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2 décembre 2024
Femmes
PAR FATIMA ZAHRA SALL
CACHEZ CES VICTIMES QUE NOUS NE SAURIONS VOIR !
La société sénégalaise est assise au premier banc des accusés - Elle qui trouve si souvent refuge dans le « masla » et le « sutura » en vertu desquels on dissimule tout délit dont l’ébruitement pourrait porter atteinte à l’image de la famille
Fatima Zahra Sall |
Jeune Afrique |
Publication 19/03/2018
« Nous devrions porter plainte, parce que vous faites tout pour que nous vous violions. Et quand nous vous violons, nous allons en prison et vous, qui avez tout fait pour qu’on vous viole, vous continuez à être libres. J’assume pleinement et entièrement ce que je dis : je coupe la poire en deux ! » L’homme qui prétend ainsi imputer une part de la responsabilité du viol qu’elles ont subi aux jeunes filles qui s’habillent de manière « sexy », proposant d’adoucir la peine du violeur, est El Hadj Songue Diouf, chroniqueur dans le talk-show « Jaakarlo Bi », diffusé sur la Télévision Futurs Médias (TFM), la chaîne du célèbre chanteur Youssou Ndour.
« Même au sein de la maison, celle qu’on a violée, c’est celle qui a des formes généreuses », ajoutait, le 9 mars, celui qui est présenté sur le plateau comme un « professeur » – il enseignerait la philosophie dans un lycée dakarois.
Aussitôt, les réactions indignées fusent de toutes parts. Une pétition, qui atteint aujourd’hui les 5 000 signatures, est lancée sur Facebook pour demander des excuses publiques. Par ailleurs, une citation directe est déposée contre El Hadj Songue Diouf pour apologie du viol, diffamation et injures, délits réprimés aux articles 252, 258, 261 et 262 du code pénal sénégalais.
Feindre l’ignorance
Du coté des autorités, par contre, c’est le silence radio. Hormis le Conseil national de régulation de l’audiovisuel (CNRA), qui s’est fendu d’un communiqué enjoignant la direction de la chaîne de « mettre un terme définitif à de pareils manquements et à éviter toute rediffusion de l’émission du 9 mars 2018 sous peine de l’application des sanctions prévues par la loi », les institutions publiques – notamment le ministère de la Femme, de la Famille et du Genre – sont jusque-là restées muettes, préférant feindre l’ignorance.
A l’inverse, sur les réseaux sociaux, certains n’hésitent pas à prendre la défense du « professeur » Diouf, alimentant cette idée abjecte d’une responsabilité partagée entre le violeur et sa victime. Le présentateur de l’émission, tout en réaffirmant son soutien à son chroniqueur, a toutefois préféré démissionner à la suite d’un désaccord né de la prise de position du directeur des programmes de la chaîne, lequel condamne les propos tenus.
Cet épisode renseigne sur plus grave : le manque criant d’éducation sur le sujet, et ce que nous qualifions au Sénégal d’« omerta du viol ».
Récemment, une exposition supervisée par l’Université du Kansas montrait les vêtements que dix-huit victimes d’un viol portaient au moment où elles ont été agressées. Pour certaines, il s’agissait d’un simple jean et d’un t-shirt. Mais dans la quasi-totalité des cas, nulle tenue mettant en valeur des « formes généreuses ».
Dressant le profil-type du violeur, des médecins ont démontré qu’il présente généralement les traits d’un être égocentrique, tourné vers la satisfaction de ses désirs, incapable de prendre en compte ce qu’éprouve sa victime. Sans le moindre rapport entre son acte et l’habillement de celle-ci.
Les déclarations malheureuses tenues sur TFM n’ont pas entrainé qu’indignation et poursuites judiciaires. Les langues se sont déliées, et pour la première fois, sur la toile sénégalaise – où le viol figure en tête des sujets tabous –, des victimes ont décidé de s’exprimer tout en préservant leur anonymat. Le contenu de certains récits fait froid dans le dos.
« Le lendemain, ma mère m’a dit : “C’est ton oncle, c’est ta famille : fais tout pour qu’il n’aille pas en prison !” », raconte une victime alors âgée de 14 ans. « Je pouvais rester trois semaines à un mois allongée comme un légume, à pleurer. Je n’avais plus d’amis, plus de famille : à 16 ans, c’est compliqué à gérer, cette solitude et cette affliction. J’ai d’ailleurs tenté de me suicider. Je me suis retrouvée SDF pendant un an, et quand j’ai demandé à revenir, mon père a refusé en disant qu’il ne voulait pas que je contamine son autre fille. »
Culture du viol
Au Sénégal, nombreuses sont les victimes de viol qui ont eu à supporter les mêmes remarques ignobles. « Tu n’avais qu’à mieux te couvrir », lançait à une victime son propre père. Dans bien des cas, on retrouve des similitudes : protection du violeur par l’entourage, impunité, diabolisation de la victime… La poire honteusement « coupée en deux » ! La culture du viol dans toute son horreur.
La société sénégalaise est assise au premier banc des accusés, elle qui trouve si souvent refuge dans le « masla » et le « sutura » (une discrétion bienveillante) en vertu desquels on dissimule tout délit ou crime dont l’ébruitement pourrait porter atteinte à l’image ou à la réputation de la famille ou du groupe. Face au viol, « masla » et « sutura » se transforment en boulets sociologiques qui dissuadent toute action en justice et proscrivent jusqu’au soutien élémentaire de la victime. Celle-ci se retrouve donc livrée à elle-même, souvent obligée de cohabiter avec son agresseur – dans 65 % des cas, le violeur est un proche parent. Les rares fois où elle trouve le courage de dénoncer son bourreau, elle est exclue du groupe et jetée en pâture par les semblables du « professeur ».
Se libérer de la honte
Déconstruire cette mentalité rendant la victime complice du crime ou du délit qu’elle a subi est un enjeu capital pour la société sénégalaise. Sur Internet, des groupes comme « Nopiwouma » (« Je ne me tairai pas ») incitent ainsi les personnes ayant subi une agression sexuelle à partager leur histoire en toute confidentialité, afin de se libérer de la honte imposé par une société souvent injuste.
Une lutte indispensable contre la culture du viol, et au-delà contre toute forme de violence exercée sur les femmes et les enfants, afin que soient rétabli au Sénégal le respect de la dignité humaine.
PAR RAMA SALLA DIENG
APOLOGIE DU VIOL, STÉRÉOTYPES ET AUTRES MYTHES DU 8 MARS
EXCLUSIF SENEPLUS - Les droits de la femme sont loin d’être tous respectés au Sénégal - Le code de la famille et l'interdiction de l'IVG restent l'un des derniers bastions à dépatriarcaliser
« Pour ce qui concerne les viols, je vais couper la poire en deux. Je faisais remarquer à mes collègues femmes qui faisaient une marche l’année dernière que nous aussi, nous devrions porter plainte parce que vous faites tout pour que nous vous violions. Et quand nous vous violons, nous allons en prison. Et vous qui avez tout fait pour que nous vous violions, vous restez libres.»
C’est Songué Diouf, un enseignant en philosophie, qui intervient dans cette émission comme chroniqueur, qui a tenu ces propos dans l’émission Jakaarlo Bi du 9 Mars 2018, de la Télévision Futurs Média (TFM). Sur le plateau, les réactions ont somme toutes été décevantes. Si Bouba Ndour s’est insurgé contre, disant ne pas être « parfaitement d’accord » avec Songué car la plupart des cas de viol se passent dans le silence des familles et n’ont aucun lien avec le port vestimentaire, ce dernier est revenu à la charge pour le punchline fatal sans doute exalté par les rires amusés sur le plateau : « même dans les maisons, les filles qui se font violer sont celles que la nature a doté de formes généreuses mais qui les exhibent, d’où le viol ». Nouvelle pluie de rires sur le plateau sauf Bouba Ndour, qui rétorque encore une fois que les formes généreuses sont un don de la nature et que cela ne saurait justifier le viol. Le chroniqueur Charles Faye, lui, préfère accuser l’animateur de l’émission, Khalifa Diakhaté, « car le viol et la violence sont des déviances ». Ce dernier rétorque qu’il n’a jamais rien dit de tel. Mais il a laissé dire et a même encouragé des paroles aussi répugnantes sur son plateau au lieu d’interpeler leur auteur et de couper court.
Ces propos prononcés vers la fin de l’émission constituent les prémices de ce qu’il convient d’appeler « l’affaire Songué », qui secoue les médias et les réseaux sociaux sénégalais depuis une semaine. Pour ma part, j’ai finalement regardé l’émission d’une heure 23 minutes dans son intégralité, qui a en partie porté sur la situation des femmes sénégalaises en entreprise, dans le milieu carcéral, les droits des travailleuses domestiques, les violences basées sur le genre, etc. J’ai trouvé tout aussi graves d’autres propos tenus sur ce plateau comme dans beaucoup de ces émissions et qui, en réalité, ne sont qu’un microcosme de la société sénégalaise. Je ne reviendrai pas dans ce texte sur les propos de Songué sur le viol, largement commentés et critiqués in extenso par ailleurs, et avec raison. Sans vouloir m’ériger en donneuse de leçons ou de vouloir restreindre le champ des libertés publiques – je partage ici quelques réflexions que m’ont inspirées cette émission car je pense qu’il ne faut pas confondre liberté d’expression et contre-vérité.
