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27 novembre 2024
Femmes
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TOUTES DES SCIENTIFIQUES (IN)NÉES
Le potentiel des femmes en tant que scientifiques est inestimable puisque de par leurs rôles sociaux, la rationalité est chose innée en elles. Elles font quasiment tout le temps de la recherche. C’est l’avis du Pr Coumba Touré Kane, rectrice de l'USSEIN
La fondation Mujeres por Africa a organisé récemment une table-ronde consacrée à la contribution des scientifiques sénégalaises aux objectifs du développement durable (ODD), animée par 5 chercheuses de différents domaines.
Cette rencontre organisée à l’Institut Cervantes de Dakar en partenariat avec l’ambassade d’Espagne a permis à ces scientifiques de discuter de leur apport concret dans les politiques publiques du Sénégal pour l’attente de ces objectif mondiaux en 2030.
A l’ouverture de la séance, la modératrice, le Pr. Coumba Kane Touré, microbiologiste et rectrice de l’université El Hadj Ibrahima Niass du Sine Saloum a tenu une allocution fort appréciée du public. AfricaGlobe Tv vous en propose l’extrait dans cette vidéo.
Estimés à 25% de l’ensemble du total des chercheurs au Sénégal, les femmes n’en sont pas moins présentes dans les différents domaines des sciences et leur potentiel inestimable. Aussi, les filles au lycée sont de plus en plus performantes. Preuve que les femmes peuvent faire autant que les hommes si l’on donne la chance à chacun. D’ailleurs, relève l’universitaires, le potentiel des femmes est tel que la plupart des institutions dirigées par elles sont performantes en général.
Ainsi, pour la rectrice, il urge de cesser de gaver les jeunes filles avec les poupées tous le temps lors de l’éducation. Il faut a contrario donner à tous (filles et garçons) des jeux créatifs qui stimulent leur imagination et leur créative afin d'en faire des scientifiques. La jeune fille a autant besoin du ribots que le jeune garons. Il est grands temps que ces stéréotypes s’arrête.
FELWINE SARR EN CONVERSATION AVEC mame fatou diagne
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REGARD CRITIQUE SUR L'ÉCONOMIE SÉNÉGALAISE
L'économie sénégalaise est basée sur les services, avec un déclin marqué de l'agriculture et de l'industrie. La croissance économique est faible en raison de la faible productivité et des chocs récurrents
Felwine Sarr reçoit Mame Fatou Diagne dans ce nouvel épisode des Chroniques d'un temps politique. L'économiste et actuelle cheffe de division à l'OCDE lève le voile sur l'économie sénégalaise, ses atouts ainsi que ses goulots d'étranglement.
L’application effective de la loi n°2020-05 criminalisant le viol et la pédophilie est entravée par plusieurs pratiques. De l’enquête préliminaire au jugement, le juge d’instruction et formateur au Centre de formation judicaire (Cfj), Makha Barry, liste des faits qui ne concourent pas à une bonne application des textes. Il prenait part hier, mardi 18 juillet 2023, à une rencontre sur le traitement médiatique des cas de violences sexuelles, organisée par l’Association des juristes sénégalaises (Ajs).
La loi n°2020-05 criminalisant le viol et la pédophilie est bloquée dans sa mise en œuvre, au point de n’être très dissuasive. Juge d’instruction et formateur au Centre de formation judiciaire (Cfj), Makha Barry, pointe du doigt plusieurs problèmes qui entravent l’application de ce texte sanctionnant lourdement le viol et la pédophilie. Pour lui, «la principale difficulté est d’établir s’il y avait consentement ou non»
Les errements dans la chaine pénale sont aussi des pratiques qui ne garantissent pas l’établissement des faits, par le juge. Pour Makha Barry, «le viol demande des techniques spéciales d’enquêtes qui ne sont malheureusement pas maitrisée par des officiers de police judiciaire». Makha Barry trouve que, «si l’on veut appliquer les techniques classiques d’interrogatoire, l’enquête passe à côté de son objectif»
Dans la liste des manquements, le juge déplore aussi l’absence de dispositif pour accueillir les victimes (présumées) de viols dans les Commissariats et Gendarmeries. L’attitude de l’enquêteur ne promeut pas aussi la mise à l’aise des victimes, surtout des mineures. Pis, les protocoles d’interviews sont parfois inexistants ; d’où la pauvreté des procès-verbaux d’interrogation. Ils ne concourent pas ainsi à étayer les faits, à la manifestation de la vérité. Les magistrats ont aussi des difficultés à interpréter les certificats médicaux. La difficulté à assoir la contrainte et la menace constituent également des problèmes pour l’application de la loi. Parfois, les juges sont confrontés à des histoires montées de toute pièce, qui ne peuvent motiver une décision de condamnation. Dans les dossiers remis aux juges, les enquêteurs ont tendance à poser des questions qui ne peuvent rien apporter au dossier.
Comme à l’enquête primaire, l’instruction comporte aussi des manquements qui ne participent pas à faciliter l’application de la loi. Les cabinets d’instruction sont surchargés. «Des affaires qui devraient se limiter au flagrant délit sont amenées en audience criminelle», déplore-t-il. Par manque de temps, le juge ne développe pas de bonnes enquêtes. Il se contente de reprendre la version de l’enquête primaire.
Les difficultés énumérées obligent le juge à demander une formation spécifique pour les agents enquêteurs. Il demande aussi que les victimes puissent bénéficier d’un avocat au moment de l’enquête ainsi que dans toute la procédure.
MACKY SALL VEUT RENDRE GRATUITE LES SERVIETTES HYGIÉNIQUES
Le président de la République, Macky Sall, a pris part à la Conférence sur l’égalité des genres qui s’est tenue hier, lundi, à Kigali, au Rwanda
Le président de la République, Macky Sall, a pris part à la Conférence sur l’égalité des genres qui s’est tenue hier, lundi, à Kigali, au Rwanda.
Lors de son discours, le chef de l’Etat sénégalais a plaidé la gratuité ou la défiscalisation des serviettes hygiéniques. Il a aussi évoqué l’autonomisation des femmes au Sénégal.
« Sur les politiques publiques, nous mettons en moyenne dans le budget 100 millions de dollars sur les financements directs, compte non tenu de toutes politiques de promotion, notamment en matière de santé. Je peux citer notamment les gratuités sur les traitements des cancers féminins…et bien d’autres politiques qui sont réservées aux femmes », a déclaré Macky Sall. Il finit par lancer un défi au Président rwandais Paul Kagamé « pour qu’ensemble, nous travaillons à l’échelle de l’Afrique pour que les services hygiéniques soient gratuites, du moins qu’elles soient défiscalisées de façon à les rendre accessibles à toutes les filles et à toutes les femmes du continent et peut être dans le monde ».
La conférence sur l’égalité des genres a vu hier la participation de 6000 personnes à Kigali.
L’IMMATURITE DU BASSIN CHEZ CES MAMANS ADOLESCENTES NE FACILITE PAS PARFOIS UN ACCOUCHEMENT NORMAL
Dr Khalifa Ababacar Guèye du service de gynécologie de l’hôpital de Pikine revient sur les complications et les zones comme Matam, Thiadiaye et Pikine où les cas sont plus fréquents.
Les conséquences gynécologiques des grossesses précoces sont surtout liées à l’immaturité du bassin dont les capacités ne permettent pas un accouchement normal lié à la taille de l’enfant chez les mamans adolescentes. Dr Khalifa Ababacar Guèye du service de gynécologie de l’hôpital de Pikine revient sur les complications et les zones comme Matam, Thiadiaye et Pikine où les cas sont plus fréquents.
