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21 avril 2025
Opinions
par l'éditorialiste de seneplus, alymana Bathily
LA PART DES JOURNALISTES DANS LOI SUR LA PROTECTION DES LANCEURS D’ALERTE
EXCLUSIF SENEPLUS - L'élaboration de la la législation au Sénégal représente un délicat exercice d'équilibre appelant à s'inspirer à la fois des bonnes pratiques étrangères et d'un modèle collaboratif entre lanceurs d'alerte et médias
Alymana Bathily de SenePlus |
Publication 17/07/2024
Le président Bassirou Diomaye Diakhar Faye nous l’a annoncé dès son premier discours à la nation du 3 avril 2024 : " j’engagerai sans tarder une politique hardie de bonne gouvernance économique et financière par la lutte sans répit contre la corruption, la répression pénale de la fraude fiscale et des flux financiers illicites, la protection des lanceurs d’alertes, la lutte contre le détournement de deniers publics et le blanchiment d’argent… ".
Le chef de l’Etat revenait ensuite sur le sujet en Conseil des ministres le 17 avril 2024, demandant au ministre de la Justice de finaliser avant le 15 mai 2024 un projet de loi sur la protection des lanceurs d’alerte.
Une loi portant statut et protection des lanceurs d’alerte
Le président de la République du Sénégal est donc clairement engagé sur le sujet, il ne reste plus qu’à en assurer la mise en œuvre.
Il faut d’abord bien entendu, formuler et adopter une loi exhaustive, comprenant « une définition claire du statut de lanceur d’alerte » et de « son champ d’actions », « des canaux de signalement sécurisés et confidentiels », « des procédures claires de signalement des activités illégales et contraires à l’intérêt général » ainsi que l’indique Jimmy Kandé, directeur de la Plateforme pour la protection des lanceurs d’alerte en Afrique francophone (PPLAAF).
Il ajoute qu’il est indispensable que la loi soit précise « pour que les gens ne puissent pas faire des dénonciations à l’emporte-pièce... »
Quant à Jean-Jacques Lumumba, banquier et lanceur d'alerte congolais à l'origine des Lumumba Papers mettant en cause son ancien employeur et l'entourage de l'ancien président Joseph Kabila, « il souhaite que la loi protège "des gens comme moi qui travaillent à dénoncer des faits qui détruisent des sociétés …"
Les bonnes pratiques internationales
Le législateur sénégalais pourra s’inspirer de nombre de bonnes pratiques à travers le monde.
Il s’agit notamment de celle des Etats-Unis où la pratique du lanceur d’alerte (whistleblower) est née avec la diffusion en 1972 de documents secrets sur la guerre du Vietnam (les Pentagon Papers) par Daniel Ellsberg à travers le Washington Post et le New York Times.
La Cour suprême des Etats-Unis reconnut la prééminence de la loi sur la liberté d’information sur les accusations d’espionnage du gouvernement. On dit plus tard que la publication des Pentagon Papers aura été déterminante pour le développement du mouvement pacifiste qui contribuera à la fin de la guerre.
Elle conduisit à la reconnaissance et à l’encadrement légal de l’activité du lancement d’alerte par l’Etat pour la première fois.
En 1986, le Congrès américain adopta des dispositions spécifiques pour assurer la protection des lanceurs d’alerte en prévoyant notamment des compensations, des remboursements avec intérêts et éventuellement des paiements de dommages et intérêts pour des lanceurs d’alerte qui auraient été indument suspendus de leurs emplois ou licenciés.
En Europe, la directive (UE) 2019/1937 dite « sur la protection des personnes qui signalent des violations du droit de l’Union Européenne » définit son objet, délimite son champ d’application et propose des règles et procédures.
En France, la loi « Sapin 2 » de 2016 concernant « la transparence, la lutte contre la corruption et la modernisation de la vie économique » qui assurait déjà la protection des lanceurs d’alerte, a été renforcée par la Loi du 21 mars 2022 « visant à améliorer la protection des lanceurs d’alerte »
Le rôle des journalistes dans le lancement lanceurs d’alerte
Le lancement d’alerte comporte un biais : celui de la validité de l’information lancée.
A l’heure des médias sociaux avec la recherche effrénée du « clic » et de « l’influence », de la prolifération de la désinformation et même de la manipulation délibérée des opinions, il est indispensable de recouper et de vérifier l’information des lanceurs d’alerte. D’autant que ceux-ci sont le plus souvent non pas des journalistes mais des citoyens ordinaires.
Il est donc recommandé de s’organiser pour vérifier l’allégation ou l’information que détient le lanceur d’alerte avant de la diffuser. On pourrait pour ce faire se référer au modèle établi par Wikileaks.
Quand en 2010 le lanceur d’alerte (le soldat Chelsea Manning) a fourni à Wikileaks 250 000 documents militaires portant sur les guerres américaines contre l’Irak et contre l’Afghanistan et de centaines de milliers d’autres rapports de guerre, des télégrammes et correspondances des agences d’espionnage, c’est à 5 titres de presse écrite « mainstream » de pays différents : The New York Times (USA), The Guardian (Grande Bretagne), Der Spiegel (Allemagne), El Pais (Espagne) et Le Monde (France) que Julian Assange a livré ces documents.
Les journalistes de ces 5 quotidiens partenaires ont mis en place un consortium de 120 journalistes et ont d’abord sélectionné les documents qui leur semblaient contenir de vraies informations puis les ont « expurgé » (notamment de noms d’individus susceptibles d’être mis en danger) avant de les envoyer à Wikileaks pour publication et de les diffuser eux-mêmes.
Des 250 000 documents, ils n’auront retenu pour publication que 1 897. C’est du fait de ce traitement que ni Wikileaks ni aucun des 5 journaux n’a pu être poursuivi pour diffusion de fausses nouvelles.
C’est pour « atteinte à la sureté de l’État », « atteinte aux efforts diplomatiques et aux relations des USA à travers le monde » que le ministère de la Justice américain a cru pouvoir poursuivre et traquer Julian Assange pendant 14 ans, avant de se résoudre à abandonner ces accusations.
Le modèle de collaboration lanceur d’alerte et journalistes au Sénégal
Le modèle Wikileaks de collaboration entre lanceurs d’alerte et journalistes a fait école. Il a été ainsi mis en œuvre notamment pour les Panama Papers et pour les Swiss Leaks.
On devrait l’adopter au Sénégal. La Plateforme pour la protection des lanceurs d’alerte en Afrique francophone (PPLAAF) comme elle le propose d’ailleurs déja, serait le réceptacle initial de toutes les alertes. À charge pour elle, en association avec des journalistes d’organes divers et de fact-checking, de les vérifier et valider avant publication.
Par Mamadou NDIAYE
HUMILITE
Notre pays souffre de bavardages et de spéculations. Et s’il apprenait à se taire pour mieux se consacrer au travail ? Le Sénégal cesserait alors d’être lui-même ! A côté de nos passions anciennes, l’esprit de sérieux peut-il nous habiter durablement ?
Notre pays souffre de bavardages et de spéculations. Et s’il apprenait à se taire pour mieux se consacrer au travail ? Le Sénégal cesserait alors d’être lui-même ! A côté de nos passions anciennes, l’esprit de sérieux peut-il nous habiter durablement ? Il semble que oui. Tant mieux.
Vers qui ou quoi nous tourner maintenant pour ne plus subir des avanies ? Vaste question qui risque encore de nous replonger dans la parlotte. Le serpent qui se mord la queue…
Pour nous éloigner de ce symbole d’autodestruction, mieux vaut réprimer en nous nos travers et nous résoudre une bonne fois pour toute à progresser. Car le progrès apporte la paix, dissipe les malentendus et nous réconcilie avec l’effort, seul moyen de redonner au travail sa vraie valeur.
Est-ce le début de la fin de l’oisiveté, de l’inactivité, de l’indolence, ou du désœuvrement ? Un moment, lorsque le pointage et le contrôle de présence ont refait surface dans les administrations, les grandes villes ont paru vidées de leurs populations.
Les moins incrédules s’interrogeaient : qu’est-ce qui se passe ? Certains ont cru même à des jours fériés tant la circulation est soudain redevenue fluide, avec moins d’embouteillages, moins de nuisances sonores.
Sourire en coin, les Dakarois, pour ne prendre que le cas de la capitale, retrouvent les voies piétonnes et savourent le plaisir de déambuler aisément, de flâner, de badauder, en un mot de… perdre leur temps ! On respire mieux. Cette quête de mieux-être a été perçue comme un avantage comparatif, synonyme de vie meilleure, de qualité de vie accrue.
Nul doute que la vie en société s’organise, s’ordonne et se planifie. Bien entendu rien ne se fait ou ne doit se faire sans l’adhésion du grand nombre. Ils ont leur mot à dire dès lors qu’ils sont les principaux bénéficiaires, parce que les usagers finaux des grandes infrastructures édifiées !
Après tout, satisfaire les attentes des citoyens relève d’un art consommé. Prendre en considération les avis, fussent-ils divergents, permet ainsi d’avancer sans heurt, de réduire les angles d’incertitude et de surmonter les obstacles aux termes de fructueuses délibérations.
A défaut de purger les crises, elles les atténuent tout de même. Car la vie en société est faite de concessions et de compromis pour atteindre par consensus des objectifs avantageux. Le secret : impliquer les populations dans la gestion de leur quotidien.
Sous ce rapport, il serait plus aisé de comprendre l’aspiration des Sénégalais à une vie qualitativement élevée. Ils l’ont exprimée de fort belle manière par les urnes en sanctionnant au mois d’avril passé des options politiques qui ne correspondaient plus à leur bon vouloir.
Par ce changement de majorité, ils ont nettement affiché leur ardent désir de vivre autrement. Ils flétrissent l’arrogance. Ils plébiscitent le réalisme et veulent être gouvernés sans ostentation, ni gourmandise.
