SenePlus | La Une | l'actualité, sport, politique et plus au Sénégal
4 décembre 2024
Culture
LE BUSINESS FLORISSANT DES SÉRIES TÉLÉVISÉES
Maîtresse d’un homme marié, Golden, Idoles ou Infidèles… Autant de nom de séries sénégalaises à succès qui cartonnent à la télévision comme sur YouTube, où chaque épisode peut être vu par 2 à 5 millions de personne
Maîtresse d’un homme marié, Golden, Idoles ou Infidèles… Autant de nom de séries sénégalaises à succès qui cartonnent à la télévision comme sur YouTube, où chaque épisode peut être vu par 2 à 5 millions de personne. Un véritable nouveau marché, qui voit les sociétés de production audiovisuelle se multiplier.
JOB BEN SALOMON, MARABOUT NÉGRIER ET ESCLAVE AFFRANCHI (2/6)
EXCLUSIF SENEPLUS - Son emprisonnement au fort Saint-Joseph et les manifestations de solidarité dont il a bénéficié auprès des marchands traditionnels démontrent à quel point il était devenu un personnage influent du commerce sénégambien
Efforts de Yuba en faveur de la pénétration anglaise en Sénégambie
Depuis son retour en Afrique, Yuba demeurait en correspondance avec ses protecteurs anglais et en particulier avec la Royal African Company. Nous avons pu retrouver une lettre en arabe écrite probablement par Yuba lui-même et adressée à Sir Hans Sloane à qui il exprimait sa reconnaissance, ainsi qu’à tous ceux qui avaient contribué à sa libération.7
A la lecture des lettres de remerciements de Yuba, l’on serait tenté de croire que celui-ci devait sa libération aux seuls sentiments philanthropiques de ses protecteurs. A la vérité, la libération de Yuba était avant tout le résultat des calculs mercantiles de la Royal African Company. Les négociants et armateurs anglais voyaient en Yuba un personnage dont l’influence supposée dans son pays serait utilisée pour promouvoir les intérêts de la Royal African Company qui aspirait au monopole du commerce de la Sénégambie. En tout cas, c’est ce qui ressort des aveux aussi bien de la compagnie que d’autres protecteurs de Yuba. Ainsi dans la lettre que la compagnie adressait au gouverneur de James Fort pour lui recommander Yuba :
« Nous vous recommandons vivement de le traiter avec gentillesse durant son séjour et de veiller à ce qu’aucun de ses effets ne se perde ou ne soit détourné. Et dès que viendra la saison pour lui faire remonter le fleuve, nous vous suggérons de le transporter avec toutes ses affaires à notre comptoir le plus haut sur le fleuve. Et afin de lui permettre de rentrer dans son pays en sécurité, vous le placerez sous la protection de toute personne en qui vous feriez confiance. Si la personne qui l’accompagnera désirait parvenir jusqu'à l’intérieure de son pays (le Bundu), elle pourrait par ce moyen rendre service à la compagnie en ouvrant et en entretenant un commerce et une correspondance entre les indigènes de cette contrée et nos comptoirs du haut du fleuve ». 8
Les déclarations de Thomas Bluett sont encore plus explicites :
« Considérant son obligeance à l’égard des anglais, il pourrait en temps opportun rendre un service considérable à nous tous. Et nous avons raisons d’espérer cela à cause des assurances reçues de Job qu’en toutes circonstances il déploierait ses meilleurs efforts pour promouvoir le commerce anglais avant tout autre. » 9
Dans leur tentative d’expansion commerciale en Sénégambie, les Anglais disposaient d’un agent sûr en la personne de Yuba. Celui-ci prit part à plusieurs missions d’exploration destinées à établir des relations entre la côte et l’intérieur.
En janvier 1736, il était guide de la mission conduite par Thomas Hull, neveu de Richard Hull gouverneur de James Fort. Cette mission avait pour but d’explorer les mines d’or du Bambuk situées au sud- est du Bundu. Au printemps de 1737, la Royal African Company mettait sur pied à Londres une importante mission. Celle-ci était dirigée par un certain Melchior de Jaspas, un Arménien parlant l’arabe à qui furent adjoints James Anderson, un jeune Anglais parlant français et désireux d’aventures, et un esclave iranien nommé joseph.
Bien que la composition de cette mission puisse paraître étrange, pour la compagnie il s’agissait de mettre à profit les connaissances linguistiques des membres qui la composaient. Elle leur remit des cadeaux à l’intention de Yuba et dans une lettre adressée à ce dernier elle lui demandait de faire tout ce qui est en son pouvoir pour développer les relations commerciales entre le Bundu et les comptoirs de la Gambie10. La mission reçut l’ordre de se rendre au Bundu pour travailler de concert avec Yuba.
La mission de Jaspas n’aboutit cependant qu’à des résultats médiocres. Dès son arrivée à James Fort, elle fut en butte à des manifestations d’hostilité raciale des agents de la compagnie. Ces derniers en retardèrent les progrès tant qu’ils purent. Ce n’est qu’en janvier 1742 que nous apprenons que Jaspas avait réussi avec l’aide de Yuba à faire signer un traité de commerce avec un obscur chef maure, un certain « Haj Mouctari », marabout de « Porto-bar », agissant au nom de son roi « Habilila » de « Gannar ». Par ce traité, « Haj Mouctari » aurait accepté de réserver à la Royal African Company le commerce exclusif de la gomme.11 Mais cet accord ne semble pas avoir été suivi d’exécution.