Enfants et déjà mères, le gynécologue Dr Khalifa Ababacar Guèye les classent en trois catégories. Ce sont les mamans adolescentes qui ont contracté une grossesse suite à un mariage précoce et ou forcé, celles qui ont eu une grossesse précoce désirée ou non désirée et celles qui ont eu une grossesse précoce suite à un viol. Les complications sont surtout liées à l’immaturité de leurs organes notamment le bassin et le système immunitaire. D’abord pour celles qui ont un mariage précoce et forcé, elles rencontrent une complication du bassin en plus des risques liés à la prééclampsie. Avec sur l’immaturité du bassin, les capacités ne permettent pas un accouchement normal lié à la taille de l’enfant.
Le 2e cas, c’est-à-dire les grossesses non désirées, en plus des complications que rencontre la maman forcée à se marier un peu très tôt, il y a le problème de suivi et de déclaration. Ce qui retarde le suivi et augmente lesrisquessur l’enfant et la mère. Le 3e c’est une grossesse non désirée suite à un viol ou inceste avec un individu parfois non identifié ou identifié mais menaçant parce qu’étant un parent de la victime ou son cousin. Dans ces cas, il y a le plus souvent un lien familial avec la fille. Ou alors un linge sale où acteurs et auteurs préférent le laver en famille. Ce qui présente un cas particulier de l’acceptation de la grossesse et de l’enfant à naitre. Dr Guèye explique. «C’est surtout la pré-éclampsie sévère avec des crises pour les jeunes filles de moins de 25 ans. L’autre problème est lié à l’immaturité de leur bassin qui finit sa maturité à l’âge de 21 ans. Ce type de jeunes filles est plus exposé à la dystocie, à un accouchement difficile et sur qui on applique parfois la ventouse ou la césarienne. Parce que la fille est incapable d’accoucher par voie basse».
La césarienne justement, c’est un point en commun chez les mamans adolescentes. Elle a aussi ses conditions avec un retentissement sur les prochaines grossesses. Pas de grossesse rapprochée. C’est la première règle. «Parce qu’il y a toujours des risques liés à cette pratique. On demande de limiter à 4 ou 5 césariennes même s’il n’y a aucun document scientifique qui atteste qu’on ne doit pas dépasser 4 césariennes», a-t-il indiqué. L’autre type de petites mamans, ce sont celles-là qui ont eu une grossesse précoce hors mariage, désirée ou non désirée. «C’est une grossesse qui souffre d’un retard de suivi parce qu’on ne savait pas que la fille était enceinte. Ce sont en général des grossesses qui apparaissent tardivement. Leurs mamans peuvent être en travail et venir à l’hôpital sans carnet. Parce qu’elles ont camouflé la grossesse avec des habitudes vestimentaires surtout si elles avaient l’habitude de porter des habits amples à moins que la bonne ou son enseignant la soupçonne et s’en ouvre à la famille».
Dr Gueye dit avoir vécu l’expérience. Et c’est surtout, dit-il, «un manque de suivi qui expose la maman adolescente et son enfant. Or, le bilan prénatal est très important pour tenir compte des maladies latentes. Mais si la maman n’a pas respecté cette étape de la grossesse, elle expose l’enfant et on ne pourra pas prendre des mesures préventives». Ici, le géniteur peut refuser. Ce qui, selon le scientifique, peut alourdir les risques. Lesquels sont beaucoup plus complexes quand il s’agit d’une fille violée. «Pour les cas de viol, c’est beaucoup plus compliqué. Parfois on n’a pas les traces de suivi du violeur, si c’est un viol accidentel, si ce n’est pas un cas d’inceste. Dans les cas d’inceste, la jeune fille est sous menace permanente. On a deux cas où on a récupéré les filles. Des cas où le papa est en même temps grand père». Et c’est là où le danger est préoccupant car dépendant du « rétablissement de la maman». Sur ce point, il affirme que «l’enfant peut constituer la mauvaise cicatrice de cette expérience douloureuse». Laquelle influe sur la psychologie de la maman en général, et surtout la maman ado. « Ce sont les psychoses puerpérales. Un trouble grave qui survient le plus souvent dans la semaine qui suit l’accouchement. Une femme qui accouche et qui subitement devient absente. Qui dit que ce n’est pas son enfant. Elle refuse de le mettre au sein. Là, on garde l’enfant le temps d’un traitement. C’est après rétablissement, surtout quand elle même demande son enfant, qu’on le lui donne. Il y a également le «Baby blues» et la dépression post-partum». En faisant ce diagnostic, il souligne que le retentissement psychologique est parfois très difficile à cerner malgré la psychothérapie de soutien. «Les complications psychologiques sont très difficiles à évaluer. Elle peut se dire, cet enfant-là, «je vais le tuer».
Tu auras beau discuter, elle va se vider mais parfois à moitié malgré nos séances de tête à tête avec elle. Surtout quand l’enfant est issu d’un inceste. On a eu un cas où son père est le grand père de sa fille. Pour ce cas, on l’a récupérée et confiée à un couple qui l’a adopté. La fille perd tout contact avec son enfant. Il y a une procédure et des papiers à signer. Il y a un service social de l’hôpital et le ministère de la Santé qui gèrent parfois ces cas. A Liberté 6, il y a également un centre d’accueil coiffé par le ministère en charge de la Famille». Pour l’adoption, il y a des critères. Il faut que le couple ait cette envie d’adopter un enfant, qu’il soit un couple stérile certifié avec un certain niveau de vie. Les grossesses jeunes, on les rencontre plus dans la zone de Matam où en plus de l’immaturité du bassin, il y a l’excision. «A Matam, on avait même commencé une étude sur ces grossesses. Il y a un système de protection des enfants victimes de mariage précoce et forcé. On est allé jusqu’à brandir une injustice pour régler une injustice. On menace les parents en faisant parfois une descente dans la famille avec un policier et un suivi régulier jusqu’à ce que l’enfant atteigne un certain âge». Mais les cultures étant différentes, les grossesses précoces en milieu Hal Pularen sont un peu différentes de celles rencontrées chez les Sérères et en banlieue dakaroise. «C’est différent de ce qu’on rencontre à Thiadiaye où le mariage précoce n’est pas accompagné de l’excision.
A Dakar, comme à Pikine, c’est parfois des cas de grossesses non désirées. C’est lié surtout à la promiscuité, à la forte démographie en banlieue. On rencontre beaucoup de cas ici à Pikine comme partout dans certaines localités en milieu urbain «. Le gynécologue de l’Hopital a ainsi fait état de ces grossesses chez ces trois types de mamans jeunes. Des cas qui font foison et qui malheureusement n’atterrissent pas tous à l’hôpital. Premier signe d’alerte, ce sont surtout la baisse des performances scolaires avec la déconcentration, l’absentéisme, les notes qui dégringolent alertant l’enseignant, quand il s’agit d’une brillante élève. Dans ce cas, l’enseignant essaie de discuter avec elle avant de convoquer les parents qui les accompagnent pour une confirmation ou un suivi médical.