A leurs yeux, la gouvernance doit se parer de sobriété, de sérieux et surtout d’authenticité pour emporter leur conviction. Nos compatriotes plébiscitent le naturel chez l’homme politique. Ceux qui l’ont compris s’alignent sur ces standards et tentent de ressembler aux gens de leur univers de représentation.
Face à la presse samedi dernier, à une partie de la presse pour être précis, le Président de la République, Bassirou Diomaye Fraye a rompu le silence qu’il observait pour lever un coin de voile sur sa vision, sa politique, sa doctrine, sa méthode.
Il donne l’air de ne pas être grisé par le pouvoir et sa luminescence. D’ailleurs, en arrivant au sommet de l’Etat, lui et son Premier ministre, Ousmane Sonko, ont l’opportunité de donner vie à leur idéal politique. L’attachement presque viscéral à son terroir de Ndiaganiao, prédispose Diomaye à un réel enracinement qui ôte toute prétention à son discours.
L’homme n’est pas hors sol. Son franc-parler convient à ses compatriotes, attentifs aux moindres faits et gestes. Le Président ne brise pas les codes, du moins pas pour le moment. Il les adapte à son rythme en les ajustant non sans habileté à son tempérament.
En outrer, il a le sens de l’étape. Et ne confond pas les circonstances et les conjonctures. Son entretien avec les confrères a révélé une part substantielle de son caractère, ferme, farouche, pas ombrageux, un amour-propre développé qui se dissimule dans une fugace simplicité dans son commerce avec les hommes.
Par ailleurs, le jeune président dégage une impression de maîtrise de soi devant les grandes difficultés grâce au calme et à l’agilité d’esprit qui le caractérisent et qu’il atténue par ce sourire qui ne le quitte pas. Une arme de séduction massive pour forcer la sympathie ?
Il recentre l’intérêt croissant qu’accordent les observateurs au duo formé avec son «ami » et camarade Ousmane Sonko. En cheminant ensemble, mais surtout en partageant « les misères de l‘opposition », ils se sont davantage rapprochés pour développer de déroutantes complicités.
Pour les esprits retors, ce duo finira, un jour, par un duel sans merci. La prédiction fait sourire le Président qui ne laisse pas faire le hasard. D’ailleurs, n’a-t-il pas écarté de son chemin ceux qui sont à la recherche du « quart d’heure de célébrité !»
Des entourages mieux structurés, adroits et forts seraient des boucliers d’Achille pour neutraliser les courtisans indélicats. L’argument de l’amitié avancé par le Président pour justifier sa proximité avec Ousmane Sonko à la tête de l’exécutif hérisse quelque peu les cheveux. Les responsabilités passent avant les convenances.
Certes l’un et l’autre en savent long sur eux-mêmes. Leurs affinités sont accentuées par des relents familiaux très poussés. Ils sont matures pour faire montre de prudence (de sioux) et dissocier effusions et vertus, surtout à de si hautes fonctions qui ne s’embarrassent guère de scrupules.
Ils apprennent vite également des situations pour engranger des expériences inédites. Néanmoins l’humilité doit être un bréviaire chez eux en comparant leur parcours exceptionnel à ceux d’autres hommes d’envergures mais moins chanceux ou moins avantagés. Le temps vaincra les inepties. Et les vanités ?
Après tout ce sont des hommes de devoir malgré leur jeune âge. Le choix porté sur le sémillant Abdoulaye Bathily pour incarner l’envoyé spécial du Président de la République paraît si judicieux qu’il dénote une claire perception des réalités qui nous environnent.
Diplomate chevronné, l’ancien ministre et ex-dirigeant de la gauche sénégalaise, détient un précieux carnet d’adresse en Afrique qu’il sillonne à longueur d’année. Sa connaissance de la sous-région et son leadership sur bien des générations au pouvoir et dans l’opposition pourraient l’avantager dans les délicates missions qu’il aura à conduire prochainement.
En revanche, l’économie sénégalaise n’est pas flamboyante même si l’embellie s’annonce avec la perspective d’exploitation du gaz et du pétrole. Cela postule un profond changement de paradigmes, ossature de notre modèle économique. Un gros effort en vue, intense de surcroît, à déployer pour redonner au travail ses vertus rédemptrices dans u Sénégal moins loquace mais plus efficace.
Par Mamadou MBODJI
ON L’A ECHAPPÉ BELLE SOUS MACKY SALL
Dictature dites-vous ? Aujourd’hui, bien des aspects de la symbolisation sociale ont disparu ou perdu de leur fonctionnalité ou efficacité symbolique dans nos sociétés
Aujourd’hui, bien des aspects de la symbolisation sociale ont disparu ou perdu de leur fonctionnalité ou efficacité symbolique dans nos sociétés ! Mais la violence humaine n’est pas une fatalité ! Il y a des schémas à interpeler, à interroger et peut-être à déconstruire !
En revisitant les rapports sociaux entre hommes et femmes, parents et enfants, adultes et enfants, individu et pouvoir, individu et argent, le fonctionnement et la fonctionnalité des institutions de l’Etat, le système judiciaire, les mécanismes culturels de gestion des émotions, la liberté d’expression, la sécurité des individus, etc.
Notre pays est un pays de violence et souvent de violence inouïe les exemples ne manquent hélas pas !
Elle s’exerce directement sans son enveloppe ni sa teneur symbolique ! Elle est crûe, brute, implacable, quasiment sauvage et ingérable, parce que dépourvue de codes et de finalité régulatrice.
La violence est dans toutes les concessions, dans chaque quartier, chaque coin de rue, dans les transports en commun, en voiture, que vous soyez au volant ou comme simple passager, elle est devant chez vous, au marché, à la sortie des banques, dans les lieux de culte et même dans les lieux de sépulture, sans oublier la violence des défaillances des autorités publiques ! Aucun espace de vie n’est épargné !
En gros, les éléments de légitimation de bien des violences mais également d’amortissement de leurs effets ont disparu ou manquent de prégnance, de fonctionnalité et d’opérationnalité dans notre pays. Les transmissions ne s’effectuent plus convenablement. La pensée symbolique comme modalité interne de représentation, de lecture, de décryptage et de vision du monde qui nous entoure semble brouillée, déconnectée !
Les rites indispensables, jusqu’à présent destinés à alimenter et dynamiser les mémoires, à humaniser la pensée et l’imaginaire collectifs et individuels et susceptibles de servir de garde-fou et de guide à l’action sociale, ont déserté l’univers social et culturel.
On ne dispose plus dans l’interaction sociale de filtre, de lexique d’encodage ni de décodage ni de décryptage ! On navigue quotidiennement sans boussole, sans amortisseur, sans frein, les yeux comme bandés, chacun étant mû par le souci de jouissance et de jouissance tout de suite et maintenant, dans une société où pour quasiment l‘essentiel des populations, Demain, c’est aujourd’hui !
Devant la faillite des institutions étatiques c’est souvent par de violentes réactions collectives, populaires, généralement réprimées dans le sang par le pouvoir en face, que les populations essaient et parviennent parfois à chasser du pouvoir les fossoyeurs de l’Etat et de la société ! Les exemples ne manquent pas dans la sousrégion ! Avec des résultats souvent aux antipodes des objectifs visés.
Mais au Sénégal, nous avons opposé une farouche résistance populaire au monstre autocrate, qui était aux commandes de ce pays et qui déroulait son embryon de dictature comme un rouleau compresseur réprimant toute contestation, toute opposition et toute voix discordante, manœuvrant matin, midi et soir pour rester encore au pouvoir.
Le Sénégal n’est pas Haïti !
Mais le Sénégal d’aujourd’hui n’est pas Haïti d’hier ! Nous y sommes allés par les bonnes et belles manières démocratiques de la voie des urnes ! Et avec beaucoup d’élégance et de détermination, de fermeté et de raffinement, mais « nak » sans « Ndiek ni teguin » ! Et le mutant a été mis à terre, déchu.
Aujourd’hui, il continuerait de manœuvrer à distance loin du pays pour -selon certaines indiscrétions- mettre des bâtons dans les roues au nouveau régime. On lui prêterait même le funeste et suicidaire projet d’œuvrer pour revenir lors des prochaines échéances électorales présidentielles aux affaires. Un homme qui avait il n’y a pas longtemps solennellement déclaré qu’il n’avait pas l’intention de briguer un 3ème mandat. Manifestement il n’était pas préparé à l’idée de partir, il ne pensait pas partir ! Il n’en avait nullement l’intention !
Quand il y a quelques années Macky Sall avait été nommé ministre de l’Intérieur, j’avais écrit qu’on lui avait fourgué là un costume trop grand pour lui et qu’ils’évertuait à longueur de journée à « se gonfler » et à bomber le torse pour remplir un tant soit peu ses charges si lourdes et à faire du « Niangal » pour se donner bonne contenance, faire sérieux et lunettes de soleil sur le nez pour peut-être susciter crainte et respect.
En 2012, il nous est d’abord apparu comme un coureur de fond qui avait effectué un bon départ en fanfare et tout en beauté, porté, adoubé et boosté par l’essentiel de la classe politique significative etle blanc-seing de l’essentiel de la société civile, de mouvements sociaux divers et de beaucoup de personnalités civiles indépendantes.
Pour son élection, -et dire que j’avais voté pour lui, ce que des amis continuent de nos jours à me reprocher-, il avait la bénédiction bienveillante d’une autorité morale de la trempe d’Amadou Makhtar Mbow et était flanqué d’un aréopage de grandes personnalités politiques, technocratiques et intellectuelles de la trempe des Niasse, Tanor, Dansoko, Latif, Abdoul Mbaye, Amadou Kane, Mimi Touré, Penda Mbow, Amsatou Sow Sidibé et j’en passe et pas des moindres.