Une incompréhension sur ce qu’est le 8 mars
Le 8 mars n’est pas un autre 14 février. Le sens de cette journée symbolique est souvent incompris. Comme le rappelle le journaliste Charles Faye sur le plateau, le 8 mars n’est pas un autre 14 février car beaucoup s’empressent de célébrer la femme, l’épouse, la sœur, la mère, la fille, en oubliant que le 8 mars est avant tout une célébration de la journée des droits de la femme. En effet, c’est en 1910 que Clara Zetkin propose une célébration annuelle lors de la deuxième Conférence internationale des Femmes Socialistes regroupant 100 déléguées venues de 17 pays. A l’origine, il s’agissait même de revendiquer les droits de la femme au travail, les droits des ouvrières dès 1913 en Russie par exemple ! Et ce n’est qu’en 1977 que les Nations Unies « officialisent » la tradition.
« On a pas de problème de droits de la femme au Sénégal »
Selon Songué Diouf, dans la société sénégalaise, la femme n’a jamais été un problème car on lui a donné reconnaissance au plan de l’héritage socio-culturel, donc les revendications telles qu’elles sont portées ne sont pas pertinentes dans notre société. Et si discriminations il y a, elles sont conséquences de politiques sociales mal-ajustées qui viendraient certainement du contact de l’Occident. Chez nous, on chante et on respecte la femme.
Beaucoup s’empressent de citer nos reines Ndaté Yalla, Njeumbët Mbooj, Aline Sitoe Jaata, et autres femmes fortes dès que l’on parle de droits de la femme. C’est bien de célébrer l’égalitarisme historique de certaines de nos sociétés et les figures féminines qui ont marqué l’histoire de notre nation. Toutefois, il ne faut pas non plus oublier le caractère élitiste de l’histoire qui chante certaines reines et voue aux gémonies des femmes plus « ordinaires » parce qu’elles ne sont pas de lignée noble… ou qu’elles n’ont pas une beauté ou un courage légendaires. L’exceptionnalisme sénégalais est un mirage. Et s’il est avéré que certaines sociétés traditionnelles africaines étaient plus égalitaires que ne l’est notre société actuelle, ce n’est pas seulement de la faute de la colonisation et du contact avec l’Islam et avec l’« Occident ». Chaque société doit accepter de faire son introspection pour aller de l’avant. Nul ne peut prétendre avancer dans l’immobilisme social et l’hypotrophie intellectuelle.
S’il y a eu des avancées significatives au plan juridique et institutionnel, les droits de la femme sont loin d’être tous respectés au Sénégal. Il est vrai que les luttes sociales ont beaucoup amélioré la condition des femmes, aussi bien en milieu urbain que rural. Cependant, il reste des efforts à réaliser concernant les conditions socio-économiques des femmes.
En matière de droits de la femme, le Sénégal a adopté la loi sur la parité en 2010 et a ratifié les textes les plus importants en matière de droits de la femmes : la Convention pour l’Elimination de toutes les formes de Discrimination à l’Egard des Femmes (CEDEF) en 1985 et le Protocole de la Charte Africaines des Droits de l’Homme et des Peuples relatif aux droits des femmes (Protocole de Maputo/ CADHP) en 2004 - même si beaucoup de manquements sont constatés aux trois niveaux.
Beaucoup a été réalisé dernièrement notamment la possibilité pour les femmes de transmettre leur nationalité à leur enfant et à leur époux après 5 ans de mariage, mais le code de la famille (la notion de « puissance paternelle ») et l’interdiction de l’IVG (Loi sur la Santé de la Reproduction de 2005) restent l’un des derniers bastions à dépatriarcaliser. Les différences de traitement salarial, le harcèlement en milieu professionnel et les violences dans la sphère privée sont aussi des questions pressantes.
« Les femmes sénégalaises ont un discours dangereux car elles veulent l’égalité et non l’équité »
Charles Faye rappelle que si nous sommes semblables dans la nature humaine et en responsabilités (en se référant au coran), il est primordial de faire avancer les questions sociales pour les droits à l’éducation, à la santé, aux instances électives… et conclut en disant heureusement qu’il n’y a que deux femmes sur le plateau (sous-entendant qu’il y aurait des problèmes s’il y en avait plus sur le plateau). Peu importe le terme utilisé : égalité ou équité, la réalité est que des différences criardes existent qu’il convient de redresser.
En matière de conditions socio-économiques, plusieurs dimensions sont à prendre en compte : la pauvreté, l’emploi ou le chômage, les conditions de travail, le secteur d’activité, la situation en milieu rural ou urbain, etc. Autant de dimensions étudiées par l’Agence Nationale de la démographie et de la Statistique (ANSD). Pour ce qui concerne la pauvreté, le rapport de l’Enquête de suivi de la pauvreté au Sénégal (ESPS 2010-2011) montre que 27% des ménages sénégalais sont dirigés par des femmes et ces ménages sont moins touches par la pauvreté contrairement au cliché qui soutient le contraire. En effet, selon l’ESPS 2010-2011, seul 34,7% des personnes vivant dans des ménages dirigés par des femmes sont en situation de pauvreté contre 50,6% chez les personnes qui vivent dans les ménages dirigés par les hommes.
Quant à l’emploi, l’Enquête Nationale sur l’Emploi au Sénégal (ENES) de l’ANSD souligne qu’au deuxième trimestre 2017, « des variations importantes sont observées entre les hommes et les femmes. Pour les premiers, le taux d’emploi est à 47,1% alors que pour les seconds, il s’élève seulement à 29,9%. ». En outre, la même ENES souligne que « plus de la moitié de la population en emploi (60,3%) a un emploi indépendant ou travail pour compte propre. En milieu urbain, ce taux est de 53,2 % contre 70,3% en milieu rural. Le taux d’emploi des indépendants ou pour compte propre est de 53,4% chez les hommes contre 69,5% chez les femmes. » Cela veut dire que les femmes sont plus promptes à se retrouver dans des conditions de travail plus risquées et moins avantageuses. De plus, en matière de chômage, les moins de 34 sont plus touchés (plus de 60%) de la population active, et les femmes sont plus touchées que les hommes : 17,8% contre 8,1% pour les hommes.
Quant au bien-être et les conditions sanitaires, ils varient selon qu’on soit en milieu urbain ou rural, le premier étant moins pénible que le second. L’enquête démographique est de Santé (EDS-continue) 2016 révèle qu’une femme sénégalaise a en moyenne 4,7 enfants à la fin de sa vie féconde. Le nombre moyen d’enfants par femme varie de 3,5 en milieu urbain à 5,9 en milieu rural. Le niveau de la fécondité a baissé de 5,7 enfants par femme en 1997 à 4,7 en 2016.
Toutes ces données montrent l’état des lieux des conditions socio-économiques des femmes au Sénégal et les inégalités qui demandent l’attention des décideurs publics et la mise en place de politiques sociales adéquate pour tirer la société tout entière vers le haut, d’où l’importance aussi d’une plus grande représentation et participation politiques des femmes. Ces chiffres ne veulent rien dire si on ne voit pas les femmes qui sont derrière, la ménagère, la vendeuse d’arachide du quartier, l‘ouvrière agricole, la mécanicienne, la travailleuse domestique, la stagiaire, etc. mais aussi le marchand ambulant, le « coxeur » de car rapide, le vendeur d’eau fraîche, l’entrepreneur, etc. : notre société.
« La parité, c’est un faux débat »
Selon Marième Seck (ladies’club) : la femme ne saurait être l’égale de l’homme, elle doit savoir raison garder. « Jigeen munul yem ak goor. Yalla mo ko def. Jigeen da fa wara xam boppam, peu importe sa religion ».
Je pense qu’il est important que des émissions comme celles-ci ne véhiculent pas des stéréotypes infondés ou qu’elles les renforcent. Une telle bavure pourrait être évitée en commençant par inviter des personnes qualifiées sur/ou maîtrisant tout au moins le sujet dont il est question. La première erreur était d’avoir deux femmes seulement sur les sept personnes autour du plateau pour parler du 8 mars. De plus, les hommes autour de ce plateau ne se gênaient pas pour interrompre les femmes lorsqu’elles s’exprimaient, se croyant sans doute plus experts en matière condition féminine (mansplaining). La deuxième erreur pour les responsables de cette émission est le casting, si j’ai jugé Mme Fatou Bintou Yafa très pertinente dans ses interventions sur les avancées en matière de luttes sociales, sa connaissance des prévisions législatives, de la situation des femmes en entreprise ou des travailleuses domestiques, tel n’est pas le cas pour Mme Marième Seck, qui a même avoué à un moment donné sous le feu des questions de Charles Faye : « Les droits de la femme, je ne les maîtrise même pas » (quarante-cinquième minute). J’ai trouvé qu’elle limitait tout un nombre de combats et d’actions symboliques du 8 mars à des actions caritatives.