LE DRAME SANS FIN DE JEUNES MAMANS
Un bébé ! C’est neuf mois de grossesse, mais c’est aussi toute une vie de complications, de protection, de prise en charge et d’encadrement pour pouvoir espérer un avenir radieux
Un bébé ! C’est neuf mois de grossesse, mais c’est aussi toute une vie de complications, de protection, de prise en charge et d’encadrement pour pouvoir espérer un avenir radieux. De la grossesse à l’accouchement en passant par l’éducation, il y a à boire, à voir, à entendre, à redresser, à corriger et à faire. Ce qui n’est pas un « jeu » gagné d’avance ! Mais une grande responsabilité sur les épaules de la mère. Une très grande responsabilité même. D’où la maturité, les capacités, l’accompagnement social, psychologique et médical pour mener à bien une grossesse durant ses différentes étapes. Malheureusement, ces conditions essentielles dans la survie de la mère et son enfant connaissent parfois des manquements. Surtout pour les cas de grossesses précoces, ou non désirées et issues parfois de viol ou d’inceste avec surtout les conséquences gynécologiques. La honte, le repli sur soi, le camouflage avec des habits amples, la culpabilité... D’où l’infanticide et l’avortement clandestin qui ont aujourd’hui conduit plusieurs filles en prison. Coup de projecteur sur les dangers des grossesses précoces et l’importance de l’éducation sexuelle au sein de la famille.
GROSSESSES PRECOCES DESIREES OU NON DESIREES : Des «Bébés mamans» temoignent sur leur expérience douloureuse !
Elles sont très jeunes, très jeunes ces filles qui, par la force des choses, sont devenues très tôt mères. Et qui vont aussi devoir éduquer seules un enfant d’un propre père, grand-père, copain, cousin voire un inconnu. Ce qui n’est pas une chose aisée. N’est-il pas un crime de confier une telle tâche à un «bébé»?
En tout cas, ce vieux «kalabanté» de plus de 70 ans n’oubliera jamais ce plaisir charnel devenu subitement une bombe à la fois sociale et judiciaire. Il croupit depuis quelques mois en prison pour avoir engrossé sa propre petite fille. La maman de cette dernière, étant sa fille, était contrainte de quitter le domicile conjugal pour venir s’occuper d’un papa «malade». Un père qui va plutôt dévier sa prise en charge familiale sur sa fille en classe de CM1 à l’élémentaire pour l’avoir trompé avec de petits cadeaux et des pièces de 100 ou 200 francs. A chaque fois qu’elle venait déposer son repas dans sa chambre, il lui donnait de petits cadeaux. La fille aurait fini par trouver du plaisir à ces petits gestes. Le grand père en a profité pour faire des attouchementssur elle avant de passer plus tard à l’acte sexuel suivi de grossesse. C’est un témoignage d’un habitant du quartier où s’est déroulée la scène à Louga. Saphie, elle vient d’avoir ses 18 ans le 30 avril dernier. Elle a grandisans père, ni mère au milieu de ses frères et sœurs. Leurs parents sont décédés suite à un accident de la circulation. Ce qui n’avait pas trop affecté ses études pendant quelques années avant de tomber entre les mains d’un prédateur sexuel sur la route de l’école. Son bourreau qui a presque l’âge de son père l’a laissée aujourd’hui avec un enfant ce qui a occasionné l’arrêt de ses études. Elle vend de la crème glacée. Sa sœur, Khady, pense que la disparition de leurs parents y a joué un rôle. «Si papa et maman étaient là à nos côtés, je parie qu’elle n’allait jamais être mise en grossesse. Ils ne badinaient pas avec notre éducation. C’était presque comme une rigueur militaire», a-t-elle dit
Des histoires, des drames, des trajectoires…
Sadiya, elle aussi, est une autre maman adolescente qui s’est retrouvée dans cette même situation juste après l’obtention de son Brevet de fin d’études moyennes (Bfem). Après l’accouchement, sa douleur est plus que vive et intense. Rejetée par sa famille, elle s’était retrouvée toute seule avec un nouveau-né dans les bras. «Heureusement, j’ai été accueillie par cette femme qui m’a accepté comme femme de ménage. Elle travaille. Mais comme son mari est à l’extérieur, Alhamdoul’Allah, la charge du travail n’est pas trop lourde. En plus, elle adore le bébé. C’est comme si c’est son propre fils. Elle n’a pas eu d’enfant. Cela a peut-être joué, mais elle fait toute sa joie. Partout où elle part, si elle n’est pas au boulot, elle prend l’enfant avec elle», a-t-elle témoigné à l’endroit de cette bonne volonté qui l’a hébergée chez elle.
Elle est plus chanceuse que Ndèye, 19 ans, dont la vie est une succession d’échecs. Elle n’a pas su résister aux mains tendues en subissant abus sur abus. Fragile et instable, elle peine à s’occuper de son bébé à plein temps. Elle vit chez sa grandmère, très âgée. «Quand tu n’as pas quelqu’un pour t’encadrer, c’est dur», a-telle dit parlant de sa peine face à un «père» démissionnaire. Safi ne peut plus continuer à compter sur lui malgré son parcours scolaire interrompu. Des regrets, elle en a accumulés en pagaille. Surtout l’épisode des crises chez sa fille qui tombe souvent malade. Elle a vu son adolescence contrariée. La prise en charge d’un bébé maladif, dit-elle, «c’est une grande souffrance»! Son calvaire ne s’est pas arrêté après l’accouchement. Il s’amplifie même. Mais elle essaie tout de même de supporter la charge. Pour la nourriture, la petite maman fait du porte à porte. «Je squatte aussi les marchés et portait les bagages pour certaines dames venues s’approvisionner. On me donne 100 ou 200 francs. Il arrive dès fois que je tombe sur une bonne dame qui m’offre 500 ou 1000 francs». C’est avec surtout ce «petit boulot» qu’elle arrive à prendre soin de son enfant à côté de sa grand-mère.
A quelques petites minutes de chez Ndèye, Sali est une jeune mère qui vit la même situation difficile, même si c’est pour une raison différente. Plus connu sous le nom de «Maman», il y a un peu plus de 5 ans, l’adolescente expérimentait une toute nouvelle vie. Une vie de maman quand elle portait une grossesse à l’âge de 17 ans. Elle a terminé celle-ci dans le domicile familial, mais presque isolée. «Pendant mes trois derniers mois de grossesse, mon père m’a tourné le dos, ma maman aussi m’abreuvait d’injures. Je ne faisais que pleurer. Mais Dieu merci, j’ai eu une fille», a-t-elle narré. Elle qui dit porter sa fille dans son cœur. «C’est ma raison de vivre, sinon....»? Sinon quoi? Une question à laquelle elle refuse de répondre. Tout ce qu’elle souhaite aujourd’hui, c’est que son père redevienne comme avant. Il dit qu’elle ne me compte plus comme membre de la famille. Il refuse en quelque sorte d’accepter cet accident, cette expérience pourtant très douloureuse». Elle souhaite donc le pardon de son père très en colère contre elle. Un papa qui l’a rejetée dès l’annonce de la nouvelle. Tout parent souhaite le bonheur de ses enfants, sa réussite, son bien-être et son épanouissement. Une fille qui grandit, qui fonde un foyer et fait des enfants dans un couple, c’est aussi un autre souhait de tout parent. Si ce n’est pas le cas, cela fait mal, et provoque parfois le rejet de l’autre. Il arrive que les parents rejettent leurs filles enceintes. Des filles qu’on renie pour des «erreurs» de jeunesse.
Dans le cas de Mariama Faty, il n’y a pas eu de rejet, mais cela a fait naitre un sentiment d’échec. «Elle ne va plus à l’école. C’est un échec. Mais on a supporté. Cela n’a jamais été une situation rêvée. Les vœux des parents, c’est d’avoir une enfant qui va à l’école, qui réussit et qui a un bon avenir. Je ne suis pas cadre ni fonctionnaire. On avait fondé beaucoup d’espoirs sur elle. Malheureusement, je me suis retrouvée dans une situation que je n’ai jamais voulue. Je me disais que si elle a au moins le bac, un jour ou un autre, elle allait avoir une situation voulue. Mais en classe de troisième, la grossesse est survenue. Le bourreau, au début, il se présentait comme un père modèle. Il avait même promis le mariage.