Eh bien, il a trompé tout ce monde même si certains d’entre eux durant tant d’années de compagnonnage se sont tus et ont fermé les yeux sur la répression pénale et policière, physique et sauvage, cruelle et barbare, morale et psychologique que le régime de Macky Sall a exercée sur bien des populations.
Macky, un agresseur d’Etat !
L’on ne succède pas impunément à un Abdoulaye Wade ! Quand un peuple vous élit à la place d’un Abdoulaye Wade, au-delà de l’honneur qu’il vous fait, c’est un cadeau empoisonné qu’il vous remet ! Macky Sall s’est identifié au Père - Wade-, au petit Père - Idy- et à l’agresseur qu’ils ont représenté à ses yeux, pour avoir voulu le mener à l’échafaud. D’où le mutant qu’il est devenu, un individu désocialisé ; un monstre froid, insensible, méconnaissable.
Un « Killer » avec ses adversaires déclarés ou supposés. Mais comme aimait à le dire un ami sociologue, cet homme n’est pas Machiavel !
Macky Sall, ayant compris qu’il n’avait pas la générosité suicidaire ni le populisme de Wade, ni le talent soporifique de « tiathieur » d’Idy, a gardé du premier le caractère démagogique qu’il a conjugué aux aptitudes manœuvrières et contorsionnistes du second, le tout agrémenté de la mégalomanie et des ambitions démesurées qu’ils ont tous les trois en commun. Il est devenu progressivement un mutant cruel, sans aucun état d’âme.
Car là où Wade savait qu’il y avait des limites à ne pas dépasser, Macky Sall lui n’en n’avait cure. C’est un homme qui n’a pas de limites. Si ! La peur ! La peur est l’unique levier de pédale de son mécanisme et de son fonctionnement : c’est à la fois son démarreur, son accélérateur et son frein. Et il n’y a pas de point mort, carla ruse, les manœuvres et la répression prennent le relais.
Les introvertis on gagnerait à toujours s’en méfier ! Ils surprennent toujours amèrement leur monde ! Et à l’époque, j’avais dit que bien que Macky Sall passât pour un introverti, il était loin d’en être un au vu de quelques signes patents qui trahissaient une personnalité sans limites, qui n’allait pas trop ni toujours s’encombrer des codes, lois et conventions de ce pays.
Un pays de deuil et d’injustice…
Il a fait régner dans ce pays, lors ces trois dernières années une atmosphère de peur et de mort, de deuil et d’injustice, de dépit et de révolte, une odeur âcre et tenace de sang et de mort ! Une tension psychologique générale, une morosité sans nom ! Les populations circulaient au ralenti, la boule au ventre, des policiers armés jusqu’aux dents flanqués de leurs impressionnants chars de combats de ville dernière génération, postés à tous les coins de rue, la mine renfrognée !
Ce pays était ainsi scindé en deux : d’un côté ceux qui étaient au pouvoir et alentours, en plus des compatriotes qui ne peuvent concevoir leur existence qu’en étant par tous les moyens proches des cercles et couloirs du pouvoir en place quelle qu’en soit la coloration- et de l’autre côté, le gros des populations les « Coumba amoul ndèye ».
Avec Macky Sall, dans sa fuite en avant face à l’épreuve de sa fin de règne, on n’avait plus le sentiment d’avoir affaire à un adulte doué d’un tant soit peu de bon sens et de raison. Il était un robot froid qui n’avait pas envie de quitter le pouvoir et qui cherchait désespérément à s’accrocher vaille que vaille aux manettes d’un gros avion aux commandes duquel on l’avait vaillamment placé -par erreur ou par manque de vigilance ou tout simplement pour se débarrasser de son encombrant prédécesseur. Lequel avait le funeste projet d’instaurer une dynastie dans notre pays.
Et le monstre, dans ses gesticulations désordonnées et ses actions incongrues, pris de panique, et ferré devant son tableau de bord, actionnait inconsidérément toutes les manettes, appuyait sans distinction sur tous les boutons à sa portée pendant que ses hommes de main massacraient tout obstacle à ses manœuvres, gazaient, bastonnaient, violentaient, arrêtaient, emprisonnaient, torturaient tous ceux qui se dressaient sur son chemin, s’ils réchappaient aux sévices physiques et psychologiques que ses hommes des sales besognes (police ? gendarmerie ? ) et ses nervis leur infligeaient en toute impunité.
En 42 ans de psychologie…
Et aujourd’hui, malgré les 42 ans durant lesquels j’ai pratiqué sans relâche la psychologie clinique et le métier de psychothérapeute à Dakar consistant à écouter, à prendre en charge et à accompagner quotidiennement des patients de tous âges, de toutes catégories et de toutes origines, en souffrance, confrontés à toutes sortes de problèmes, de drames humains, de conflits ou de troubles psychiques, je me demande encore comment notre Sénégal a pu en arriver là, comment l’exercice du pouvoir a pu engendrer ou contribuer à l’éclosion d’un tel mutant et comment on a manqué de vigilance et de « nez » en élisant cet énergumène à la tête de ce pays ?On était dans l’émotionnel et l’on s’était assis sur le rationnel.
Jamais notre pays n’a été le théâtre de telles violences et jamais nos populations dont notre jeunesse n’ont autant subi d’atrocités et n’ont eu autant mal et autant peur ! On demande réparation !
C’est vrai que sous tous les cieux, on s’évertue de tout temps à mettre sur pied des batteries de lois, de codes et normes pour fluidifier, humaniser, codifier, structurer et harmoniser les rapports humains et les interactions au sein des sociétés. Cela permet d’anticiper sur les conditions d’émergence de la violence, sur les modalités et manière de la contenir, mais également sur les conditions et modalités de réparation de ses dommages causés à autrui. Car il s’agit de la contenir lorsqu’elle se déchaîne, à défaut de l’éliminer des interactions sociales qui en sont la matrice, le contenant, le terrain de prédilection et en même temps l’instrument régulateur susceptible de lui servir à la fois de manivelle, de détonateur, d’amortisseur et de frein.
Cela offre des gages mais également des limites, quand bien même les uns et les autres sont fréquemment voire quotidiennement piétinés et franchis ! Peut-être que c’est aussi dans cette compulsion de répétition pour gérer, contenir et prévenir la violence que les sociétés trouvent les ressources de leur stabilité et de leur pérennité sans cesse mises à rude épreuve. La vie comme la violence a besoin d’être codifiée par des rites ! Cette ritualisation offre des gages d’équité qui lui donnent du sens.
Et ce sens communement partagé et véhiculé, a comme objectif ou finalité, le raffermissement, le respect et la preservation de l’interdit, du sacré et du symbolique, qui sont la des remparts contre la barbarie.
L'ÉDITORIAL DE RENÉ LAKE
DÉCOLONISER LA JUSTICE
EXCLUSIF SENEPLUS - Dans un État démocratique et de droit, la séparation des pouvoirs entre l'exécutif, le législatif et le judiciaire est fondamentale pour assurer le bon fonctionnement et l'indépendance de chaque institution
Aller chercher le savoir jusqu’en…Chine ! Cette recommandation de bon sens est une invite à aller au-delà des frontières de la vieille métropole coloniale pour chercher les meilleures pratiques (best practices), surtout quand, dans un domaine particulier, celle de l’ex-colonisateur n’est pas le meilleur exemple pour la bonne gouvernance à laquelle les Sénégalaises et les Sénégalais aspirent. S’il y a bien un domaine où la France n’est pas une référence à l’échelle mondiale, c’est bien celui de la Justice dans son rapport avec l’Exécutif.
Dans un État démocratique et de droit, la séparation des pouvoirs entre l'exécutif, le législatif et le judiciaire est fondamentale pour assurer le bon fonctionnement et l'indépendance de chaque institution. Au lendemain de la remise au président Diomaye Faye du rapport général des Assises de la justice qui se sont tenues du 15 au 17 juin 2024, ce texte a l’ambition de mettre en lumière l'importance de cette séparation et pourquoi il est critiqué que le président de la République soit également le président du Conseil Supérieur de la Magistrature.
Prévention de l'abus de pouvoir. La séparation des pouvoirs empêche la concentration excessive de pouvoir entre les mains d'une seule personne ou d'un seul organe. Chaque branche agit comme un contrepoids aux autres, ce qui limite les abus potentiels et favorise la responsabilité.
Indépendance judiciaire. En particulier, l'indépendance du pouvoir judiciaire est essentielle pour garantir des décisions impartiales et justes. Les juges doivent être libres de toute influence politique ou pression externe afin de pouvoir appliquer la loi de manière équitable. En de bien nombreuses occasions, tout le contraire de ce que l’on a connu depuis plus de 60 ans au Sénégal et qui a culminé pendant les années Macky Sall avec une instrumentalisation politique outrancière de la justice.
Fonctionnement efficace du législatif. Le pouvoir législatif doit être libre de proposer, examiner et adopter des lois sans interférence de l'exécutif ou du judiciaire. Cela assure la représentation démocratique des intérêts de la population et la formulation de politiques publiques diverses et équilibrées.
Le président de la République et le Conseil Supérieur de la Magistrature -
Le Conseil Supérieur de la Magistrature (CSM) est souvent chargé de la nomination, de la promotion et de la discipline des magistrats. Dans de nombreux pays démocratiques, il est critiqué que le président de la République soit également le président de cet organe pour plusieurs raisons notamment celle du conflit d’intérêt potentiel et de la menace pour la séparation des pouvoirs.
En occupant simultanément ces deux fonctions, le président peut influencer directement les décisions judiciaires et les nominations de magistrats, compromettant ainsi l'indépendance judiciaire. Cette perversion n’a été que trop la réalité de la justice sénégalaise depuis les années 60 avec une accélération sur les deux dernières décennies avec les régimes libéraux arrivés au pouvoir après une alternance politique.
