JOHANNESBURG, 12 déc 2013 (AFP) - Plus de 30.000 personnes ont rendu hommage à Nelson Mandela depuis la présentation au public mercredi après-midi à Pretoria du corps de l'ancien président sud-africain, a-t-on appris jeudi de source officielle.
Au moins 20.000 personnes se pressaient jeudi en fin de matinée pour voir la dépouille, selon la mairie de Pretoria. La veille, "entre 12 et 14.000 personnes ont pu rendre un dernier hommage" au héros de la lutte anti-apartheid, a indiqué pour sa part le gouvernement sud-africain.
Le corps de Nelson Mandela, décédé le 5 décembre, est présenté au siège de la présidence sud-africaine, Union Building, à Pretoria depuis mercredi et jusqu'à vendredi.
Mercredi, le public n'y a eu accès que l'après-midi, la matinée étant réservée à la famille et aux personnalités. Le gouvernement a dû couper les files d'attente deux heures avant la fermeture du site, à 17H30 (15H30 GMT) pour éviter aux derniers venus d'attendre en vain.
"Le gouvernement apprécie la formidable réponse du public qui veut rendre hommage à Tata Madiba", déclare le communiqué accolant le mot père en zoulou au nom de clan du prix Nobel de la Paix.
"Toutefois, la réalité fait qu'il y a une limite aux nombre d'heures durant lesquelles la dépouille du président peut être vue." Samedi, son corps sera transféré vers son village d'enfance, Qunu, à un millier de kilomètres au sud de Johannesburg, où il sera inhumé dimanche.
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''MANDELA COMPRENAIT LES LIENS QUI UNISSENT L’ESPRIT HUMAIN''
Graça Machel et famille Mandela, président Zuma et membres de votre gouvernement, chefs d’Etat et de gouvernement, anciens et actuels, invités de marque : c’est pour moi un honneur singulier d’être parmi vous aujourd’hui pour célébrer une vie sans pareille. Habitants de l’Afrique du Sud, de toute race et de toute condition sociale, le monde vous remercie d’avoir partagé Nelson Mandela avec nous.
Son combat était le vôtre. Son triomphe a été le vôtre. Votre dignité et votre espoir ont trouvé leur expression dans sa vie. Et votre liberté, votre démocratie, sont le précieux héritage qu’il vous a laissé.
Il est difficile de faire le panégyrique de qui que ce soit, de saisir par des mots non seulement les faits et les dates qui forment une vie, mais aussi la vérité essentielle d’une personne, ses joies et ses peines privées, les moments tranquilles et les qualités uniques qui illuminent son âme. C’est tellement plus difficile encore quand la personne est un géant de l’Histoire, qui a fait avancer sa Nation vers la justice, et ce faisant a ému des milliards de personnes à travers le monde.
Né pendant la première Guerre mondiale, loin des couloirs du pouvoir, gardien de troupeaux instruit par les anciens de sa tribu Thembu, Madiba allait être le dernier grand libérateur du XXe siècle. Comme Gandhi, il fut le chef de file d’un mouvement de résistance, un mouvement qui au départ avait peu de chances d’aboutir. Comme Martin Luther King, il allait donner une voix puissante aux revendications des opprimés et à la nécessité morale de la justice raciale. Il allait subir un emprisonnement brutal qui commença du temps de Kennedy et de Kroutchev et dura jusqu’aux derniers jours de la guerre froide. Sorti de prison, sans la force des armes, il allait – comme Abraham Lincoln – maintenir la cohésion de son pays quand celui-ci menaçait de se disloquer. Et comme les Pères fondateurs de l’Amérique, il allait ériger un ordre constitutionnel afin de préserver la liberté pour les futures générations – un attachement à la démocratie et à la primauté du droit ratifié non seulement par son élection, mais par sa disposition à renoncer au pouvoir après un mandat seulement.
Au vu de la trajectoire de sa vie, de l’ampleur de ses accomplissements, de l’adoration qui lui était vouée à si juste titre, on est tenté, je pense, de voir dans Nelson Mandela une idole, une figure souriante et détachée des affaires mesquines du commun des mortels. Mais Madiba lui-même résistait farouchement à un tel portrait dénué de vie. Au contraire, Madiba tenait absolument à partager avec nous ses doutes et ses craintes, ses mauvais calculs avec ses victoires. «Je ne suis pas un saint, disait-il, à moins que l’idée que vous vous faites d’un saint soit celle d’un pécheur qui essaie constamment de s’améliorer.»
C’est précisément parce qu’il pouvait admettre son imperfection – parce qu’il avait le chic pour avoir une bonne disposition, pour être espiègle même, malgré les lourds fardeaux qu’il portait – que nous l’avons tant aimé. Ce n’était pas un buste de marbre ; c’était un homme comme les autres – un fils et un mari, un père et un ami. Et c’est pour cela que nous avons appris tant de choses de lui, et c’est pour cela que nous pouvons encore en apprendre. Car rien de ce qu’il a réalisé n’était inévitable. Dans l’arc de sa vie, nous voyons un homme qui a trouvé sa place dans l’histoire à force de combats et de sagacité, de persistance et de foi. Il nous dit ce qui est possible, pas simplement dans les pages des livres d’histoire, mais dans notre vie aussi.
