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2 décembre 2024
Culture
par Jean-Claude Djéréké
VING ANS QUE MONGO BÉTI A TIRÉ SA RÉVÉRENCE
EXCLUSIF SENEPLUS - Qu’est devenu le feu de la justice, de la liberté qu'il a légué ? Qu’avons-nous fait de son héritage ? L’Afrique honorera-t-elle un jour cet écrivain qui était à la fois un empêcheur de tourner en rond et un géant de la pensée ?
20 ans qu’il s’en est allé dans l’autre monde. 20 ans qu’il rendait l’âme et les armes à l’hôpital général de Douala, celui de Yaoundé ne disposant pas de dialyse qui puisse soigner l’insuffisance hépatique et rénale dont il souffrait. Jour triste que ce 7 octobre 2001. J’eusse aimé être là pour voir enfin son visage et lui dire adieu mais, depuis un an, j’avais déjà quitté la ville et le pays. Ce pays qu’il aimait tant mais où “les pères des indépendances sont devenus fous, les gens compétents se sont exilés, la justice et la démocratie sont truquées, la mémoire des martyrs est enterrée” (cf. ‘L’histoire du fou’, Paris, Julliard, 1994). Il y était revenu en 1991 après 32 années d’exil en France parce qu’il souffrait de se sentir hors lieu (out of place), pour reprendre la formule d’Edward Said, parce qu’il voulait apporter sa modeste pierre à la construction de l’édifice. En effet, dès qu’il posa ses valises au Cameroun, il ouvrit (avec son épouse française Odile Tobner) la librairie des peuples noirs, se lança dans la culture des tomates et l’élevage des porcs dans son village, écrivait régulièrement dans les journaux proches de l’opposition pour dénoncer aussi bien les dérives du régime Biya que la résignation qui poussait la population à noyer ses soucis dans l’alcool et le sexe.
C’est dans les années 1950 que Mongo Beti (l’enfant beti) commença à évoquer les problèmes du pays. Ceux qui ont lu ‘Ville cruelle’ comprendront aisément de quoi nous sommes en train de parler. Publié en 1954 par Présence Africaine du Sénégalais Alioune Diop sous le pseudonyme d’Eza Boto, le roman nous fait voir les abus et exactions que subissaient les Noirs pendant la colonisation. On y découvre vite que Banda, le héros, rejette cette société où les Blancs ont plus de privilèges que les Noirs et font ce que bon leur semble, où justice n’est pas rendue au Noir quand il est spolié ou insulté par le Blanc, où le prêtre blanc dénonce le Noir qui la veille est venu confesser le tort qu’il a causé à son patron blanc. Mais on y admire aussi la solidarité des Africains : d’abord, celle des cinq femmes qui aident Banda à porter son cacao jusqu’en ville et qui rendent visite à sa mère à Bamila pendant son emprisonnement ; ensuite, celle des ouvriers qui se mettent ensemble pour donner une correction au patron blanc qui refusa de payer leur salaire. On est surtout heureux et fier de voir Banda tenir tête aux contrôleurs, même si ces derniers finissent par voler son cacao.
Mongo Beti reviendra à la charge en 1956 avec ‘Le pauvre Christ de Bomba’ que l’on peut considérer comme une description satirique du monde missionnaire et colonial à travers les mésaventures du Révérend Père Supérieur Drumont. Celui-ci voulait “civiliser” et évangéliser les Africains, croyait que ces derniers étaient acquis à sa cause, se prenait pour un Messie, mais le RPS ne réussira pas sa “mission” et c’est le cuisinier Zacharie qui lui donnera les raisons de son échec : “Les premiers d’entre nous qui sont accourus à votre religion, y sont venus comme à une révélation, une école où ils acquerraient la révélation de votre secret, le secret de votre force, la force de vos avions, de vos chemins de fer, est-ce que je sais, moi… le secret de votre mystère, quoi ! Au lieu de cela, vous vous êtes mis à leur parler de Dieu, de l’âme, de la vie éternelle, etc. Est-ce que vous vous imaginez qu’ils ne connaissaient pas déjà tout cela avant, bien avant votre arrivée ? Ma foi, ils ont eu l’impression que vous leur cachiez quelque chose. Plus tard, ils s’aperçurent qu’avec de l’argent ils pouvaient se procurer bien des choses, et par exemple des phonographes, des automobiles, et un jour peut-être des avions. […] Voilà la vérité, Père ; le reste, ce n’est que des histoires.” Mongo Beti défend ainsi l’idée que le missionnaire ne fut ni “civilisateur” ni “évangélisateur” mais auxiliaire ou complice du colon dans certains pays africains, ce que résume bien Fabien Eboussi Boulaga quand il écrit : “Pour différentes l’une de l’autre qu’elles soient, l’évangélisation et la colonisation ne s’opposent pas, elles s’accordent même sur la tâche de redressement de l’homme arriéré et déchu et elles ne se distinguent que comme deux faces d’une même pièce de monnaie. En somme, chacun s’est servi de l’autre, chacun gardant son but propre. Mais ce fut au détriment des Africains.” (cf. À Contretemps. L’enjeu de Dieu en Afrique’, Paris, Karthala, 1991, p. 121).
Le romancier camerounais était comme obsédé par le “devoir d’être toujours aux côtés des humiliés qui luttent” (Che Guevara) et de faire entendre leur cri. Une obsession qui le rendait sévère vis-à-vis du Guinéen Camara Laye qui, à ses yeux, parlait peu des souffrances des peuples africains. Il l’accusait notamment de “se complaire dans l’anodin et surtout le pittoresque le plus facile [...], d’ériger le poncif en procédé d’art, de s’acharner à montrer une image stéréotypée de l’Afrique et des Africains : univers idyllique, optimisme de grands enfants, fêtes stupidement interminables” (André Djiffack, ‘Mongo Beti, le Rebelle’, vol I, Paris, Gallimard, 2007, pp. 17-18). Parce que “la réalité actuelle de l’Afrique noire, sa seule réalité profonde, c’est avant tout la colonisation et ses méfaits”, Mongo Beti ne pouvait que se dresser contre la colonisation. ‘Main basse sur le Cameroun, autopsie d’une décolonisation’ (Paris, Maspero, 1972) lui en fournira l’occasion. Mais l’essai, qui fustige la dictature d’Ahmadou Ahidjo et le contrôle des pays africains par la France malgré les “indépendances” de 1960, est aussitôt censuré par un arrêté du ministre de l’Intérieur français, Raymond Marcellin, sous la pression du gouvernement camerounais. C’est en 1976 que l’auteur et l’éditeur obtiendront l’annulation de l’arrêté d’interdiction.
Deux ans plus tard, Mongo Beti met sur le marché ‘Peuples Noirs, Peuples africains’. La revue bimestrielle, où publiera l’exilé Laurent Gbagbo, paraîtra jusqu’en 1991. Farouchement opposé aux ingérences étrangères en Afrique, à l’influence de Jacques Foccart sur certains dirigeants africains, à la coopération franco-africaine, “une vaste escroquerie qui ne profite qu’à la France”, à la francophonie qui, pour lui, est “une institution pernicieuse et destructrice”, Alexandre Biyidi Awala n’en fustige pas moins Ahidjo que Paris juge plus accommodant que les leaders nationalistes de l’Union des populations du Cameroun (UPC). Il n’est pas plus tendre avec Paul Biya, “une créature de François Mitterrand et un chef d'État fantôme sous lequel la justice est devenue une farce permanente et sinistre”.
Après lecture de ‘Ville cruelle’, de ‘Le pauvre Christ de Bomba’ et d’autres ouvrages, il est difficile de ne pas penser avec André Djiffack qu’il y a chez Mongo Beti “comme un mélange de Socrate par l’élévation de l’esprit, de Voltaire par l’effronterie à l’égard des pouvoirs institués, de Sartre par le militantisme impertinent et de Césaire par la lutte anticoloniale en vue de l’émancipation du monde noir” (cf. ‘Mongo Beti le Rebelle’ pp. 17-18), difficile de ne pas tomber sous le charme de “ce Prométhée camerounais qui nous lègue le feu” (Boniface Mongo Mboussa).
Qu’est devenu le feu de la justice, de la liberté et de la vérité légué par Mongo Beti ? Qu’avons-nous fait de son héritage ? L’Afrique digne et debout honorera-t-elle un jour cet écrivain qui était à la fois un empêcheur de tourner en rond et un géant de la pensée et de l’écriture ?
ACHEVEMENT DE SAMORY DE OUSMANE SEMBENE, DIVERGENCES ENTRE MOUSSA SENE ABSA ET PR KASSE
Réaliser le film Samory, «l’œuvre de la vie de Sembène», pour lui rendre un hommage. Cette idée à peine agitée, a été balayée d’un revers de la main par le professeur Maguèye Kassé
Réaliser le film Samory, «l’œuvre de la vie de Sembène», pour lui rendre un hommage. Cette idée à peine agitée, a été balayée d’un revers de la main par le professeur Maguèye Kassé. Qui estime que personne ne peut le faire comme le père du cinéma africain. Ce que Moussa Sène Absa réfute. Pour lui, c’est bien possible et qu’il suffit de le faire de manière collégiale.
Cela fait 14 ans que le père du cinéma africain repose à Yoff. Pour autant, son œuvre, bien que précurseur sur bien des aspects, n’est pas encore achevée. Il reste, entre autres, Samory dont 2 tomes ont été rédigés par l’aîné des anciens avant sa mort, n’est toujours pas sorti. Si d’aucuns par respect ou admiration pour lui estiment que personne à part Ousmane Sembène n’est capable de le réaliser, d’autres affirment le contraire. C’est la quintessence du panel Ousmane Sembène en question organisé à la mairie de Ouagadougou hier. Que reste-t-il de l’héritage de Ousmane Sembène ? C’est une question à laquelle nombreux sont les jeunes qui s’y intéressent. A cet effet, un panel a été organisé. Intitulée Ousmane Sembène en question, cette rencontre a réuni des anciens compagnons du réalisateur, des acteurs et des universitaires pour analyser l’écriture visuelle du réalisateur et le cinéma de Sembène et la postcolonialité. Mais les débats ont été surtout marqués par l’achèvement de Samory.