Cette situation a fortement affaibli la séparation des pouvoirs au Sénégal en concentrant trop de pouvoir entre les mains de l'exécutif, ce qui a régulièrement mené à des décisions politiquement motivées plutôt qu'à des décisions basées sur le droit.
La crainte d’une République des juges -
Les acteurs sociaux favorables à la présence du chef de l’État dans le CSM invoquent régulièrement la crainte d’une "République des Juges". Cette idée d'une "République des juges" où le pouvoir judiciaire dominerait les autres branches gouvernementales, n'est pas pertinente dans un système démocratique où il existe de multiples recours et des contrepoids aux potentiels abus des juges. Cette idée relève plus du fantasme jacobin que d’un risque réel dans une démocratie bien structurée, où il existe plusieurs niveaux de recours judiciaires permettant de contester les décisions des juges. Ces recours assurent que les décisions judiciaires peuvent être réexaminées et corrigées si nécessaire.
Par ailleurs, le pouvoir législatif a le rôle crucial de créer des lois et de superviser l'exécutif. En dernier ressort, le législatif peut modifier des lois pour contrer toute interprétation judiciaire excessive ou inappropriée, assurant ainsi un équilibre des pouvoirs.
Enfin, l'indépendance judiciaire signifie que les juges sont libres de rendre des décisions impartiales, mais cela ne signifie pas qu'ils sont au-dessus des lois ou qu'ils ne sont pas responsables. Les juges doivent toujours interpréter et appliquer les lois dans le cadre des normes constitutionnelles établies par le législatif.
La crainte d’une République des juges est un chiffon rouge agité en France depuis longtemps pour justifier un système judiciaire bien plus attaché à l’Exécutif que dans les autres démocraties occidentales.
Historiquement, le président de la République française a été le président du Conseil Supérieur de la Magistrature. Cette pratique a été critiquée pour son impact potentiel sur l'indépendance judiciaire. Actuellement, la réforme de 2016 a réduit le rôle direct du président dans le CSM, mais des questions persistent sur l'indépendance réelle.
De son côté, le système américain illustre une stricte séparation des pouvoirs, où le président n'a qu’un rôle indirect dans la nomination des juges fédéraux. Dans ce processus le président est chargé uniquement de nommer et seul le Sénat américain détient le pouvoir de rejet ou de confirmation. Cela vise à maintenir une certaine distance entre l'exécutif et le judiciaire.
L'Allemagne pour sa part maintient également une séparation rigoureuse des pouvoirs avec des organes distincts pour l'exécutif, le législatif et le judiciaire, évitant ainsi toute concentration excessive de pouvoir et préservant l'indépendance du pouvoir judiciaire.
Le modèle progressiste sud-africain -
L'Afrique du Sud offre un cas fascinant de respect de la séparation des pouvoirs, essentielle pour la stabilité démocratique et la protection des droits constitutionnels depuis la fin de l'apartheid. Suit une exploration de la manière dont la séparation des pouvoirs est respectée dans le système judiciaire sud-africain.
La Constitution sud-africaine, adoptée en 1996 après la fin de l'apartheid, établit clairement les pouvoirs et les fonctions de chaque institution de l’État : l'exécutif, le législatif et le judiciaire. Elle garantit également les droits fondamentaux des citoyens et définit les principes de gouvernance démocratique.
La Constitution insiste sur l'indépendance du pouvoir judiciaire, affirmant que les tribunaux sont soumis uniquement à la Constitution et à la loi, et ne doivent pas être influencés par des intérêts politiques ou autres pressions externes. Les juges sont nommés de manière indépendante, et leurs décisions ne peuvent être annulées que par des procédures juridiques appropriées, garantissant ainsi leur autonomie dans l'interprétation et l'application de la loi.
La Cour constitutionnelle est la plus haute autorité judiciaire en matière constitutionnelle en Afrique du Sud. Elle est chargée de vérifier la constitutionnalité des lois et des actions du gouvernement, de protéger les droits fondamentaux des citoyens, et de maintenir l'équilibre entre les pouvoirs. La Cour constitutionnelle a le pouvoir de rendre des décisions contraignantes pour toutes les autres cours, garantissant ainsi l'uniformité et la primauté du droit constitutionnel.
En plus de la Cour constitutionnelle, l'Afrique du Sud dispose d'un système judiciaire complet avec des tribunaux inférieurs qui traitent des affaires civiles, pénales et administratives à différents niveaux. Chaque niveau de tribunal joue un rôle spécifique dans l'administration de la justice selon les lois applicables.
La Cour constitutionnelle a souvent été appelée à vérifier la constitutionnalité des lois adoptées par le Parlement sud-africain. Cela démontre son rôle crucial dans le maintien de la séparation des pouvoirs en s'assurant que les lois respectent les normes constitutionnelles et les droits fondamentaux.
Les juges en Afrique du Sud sont nommés sur la base de leur compétence professionnelle et ne sont pas soumis à des influences politiques directes. Cela garantit que leurs décisions sont prises en fonction du droit et non de considérations partisanes ou externes.
La séparation des pouvoirs renforce la protection des droits fondamentaux des citoyens en permettant au pouvoir judiciaire d'agir comme un contrepoids aux actions potentiellement inconstitutionnelles ou injustes du gouvernement ou du législateur.
En respectant la séparation des pouvoirs, l'Afrique du Sud renforce la confiance du public dans le système judiciaire, crucial pour la stabilité politique, économique et sociale du pays.
Se référer aux bonnes pratiques –
La Fondation Ford a joué un rôle significatif et historique dans le processus d'élaboration de la Constitution sud-africaine de 1996. Franklin Thomas, président de cette institution philanthropique américaine de 1979 à 1996, a été un acteur clé dans ce processus. Avant les négociations constitutionnelles officielles qui ont conduit à la Constitution de 1996, l’institution philanthropique américaine a soutenu financièrement des recherches approfondies et des débats critiques sur les principes et les modèles constitutionnels. Cela a permis de jeter les bases d'une réflexion constructive et informée parmi les diverses parties prenantes en Afrique du Sud.
Des rencontres et des dialogues ont été facilités entre les leaders politiques, les juristes, les universitaires, ainsi que les représentants de la société civile et des communautés marginalisées. Ces forums ont joué un rôle crucial en encourageant la participation démocratique et en favorisant la compréhension mutuelle nécessaire à la construction d'un consensus constitutionnel.
Par ailleurs, plusieurs organisations de la société civile en Afrique du Sud ont joué un rôle actif dans les négociations constitutionnelles. Cela comprenait des groupes de défense des droits humains, des organisations communautaires et des instituts de recherche juridique.
En encourageant des initiatives visant à promouvoir la justice sociale, l'équité raciale et les droits fondamentaux, ces efforts ont contribué à ancrer ces valeurs dans le processus constitutionnel sud-africain. Cela a été essentiel pour contrer les héritages de l'apartheid et pour établir un cadre constitutionnel solide basé sur les principes de l'État de droit et de la démocratie.
Le rôle de ces initiatives dans l'élaboration de la Constitution sud-africaine a laissé un héritage durable de liberté et de justice en Afrique du Sud. La Constitution de 1996 est largement reconnue comme l'une des plus progressistes au monde, protégeant une vaste gamme de droits et établissant des mécanismes forts pour la protection de la démocratie et de l'État de droit.
L'expérience sud-africaine a souvent été citée comme un modèle pour d'autres pays en transition ou confrontés à des défis de consolidation démocratique ou de rupture systémique. Elle démontre l'importance du partenariat entre les acteurs nationaux dans la promotion de la bonne gouvernance et des droits humains.
Nécessité d'une transformation systémique au Sénégal –
Avec l'arrivée au pouvoir du mouvement Pastef, il est crucial pour l’administration Faye-Sonko de ne pas tomber dans le piège des petites réformes qui maintiennent intact le système ancien mais d'envisager une réforme judiciaire qui s'inspire des meilleures pratiques internationales, telles que celles observées en Afrique du Sud.
Décoloniser et émanciper la justice au Sénégal implique de repenser et de réformer le système judiciaire de manière à renforcer l'indépendance, la transparence et l'efficacité. S'inspirer des meilleures pratiques internationales tout en adaptant ces modèles au contexte spécifique du Sénégal est essentiel pour promouvoir une gouvernance démocratique solide et durable, répondant aux aspirations des citoyens pour une justice juste et équitable. L’instrumentation politique de la Justice doit devenir une affaire du passé au Sénégal.
Réformer la Justice pour assurer la Rupture au Sénégal ne peut se concevoir que dans un cadre plus général de refondation des institutions. L’éditorial SenePlus publié sous le titre “Pour une théorie du changement“ développe cet aspect de manière explicite. L’ambition pastéfienne de sortir le Sénégal du système néocolonial est partagée par l’écrasante majorité des Sénégalais et des jeunesses africaines. Cette ambition doit cependant être exprimée dans la présentation d’un cadre général clair, discuté et élaboré avec les citoyens. Le processus doit être réfléchi, inclusif et sérieux. Cela aussi, c’est la Rupture exigée par les Sénégalaises et les Sénégalais le 24 mars 2024.
Par Yoro DIA
MONSIEUR LE PRÉSIDENT, MONTREZ-NOUS LA LUNE AU LIEU DE VOUS CACHER DERRIERE VOTRE PETIT DOIGT
Le président de la République, que j’appelle affectueusement Diomaye 1er roi d’Angleterre, parce qu’il règne mais ne gouverne pas, ne nous a pas encore dit ce qu’il ferait des impôts
Commençons par le seul domaine où notre Président semble être compètent : la fiscalité. S’il ne réduit pas la fiscalité à une simple technique de collecte comme il l’a fait en nous récitant ses cours appris par cœur à l’Ena, il doit savoir que ce n’est point un hasard si toutes les grandes révolutions ont une cause fiscale (de la révolte des barons anglais contre le Roi Jean sans Terre en 1215 à la révolution française (injustice fiscale subie par le Tiers Etat), en passant par la révolution américaine (no taxation without representation)). Déjà en 1215, avec la Magna Carta, les barons anglais voulaient bien consentir à payer l’impôt, mais exigeaient de savoir ce que le Roi en ferait.