Elle est même allée jusqu’à dire que la parité, qui est un acquis pour lequel des générations de femmes se sont battues, est un faux débat décrédibilisant par là-même le pouvoir accélérateur des mesures de discrimination positive comme les quotas en faveur des femmes pour corriger les inégalités. Mais les mesures de discrimination positive ne sont pas à elles seules suffisantes : elles peuvent être efficaces lorsqu’elles viennent en renfort à tout un autre nombre de mécanismes visant à briser le plafond de verre, mais il faudrait l’implication de la société entière pour un saut qualitatif vers l’avant.
« Au fond : est-ce que la femme n’est pas responsable de ce qui lui arrive ? » Car c’est elle qui éduque la société et suggère qu’elle aurait failli en tenant un discours à géométrie variable selon le sexe de son enfant, ou selon qu’elle s’adresse à son mari ou à son frère (Charles Faye).
Ce genre de discours qui blâme la femme au lieu de questionner les causes structurelles des inégalités au niveau de la société afin d’y apporter des mesures pérennes ne fait que causer du tort à la femme en plus de rajouter à la charge mentale dont elle supporte déjà le poids. C’est le même type de discours qu’a tenu Khalifa Diakhaté qui demandait en insistant et à plusieurs reprises « mais qui s’occupera des enfants si la femme travaille ? » Une question sociale requiert une réponse sociale.
« Le Coran institue de fait l’inégalité entre les genres »
Bouba Ndour rappelle que les revendications des femmes sont en contradiction avec le Coran. Ce à quoi Khalifa Diakhaté rétorque que le Coran est très égalitaire au contraire.
Une certaine lecture et interprétation (ijtihad) du Coran et de la Sunna (la biographie du prophète) qui constituent la Sharia’h (le code normatif ou système légal) voudrait que l’islam soit de fait une religion inégalitaire. Il conviendrait d’interpréter le coran et les hadiths (dires du prophète), leur esprit donc et pas seulement le texte, à la lumière de notre époque et non pas vouloir imposer ce qui se passait il y a 14 siècles. La différence entre égalité et équité soulignée par Charles Faye dans l’émission renvoie aussi aux frontières entre ce qui est islamique et islamiste.
Par exemple, dans la tradition musulmane, le mariage suppose un échange : l’ « autorité » et l’obéissance de la femme (tamkin) viendrait en contrepartie de la prise en charge (nafaqeh) et de la protection de l’époux. Cette autorité des hommes sur les femmes, la fameuse qiwamah ne serait pas coranique. De plus de la trentaine de sens possibles de qiwamah : veille, support, soutien, etc. celui d’ «autorité» a été retenu alors que le terme de qiwamah n’apparaît qu’une seule fois dans l’islam contre l’usage plus fréquent au concept de wilayah qui prône la responsabilité partagée entre époux.
Quid de la suite de cette affaire ?
Suite à une très grande médiatisation et des débats enflammés sur les réseaux sociaux, une plainte a été déposée par des psychologues et une juriste. Quant au Conseil national de régulation de l’audiovisuel (CNRA), il a ordonné à la Direction de la chaîne de télévision, à mettre un terme définitif à de pareils dérives et à éviter toute rediffusion de l’émission du 09 mars 2018. Dans une nouvelle vidéo du 12 mars, Songué Diouf enfonce le clou en recommandant aux femmes de faire attention à leur port vestimentaire et d’arrêter de « provoquer » les hommes (tooñ) sur un ton paternaliste, et se plaint même que ces propos en l’état ne sont pas graves, mais qu’ils ont été détournés, de même que « l’esprit et le texte » de son message. A aucun moment l’éducateur n’a jugé utile de dire aux violeurs d’arrêter de violer, trop occupé qu’il était à blâmer les victimes. Le 14 mars, Bouba Ndour, aussi chroniqueur dans la même émission et directeur des programmes demande à Songué Diouf de s’excuser pour ses propos. Le 16 mars, Khalifa Diakhaté présentateur de l’émission présente sa démission à la TFM. Une démission un peu prophétique étant donné les propos de Khalifa Diakhaté au tout début de cette émission du 9 mars par laquelle tout a commencé : « Askan bi mo ñu yittel te lepp li nga xam ni ño ngi ko fiy wax wala ñu key bind, bu élëge dan key layoo ». C’est la société qui nous tient à cœur et tout ce qui sera dit ou écrit, nous aurons à en répondre par la suite. Ils en ont répondu. Tous les deux.
Nous sommes à un moment historique de notre société pour ce qui concerne les droits des femmes, et il est avéré, à la lumière des derniers développements que le mouvement #MeToo est loin d’être l’apanage de l’Occident. #Nopiwouma en est un exemple, et certainement la plus belle promesse.
Rama Salla Dieng est chercheure-doctorante en Développement International, membre de Awid et de Genre en Action
VIDEO
"MES PROPOS N'ONT PAS ÉTÉ COMPRIS"
Songhé Diouf revient sur ses propos polémiques sur le port vestimentaire des femmes et le viol
Le chroniqueur de l'émission Jakaarlo Bi qui défraie la chronique depuis une semaine après ses déclarations sur le viol des femmes, s'est à nouveau exprimé sur le sujet, ce vendredi 16 mars 2018.
Voir vidéo.
PAR NDÈYE FATOU KANE
SILENCE, ON VIOLE !
Au Sénégal, le mal est dans les maisons - Le voile pudique qui recouvre le sujet du viol est si épais que l’on peine à le soulever - Dans une société où le sutura et le muugn sont érigés en valeurs cardinales, pourquoi s’en étonner ?
Ndèye Fatou Kane |
Le Monde Afrique |
Publication 17/03/2018
Le professeur Songué Diouf, enseignant en philosophie et chroniqueur dans l’émission « Jakaarlo Bi », diffusée tous les vendredis soirs sur la chaîne de télévision TFM, a jeté un pavé dans la mare. Dans ce programme hebdomadaire de près d’une heure, s’enchaînent pêle-mêle les interventions du présentateur, de ses invités et des chroniqueurs. La règle que tout ce beau monde observe est l’absence d’écoute. Tous les sujets sont « débattus » dans un capharnaüm indescriptible.
S’exprimant sur la recrudescence des viols au Sénégal, le professeur Songué Diouf a suggéré le 9 mars de « couper la poire en deux », jetant l’opprobre sur les victimes d’abus sexuels. Selon lui, celles-ci ne peuvent s’en prendre qu’à elles-mêmes, car leur habillement « obscène » et leurs atours justifient que les hommes ne puissent se retenir de commettre l’irréparable.
Le plus consternant est que la seule femme présente ce soir-là sur le plateau n’a pas émis la moindre parole de protestation. A part quelques timides réactions d’autres intervenants et des rires gênés, personne n’a osé contredire le professeur, l’encourageant ainsi à continuer sur sa lancée.
Un voile épais sur le sujet du viol
Au moment de l’éclatement de l’affaire Weinstein et de l’émergence des hashtags #MeToo et #BalanceTonPorc, un pays m’intéressait : le Sénégal. Je m’étonnais de la faiblesse des réactions de mes compatriotes ou de leur absence. Pourtant, dans les colonnes de faits divers des journaux, s’étalent quotidiennement les sordides histoires d’abus sexuels subis par les petites filles, les jeunes femmes et même, parfois, les vieilles dames.
Après avoir participé au mouvement de masse et partagé largement #MeToo et #BalanceTonPorc sur les réseaux sociaux, ce qui n’est pas mauvais en soi, je me suis interrogée sur le regard à porter sur les viols commis au sein même de la société sénégalaise, le plus souvent dans le sutura le plus absolu – sutura signifie discrétion en wolof, ou propension à masquer, à maquiller, laissant croire que tout va bien.
Pour surfer sur la tendance et transposer l’effet tsunami de #MeToo au Sénégal, j’avais lancé le hashtag #BalanceTonSaïSaï (« balance ton pervers ») qui, après quelques discussions houleuses – le plus souvent suscitées par des hommes –, fut mort-né. D’autres initiatives telles que #Nopiwouma (« je ne me tais pas ») ont vu le jour, mais le voile pudique qui recouvre le sujet du viol est si épais que l’on peine à le soulever.
S’y ajoute le fait que l’on a peur de dénoncer ces pères de famille respectables et respectés, notables de leur quartier, imams, oncles, frères, qui se soulagent sur leurs filles, disciples, nièces, sœurs… Dans la plupart de ces cas, on intime à la victime l’ordre de se taire, de ne pas déposer de plainte, sous peine de faire éclater la cellule familiale.