C’est le Secrétaire général du ministère de la Culture qui a fait la proposition. «Il faut penser à achever les œuvres de Ousmane Sembène. Qu’on réunisse les personnes ayant les qualités pour le faire, vu que Samory a été déjà rédigé», a déclaré l’officiel sénégalais. Une affirmation qui est perçue comme un blasphème par le professeur Maguèye Kassé. Pour lui, personne ne peut réaliser Samory comme l’a voulu Ousmane Sembène. «Je le dis sans ambages : ce que j’ai appris de Sembène, ce qu’il m’a dit, les tomes que j’ai lus de Samory, je dis que personne ne peut avoir la trajectoire, l’idée que Sembène avait pour faire Samory», a-t-il sèchement déclaré.
Moussa Sène Absa n’est pas d’accord avec l’universitaire. Pour lui, le projet est réalisable à condition de le faire de manière collégiale. «On meurt tous avec nos idées. Nous n’avons pas les mêmes rêves. Par contre, les histoires sont universelles», a-t-il répondu au professeur Kassé. Avant d’ajouter : «Si le Sénégal se mobilisait avec la sous-région, que ça ne soit pas un film sénégalais mais ouest-africain parce que Samory, ce n’est pas que pour le Sénégal, la Guinée ou le Mali. C’est pour un empire, donc tous les fils de cette région se mobiliseraient en mutualisant les moyens, c’est un film de 4 fois 2 heures. C’est une épopée. On peut prendre un Sénégalais, Malien, Guinéen et ainsi de suite et créer une dynamique pour faire un grand film pour rendre hommage à Ousmane Sembène. Si nous ne le faisons pas, d’autres vont le faire.»
Pour le professeur Wone, «il ne faut pas se faire d’illusions en pensant pouvoir faire Samory à la place de Sembène». Le chercheur explique sa pensée sur le sujet avec ces mots : «Samory a été présenté comme le projet de sa vie. Il est allé très loin dans la préparation.» Il le disait lui-même : «Samory concerne toute l’Afrique et était d’un budget assez lourd et il est parti sans le réaliser. On peut donner corps de plusieurs manières à ce projet.
Sembène a joué un rôle important dans la carrière de beaucoup de grands réalisateurs et producteurs.» Il ajoute : «Qui peuvent trouver le moyen de se réapproprier cette œuvre à leur façon car on ne peut pas faire Samory comme l’aurait fait Sembène. On peut lui rendre hommage en se projetant à travers Samory ou une grande fresque qui est proche du rêve de Sembène (…) ce qui est intéressant c’est ce que ce débat peut susciter aussi bien chez les compagnons de Sembène que chez la nouvelle génération.»
LUMIERE SUR LA VIE SOMBRE DES MIGRANTS EN FRANCE
Pénétrer la triste vie des sans-papiers dans un taudis en France, c’est ce qu’offre la réalisatrice Mame Woury Thioubou à travers «5 étoiles»
Malick GAYE (Envoyé spécial à Ouaga) |
Publication 20/10/2021
Pénétrer la triste vie des sans-papiers dans un taudis en France, c’est ce qu’offre la réalisatrice Mame Woury Thioubou à travers «5 étoiles». Son documentaire en compétition au Fespaco a été projeté lundi dernier. C’est un rêve qui se réalise pour la journaliste-réalisatrice.
C’est un rêve qui se réalise pour Mame Woury Thioubou. Son documentaire primé à Carthage, lors des Journées cinématographiques, a été projeté au Fespaco. En compétition officielle dans la catégorie des documentaires, la réalisatrice est largement revenue sur les motivations qui l’ont poussée à mettre en lumière le quotidien de migrants en France. «Ces jeunes quittent nos pays pour l’Europe, ils prennent la route du désert, ils passent par la Libye, ils traversent la Méditerranée pour arriver en Italie. Ensuite, ils traversent les montagnes pour aller en France. Certains se retrouvent à Lille. Leur situation dans ce squat abandonné où ils vivent m’a interpellée. Je me suis demandée pourquoi ces jeunes prennent-ils tous ces risques ? J’ai voulu connaître leurs motivations», a expliqué Mame Woury Thioubou après la séance de projection.
5 étoiles s’est évertué à braquer une lumière sur ce que vivent ces jeunes. Qui, après avoir vécu, pour certains, les affres des prisons libyennes où escroquerie et torture faisaient partie de leur quotidien, atterrissent en France avec la tête pleine de rêves. Dans l’Hexagone, c’est un autre combat qu’ils doivent gagner.
En effet, pour ceux qui arrivent à Lille, la maison d’accueil s’appelle 5 étoiles. C’est une ancienne usine abandonnée que ces jeunes occupent. Un taudis ! Dans cette ville, ils découvrent la face hideuse de l’Occident, loin des clichés que la télévision diffuse. Regard raciste, assistance permanente, avenir incertain, voilà entre autres le quotidien de ces jeunes. Qui abandonnent tout en quête de l’eldorado. «C’est une vie d’assistance permanente qui ont ces jeunes dans cette usine abandonnée. Et quand ils arrivent dans des associations de sans-papiers, ce n’est pas la fin de la galère, car ils trouvent des gens qui, pendant des années, cherchent de se régulariser.
Après le tournage du film, j’ai plus approfondi mes questionnements. Au départ, je voulais savoir pourquoi ces jeunes prennent-ils autant de risques ? En parlant avec eux, on se rend compte que leurs motivations sont profondes. Ce sont des choses ancrées en eux. Ce sont des problèmes qui interpellent la société. On doit réfléchir ensemble sur cette question», a affirmé Mame Woury Thioubou. Ce film militant pose le débat sur la place de l’humain dans ce monde globalisé. En effet, après l’avoir regardé, on ne peut que s’interroger sur le rôle de chacun dans cette tragédie. Qu’a-t-on fait pour instaurer cette situation qui pousse les jeunes à risquer leur vie pour le bien matériel ?
Pour la réalisatrice, c’est cette question que tout le monde devrait se poser pour avoir la solution. «J’avais des problèmes pour filmer des gens à visage découvert. Ils n’acceptaient pas de se faire filmer pour des raisons socioéconomiques», a expliqué Mame Woury Thioubou.
DE L’ORIGINE DU COUSINAGE A PLAISANTERIE EN AFRIQUE DE L’OUEST
Cette pratique qui date de la nuit des temps est source de paix et de concorde entre ethnies, entre familles et entre individus portant des noms de famille différents
Récemment, un article de Khadidiatou Guèye publié dans un journal de la place évoquait le cousinage à plaisanterie, cette pratique sociale qui a cours dans notre pays et dans d’autres Etats de la sous-région comme le Mali ou encore la Guinée. Le Témoin, dans son coin d’histoire, revient sur cette pratique sociale bienfaitrice qui adoucit les mœurs…
Cette pratique qui date de la nuit des temps est source de paix et de concorde entre ethnies, entre familles et entre individus portant des noms de famille différents. C’est ainsi que, dans notre pays, les Diop et les Ndiaye se chahutent sans animosité, de même qu’entre Sérères et Peuls, entre ces derniers et les Forgerons…
Il en est de même au Mali où le cousinage à plaisanterie sert de lien social, comme un liant qui raffermit et cimente les relations individuelles et collectives. Selon les historiens, son origine remonte au 13ème siècle dans l’empire du Mali encore appelé le Mandé. C’est l’empereur du Mandé Soundjata Keita qui, à la suite d’une guerre victorieuse sur le Sosso, son rival, édicta une charte qui devait garantir la paix entre les peuples, abolir l’esclavage et maintenir la cohésion sociale. Cette charte, autrement appelée le Pacte du Mandé, a été élaborée en 1236 dans la localité dénommée Kouroukan Fouga. Elle comporte 44 lois destinées essentiellement à organiser la vie en société, les relations entre clans, communautés et ethnies.
Le contexte historique de la naissance de cette charte a été rappelé par l’écrivain et professeur Djibril Tamsir Niane lors d’une table ronde à Nanterre, en France, en 2012. Voici ce qu’il écrivait : « Depuis plusieurs années une guerre civile désole l’Afrique de l’Ouest, depuis la dislocation de l’Empire de Ghana sous les attaques des Almoravides en 1076. Les provinces, les royaumes autonomes s’entredéchirent pour l’hégémonie.
Au début du XIIIème siècle, le Roi du Sosso, Soumaoro Kanté, prend le dessus, s’impose à plusieurs provinces, envahit le Mandé et se proclame roi. Mais les mandingues se révoltent et une vive résistance s’organise. Le duel entre le Sosso et le Mandé est le sujet de l’épopée Mandingue. Soundjata, prince du Mandé, alors en exil, est appelé par le peuple mandingue, se met à la tête de la résistance et galvanise les énergies. Il sort vainqueur de la bataille de Kirina en 1235, bataille retentissante signalée par maints historiens et voyageurs arabes de l’époque. C’est la fin de la longue suite de guerres qui avaient entrainées la ruine du pays, la désolation dans les campagnes et l’effondrement des valeurs humaines. Un immense désir d’ordre, de paix et de sécurité agite les hommes ; la victoire de Kirina annonce donc le renouveau, une ère nouvelle.
Soundjata convoque une grande assemblée à Kouroukan Fouga, où il doit être couronné, et c’est là qu’entouré de ses compagnons et alliés il va édicter les principes et règlements devant régir son Empire». L’objectif était d’organiser la vie en société, restaurer la paix, créer les conditions d’une paix durable. « Pour stabiliser la paix », écrit Djibril Tamsir Niane, « il est crucial de rétablir la justice et de garantir la sécurité des communautés. Ainsi, l’énoncé 1 de la charte de Kouroukan Fouga présente la société : « la société du grand Mandé est divisée en seize clans de porteurs de carquois, cinq clans de marabouts, quatre clans de Niamakala ou gens de métiers et les esclaves. Chacun de ces groupes a une activité et un rôle spécifique ».
La société est donc hiérarchisée, avec des catégories sociales définies : les porteurs de carquois sont les hommes libres, parmi lesquels sont recrutés les guerriers appelés à défendre le pays ; les cinq clans de marabouts constituent le clergé, ceux qui enseignent le Coran ; quant aux Niamakala ou gens de métiers, ce sont les griots, les forgerons, les cordonniers ou autres tisserands. Chacun de ces groupes a son code, ses coutumes…» Mais c’est l’article 7 de la charte qui évoque le cousinage ou la parenté à plaisanterie.