Le président de la République, que j’appelle affectueusement Diomaye 1er roi d’Angleterre, parce qu’il règne mais ne gouverne pas, ne nous a pas encore dit ce qu’il ferait des impôts. Depuis 100 jours, aucune vision, aucune orientation, confirmant ainsi le projet nakhembaye que la fiscalité devait financer en partie. L’inquisition fiscale qui ne devait être qu’un moyen pour financer une vision, un projet, est devenue une finalité comme le Jub Jubal Jubanti, un credo, une simple méthode devenue aussi une finalité qui comble le vide abyssal de l’absence de vision. La méthode n’est pas la vision. Cette absence de vision a été flagrante lors de l’intervention du Président, et elle est absente depuis le début. C’est pourquoi on a senti que le Président s’ennuie et en est réduit à la banale quotidienneté et aux détails.
Depuis 100 jours, on s’attend à ce que le Président nous montre la lune, mais il préfère se cacher derrière son petit doigt, essayant de créer des polémiques stériles pour masquer l’absence de projet, de vision. Sa déclaration sur les fonds politiques n’est pas digne de son rang, parce que toute personne, un tant soit peu instruite, sait que c’est impossible. Et c’est facile pour les journalistes de le vérifier avec la comptabilité de la Présidence ou au ministère des Finances. Le budget de la Présidence ne relève pas du secret d’Etat, puisque qu’il est voté par l’Assemblée nationale. C’est une nouvelle diversion, une manipulation qui va être déconstruite avec la clarté brutale de la réalité des chiffres. Manipulation aussi sur le souverainisme version Diomaye, qui donne l’exemple du Mali. Nous disons au Président, nous préférons avoir tort avec Dubaï plutôt que d’avoir raison avec Bamako.
J’aime bien comparer Diomaye à un Roi d’Angleterre, comme il règne mais ne gouverne pas. Le Roi d’Angleterre qui ressemble le plus à Diomaye 1er est le Roi Edward VIII. Naturellement, Edward VIII régnait mais ne gouvernait pas, et finira même par renoncer à régner en abdiquant pour les beaux yeux de la dame Wallis Simpson. Avant-hier, Diomaye 1er nous a annoncé son abdication pour prouver sa loyauté absolue, sa soumission à son gourou, le guide suprême Ousmane Sonko son Premier ministre. Avant-hier, le Président Diomaye Faye, nous a dit clairement que son allégeance première ne va pas à la République mais à son gourou et Premier ministre, et que donc ce mandat sert à lui paver la voie vers le fauteuil présidentiel. Nous avons perdu 100 jours et nous perdrons 5 ans, puisque ce mandat est dédié à la réalisation de l’ambition d’un individu. Et pour cet individu, le Président est prêt à tout, y compris des réformes institutionnelles, des modifications constitutionnelles.
Quand Napoléon s’est évadé de l’île d’Elbe pour reprendre le pouvoir en France en 100 jours, Chateaubriand s’exclama face à l’audace de «l’invasion d’un pays par un seul homme». Pour arrêter la banalisation de nos institutions, à commencer par la première d’entre elles, et empêcher la déconstruction de notre République pour le bon plaisir et l’ambition d’un individu, il est grand temps de se réveiller en empêchant cet individu de réussir de l’intérieur ce qu’il n’a pas réussi de l’extérieur : la négation du Sénégal. La candeur de Diomaye devant son gourou est touchante. Elle rappelle le sympathique dentiste du film Mon Voisin le tueur de Bruce Willis. Dans le film, la candeur du dentiste va ramollir son voisin, le redoutable tueur. Celle de Diomaye n’aura pas le même effet sur le gourou de Pastef, qui a l’excès et la violence dans son Adn politique, d’où ses menaces contre les juges et les journalistes. La candeur de Diomaye est si touchante quand il se croit obligé de se justifier sur le choix des journalistes invités, mais un chef d’Etat ne doit pas descendre à ce niveau de détails. Mais cette candeur permet aussi de comprendre l’emprise du gourou sur notre président de la République, qu’il faut sauver comme le soldat Ryan.
Yoro Dia est politologue, ancien ministre, porte-parole de la présidence de la République.
Par Madiambal DIAGNE
DIOMAYE, PRÉSIDENT MALGRÉ LUI
Nombreuses sont les personnes qui disent être restées sur leur faim ou même très déçues, après avoir suivi l’entretien que le président Bassirou Diomaye Faye a accordé à des journalistes sénégalais
Nombreuses sont les personnes qui disent être restées sur leur faim ou même très déçues, après avoir suivi l’entretien que le président Bassirou Diomaye Faye a accordé à des journalistes sénégalais. L’exercice était très attendu, dans la mesure où il constituait la première sortie médiatique du nouveau chef de l’Etat. Il a sacrifié à la tradition de s’adresser aux médias pour tirer les enseignements des cent premiers jours de gouvernance et fixer un cap. Mais Bassirou Diomaye Faye n’a pas éclairé davantage la lanterne de ses compatriotes. Sans doute qu’il n’a pas été aidé par l’obséquiosité dont les journalistes n’ont cessé de faire montre durant tout l’entretien. Ils ont même poussé la courtoisie ou la bienséance, jusqu’à remercier Bassirou Diomaye Faye d’avoir préféré s’adresser en primeur aux médias nationaux. Quel est le chef d’Etat au monde qui a eu l’outrecuidance d’accorder sa première interview à des médias étrangers ? Notre consœur de la RTS, Fatou Sakho, qui distribuait la parole à l’occasion, a pu laisser croire que les questions étaient déjà convenues. C’est ce qui expliquerait peut-être qu’aucune question n’a été posée au président Bassirou Diomaye Faye sur sa perception du conflit irrédentiste en Casamance et les solutions qu’il préconiserait pour le régler. Cette question, une épine douloureuse dans le pied du Sénégal, reste le plus durable conflit armé au monde, avec son lot macabre de victimes. Pour autant, elle demeure encore taboue pour le chef de l’Etat du Sénégal (voir notre chronique du 22 avril 2024).
Les silences radio du Président Faye
Cacherait-il son jeu ? On n’a aucune idée du calendrier de réformes institutionnelles que le chef de l’Etat envisagerait de conduire. Pourtant, il n’a pas échappé au public que lors du Conseil des ministres du mercredi 10 juillet 2024, le président de la République a évoqué «un agenda législatif qui doit viser une révision de la Constitution et des codes spécifiques». On ne saura donc pas l’échéance de la dissolution de l’Assemblée nationale et de la tenue, dans la foulée, d’élections législatives anticipées, même si le Président Faye souligne qu’il n’a pas encore pu tenir sa promesse de suppression du Conseil économique, social et environnemental (Cese) et du Haut conseil des collectivités territoriales (Hcct); parce qu’il ne dispose pas encore d’une majorité parlementaire pour procéder aux réformes constitutionnelles nécessaires. Exit la voie référendaire pour la réforme de la Constitution ? Il est difficile de ne pas croire que le président de la République joue sur le registre de la ruse, qui ne devrait d’ailleurs tromper personne. La dissolution de l’Assemblée nationale est une fatalité, car nul ne saurait envisager qu’un nouveau régime puisse continuer de se coltiner une Assemblée nationale de 165 députés, dans laquelle il ne compte pas plus de 40 d’entre eux qui lui sont affiliés ou favorables. C’est dire que le président Faye attend simplement d’arriver à l’échéance à laquelle la dissolution lui sera autorisée par la Constitution, pour signer le décret pertinent. Il se donnerait ainsi l’avantage de surprendre ses adversaires politiques qui ne seraient pas suffisamment préparés à des élections anticipées. En évitant soigneusement d’évoquer la perspective d’une dissolution, il s’épargne d’en rajouter à la colère des députés contre le Premier ministre Ousmane Sonko, qui a refusé de faire une Déclaration de politique générale devant l’Assemblée nationale. Les députés mécontents avaient, il faut le rappeler, brandi la menace de faire adopter une loi constitutionnelle qui priverait le président de la République de tout pouvoir de dissolution de l’Assemblée nationale. Bassirou Diomaye Faye tiendrait à apaiser la querelle entre son Premier ministre et l’Assemblée nationale. Mais il cherche laborieusement à justifier la posture indélicate de son Premier ministre et a, avec une maladresse sidérante, cautionné l’hérésie qu’il y aurait plus de qualité dans les débats si le Premier ministre Sonko faisait sa Déclaration de politique générale devant un jury populaire, composé d’experts, plutôt que devant les députés. L’autre incongruité aura été que le Président Faye semble s’entêter à ne pas trop daigner s’incliner devant la mémoire des centaines de jeunes migrants clandestins dont les corps ont été engloutis ou rejetés par les océans.
Quand le président se soumet à son Premier ministre
Bassirou Diomaye Faye a laissé son monde pantois, quand il préconise d’équilibrer les pouvoirs constitutionnels en transférant des pouvoirs du président de la République à un Premier ministre qui, du reste, est non élu par le Peuple. Il s’est montré si soumis à Ousmane Sonko qu’on ne pourrait pas trop le croire sincère. Il se déclare prêt à procéder aux réformes nécessaires : «Je lui ai dit que cela se fera quand il voudra.» Expliquant ses discussions pour apaiser la tension entre le Premier ministre et les députés, Bassirou Diomaye Faye a dit : «Le Premier ministre a levé le pied sur sa volonté de faire une déclaration devant une assemblée populaire, le 15 juillet 2024.Maynama ko »en wolof (que l’on peut traduire par : «il me l’a concédé» ou «il l’a accepté pour moi» ou encore «il m’en a fait la faveur»). Chacun appréciera la portée du propos.