En décembre 1736, Yuba était arrêté et emprisonné par les ordres du directeur du fort français de Saint-Joseph au royaume du Galam (Gajaaga). Il était accusé d’être un agent au service des Anglais : on redoutait qu’il ne vînt « établir son domicile sur le passage des captifs et à proximité des mines d’or, ce qu’il ne pouvait faire sans renverser les escales de Caignoux (Kenyu) et de Tamboncany (Tambukani). »12
A l’annonce de l’arrestation de Yuba, tous les marchands africains de la région déclenchèrent un mouvement de solidarité en sa faveur. Ils décidèrent à l’unanimité de boycotter le commerce français. Défense était faite à quiconque de faire la traite dans les escales françaises tant que Yuba ne serait pas libéré. Le trafic caravanier du Haut Fleuve fut entièrement détourné sur la Gambie au profit des Anglais.
A la fin de la saison de traite de 1736, les navires français rentrèrent vides à Saint-Louis. Le directeur du fort Saint-Joseph fut obligé de libérer Yuba.13
Jusqu’à sa mort, survenue probablement vers 177714, Yuba demeura en relations suivies avec les Anglais. Un moment, il sollicita même le soutien de la Royal African Company pour effectuer un voyage d’agrément en Angleterre. Mais la compagnie découragea cette initiative.
En même temps qu’il servait d’auxiliaire aux Anglais, Yuba développait ses propres activités marchandes. Son emprisonnement au fort Saint-Joseph et les manifestations de solidarité dont il a bénéficié auprès des marchands traditionnels démontrent à quel point il était devenu un personnage influent du commerce sénégambien. Il était en effet un actif trafiquant d’esclaves. Toutefois, instruit par ses propres aventures, il aurait tenté d’introduire quelques réformes dans l’institution de l’esclavage de traite. C’est ainsi qu’il passa un accord avec les agents de la Royal African Company par lequel les musulmans qui viendraient à être vendus à la compagnie seraient autorisés à se libérer contre rançon. C’est à la suite de cet accord que Yuba obtint en 1738 la libération de Lamine Ndiaye, le compagnon avec lequel il avait été transporté au Maryland. Hormis ce cas, nous n’avons pas d’autres preuves que l’accord fut appliqué de façon suivie. En fait, tout porte à croire que ce geste était uniquement destiné à ménager Yuba pour qu’il servît les desseins de la compagnie.
Sous ce rapport, même si au plan des réalisations concrètes les efforts de Yuba n’avaient pas abouti à des résultats durables, ils n’en avaient pas moins constitué un atout important pour les Anglais dans les rivalités coloniales qui les opposaient aux autres puissances maritimes en Sénégambie.
Rivalités coloniales sur la côte sénégambienne
Au XVIIIe siècle, le vocable de Sénégambie désignait pour les marchands et navigateurs européens les terres comprises entre le Sénégal et la Gambie, ainsi que les établissements fortifiés de la côte mauritanienne et les « Rivière du sud » (Casamance, Rio Cacheu), l'archipel des Bissagos (Bissau).
Cette région faisait l'objet d'une âpre rivalité entre les grandes puissances coloniales européennes pour une raison double. D'abord à cause de la position stratégique privilégiée qu'elle occupe dans l'Atlantique qui était, depuis les grandes découvertes maritimes des XV-XVIe siècles, devenue au détriment de la Méditerranée le principal axe du commerce international. Ensuite parce que la Sénégambie offrait l'avantage d'avoir un rivage côtier d'accès relativement facile pour les navigateurs, en même temps qu'elle possédait des voies d'eau menant à l'intérieur, dont la plupart étaient navigables sur une bonne partie de leur cours.
Les Portugais furent les premiers Européens à débarquer sur la côte sénégambienne. Ils gardèrent le monopole du commerce de cette région pratiquement jusqu'à la fin du XVIe et au début du XVIIe siècles15. A partir de cette période, ils furent supplantés par la Hollande qui était devenue la plus grande puissance coloniale européenne.
A suivre le 10 novembre prochain...
Texte préalablement paru en 1978 dans la collection "Les Africains" de Jeune Afrique qui a autorisé SenePlus à le republier.
7. Letter of Job Ben Salomon to Sir Hans Sloane, James Fort Rio Gambia. Decmber 8, 1734, in Sloane Papers Manuscript. Letter to Hans Sloane. Vol. XVIII, folio 341, British Museum, manuscript 4053.
8. P.R.0. T 70/55. Royal African Company To Richard Hull James Ford Gambia, London 4th July 1734.
9. Thomas Bluett, op. cit. pp 59 60. Voir aussi F. Moore, op. cit.pp 230-23
10. P.R.O. T 70/56. Royal African Company to Mr Job at Bundu in Africa 19 May 1737.
11. P.R.O. T 70/1424 f. 196.
12. A.N.F. Colonies C 611, de Saint Andon Gouverneur du Fort Saint – Louis à Compagnie des Indes. 2 décembre 1736.
13. Ibid.
14. John Nicholas. Literary Anecdotes of the Eighteegh Centry, vol 6.pp. 90 91.
15. Sur ce mouvement des « Grandes Découvertes Maritimes » dont le Portugal fut l'initiateur voir V. Magalhaes –Godinho, L'économie de l'empire portugais aux XVe et XVIe siècles, Paris 1969.
L’UNIVERSITÉ DE THIÈS PORTERA LE NOM DE IBA DER THIAM
Macky Sall était, cet après-midi, à la maison du défunt Iba Der Thiam pour présenter ses condoléance. Il a aussi annoncé que l’université de Thiès portera le nom du professeur
Le président de la République, Macky Sall était, cet après-midi, à la maison du défunt Iba Der Thiam pour présenter ses condoléances. Une occasion qu’il a saisie pour annoncer une décision de taille qu’il a prise. Il a annoncé que l’université de Thiès portera le nom du professeur Iba Der Thiam, décédé à l’âge de 83 ans des suites d’une courte maladie.