Il est énoncé comme suit : « Il est institué entre les peuples de l’empire le Sanankouya. En conséquence aucun différend entre ces groupes ne doit dégénérer, le respect de l’autre étant la règle ». Précisions de l’historien et écrivain : « Le Sanankouya, est l’alliance entre deux clans, qui se doivent de fraterniser. Les membres peuvent se chahuter, se brocarder, voir échanger des propos grivois, sans que cela prête à conséquence. La convivialité est de règle entre eux ». C’est ainsi que Soundjata établit un système de correspondance entre les patronymes d’une ethnie à l’autre. Par exemple, le patronyme mandingue Diarra a pour équivalent le patronyme Ndiaye chez les Ouolofs. Au patronyme mandingue Traoré correspond chez les Ouolofs le patronyme Diop, et ainsi de suite…
Ainsi, Diarra et Traoré sont cousins à plaisanterie, de la même façon que chez les Ouolofs Ndiaye et Diop sont aussi cousins à plaisanterie. Cette alliance tisse un puissant réseau entre ethnies, entre clans, entre communautés. Un véritable système de prévention de conflits s’instaure. Peuls et Sérères sont déclarés cousins à plaisanterie, de même que les Sérères et les Diolas, les Mandingues et Peuls, etc., ce qui aura largement contribué à rapprocher les peuples de l’empire qui, il faut le rappeler, s’étendait de la presqu’île du Cap Vert à l’embouchure de la Gambie sur l’Océan Atlantique jusqu’à Niamey sur le Niger, soit 3000 Km de l’ouest à l’est de l’Afrique de l’ouest.
En effet, les royaumes du Sénégal payaient alors tribut à l’empereur du Mandé même s’ils gardaient leur propre souveraineté et élaboraient leurs propres lois. Cependant, ils étaient tenus de respecter les principes de la Charte du Mandé. C’est seulement lors de la pénétration coloniale avec le démantèlement de tous ces royaumes que l’empire du Mali cessera de lever les impôts. Mais la pratique du cousinage à plaisanterie va demeurer et, de nos jours encore, elle contribue fortement à apaiser la société et à cimenter les liens entre différentes ethnies.
Par Mohamed Bachir Diop
EL HADJI OMAR TALL, L'INTELLECTUEL PAR-DELÀ LE SABRE
Le récit de vie de ce saint, au-delà de celui charpenté par une certaine historiographie, donne à admirer une œuvre intellectuelle d’une dimension exceptionnelle que la France garde encore jalousement dans sa bibliothèque nationale depuis 1890
L’image d’El Hadji Oumar Foutiyou Tall renvoie, dans l’imagerie populaire, très souvent, au combattant armé de sa foi et de son courage aiguillé par un sacerdoce : propager l’Islam. Mais, le récit de vie de ce saint, au-delà de celui charpenté par une certaine historiographie, donne à admirer une œuvre intellectuelle d’une dimension exceptionnelle que la France garde encore jalousement dans sa bibliothèque nationale depuis 1890. Au du moins une partie considérable.
Lignes d’éloges
« Il était d’une beauté remarquable. Ses yeux étaient expressifs, sa peau dorée, ses traits réguliers, sa barbe était noire, longue, soyeuse, partagée au menton. Il n’avait ni mouche, ni moustache. Ses mains et ses pieds étaient parfaits. Il ne parut jamais avoir plus de trente ans. Personne ne l’a jamais vu se moucher, cracher, suer, avoir chaud, ni froid. Il pouvait rester indéfiniment sans manger ni boire. Il ne parut jamais fatigué de marcher, d’être monté à cheval ou immobile sur une natte », Paul Soleillet, explorateur français.
L’écrivain français André Malraux disait que « la mort tue l’homme mais l’œuvre triomphe de la mort ». El Hadji Oumar Foutiyou Tall fait partie de ces hommes dont l’œuvre a triomphé de la mort, a défié les âges. Elle ne s’est jamais anéantie dans l’oubli même si son célèbre sabre, ou ce qui est présenté comme tel, a davantage colonisé les consciences. La famille omarienne s’est toujours employée à faire connaître l’immense œuvre littéraire du Cheikh. Sa bibliothèque de Ségou, riche de 517 ouvrages et manuscrits dont certains qu’il a écrits, témoigne de l’homme d’érudition et de culture qu’il a été malgré les récits de guerre qui éclipsent quelquefois l’intellectuel. Son œuvre porte sur divers sujets, notamment la théologie, le droit, la propagande religieuse, le mysticisme, etc.
Dans son « Essai sur la contribution du Sénégal à la littérature d’expression arabe », le Pr Amar Samb rapporte que le Cheikh a écrit cinq chefs-d’œuvre en théologie : « Suyûf es-Sa’id » (Les sabres du bienheureux), « Safina-t-as-Sa’âda » (Le navire du bonheur), « Tadkira-t-al-Mustarsidîn » (Edification des bien guidés), « Urjûza-t-fi-l-‘Aqâ id » (Poème sur le mètre rajaz traitant du credo) et « Aqîda » (Profession de foi). En droit, l’illustre religieux a écrit trois ouvrages à savoir « Ajwiba-l-masâ il » (Réponses à des questions juridiques), « Fatâwa mutawwi’a (décisions sur les problèmes de droit) et Taqayyad fî Hawâs el-hizb es-Sâfi î ». « Hâdiyât al-mudnibîn » (Montures des pécheurs) et « Al Maqâsîd es-sunniyya » (les fins de la loi de Mahomet) portent sur la propagande religieuse. Alors qu’en mysticisme, « Al-Rimah » (Les Lances) en 1845, « Ajwiba fî at-Tarîqa-at-Tijâniyya » (Réponses traitant de la Voie tijâniyya), « Kitâb al-Fatâh al-Mubîn » (Traité de la félicité éclatante) et « Kitâb an-Nush al-Mubîn » (Livre de conseils éclairants) sont parmi ses chefs-d’œuvre.
Tous ces ouvrages sont en prose sauf le « Tadkira-t-el-Mustarsidîn » et celui qui a pour sujet : « La réconciliation entre les musulmans voire entre tous les hommes ». Et le style est de haute facture, une poésie digne des meilleurs éloges. D’autres poèmes où il harangue les populations du Fouta sont rapportés par Cheikh Moussa Kamara. Ses écrits montrent que l’homme était pourvu « d’une grande culture et de vastes connaissances en matière religieuse ». Ses harangues, dont quelques-unes sont rapportées par Cheikh Moussa Kamara, dénotent chez lui la force persuasive. Dans un entretien accordé au journal « Le Soleil », feu le professeur Samba Dieng disait avoir recensé une quarantaine d’ouvrages écrits par El Hadj Oumar Tall.
Homme d’érudition
Thierno Ibrahima Sy, secrétaire particulier de Thierno Madani Tall, serviteur de la communauté omarienne, soutient que Cheikh Oumar Foutiyou a laissé « une œuvre mystique et littéraire colossale » dont la pièce maîtresse reste « Al Rimah » (Les Lances). Selon lui, « Safina Saadati » est un magnifique éloge au Prophète de l’islam, alors que « Tadhkirah al ghâfilîn fi Qoubhi ikhtilâfil mou’minîn » évoque les dangers que représentent les désaccords entre les hommes et les exhorte à la préservation de la paix entre les peuples et les nations. « Cheikh Oumar Foutiyou est très attaché au savoir et à la connaissance. Ainsi, il n’a pas hésité à faire des centaines de kilomètres pour aller consulter, à Séno Palel, l’ouvrage intitulé « Al Fayitou Assouyouti » qu’il recopiera intégralement de sa propre main », témoigne M. Sy qui précise que c’est le seul manuscrit, aujourd’hui connu, écrit de la propre main du grand érudit.
Cheikh Oumar, c’est aussi l’immensité de son savoir, sa grande maîtrise des sciences islamiques. Durant son face-à-face célèbre avec les savants de l’Université Al Azhar du Caire, ses contradicteurs ont épuisé leurs questions portant sur toutes les sciences islamiques sans parvenir à le prendre à défaut. A la suite de cette rencontre, son hôte accède à toutes ses demandes ; ce qui lui a permis de continuer son voyage vers Jérusalem, précise notre interlocuteur.
Pour Thierno Madani Tall, « El Hadji Oumar est un grand érudit d’une dimension exceptionnelle qui allait à la quête du savoir malgré sa vaste science », comme le rappelait souvent feu le professeur Iba Der Thiam. En tant qu’homme de foi et d’érudition, indique-t-il, il a laissé beaucoup de traces, partout où le destin l’a mené. Beaucoup de savants ont porté des témoignages sur son érudition. Pour lui, « Al Rimâh » (Les Lances) et « Safînatou Sa-âda » (Le navire du bonheur) sont ses chefs-d’œuvre. Thierno Madani Tall ajoute que dans sa production intellectuelle écrite soit en prose ou en vers, son principal centre d’intérêt reste le Sceau des Prophètes, sa vie et son œuvre. Son ouvrage « Suyûf as-Sa’îd » (Les Sabres du bienheureux) en est une parfaite illustration. Au-delà de la théologie, du droit [musulman], les doctrines, El Hadji Oumar a écrit sur la médecine, l’environnement, le foncier… « C’est un homme d’une dimension exceptionnelle », confie le serviteur de la communauté omarienne. Un membre du corps diplomatique de la Palestine qui avait duré au Sénégal et tissé des liens forts avec la famille omarienne, de retour d’un voyage dans son pays, a retrouvé un manuscrit de « Al Rimah » de Cheikh Oumar que celui-ci avait réécrit de sa propre main. Il le remet alors au regretté Thierno Mountaga Tall en guise de cadeau. « Le livre est avec nous. Il l’avait écrit à Gaza où il s’était rendu lors de ses longues pérégrinations », confie Thierno Madani Tall.