Mandela nous a montré le pouvoir de l’action, de la prise de risques pour nos idéaux. Peut-être Madiba avait-il raison de dire qu’il avait hérité de son père «un fier esprit de rébellion, un sens acharné de l’équité». Et nous savons qu’il ressentait avec des millions de Sud-Africains noirs et de couleur la colère née «d’un millier d’affronts, d’un millier d’indignités, d’un millier de moments perdus de la mémoire (. ..) du désir de combattre le système qui emprisonnait mon Peuple», dit-il.
Mais comme les autres géants des premiers temps de l’Anc, les Sisulu et les Tambo, Madiba disciplinait sa colère et canalisait son désir de combattre dans l’organisation, dans des plateformes et des stratégies d’action, afin que les hommes et les femmes puissent revendiquer leur dignité qu’ils tiennent de Dieu. En outre, il acceptait les conséquences de ses actions, sachant qu’il y a un prix à payer quand on tient tête à des intérêts puissants et à l’injustice. «J’ai combattu la domination blanche et j’ai combattu la domination noire. J’ai chéri l’idéal d’une société démocratique et libre dans laquelle tous vivraient ensemble, dans l’harmonie, avec des chances égales. C’est un idéal pour lequel j’espère vivre et que j’espère réaliser. Mais s’il le faut, c’est un idéal pour lequel je suis prêt à mourir.»
Mandela nous a appris le pouvoir de l’action, mais il nous a aussi appris le pouvoir des idées, l’importance de la raison et des arguments, la nécessité d’étudier non seulement ceux avec qui on est d’accord, mais aussi ceux avec qui on ne l’est pas. Il comprenait que les idées ne peuvent pas être contenues par les murs d’une prison ni éliminées par les balles d’un tireur embusqué. Il a fait de son procès un réquisitoire contre l’apartheid grâce à son éloquence et à sa passion, mais aussi à sa formation d’homme engagé. Il a mis à profit ses dizaines d’années passées en prison pour aiguiser ses arguments, mais aussi pour communiquer sa soif de connaissances à d’autres au sein du mouvement. Et il a appris la langue et les coutumes de son oppresseur pour qu’il puisse un jour être mieux en mesure de lui expliquer comment sa propre liberté dépendait de la sienne.
Mandela a démontré que l’action et les idées ne suffisaient pas. Aussi justes soient-elles, elles doivent encore être ciselées pour être inscrites dans le droit et les institutions. Il avait l’esprit pratique, il mettait ses convictions à l’épreuve en les confrontant à la surface dure des circonstances et de l’histoire. Sur les principes fondamentaux, il était inflexible, ce qui explique pourquoi il pouvait repousser les propositions de libération sans conditions, rappelant au régime de l’apartheid que «les prisonniers ne peuvent pas passer de contrats».
Mais comme il l’a montré lors des négociations méticuleuses destinées à aboutir à la passation du pouvoir et à la rédaction de nouveaux textes de lois, il ne craignait pas le compromis dans l’intérêt d’un objectif plus large. Et parce qu’il était, outre le chef d’un mouvement, un politicien habile, la Constitution qui en est sortie était digne de cette démocratie multiraciale, fidèle à sa vision de lois capables de protéger les droits tant de la minorité que de la majorité, et des libertés précieuses de chaque Sud-Africain.
Et enfin, Nelson Mandela comprenait les liens qui unissent l’esprit humain. Il y a un mot en Afrique du Sud – Ubuntu –un mot qui incarne le plus grand don de Mandela, celui d’avoir reconnu que nous sommes tous unis par des liens invisibles, que l’humanité repose sur un même fondement, que nous nous réalisons en donnant de nous-mêmes aux autres et en veillant à leurs besoins.
Nous ne saurons jamais jusqu’à quel point ce sens était inné, ou bien forgé dans une cellule de prison, sombre et solitaire. Mais nous nous souvenons de ses gestes, grands et petits – comme le jour de son investiture, où il a accueilli ses geôliers en invités d’honneur, le jour encore où il a revêtu le maillot des Springbok à un match de rugby, ou lorsqu’il a transformé le chagrin de sa famille en lançant un appel à la lutte contre le Vih/sida – autant de gestes qui avaient révélé la profondeur de son empathie et de sa compréhension. Non seulement il incarnait l’Ubuntu, mais il avait aussi appris à des millions d’autres à découvrir cette vérité en eux.
Il fallut un homme comme Madiba pour libérer non seulement le prisonnier, mais aussi le geôlier –pour montrer que nous devons faire confiance aux autres afin qu’ils puissent nous rendre la pareille, pour apprendre à tous que la réconciliation ne signifie pas seulement ignorer un passé cruel, mais aussi y faire face en le contrant par l’inclusion, la générosité et la vérité. Madiba changea les lois autant qu’il changea les esprits.
Pour le Peuple de l’Afrique du Sud, pour ceux qui avaient trouvé une source d’inspiration en Madiba, sa mort est à juste titre une période de deuil et une période de célébration de sa vie de héros. Mais je crois que sa mort devrait aussi nous inviter à une réflexion personnelle. Avec honnêteté, quelle que soit notre situation, nous devons nous demander : jusqu’à quel point ai-je appliqué ses leçons dans ma vie personnelle ? C’est une question que je me pose moi-même, comme homme et comme Président.