Agrégé en histoire moderne et contemporaine, il a enseigné à l’université Cheikh-Anta-Diop de Dakar du début des années 1980 jusqu’à sa retraite en 2006 et a fait partie du comité de l’Unesco pour la rédaction de l’histoire générale de l’Afrique. Ministre de l’éducation nationale (1983-1988), Iba Der Thiam a été candidat malheureux à la présidentielle de 1993 et plusieurs fois député à l’Assemblée nationale. Depuis 2013, Iba Der Thiam dirigeait le comité pour la rédaction, toujours en cours, de l’histoire générale du Sénégal, un projet visant à « décoloniser » la vision du passé de cette ancienne colonie française d’Afrique de l’Ouest.
ALIOUNE DIOUF INAUGURE «SELEBE YOON»
Dakar devient de plus en plus un carrefour artistique. Les galeries et les musées fleurissent et participent à l’effervescence artistique. Dans quelques jours, la capitale sénégalaise accueille un nouveau lieu de rencontre.
La Galerie « Selebe Yoon » ouvre ses portes à Dakar le 27 Novembre prochain. Pour son exposition inaugurale, elle propose aux amateurs de venir découvrir le travail du peintre Alioune Diouf
Dakar devient de plus en plus un carrefour artistique. Les galeries et les musées fleurissent et participent à l’effervescence artistique. Dans quelques jours, la capitale sénégalaise accueille un nouveau lieu de rencontre.
Situé dans le centre de Dakar, Selebe Yoon, ce nouvel espace, est dédié à l’art contemporain avec une programmation internationale. «Selebe Yoon souhaite être un point de convergence entre artistes et acteurs culturels provenant de différentes géographies et contextes variés», annoncent les promoteurs dans un document de présentation.
La galerie qui ouvre ses portes le 27 novembre prochain propose une exposition inaugurale intitulée Ubeku (Ouverture) de l’artiste Alioune Diouf. «L’exposition présentera une installation monumentale en tissu à l’entrée, une série de dessins aux pigments naturels, sa série Gouney jagaal mêlant couture et peinture ainsi que des interventions insitu», informe la galerie qui précise que cette exposition fait suite à deux mois de résidence de l’artiste.
Autodidacte, Alioune Diouf est né à Dakar en 1964. «Son travail incarne le débordement : chaque figure dessinée - de l’oiseau, à l’arbre, à l’homme, - ne s’arrête jamais à sa forme, mais se déploie et s’étire au-delà de ses contours. Dans cette circulation ininterrompue du vivant, ces personnages sont liés par un seul fil à coudre, par le même souffle qui les anime», écrit la brochure à propos de l’artiste.
Sa rencontre avec Issa Samb est un tournant dans sa vie. Pendant plus de 28 ans, il est un des membres du laboratoire Agit’Art, lieu d’expérimentation artistique créé en 1974 avec Djibril Diop Mambety, Issa Samb et El Hadji Sy. «Durant ces années, Alioune Diouf travaille auprès de ces artistes, participe aux manifestations du laboratoire, transforme la cour au quotidien et développe sa pratique personnelle cadencée par ces manifestations collectives.»
Avec le collectif Agit’Art, mais aussi en solo, Alioune Diouf a participé à de nombreuses expositions. Dans quelques semaines, le public pourra découvrir son travail sur les murs de la galerie Selebe Yoon
LES LAUREATS DE LA BOURSE GHISLAINE DUPONT ET CLAUDE VERLON 2020
Créée en 2014 par France Médias Monde, elle a été décernée à Charles Abossolo Oba, journaliste au Cameroun, et Romain Roguinesida Bouda, technicien radio au Burkina Faso.
Sept ans jour pour jour après l’assassinat de Ghislaine Dupont et Claude Verlon, à Kidal, au Mali, RFI a attribué, lundi, la septième bourse portant leurs noms. Créée en 2014 par France Médias Monde, elle a été décernée à Charles Abossolo Oba, journaliste au Cameroun, et Romain Roguinesida Bouda, technicien radio au Burkina Faso.
La septième édition de la Bourse Ghislaine Dupont et Claude Verlon, qui se tient habituellement dans un pays d’Afrique, était exceptionnellement organisée à distance, lundi 2 novembre, et ouverte aux 25 pays d’Afrique francophone, en raison de la pandémie de Covid-19.
Plusieurs centaines de candidatures ont été déposées cette année. Vingt professionnels ont été sélectionnés (10 techniciens et 10 journalistes), venant de 13 pays francophones d'Afrique. Tous ont bénéficié d’une formation à distance, dispensée par l’Académie France Médias Monde, pendant trois semaines.
À l’issue de la formation, il a été demandé aux candidats journalistes de réaliser un reportage sur le thème "Dialogue et tolérance ", tandis que les candidats techniciens ont préparé un sujet sur le thème "Les petits métiers de la rue".
Les lauréats
Charles Donatien Abossolo Oba, 29 ans, journaliste à la Cameroon Radio Television (CRTV), vainqueur dans la catégorie "Journaliste", est titulaire d’une licence professionnelle en journalisme de l’École supérieure des sciences et techniques de l’information et de la Communication (ESSTIC) de Yaoundé. Il s’est distingué par la clarté de son travail, son professionnalisme, la multiplicité et la qualité des témoignages recueillis dans le reportage qu’il a choisi de réaliser sur la question de la polygamie à Ebolowa (sud du Cameroun).