« Safînatou Sa-âda »
Thierno Ibrahima Sy n’a pas manqué de relever le niveau de maîtrise de la langue arabe du Cheikh qui était si rare. On retrouve, d’après lui, dans l’ouvrage « Safînatou Sa-âda », des mots et expressions si rares et profonds qu’une commission scientifique, comprenant des Oulémas du Sénégal, du Mali, de la Mauritanie et de la Guinée, a été mise sur pied. Travaille-t-elle ainsi à la réédition du livre avec des renvois permettant de comprendre leur sens. Cette commission s’appuie notamment sur les dictionnaires les plus complets et reconnus de la langue arabe. Selon lui, le Cheikh s’est beaucoup documenté. Dans « Al Rimah », il cite quelque 223 ouvrages et auteurs. « On se demande encore, à une époque où les déplacements se faisaient essentiellement à pied ou à dos d’animaux, sans internet, comment Cheikh Oumar Foutiyou a pu amasser un tel trésor littéraire » ? s’interroge le secrétaire particulier de Thierno Madani Tall. A ses yeux, la contribution du Cheikh aux débats de son époque est sans doute une des plus grandes manifestations de sa démarche intellectuelle.
Enregistré sous le numéro 557354 A 61 B, à la Bibliothèque nationale de Paris, son ouvrage intitulé « Epitre sur les devoirs et les dettes envers le Seigneur et les serviteurs » a été réédité par sa famille en 2008. Un autre manuscrit se trouve à l’Université de Ahmed Bello, à Zaria, au Nigéria sous le numéro 83 A. « Tous ces ouvrages et manuscrits montrent la volonté, le combat et les efforts déployés par El Hadji Oumar pour le message divin. Mais la majeure partie de son œuvre reste inconnue du grand public », explique la famille omarienne dans la Préface de l’« Epitre sur les devoirs et les dettes envers le Seigneur et les serviteurs ». Le guide religieux a achevé la rédaction de ce traité pendant le mois de sha’bâan 1246 de l’Hégire. Ce qui correspond approximativement à l’année 1831. A l’époque, il était âgé de 34 ans. « La rédaction du livre a commencé durant la nuit du jeudi 13 sha’bân. Je l’ai terminé le dimanche 16 du même mois 1246 de l’Hégire », a écrit le Cheikh à la fin de l’ouvrage.
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OUVERTURE 27E EDITION DU FESPACO, SOUS LE SIGNE DE LA RESILIENCE
Le clap de démarrage de la 27e édition du Festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou a eu lieu, ce samedi après-midi, au Palais des sports de Ouagadougou.
La 27e édition du Festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou (Fespaco) s’est ouverte, ce samedi, au Palais des sports de Ouaga 2000. Placé sous le signe de la résilience face au Covid-19 et à la menace sécuritaire, le spectacle d’ouverture, magnifiquement orchestré par le chorégraphe, Serge Aimé Coulibaly, a rendu hommage aux jeunes et aux Forces de défenses et de sécurité du pays.
Le clap de démarrage de la 27e édition du Festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou a eu lieu, ce samedi après-midi, au Palais des sports de Ouagadougou. Le clap a été donné par le Président du Burkina Faso. Roch Marc Christian Kaboré avait à ses côtés le ministre de la Culture et de la communication du Sénégal. «Cette édition du Fespaco montre bien la résilience du peuple burkinabè face au contexte sécuritaire et sanitaire», s’est félicité le Président Kaboré au terme de la cérémonie. Prévu au mois de février, le Fespaco n’aura finalement lieu qu’en ce mois d’octobre. Les conditions sanitaires expliquant ce report. Et pour le maire de Ouagadougou, son pays a fait le choix de la résilience pour vivre la passion du cinéma qui anime le Faso. Pays invité d’honneur, le Sénégal a dépêché une délégation de 200 personnes, selon Dr Elise Ilboudo Tchombiano, ministre de la Culture du Burkina Faso. «Nous avons voulu rappeler que le Fespaco est un patrimoine pour tout le continent africain et la diaspora. Il est aussi un miroir et un projecteur puissant de notre culture», souligne Abdoulaye Diop, ministre de la Culture et de la communication du Sénégal. Comme l’a rappelé la ministre de la Culture du Burkina, 2020 a été une année difficile pour le cinéma. Mais le plus grand festival d’Afrique a tout de même battu le record de films reçus. Au total, plus de 1200 films ont été reçus et 239 films seront en compétition pendant une semaine. Parmi ces films, 17 films de 15 pays concourent pour l’Etalon du Yernnenga, la récompense suprême. Le Sénégal est représenté à cette catégorie par le film de Mamadou Dia Baamum Nafi. «Cinéma d’Afrique et de la diaspora : nouveaux regards, nouveaux défis», est le thème retenu. Pour le Président Kaboré, ce thème, qui interroge les difficultés et les perspectives du cinéma africain, est important. «Il faudra que les acteurs se penchent dessus afin de lever tous les verrous qui empêchent le cinéma africain de prospérer», a-t-il déclaré. Un appel auquel le chanteur Baba Maal a fait écho en invitant les réalisateurs du continent à se saisir du patrimoine immatériel du continent. «Nos contes, nos légendes, les Occidentaux les exploitent. Les cinéastes qui sont ici doivent s’en saisir», a exhorté le chanteur qui a clôturé la cérémonie d’ouverture par une belle prestation de son orchestre, le Dandé Leniol.
Chorégraphie de haute facture
Pendant deux tours d’horloge, le chorégraphe Serge Aimée Coulibaly et ses artistes ont tenu le public en haleine. C’est une petite fille exécutant un kata en robe de princesse qui donne le la aux festivités. Des artistes musiciens de renom, Alif Naba, Nourat Zoma, Amzy,AwaBoussim notamment, se sont aussi produits sur la scène inaugurale du Fespaco. La prestation de Didier Awadi et de son acolyte, Smokey Bambara, ont plongé le public dans une ambiance festive que Baba Maal va porter à son paroxysme. Serge Coulibaly a remporté haut la main son challenge en proposant un spectacle dynamique, coloré et qui a rendu un hommage aux Forces de défenses et de sécurité et salué la résilience de la jeunesse du Burkina nourrie aux idéaux de Thomas Sankara et sous l’ombre protectrice de la Princesse Yennenga.
APRES SEMBENE ALAIN, GOMIS IMMORTALISE SUR L’ALLEE DES ETALONS
Après Sembène Ousmane, Alain Gomis a été immortalisé sur l’Allée des Etalons. La statue à son effigie a été dévoilée, ce dimanche, par les ministres de la Culture du Sénégal et du Burkina Faso. «Si je vois sur cette avenue, la statue de Ousmane Sembène et qu’Alain Gomis vienne le rejoindre, c’est tout le cinéma africain qui est encouragé», a salué Abdoulaye Diop. Double vainqueur de l’Etalon d’or du Yenenga en 2013 et en 2017 avec respectivement Tey et Félicité, la statue de Alain Gomis vient rejoindre celle d’autres grands noms du cinéma africain comme Dikongue Pipa. Maitre d’œuvre de cette statue et de celles des autres, qui trônent sur le «Hall of fame» du cinéma africain, le sculpteur burkinabè, Ky Siriki, explique avoir travaillé pendant trois mois pour produire ce colosse d’à peu près 300 kg, en laiton, un alliage de cuivre et de zinc. «J’avais demandé à faire un déplacement à Dakar pour discuter avec Alain, le connaître et faire les photos moi-même. Le Musée Grévin à Paris met 6 mois pour faire des photos de la personne. Mais moi, à partir de photos glanées sur Google, je me suis débrouillé pour ça», explique le sculpteur. A 63 ans, Ky Siriki se dit prêt à remiser ses outils. La faute à une vision de plus en plus réduite.
CEREMONIE DE LIBATION, LA TRADITION INSTAUREE PAR SEMBENE BIEN ANCREE
Comme à chaque édition, les festivaliers ont sacrifié à la traditionnelle cérémonie de libation. Jeunes et moins jeunes, tous ont procédé à la ronde d’hommage aux anciens du cinéma. «La cérémonie de libation a été instaurée par les doyens du Fespaco, en l’occurrence Sembène Ousmane, pour, au départ, magnifier les âmes de nos ancêtres et des anciens cinéastes disparus. On ne commence jamais le Fespaco sans faire quelques pratiques africaines, parce que dans nos cultures, on n’oublie jamais nos morts. On pense à eux, on verse de l’eau pour que là où ils sont couchés, ça soit toujours frais et qu’ils nous envoient toujours la bonne main pour soutenir nos actions qui s’insèrent dans la continuité de ce qu’ils ont déjà construit», explique l’ancien Délégué général du Fespaco, Aldiouma Soma. Sur tout le pourtour du monument emblématique de Ouaga, des images rappellent à la mémoire des festivaliers, les illustres disparus. Ces deux dernières années, plusieurs grandes figures du cinéma et de la culture en général, ont tiré leur révérence. Noureddine Sail, Massèye Niang, Cheikh Ngaïdo Ba, Makena Diop et d’autres personnalités, ont été commémorés par les festivaliers aux premières heures de la matinée.
PRIX NOBEL DE LITTERATURE, APRÈS 35 ANS, L’AFRIQUE DE NOUVEAU RÉCOMPENSÉE EN 2021 !
Bravo, tout d’abord, au romancier tanzanien Abdulrazak Gurnah, prix Nobel de littérature 2021, trente cinq ans après Soyinka : « J’ai cru à une blague”, dit-il. Il n’a pas tort.
Bravo, tout d’abord, au romancier tanzanien Abdulrazak Gurnah, prix Nobel de littérature 2021, trente cinq ans après Soyinka : « J’ai cru à une blague”, dit-il. Il n’a pas tort. De vraies blagues - ou presque -, il y en a eu ! D’illustres inconnus se sont réveillés prix Nobel. Ce qui ne veut pas dire qu’ils ne l’ont pas mérité ! Un musicien même, nominé au regard de ses « nouveaux modes d’expression poétique », a été nobélisé en 2016 : Bob Dylan, de son nom ! Pardi ! Et pourquoi pas ?
Oui, elle est solide la littérature anglophone et souvent novatrice. Elle est plus audacieuse, dit-on, plus élaborée, plus magique, en plus de bénéficier d’un espace linguistique plus élargie et plus généreux. La littérature francophone serait plus molle, dit-on, plus linéaire, plus conservatrice, répétitive, lassante, même. Mais elle sait être vivante et savoureuse. Par contre, elle a moins de résonance mondiale, au regard de la misère crasse des maisons d’édition en Afrique -pas toutes, cependant- et d’une distribution étriquée, presque nulle, inexistante, révoltante.