Le président Faye est aussi prêt à lui céder son fauteuil ou à l’y installer à la première occasion. « J’encourage Ousmane Sonko à ne pas lorgner le fauteuil, mais à bien le regarder.» Le président Faye s’est employé à plaire à son Premier ministre. Il le dit dans sourciller et, avec désinvolture, ajoute qu’il a toujours travaillé pour que Ousmane Sonko occupe le fauteuil présidentiel et qu’il continuera de le faire. «Il est compétent pour la fonction. Il fait un excellent travail, formidable. Si j’ai pu faire un agenda international pareil, c’est parce qu’il est le meilleur Premier ministre du Sénégal.» Il tient néanmoins à souligner : «Le Premier ministre n’était pas mon ami. Seulement, avant notre sortie de prison, quand on nous a permis de nous asseoir ensemble, je lui ai suggéré qu’on devienne désormais des amis pour éviter d’être divisés par les gens. Nous étions partenaires dans un projet, en toute loyauté, mais nous n’étions pas des amis.» On ne sait plus qui croire entre le président et son Premier ministre, car Ousmane Sonko parlait de leur amitié légendaire au point qu’il lui avait trouvé un petit nom. Pour sa part, Bassirou Diomaye semble forcer les traits de cette relation d’amitié, jusqu’à la caricature, dans le moindre des détails, comme du genre : «Il est venu aujourd’hui chercher mon fils pour qu’il passe la journée chez lui» ; ou encore : «Après la réunion du Conseil des ministres, nous restons pendant plus de deux heures pour nous parler.» Le président français Emmanuel Macron revendiquait l’amitié de son Premier ministre Edouard Philippe, qui a répondu un jour : «Quand vous avez un président et un Premier ministre, leurs relations ne se placent pas sur le registre de l’amitié.» Au Sénégal, Abdou Diouf et Habib Thiam semblaient l’avoir compris de la sorte.
Le président Faye a fini par apparaître blasé, presque désintéressé par sa fonction. Il affirme ne courir derrière rien, ne revendique aucune préséance et n’a nullement la prétention de s’imposer, en quoi que ce soit. Une sorte de Roi d’Angleterre qui se passerait même de ce qu’on lui fasse la révérence. Franchement, n’eut été son embonpoint naissant, on aurait pensé que le président Faye commence à en avoir marre de tout ça. Même dans sa vie personnelle, il dit se suffire de presque rien et «vit heureux avec peu». Assurément, un tel paradigme ou principe de vie est aux antipodes de l’ambition de développer un pays et de créer des richesses pour ses populations. C’est ce qui expliquerait certainement que la politique économique et sociale du gouvernement tend à faire baisser les prix, pour faire réaliser quelques petites économies de bouts de chandelle aux ménages, plutôt que de créer une dynamique de faire gagner plus de revenus aux populations. Les personnes qui attendaient ou espéraient que le président de la République fixe un cap, définisse une politique économique et sociale claire, prendront encore leur mal en patience. Bassirou Diomaye Faye a même fait montre d’une circonspection étonnante quant au fameux «Projet», référentiel de politiques économiques, toujours vanté et qui s’est révélé être une chimère. Pour une fois, Bassirou Diomaye Faye n’a pas prononcé ce vocable devenu le générique de Pastef. On retiendra que sa politique économique consistera à lever des ressources intérieures par la fiscalité. C’est sans doute une bonne approche, d’autant que la fiscalité constitue un instrument de politique économique essentiel qu’il faudrait manier avec dextérité et prudence, car en la matière «les taux tuent les totaux».
Lapsus ou mauvaise conscience ?
Le choix porté en la personne d'Abdoulaye Bathily, désigné comme «Envoyé spécial» pour mener une médiation entre la Cedeao et les pays de l’Alliance des Etats du Sahel, en rupture de ban avec l’organisation communautaire, semble être judicieux. Bathily a la réputation, l’entregent et le carnet d’adresses nécessaires pour réussir une telle mission. Mais la question de la déclaration de patrimoine semble constituer une hantise pour le nouveau président de la République. Il a buté sur l’expression de «Déclaration de politique générale», plusieurs fois, en prononçant en lieu et place celle de «déclaration de patrimoine». Un lapsus révélateur dirait-on. Le parterre d’intervieweurs ne pouvait donc plus s’épargner de lui demander la publication de sa déclaration de patrimoine. Dans ces colonnes, on le défiait, ainsi que son Premier ministre, de publier leur déclaration de patrimoine («Diomaye-Sonko, osez montrer vos biens», 8 juillet 2024). Bassirou Diomaye Faye, visiblement embarrassé par l’interpellation, renvoie tout bonnement la responsabilité de la publication au Conseil constitutionnel. Il n’est pas sans savoir que le Conseil constitutionnel n’a jamais pris sur lui de publier les déclarations de patrimoine. L’institution a toujours laissé le soin aux impétrants présidents de la République de le faire, de leur propre gré. Pourquoi devra-t-elle faire avec Bassirou Diomaye Faye ce qu’elle n’avait pas fait avec Macky Sall ou Abdoulaye Wade ? On ne saura donc pas à combien s’évalue le patrimoine de Bassirou Diomaye Faye et sa composition. Ainsi, le chef de l’Etat peut s’autoriser, sans trop de risques, de s’indigner que des hectares de terres aient pu être donnés à Mbour IV à des personnes, feignant d’oublier que dans une publication de son patrimoine (exercice auquel il n’était pas obligé), faite avant l’élection présidentielle, il avait laissé constater qu’il était bénéficiaire d’attributions de plusieurs hectares de terres dans la même région. Nul n’est dupe : si Bassirou Diomaye Faye veut tenir sa promesse, il n’a qu’à prendre sur lui de publier sa déclaration de patrimoine.
En outre, Bassirou Diomaye Faye, sans l’air d’y toucher, n’a pas manqué de se défausser sur son prédécesseur, Macky Sall. Il a notamment indiqué qu’il n’a pas trouvé sur place les attributions budgétaires relatives aux fonds politiques. Voudrait-il parler de la dotation du premier trimestre 2024 ou de la totalité du budget annuel ? La clarification est indispensable, d’autant que dès son installation, le gouvernement s’était félicité du respect scrupuleux par le gouvernement précédent, des taux d’exécution budgétaire au premier trimestre de l’année. Selon le rapport d’exécution budgétaire pour le premier trimestre de l’année 2024, publié par le ministère des Finances et du budget, «les dépenses du Budget de l’Etat (base ordonnancement) sont réalisées à hauteur de 1358, 71 milliards de francs CFA, représentant 24, 30% des crédits ouverts au 31 mars 2024». Le paradoxe restera, qu’après avoir déclaré n’avoir pas trouvé les crédits des fonds politiques sur place, le président Faye a essayé de justifier la pertinence ou la nécessité d’un tel chapitre de dotation financière en invoquant des prises en charge sociales qu’il a déjà consenties. Avec quels crédits alors a-t-il pu réaliser de telles largesses ? On rappellera que Macky Sall avait sorti la même vanne contre son prédécesseur Abdoulaye Wade, affirmant n’avoir pas trouvé de fonds politiques disponibles. C’était le 28 juin 2012 à Ziguinchor, à l’occasion d’une conférence de presse à l’intention des médias nationaux, pour faire le bilan de ses cent premiers jours à la tête du Sénégal. Sans doute que les situations économiques et financières n’étaient pas les mêmes car à la Présidentielle, Abdoulaye Wade disait à qui voulait l’entendre que les caisses de l’Etat étaient vides et que s’il n’était pas réélu, les salaires des fonctionnaires ne seraient pas payés à la fin du mois d’avril 2012. A tous ceux qui se faisaient du mauvais sang, quant au séjour prolongé et coûteux du chef de l’Etat à l’hôtel, depuis son élection, Bassirou Diomaye Faye a précisé qu’il a fini par rejoindre le Palais présidentiel à la fin du mois de juin 2024.Il n’était resté à l’hôtel que parce qu’il avait besoin de faire procéder à certains travaux pour adapter le Palais à sa propre condition de vie sociale et que son domicile privé n’offrait pas les garanties de sécurité suffisantes. Comparaison n’est pas raison, mais Abdoulaye Wade et Macky Sall continuaient de loger dans leurs domiciles privés, le temps nécessaire pour réaliser des travaux au Palais. Ils habitent le même quartier que Bassirou Diomaye Faye. Dites-donc, c’est ce petit coin bourgeois, Fann-Mermoz-Point E, qui nous fournit toujours des chefs d’Etat ?
par Abdoulaye Sakho
MÉLANGE DE GENRES ET CONFUSION DES RÔLES
Le ministère des sports ne dispose pas du pouvoir pour annuler une Assemblée générale d’une association privée même si l’association, ici, la Fédération est délégataire de pouvoir ! Le ministère n’est pas le juge
Le ministère des sports ne dispose pas du pouvoir pour annuler une Assemblée Générale d’une association privée même si l’association, ici, la Fédération est délégataire de pouvoir ! Le ministère n’est pas le juge (pouvoir judiciaire) qui seul dispose en République, du pouvoir d’annulation du fait de la séparation des pouvoirs!