Mais quelque temps après, ils’est évaporé. En tout cas, on n’a plus de ses nouvelles». Il serait en prison, selon la maman ado qui, avec ses parents,se chargent, de l’éducation de l’enfant. Un enfant de 5 ans qui demande souvent après son père qui, à sa naissance, se pointait à chaque occasion. En tout cas, cette vie, ses parents ne l’ont jamais rêvée. Cette déception! Mais mettre sa fille dans la rue avec son enfant n’a jamais été une bonne option pour lui. Un petit fils qu’il aime tant et qu’il entend assurer une inscription à l’école dès l’année prochaine. Il souligne que, «le jour où la famille de l’enfant prendra la décision de continuer sa scolarité et sa prise en charge, tant mieux. Sinon, on va se débrouiller jusqu’à la mesure du possible». Après 30 ans passés, Mégou ressent encore un sentiment de culpabilité. Elle avait contracté une grossesse alors qu’elle était encore adolescente. A 48 ans, elle s’en souvient avec des regrets comme si c’était aujourd’hui.
Sentiment de culpabilité, regrets
Alors qu’elle est devenue maman poule en charge de l’alimentation, du logement et de la scolarité de ses 5 enfants. Elle revient sur ces moments difficiles. L’enfant hors mariage est aujourd’hui cadre dans une société de la place. Il s’est même mis la corde au cou, il y a deux mois. «J’étais en relation avec un jeune homme comme moi quand j’étais jeune fille. On s’est retrouvé dans cette situation. Mais le problème c’était comment l’annoncer aux parents? C’était très difficile. J’ai finalement décidé de me taire et de les laisser constater. Maman, comme d’habitude, a été la première à porter des soupçons. Elle a essayé un tête-à-tête avec moi. Je lui ai dit et elle a affiché son mécontentement. C’est après qu’elle a informé mon papa que les choses ont tourné mal. Il m’a rejeté et m’ordonnant de quitter sa maison. C’est là où je suis allée me refugier auprès de ma grande sœur avec l’aval de son mari qui vivait en France». Comme si elle était en train de revivre la même situation, il y a 30 ans, elle parle à voix saccadée. Pour une grossesse accidentelle, tous ses rêves ont été mis en veilleuse. Sans sous, elle se retrouve dépendante des autres. Un sentiment de culpabilité l’anime depuis maintenant 30 ans.
YACINE FALL, LA CONSÉCRATION DE LA PETITE GÉNIE DE NDANDE
Désignée meilleure élève du Sénégal au Bfem, en 2020, cette pensionnaire du lycée de Ndande a élevé la barre plus haut avec une mention très bien au baccalauréat 2023 (17,96/20)
Yacine Fall, 20 ans, continue de faire parler d’elle. Désignée meilleure élève du Sénégal au Bfem, en 2020, cette pensionnaire du lycée de Ndande a élevé la barre plus haut avec une mention très bien au baccalauréat 2023 (17,96/20). Lesoleil.sn est allé à la rencontre de ce petit génie.
Dans son quartier Darou Diène sis au cœur de Ndande, Yacine Fall est visiblement devenue une star. Malgré une forte canicule qui sévit dans cette partie du Cayor, en ce lundi 10 juillet, adultes, enfants et plus petits, tous sont fiers de nous orienter vers sa maison familiale.
« Yacine habite là-bas », « Oui c’est elle la meilleure élève », « Allez tout droit », « C’est le bâtiment de couleur blanche juste au fond »…Ici, tout le monde connaît ce « petit génie », comme l’appelle affectueusement Abou Latif Diène, son ancien camarade de classe.
Ses performances au baccalauréat 2023, détaillées dans son relevé de notes, font le tour de la toile. Avec une mention très bien en Série S2, cette pensionnaire du lycée de Ndande, dans le département de Kébémer, a tout simplement confirmé. En effet, pour cette année, elle a obtenu une moyenne de 17,65/20 au premier semestre et 18,13/20 au second.
Mais dans cet exploit, Yacine Fall n’y trouve rien d’exceptionnel. « C’est naturel », insiste-t-elle, visiblement très avare en parole.
Durant son cursus scolaire, Yacine s’est fixée des objectifs qu’elle a, aujourd’hui, atteints. « J’ai la sensation que j’ai fait ce que je devais faire », murmure-t-elle, entourée de ses deux parents et de son petit frère.
Son secret ? Le travail. « Je ne me fixe pas de limites, j’ai toujours persévéré », lâche la fille, élancée et de teint clair.
Yacine ne détient pas de téléphone. Mais selon elle, la raison est toute simple : « Je ne veux pas être distraite ».
Yacine n’a jamais eu une moyenne en dessous de 17/20 !
Bien qu’étant en Série scientifique, la meilleure élève du Sénégal lors du Bfem 2020 n’a jamais pour autant sous-estimé les matières littéraires. Ses notes (16/20 en Français, 18/20 en philosophie et en Anglais) lors du baccalauréat le prouvent amplement.
« Faire focus sur les matières scientifiques ? Cela m’aurait empêché de travailler sur les autres matières et moi, je me suis toujours dit que je pouvais trouver mon avenir dans n’importe quelle filière », confie-t-elle à lesoleil.sn, rappelant que « toutes les matières sont liées ».
Issue d’une famille modeste, la nouvelle bachelière dit « réfléchir » sur son avenir parce que, souligne-t-elle, « durant toute l’année scolaire, je m’étais concentrée sur le baccalauréat », même si elle admet qu’au Collège, elle rêvait devenir policière, médecine puis écrivaine.
Proviseur du lycée de Ndande, Kady Diédhiou fait remarquer que son établissement a toujours été un lycée d’excellence. Il compte plus de 1700 élèves et polarise environ 46 villages.
« Cette année-ci, c’est peut-être la confirmation », dit-elle, le sourire aux lèvres. Elle informe que la moyenne au premier tour du bac tourne autour de 60%, avec 18 mentions déjà au tableau.
Mais pour le cas de Yacine Fall, elle parle de « consécration » d’un travail acharné.
« Elle est un pur produit de Ndande qui a fait toutes ses études dans la localité. Mais, le plus impressionnant, c’est qu’elle n’a jamais eu une moyenne annuelle en-dessous de 17 », ajoute Mme Diédhiou, qui vient d’écouler trois années à la tête ce lycée.
Elle dépeint son élève comme étant timide, effacée et très disciplinée. « C’est un grand plaisir que nous avons eu, à travers ma personne, toute l’équipe pédagogique, d’avoir encadré une élève aussi brillante que Yacine », ajoute la professeure d’Education physique et sportive (Eps) de formation. Elle plaide auprès des autorités étatiques un accompagnement qu’il faut pour sa « fille » Yacine Fall dans ses études supérieures « afin de réaliser ses rêves ».
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RETOUR SUR L'ÉDITION 2023 DE CINEFEMFEST
EXCLUSIF SENEPLUS - Le festival célébrant la portée féministe des films africains, a rendu hommage aux cinéastes Safi Faye et Khady Sylla sous le thème "Héritages", du 16 au 18 juin 2023 à Gorée
Le festival célébrant la portée féministe des films africains, a rendu hommage aux cinéastes Safi Faye et Khady Sylla sous le thème "Héritages", du 16 au 18 juin 2023 à Gorée.