Par ailleurs, les écrivains francophones ne se lisent pas entre eux. Ils ne sont pas les seuls. Il est des écrivains qui écrivent mais qui ne lisent pas et n’ont même jamais lu. J’en ai rencontré et ce sont de drôles de bêtes gentilles ! Ils se proclament écrivain spontané ! A leur aise ! Certains sont pourtant bons, même si c’est étonnant ! Un écrivain qui ne lit pas aurait moins de chance de succès qu’un autre qui lit. Il faut lire pour apprendre à écrire autrement. Il faut lire pour pouvoir créer en renouvelant le genre. C’est par le pouvoir des mots des autres et leur créativité, que l’on apprend à créer autrement son propre pouvoir, sa propre originalité. Ceux qui trichent sont vite nus. Cela se voit et se sent.
C’est stupéfiant quand je rencontre avec un grand bonheur mêlé d’étonnement de jeunes poètes sénégalais et africains d’autres pays qui n’ont lu ni Senghor, ni Damas, ni Césaire, ni David Diop, ni Birago Diop, ni Cheikh Aliou Ndao, ni Ibrahima Sall, ni Hugo, ni Baudelaire, ni Rimbaud, ni Verlaine, ni René Char, ni Paul Eluard, ni Apollinaire, ni Aragon, ni Pablo Neruda, ni Garcia Lorca, ni Prévert, ni Gaston Miron, ni Tchicaya Utam’si. A défaut d’en avoir lu un seul, ils ont en mémoire, vaguement, des noms, rien des noms et des traces de vers célèbres de David Diop, Birago, Senghor, Baudelaire. J’avoue comme poète que je n’aurais jamais été ce que je suis si peu devenu en poésie et bien loin des meilleurs, si je n’avais pas lu comme un forcené toute la poésie du monde. Il s’y ajoute, bien sûr, ma rencontre et ma proximité avec Senghor à la sortie de mon 1er recueil : « Mante des aurores ».
Chez nous, nous savons tous qu’à la sortie d’un livre, au sortir de la séance de dédicace et de quelques pâles plateaux de télévisions, l’oubli s’installe, après. Du moins le plus souvent, à moins que l’œuvre ne soit énorme et fasse du bruit au-delà des frontières. Mais qui la portera, qui dira qu’elle est énorme, qui en sera le griot, qui en fera la promotion ? On lit si peu dans nos pays ! On a si peu de critiques littéraires opérationnelles, comme de critiques tout court. L’Université en recèle de brillants, mais ils n’écrivent pas ou très peu, à moins que ce ne soit dans des revues universitaires inconnues de nous. Dans nos pays, on cherche tellement à survivre, non pas toujours parce que l’on manque de quoi vivre, mais parce que l’on est écrasé par le désordre et le mal social, le rabais et la misère des échanges, le vacarme érigé en voisinage, le futile, le bla-bla dérisoire, des chaînes de radios insipides, des chaines de télévision plates et inachevées. J’ai rêvé de voir des programmes qui incluaient des séances de dictées en direct, des extraits de lecture d’ouvrages, des jeux de grammaire, de géographie, d’histoire, des questions de littérature, des évocations historiques de nos héros nationaux et continentaux. Aller s’acheter un livre en librairie, peut paraître une véritable prouesse. D’aucuns le font, mais ils sont rares comme des chouettes en plein midi. Le mal est profond et terrifiant jusque chez certains intellectuels admirables qui n’ont plus que leur seul savoir comme dignité et refuge imprenables ! Le Sénégal regorge de redoutables lettrés qui se taisent. On a intérêt à être humble dans ce pays quand on écrit ou s’exprime. Quant aux perroquets, laissez-les faire ce qu’ils savent le mieux faire. Mais peut-être que nos savants et admirables lettrés ont raison de se taire, tellement la médiocrité, l’obscurantisme, le gain forcené, semblent avoir pris le dessus.
Il est, par ailleurs, ce constat, que tout le rayonnement littéraire mondial avec de puissants impacts se passerait, dit-on, sur la place de Paris et de New-York. Ou tout comme ! En attendant Dubaï qui tape à la porte ! Même à Montréal, on rêve de Paris. Il faut changer la donne ! Cela se fera non seulement avec les écrivains, mais avec tous ceux qui gravitent autour du livre, de l’édition, de la distribution, de la promotion, des médias. On ne peut 2 aller compter encore et encore que sur l’État ! Nous avons le somptueux et douloureux exemple des Nouvelles éditions Africaines -NEA- fondées par Senghor en 1972 en association avec la Côte d’Ivoire et le Togo. Cette association éclatera en 1988 pour donner les « Nouvelles Éditions Africaines du Sénégal » -NEAS-. A nos jours. Pour l’histoire, Senghor aimait dire ceci : « J’ai fondé cette maison d’édition afin qu’elle réponde à un besoin absolu de relève de notre espace littéraire et culturelle. Cette relève est fondamentale pour moi. J’ai déjà pensé à ma relève politique, mais la plus marquante et la plus importante pour moi, sera celle littéraire et artistique. Il nous faut une nouvelle littérature, une nouvelle architecture, une nouvelle danse, une nouvelle peinture, une nouvelle sculpture, un nouveau cinéma. » Les NEAS d’aujourd’hui cherchent désespérément à renaître. Nous le souhaitons tous, en sachant que nous sommes dans un nouveau temps du monde où un État ne peut pas danser à toutes les danses.
Dans nos pays, nous sommes si loin des livres, si loin de la lecture ! Est-ce une question de culture comme le rappelait fort courageusement notre savoureux et regretté Amadou Aly Dieng, avec les pics foudroyants dont il avait le secret ? Sans doute que le Livre le plus lu reste le Coran ! Seul le Coran ne quitterait jamais nos yeux ! Mais il faut plus qu’une vie pour Le dompter. C’est Lui qui, plutôt, nous charme et nous dompte. C’est un « roman » d’un autre temps du monde et qui est Le Salut Suprême ! On Le lirait mille ans, pour mille ans encore on ne cesserait de découvrir Ses Secrets, d’être emporté, émerveillé, ému, bouleversé, soumis. C’est ainsi. Ne dit-on pas que c’est Le Plus Grand et Le Plus Beau Poème au monde ?
Lire la presse écrite, pour parler d’elle, est une autre forme de lecture, de découverte. Elle informe. Elle ne cultive pas. Pour le dire avec politesse. Il est regrettable qu’elle tourne le dos à l’imaginaire avec des pages et contenus d’extraits littéraires, où des écrivains, des critiques, des lecteurs, sont appelés à nous parler et à nous instruire. Chez nous, la presse écrite si elle est lue, elle se lit en un battement de cils. Les « matinales » radiophoniques sénégalaises la déflorent pour nous et l’étalent nue dans ses plus petits détails avec un appétit féroce pour les plus sombres et tragiques faits de société qui démontrent à quel point le Sénégal a mal muté. Rien que de la politique nauséabonde et désespérante, du « people » croustillant, puant et futile, des crimes et délits qui déshonorent une société jadis propre. Mais, qu’on le veuille ou non, que l’on recherche la culture, à s’instruire ou non, la réalité est là sous notre « gueule » et sous nos yeux écarquillés, chaque matin. A chacun de se sauver, à sa manière. Les livres peuvent être notre refuge. Ils nous instruisent. Ils nous nourrissent. Ils nous raffinent. Ils nous éduquent. Ils nous font rêver. Ils nous font voyager sans billet d’avion ni de train. Ils nous rendent forts et apaisés. Quant aux Smartphones et à l’éblouissement imparable des nouvelles technologies de l’information, ces dernières ont déjà gagné. Tant pis pour les retardataires et les thuriféraires. Pourquoi d’ailleurs les condamner si on ne condamne pas en même temps les avancées prodigieuses de la science et de la médecine qui prolongent nos vies si admirablement. On ne peut pas rejeter les uns et accepter les autres. Que ceux qui ne peuvent pas avancer, avancent à leur manière, sans rien ignorer de leur temps, de leur siècle. Senghor le résumait admirablement : « Je veux l’Afrique, mais je ne combattrais la machine. Elle seule vaincra la misère ». Il pensait au dur labeur des paysans avec la « daba » et la « houe » !
Je suis sûr que le renouvellement de la littérature francophone partira de l’Afrique. Elle est la mieux placée pour réinventer une nouvelle littérature, une nouvelle créativité, malgré tous les obstacles décrits. Ne comptons pas sur l’action de l’Organisation Internationale de la Francophonie -OIF- pour sauver la lecture et entretenir le feu de la créativité francophone. Elle trouve qu’elle a mieux à faire. C’est à dire rien ! Combien de fois j’ai fait appel à ses Secrétaires Généraux et Directeurs de la Culture, pour que ce joli bâtiment des 19-21 Avenue Bosquet, Paris 7ème, où elle siège, ne puisse abriter au rez de chaussée, et ouvert sur l’Avenue, la plus prestigieuse librairie-bibliothèque de l’espace francophone ? Une sorte de « FNAC » des écrivains francophones du monde ! Nous aurions au moins un lieu de rendez-vous dédié dans Paris, pour tous les écrivains et tous ceux qui cherchent à découvrir, acheter un ouvrage d’un écrivain francophone introuvable… même chez l’hydre « Amazone » ? Il nous faut du concret et non des Sommets francophones interminables avec des chefs d’État interminables et des Résolutions fumeuses interminables.
Par deux fois, j’ai été honoré d’avoir été nommé président du jury littéraire international des Jeux de la Francophonie. J’ai été stupéfait de la forte créativité des jeunes écrivains africains. Stupéfait ! Les écrivains Québécois étaient les plus frais, les plus surprenants. La République Démocratique du Congo impressionnante. La Wallonie Bruxelles, la Côte d’Ivoire, et bien sûr le… Sénégal, toujours présents. Les jeunes écrivains francophones qui étaient en compétition étaient stimulés et stimulants.
Aux VIII èmes Jeux de la francophonie à Abidjan, en 2017, le jeune Sénégalais Mohamed Mbougar Sarr, avait obtenu la médaille de bronze. Le Niger était médaille d’or avec Moctar René André Abdoul Razac. Le Canada Nouveau Brunschvicg médaille d’argent avec Robichaud Gabriel. Avec le jury que je présidais, nous avons lu et arbitré de jeunes écrivains venus de l’Arménie, du Bénin, Burkina Faso, Canada, France, Gabon, Liban, 3 Luxembourg, Madagascar, Mali, Maroc, Suisse, Cameroun, Togo, Congo, etc. Pour notre jeune compatriote Mohamed Mbougar Sarr, il faut avouer que c’est une superbe très bonne graine qui, dans le roman, s’affirme de jour en jour dans l’espace littéraire international.