Nous savons que, comme l’Afrique du Sud, les États-Unis ont dû surmonter des siècles d’assujettissement racial. Et comme ce fut le cas ici, il a fallu consentir des sacrifices – le sacrifice d’innombrables personnes, connues et inconnues, afin de voir se lever l’aube d’un jour nouveau. Michelle et moi sommes bénéficiaires de cette lutte. Mais en Amérique, en Afrique du Sud et dans les pays du monde entier, les progrès accomplis ne doivent pas nous laisser occulter le fait que notre tâche n’est pas encore terminée.
Les luttes qui suivent la victoire de l’égalité officielle ou de l’affranchissement universel ne sont peut-être pas empreintes d’autant de drame et de clarté morale, mais elles n’en sont pas moins importantes. De par le monde aujourd’hui, nous voyons des enfants qui souffrent de la faim et de la maladie. Nous voyons encore des gens sans perspectives d’avenir. De par le monde aujourd’hui, des hommes et des femmes sont encore emprisonnés en raison de leurs convictions politiques, et persécutés en raison de leur apparence, de la manière dont ils prient ou de ceux qu’ils aiment. Cela se produit aujourd’hui.
Nous aussi, aujourd’hui, nous devons agir au nom de la justice. Nous aussi, nous devons agir au nom de la paix. Il y a trop de gens qui embrassent avec enthousiasme le legs de la réconciliation raciale de Madiba, mais qui résistent farouchement aux réformes même les plus modestes qui relèveraient les défis de la pauvreté chronique et de l’inégalité croissante. Il y a trop de dirigeants qui proclament leur solidarité avec la lutte de Madiba pour la liberté, mais qui ne tolèrent pas la dissension dans leur population. Et il y a trop de gens parmi nous qui restent sur la touche, à l’aise dans la complaisance ou le cynisme, quand nos voix devraient se faire entendre.
La question qui se pose à nous aujourd’hui est de savoir comment promouvoir l’égalité et la justice, comment faire respecter la liberté et les droits de l’homme, comment mettre un terme aux conflits et aux guerres sectaires, à ces questions dont les réponses ne sont pas faciles. Mais les réponses n’avaient pas été faciles pour cet enfant né pendant la première Guerre mondiale. Nelson Mandela nous rappelle qu’une tâche semble toujours impossible jusqu’à qu’elle se réalise. L’Afrique du Sud prouve cette vérité. L’Afrique du Sud prouve que nous pouvons changer, que nous pouvons choisir un monde défini non par nos différences, mais par nos espoirs communs. Nous pouvons choisir un monde défini non par le conflit, mais par la paix, la justice et les chances de réussir.
Nous ne verrons jamais d’égal à Nelson Mandela. Mais permettez-moi de dire aux jeunes d’Afrique et du monde entier ; vous aussi, vous pouvez faire de l’œuvre de sa vie la vôtre. Il y a plus de trente ans, lorsque j’étais étudiant, j’ai entendu parler de Nelson Mandela et des luttes qui se livraient dans ce pays magnifique, et cela a éveillé quelque chose en moi. Cela m’a ouvert les yeux à mes responsabilités envers autrui et envers moi-même, et mis sur le chemin improbable qui m’a conduit jusqu’ici aujourd’hui. Et bien que je sache qu’il ne me sera jamais possible d’être à la hauteur de l’exemple de Madiba, il me fait aspirer à devenir meilleur. Il s’adresse au meilleur de nous-mêmes.
Quand nous aurons mis en terre ce grand libérateur, que nous aurons regagné nos villes et nos villages et repris notre train-train quotidien, essayons de trouver sa force. Essayons de trouver sa générosité de cœur quelque part en nous. Et lorsque la nuit s’assombrit, que l’injustice pèse lourd sur nos cœurs et que les plans les plus soigneux semblent nous échapper, souvenons-nous de Madiba et des paroles dans lesquelles il trouvait du réconfort entre les quatre murs de sa cellule : «Aussi étroit soit le chemin, nombreux les châtiments infâmes, je suis le maître de mon destin, je suis le capitaine de mon âme.»*
Quelle âme magnifique que la sienne ! Il nous manquera profondément. Puisse Dieu bénir le souvenir de Nelson Mandela. Puisse Dieu bénir le Peuple de l’Afrique du Sud.
ENCENSE PAR LES DIRIGEANTS D'AFRIQUE, MANDELA ETAIT UNE EXCEPTION SUR LE CONTINENT
DAKAR, 12 déc 2013 (AFP) - Les dirigeants africains l'ont encensé après sa mort, mais bien peu ont suivi son exemple: élu en 1994, Nelson Mandela avait choisi de présider l'Afrique du Sud pendant cinq ans seulement pour la placer sur la voie de la démocratie.
En rendant hommage mardi à Soweto au héros de la lutte anti-apartheid devant un parterre de chefs d'Etat, dont certains au pouvoir depuis plus de vingt ans, le président américain Barack Obama a jeté un pavé dans la mare: "Il y a trop de dirigeants qui se disent solidaires du combat de Nelson Mandela pour la liberté mais ne tolèrent pas d'opposition de leur propre peuple".
Premier président noir d'Afrique du Sud élu lors du premier scrutin libre d'un pays qui, sous son impulsion, venait tout juste de se libérer du régime raciste de l'apartheid, Nelson Mandela avait choisi en 1999 de ne pas se représenter pour un second mandat, comme l'y autorisait pourtant la Constitution.