Romain Bouda a, quant à lui, remporté le prix dans la section "Technicien". Originaire du Burkina Faso, âgé de 32 ans, il est titulaire d’un diplôme de Conseiller en Sciences et Techniques de l’information et de la communication, et actuellement technicien à la Radiodiffusion-Télévision du Burkina (RTB). Le jury a salué à l’unanimité la grande maîtrise technique de son "tout sonore", qui plonge l’auditeur dans l’ambiance d’un atelier de réparation de motos d’une rue de Ouagadougou.
Le jury de #BourseDupontVerlon
Le jury était présidé par Cécile Mégie, directrice de RFI, et composé de Vincent Hugeux, grand reporter et enseignant à l’École de journalisme de Sciences-Po, Alain Rocca, directeur délégué à la formation, à l'enseignement et au conseil de l’Institut national de l’audiovisuel (INA), Denise Epoté, directrice de TV5MONDE Afrique et éditorialiste à RFI, Jean Baptiste Placca, éditorialiste à RFI, Denis Chastel, responsable productions mobiles RFI, et d’Yves Rocle, adjoint à la directrice de RFI chargé des langues africaines.
VIDEO
IBA DER THIAM, L'HOMME D'HISTOIRES N'EST PLUS
Responsable syndical pendant près de 20 ans, professeur d’histoire, ministre, député, premier vice-président de l’Assemblée nationale, coordinateur de l’Histoire générale du Sénégal, retour sur le parcours d’un homme d’histoire
Iba Der Thiam est décédé samedi à l’âge de 83 ans. Responsable syndical pendant près de 20 ans, professeur d’histoire, ministre, député, premier vice-président de l’Assemblée nationale, coordinateur de l’Histoire générale du Sénégal, retour sur le parcours d’un homme d’histoire.
Le syndicalisme avant la politique. Iba Der Thiam fut Secrétaire général du syndicat unique de l’enseignement laïc (Suel), puis membre du bureau de l’Union nationale des travailleurs du Sénégal. Pourtant quand on aborde le destin si particulier de ce natif de Kaffrine, c’est l’homme politique qui émerge en premier. Son parcours a traversé l’histoire contemporaine du Sénégal : emprisonné par le président Senghor, il aura d’abord les grâces de son successeur, Abdou Diouf qui en fera son ministre de l’Education nationale à partir de 1983.
Black Lives Matter avant l’heure
C’est à ce poste qu’il a entamé, le processus de changement des noms de bâtiments et établissements publics donné à d’anciens colons, une question revenue sur le devant de l’actualité avec le mouvement Black Lives Matter près de quatre décennies plus tard. Ainsi, en 1983, M. Thiam inaugure ce mouvement en débaptisant le Lycée Faidherbe de Saint-Louis pour lui donner le nom de Cheikh Oumar Foutiyou Tall. « La campagne du Waalo de Faidherbe a fait 20 000 victimes en huit mois », dira-t-il plus tard.
Diouf-Wade-Sall, grâces et disgrâces
Même s’il fut souvent contesté par ses héritiers du mouvement syndical, le professeur Thiam a marqué le département de l’Education nationale jusqu’à son départ en 1988. Année où son cheminement avec Abdou Diouf, dont la candidature à une réélection fut soutenue pour son mouvement « Abdoo nu doy », va connaître un essoufflement avec son départ du gouvernement et la création de la Convention des Démocrates et des Patriotes (CDP) – Garab Gui. Iba Der Thiam a participé à deux élections présidentielles (1993 et 2000), il fut élu trois fois député à partir de 1993, premier vice-président de l’Assemblée nationale de 2001 à 2012. Son parti, la CDP – Garab Gui a fusionné avec le PDS du président Abdoulaye Wade, devenu son allié politique en 2005. Ainsi, Iba Der Thiam fut nommé, en 2007, coordinateur de la Convergence des actions autour du président de la République pour le 21e siècle (CAP 21), une coalition de 47 partis soutenant Wade. Après le départ du Pape du Sopi de la présidence de la République du Sénégal en 2012, Iba Der Thiam avait pris du recul, même à l’Assemblée où il était encore pour quelques temps député. Malgré ce recul politique, le Professeur Thiam avait fini par devenir un proche du Président Macky Sall. Ce dernier n’avait pas manqué de le mettre en avant lors de sa visite d’Etat en France en décembre 2016.
L’intellectuel
Iba Der Thiam, c’est l’intellectuel avec une dizaine d’ouvrages à son actif comme « La révolution de 1914 au Sénégal ». C’est aussi l’agrégé en Histoire : il a participé comme membre du Comité scientifique de l’Unesco à la rédaction de l’Histoire générale de l’Afrique. Plus récemment, il a dirigé la réécriture de l’Histoire générale du Sénégal. Après les polémiques faisant suite à la réalisation de ce projet, il avait accordé, en octobre 2019, au Soleil sa dernière grande interview. Il y soulignait la conséquence de la prise « de conscience des enjeux par des équipes de chercheurs, d’historiens, de journalistes, d’intellectuels de tous les horizons. Ils se sont fixés pour mission de doter notre pays de l’outil scientifique, pédagogique et culturel, en élaborant l’Histoire Générale du Sénégal. Toutefois, précisait-t-il, « les historiens ne sont pas des maîtres de vérité. La vérité en Histoire ne se constate pas, pas plus qu’elle ne se détient. Elle n’est ni un trésor enfoui, ni un privilège à faire valoir ».