Plus que les contenus et les thématiques traités, la révolution du roman francophone - la poésie comme le théâtre étant à part - viendra de la révolution des techniques narratives, comme d’ailleurs l’écrivait déjà Boris Diop, plus que des thématiques, seraient-elles les plus innovantes, surprenantes. L’art de dire, de conter, d’écrire, fera la différence et non du thème traité, mais de la manière dont on le traite !
Il s’agira de créer un « nouveau roman », c’est à dire une nouvelle manière de considérer la création, au-delà de ce dont Alain Robbe-Grillet parlait : « l’idée, dépassée pour lui, d’intrigue, de portrait psychologique et même de la nécessité des personnages ». C’est bien là, dans une architecture nouvelle et une alchimie audacieuse de l’écriture romanesque, qu’il faudra aller puiser, pour tout réinventer : écrire autrement, créer, définir, élaborer, inventer et traiter les contenus autrement. Le dire est aisé, le faire et le réussir exigent un sacré talent, un sacré grain de folie créatrice. C’est pourtant à ce prix que le roman francophone sera réinventé et que les écrivains se différencieront. A vos plumes futurs écrivains d’un monde nouveau, exigent et fou en créativité !
Un jour, proche ou lointain, le Sénégal, j’espère, si je ne suis sûr, aura son Nobel de littérature. Senghor, Birago Diop, Sembene Ousmane, Mariama Ba, ne l’ont pas eu. Ailleurs, il y avait Bernard Dadié, Mongo Beti, Ahmadou Kourouma, Sony Labou Tansi, Tchicaya Utam’si. Je ne citerais pas Ferdinand Oyono, Camara Laye. Je ne parlerais pas de l’Afrique anglophone avec le monstre Chinua Achebe ainsi que Chimamanda Ngozi Adichie qui monte, monte.
Pour les vivants, côté Sénégal, nommons Cheikh Hamidou Kane avec son œuvre fétiche, Aminata Sow Fall, Boubacar Boris Diop, Cheikh Aliou Ndaw. Certains qui ont eu le Nobel ces dernières années n’ont pas été, et de loin, meilleurs. J’ai lu. La vérité est que l’octroi du Nobel est complexe. Pour en dire le moins. Ce Prix a été même confronté à une éthique désastreuse : une découverte de corruption qui a abouti à suspendre le Nobel pour y voir plus clair et plus sûr. Mais le Nobel c’est le Nobel ! Comme l’admission à l’Académie française ! Seul Jean Paul Sartre, à sa manière, a proclamé qu’il ne voulait pas du Nobel ! Son refus du prix le 22 octobre 1964 est resté dans l’histoire. Il affirmait que : « Le Prix Nobel l’aurait changé en « institution », ce qui n’était pas en accord avec sa vision personnelle de l’écrivain ».
Pour l’histoire, Wole Soyinka comme… Kadhafi que j’ai rencontré à un Sommet de l’Union Africaine où m’avait convié le ministre des Affaires Étrangères d’alors, le contagieux et solide panafricanisme Cheikh Tidiane Gadio, souhaitaient que l’Afrique puisse instituer un jour son « prix Nobel ». On trouverait, bien sûr, comment l’appeler. Le Guide m’avait généreusement invité à me rendre en Lybie, quand je lui ai remis en mains propres un exemplaire dédicacé de mon chant-poème sur le prophète Mohamed. Kadhafi tenait à la création de ce prix et aurait dit ceci : « Que l’Afrique le créait ce prix « à la Nobel » et je le doterais financièrement en multipliant par deux ou trois le montant par rapport à celui octroyé au Nobel ». On peut tout dire de Kadhafi, mais il avait l’Afrique dans son cœur avec un immense orgueil. Il aimait le continent africain et il voulait l’élever très haut et démontrer sa grandeur.
On rapporte que Soyinka, en recevant son prix Nobel, aurait dit au comité Nobel, dans un grand éclat de rire de ses membres, « Nous créerons en Afrique notre prix et nous attendrons 70 ans pour le remettre à un Blanc » ! Cela lui ressemble !
Notre continent est énorme. Prodigieux. Il est magique, jeune, créatif, talentueux, audacieux, beau et ensoleillé. Il est l’avenir même si sa jeunesse, pour le moment, semble ne pas y avoir d’avenir. Mais cette jeunesse en veut. Elle n’a pas seulement une belle et grande gueule. Elle a une volonté montagneuse de vouloir changer le cours de l’histoire de l’Afrique. Prenons-y garde et rejoignons la avant qu’elle ne nous rattrape en nous arrachant des mains le drapeau pour le porter plus haut, plus éclatant, plus digne.
Ne critiquons pas Emmanuel Macron d’avoir eu cette idée courageuse et novatrice -Chacun est libre d’en dire ce qu’il veut, au regard des insultes et applaudissements qui ont accompagné avant et après, le Sommet de Montpellier- d’inviter la jeunesse africaine et de lui faire face. Il savait bien, d’avance, ce que cette jeunesse allait lui dire. Elle n’allait pas l’embrasser, l’applaudir, coucher avec lui. Il n’aura d’ailleurs rien appris qu’il ne savait déjà. N’avait-il pas parlé à cette jeunesse, dans une université africaine, lors d’une visite d’État mémorable en Afrique de l’Ouest ? Là aussi, il avait été demandeur. Comme à Montpellier en cet octobre de 2021. Rien de nouveau !
Les dirigeants africains n’auraient-ils pas dû le faire à sa place, les premiers ? Pourquoi nous ne nous parlons pas entre nous et pourquoi nous ne nous regardons pas en face ? Macron, en recevant la jeune intelligentsia africaine est déjà dans le futur et non dans le passé, même si sa formule a été malheureuse de répondre que la France n’allait pas changer de « marmite » à l’adresse d’une orageuse intervenante africaine. Si, la vieille « marmite » a bien besoin d’être changée ! Mais la raison d’État est la raison d’État et ce que Macron a avoué là, fait sourire sur la véritable politique de la France en Afrique : la vieille marmite a toujours résolu les intérêts de la France depuis Charles de Gaulle ! Mais ce n’est pas à la France de la changer cette marmite -pourquoi changer si la marmite vous fait bien manger ? -. C’est à nous pauvres Africains, mal gouvernés, avec des préfets de Paris au sommet du pouvoir présidentiel, de changer la donne. Personne ne viendra à notre secours. Nous faisons comme si nous aimons que l’on nous « suce ». Oh ! pardon, ce verbe ne doit pas faire sourire. Il s’agit juste, selon Le Robert, « d’exercer une pression et une aspiration sur quelque chose ». Ici nos richesses et ressources minières africaines, s’entend ! A la vérité, c’est comme si nous prenions plaisir à ne vouloir ressembler à rien d’autre, qu’à des vaches à traire interminablement !
Pour ma part, j’aurais invité la jeunesse française seule ou avec d’autres jeunesses d’Europe, d’Asie, d’Amérique, à Dakar, Abidjan, Lomé ou Kinshasa, pour la - ou les - mettre face à l’histoire de nos peuples et sociétés et face au futur à bâtir avec l’Afrique et non à lui imposer. Que cette jeunesse -ou ces jeunesses connaisse l’histoire des conquêtes coloniales et modernes avec, cette fois-ci, la version des vaincus et conquis, dès lors que les livres d’histoire ne sont pas les mêmes. La jeunesse d’aujourd’hui, de par et d’autre, n’est pas responsable. Mais elle doit savoir et jouer son rôle pour la fraternité et la paix entre les peuples.
Nous ne pouvons pas continuer ainsi, depuis des siècles, à bâtir nos relations avec la France sur des face-à-face mémorielles, raciaux, économiques. La France n’a que trop duré en nous et nous trop duré en elle. Nous, nous n’avons que trop duré dans nos tourments, nos frustrations, nos humiliations. La France dans sa honte, son orgueil, sa fausse gloire, ses interrogations, sa grandeur mouillée et à réinventer. N’avons-nous pas un autre avenir à construire pour la jeunesse africaine que d’habiter une histoire passée et douloureuse, que nous seuls pourrons venger par notre capacité à développer nos pays jusqu’à faire rêver Paris, Londres, New-York, de ressembler un jour à Dakar, Abidjan, Accra ? La France sait tout ce qu’elle a fait. Nous savons tout ce que nous avons subi. Devons-nous lui faire payer coûte que coûte, les crimes de son histoire coloniale, jusqu’à la fin des temps ? Est-ce-là notre éternelle mission, comme si celle-ci devait cacher notre éternel mal développement ?
Prenons notre propre envol. Rebâtissons notre propre liberté à la fois sociale, culturelle, politique, économique. La France, qu’on le veuille ou non, aussi loin que l’on imaginera, sera notre famille, mais dans le respect, la mitoyenneté, le souvenir, la dignité, et une langue décisive, conquérante et belle. Rien de tel ne nous lie avec la Chine, les Etats-Unis d’Amérique, le monde arabe, le japon, la Russie, l’Occident. Ce que l’Afrique fera de son développement sera ce qu’elle même aura décidé, voulu, accepté pour le mieux de ses peuples. Que personne n’en veuille à la France de se battre pour garder sa place et son rang. Elle n’a d’ailleurs plus de places réservées. La salle est pleine et chaque chéquier plus offrant que l’autre, en plus du savoir-être et du savoir-faire. Quand à son rang presque perdu, elle le sauvera et le gagnera moins dans son désir d’enfermement, que dans son respect de la culture des autres, sa capacité non à accueillir tous les « damnés de la terre », mais à moins les rabaisser, les humilier. L’avenir de la France est dans sa capacité de pouvoir rester un peuple ouvert sur le monde et cultivé et non de rester recroquevillée dans son orgueil de feuille d’automne et d’une lointaine histoire de siècle des lumières. Trop de lampes se sont éteintes, depuis.
Pour revenir au Nobel, je suis de ceux qui pensent - peut-être à tort - que les prix littéraires n’ajoutent rien au mérite. Ni Senghor, ni Césaire, n’ont été couronnés par le comité Nobel et ils resteront ce qu’ils sont devenus pour l’histoire, au-delà du Nobel. Aucun Nobel de littérature n’hésiterait à s’agenouiller devant leurs œuvres d’abord, ce qu’ils ont été, ensuite, dans l’histoire du monde et du monde noir.