Après cinq années d'une politique centrée sur le dialogue et la réconciliation avec la minorité blanche, Mandela, âgé de 81 ans, avait laissé le champ libre à l'élection de son successeur, Thabo Mbeki.
"C'est un exemple très peu suivi, surtout en Afrique", estimait le Camerounais Achille Mbembe, théoricien du post-colonialisme et professeur d'histoire et de développement à l'université de Witwatersrand à Johannesburg, sur Radio France internationale (RFI), au lendemain de la mort de Mandela le 5 décembre,
Selon lui, Mandela "aura montré, effectivement, qu'il n'est de pouvoir qu'en tant que service à une communauté, service qui présuppose un certain degré d'abnégation et d'engagement au service des autres, qui ne peut être que temporaire".
A quelques exceptions notables comme le Sénégal ou le Ghana, une grande partie des pays d'un continent à l'histoire marquée par les coups d'Etat et les conflits, et toujours miné par la pauvreté en dépit d'immenses richesses naturelles, sont dirigés par des chefs d'Etat autoritaires qui se sont enrichis au fil de longues années au pouvoir.
Des raisons d'espérer
Souvent âgés, ces dirigeants sont loin d'appliquer le dialogue et la réconciliation chers à Nelson Mandela: ils ont au contraire du mal à tolérer la contradiction d'opposants généralement persécutés et s'accrochent à leur pouvoir en organisant régulièrement des élections de façade, truquées.
A l'image du Zimbabwéen Robert Mugabe, 89 ans dont 33 à la tête de son pays voisin de l'Afrique du Sud. Mugabe a pourtant lui aussi été un héros de la lutte de libération en Afrique, a également connu la prison et a été l'un des plus précieux soutiens de Nelson Mandela et de son parti, le Congrès national africain (ANC), dans leur lutte contre l'apartheid.
Mais Robert Mugabe a régulièrement dit que seule "la mort" lui ferait quitter le pouvoir. Il y a bien "une tentative de trouver une voie africaine" à la démocratie, mais elle se heurte à "une résistance de certains dirigeants", estime Piers Pigou, analyste et spécialiste de l'Afrique australe à International crisis group (ICG). "Quand vous n'êtes pas au pouvoir, il y a un manque d'accès à l'influence et aux opportunités économiques", avance-t-il pour expliquer cette "résistance".
Mais il y a malgré tout des raisons d'espérer, car "on a vu au cours des 20 dernières années se développer diverses formes de pratiques démocratiques, un engagement envers ces pratiques et un mouvement vers des élections multipartites". "C'est plus lent que ce que l'on pourrait vouloir", regrette-t-il, "mais c'est un processus qui progresse".
Selon ce chercheur basé en Afrique du Sud, "Mandela a eu un effet sur les attitudes et les opinions des gens ordinaires, il a encouragé l'attitude consistant à remettre en cause les comportements abusifs" de certains dirigeants. "Il a montré l'exemple, porté un message global qui s'est répandu à travers l'Afrique".
Pour le secrétaire général de l'ONU Ban Ki-moon, ce message de Mandela est même allé bien au-delà: "Le plus grand des baobabs a planté des racines qui ont poussé partout sur la planète."
IMMORTEL
DE LA PARTICULE FANTÔME À LA DÉCHARGE PUBLIQUE, MANDELA DÉJÀ HONORÉ DE SON VIVANT
JOHANNESBURG, 12 déc 2013 (AFP) - Un fossile d'oiseau, une particule nucléaire qui n'existe pas, des chrysanthèmes, moult rues et avenues dans le monde entier et même une décharge publique... Nelson Mandela est sans doute la personne qui a été la plus honorée de son vivant.
Au-delà des traditionnelles plaques de rues, Mandela a eu droit à des hommages particulièrement variés, bien avant sa mort.
En 2012, des biologistes français et allemands ont baptisé "Australopicus nelsonmandelai" le fossile d'un pic, le plus ancien oiseau jamais trouvé sur le continent africain qui appartient à une espèce fossile jusqu'alors inconnue, "un peu comme un cadeau scientifique pour son 94ème anniversaire".
L'histoire ne dit pas si des chrysanthèmes "Madiba" seront déposés sur sa tombe, à son enterrement dimanche. Mais une société d'horticulture néerlandaise a donné son nom de clan --affectueusement adopté par la majorité des Sud-Africains et désormais mondialement connu--, à une série de petits chrysanthèmes de sa conception, blancs, crèmes, jaunes, pourpres, rouges ou roses, en 2005.
On trouve aussi dans les parcs sud-africains un protéa Madiba (Protea cynaroides), de la série la plus noble des "king proteas": sa fleur rouge vif éclot entre août et octobre.
Le jardin botanique de Kirstenbosch, au Cap, a également dédié au premier président noir du pays une variété de strelitzia (ou oiseau de paradis) jaune en 1994, l'année de son élection, le "Mandela's Gold".
Des chercheurs de l'université britannique de Leeds avaient déjà honoré Mandela en baptisant une particule nucléaire à son nom en 1973, alors qu'il croupissait sur l'île-bagne de Robben Island depuis déjà dix ans. Mais leur découverte n'en était pas une, car leur matériel était défectueux.