ENTRETIEN POSTHUME AVEC EUGÉNIE ROKHAYA AW
CLANDESTINITÉ SOUS SENGHOR ET PANAFRICANISME POPULAIRE
Eugénie Rokhaya Aw, militante active de la gauche sénégalaise a lutté pour la démocratisation du pays. Un an après sa disparition, son témoignage éclaire les combats de plusieurs générations héritières des indépendances africaines
Florian Bobin et Maky Madiba Sylla |
Publication 08/07/2023
Emprisonnée sous le régime de Léopold Sédar Senghor, Eugénie Rokhaya Aw a été une militante active de la gauche sénégalaise qui a lutté clandestinement pour la démocratisation du pays dans les années 1970. Un an après sa disparition, en juillet 2022, son témoignage éclaire les combats de plusieurs générations héritières des indépendances africaines.
« Pendant très longtemps nous n’avons pas parlé, nous nous sommes tus, peut-être par pudeur, pour ne pas déranger les autres ; parce que, mine de rien, nous avions une souffrance que nous continuions à transporter avec nous. Tout est encore vivant, enfoui, mais en disant, en entendant les autres le dire, la mémoire refait surface. » Cet après-midi d’octobre 2019, à la tribune d’une salle de l’Université Cheikh-Anta-Diop de Dakar, Eugénie Rokhaya Aw raconte ses souvenirs de la clandestinité politique imposée par l’État-parti au Sénégal dans les années 1970 sous le président Léopold Sédar Senghor : cloisonnement, intimidation, arrestation, torture. Un an plus tard, elle acceptait de nous accueillir chez elle, à Dakar, pour un entretien filmé dans le cadre du tournage de notre documentaire en cours de réalisation, Le Sénégal révolutionnaire.
Née en 1952 à Paris d’une mère martiniquaise et d’un père sénégalais, Eugénie Rokhaya Aw participe au début des années 1970 au développement du mouvement étudiant à l’université de Dakar dans le sillage de Mai 68, où le retour d’étudiants sénégalais en France comme Landing Savané et Omar Blondin Diop contribue à l’essor des idées maoïstes [1] : en 1974 naît le front anti-impérialiste And Jëf (« Agir ensemble », en wolof), à l’initiative du journal Xare Bi (« La lutte », en wolof). Dans le même temps, jeune journaliste, Eugénie Aw s’efforce de documenter les conditions de travail des femmes ouvrières, à qui elle dispense des cours d’alphabétisation.
Au cours des années 1980, elle accentue son engagement panafricaniste et internationaliste, participant à la deuxième conférence internationale des femmes de Copenhague ; couvrant plusieurs conflits armés sur le continent africain ; rencontrant le président Thomas Sankara pour un entretien sur les femmes dans la révolution burkinabè ; s’engageant dans la lutte contre l’apartheid en Afrique du Sud. Après une thèse au Québec consacrée à la parole des femmes rwandaises post-génocide des Tutsis [2], elle rentre au Sénégal au début des années 2000 pour enseigner à l’école de journalisme de l’université de Dakar, avant d’en prendre la direction, de 2005 à 2011.
Eugénie Rokhaya Aw nous a tristement quittés le 3 juillet 2022. Yàlla na suuf sedd ci kaawam ( « Que la Terre lui soit légère »).
Eugénie Rokhaya Aw : À l’université, j’ai commencé par faire médecine, mais ça ne marchait pas, donc je suis allée en philosophie. Grand écart. C’est là où tout ce qui était marxisme-léninisme, toutes tendances confondues, se retrouvait. Et c’est comme ça que j’ai été accrochée par cette idée de renversement de perspective ; que c’était possible de changer l’État, de changer la société et de la transformer radicalement. Je n’étais pas d’accord avec la discipline. Je n’étais pas d’accord avec l’autorité. Et je le faisais savoir. Ça créait énormément de troubles dans les salles où je me trouvais. Mon décalage – je suis africaine, occidentale et antillaise – fait que je peux me permettre de faire des choses que d’autres ne feront pas.
Exemple : grève à l’université, la police boucle tout, mais il faut qu’on rentre des tracts. C’est moi qui vais les faire rentrer. Et il faut passer le message aux étudiants qu’on est en grève. C’est moi qui vais le passer, parce que j’arrive comme la bonne petite Occidentale. On m’a donné des choses à lire. Et, petit à petit, j’ai été intégrée à des cellules. Puis à des groupes. C’est comme ça que je suis rentrée dans le mouvement.
Florian Bobin & Maky Madiba Sylla : Le mouvement ?
Eugénie Rokhaya Aw : On était de la mouvance « mao », on savait tout sur le Petit Livre rouge. Parce que la « pensée Mao Tsé-toung » pensait justement au monde paysan, montrait le lien entre le monde rural et le monde urbain [3]. En même temps, il y avait quand même une pensée locale : tout ce mouvement qui allait dans les campagnes, qui allait rencontrer des paysans, qui vivait la vie des paysans ; ce travail au niveau des usines qui a permis d’alphabétiser un certain nombre de personnes ; ce travail culturel qui a été fait – que ce soit le théâtre, le chant, la poésie ; cette recherche de nos héros oubliés comme Lamine Senghor ; ce travail du mouvement populaire, en particulier sportif ; ce travail auprès des jeunes exclus de l’école que nous avons essayé de présenter indépendamment au baccalauréat.
Florian Bobin & Maky Madiba Sylla : À cette époque, seul le parti au pouvoir, l’Union progressiste sénégalaise (UPS), étant autorisé, les partis d’opposition devaient s’organiser clandestinement. Comment vous êtes-vous structurés ?
Eugénie Rokhaya Aw : Il y avait différentes strates au niveau de And Jëf, et vous pouviez passer de l’une à l’autre. Ça veut dire que vous avez une cellule déterminée, vous avez un correspondant de la cellule et vous n’avez pas de lien avec d’autres cellules. Il y avait un cloisonnement extrêmement important entre les groupes. Ensuite, quand vous arrivez à un niveau supérieur, vous découvrez les liens qui peuvent exister entre cellules. Ce que la clandestinité signifiait, c’était avoir une vie normale et travailler le jour, et en avoir une autre le soir. On ne dormait pas beaucoup. Ça signifiait faire attention à ce qu’on disait. Ça signifiait aussi vivre relativement isolé. Et même quand vous aviez une famille, ça signifiait aussi que tout était dirigé vers le mouvement. On n’avait pas de week-end. Quand j’avais mon salaire, un tiers allait au mouvement, pour donner un minimum de rémunération à ceux qu’on appelait les « révolutionnaires professionnels » [4], établis dans le monde paysan, consacrés totalement à la cause, mais qui n’avaient plus de revenus. Donc toute votre vie était dédiée à ça.
Florian Bobin & Maky Madiba Sylla : Beaucoup de dirigeants et de militants ont par exemple utilisé leurs positions de fonctionnaire dans l’organe chargé de contrôler le commerce de l’arachide pour sonder la détresse des paysans et ainsi étendre le mouvement…
Eugénie Rokhaya Aw : Moi, j’ai profité du fait que j’étais journaliste, d’abord à Dakar-Matin, ensuite au Soleil, pour choisir les thèmes que j’avais envie de traiter. Un jour, j’ai proposé à mon rédacteur en chef de faire un reportage sur les femmes ouvrières dans les usines de transformation de poisson au port de Dakar. Je me suis fait embaucher et les patrons étaient très fiers d’avoir « quelqu’un comme moi » qui venait travailler avec les femmes. On appliquait ce qu’on appelle « la ligne de masse », c’est-à-dire que quand on y allait, on vivait leurs vies.