UN ROMAN FAIT REVIVRE ALINE SITOÉ DIATTA
Paru à la rentrée 2020, "Aline et les hommes de guerre" de Karine Silla retrace l’histoire de celle que l'on surnomme parfois "la Jeanne d’Arc africaine"
La vie d’Aline Sitoé Diatta pourrait se résumer ainsi : jeune fille de Casamance employée comme bonne par des colons français à Dakar pendant la deuxième Guerre mondiale, elle entend des voix à l’âge de 21 ans et retourne dans son village natal de Kabrousse pour mener une lutte contre l'oppression coloniale. Jusqu’à présent, elle n’avait fait l'objet que de quelques chapitres dans des ouvrages d’histoire ou d’anthropologie. Avec son roman Aline et les hommes de guerre, aux éditions de l'Observatoire, la dramaturge Karine Silla a réussi à lui redonner chair, en comblant de son imagination les espaces laissés disponibles par les faits historiques. "J'ai surtout été attirée par le caractère romanesque du personnage, son courage forcené, la puissance de sa foi et sa volonté d’aider une humanité bouleversée", reconnaît-elle.
Il s'agissait pour Karine Silla de lever un tabou
De double culture, franco-sénégalaise, l’auteure voulait aussi retracer le contexte historique de cette période troublée de l’Afrique occidentale. La France, elle-même sous occupation allemande, impose alors un régime de domination féroce à des populations soumise à son administration. Il s’agissait pour Karine Silla de lever un tabou : "L'histoire coloniale, avec l’antisémitisme et la collaboration, font partie de ces sujets dont la France déteste parler", rappelle-t-elle.
Sur la première de couverture, la photographie jaunie par le temps de la "reine" aux seins nus, fumant la pipe, à la fois noble et effrontée. Chez les Diolas de Casamance, les rois et les reines sont les intermédiaires entre les hommes et les esprits de la nature. A 21 ans, Aline Sitoé Diatta devient prophétesse de son peuple. Elle l’incite à retrouver ses traditions déjà bien ébranlées par la colonisation. Elle le pousse à se révolter contre une administration toujours plus oppressante. Elle l’encourage à refuser de payer l’impôt qui affame et à résister à la conscription forcée des garçons. C’est cette geste héroïque qui fait d’elle une des figures marquantes de la lutte anticoloniale.
Mais Aline ne fait pas le choix de la guerre. Cette dimension du personnage fascine Karine Silla. "J'aime son parcours de paix, sa lutte non violente", reconnaît-elle, tout en la comparant volontiers à Gandhi et surtout à Martin Luther King. La foule vient en masse écouter la prophétesse qui appelle à désobéir, mais n’incite jamais à prendre les armes.
L’information est confirmée par des proches de la famille. Il a succombé à l’hôpital Principal des suites d’une courte maladie. Maitre de conférences titulaire en histoire moderne et contemporaine à la retraite, Iba Der Thiam fut ministre de l’Education
Le Pr Iba Der Thiam est décédé. L’information est confirmée par des proches de la famille. Il a succombé à l’hôpital Principal des suites d’une courte maladie.
Iba Der Thiam, né le 26 février 1937 à Kaffrine, est un professeur d’université et homme politique sénégalais. L’ancien fondateur de la Cdp/Garab-Gui a continué à servir à l’université même après sa retraite en 2003 et des années durant. En plus des cours qu’il dispensait, il encadrait également des travaux de recherches.
« Personne dans ce pays, je dis bien personne, ne maîtrise l’histoire contemporaine du Sénégal mieux que Iba Der Thiam. J’ai eu le privilège d’avoir été son étudiant en année de maîtrise, je puis témoigner de son savoir encyclopédique. J’ai beaucoup de respect pour l’enseignant qu’il est », disait de lui le journaliste El Hadji Ibrahima Thiam du journal Le Soleil. Il décède à l’âge de 83 ans.
Maitre de conférences titulaire en histoire moderne et contemporaine à la retraite, Iba Der Thiam fut ministre de l’Education nationale et de l’enseignement supérieur de 1983 à 1988 sous le magistère du président de la République Abdou Diouf.
Fondateur du parti politique CDP/Garap-Gui (Convention des démocrates et des patriotes, Iba Der Thiam a également dirigé des organisations comme le Syndicat unique de l’enseignement laïc du Sénégal (Suel) et le Syndicat des enseignants du Sénégal (Ses). Le Ses était issu de la fusion entre le Suel et Syndicat des professeurs africains au Sénégal (Spas) en 1969.
VIDEO
JAMES BOND EST MORT
Connu mondialement pour avoir endossé le costume de James Bond à sept reprises, l'acteur britannique Sean Connery est mort, samedi, à l'âge de 90 ans, aux Bahamas.
Connu mondialement pour avoir endossé le costume de James Bond à sept reprises, l'acteur britannique Sean Connery est mort, samedi, à l'âge de 90 ans, aux Bahamas. L'acteur a connu une longue carrière couronnée de nombreux prix dont un Oscar, deux Bafta et trois Golden Globes.
L'acteur écossais Sean Connery, premier et inoubliable interprète de l'agent 007 dans la saga des films James Bond, est décédé à l'âge de 90 ans, samedi 31 octobre.
"Sir Sean est mort dans la nuit entouré de membres de sa famille alors qu'il se trouvait à Nassau, aux Bahamas. Il n'était pas bien depuis un certain temps", a déclaré son fils Jason Connery à la BBC.
L'acteur a connu une longue carrière couronnée de nombreux prix dont un Oscar, deux Bafta et trois Golden Globes.
"Comme c'est infiniment triste d'apprendre la nouvelle du décès de Sir Sean Connery. Lui et Roger étaient amis pendant de nombreuses décennies et Roger a toujours soutenu que Sean était le meilleur James Bond de tous les temps", a tweeté le compte de l'acteur Roger Moore, qui s'était aussi glissé dans la peau du célèbre agent secret.