Après cet épisode scientifique, Leeds a à nouveau célébré Nelson Mandela en 2001. A peine arrivé pour la réouverture d'un parc public portant son nom, il y a lancé aux 5.000 personnes venues l'applaudir à quel point il était heureux d'être à... Liverpool. Agé à l'époque de 82 ans, il a remercié le "peuple de Liverpool" de l'avoir fait citoyen d'honneur de "cette ville renommée", mais éloignée de 120 kilomètres de Leeds.
Ancienne puissance coloniale, le Royaume-Uni a très tôt contribué à cette prolifération d'hommages à Mandela, notamment pour soutenir la lutte anti-apartheid et s'opposer à la complaisance du Premier ministre Margaret Thatcher envers le régime ségrégationniste blanc. Une statue lui a finalement été élevée en 2007 devant le Parlement, à Londres.
Favela Mandela
Ailleurs à l'étranger aussi, on ne compte plus les rues, stades et jardins à son nom, de Bamako à une favela pauvre de Rio de Janeiro. Sans oublier l'aéroport international de Praia au Cap Vert.
A Georgetown, capitale du Guyana, l'avenue Nelson Mandela mène depuis plusieurs années à une "décharge Mandela", qui brûle régulièrement, incommodant les riverains.
Et ce n'est pas fini. Le futur jardin des Halles, au centre de Paris, s'appellera Mandela. Tout comme la place du château royal de Berlin, qui doit être reconstruit d'ici 2019.
En Afrique du Sud --où la plupart de ses logements successifs sont devenus des musées--, de très nombreuses avenues ont déjà été rebaptisées à son nom depuis que l'ANC, son parti, est arrivé au pouvoir en 1994. Mandela a un bout d'autoroute au Cap, un pont suspendu à Johannesburg...
A Pretoria, le cortège funèbre transportant sa dépouille jusqu'à l'amphithéâtre Nelson Mandela à la présidence a emprunté la rue Madiba, croisant l'avenue Nelson Mandela.
L'agglomération de Port Elizabeth (sud) est même devenue Nelson Mandela Bay, siège de l'Université Nelson Mandela. Une quinzaine de townships s'appellent aussi Mandela dans tout le pays.
En Italie, un village de 900 habitants situé à 50 km de Rome s'appelle Mandela, mais son nom était déjà cité par le poète Horace --qui avait une villa à proximité-- dans ses Epîtres, en 19 avant JC: "Pour moi, toutes les fois que je me repose sur les bords de la Digence, ce frais ruisseau qui abreuve le bourg de Mandela, où le froid est toujours si vif, que penses-tu, ami, que je sente et que je désire?"
MANDELA: LE "FAUX INTERPRETE" EN LANGUE DES SIGNES PLAIDE LA SCHIZOPHRÉNIE
JOHANNESBURG, 12 déc 2013 (AFP) - L'interprète en langue des signes de l'hommage à Nelson Mandela, qui a gesticulé de manière incohérente pendant toute la cérémonie, a tenté de défendre son honneur professionnel jeudi, affirmant avoir eu un accès de schizophrénie lié au stress.
Thamsanqa Jantjie aurait soudain été incapable de se concentrer mardi et aurait entendu des voix tout en étant incapable de quitter la tribune.
"Il n'y avait rien à faire. J'étais seul dans une situation dangereuse. J'ai essayé de me contrôler et de ne pas montrer au reste du monde ce qui m'arrivait. Je suis vraiment désolé, c'est la situation dans laquelle je me suis retrouvé", a déclaré Thamsanqa Jantjie au quotidien The Star.
"La vie est injuste. Ceux qui ne comprennent pas cette maladie vont penser que c'est une fausse excuse", a-t-il dit en affirmant suivre un traitement contre la schizophrénie.
Une version peu crédible selon Bruno Druchen, directeur de la principale association de sourds sud-africains Deaf SA, qui a expliqué sur le plateau de la télévision d'information eNCA que le parti au pouvoir, l'ANC, avait reçu un rapport sur ce prétendu interprète dont les piètres prestations avaient été remarquées lors d'événéments organisés par l'ANC, notamment le centenaire du parti de Nelson Mandela.
"Ca a été un choc et une surprise quand on l'a vu à la cérémonie d'hommage", a-t-il dit. Près d'une centaine de dirigeants du monde entier assistaient à la cérémonie au stade de Soweto, retransmise en direct sur les télévisions du globe, et M. Jantjie se tenait à côté de tous les orateurs, des petits-enfants de Nelson Mandela au président américain Barack Obama, en passant par le vice-président chinois Li Yuanchao.
LE CERCUEIL DE MANDELA ARRIVE A LA PRESIDENCE A PRETORIA POUR Y ETRE EXPOSE
PRETORIA, 12 déc 2013 (AFP) - Le cercueil de Nelson Mandela est arrivé jeudi peu avant 08H00 (06H00 GMT) à l'Union Building, siège de la présidence à Pretoria, pour un dernier hommage de la foule.
Le corps du premier président noir du pays y a été accueilli par l'hymne national, en présence de Mandla, l'aîné de ses petits enfants, puis amené sur le podium où il sera exposé.
Il avait auparavant été transporté à travers la capitale sud-africaine pendant une demi-heure jusqu'à l'Union Buildings, où le public pourra s'incliner devant lui jusqu'à 17H30 (15H30 GMT).
Pour la première fois depuis le décès jeudi 5 décembre du père de la démocratie sud-africaine, des milliers d'anonymes sont venus le voir mercredi, saisis d'émotion pour la plupart.