J’ai vu les conditions que les femmes vivaient : des conditions vraiment infrahumaines où, pour aller aux toilettes, vous deviez demander la permission et vous n’aviez pas le droit d’y aller plus d’un certain nombre de fois. Il y avait des rigoles avec l’eau, et le sang du poisson qui coule, et vous, vos pieds trempent dans l’humidité continuellement : la plupart des femmes enceintes ne menaient pas une grossesse jusqu’au bout. La chose la plus horrible : voilà des femmes qui travaillaient quelquefois depuis plusieurs années dans ces usines, mais [qui] tous les jours étaient réembauchées comme des journalières. Aucun droit. J’ai donc fait tout le travail qu’il fallait et j’ai fait mon article.
Florian Bobin & Maky Madiba Sylla : Comment a réagi la direction de l’usine ?
Eugénie Rokhaya Aw : Merci à la personne qui me supervisait, parce que l’article a tellement choqué que les patrons sont venus au journal et ont dit : « Non, il faut qu’elle fasse un démenti. » J’ai rétorqué : « Je refuse, jamais de démenti. » La personne qui a revu mon article m’a ensuite appelée : « Regarde, Eugénie, ce que tu as écrit et regarde ce que j’ai corrigé. Personne ne peut dire que tu parles de cette usine, mais tout le monde sait que c’est de cette usine que tu parles. » Par la suite, ça nous a permis de revenir voir ces femmes-là, d’aller dans le désert – c’était un désert à l’époque, il n’y avait rien de Pikine à Guédiawaye. Et ces femmes marchaient pour venir travailler, n’avaient aucun moyen. Ce que je trouve extraordinaire avec ces femmes-là, c’est qu’à aucun moment je ne me souviens qu’une m’ait dit : « Tu nous racontes des histoires. »
Florian Bobin & Maky Madiba Sylla : Pendant ce temps, vous poursuivez votre militantisme dans la clandestinité…
Eugénie Rokhaya Aw : On savait tout, tout, tout de ce qui se passait au Vietnam avec la torture. Tout dans le détail. On récitait « Dimbokro Poulo Condor » [5]. On avait des livrets avec toutes les expériences possibles et imaginables. On a vécu la répression par procuration. On se mettait dans la peau des militants vietnamiens qui avaient résisté à des choses vraiment horribles, infrahumaines. On était devenus ces résistants vietnamiens. Mais quand vous vous trouvez en situation, c’est autre chose.
Florian Bobin & Maky Madiba Sylla : Le mouvement ne tardera pas à être touché de plein fouet lorsqu’en 1975 la police intercepte votre journal clandestin Xare Bi…
Eugénie Rokhaya Aw : Un soir, ils débarquent chez moi. J’aime bien dire « ils » parce que, pour moi, ce sont des gens indéterminés. Ils emmènent celui qui à l’époque était mon mari. Le chef me demande un verre d’eau ; je lui en donne un et je casse le verre devant lui. Ils s’en vont. Le lendemain matin, ils viennent me chercher. Ils m’emmènent dans une annexe du ministère de l’Intérieur. Là, ils me font monter à l’étage et me menacent. Ils m’emmènent mon mari, que je n’ai pas reconnu : il avait la tête qui avait doublé de volume, des ongles ensanglantés. Sous-entendu : « Tu parles, ou voilà quoi… » Et pourtant, il a fallu résister. Je voyais sa souffrance, mais je ne devais pas montrer que j’étais affectée, parce que je savais que c’est ce qu’ils attendaient. Je leur ai dit : « Vous me faites ce que vous voulez, je vous préviens : je suis enceinte. S’il m’arrive quoi que ce soit, vous en serez responsables. » Finalement, on m’emmène au commissariat central, au dernier étage, et ils ont torturé les gars. C’étaient souvent des anciens d’Algérie ou du Vietnam.
Un jour, je ne me sentais pas bien et j’ai demandé à aller à l’hôpital pour faire des examens. On m’y a emmenée, mais à mon retour je ne me sentais toujours pas bien. On m’a fait une piqûre antihémorragique. Quand il fait humide, je la ressens toujours cette piqûre. Et le soir, plop ! J’ai tout perdu. J’ai dû me mettre sur le matelas pour ne pas tout ensanglanter. Ça coulait. J’entendais vaguement des cris, mais je me suis vidée de mon sang. Tu n’appréhendes pas jusqu’au bout la logique de l’État, qui peut être un État assassin. C’est quand j’ai fait ma fausse couche que j’ai eu le sentiment que j’étais en train de m’en aller. C’est grâce à mes compagnons qui étaient en prison, et aux prisonniers de droit commun qui se sont révoltés dans la salle où j’étais, qu’on m’a sortie de là, en sang. Il semblerait que Senghor ait dit, lorsqu’il a appris ce qui m’était arrivé : « Surtout qu’elle ne meure pas. » C’est à ce moment-là que j’ai compris qu’ils avaient tué [Omar] Blondin Diop.
Florian Bobin & Maky Madiba Sylla : Comment avez-vous vécu la sortie de prison ?
Eugénie Rokhaya Aw : Là où je me suis dit qu’on est bien dans un monde de machos, c’est après la prison, quand on n’avait plus de revenus : les hommes qui sortaient de prison avaient 10 000 francs CFA et moi j’en avais 5 000. Donc, j’étais la moitié d’un militant. Et puis, en même temps, c’était comme dans les partis traditionnels, vous aviez le « mouvement des femmes ». Aujourd’hui, j’aurais dit : « Non, les femmes doivent être fondues dans le mouvement en général, on n’a pas besoin d’un mouvement des femmes, sauf s’il y a des questions très spécifiques que nous devons traiter, nous comme femmes. » Évidemment, il y avait des formes de prédation : si on pouvait vous avoir, on vous avait. On essayait toujours. Comme si vous aviez besoin de la protection d’un grand militant. Mais on n’est pas indépendants des rapports sociaux que produit notre société.
Une autre chose que j’avais remarquée, plus dans le mouvement populaire : nos amis venaient très souvent de la même origine ethnique ou de classe que nous. Et je me souviendrai toujours que celui qui faisait le thé, c’était quelqu’un qui était « casté ». Ça m’avait interpellée. Je ne suis pas sûre que des camarades le voyaient. Ils le voyaient comme un camarade comme eux, qui était content de faire le thé, ce qui était probablement vrai. Mais il y a quelque chose, là : cette reproduction de la société, des règles sociales, qui était quand même un peu dérangeante dans un mouvement qui se disait révolutionnaire.
Florian Bobin & Maky Madiba Sylla : Dans notre recherche, peu de femmes acceptent de témoigner de leur expérience dans la clandestinité. Comment expliquez-vous cela ?
Eugénie Rokhaya Aw : Il y a beaucoup de pudeur. Il y a eu beaucoup de souffrances. Déjà, même pour les hommes, c’est difficile. Il y a beaucoup de choses qui sont prégnantes dans nos sociétés qui font que des gens ne veulent pas parler. Mais on accepte plus d’un homme qu’il parle que d’une femme. Nous, on est censées être dans l’espace privé domestique. Les femmes ont été plus stigmatisées que les hommes. Quand on te dit : « Non, non, non, ce n’est pas ton rôle de faire ce genre de choses, de sortir dans une cellule et de revenir à minuit, 1 h du matin, 2 h du matin, ou quelques fois de ne pas revenir de la nuit. Il y a un problème. Tu dois avoir un époux, tu dois avoir des enfants. » Il y a toute cette structure sociale qui fait que de le dire, c’est très compliqué.