Le mal est dans les maisons
Au Sénégal, le mal est dans les maisons. Il opère insidieusement, brisant la victime qui doit non seulement vivre avec le traumatisme d’un rapport sexuel non consenti, mais aussi subir le regard insistant de tous, car c’est elle, la fautive, après tout… Elle n’avait qu’à se couvrir ! Il n’est pas rare de lire dans les comptes rendus de procès, si procès il y a, que la mère ou une autre femme de la famille était au courant des agissements du bourreau, mais ne voulait pas le dénoncer.
La victime devient en quelque sorte le bourreau, car il y aurait bien une explication à cet acte contre nature : une poitrine trop précocement développée, un bout de cuisse qui dépasse ou un arrière-train volumineux. Ce qui fait que le violeur ne peut se retenir, le pauvre !
On pourrait même extrapoler sur ce qu’il convient d’appeler la culture du viol au Sénégal en faisant une incursion dans le monde professionnel. Combien sont-ils, patrons, directeurs des ressources humaines, à abuser de jeunes femmes avec la promesse de contrats mirobolants ? Vers qui ces âmes en peine se tourneront-elles, dans une société où une jeune femme violée a forcément fait ou dit quelque chose pour subir ces assauts ?
Les paroles du professeur Songué Diouf, en plus d’être choquantes et inacceptables, renseignent finalement sur l’état d’esprit de beaucoup de Sénégalais concernant le viol. Ainsi, quand il est question des violences sexuelles, les femmes de ce pays sont – même si des exceptions existent – étrangement aphones.
Mais dans une société où le sutura et le muugn sont érigés en valeurs cardinales, pourquoi s’en étonner ? Le muugn pourrait être assimilé à la propension à endurer stoïquement les épreuves. Un trait de caractère très valorisé chez les femmes qui, associé au sutura, conditionne ces dernières à continuer de prendre sur elles.
Pour se rendre compte de l’ampleur des faits, il suffit d’écouter la radio ou de parcourir la colonne des faits divers des journaux : on viole, on harcèle, on violente impunément les femmes, sœurs, cousines, belles-filles et même filles, on bafoue leur dignité, sans aucune sanction. Mais il faut que cela cesse ! Tant que nous n’arriverons pas à mener à bien ce changement, des propos tels que ceux du professeur Songué Diouf provoqueront encore rires gênés et divisions. En attendant, silence, on viole !
PAR HAMIDOU ANNE
LE SUPPLICE DE LA FEMME SÉNÉGALAISE
Songué Diouf a commis un dérapage inacceptable, qui appelle des excuses de sa part et son retrait du débat public - Nous avons construit une société où être femme est un supplice, et nous devons tous en avoir honte
Hamidou Anne |
Le Monde Afrique |
Publication 16/03/2018
Au Sénégal, Songué Diouf, professeur de philosophie et chroniqueur dans un talk-show bien suivi sur une chaîne de télévision privée, a affirmé à l’antenne le 9 mars, au lendemain de la journée internationale des femmes : « Pour les viols, je coupe la poire en deux. Vous faites tout pour que nous vous violions. Et quand nous vous violons, nous allons en prison. Et vous qui avez tout fait pour que nous vous violions, vous restez libres. » Sur le plateau, comme seule réaction, des ricanements…
De tels propos sont graves et ne devraient jamais être tenus, a fortiori à la télévision. Ils m’ont surpris, car je connais l’homme depuis mes années au lycée, où il était un brillant esprit qui séduisait ses jeunes interlocuteurs. Depuis, j’ai gardé pour lui de l’amitié et de l’affection. Mais Songué Diouf a commis un dérapage inacceptable, qui appelle des excuses de sa part et son retrait du débat public par respect pour celles et ceux qu’il a heurtés, surtout les femmes qui ont subi l’horreur du viol.
Plus généralement, dans cette polémique, se font face deux groupes. Il y a ceux, choqués par ces déclarations, qui demandent des excuses, l’éviction du chroniqueur de la télévision, une action en justice pour apologie du viol. Ils sont dans leur droit et méritent un soutien sérieux. L’affaire est grave. A ce titre, elle doit faire l’objet d’une prise en charge qui dépasse le seul cadre des réseaux sociaux, voire des médias.
Quant à ceux qui défendent les propos de Songué Diouf, on trouve parmi eux toute une kyrielle de gens. Des idiots comme on en croise au quotidien sur Internet, qui ne méritent pas qu’on s’attarde sur eux. Mais aussi des individus censés réfléchir et avoir un minimum de bon sens. Et ce sont ceux-là qui font peur, en vérité. Ils se fendent de tribunes et de prises de parole dans nos rues, nos maisons, nos lieux de travail, pour soutenir l’apologie du viol. Ils trouvent un écho dans certains médias irresponsables qui hébergent leurs saillies misogynes.
C’est dans leurs rangs qu’il faut ranger le journaliste animateur du talk-show incriminé, qui soutient le professeur Diouf et le dépeint même sous les traits de la victime. Le renversement est grossier et sonne comme une nouvelle atteinte à la dignité des personnes qui ont été violées. Celles-ci sont assimilées à des bourreaux pour s’être habillées de façon « provocatrice ». Elles passent du statut de victimes à celui de vulgaires aguicheuses.
« Je ne me tairai pas »
Ceci rappelle les réactions déclenchées dans le pays en 2012 par la condamnation du journaliste mondain Cheikh Yérim Seck pour avoir violé une jeune fille dans une auberge. Beaucoup blâmaient la victime en demandant : « Que faisait-elle dans une auberge seule avec un homme jusqu’à être violée ? » Comme si le consentement féminin ne signifiait rien. Comme si le musellement des femmes ne devait jamais cesser.
Les propos de Songué Diouf sont terribles pour quiconque pense que nous pouvons construire une société différente qui respecte la simple dignité des femmes. Mais ils peuvent constituer un tournant majeur dans un contexte mondial de libération de la parole des victimes de viol, de harcèlement et d’agression sexuelle. En écho à #meetoo et #balancetonporc, des Sénégalaises ont lancé #nopiwuma (« je ne me tairai pas »). Intellectuels, hommes politiques – dont l’absence de réaction dans cette affaire est symptomatique du niveau du débat public sénégalais –, religieux progressistes ont une fenêtre de tir pour qu’enfin une révolution s’opère dans notre pays sur la question des droits des femmes.
Les voix de ces dernières ne doivent plus cesser de tonner à nos oreilles de mâles égoïstes. Leurs cris de révolte doivent irriguer l’espace public et faire vivre le débat dans notre pays, où l’interprétation de la religion et les rapports sociaux ont instauré le sexisme et la misogynie. Combien de femmes, de petites filles sont violées et réduites au silence dans nos maisons, souvent avec la complicité des familles ?
Pis, on vient de leur dire que c’est de leur faute, car elles sont habillées de façon sexy ou ont des formes généreuses, qu’elles l’ont cherché, que c’est bien fait pour elles. Nous avons construit une société où être femme est un supplice, et nous devons tous en avoir honte.
Hamidou Anne est un consultant en communication institutionnelle
MOINS EDUQUEES, MOINS PAYEES, LES OBSTACLES A LA PARTICIPATION ECONOMIQUE DES FEMMES
Dans une série de rapports de la Banque mondiale partagés hier, Mme Frederica Marzo explique que les femmes sont doublement piégées dans leur participation à la vie économique.
Au Sénégal, chaque année, ce sont 300 mille jeunes qui arrivent sur un marché du travail très difficile, mais l’accès à ce marché est encore plus dur quand il s’agit des femmes. C’est ce qui ressort d’une série d’études menées par la Banque mondiale sur «Les contraintes à la participation des femmes et des jeunes dans la vie économique active». Ces études qui identifient différents déterminants à cette situation expliquent que le manque d’éducation et l’expérience, l’âge et le fait d’avoir des enfants sont les principaux facteurs qui expliquent le retard des femmes en termes de participation à la vie économique. Si le taux de chômage des jeunes tourne autour de 10%, des clivages apparaissent en fonction du sexe.
Les études de la Banque mondiale montrent ainsi que «les femmes sont systématiquement moins éduquées que les hommes, même si l’écart est en train de se résorber pour les tranches les plus jeunes». Ce manque d’éducation fait qu’elles se retrouvent souvent dans des segments de l’économie très informelle. «Elles gagnent significativement moins et sont reléguées dans des occupations informelles à basse productivité», souligne Mme Frederica Marzo. Et quand les femmes arrivent à acquérir un niveau d’instruction élevé, elles sont là encore victimes de discrimination. «Les femmes ont besoin d’être plus éduquées pour accéder à l’emploi salarié. Alors que sur la base de ces caractéristiques, elles devraient être payées plus, elle sont payées moins que leurs pairs hommes.» Les résultats de l’étude montrent en effet que les femmes gagnent 19% moins que les hommes toutes choses égales par ailleurs. «Et elles sont doublement pénalisées», souligne Mme Marzo, en expliquant qu’aucune loi n’existe pas pour réprimer les faits de discrimination.