Les traits reposés, figé pour l'éternité, Nelson Mandela gisait en un cercueil au couvercle de verre. La dépouille du héros de la lutte anti-apartheid sera à nouveau exposée dans la cour de la présidence vendredi, après avoir été une nouvelle fois transportée à travers Pretoria depuis l'hôpital militaire où elle est conservée.
Elle sera transférée samedi dans le Cap oriental (sud-est), la province natale du grand homme, avant l'inhumation dimanche à Qunu, le village de son enfance.
«COURAGE, CONSTANCE, PATIENCE ET PARDON ONT ETE LES VERTUS CARDINALES DE MANDELA»
Après l’ultime hommage que lui ont rendu les plus hautes autorités du monde hier à Soweto, l’ambassadeur de l’Afrique du Sud au Sénégal a tenu lui aussi à encenser la gloire de Madiba.
Cheveux gris à l’image d’un sage vieillard, sourire aux lèvres sur un visage radieux. C’est cette image de Madiba qui a été exposée hier au grand théâtre. L’ambassadeur Sud Africain au Sénégal, Abel Mxolisi Shilubane, a convié certaines autorités au Grand théâtre pour rendre un dernier hommage à Nelson Mandela. Le ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche qui représentait le gouvernement a soutenu que l’humanité vient de perdre son plus digne fils.
Pour lui, nous sommes tous autant que nous sommes des porteurs de son héritage et nous devons en être dignes. Et qu’après cette si grande perte, nous devons nous poser ces question : serons nous capables d’être les dignes successeurs de Mandela ? Pensons nous agir dans un sens qu’il ne désapprouverait pas ? Avons-nous la certitude que nous faisons l’effort de nous conformer à ses nobles attitudes en acceptant pour les autres ce que nous réclamons pour nous même ?» D’après Mary Teuw Niane, Mandela est le modèle type qu’il faut à nos dirigeants actuels.
Le secrétaire général du ministère des Affaires étrangères, Amadou Kébé a évoqué les liens particuliers qui le lient à l’Afrique du sud. Il a été le premier diplomate sénégalais à s’installer au pays de Mandela. «J’ai passé quatre jours en compagnie de Nelson Mandela, ce qui m’a donné la chance de découvrir tant soit peu d’innombrables qualités de Madiba», affirme t-il.
Embouchant la même trompette, avec un air nostalgique comme pour se remémorer ces moments, Djibo Leyti Ka dit avoir vu en Mandela, dès leur première rencontre un homme de haute dimension. «Quand je suis allé à Soweto en Mars 93, nous avons dîné ensemble. Je me suis automatiquement rendu compte que c’est un homme exceptionnel. Je n’ai jamais vu un homme aussi humble que lui», a-t-il affirmé. «Courage, constance, patience et pardon sont ainsi les nobles valeurs que le père de la Nation sud africaine a laissées à l’humanité entière en guise d’héritage», conclut Djibo Ka.
Alioune Badara Beye pense quant à lui que le parcours de ce valeureux homme servira de torche d’espoir à la jeunesse de toute l’humanité. Visiblement très ému par tous ces témoignages à l’endroit de Madiba, l’ambassadeur de l’Afrique du Sud, Abel Mxolisi Shilubane, a invité le public à observer cette photo de Mandela à laquelle il attribue des vertus thérapeutiques.
PARIS, 11 déc 2013 (AFP) - Les photographes professionnels qui ont immortalisé Nelson Mandela décrivent un homme providentiel, simple et généreux qui a fortement marqué leur carrière, bien loin de l'image inaccessible attachée à son statut d'"icône mondiale".
Lorsqu'en juillet 1993, Raymond Depardon se retrouve face à lui "par un heureux hasard", il est tellement impressionné qu'il choisit de le filmer pendant une minute en silence.
"J'étais seul à Johannesburg pour un film que je faisais sur l'Afrique grâce à une bourse (...) et j'ai croisé quelqu'un, journaliste à Vogue, qui cherchait un photographe pour photographier Mandela. J'ai accepté à condition de pouvoir le filmer. Je me suis retrouvé le lendemain face à lui dans un appartement de Johannesburg", raconte à l'AFP le photographe de l'agence Magnum.
"Et j'ai filmé une minute de silence. C'était un symbole incroyablement fort, par sa présence, son sacrifice, sa rigueur... Je me disais que le meilleur hommage que je pouvais lui rendre était de le filmer sans parole", ajoute-t-il.
"Je savais que c'était un combattant d'une générosité incroyable et l'homme providentiel qui était en train de réussir quelque chose que nous avions raté avec l'Algérie: la réconciliation", a poursuivi le photographe, évoquant "un homme de très grande taille, comme le général de Gaulle mais qui se défendait d'être une icône ou un prophète".
"C'est lui qui a interrompu cette minute de silence par un +well, well+.Il a été d'une simplicité incroyable comme s'il devinait au-delà de la parole. Il m'a vu, il savait que j'étais français et que je parlais mal anglais et il a vu aussi quelqu'un qui était en Afrique et essayait de tisser des liens avec ce continent. J'avais l'impression qu'il allait me remercier à chaque instant. Il m'a porté chance... Je dois beaucoup à l'Afrique, à son épure, à sa simplicité", ajoute-t-il.