Quand on les voit aujourd’hui, la manière dont elles sont habillées, je vois bien que ce sont des femmes qui sont immobiles. C’est trop de souffrances dont on ne veut pas parler, dont on a peur de parler, qu’on n’a pas réglées. L’engagement militant a déchiré des familles. Or, traditionnellement, nous, on est censées faire du lien. Parfois, ce sont les enfants qui, eux-mêmes ayant souffert de l’engagement, bloquent l’écriture de cette histoire. Et dès qu’on veut en parler, tout de suite une levée de boucliers.
Florian Bobin & Maky Madiba Sylla : Parallèlement au militantisme, vous entamez une carrière de journaliste dès 1970…
Eugénie Rokhaya Aw : Quand j’ai commencé à écrire pour le quotidien national Dakar-Matin, devenu Le Soleil, j’étais la seule femme journaliste. Mais c’était aussi étonnant d’arriver dans le journal de l’État, du gouvernement, et d’avoir une telle qualité d’encadrement. J’ai eu la possibilité de faire des choses qui m’intéressaient : travailler sur la condition des femmes. Et de subvertir ces sujets-là. Quand on parle de la question des femmes, on va vous donner les sujets qui concernent le panier de la ménagère, la nutrition, les épouses des présidents en visite au Sénégal…
La subversion, c’est de rendre politiques toutes ces questions-là. Par exemple, je prenais des pays révolutionnaires, j’apprenais les luttes des femmes du FLN [Front de libération nationale, Algérie], de l’ANC [African National Congress, Afrique du Sud] de la Swapo [South West Africa People’s Organization, Namibie], de la Zanu [Zimbabwe African National Union, Zimbabwe], puis je mettais leur histoire dans le journal. Nutrition ? J’écrivais sur comment retrouver et revaloriser nos plats traditionnels. Ce n’est pas pour les articles que j’écrivais que j’ai été chassée du Soleil, mais après mes problèmes politiques.
Florian Bobin & Maky Madiba Sylla : Après votre licenciement du Soleil en 1976, vous rebondissez rapidement à Afrique Nouvelle, journal catholique ouest-africain. Quels thèmes explorez-vous alors ?
Eugénie Rokhaya Aw : À un moment, je me suis vraiment spécialisée sur la question des conflits en Afrique. Je suis allée clandestinement en Érythrée, au deuxième Congrès des travailleurs et des femmes. J’ai aussi travaillé avec des communautés érythréennes du Eritrean People’s Liberation Front à Nairobi, alors qu’on n’était pas sur la même ligne politique. Vous me direz qu’en Érythrée, ça a été l’échec total. Je suis allée partout sur les terrains d’opérations : Congo-Brazzaville, Zaïre [actuelle République démocratique du Congo], Rwanda. J’ai aussi fait une entrevue avec Thomas Sankara : deux heures sur la question des femmes. Sankara était d’une race spéciale. Il avait tout compris, et lui il était dans l’action. C’est chez lui que ça s’est passé. Il m’a pris un petit tabouret, m’a installé l’enregistreur et regardait si j’étais bien. Une vraie réflexion qu’on ne retrouve pas, je pense, jusqu’aujourd’hui. Partout, j’ai essayé de voir vraiment dans le concret la souffrance extraordinaire de nos populations. Tout ça pour des manipulations d’ordre politique. J’ai d’ailleurs fait ma thèse de doctorat sur le génocide au Rwanda et la parole des femmes après le génocide.
Florian Bobin & Maky Madiba Sylla : Et la lutte contre l’apartheid en Afrique du Sud…
Eugénie Rokhaya Aw : Oui, je me suis vraiment engagée dans la lutte contre l’apartheid. J’ai eu la chance de travailler avec la Conférence des Églises de toute l’Afrique (Ceta), qui avait pour président Desmond Tutu. Donc, évidemment, c’étaient des personnes qui étaient directement engagées dans la lutte contre l’apartheid. J’ai eu l’occasion de travailler avec des radios communautaires et de négocier avec des États africains. Alors qu’on était en période d’embargo, on a fait rentrer des jeunes Sud-Africains noirs dans nos pays pour travailler avec eux sur leurs projets clandestins contre l’apartheid. En particulier au Bénin, en 1992. On voyait leur peur. Comme ils n’avaient pas le droit aux visas, on leur retirait leurs passeports. Un Sud-Africain noir vivant sans passeport, c’est le risque d’être arrêté à n’importe quel moment. On a aussi eu l’occasion de rencontrer des gens exceptionnels comme Coretta King [NDLA : militante des droits civiques afro-américaine et épouse de Martin Luther King Jr.] et Maynard Jackson, premier maire noir d’Atlanta.
Florian Bobin & Maky Madiba Sylla : Aujourd’hui, que retenez-vous de vos années de lutte ?
Eugénie Rokhaya Aw : On a essayé d’apporter tout ce qu’on pouvait, mais il y a aussi beaucoup de choses qu’on a pensé avoir résolues. Moi, je me sentais beaucoup plus libre, à mon époque, même sous la répression. On a été réprimés politiquement, mais en même temps, par la suite, on a eu une parole relativement libre. Aujourd’hui, je vais être scrutée pour tout : pour les vêtements que je porte, si je bois un verre de vin, si je prends certaines positions. Nous, les femmes, on avait une parole relativement libre, une capacité de nous mouvoir dans l’espace public. Maintenant, de plus en plus, ce terrain-là commence à être perdu.
À une époque, on était tellement alignés sur les thèses chinoises de la « théorie des trois mondes » [6] que je me suis demandé : « Est-ce qu’on peut penser par nous-mêmes ? » Je sais que ça a créé beaucoup de remous. Mais pour moi, c’est peut-être ce tournant qu’on n’a pas été capables de systématiser. Dans le mouvement, il y avait plein d’éléments, d’initiatives, d’innovations qu’on aurait pu systématiser. Peut-être n’avons-nous pas été capables de capitaliser sur tout cela. Nous nous sommes laissés absorber par la répression, puis par l’alternance politique.
Je pense que l’alternance politique a été extrêmement dommageable pour le mouvement [7]. C’est une question dont on aurait dû discuter. Peut-être que ça a été une erreur de dissoudre toutes les structures du mouvement, qu’on aurait dû garder certaines d’entre elles. Le problème, c’est que quand vous restez trop longtemps dans l’opposition et que vous avez des ambitions politiques, vous devenez très vite des politiciens comme les autres. L’exercice du pouvoir politique est un exercice périlleux et qui vous perd. Mais maintenant, il faut bien qu’il y en ait qui l’exercent. Alors, qu’est-ce qu’on fait ?
Florian Bobin est chercheur en histoire, auteur d’une biographie d’Omar Blondin Diop et éditeur d’une sélection des écrits du philosophe (tous deux à paraître).Maky Madiba Sylla est cinéaste-musicien, fondateur de la boîte de production de films documentaires Linkering Productions et réalisateur du film El Maestro Laba Sosseh (2021).
Notes
[1] Sur « Mai 68 », voir : Blum Françoise (2012), « Sénégal 1968 : révolte étudiante et grève générale », Revue d’histoire moderne et contemporaine, 59(2), pp. 144-177 ; Bathily Abdoulaye (2018), Mai 68 à Dakar ou la révolte universitaire et la démocratie, Dakar, L’Harmattan-Sénégal ; Gueye Omar (2017), Mai 1968 au Sénégal, Senghor face au mouvement syndical, Paris, Karthala. Sur la gauche révolutionnaire des « années 1968 », voir : Bianchini Pascal (2021), « 1968 au Sénégal : un héritage politique en perspective », Canadian Journal of African Studies/Revue canadienne des études africaines, 55(2), pp. 307-329.
[2] Aw Eugénie Rokhaya (2001), « Paroles de femmes rwandaises : de la culture du génocide à la culture de la paix ?, 1994-1999 », thèse de doctorat, Université du Québec à Montréal.