Autres problèmes que rencontrent les femmes, ce sont les normes sociales qui font que 23% des filles de 15 à 19 ans étaient mariées contre 30% en milieu rural en 2016. «Le contexte social et culturel joue un rôle fondamental en limitant le choix individuel des jeunes et des femmes vis-à-vis du travail», souligne Mme Marzo. Elle explique que 61% des femmes qui n’ont pas d’activités économiques le justifient par des responsabilités familiales. En outre, 6% des mères entre 22 et 27 ans font des études contre 47% des non mères. «Les jeunes femmes arrêtent l’école plus tôt, se marient plus tôt et la première grossesse détermine le choix des filles», explique-t-elle. A l’âge de 25 ans, 40% des hommes seulement sont mariés contre 80% des femmes, indique l’étude.
Mais la situation tend à s’améliorer puisque de plus en plus le travail des femmes est accepté, mais des instruments juridiques et légaux restreignent encore leur autonomie, précise Mme Marzo. Si le gouvernement annonce toujours sa volonté de faire de cette masse de jeunes un levier de développement à travers la capture du dividende démographique, des actions doivent être entreprises. «Le problème de la formation se pose d’abord parce que quand vous parlez d’emplois, il faut une formation. Et souvent, les jeunes et les femmes n’ont pas de qualification professionnelle», souligne M. Gorgui Ndiaye, secrétaire général du ministère de l’Emploi, de l’insertion professionnelle et de l’intensification de la main-d’œuvre.
Pour Mme Sophie Naudeau, responsable des Programmes développement humain de la Banque mondiale, «il faut améliorer la qualité de l’éducation traditionnelle, y compris mettre plus d’emphase sur les domaines exigés par le marché comme les sciences et les mathématiques».
Dans ses conclusions, l’auteur de l’étude, Mme Marzo, indique qu’il va falloir «avoir une approche intégrée pour améliorer la situation, que ça soit par l’amélioration du cadre légal, des actions qui mènent à l’évolution des normes culturelles ou l’amélioration de la disponibilité des intrants et faire face aux défaillances de marché en termes de manque d’information sur le marché du travail».
PAR LA CHRONIQUEUSE DE SENEPLUS, AMINATA DIA
LA LETTRE D'AMINATA
EXCLUSIF SENEPLUS - Il aurait fallu que vous disiez simplement : "Je suis désolé - J’ai conscience que mes propos ont blessé et heurté" - Lettre ouverte au professeur Songhé Diouf
Lorsque j’ai écouté votre émission, j’ai entendu les mots suivants : « vous faîtes tout pour que nous vous violons et quand nous vous violons, nous allons en prison, et vous qui avez tout fait pour qu’on vous viole, vous continuez à être libre … J’assume entièrement ce que je dis ». Sur le coup je n’ai pas réagi. Je me suis dit qu’il devait s’agir d’une erreur. Vous savez, ces choses qui deviennent rapidement incontrôlables sur internet et qui de partage en partage se vident de leur substance car comment se pourrait-il que de pareils mots puissent être prononcés et de surcroît assumés sur une chaîne de télévision nationale ? Alors, j’ai fait mes recherches Professeur. J’ai trouvé la vidéo dans son intégralité et vous ai réécouté et quelle a été ma surprise de voir sortir de votre bouche ces mêmes mots avec une telle conviction, comme une évidence finalement si on s’en fie aux ricanements du présentateur de l’émission et des femmes sur le plateau. J’ai eu très mal mais pas seulement pour ce que vous avez dit, j’ai eu mal pour toutes les fois où les femmes et filles de ce pays doivent sans cesse voir ce débat se poser et se reposer avec les mêmes arguments sanglants et transperçant. Vous auriez pu être ce pont Professeur, ce pont qui aurait permis de redonner à ce débat vil et stérile focalisé sur des chiffons un sens d’humanité. Vous auriez pu permettre à deux camps apparemment distincts de reconsidérer leurs positions et d’entamer un dialogue sur l’importance du langage dans la lutte contre les agressions sexuelles.
Il aurait fallu que vous disiez simplement : « Je suis désolé. J’ai conscience que mes propos ont blessé et heurté des personnes déjà fragilisées physiquement, moralement et émotionnellement, toutes les personnes leur étant proches et tout Homme dans sa conscience et sa dignité d’être humain mais telle n’était pas mon intention. Parfois, nous ne prenons pas conscience de l’importance des mots que nous utilisons mais les mots sont importants. Ils peuvent détruire comme ils peuvent réparer, inspirer et insuffler courage et je m’excuse que les miens aient été source de condamnation. Toutefois, cela m’enseigne combien il est nécessaire d’avoir cette conversation à un niveau sociétal pour développer une prise de conscience par rapport à l’impact des mots et du langage de manière général sur de pareilles questions ». Vous l’avez dit vous-mêmes Professeur : « Partout où j’allais, les gens partageaient avec moi combien m’écouter leur faisaient du bien mais nul n’est à l’abri d’un pareil moment d’incompréhension ». Mais alors Professeur, pourquoi ne pas avoir fait preuve d’humilité devant un pareil moment ?
De deux choses l’une, ou vous ne pensez pas ce que vous avez dit et vous vous êtes mal exprimés comme aiment à le répéter vos défenseurs, auquel cas votre deuxième sortie atteste d’une incapacité à assumer vos insuffisances d’Homme pour demander pardon car demander pardon est un acte de courage et d’humilité ; ou vous pensez fondamentalement ce que vous avez dit et l’assumez toujours mais pas sans essayer de réécrire l’histoire et de manipuler intellectuellement votre audience pour les faire passer pour ceux-là qui n’ont rien compris. Sauf que « pris au sens de la lettre ou du verbe », peu importe le sens que vous souhaitez donner à vos propos après coup, vos mots restent les mêmes : « vous faîtes tout pour que nous vous violons et quand nous vous violons, nous allons en prison, et vous qui avez tout fait pour qu’on vous viole, vous continuez à être libre … J’assume entièrement ce que je dis ».
Toutefois, je ne vous écris pas pour m’allonger sur l’intention derrière vos propos. Je n’ai pas cette prétention car Dieu seul et vous en avez pleinement conscience. Je vous écris pour vous annoncer une bonne nouvelle : vous n’êtes pas seul à dire ce que vous dîtes et à l’assumer. Pire, vous n’êtes pas seul à penser qu’il existe des situations où les femmes « peuvent inciter au viol ». Vous avez choisi l’exemple simpliste des vêtements, mais Professeur, il y a mieux. Beaucoup vous dépassent en originalité et en brutalité, dans les mots j’entends bien.
Vous dîtes qu’ « elles le voulaient », mais quelle femme peut vouloir que sa vie change aussi brutalement ?
Certainement pas une jeune femme de dix-neuf ans. Et pourtant, elle « aura certainement tout fait pour se faire violer » Professeur. Parce qu’elle aura tout fait dans ce sens, sa vie bascule. Tout commence lorsqu’elle accuse un célèbre et réputé homme sénégalais de viol. Le cas est alors porté devant les tribunaux et toutes les preuves condamnent l’homme en question. Ce dernier, écope d’une peine de trois ans de prison ferme. Mais l’opinion publique se divise alors en deux camps, exactement comme dans votre cas, puisque de nombreuses personnes, hommes et femmes confondus, rejettent immanquablement la faute sur la principale concernée. Là encore rien de nouveau. Là où les choses deviennent intéressantes, c’est que cette fois-ci, l’argument est différent. Le débat ne tourne pas autour de ce qu’elle portait mais autour d’une question considérée comme essentielle : « Qu’est-ce qu’elle y faisait ? » (« Lou mou fa done deff ? ») En effet, dans la société sénégalaise, une bonne femme est celle-là même qui reste auprès des cuisses de sa mère, pour reprendre la célèbre expression wolof : « togg sa podiou ndeye ». Un an et demi plus tard, le coupable bénéficie d’une liberté conditionnelle. Non seulement, il évite de purger la totalité de sa peine, mais il s’arrange très vite pour reconstruire son image en apparaissant dans la majorité des chaînes de télévisions de la place comme un fervent croyant à qui Dieu faisait passer une épreuve. «
Lorsque Dieu t’aime, Il te fait passer par des moments difficiles. Tout ceci était la volonté de Dieu » confit-il lors d’une de ses interviews. Auteur d’un nouveau livre rédigé en prison où il entend traiter des tares et problèmes de la société sénégalaise, il ne s’assure non pas tant de sa promotion que de son autopromotion en se présentant comme un héros national, victime d’une grande injustice, lorsque la victime, elle, est réduite au silence. Personne ne dit rien et ce spectacle se poursuit dans le silence le plus absolu. Vous, vous êtes simplement un « incompris national », « vos propos ont été mal interprétés », pas vrai ? Mais là encore, Professeur, vous n’avez rien d’unique.