"J'ai mis cinq mois à faire mon film (sur l'Afrique) et je me suis dit que Mandela était le symbole de quelque chose de nouveau. On pourrait refaire l'itinéraire aujourd'hui et ce serait dans des conditions qui n'ont rien à voir, dans des pays aujourd'hui pacifiés et quelque part c'est grâce à la générosité de Mandela".
Simplicité
Alexander Joe, photographe de l'AFP, fait partie de ceux qui ont photographié les premiers pas d'homme libre de Nelson Mandela à sa sortie de la prison de Pollsmor dans la banlieue du Cap, après plus de 27 ans dans les geôles de l'apartheid. "Je me souviens de son sourire.
Cet étrange sourire. J'ai l'impression que Mandela hypnotise la foule mais c'est aussi la foule qui l'hypnotise", raconte-t-il, se souvenant d'une foule "en transe", composée de "gens de couleur" mais aussi "de blancs" venus acclamer celui que "presque tout le monde considère comme la force morale qui vaincra l'apartheid", ce 11 février 1990.
"Le voilà! Tout droit sorti de l'obscurité de son cachot pour apporter au peuple l'espoir. Un gigantesque espoir (...). Je m'étais dit que jamais de mon vivant je ne verrais cela", ajoute Alexander Joe, originaire du Zimbabwe où il dit avoir connu aussi "l'horreur de l'apartheid" et qui était autorisé pour la première fois de sa vie à se rendre en Afrique du sud, où il s'est installé.
Photographe de l'agence Magnum, Abbas n'a rencontré Nelson Mandela qu'à partir de 1998. Il a été frappé lui aussi par "son sourire communicatif", mais plus encore "par sa grande simplicité sur un continent, l'Afrique, où en général, avec les chefs d'Etat, le protocole est très lourd".
"Plus qu'un vrai charisme, il se dégageait de lui une grande bienveillance, dans la façon dont il se comportait avec son entourage", en parcourant une série de photos datées de 1999 au Cap.
"Comme lorsqu'il ouvre les bras dans sa chemise décontractée sur le perron de la présidence avec l'ex-chancelier autrichien Viktor Klima, ou qu'il pose son bras sur les épaules de Thabo Mbeki", son dauphin devenu vice-président d'Afrique du Sud tandis que lui-même était porté à la présidence.
"J'avais travaillé sur l'apartheid en 1978 et je m'attendais à une explosion. Nelson Mandela a changé le destin de son pays", ajoute-t-il.
SOWETO (Afrique du Sud), 10 déc 2013 (AFP) - Le discours de Barack Obama a marqué les esprits lors de l'hommage rendu à Nelson Mandela mardi, mais dans les tribunes du stade de Soweto, le "selfie" (autoportrait) du président américain en compagnie des Premiers ministres danois et britannique a bien plus agité les réseaux sociaux.
Le photographe de l'AFP Roberto Schmidt a en effet capturé l'instant où, dans les tribunes, la première ministre danoise, Helle Thorning Schmidt, entourée de David Cameron et Barack Obama, tend son smartphone à bout de bras et s'apprête à prendre un "selfie" en compagnie des deux hommes, tout sourires.
Les "selfies" -pour "selfportrait", autoportrait en anglais- se comptent par dizaines de millions sur Facebook, Instagram ou Twitter où ils sont notamment postés par les stars. Un phénomène qui a pris tellement d'ampleur que les très sérieux dictionnaires britanniques Oxford ont élu "selfie" mot de l'année 2013.
Une fois diffusée par l'AFP, la photo de cet instant inattendu dans un moment aussi solennel a immédiatement été abondamment diffusée par de grands médias (BBC News, NBC News, USA Today, Huffington Post, Daily Mail, Buzz Feed, Le Monde...), partagée et commentée sur les réseaux sociaux, et tout particulièrement sur Twitter.
La Maison Blanche n'a pas réagi et Downing street à Londres a déclaré ne pas avoir de commentaire à ce sujet. Le photographe de l'AFP, Roberto Schmidt, explique qu'il était "intéressant de voir des politiques sous une lumière humaine, car d'habitude lorsque nous les voyons c'est dans un cadre contrôlé".
"Peut-être, dit-il, que cela n'aurait pas pris autant d'importance si nous, en tant que médias, avions la possibilité d'accéder davantage aux dignitaires et d'être en mesure de montrer qu'ils sont des êtres humains comme nous tous".
L'hommage rendu à Nelson Mandela dans le stade de Soweto était "dédié à une personne exceptionnelle. L'équipe de l'AFP a travaillé dur pour montrer les réactions du peuple sud-africain après la mort de celui que la plupart considèrent comme leur père".
"Nous avons fait, poursuit le photographe de l'AFP, environ 500 photos, essayant de saisir leurs vrais sentiments, et cette image apparement triviale a assombri tout le reste. Je pense qu'il s'agit d'une triste réflexion sur comment parfois nous nous concentrons, en tant que société sur des choses triviales du quotidien".
Les nombreuses réactions ont oscillé entre critique, consternation -sur le mode comment de grands dirigeants peuvent-ils s'abaisser à agir comme des adolescents un jour pareil?-, amusement ou ironie.
"Il devrait y avoir un moratoire sur les +selfies+ durant les cérémonies d'hommage et les funérailles, non?", s'est notamment interrogé @JeffryHalverson. "Est-ce le plus important selfie de 2013 ?", a également demandé BuzzFeed.