[3] Le maoïsme bénéficie d’un écho favorable au Sénégal à partir de la deuxième moitié des années 1960, à l’image de l’éphémère Parti communiste sénégalais (PCS), fondé en 1965 par d’anciens militants du Parti africain de l’indépendance (PAI). Mais c’est au cours des années 1970 que la mouvance se formalise, dans la clandestinité, autour d’And Jëf.
[4] Militants d’And Jëf (une trentaine à la fois en moyenne) chargés d’étendre le mouvement par l’implantation de nouvelles cellules auprès de paysans, d’ouvriers et de syndicalistes : formellement non rémunérés, ils bénéficiaient des cotisations de camarades salariés pour leur vie quotidienne.
[5] Refrain du poème « L’agonie des chaînes » de David Diop dans Coups de pilon (1956, Paris, Présence africaine) : « Dimbokro Poulo Condor / La ronde des hyènes autour des cimetières / La terre gorgée de sang les Képis qui ricanent / Et sur les routes le grondement sinistre des charrettes de haine / Je pense au Vietnamien couché dans la rizière / Au forçat du Congo frère du lynché d’Atlanta ».
[6] Théorie élaborée par le dirigeant chinois Mao Zedong en 1974 présentant une division tripartite du monde : le premier monde étant celui des superpuissances (États-Unis et Union soviétique), le second monde celui des puissances intermédiaires (Europe, Canada, Japon) et le tiers monde réunissant l’ensemble des autres pays d’Asie (parmi lesquels la Chine), d’Afrique et d’Amérique latine, principale force d’opposition à l’hégémonisme du premier monde, soutenu par le second. Cette théorie est contestée par le dirigeant de l’Albanie, Enver Hoxha, aligné ni sur l’Union soviétique, ni sur la Chine, et pour qui l’opposition entre pays « révolutionnaires » et « réactionnaires » demeure la démarcation fondamentale. Se constitue ainsi un « courant proalbanais », auquel adhèrent certains militants maoïstes sénégalais, créant un schisme au sein d’And Jëf.
[7] Après quarante années de gestion de l’État sénégalais par le Parti socialiste (PS), ex-Union progressiste sénégalaise (UPS), l’élection présidentielle de 2000 marque la première alternance de partis au Sénégal. Abdoulaye Wade, dirigeant du Parti démocratique sénégalais (PDS), d’inspiration libérale, bat le président sortant Abdou Diouf et accède au pouvoir grâce à une large coalition de l’opposition constituée au premier plan des leaders historiques de la gauche clandestine des années 1970 (Landing Savané pour And Jëf ; Abdoulaye Bathily pour la Ligue démocratique ; Amath Dansokho pour le Parti indépendant du travail).
FOUNDIOUGNE : QUAND LES GROSSESSES PRÉCOCES PLOMBENT LA SCOLARISATION DES FILLES
Soixante-deux cas de grossesse ont été recensés, en seulement cinq mois (janvier-mai 2023), à Foundiougne. Suffisant pour alerter sur un fléau qui plombe la scolarisation des filles du département
Foundiougne est balayé par une brise. Au rivage, on voit çà et là des mangroves, des bandes d’oiseaux… La cité est un don de la nature. Malgré cela, les populations ne tirent pas profit des atouts. Elles sont plongées dans la précarité. Cela influe sur le comportement des filles. Malgré son cadre paradisiaque, la ville est confrontée au phénomène des grossesses précoces, conséquence de la pauvreté des populations. Nafy Traoré, maîtresse sage-femme du district sanitaire de Foundiougne, avait annoncé, lors d’un atelier, que 25 cas de grossesses précoces ont été enregistrés entre le 1er janvier 2023 et le 31 mai 2023. Un chiffre alarmant qui renseigne, à suffisance, sur ce fléau qui plombe la scolarisation des jeunes filles dans cette localité de la région de Fatick. Cette situation est confirmée par la Présidente du Comité départemental des enseignantes pour la promotion de la scolarisation des filles (CdepScofi), Fatou Diène Ndiaye. Elle a peint un tableau sombre de la situation des grossesses précoces dans le département de Foundiougne. « Les grossesses précoces sont un véritable frein à la scolarisation des filles. Rien que cette année, la Scofi (Scolarisation des jeunes filles) a compté 62 cas de grossesse dans le département. Ces enfants, très jeunes, pour l’essentiel, nous viennent du Niombatto. La majeure partie des victimes subissent des conséquences dramatiques », renseigne Mme Ndiaye. Selon elle, « la vulnérabilité des filles a été indexée. Les hommes profitent de leur situation. Il n’en demeure pas moins que la responsabilité de leurs parents est aussi engagée. Beaucoup de parents ne contrôlent plus leurs enfants. En plus de ne pas leur assurer les trois repas, ils sont plus préoccupés par la dépense quotidienne que par le bien-être de l’enfant ». Elle en déduit que c’est la conséquence de la transformation en profondeur de la société. « Auparavant, l’éducation des enfants incombait à toute la communauté. Aujourd’hui, c’est une affaire familiale. Personne n’ose corriger l’enfant d’autrui, au risque d’avoir des problèmes avec ses parents. En conséquence, il y a plus de liberté qui ouvre les portes aux comportements à risque, surtout dans une zone touristique », a-t-elle regretté.
Punir les auteurs
« Les jeunes filles ont tendance à se laisser séduire par des personnes plus âgées, pour avoir un train de vie semblable à celui des jeunes qui fréquentent des touristes », a expliqué Fatou Diène Ndiaye.
Seynabou Diouf abonde dans le même sens. Cette mère de famille, rencontrée au marché de Foundiougne, n’y va pas par quatre chemins. Panier à la main, Mme Diouf estime que l’argent facile demeure l’une des causes des grossesses précoces. « Les filles veulent toujours être bien habillées pendant les fêtes. Comme les parents ne sont pas toujours aisés, elles se rabattent sur les garçons qui abusent souvent d’elles. C’est rare de voir une fille issue d’une famille aisée être victime de grossesse précoce. Donc, la pauvreté est la principale cause. Foundiougne est une ville d’accueil, avec donc beaucoup d’entrées et sorties », déduit notre interlocutrice.
La pauvreté est le moteur de ce phénomène à Foundiougne. Pape Ndiaye est un conducteur de moto « Jakarta » qui travaille avec les jeunes filles. Selon lui, la plupart des cas de grossesse précoces sont des élèves qui sont dans des situations familiales compliquées. « Il arrive que des élèves nous abordent pour avoir de quoi manger ou pour se déplacer. Si une fille dépend d’un homme qui n’est pas son père pour manger, s’habiller et se déplacer, la finalité est que cette fille devienne vulnérable et certains hommes en profitent », soutient le conducteur de moto « Jakarta ».
Dans cette ville, le désœuvrement est la mère de tous les comportements contraires à nos valeurs. « Je ne peux pas vous dire, avec exactitude, combien de fois je suis allé dans une pharmacie pour acheter une pilule du lendemain pour des filles », a insisté Pape Ndiaye.
Pour Fatou Diène Ndiaye, Présidente du Comité départemental des enseignantes pour la promotion de la scolarisation des filles, l’État doit sévir contre les auteurs de ces grossesses. « Nous avons constaté que les hommes exploitent la faiblesse des jeunes filles par l’argent ou la menace. Les responsables de grossesses précoces devraient être poursuivis, car ce sont des criminels. C’est rare de voir un jeune garçon être auteur d’une grossesse. C’est toujours des hommes d’âge mûrs », explique-t-elle, insistant sur la nécessité de sévir, pendant qu’il est encore temps.