Anecdote pour anecdote : quand notre ami Wole Soyinka a obtenu le Nobel de littérature pour la fierté de l’Afrique et pour la première fois, il a été reconnu que ce n’était pas lui le meilleur, mais plutôt Chinua Achebe qui nous a quittés, en mourant à Boston. Pour dire combien le choix du Comité Nobel est insondable. Pour ma part, Soyinka a bien mérité le Nobel. Ce sont deux Wole Soyinka à qui on a décerné le Nobel : l’écrivain solide, iconoclaste, inspiré et l’activiste politique fougueux qui a été plusieurs fois emprisonné. En Afrique anglophone, il est une femme du nom de Chimamanda Ngozi Adichie qui monte, monte et qui pourrait dans une vingtaine d’année étonner par son talent.
Pour les romanciers vivants - et fasse Dieu qu’ils vivent encore longtemps - côté Sénégal, nommons les plus en vue, même si les jeunes arrivent : Cheikh Hamidou Kane, Aminata Sow Fall, Cheikh Aliou Ndaw, Nabil Haïdar, 5 Marouba Fall, Abass Ndione, Louis Camara, Boubacar Boris Diop, pour citer de solides et aguerris romanciers dont nous devons retenir les noms et les œuvres.
Nous pourrions y ajouter avec grand bonheur, d’autres noms de romanciers Sénégalais connus et même reconnus, pleins de talent, de promesse et qui montent ou sont déjà montés haut : Pape Samba Kane, Fatou Diome, Mamadou Samb, Fama Diagne Sène, Sokhna Mbenga, Mbougar Sarr, Abdoulaye Fodé Ndione, Seydou Sow, Ramatoulaye Seck Samb, Felwine Sarr, Mariama Ndoye, Moumar Guèye. Je ne cite que les romanciers que j’ai lus. Les autres, dont les noms sont arrivés jusqu’à moi, je cherche leurs œuvres pour les lire, pouvoir et devoir en parler. Il est difficile de citer ou de parler d’un écrivain que vous n’avez pas lu. Ce n’est pas honnête. Il faut lire pour se faire sa propre idée et être courageux dans son choix.
Certains qui ont eu le Nobel ces dernières années ne sont pas meilleurs que ces écrivains de la courte liste des Cheikh Hamidou Kane, citée plus haut. Ils ont abordé des sujets cruciaux de société et de civilisation et de quelle manière ! Mais là n’est pas toujours ce qu’il faut, et de loin, pour être couronné. La vérité est que l’octroi du Nobel est complexe. Pour en dire le moins. Ce Prix a été même confronté à un désastre éthique, ce qui lui a valu d’être suspendu pendant un moment. Cela a fait désordre. Cela a fait mal. Mais le Nobel c’est le Nobel ! Comme l’Académie française. Ils élèvent !
Wole Soyinka comme Kadhafi que j’ai rencontré à un Sommet de l’Union Africaine où m’avait convié le ministre des Affaires Étrangères, le tranquille et solide panafricanisme Cheikh Tidiane Gadio, souhaitaient que l’Afrique puisse avoir un jour son « prix Nobel ». On trouverait comment l’appeler. Kadhafi tenait à ce prix et aurait plusieurs fois dit ceci : « Que l’Afrique créait ce Prix et je le dote financièrement en le multipliant par deux par rapport au montant du Nobel actuel ». On peut tout dire de Kadhafi, mais Kadhafi restera Khalifa. Il aimait le continent africain et voulait l’élever très haut. On rapporte que Soyinka aurait dit - vrai ou faux- au comité Nobel, dans un grand éclat de rire : « Nous créerons en Afrique notre prix et nous attendrons 70 ans pour le remettre à un Blanc » !
Notre continent est énorme. Il est magique, jeune, créatif, talentueux, audacieux, beau et ensoleillé. Il est l’avenir même si sa jeunesse, pour le moment, semble ne pas avoir d’avenir. Travaillons à accueillir le monde et à lui montrer la puissance et la majesté de notre continent ! Quand notre ami Wole Soyinka l’a obtenu pour la fierté de l’Afrique et pour la première fois, il a été reconnu que ce n’était pas lui le meilleur mais bien Chinua Achebe. On trouvera toujours à redire à chaque sacre. Retenons le sacre, acceptons-le, réjouissons-nous de ce bonheur pour l’élu et surtout allons le lire et le découvrir.
Pour « tomber la plume » comme on dit chez nous, ce qui veut dire « conclure », je me suis souvent interrogé sur le pourquoi de nos programmes scolaires - si décriés et si obsolètes, dit-on - qui ne contenaient aucun auteur prix Nobel de littérature ? Étaient-ils finalement de curieux mais modestes ou mauvais écrivains ? Sûrement, non ! Seul Albert Camus qui figure dans nos programmes scolaires, me revient à la mémoire. D’ailleurs, la vérité est que l’on pense peu qu’il avait été ou non nobélisé ! Certains ne le savent même pas. L’essentiel seraitil alors plus la puissance de l’œuvre que le mérite d’un prix, serait-il le Nobel ? Je ne sais !
Fier que ce soit encore l’Afrique, avec le romancier tanzanien Abdulrazak Gurnah, qui monte au podium du Nobel 2021. D’autres Prix Nobel arrivent et le Sénégal, un jour, verra un de ses enfants, être couronné, sans attendre encore 35 ans ! Puisse d’ici là, dans les 25 ans à venir, à moins que le Président Macky Sall, par son leadership, n’y arrive lui-même avec ses pairs africains, plus « banquiers » que « centre culturel », quand il sera le patron de l’Union Africaine dès 2022, et qu’il travaille à instituer pour l’Afrique un Prix à la Nobel. Ce prix, pour ma part, ne récompenserait pas seulement les écrivains du continent africain d’expression francophone, anglophone, lusophone, arabe, mais également les écrivains en langue nationales africaines, ainsi que les écrivains de tous les continents du monde : Blancs, Jaunes, Noirs, Métis de toutes les couleurs. La culture, toujours la culture, pour habiter l’esprit et construire la paix et le désir de l’autre. Octobre 2021.
OUAGA HONORE ALAIN GOMIS
Étalon d’or dans les deux mains sans oublier les rastas sur la tête, c’est bien Alain Gomis. Le scénariste et réalisateur franco-sénégalais honoré à Ouagadougou Sa statue trône sur l’avenue jouxtant la renommée place des cinéastes,
Étalon d’or dans les deux mains sans oublier les rastas sur la tête, c’est bien Alain Gomis. Le scénariste et réalisateur franco-sénégalais honoré à Ouagadougou. Sa statue trône sur l’avenue jouxtant la renommée place des cinéastes, en plein centre de la ville de la capitale du Burkina Faso.
La cérémonie d’inauguration a eu lieu ce dimanche, deuxième jour du Festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou (FESPACO). La 27e édition du Festival, dont le Sénégal est l’invité d’honneur, a démarré hier samedi.
Pour rappel, Gomis a remporté deux étoiles de Yennenga.
Le thème du Fespaco 2021 est « Cinémas d’Afrique et de la diaspora : nouveaux regards, nouveaux défis ».
J'ESSAIE TOUJOURS D'ÊTRE À LA HAUTEUR DE L'EXIGENCE LITTÉRAIRE
S’il avait été footballeur, parce qu’il rêvait de l’être, on aurait dit qu’il affole les compteurs. Mais Mohamed Mbougar Sarr est écrivain et il est entré dans l’histoire littéraire grâce à son génie, son talent et sa productivité (4 romans depuis 2015)
S’il avait été footballeur, parce qu’il rêvait de l’être, on aurait dit qu’il affole les compteurs. Mais Mohamed Mbougar Sarr est écrivain et il est entré dans l’histoire littéraire grâce à son génie, son talent et sa productivité (4 romans depuis 2015). Révélé par « Terre Ceinte » en 2015, son dernier ouvrage, « La plus secrète mémoire des hommes » paru en 2021 fait un tabac. Le jeune Sénégalais est d’ailleurs sélectionné par les jurys parisiens pour les Prix Goncourt, Médicis, Femina et Renaudot. Malgré ces nominations, Mbougar Sarr ne se laisse point griser par le succès. Une distinction ne serait pour lui ni une consécration ni un couronnement. Mais simplement un encouragement.
Votre dernier livre, « La plus secrète mémoire des hommes », fait partie de la première sélection des prix Goncourt, Médicis, Femina, Renaudot. Est-ce qu’on peut dire que les prix vous courent après ?
Les jurys de prix ne courent derrière personne ; ils lisent des livres, jugent qu’ils méritent de figurer dans leur sélection ou non. Des jurés ont trouvé que mon roman pouvait être dans leur liste et je m’en réjouis, simplement.
Est-ce une surprise pour vous que les jurys parisiens aient plébiscité votre quatrième roman, « La plus secrète mémoire des hommes » ?
Oui, c’est une heureuse surprise. Ce ne sont, pour l’heure, que des sélections et je m’en réjouis pour le livre, mais aussi pour l’équipe éditoriale qui l’accompagne, ma famille et mes amis.
Cela fait quoi d’être un écrivain sénégalais et d’être fréquemment nominé pour des prix prestigieux en France ?
Ma nationalité n’a pas tellement d’importance ici. C’est d’abord un livre que les jurys sélectionnent ; et un livre, à mon avis, a pour première nationalité la littérature, ou la bibliothèque.
Une distinction serait-elle une consécration ou un couronnement pour votre carrière ?
Une distinction ne serait ni une consécration ni un couronnement ; elle serait ce que j’ai toujours cru, que les récompenses littéraires étaient : un encouragement.
Votre roman « Terre Ceinte » a remporté le Prix Ahmadou Kourouma en 2015 et « La plus secrète mémoire des hommes » le Prix Transfuges du meilleur roman français en 2021. Est-ce qu’on peut dire que Mbougar Sarr est devenu la coqueluche des prix littéraires ?