Des personnes comme vous qui expliquez, argumentez et rationalisez le fait qu’il peut exister des cas où les femmes incitent au viol ou le cherchent un peu quand même, il en existe partout au monde de sorte que même si le viol est accepté comme un crime et considéré comme un acte horrible, la faute est toujours rejetée sur les victimes. Ces dernières ne sont pas supposées se mettre dans les situations où cela pourrait leur arriver. Cette pensée est terrible parce qu’en lieu et en place de donner aux victimes le courage de demander justice sans peurs aucune, elle les enfonce dans un silence de honte et de culpabilité. Comme résultante, qu’est ce qui se passe dans les pays où certaines femmes ont le courage de briser le silence ? Lorsqu’elles osent parler, elles sont présentées comme responsables du crime qui leur est arrivé. Elles sont coupables d’avoir été violées, harcelées ou abusées sexuellement et physiquement. Cette idée de « qu’est-ce qu’elle portait ou de qu’est-ce qu’elle y faisait ? » est centrale dans la compréhension de comment aussi bien les hommes que les femmes de nos sociétés oppressent les victimes d’abus sexuels.
En effet, en donnant la priorité à cette question au lieu de rester concentrer sur comment des actes aussi diaboliques peuvent être commis, la question des abus sexuels est présentée comme quelque chose de certes inacceptable mais de parfois compréhensible. Le drame de cette réalité est qu’elle internalisée par les victimes qui se blâment elles-mêmes en pensant que c’est peut-être effectivement de leur faute, peut-être qu’elles méritent ce qui leur est arrivé, peut-être qu’elles n’auraient pas dû porter cette « petite robe rouge » ou rester seules avec cet homme. C’est un état d’esprit et une manière d’analyser les abus sexuels qui condamnent certes le criminel mais pas sans souligner avec violence et virulence la responsabilité de la victime. Le droit d’être une victime est refusée à toutes ces femmes. Le droit et le pouvoir de dire : « je suis une victime » est confisqué lorsqu’être violé est considéré comme une honte, une offense, un déshonneur, un crime social et que le silence complaisant et maquilleur des apparences est préféré à la vérité.
Et si nous présentions cette perturbante question : “Qu’est-ce qu’elle portait ou qu’est-ce qu’elle y faisait ?” comme violente en elle-même ? Et si nous donnions aux victimes le droit de faire face pour elles-mêmes et d’affirmer leur pouvoir sans avoir peur d’être humiliées ? Et si une victime d’abus sexuel cesse d’être responsable, coupable, honteuse pour être une victime tout simplement ? Et si toutes les victimes d’abus sexuels étaient libérées de la peur et de la honte qui sont inextricablement liées au statut de victime ? Comment pouvons-nous ne pas être révolté et indigné en tant qu’êtres humains lorsque devant de pareils horreurs, la réaction est « Mais vraiment il faut reconnaître que ce n’est pas aussi simple (…)
Je suis d’accord, c’est inacceptable mais … » ; à chaque fois qu’on ne voit pas seulement à quel point nous apprenons aux femmes à se diminuer devant les hommes, mais comment nous les blâmons lorsqu’elles s’y refusent ; à chaque fois qu’il y a un cas d’abus sexuel où la victime est engagée dans un procès social et moral, au même titre et parfois même beaucoup plus que le criminel lui-même ? Ce n’est pas de l’injustice. Cela transcende l’injustice car en tant que société, nous légitimons et construisons la loi du silence qui emmure les victimes. Comment pouvons-nous parler d’amélioration des droits et conditions de la femme si du Nord au Sud, de l’Est à l’Ouest, nos sociétés usurpent le droit le plus basic d’un être humain qui est d’être protégé contre les violences morales, physiques et psychologiques, lorsqu’il est question des femmes abusées sexuellement ?
Docteur Martin Luther King a dit un jour : “Au final, ce qui fera le plus mal, ce ne sont pas les mots de nos ennemis mais le silence de nos amis.” Pour les victimes d’agressions sexuelles, ce qui fera le plus mal, c’est leur propre silence. Mais elles ne sont pas forcées de rester silencieuses. Vous êtes-vous déjà demandé Professeur pourquoi les associations de lutte contre les violences faites aux femmes peinent autant ? Vous-êtes-vous déjà demandé pourquoi la plupart des victimes restent silencieuses ? Pourquoi une victime d’agression sexuelle va hésiter avant de dénoncer son agresseur, de se rendre à la police ou d’accepter de se rendre devant les tribunaux ? Pourquoi en moyenne, 40% des victimes d’agressions sexuelles prennent du poids après avoir été attaquées, et ne font plus attention à leur féminité ? Pourquoi certaines femmes elles-mêmes considèrent que les femmes vont à l’encontre des problèmes en se montrant trop provocantes devant les hommes ? Qu’est-ce que nous pouvons apprendre de tout ceci ? Le fait est que, c’est à travers des propos comme les vôtres, mais répétées pas seulement par vous Professeur sur une chaîne de télévision nationale mais par d’autres femmes et hommes dans la vie de tous les jours que dans chaque pays, nous légitimons les agressions sexuelles en disant simplement « mais » après « c’est inacceptable ». Nous disons concrètement : « Les victimes sont des victimes mais en même temps, elles ne le sont pas vraiment. »
Le langage est puissant. En disant simplement « mais » ou « qu’est-ce qu’elle y faisait ? » ou « elle aurait dû rester sur les cuisses de sa mère » ou pour reprendre vos termes « restez des sénégalaises bon teint », nous confisquons le droit et le pouvoir de ces victimes de simplement être elles : victimes et non coupables. Nous les obligeons à rester silencieuses en leur faisant bien comprendre que : « si vous brisez le silence, vous devez être capable d’expliquer pourquoi une telle chose vous est arrivée. » Mais qui peut expliquer le pourquoi d’une telle ignominie ? Qui peut le comprendre ? Qui peut en saisir le sens ? Y’a t-il même un sens à pareil non-sens ? Le langage est le premier instrument contre l’affirmation du droit et du pouvoir de toutes ces femmes parce que ceux qui sont en position de pouvoir, à savoir l’écrasante majorité de la société, peuvent l’utiliser pour réduire au silence les victimes.
C’est ce que nous retrouvons au Sénégal avec le cas de nombreuses femmes et petites filles qui n’ont même pas eu la chance d’en venir à être injuriées puisque n’ayant simplement pas eu à dire quoi que ce soit. C’est ce que nous retrouvons au Maroc, où la loi permet aux criminels d’éviter la prison en acceptant d’épouser leurs victimes, ce qui conduit les femmes à des suicides dramatiques dont le dernier en liste date de l’année dernière. C’est ce que nous retrouvons en Jordanie où la pression sociale a atteint un paroxysme tel que la victime est placée en détention pour la protéger de sa propre famille qui pourrait la tuer. C’est ce que nous retrouvons aux Honduras où une femme est agressée et tuée par son propre partenaire de vie tous les vingt jours, de même qu’en France où cela se produit cette fois-ci tous les trois jours. Ces mêmes partenaires qui sont sensés les aimer, les chérir et les protéger. C’est ce que nous retrouvons en Inde où en moyenne, deux femmes sont violées, une est battue et quatre sont harcelées sexuellement chaque heure dans le silence le plus absolu. C’est ce que nous retrouvons en Afghanistan, en Haïti, en Guinée équatoriale, en République Démocratique du Congo, au Pakistan, au Nigéria, au Bengladesh et partout dans le monde.
En effet, d’après l’Organisation Mondiale de la Santé, ¾ des femmes dans le monde vont finir battues, abusées ou agressées et par leur mari ou partenaire de vie en majorité. Vous pensez que la solution c’est d’inciter les femmes à faire attention Professeur puisqu’elles évoluent dans des sociétés où ils existent des malades mentaux incapables de se contrôler, mais la réalité c’est que ces derniers ne sont pas les plus à craindre. Ceux qui me font les plus peurs, ce sont ceux-là qui pensent qu’à partir d’un certain stage, la notion de consentement n’existe plus et qui pour toute réaction, en face de tous ces abus prononcent des : « mais » ou des « vous faîtes tout pour que nous violons » et pire, signent et insistent qu’il y a toujours un « mais » quelque part à un moment donné.