De nombreuses personnes ont notamment remarqué que sur le même cliché, Michelle Obama, un peu en retrait à gauche de son époux, demeure parfaitement droite et sérieuse, dans une posture beaucoup plus attendue un jour d'hommage à l'un des plus grands hommes du XXe siècle.
Quant au "selfie" en lui-même, personne ne savait encore en fin d'après-midi si la première ministre danoise allait le poster sur sa page Facebook, où elle poste régulièrement des photos, ou si celui-ci allait demeurer dans sa collection privée. La photo de Roberto Schmidt est notamment visible sur le Tumblr de l'AFP:
L'ANC A MANQUÉ UNE CHANCE DE PROFITER DE "L'EFFET MANDELA"
JOHANNESBURG, 11 déc 2013 (AFP) - L'ANC, le parti au pouvoir en Afrique du Sud, espérait bien recueillir quelques miettes de l'amour populaire pour Nelson Mandela. Au contraire, la semaine de deuil entamée dimanche souligne, parfois cruellement, combien les actuels dirigeants sont considérés par beaucoup comme indignes de l'héritage du père de la démocratie nationale.
La colère populaire a été particulièrement visible, et embarrassante pour le pouvoir, pendant la cérémonie d'hommage au stade de Soweto: la foule a hué à plusieurs reprises le chef de l'État, Jacob Zuma, lui aussi prisonnier politique avec Mandela sur l'île de Robben Island sous l'apartheid.
Car pour ces dirigeants trop souvent accusés d'incompétence, voire de corruption par le peuple, la comparaison avec un Mandela désormais idéalisé est très difficile à soutenir.
"Les membres de l'ANC comparent la personne de Mandela, l'héritage de Mandela, l'ANC sous Mandela... et la situation présente sous le président Zuma", note le politologue Daniel Silke, du Cap.
Et la comparaison est loin d'être favorable. A la veille de la mort de l'icône, les journaux du pays faisaient leur Une sur des abus de pouvoir ou de détournement de fonds concernant une ministre que le président Zuma n'a toujours pas limogée et une autre, débarquée lors du dernier remaniement.
"La mort de Mandela a mis en évidence la différence entre l'ancien ANC et ce qu'il est devenu, un parti de factions, divisé, plombé par des querelles intestines et des accusations répétées de corruption, dans lesquels le président Zuma est souvent impliqué", précise M. Silke.
L'ANC a pris le pouvoir en 1994, avec Mandela à sa tête, après les premières élections démocratiques de l'après-apartheid. Il a remporté tous les scrutins nationaux depuis, et reste largement favori des élections générales d'avril prochain.
Mais les scandales, les inégalités persistantes, la pauvreté, les problèmes de logement et de salubrité des bidonvilles pèsent lourd dans son bilan.
Les Sud-Africains, disent les analystes, devraient encore porter au pouvoir le "parti de la libération" pendant quelques années. Mais ce crédit historique finira par s'épuiser, si l'intégrité des dirigeants est sujette à caution.
L'ANC a culminé à près de 70% des suffrages en 2004, avant de redescendre à presque 66% en 2009. Les analystes disent que le but caché du parti est de limiter la chute autour de 60% en 2014 même si officiellement M. Zuma vise les 70%.
Car si le score devait être inférieur, l'électorat commencerait, selon les commentateurs, à envisager la possibilité d'une alternance, et le pouvoir de l'ANC serait alors franchement menacé à l'horizon 2019. Il l'est déjà au niveau provincial depuis qu'Alliance
Démocratique a ravi la province du Cap occidental en 2009. La mémoire de Mandela, dans ce contexte, reste l'un des meilleurs arguments électoraux de l'ANC.
Pour rendre hommage au grand homme, le parti a organisé ses propres célébrations, en marge des funérailles d'État. Lors de l'un de ces rassemblements au Cap, les militants portaient un T-shirt proclamant: "Faites le pour Mandela.
Votez ANC". Et le numéro deux du parti, Cyril Ramaphosa, qui a appelé mardi_ à prier pour l'âme de Mandela, n'a pas hésité à dire: "Nous prions aussi pour son organisation, l'ANC". Pour Adam Habib, professeur à l'université de Witwatersrand à Johannesburg, cette tactique n'est pas une surprise.
L'ANC, dit-il, "essaye de jouer sur les sentiments et d'utiliser à son profit la "magie Madiba" dans le combat électoral". Le politologue Daniel Silke pense lui aussi que l'ANC va essayer de capitaliser sur le décès de son ancien président: "La mort de Mandela a revitalisé l'ANC dans la mémoire des Sud-Africains, et cela va peut-être aider à sécuriser des votes", estime-t-il.
Jeremy Sampson, expert en marketing, estime au contraire que "Mandela est beaucoup plus grand que l'ANC" et que la reconnaissance immense que ressentent quasiment tous les Sud-Africains, ne se traduira pas forcément par un choix politique.
"C'est vrai, il a été fier d'être membre de ce parti pendant bien des années, mais ce parti n'est plus le même que celui dont il a été membre, il a changé de façon spectaculaire", souligne M. Sampson.
L'ancien président Thabo Mbeki, qui succéda à Mandela en 1999, a mis dimanche ses camarades de l'ANC au défi de se hisser à la hauteur des exigences du grand lutteur Nelson Mandela.