C’est une formule toute faite, donc non. Les prix ou listes de prix encouragent et font plaisir, mais tout cela arrive à la fin, après ce qu’il y a de plus essentiel pour moi : le travail de l’écriture ; le lent, solitaire, épuisant et pourtant joyeux travail, où il n’y a pas de coqueluche, mais des gens qui essaient d’être à la hauteur de l’exigence littéraire, qui essaient d’être des écrivains, d’être dignes d’être appelés ainsi. Il faut distinguer la littérature de la vie littéraire.
Entre « Terre Ceinte » et « La plus secrète mémoire des hommes », qu’est-ce qui a changé dans votre façon d’écrire ?
Ça, je laisse les lecteurs et lectrices le dire.
Les auteurs sénégalais éprouvent d’énormes difficultés à se faire éditer en France. Mbougar Sarr constitue-t-il une exception ?
Il faut toujours se rappeler qu’être édité n’est pas toujours simple en France, et pour tout le monde. Beaucoup de gens écrivent et ne sont pas publiés. Pas seulement des Sénégalais. Quand on arrive avec un premier manuscrit et qu’on ne connaît personne, il faut être patient, essuyer des refus, douter. Ça a aussi été mon cas au début.
Mbougar Sarr incarne-t-il la renaissance de la littérature sénégalaise, africaine ?
Je n’en sais rien. Ce ne serait pas à moi de le dire. L’essentiel est ailleurs à mes yeux.
Qu’est-ce qui vous a inspiré pour « La plus secrète mémoire des hommes » ?
D’une part le destin et l’œuvre de l’écrivain Malien Yambo Ouologuem, auteur mythique du légendaire « Devoir de violence » ; d’autre part, le désir de creuser des obsessions liées au sens de la littérature, de la vocation littéraire, de la parole et du silence de l’écrivain, de la recherche impossible et pourtant capitale du texte essentiel.
De vos quatre œuvres, laquelle vous a le plus marqué ?
Toutes mes œuvres m’ont marqué à leur façon. Cette question est plus destinée aux gens qui me lisent, je crois. Posez-la leur ; leurs réponses seront plus pertinentes.
Comment appréhendez-vous votre avenir dans la littérature ?
Avec doute et joie. Avec espoir et désespoir. Avec énergie et fatigue. Avec gravité et avec dérision. Surtout, avec la bibliothèque, qui est la seule chose dont on ait besoin, comme écrivain, c’est-à-dire comme lecteur, pour appréhender l’avenir – s’il s’appréhende.
Enfant de troupe au Prytanée militaire de Saint-Louis, vous étiez l’un des animateurs de la Voix de l’Enfant de Troupe (Vet). La littérature a-t-elle noyé cette passion pour le journalisme ?
À la Voix de l’Enfant de Troupe (Vet), j’écrivais. Aujourd’hui encore, j’écris. Ceci n’a pas noyé cela. J’estime qu’il y a plutôt une continuité assez naturelle.
ZOOM SUR LE BAOBAB GOUYE PATHÉ
Son emplacement a servi de terre d’accueil aux premiers occupants de Louga. Il est aujourd’hui un lieu prisé des féticheurs et guérisseurs qui le considèrent comme l’arbre par lequel toutes les solutions miraculeuses pourraient arriver
Le baobab « Gouye Pathé », connu des Lougatois et des populations d’autres localités du Sénégal, est un mystérieux arbre dont les contours sont difficiles à cerner. Son emplacement a servi de terre d’accueil aux premiers occupants de Louga. Il est aujourd’hui un lieu prisé des féticheurs et guérisseurs qui le considèrent comme l’arbre par lequel toutes les solutions miraculeuses pourraient arriver.
Situé dans la périphérie Est de la commune de Louga entre le Collège d’enseignement moyen technique (Cemt) et le village de Ndjimby Seck, « Gouye Pathé » est un baobab qui renferme des mystères que les Lougatois ne parviennent toujours pas à percer. Cet arbre dont l’origine remonte loin dans le passé est aujourd’hui très fréquenté et reçoit des visites les unes plus « suspectes » que les autres. Selon Cheikh Anta Ndiaye, notable au quartier de Diémène de Louga, « l’emplacement du baobab est le site ayant accueilli nos ancêtres qui sont parmi les premiers occupants de l’espace devenu aujourd’hui la ville de Louga ».
Sans pouvoir donner de date exacte sur son origine, le vieux Cheikh Anta Ndiaye, descendant de la famille « Ndiaye » de Diémène, l’une des premières installées à Louga, informe toutefois que le baobab porte le nom de leur ancêtre qui est l’un des premiers Lougatois à s’être établi à cet emplacement en provenance du Djoloff, sa terre d’origine. « Nos grands-parents nous ont révélé que le baobab était le symbole de l’unité de la grande famille des Ndiaye qui est la première à s’installer dans cette zone appelée plus tard le Ndiambour, avant de devenir Louga », en référence au nom de la ville actuelle.
Pourtant, renseigne notre interlocuteur, le baobab « Gouye Pathé » n’a jamais revêtu un caractère singulier ou sacré quand la famille « Ndiaye » s’y était installée. Seulement, explique Cheikh Anta Ndiaye, « il était le symbole de l’unité familiale qu’il incarnait et on y organisait par le passé des séances de lutte traditionnelle qui regroupaient les membres de la famille et des villages voisins. Mais c’était juste des cérémonies à caractère festif et ne revêtaient rien de sacré ».
Rites initiatiques
Cependant, avec la désertion des lieux et le déménagement de ses premiers occupants vers la périphérie immédiate de l’actuelle ville de Louga, certains Lougatois, du fait des séances de lutte, ont continué à fréquenter le lieu devenu, au fil du temps, un mythe. D’après Youssouf Mbargane Mbaye, président de l’Association des communicateurs traditionnels de la région de Louga, « le baobab « Gouye Pathé » avait un caractère « paganiste » du fait de la forte tradition « thiéddo » de l’époque, de l’harmonie qui y régnait et fait penser à plus d’un que le baobab renfermait des mystères pour avoir servi aux premiers occupants de lieu d’habitation, mais aussi d’arbre à palabre pour arbitrer des conflits familiaux tous couronnés de succès ».
Ensuite, renseigne Youssouf Mbargane, les occupants des lieux de l’époque étaient des gens nantis, très actifs dans l’élevage et l’agriculture qui les mettaient dans un confort social. À cela s’ajoute, selon le communicateur traditionnel, les rites initiatiques, notamment les séances de circoncision collective autour du baobab avec tout son lot de pratiques traditionnelles. C’est fort de l’ensemble de ces faits et le legs ancestral que les populations avaient fini de se convaincre que « Gouye Pathé » renferme un mystère et est devenu, au fil des ans, un lieu privilégié des guérisseurs, tradipraticiens et féticheurs de Louga et d’ailleurs.
Les nourrissons et le talibé
Si beaucoup de Lougatois peinent à donner les raisons du mythe qui entoure le baobab au point d’être aujourd’hui le lieu privilégié de certaines pratiques et prières, ce n’est pas le cas d’El Hadji Baba Diallo, historien et imam d’une mosquée au quartier Montagne. Très attaché aux faits d’histoire de la ville de Louga, le religieux explique les raisons de l’appellation « Gouye Pathé » et les origines du mystère qui l’enveloppe en ces termes : « Par le passé, à Louga, autour de ce baobab, des habitants de la périphérie aimaient organiser des expositions de tissus avec des concours d’accoutrement pour mieux décliner leur appartenance ethnique ». C’est dans ce contexte, renseigne El Hadji Baba Diallo, que le nom du baobab a été donné au premier d’entre eux ayant initié une telle activité et qui s’appelait « Pathé ». Il serait, selon lui, de la famille des premiers occupants des lieux.
Relativement au mystère de l’arbre, l’imam en dit ceci : « il nous a été raconté qu’un célèbre maître coranique de l’époque avait envoyé un de ses talibés cueillir des fruits de baobab sur l’arbre. Mais, une fois arrivé sur une des branches, il aperçut des nourrissons. Ce qui occasionna une chute du talibé qui s’en tira avec une paralysie faciale ». A l’en croire, c’est le maître coranique qui, après avoir soigné son élève par des procédés mystiques, aurait découvert, grâce à ses incantations, que l’arbre « Gouye Pathé » renfermait des mystères et était devenu, depuis cette période, un lieu de recueillement et de pratiques occultes pour diverses raisons.
De multiples agressions
À première vue, le baobab « Gouye Pathé » présente une physionomie impressionnante, mais peu reluisante à certains endroits. Par sa taille et sa hauteur qui attirent l’attention à mille lieues, le mythique baobab situé à la lisière de la commune de Louga ne saurait laisser indifférent un passant. À quelques mètres, des morceaux de tissus rouges, pour la plus part, ornent le décor sur tout le périmètre de l’arbre pendant que le tronc porte les stigmates de multiples « agressions » : des plis de papiers blancs sont coincés dans les fentes du baobab créées pour les besoins de certaines causes et des clous y sont soit enfoncés directement soit pour fixer un gris-gris sur le tronc qui présente plusieurs fissures. Ce qui lui donne un profil tout différent des autres troncs d’arbre du même genre. Et tout cela sans compter des cornes enveloppées dans du kaolin ou dans des résidus de tissus de couleur noire ou rouge jetés par terre. C’est un décor « affreux » pour un non initié.
Pourtant, informe imam Baba Diallo, « Gouye Pathé a servi de lieu de prières pour régler des questions d’ordre social, notamment la réconciliation d’un couple ayant des difficultés ou l’union de deux personnes ou des familles appelées à vivre ensemble mais que des banalités séparent ». C’est à la limite une confirmation que « Gouye Pathé » a été et reste un symbole d’unité et de cohésion sociale. « Nous avons, par le passé, utilisé l’arbre pour sauver des ménages et réconcilier des familles à partir de prières basées sur le Coran », indique imam Diallo.
Tous les soirs, des véhicules et des personnes difficilement identifiables s’activent autour du baobab. Selon M. Fall, riverain de « Gouye Pathé » et habitant à 500 mètres des lieux, « c’est devenu une habitude de voir les gens y défiler, particulièrement la nuit ». Plus explicite, notre interlocuteur décrit des feux allumés souvent sur le site la nuit et perceptibles de loin et des bruits qui renseignent à suffisance sur des pratiques mystiques.
« Gouye Pathé » reste un baobab énigmatique qui, depuis l’histoire des premiers habitants installés à Louga, continue de constituer un point d’attraction, l’arbre « miracle ».