Le ministère qui relève de l’Exécutif est autorité de tutelle et ne peut que faire prendre des mesures conservatoires s’il estime qu’il y a risque de mauvaise exécution du contrat de délégation. À défaut, il peut demander à son délégataire de prendre lui-même des mesures du genre : prier la Fédération, délégataire de pouvoirs, de surseoir à une décision qu’elle a souverainement prise (comme surseoir à cette Assemblée Générale dûment convoquée) même si les conditions de la convocations sont remises en cause par certains membres qui doivent utiliser les voies internes de règlement des litiges propres à l’association avant de saisir le juge (mais pas le ministère qui n’est pas le supérieur hiérarchique de la Fédération car, la Fédération encore une fois, est une structure privée qui n’appartient pas à l’État ! Ceci dit, si la Fédération refuse de faire ce le ministère demande, la seule chose que peut faire le ministère, c’est de retirer la délégation de pouvoir ! Ici, dans notre pays, il y a trop de confusion de rôles et de mélanges des genres au sein du mouvement sportif ! Maintenant, il faut rappeler que les associations s relèvent du ministère de l’intérieur !
En conséquence s’il y a risque de trouble à l’ordre public du fait d’une décision de la Fédération, ce n’est pas le ministère des sports qui doit intervenir mais le ministère de l’intérieur qui lui, dispose du pouvoir de dissoudre la Fédération en tant qu’association reconnue au Sénégal ! C’est bon de ne pas se faire gagner par des émotions ! C’est la même chose concernant la Cour des comptes qui est en droit de contrôler, conformément à la loi (90-07 aujourd’hui abrogée et remplacée par la loi 2022-08) toutes les personnes morales de droit privé recevant le concours financier de la puissance publique ! C’est le cas de la Fédération ! Mais concernant les fonds privés de la Fédération (cotisations et autres sommes émanant de la structure faîtière comme la FIFA), la Fédération doit juste rendre compte à ses membres conformément à ses propres normes de fonctionnement ! Il faut qu’on comprenne que l’État ne peut pas dicter à une association son mode de fonctionnement ou de gouvernance dès lors que ce n’est pas une violation de l’ordre public ou des valeurs de la société globale. Noel le Graet (ancien président de la Fédération française de football, Ndlr) a été sanctionné pour des questions de violation relative aux droits des femmes et des valeurs de la société française».
SONT-ILS VRAIMENT ÉPUISÉS, CES « FONDS POLITIQUES » ?
On va nous crever encore le tympan avec la déclaration, intentionnelle ou malheureuse, du président de la République sur les « fonds politiques », dont il aurait trouvé les caisses vides.
On va nous crever encore le tympan avec la déclaration, intentionnelle ou malheureuse, du président de la République sur les « fonds politiques », dont il aurait trouvé les caisses vides.
Par définition sinon par essence, et du point de vue de leur finalité, ces derniers sont des fonds « secrets », dont l’usage est assujetti à une procédure rigoureuse et strictement encadrée par la loi, qui la couvre en l’occurrence du « secret d’État ».
Alors, vouloir débattre sur la question, c’est forcément faire preuve de légèreté. A moins que l’objectif ne soit de divertir « son » public.
Sont-ils vraiment épuisés, ces « fonds politiques » ?
Si oui, et alors ? En tant que Républicain, fût-ce au bénéfice du doute raisonnable, pourquoi son successeur s’exonérerait-il en l’espèce de penser que le président Macky Sall avait dû user en bon père de famille des « fonds politiques » alors dûment mis à sa disposition ?
Et puis, depuis que l’on nous parle du « protocole du Cap Manuel ; si celui-ci existe réellement, il a forcément un prix politique et nécessairement un coût matériel et financier.
En l’occurrence, c’est-à-dire si le « protocole du Cap Manuel » est une réalité, les « fonds politiques » y ont absolument et nécessairement joué un rôle, crucial, vital même, au grand intérêt en tout cas des tout premiers bénéficiaires dudit protocole.
En tout état de cause, le président Bassirou Diomaye Faye gagnerait à se ressaisir et notamment à comprendre que le jour où il déciderait de rompre avec la tradition républicaine des « fonds politiques », ce jour-là il se serait fait hara-kiri, au triomphe du populisme.
Par René LAKE
DÉCOLONISER LA JUSTICE
Dans un État démocratique et de droit, la séparation des pouvoirs entre l’exécutif, le législatif et le judiciaire est fondamentale pour assurer le bon fonctionnement et l’indépendance de chaque institution
Dans un État démocratique et de droit, la séparation des pouvoirs entre l’exécutif, le législatif et le judiciaire est fondamentale pour assurer le bon fonctionnement et l’indépendance de chaque institution
Aller chercher le savoir jusqu’en…Chine ! Cette recommandation de bon sens est une invite à aller au-delà des frontières de la vieille métropole coloniale pour chercher les meilleures pratiques (best practices), surtout quand, dans un domaine particulier, celle de l’ex-colonisateur n’est pas le meilleur exemple pour la bonne gouvernance à laquelle les Sénégalaises et les Sénégalais aspirent. S’il y a bien un domaine où la France n’est pas une référence à l’échelle mondiale, c’est bien celui de la Justice dans son rapport avec l’Exécutif.
Dans un État démocratique et de droit, la séparation des pouvoirs entre l’exécutif, le législatif et le judiciaire est fondamentale pour assurer le bon fonctionnement et l’indépendance de chaque institution. Au lendemain de la remise au président Diomaye Faye du rapport général des Assises de la justice qui se sont tenues du 15 au 17 juin 2024, ce texte a l’ambition de mettre en lumière l’importance de cette séparation et pourquoi il est critiqué que le président de la République soit également le président du Conseil Supérieur de la Magistrature.
PREVENTION DE L’ABUS DE POUVOIR.
La séparation des pouvoirs empêche la concentration excessive de pouvoir entre les mains d’une seule personne ou d’un seul organe. Chaque branche agit comme un contrepoids aux autres, ce qui limite les abus potentiels et favorise la responsabilité.
INDEPENDANCE JUDICIAIRE.
En particulier, l’indépendance du pouvoir judiciaire est essentielle pour garantir des décisions impartiales et justes. Les juges doivent être libres de toute influence politique ou pression externe afin de pouvoir appliquer la loi de manière équitable. En de bien nombreuses occasions, tout le contraire de ce que l’on a connu depuis plus de 60 ans au Sénégal et qui a culminé pendant les années Macky Sall avec une instrumentalisation politique outrancière de la justice.
FONCTIONNEMENT EFFICACE DU LEGISLATIF.
Le pouvoir législatif doit être libre de proposer, examiner et adopter des lois sans interférence de l’exécutif ou du judiciaire. Cela assure la représentation démocratique des intérêts de la population et la formulation de politiques publiques diverses et équilibrées.
LE PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE ET LE CONSEIL SUPÉRIEUR DE LA MAGISTRATURE –
Le Conseil Supérieur de la Magistrature (CSM) est souvent chargé de la nomination, de la promotion et de la discipline des magistrats. Dans de nombreux pays démocratiques, il est critiqué que le président de la République soit également le président de cet organe pour plusieurs raisons notamment celle du conflit d’intérêt potentiel et de la menace pour la séparation des pouvoirs.
En occupant simultanément ces deux fonctions, le président peut influencer directement les décisions judiciaires et les nominations de magistrats, compromettant ainsi l’indépendance judiciaire. Cette perversion n’a été que trop la réalité de la justice sénégalaise depuis les années 60 avec une accélération sur les deux dernières décennies avec les régimes libéraux arrivés au pouvoir après une alternance politique.
Cette situation a fortement affaibli la séparation des pouvoirs au Sénégal en concentrant trop de pouvoir entre les mains de l’exécutif, ce qui a régulièrement mené à des décisions politiquement motivées plutôt qu’à des décisions basées sur le droit.
LA CRAINTE D’UNE RÉPUBLIQUE DES JUGES –
Les acteurs sociaux favorables à la présence du chef de l’État dans le CSM invoquent régulièrement la crainte d’une “République des Juges”. Cette idée d’une “République des juges” où le pouvoir judiciaire dominerait les autres branches gouvernementales, n’est pas pertinente dans un système démocratique où il existe de multiples recours et des contrepoids aux potentiels abus des juges. Cette idée relève plus du fantasme jacobin que d’un risque réel dans une démocratie bien structurée, où il existe plusieurs niveaux de recours judiciaires permettant de contester les décisions des juges. Ces recours assurent que les décisions judiciaires peuvent être réexaminées et corrigées si nécessaire.
Par ailleurs, le pouvoir législatif a le rôle crucial de créer des lois et de superviser l’exécutif. En dernier ressort, le législatif peut modifier des lois pour contrer toute interprétation judiciaire excessive ou inappropriée, assurant ainsi un équilibre des pouvoirs.
Enfin, l’indépendance judiciaire signifie que les juges sont libres de rendre des décisions impartiales, mais cela ne signifie pas qu’ils sont au-dessus des lois ou qu’ils ne sont pas responsables. Les juges doivent toujours interpréter et appliquer les lois dans le cadre des normes constitutionnelles établies par le législatif.
La crainte d’une République des juges est un chiffon rouge agité en France depuis longtemps pour justifier un système judiciaire bien plus attaché à l’Exécutif que dans les autres démocraties occidentales.
Historiquement, le président de la République française a été le président du Conseil Supérieur de la Magistrature. Cette pratique a été critiquée pour son impact potentiel sur l’indépendance judiciaire. Actuellement, la réforme de 2016 a réduit le rôle direct du président dans le CSM, mais des questions persistent sur l’indépendance réelle.
De son côté, le système américain illustre une stricte séparation des pouvoirs, où le président n’a qu’un rôle indirect dans la nomination des juges fédéraux. Dans ce processus le président est chargé uniquement de nommer et seul le Sénat américain détient le pouvoir de rejet ou de confirmation. Cela vise à maintenir une certaine distance entre l’exécutif et le judiciaire.
L’Allemagne pour sa part maintient également une séparation rigoureuse des pouvoirs avec des organes distincts pour l’exécutif, le législatif et le judiciaire, évitant ainsi toute concentration excessive de pouvoir et préservant l’indépendance du pouvoir judiciaire.
