qu'elles auraient tant à perdre dans le développement des langues de votre pays, multiplient les manœuvres et les arguments fallacieux pour faire dérailler le train de l'Histoire.
Les œuvres de Sembène Ousmane, notamment Les Bouts-de-bois-de-Dieu, et celles d'autres grands noms de la littérature comme Cheikh Hamidou Kane, devraient être disponibles dans toutes les langues sénégalaises. Quant à Cheikh Anta Diop, il est temps que ses livres soient au programme de toutes les écoles de votre pays.
Nous souhaitons aussi que les littératures progressistes d'Afrique et du reste du monde soient disponibles dans les langues sénégalaises et enseignées dans vos écoles et dans vos universités.
Nous savons bien que le Sénégal sera votre priorité. Mais il faudra ensuite vous tourner vers l'Afrique puis vers l'Asie et l'Amérique latine avant de penser à l'Europe. Et cette option devrait se refléter dans le système éducatif.
Faites du Sénégal une nation de penseurs, d'inventeurs, d'artisans, d'explorateurs, une nation de créateurs, ouverte à tous les vents du monde et capable de faire respecter ses intérêts vitaux.
En espérant que ces idées et suggestions de deux compatriotes africains de bonne volonté retiendront votre attention, nous vous prions de croire, Excellence, à notre profond respect.
Your Excellency President Bassirou Diomaye Diakhar Faye
Allow us to introduce ourselves to you before getting to the heart of what we have to say. We are Ngugi Wa Thiong'o from Kenya and Boubacar Boris Diop from Senegal. Both novelists and essayists, our best-known books are respectively Decolonizing the Mind: The Politics of Language in African Literature. (1986) and Murambi, le livre des ossements (2000), about the genocide perpetrated in 1994 against the Tutsis in Rwanda. But the most important thing to emphasize with regard to the motivations behind this open letter is that we have not exclusively published works in English and French - the languages of the former colonizers - but also novels - including Matigari (1986) and Bàmmeelu Kocc Barma (2017) - in our mother tongues, Kikuyu and Wolof.
Congratulations on your assumption of power as the new President of the Republic of Senegal. Our congratulations also go to your Prime Minister and brother in arms, Mr. Ousmane Sonko. With this brilliant election, which not one of your rivals contested, the Senegalese people have not chosen you as its master but as its servant. We have no doubt whatsoever that you will live up to this expectation. We have never met in person but all Africa, indeed the world, has met you and we know that your youth gives Africa hope. That's why we are writing to you as both your African elders and admirers.
Up to now, except for a few leaders like Kwame Nkrumah, the African leadership has betrayed African people. They have simply normalized the abnormalities of Colonialism and neo-colonialism which is simply the Africanization of the colonial system. Our resources have continued to develop Europe and the West. As we only look up to the West, one wonders where our inventors are? Our engineers? Our space explorers? Africa longs for a leadership that can fire the imagination of the continent’s youth. But we cannot do that when our leadership simply mimics, always imitating the West, with no belief in ourselves, in our people. You are in a position to steer Senegal onto a new and different path towards a collective self-confidence, relating to the world on the basis of equal give and take. But if you choose that path, you will create enemies in the West. The West wants an Africa that always gives to Europe and the West. Don't accept an inequity which will be at the expense of your people. And if they demonize you for that, just don't care, don't accept any other judge than the Senegalese people.
Let us now share a few thoughts. We 've chosen to focus on the language problem, because as writers we're familiar with it, but also because, in our humble opinion, the resolution of the language problem is a prerequisite for any economic, political, social, and cultural revolution, and therefore for the well-being of your compatriots.
These are some points we want to stress:
1.Your Power is the Senegalese people. You defend them, they defend you. You speak to them they speak to you. But you cannot do that using a language they can't understand. It is as simple and self-evident as that.
2. Senegalese languages must be the bedrock of the new Senegal. Every Senegalese has a right to their mother tongue. Avoid hierarchy of languages. So, mother tongue first, be it Pulaar, Seereer, Soninke, Wolof Mandinka or Joolaa or any other language spoken in Senegal. But if one Senegalese language, say Wolof, becomes the language that enables conversation among all the other Senegalese languages, that is good. The language policy: Mother tongue first. Then say, Wolof. Then say Swahili, French etc. If you know all the languages of the world, and you don’t know your mother tongue, that is mental enslavement. But if you know your mother tongue, and add all the languages of the world to it, that is empowerment.
3. Encourage translations among Senegalese languages. This is a particularly important point for us. To that end, set up a national interpreting and translation center that would enable a symbiosis and a cross-fertilization between the languages of your country, and between them and the languages of Africa and the world. His Excellency, many Africans appreciated the fact that during your first official visit to the Gambia, you and President Barrow spoke directly to each other in Wolof. We also know that, unlike your predecessors, you make most of your speeches in both French and Wolof, and we think that's exactly the right thing to do. Make your speech in a Senegalese language and then make it available in all the other Senegalese languages. And then in French etc. At the United Nations, speak in a Senegalese language. You can have it translated and or interpreted into French or English, as necessary. In other words, do what all other Presidents in the world do; they make their speeches in their languages. In France, with a French President, speak to him in a Senegalese language. You have an interpreter with you etc.
In short, please invest in the Senegalese languages. And this must start with the repeal at the earliest opportunity of the strange article 28 of the Senegalese Constitution, which requires all presidential candidates to be able not only to speak but also to read and write French.
4. Organize the Senegalese farmers and workers. Fire their imagination. They are your defenders. Don't worry about all the self-proclaimed elites who have so much to lose in the development of your country's languages, and who are multiplying maneuvers and specious arguments to derail the train of History.
5. The works of Sembène Ousmane, especially God’s Bits of Wood, and those of other literary giants like Cheikh Hamidou Kane should be available in all Senegalese languages. As for Cheikh Anta Diop, his books should be taught in all Senegalese schools
6. Progressive literatures from Africa and the rest of the world should be made available in Senegalese languages and also taught in Senegalese schools and universities
7. Senegal first. Then Africa. Then Asia and Latin America. Then Europe etc. This should be reflected in the country’s educational system.
8. Senegal must become a nation of thinkers, inventors, manufacturers, explorers, a nation of makers of things, relating to the world on the basis of equal give and take.
These are, His Excellency, just a few thoughts from two African compatriots and well-wishers from Kenya and your beloved Senegal.