La société insiste toujours sur le fait que cela ne se serait jamais produit si elles avaient agi différemment. Mais elles n’ont pas agi différemment et particulièrement par rapport à votre insistance sur la question au lieu de présenter des excuses, elles n’ont pas à agir différemment. Elles n’ont pas à se couvrir ou à « rester des sénégalaises noires bon teint ». Cela n’a aucune importance. Cela n’a aucune importance parce que toutes les femmes devraient se sentir libre d’agir comme elles le désirent sans avoir peur d’être violées. Cela n’a aucune importance parce que cela n’excuse pas le viol, encore moins le violeur. Il n’y a pas la moindre petite excuse et tout comme il ne saurait y en avoir, il ne devrait pas exister de phrases aussi inhumaines inhumaines que celles que vous avez prononcées ou de questions telles que « qu’est-ce qu’elle y faisait ? » : « j’ai été violée et ce n’est pas de ma faute », « J’y étais mais ma présence n’a aucune importance. Ma tenue n’a pas d’importance. Mon parfum encore moins. Même le fait que je sois ivre ou droguée n’a pas d’importance. La seule chose qui importe est que c’est un crime qui doit être puni et non excusé, compris, justifié ou légitimé ! »
De plus, le danger inhérent à l’idée de « qu’est-ce qu’elle portait ou y faisait ? » est ce message que nous lançons à toutes les femmes et petites filles. Nous leur disons « tant que tu seras là où tu dois être, ou tant que tu te comporteras ou t’habilleras comme une fille bien (suivant la définition que la société fait d’une fille ou femme bien), tu n’auras pas à craindre d’être violée ou d’être abusée sexuellement. » Et de surcroît, nous disons implicitement aux hommes : « ce n’est pas grave si tu es juste un homme. Tu ne dois pas commettre un acte pareil parce que c’est horrible mais dans certaines situations, nous comprenons que tu ne puisses vraiment pas faire autrement. » Nous pensons toujours à : « comment cela se serait passé si elle n’y avait pas été ou si elle avait agi différemment ? » Nous pensons toujours que tout serait différent et que rien ne se serait produit. Mais là n’est pas la question parce que cela s’est produit et ça continue de se produire.
Voyez-vous Professeur, pendant longtemps, je ne comprenais pas pourquoi il était aussi difficile pour beaucoup de personnes de comprendre pourquoi les mots sont importants dans un pareil sujet et pourquoi des propos comme les vôtres créent souffrance, indignation, colère et division. Je ne comprenais pas que vous ne puissiez pas comprendre, vous et beaucoup d’autres hommes et femmes de notre société en général, qu’un viol est un viol et qu’il n’y a pas de « mais ». Hommes et femmes je précise bien car certaines femmes que j’interviewais m’ont dit : « si c’était moi, j’allais libérer cet homme pour doute car à partir du moment où elle s’y est rendue, il n’y a plus de viol », et d’autres diront « si vous vous couvriez, cela ne vous arriverait pas ». Au fond, qu’est-ce que cela nous enseigne ? Si la majorité d’entre nous pensent de cette manière, c’est qu’il y a une raison, c'est que nous avons été élevé de cette manière.
Le viol sauvage et agressif est plus facile à accepter pour les hommes. Considérer que les victimes de viol sont les femmes agressées sauvagement dans la rue, ou agressées par des soldats, ou encore par des brutes, est beaucoup plus facile que d'accepter que même une femme qui au départ a bien allumé l’homme en question à travers sa tenue, et allons même plus loin Professeur, une femme qui était d'accord pour le faire pour se rétracter l'instant d'après est une victime. A partir du moment où nous sommes toutes des potentielles victimes de viol, n'importe quel homme peut violer une femme dans ces conditions. Et dans votre discours, vous préférez la simplification à l’extrême qui rejette le blâme sur les femmes. C'est plus facile de les « sensibiliser », de « leur demander de faire attention », de limiter le viol à l'aspect sauvage car sauter sur une fille dans la rue, la violer puis l'égorger ou sur une petite fille, cela, vous et vos défenseurs et pourfendeurs de morale le reconnaissez unanimement comme un acte inhumain que seul peut commettre un vrai criminel ou un malade. Mais les autres cas, eux, qui limitent le viol à sa définition légal à savoir « absence de consentement », (« tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, commis sur la personne d’autrui par violence, contrainte, menace ou surprise »), vous préférez « sensibiliser ». C'est plus facile de jeter le blâme sur la fille. Après tout, pourquoi elle l'a allumé ? Elle avait qu'à ne pas le chercher ? Elle n’avait qu’à ne pas y être ! Elle n’avait qu’à « rester une sénégalaise bon teint ».
Quelle est la différence entre une femme qui se retrouvent dans ces situations et se fait violer et une femme qui dans les mêmes conditions n’est pas agressée ? C'est la différence entre un violeur, un criminel et un homme. Je rêve de ce jour où on arrivera à un stade dans nos sociétés où cette différence fera sens pour tout le monde, où nous n’apprendrons plus seulement aux femmes à faire attention mais également aux hommes à se tenir. Si j'ai un garçon un jour, j'aimerais qu'il grandisse avec ces valeurs et qu'il comprenne très bien que lorsqu’une femme lui dit « non », c’est « non ». Et j'aimerais que ma fille aussi sache qu'elle n'aura jamais à s'en vouloir pour des choses qui ne sont pas de sa responsabilité. Les valeurs d'une femme de bien, j'essaierai de les lui inculquer comme ma mère l'a fait avec moi, comme ma grand-mère l'a fait avec ma mère, et comme les mères de toutes ces filles l’ont fait avec elles car Professeur, les jeunes femmes n’ont pas à recevoir ce message de vous depuis une chaine de télévision nationale, elles ont leur mères et tantes pour cela. Mais ces valeurs ne devront pas la limiter, et ne devront nullement l'oppresser et la plupart du temps, elles ne nous limitent ni ne nous oppressent mais c’est leur utilisation pernicieuse et leur manipulation qui confinent les femmes et les culpabilisent pour des choses qui ne relèvent et ne sauraient relever de leur responsabilité. Oui, « les violeurs vont en prison et les femmes restent libres ». C’est ce qui devrait être mais la vérité Professeur, c’est qu’on en est loin encore et vous avez raté le coche car vous aviez l’opportunité de rectifier vos propos et cela aurait permis d’avoir des conversations toutes autres sur cette question.
Mais puisque vous ne l’avez pas fait, je me permets d’encore croire que votre intention ce jour-là sur ce plateau n’était pas de blesser et par ces quelques mots, je vous le dis, même si telle n’était pas votre intention, vous avez blessé et heurté des femmes et des hommes, car de nombreux hommes sénégalais se sont sentis outrés et indignés dans leur chair. Je vous le demande, formulez des excuses et rien que des excuses. Il n’y a rien de pire que de tenter de manipuler intellectuellement les gens ou d’insulter leur intelligence surtout lorsqu’on est soi-même intelligent. L’heure est au dialogue dans notre société. Au dialogue, j’entends bien et non pas au combat et vous avez aujourd’hui l’opportunité d’initier ce dialogue. Le vrai problème à chaque fois qu’un sujet sur les femmes, le genre ou la manière dont hommes et femmes ont été élevés dans nos pays se posent, chacun sort ses crocs et s’apprêtent à bondir pour protéger on ne sait quoi. Préférons-nous le confort de ces pseudo-avantages auxquels nous nous accrochons aussi fortement à la construction d’une société plus équilibrée où hommes et femmes, ensemble se dresseraient libres et sans masques ? Une chose est sûre, tant qu’au Sénégal, on ne pourra pas avoir ce dialogue ouvertement et sans peur, cela est loin d’arriver et tant que vous continuerez à « assumer » vos propos Professeur ou tenterez de les expliquer au lieu de vous en excuser, je ne saurai croire en vos bonnes intentions encore mois à celles que vos défenseurs vous prêtent.
Avec tout mon respect
Ndèye Aminata Dia
Un être humain que vos propos ont blessé.
L’équipe nationale féminine de football du Sénégal a été battue (2-3) par celle du Maroc en match de préparation joué mercredi au centre technique Jules Bocandé de Toubab Dialaw.
Les deux équipes, qui préparent les éliminatoires de la CAN féminine prévue au Ghana en décembre prochain, joueront une deuxième rencontre amicale ce vendredi à partir de 17h, au stade Alassane Djigo de Pikine.
Les Lionnes seront opposées aux Algériennes en fin mars et début avril, une double confrontation comptant pour le premier tour des éliminatoires de la CAN féminine.
Le football féminin sénégalais n’a jusque-là pris part qu’à une seule phase finale de CAN, celle de 2012 en Guinée Equatoriale.
13,9 % DES JEUNES FILLES SONT-ELLES EXCISÉES AU SÉNÉGAL ?
Le quotidien privé sénégalais EnQuête, dans un article récent, a attribué ce taux au nombre de jeunes filles excisées au Sénégal - Ce pourcentage est-il exact ?
Coumba Sylla |
Africa Check |
Publication 14/03/2018
« 13,9 % des jeunes filles sont excisées au Sénégal. Le taux est jugé élevé par les acteurs, dans la mesure où le pays a voté la loi contre cette forme de violence », a écrit EnQuête en introduction de cet article publié le 28 février 2018, également consultable sur son site.
« De ce fait, le taux d’excision est à 13,9 % au Sénégal », en a déduit le journal, citant une experte de la question, Soukeyna Ndao Diallo, sans toutefois lui attribuer ce chiffre entre guillemets.
Ce chiffre est-il correct ? Nous avons cherché les preuves.