Sean Connery est né le 25 août 1930 dans la pauvreté en banlieue d'Edimbourg en Ecosse. Il avait quitté l'école tôt et s'était engagé à 16 ans dans la Marine.
C'est de cette époque que datent ses deux tatouages - "Mum and dad" et "Scotland forever" - sur l'avant-bras droit.
Rendu à la vie civile au bout de trois ans après un ulcère, il avait enchaîné les petits boulots : maître-nageur, maçon, routier mais aussi livreur de charbon, garde du corps et polisseur de cercueil.
Il s'était aussi lancé dans le culturisme, terminant troisième au concours de Mister Univers 1950, avant d'embrasser la carrière d'acteur.
Endossant pour la première fois le rôle de 007 dans "Dr No" en 1962, il a incarné à six reprises (sans compter le non-officiel "Jamais plus jamais") l'agent secret.
Pour l'indépendance de l'Écosse
Il a gagné un Oscar avec "Les Incorruptibles" et interprété de plus en plus des rôles de père spirituel, dans "Highlander", "Le nom de la rose" ou "Indiana Jones et la dernière croisade".
En 1989, le magazine People le consacré "homme vivant le plus sexy", alors qu'il va allègrement sur ses 60 ans.
Sean Connery avait pris sa retraite en 2003, restant immensément populaire. En 2013, il avait été élu acteur britannique préféré des Américains.
Seul son combat pour l'autonomie de son Écosse natale fait lever quelques sourcils. Il aurait aussi retardé jusqu'en juillet 2000 son anoblissement par la reine Elizabeth II.
"J'ai grandi en idolâtrant #SeanConnery", a écrit l'acteur Hugh Jackman. sur Twitter le qualifiant de "légende à l'écran et en dehors".
IDENTITÉS SÉNÉGALAISES, UN VASE EN MOSAÏQUE
Dans un monde globalisé, la nature de l’identité sénégalaise est questionnée. Mamadou Diouf et Mohamed Mbodj, deux historiens, apportent, dans des entretiens « croisés », des éclairages sur les origines et les fondements de ce que c’est qu'être sénégalais
« Toute la nation rassemblée » Que ce soit dans les moments d’allégresse sportive ou dans un deuil national, comme lors du naufrage du bateau « Le Joola », c’est une métaphore souvent brandie comme étendard. Dans un monde globalisé, la nature de l’identité sénégalaise, au singulier ou au pluriel, est questionnée. Mamadou Diouf et Mohamed Mbodj, deux historiens, apportent, dans des entretiens « croisés », des éclairages sur les origines et les fondements de ce qu’est être sénégalais.
Le Sénégal ne fait pas exception. Dans l’espace de la Sénégambie, le processus est à peu près le même. La constitution des États s’est faite en plusieurs étapes. Entre le passage des royaumes traditionnels à l’État sénégalais, il y a eu la formation de la colonie du Sénégal puis la fédération de l’Afrique occidentale française en 1895, dissoute en 1958 ; celle-ci est remplacée d’abord par l’Union française (1946-1958) et ensuite par la Communauté française (1958) ; elle est constituée par des territoires devenus des Républiques autonomes, sauf la Guinée qui devient indépendante en 1958.
Dès 1960, les pères de l’indépendance, comme le président Léopold Sédar Senghor, avaient l’ambition de construire un « État-Nation » : il s’agit d’une ambition politique et historique de juxtaposer un État, en tant qu’organisation politique, à une Nation, c’est-à-dire des individus qui se considèrent comme liés et appartenant à un même groupe. Là également, le Sénégal n’est pas un cas isolé. « Les États africains qui revendiquent un statut d’État-Nation sont les héritiers directs des colonies autant en termes d’espace que de populations. Une territorialisation validée par le principe de l’intangibilité des frontières héritées de la colonisation adoptée par la Conférence des Chefs d’États et de Gouvernements de l’Organisation de l’unité africaine (Oua) réunie au Caire, le 21 juillet 1964 », explique Mamadou Diouf, Professeur d’Histoire à l’université de Columbia, aux États-Unis.
Du projet « État-Nation » au « Sénégal des profondeurs »
Pour l’historien sénégalais, à l’accession à l’indépendance, deux projets de clôture des empires coloniaux et de construction de nouvelles souverainetés convergent dans la mise en place d’État-nations inspirés des trois modèles, français, britanniques et de certains éléments soviétiques. «Ce modèle de la République, une et indivisible, centralisée, dotée d’une langue et d’un père fondateur, s’est imposé contre la longue histoire précoloniale et coloniale d’une gouvernance plurielle ; il a élevé la lutte sans merci contre « le tribalisme » et des traditions inventés et manipulés pour établir une communauté nationale fictive. La construction de celle-ci a convoqué exclusivement les paramètres de l’histoire des nationalités et du nationalisme européen, celle d’une unité qui assimile et rassemble les fragments d’une histoire commune, d’une communauté imaginée, pour reprendre Benedict Anderson, et non une unité qui est construite sur la différence et un projet discuté communément adopté. Certains politiciens sénégalais, Senghor mais surtout Mamadou Dia notamment dans son livre « Nations africaines et solidarité mondiale » paru en 1960, se sont mobilisés contre la balkanisation pour signaler que le modèle national européen était inadapté à l’Afrique et aux nations à venir », développe le professeur Diouf. « L’État-Nation n’est ni moderne, ni désirable. Des communautés humaines, larges, inclusives et diversifiées, constituent la vague de l’avenir ; les institutions politiques devaient refléter ce fait », écrivait Mamadou Dia, dans le journal de son parti, « La Condition humaine », le 29 août 1955. L’animation rurale, la régionalisation et la production d’une sociologie contre le savoir ethnologique coloniale illustraient la volonté du Président du Conseil, Mamadou Dia, à imaginer une autre trajectoire, de nouvelles institutions et des savoirs qui respectent la dynamique plurielle des sociétés africaines.
Géographie coloniale
Le territoire qui porte aujourd’hui le nom de Sénégal renverrait donc d’abord à une géographie coloniale. « Il se limitait à la seule île de Saint-Louis, de la fondation du comptoir en 1659 à la conquête du Waloo (1855), à l’intégration du Gandiole dans l’espace colonial – Gorée et le pays « lebu » relevaient de Gorée et Dépendances, au 19ème siècle – et finalement à la création de la fédération des colonies ouest-africaines de l’empire français », rappelle le Professeur Diouf. Ce processus a eu des conséquences sur le rapport établi par les Sénégalais contemporains avec leur État et ses représentants.
Mais quid de la revendication d’une existence historique et des traditions précoloniales ? « Le Sénégal est une invention coloniale, insiste Mamadou Diouf. Ce n’est pas le cas de la Sénégambie : un espace historique qui déborde la République du Sénégal, empiète au Nord sur la Mauritanie, à l’Est sur le Mali, au Sud sur le Fouta Jallon et les rivières du Sud ». L’historien Boubacar Barry explique que cet émiettement politique et social est consécutif aux conquêtes coloniales (portugaise, française et anglaise). Elles façonnent fortement l’histoire du Sénégal. Ce processus consacre une forte dispersion des mémoires et identités des communautés « sénégalaises ». Plus de soixante ans après les indépendances, le projet d’État-Nation a laissé la place à une territorialisation voire une provincialisation du pays. Cette configuration a une histoire plus ancienne.
Perte du pouvoir coercitif
« Les terroirs souvent autonomes mais regroupés dans les États précoloniaux ont été obligés de se dissoudre dans une territorialisation centralisée à Dakar et ses points relais (capitales régionales). Ce fonctionnement a créé une distance entre administration physique et administration psychologique », explique Mohamed Mbodj, Directeur du département d’histoire et Chaire d’études africaines et afro-américaines à l’Université de Manhattanville (États-Unis). De projet d’État-Nation, le Sénégal est donc passé à « une résurgence de terroirs et de leur culture ». C’est ce qu’on a appelé « le Sénégal des profondeurs ». « La centralisation était appuyée par une coercition conduite par l’État central jusqu’à la fin des années 1960-début 1970 », éclaire le Professeur Mbodj. En effet, il s’agit d’une césure historique car cette période est marquée par des prises de position des chefs de confréries qui commencèrent comme lors de l’épisode des campagnes de recouvrement forcé des dettes agricoles. Le cas le plus célèbre est celui de Serigne Fallou Mbacké au début des années 1970. Alors que la sécheresse avait rudement malmené leurs récoltes au point de ne pouvoir payer les impôts ou rembourser les dettes agricoles à l’État, des paysans du Baol ont eu l’appui du Khalife général des Mourides afin d’éviter certaines formes de brimades et de vexations comme le fait d’être obligés de passer toute une journée au soleil. À ces épisodes, il faut ajouter les débordements politiques et estudiantins dans les villes entre 1968 et 1971 : les évènements de mai 68 et ses secousses politiques. Ces différents éléments ont achevé de réduire la capacité de l’État centralisé. Depuis lors, l’État a perdu cette capacité coercitive et d’initiative incontestée qui faisait sa force avant. L’ambition de l’État-Nation avait pour but de faire passer le Sénégal du multiple à l’un. Dans l’entendement occidental, elle n’a pas abouti. Ce n’est pas faute d’avoir essayé de mettre en place un récit commun comme celui du modèle français.
Récit national
En Europe, présentée par certains comme le « vieux continent », la constitution de certaines « Nations » s’est faite au courant du 19ème siècle. C’est cas de l’Italie avec le « resorgimento ». La France revendique une Nation beaucoup plus ancienne. Elle remonterait aux croisements des affluents provenant des Gaulois, des Visigoths, des Francs… Cette histoire diverse a été théorisée en unité par des historiens comme Michelet à travers le concept de roman nation puis celui de récit national, plus proche des considérations scientifiques. Au Sénégal, cette tendance a existé au début pour le Professeur Mohamed Mbodj. « Jusqu’aux années 1990, l’idée de faire de Lat Dior le héros national si chère à Senghor a été brandie. Elle avait braqué à la fois les non-Wolofs, mais aussi une bonne partie des Wolof (les Walo-Walo) », avance M. Mbodj. C’est une manière d’écrire une histoire commune. Pour Mamadou Diouf, la mise en place d’un récit national est difficile. « La crise sénégalo-mauritanienne et le conflit casamançais sont des signaux de l’existence de récits historiques communautaires d’une très grande diversité, rectifie-t-il. Ils sont ethniques, religieux ou régionaux. Ils animent des sensibilités identitaires différentes qui ne sont pas nécessairement irrédentistes ou nationalistes ». Dans le désordre, les cas soulevés sont Nasr Al Din, Abdul Bocar, El Hajj Oumar, Lat Dior, Alboury, Aline Sitoé, Mamadou Lamine Dramé, Ndaté Yalla, Maba Diakhou, Coumba Ndoffène, Kagn Cissé, El Hajj Malick Sy, Ahmadou Bamba Mbacké, El Hajj Abdoulaye Niass… Ils portent des récits de terroir, d’ethnies ou de confréries. « La nation sénégalaise n’existait pas. Existe-t-elle soixante années après les indépendantes ? A-t-elle été capable de produire, doit-elle nécessairement produire un récit national unique ? Ne faudrait-il pas en produire plusieurs, dans une polyphonie qui reflète la mosaïque ethnique et religieuse de la communauté nationale sénégalaise ? », fait mine de s’interroger Mamadou Diouf.