Du journal au rapport
Africa Check a joint l’auteure de l’article, Aïda Diène, qui a indiqué que le chiffre a été communiqué par Mme Diallo à l’occasion d’un atelier d’information et de partage sur les « Mutilations génitales féminines (MGF). Cet atelier a été organisé à Dakar par Génération Fille (Girl Generation, en anglais), une plate-forme internationale d’organisations de la société civile engagées contre l’excision, dont Mme Diallo est une des responsables au Sénégal.
Contactée par Africa Check, Mme Diallo a précisé avoir cité un taux de « 13,9 % pour les filles de moins de 15 ans » avec, à l’appui, le document contenant cette statistique. Il s’agit d’un rapport de 380 pages intitulé « Sénégal – Enquête démographique et de santé continue (EDS-continue) 2016 », publié en août 2017 par l’Agence nationale de la statistique et de la démographie (ANSD) du Sénégal. Mme Diallo a également joint à sa documentation un résumé (24 pages) de ce rapport.
Cette enquête a été réalisée, selon l’ANDS, « avec l’appui financier du gouvernement du Sénégal » et de plusieurs partenaires dont l’Agence américaine pour le développement international (USAID) et le Fonds des Nations unies pour la population (FNUAP). Elle a reçu « l’assistance technique » du programme mondial des Enquêtes démographiques et de santé (DHS).
Qu’est-ce que l’excision ?
L’excision est une des formes de mutilations génitales féminines, que l’Organisation mondiale de la santé (OMS) appelle également « mutilations sexuelles féminines« .
Ce sont « des interventions qui altèrent ou lèsent intentionnellement les organes génitaux externes de la femme pour des raisons non médicales » et « elles sont pratiquées le plus souvent sur des jeunes filles entre l’enfance et l’âge de 15 ans », affirme l’OMS. Elle estime « que plus de 200 millions de jeunes filles et de femmes, toujours en vie », ont subi ces pratiques « concentrées » dans une trentaine de pays en Afrique, au Moyen-Orient et en Asie.
Quatre catégories de mutilations
Les mutilations sexuelles féminines sont classées en quatre catégories, détaillées dans une fiche d’information publiée sur le site de l’OMS.
Elles vont de l’amputation de tout ou d’une partie du clitoris (clitoridectomie) à la brûlure des organes génitaux (cautérisation) en passant par le fait d’agrafer ou de coudre une grande partie des petites et grandes lèvres (infibulation).
Taux d’excision variés selon l’âge
Le rapport de l’ANSD et sa synthèse transmis à Africa Check par Mme Diallo fournissent des pourcentages par tranches d’âge de la population féminine : les moins de 15 ans et les 15-49 ans, en précisant que les données pour les moins de 15 ans sont fondées sur les déclarations de la mère et, pour les 15 ans et plus, sur les déclarations des concernées. Les chiffres présentent de fortes disparités selon les zones de résidence, les origines ethniques ou encore le niveau de scolarisation.
« Au Sénégal, 23 % des femmes de 15-49 ans ont déclaré avoir été excisées », un taux en diminution par rapport à 2005 où il était de 28 %, est-il indiqué dans le rapport global. Le pourcentage de filles de 0-14 ans excisées est de 13,6 %, selon le même document.
Il indique qu’il s’agit d’une moyenne de pourcentages pour différents groupes au sein de la même tranche d’âge (0-4 ans, 5-9 ans et 10-14 ans) devant être « interprétés avec prudence ».
Le rapport de synthèse affirme que « parmi les filles de moins de 15 ans, 14 % sont excisées » au Sénégal et que « la grande majorité était excisée avant l’âge de cinq ans. »
Autres chiffres caducs
Ces statistiques sont les plus récentes consultées par Africa Check. Concernant le même sujet, certaines organisations spécialisées disposent de chiffres caducs dans leur base de données, demeurant accessibles au public jusqu’à la publication de cet article, ce 13 mars 2018.
C’est le cas pour le FNUAP qui mentionne un taux d’excision de 26 % pour les 15-49 ans au Sénégal et de 18 % « pour les filles », en citant des données du programme DHS de 2010-2011. L’Unicef, de son côté, évoque 25 % d’excisées parmi les 15-49 ans, et de 13 % pour les 0-14 ans au Sénégal, en s’appuyant sur des données des DHS de 2010-2011 et DHS continue de 2014.
L' »Atlas des statistiques sanitaires de la région africaine 2016″ du bureau régional de l’OMS pour l’Afrique fournit des pourcentages de « prévalence de mutilations génitales féminines » pour le continent sur la période 2005-2013 pour deux groupes distincts, « filles » et « femmes », sans cependant préciser de tranches d’âges.
Selon ce document, sur la période indiquée, cette prévalence pour le Sénégal est de 18 % « parmi les filles » et de 26 % « parmi les femmes ».
Conclusion : le taux indiqué peut induire en erreur
Le quotidien sénégalais EnQuête a indiqué dans un article récent qu’au Sénégal, « 13,9 % des jeunes filles » étaient excisées, en déduisant que le taux d’excision dans ce pays était « à 13,9 % ».
L’experte à qui le journal a attribué le chiffre, Soukeyna Ndao Diallo, a précisé que le taux concernait les filles de moins de 15 ans en s’appuyant sur la dernière enquête démographique et de santé continue dans le pays, publiée en août 2017. Cette enquête conclut que « parmi les filles de moins de 15 ans, 14 % sont excisées » tandis que ce taux est de 23 % pour les femmes ayant entre 15 et 49 ans.
D’autres chiffres consultés par Africa Check, notamment dans les bases de données du FNUAP, de l’Unicef et de l’OMS, sont caducs mais font état de taux différents selon la tranche d’âge.
Ces indications permettent cependant de conclure que le taux d’excision indiqué par EnQuête peut induire en erreur.
BOUBA NDOUR FAIT AMENDE HONORABLE
Quand on commet une erreur, on doit avoir l’humilité de la reconnaître et de présenter ses excuses - Songhé Diouf doit présenter ses excuses, personnellement, sa sortie m’avait gêné et j’ai eu à le dire au cours de l’émission
Songhé Diouf, le chroniqueur de l’émission "Jakaarlo bi" de la TFM (privée) "doit avoir l’humilité de présenter ses excuses" après sa sortie sur le viol qui a heurté plusieurs personnes, a déclaré, mercredi, sur la radio du même groupe, Bouba Ndour, le directeur des programmes de la chaîne de télévision.
"Le professeur doit présenter ses excuses, personnellement, sa sortie m’avait gêné et j’ai eu à le dire au cours de l’émission", a rappelé le directeur des programmes invité de l’émission RFM matin.
"Quand on commet une erreur, on doit avoir l’humilité de la reconnaître et de présenter ses excuses", a commenté le responsable de la chaîne qui intervient lui-même dans l’émission "Jakaarlo bi" lancée il y a quatre ans.
Mardi, le CNRA (Conseil national de régulation de l’audiovisuel) a, dans un avis rendu public, enjoint la Direction de la TFM à mettre un terme définitif aux manquements notés dans la dernière émission "Jakaarlo Bi" et à éviter toute rediffusion sous peine de l’application des sanctions prévues par la loi.
"La conception de la programmation audiovisuelle se fait dans le strict respect de la réglementation qui, surtout en matière de traitement de sujets touchant l’honneur et l’intégrité de la personne humaine, exige un profond sens de la responsabilité et une préparation particulière de la part des intervenants à l’antenne", relève le document du CNRA.
"Cette exigence a été bafouée lors de l’émission +Jakaarlo bi+ du 09 mars 2018. C’est ce qui justifie les observations-mises en garde adressées à TFM", indique l’organe de régulation dans cet avis transmis à l’APS.
Au sujet du professeur Diouf, le directeur des programmes informe que la direction de la chaîne se réunira pour la suite à donner à sa participation à l’émission.
"Je suis un employé, j’ai des patrons qui se réuniront certainement pour trancher", a dit M. Ndour, ajoutant que la Télévision Futurs médias n’a pas encore été saisie officiellement de plainte.
’’Mais TFM ne cautionne pas cette sortie’’, a insisté M. Ndour.
Pour l’organe de supervision, "le plateau de l’émission a servi de prétexte au chroniqueur pour faire d’un sujet aussi grave, un objet de dérision, en
affirmant, pour justifier les cas de viols dont sont victimes les femmes, que ces dernières sont les responsables de leurs propres viols, à cause de leurs
choix vestimentaires ou de leur plastique".
Or, ajoute le CNRA, "de tels propos sont d’une gravité extrême si l’on sait que des femmes sont violées, violentées et tuées, mises au ban de la société, rejetées par leurs familles ou données en mariage à leur violeur ; données en mariages précoces ou forcés à la suite de viol".
Parlant de la "responsabilité" du présentateur, ce dernier, "loin d’arrêter la dérive, a enfoncé le clou, en banalisant auprès des autres intervenants, la désinvolture du chroniqueur", déplore le CNRA.
Selon l’avis, "un tel comportement est d’autant plus grave qu’il est attendu d’un présentateur qu’il exerce son rôle qui est de rappeler à l’ordre les participants à l’émission et de faire la police de son plateau".