Religion : de vernis à structure
Les Professeurs Diouf et Mbodj font le même constat : « L’apport de la religion dans la constitution des identités sénégalaises est très fort, prédominant même ». Selon une étude des fondations Pew et Templeton en 2010, avec 98% de croyants, le Sénégal est le pays le plus religieux au monde. « Donc la religion définit et informe une très grande partie de nos attitudes, Musulmans comme Chrétiens ou autres. Beaucoup d’auteurs des 19e et 20e siècles ont insisté sur le caractère « superficiel » de l’Islam au Sénégalais (qu’ils baptisent alors « Islam Noir »). Mais de vernis, l’islam est devenu une structure de l’identité sénégalaise, et cela s’est répercuté sur la composante chrétienne de la population », édifie Mohamed Mbodj. La référence à Dieu, au prophète et aux « grands-pères (saints hommes, fondateurs de confréries, etc.) est devenue une norme, et son absence dérange. Le port vestimentaire (l’apparence extérieure), surtout chez les musulmans, est aussi une déclaration d’identité manifeste. « La réception de l’islam par les communautés sénégalaises souligne la pluralité de ses expressions culturelles, sociales et politiques.
L’apport des confréries
Elle inscrit l’islam dans une géographie et une anthropologie propres à chaque communauté et en signalent les singularités et aspérités. En attestent le timbre « arabe » (Tijane), la rugosité Wolof (Mouride) ou chantonnée (Halpulaar) de la récitation du Coran », précise Mamadou Diouf. Avec l’avènement des confréries, l’islam et les marabouts ont proposé une idéologie et des formules communautaires, économiques et politiques pour soit protéger les communautés paysannes, soit offrir des alternatives politiques contre les aristocraties traditionnelles et ensuite contre les colonnes expéditionnaires coloniales. Ils recouraient à la violence ou au retrait stratégique.
Dans un contexte marqué par la consolidation de l’occupation administrative, de la configuration de l’espace colonial et du produit qui lui est associé, l’arachide, l’établissement des confréries constitue un second moment dans la stratégie des marabouts sénégambiens. En effet, il y a eu une conjoncture qui clôt la séquence des djihads et ouvre une nouvelle séquence. Elle est caractérisée, selon Mamadou Diouf, par l’établissement de communautés spirituelles, culturelles, sociales et économiques, qui, tout en transigeant économiquement et administrativement avec le pouvoir colonial, préservent jalousement une forte autonomie. « Les confréries édifient des barrières qui associent spiritualité et sauvegarde d’une architecture administrative propre. Et les marabouts en ont la charge. Une fois encore, toutes ces manifestations qui se revendiquent de l’Islam sont les indices du degré de reconditionnement vernaculaire entre un Islam doctrinal et un Islam des images et des miracles ; le premier prescriptif et réfractaire à toute transaction ; le second, ouvert aux langues et formules spirituelles vernaculaires », poursuit le Professeur Diouf.
Christianisme
Le christianisme a aussi participé différemment à la configuration des identités de certaines communautés sénégalaises. Les multiples raisons et les conséquences de la conversation au christianisme des différentes communautés Joola, Sereer (Cangin du Nord-Ouest er SiinSiin), des originaires des 4 Communes ont dessiné des appropriations et des formules transactionnelles différentes de la doctrine et des images/représentations du Christianisme « occidental ». « A Saint Louis par exemple, l’abbé David Boilat qui fait partie de la première cohorte de prêtres sénégalais (Jean-Pierre Moussa et Arsène Fridoil), ordonnée au début des années 1840, n’a cessé de se pester contre la très forte participation des catholiques dans la culture émérite largement musulmane des doomi-ndar dont l’index est, l’habillement, les amulettes, les cérémonies sociales ». Mamadou Diouf soulève un autre aspect de la participation du Christianisme dans la construction des identités sénégalaises : « A la différence de Boilat, qui affirmait avec force que la langue Wolof ne pouvait porter le message du Christ, Moussa considérait que le recours cantiques traduit dans cette langue, était la meilleure stratégie de recrutement d’ouailles pour l’Église catholique. Le double mouvement de l’indigénisation des enseignements et pratiques de l’Église et de la christianisation des coutumes, ont entretenu une tension forte qui continue d’alimenter les singulières identités catholiques sénégalaises. Les prélats (Monseigneur Thiandoum) et les abbés Pierre Sock et Alfred-Amédée Dodds) et les intellectuels catholiques sénégalais (Alioune Diop en particulier, qui était un confident des papes, Jean XXIII et Paul VI), ont fortement contribué à façonner cette Chrétienté plongée dans les cultures africaines, découplée de la culture occidentale et radicalement universelle », rappelle M. Diouf.
Pour Mohamed Mbodj les chrétiens du Sénégal sont devenus un peu le miroir réfléchissant la stabilité idéale de l’image de l’autre. Ils deviennent ainsi arbitres d’un jeu ou certains pensent (faussement) qu’ils n’ont pas d’enjeu à perdre. Ainsi, on fait appel à l’image du chrétien dans la modération, sinon le désengagement politique, on fait appel à leur image de « minorité exemplaire » pour donner le bon exemple, leur nationalisme sans fracas pour un pays qu’ils ne dirigent pas est mis en exergue, leur apparente moindre implication dans les scandales politico-financiers est érigée en exemple à a suivre, etc. »