LE MODÈLE PROGRESSISTE SUD-AFRICAIN –
L’Afrique du Sud offre un cas fascinant de respect de la séparation des pouvoirs, essentielle pour la stabilité démocratique et la protection des droits constitutionnels depuis la fin de l’apartheid. Suit une exploration de la manière dont la séparation des pouvoirs est respectée dans le système judiciaire sud-africain.
La Constitution sud-africaine, adoptée en 1996 après la fin de l’apartheid, établit clairement les pouvoirs et les fonctions de chaque institution de l’État : l’exécutif, le législatif et le judiciaire. Elle garantit également les droits fondamentaux des citoyens et définit les principes de gouvernance démocratique.
La Constitution insiste sur l’indépendance du pouvoir judiciaire, affirmant que les tribunaux sont soumis uniquement à la Constitution et à la loi, et ne doivent pas être influencés par des intérêts politiques ou autres pressions externes. Les juges sont nommés de manière indépendante, et leurs décisions ne peuvent être annulées que par des procédures juridiques appropriées, garantissant ainsi leur autonomie dans l’interprétation et l’application de la loi.
La Cour constitutionnelle est la plus haute autorité judiciaire en matière constitutionnelle en Afrique du Sud. Elle est chargée de vérifier la constitutionnalité des lois et des actions du gouvernement, de protéger les droits fondamentaux des citoyens, et de maintenir l’équilibre entre les pouvoirs. La Cour constitutionnelle a le pouvoir de rendre des décisions contraignantes pour toutes les autres cours, garantissant ainsi l’uniformité et la primauté du droit constitutionnel.
En plus de la Cour constitutionnelle, l’Afrique du Sud dispose d’un système judiciaire complet avec des tribunaux inférieurs qui traitent des affaires civiles, pénales et administratives à différents niveaux. Chaque niveau de tribunal joue un rôle spécifique dans l’administration de la justice selon les lois applicables.
La Cour constitutionnelle a souvent été appelée à vérifier la constitutionnalité des lois adoptées par le Parlement sud-africain. Cela démontre son rôle crucial dans le maintien de la séparation des pouvoirs en s’assurant que les lois respectent les normes constitutionnelles et les droits fondamentaux.
Les juges en Afrique du Sud sont nommés sur la base de leur compétence professionnelle et ne sont pas soumis à des influences politiques directes. Cela garantit que leurs décisions sont prises en fonction du droit et non de considérations partisanes ou externes
La séparation des pouvoirs renforce la protection des droits fondamentaux des citoyens en permettant au pouvoir judiciaire d’agir comme un contrepoids aux actions potentiellement inconstitutionnelles ou injustes du gouvernement ou du législateur
En respectant la séparation des pouvoirs, l’Afrique du Sud renforce la confiance du public dans le système judiciaire, crucial pour la stabilité politique, économique et sociale du pays.
SE RÉFÉRER AUX BONNES PRATIQUES –
La Fondation Ford a joué un rôle significatif et historique dans le processus d’élaboration de la Constitution sud-africaine de 1996. Franklin Thomas, président de cette institution philanthropique américaine de 1979 à 1996, a été un acteur clé dans ce processus. Avant les négociations constitutionnelles officielles qui ont conduit à la Constitution de 1996, l’institution philanthropique américaine a soutenu financièrement des recherches approfondies et des débats critiques sur les principes et les modèles constitutionnels. Cela a permis de jeter les bases d’une réflexion constructive et informée parmi les diverses parties prenantes en Afrique du Sud
Des rencontres et des dialogues ont été facilités entre les leaders politiques, les juristes, les universitaires, ainsi que les représentants de la société civile et des communautés marginalisées. Ces forums ont joué un rôle crucial en encourageant la participation démocratique et en favorisant la compréhension mutuelle nécessaire à la construction d’un consensus constitutionnel.
Par ailleurs, plusieurs organisations de la société civile en Afrique du Sud ont joué un rôle actif dans les négociations constitutionnelles. Cela comprenait des groupes de défense des droits humains, des organisations communautaires et des instituts de recherche juridique.
En encourageant des initiatives visant à promouvoir la justice sociale, l’équité raciale et les droits fondamentaux, ces efforts ont contribué à ancrer ces valeurs dans le processus constitutionnel sud-africain. Cela a été essentiel pour contrer les héritages de l’apartheid et pour établir un cadre constitutionnel solide basé sur les principes de l’État de droit et de la démocratie.
Le rôle de ces initiatives dans l’élaboration de la Constitution sud-africaine a laissé un héritage durable de liberté et de justice en Afrique du Sud. La Constitution de 1996 est largement reconnue comme l’une des plus progressistes au monde, protégeant une vaste gamme de droits et établissant des mécanismes forts pour la protection de la démocratie et de l’État de droit.
L’expérience sud-africaine a souvent été citée comme un modèle pour d’autres pays en transition ou confrontés à des défis de consolidation démocratique ou de rupture systémique. Elle démontre l’importance du partenariat entre les acteurs nationaux dans la promotion de la bonne gouvernance et des droits humains.
NÉCESSITÉ D’UNE TRANSFORMATION SYSTÉMIQUE AU SÉNÉGAL –
Avec l’arrivée au pouvoir du mouvement Pastef, il est crucial pour l’administration Faye-Sonko de ne pas tomber dans le piège des petites réformes qui maintiennent intact le système ancien mais d’envisager une réforme judiciaire qui s’inspire des meilleures pratiques internationales, telles que celles observées en Afrique du Sud.
Décoloniser et émanciper la justice au Sénégal implique de repenser et de réformer le système judiciaire de manière à renforcer l’indépendance, la transparence et l’efficacité. S’inspirer des meilleures pratiques internationales tout en adaptant ces modèles au contexte spécifique du Sénégal est essentiel pour promouvoir une gouvernance démocratique solide et durable, répondant aux aspirations des citoyens pour une justice juste et équitable. L’instrumentation politique de la Justice doit devenir une affaire du passé au Sénégal.
Réformer la Justice pour assurer la Rupture au Sénégal ne peut se concevoir que dans un cadre plus général de refondation des institutions. L’article publié sous le titre “Pour une théorie du changement“ (Sud Quotidien du 28 juin 2024) développe cet aspect de manière explicite. L’ambition pastéfienne de sortir le Sénégal du système néocolonial est partagée par l’écrasante majorité des Sénégalais et des jeunesses africaines. Cette ambition doit cependant être exprimée dans la présentation d’un cadre général clair, discuté et élaboré avec les citoyens. Le processus doit être réfléchi, inclusif et sérieux. Cela aussi, c’est la Rupture exigée par les Sénégalaises et les Sénégalais le 25 mars 2024.
RENÉ LAKE
par l'éditorialiste de seneplus, ibe niang ardo
LES TOUT-PETITS DAMNÉS DU SYSTÈME
EXCLUSIF SENEPLUS - La violence dans notre société prend racine dans l'inégalité des chances offertes aux enfants, dont les talibés. Cette situation banalisée par le Sénégal choque pourtant des visiteurs étrangers
Ibe Niang Ardo de SenePlus |
Publication 14/07/2024
Il est beaucoup question de Système de nos jours. Les hommes politiques l’invoquent aussi bien pour damner nos déficits que pour susciter nos espoirs. Et effectivement, ils n’ont pas tort. Un État moderne ne peut exister sans un système en son sein. C’est cela qui fait que nous formons un corps vivant dynamique (un système) propulsé par un jeu de sorts et ambitions, dans une trajectoire théoriquement bien ferrée et dirigée vers une destination rêvée.
Mais ce système pour nous aurait déraillé depuis que le colon, chef de gare, a sifflé le départ en 1960 - les rails ayant été sciemment minés. Comprenez-moi, je suis fils de cheminot et j’ai grandi proche des trains et rails. Par conséquent depuis 1960 nous nous sommes habitués à une incompréhensible violence qui ne peut s’expliquer que par le cumul de défaillances et vaines tentatives de nous en sortir. Une répétition sempiternelle de la même sanction de nos politiques de développement d’un régime à un autre : “Échec et mat”! Sans jamais s’en indigner et avec cela un cortège de violence qui s’endurcit sous le voile d’un étrange stoïcisme. De ce système, je m’intéresse aujourd’hui à un seul pan, en dehors des priorités publiques qui se prétendent inclusives : les enfants en bas âge abandonnés à leur sort de mendiants errants dans les rues nuits et jours.
Quelle grave banalisation de la violence dans notre société
L’histoire édifiante que je m’en vais vous raconter, pour en tirer avec vous les leçons, s’est passée ici il y a un mois et j’en suis moi-même acteur.
Un couple de retraités que nous avions connu mon épouse et moi en Suisse et dont le mari était à la tête d’une très importante société européenne, était arrivé au Sénégal dans le cadre d’un tour d’Afrique. Une fois chez nous, dernière étape du tour, tout s’était si bien déroulé jusqu’au moment où la dame, face au nombre d’enfants constatés dans la rue, ne pouvant plus se retenir d’émotion, fut prise de sanglots, déclenchant ainsi un traumatisme qui a gâché le reste du voyage. Sur le moment, je ne pouvais m’expliquer de si intenses émotions pour “si peu”, car il n’y avait pas eu d’agression physique de la part de ces marmots, habitué que je suis que la violence ne commence qu’à partir de ce moment.
Un mois plus tard, de retour chez eux, le mari contacte mon épouse pour lui faire part de leur intention de contribuer à la prise en charge de ces enfants avec des fonds qu’ils ont décidé d’octroyer à une ONG, à elle d’identifier, capable de les utiliser à bon escient. Ils n’avaient donc pas oublié, leur sensibilité ayant été réellement mise à rude épreuve par cette situation paradoxalement banalisée par nous, parents de ces enfants. Aussitôt dit, aussitôt fait ! Avec l’aide diligente de mon épouse, la convention de financement avec une ONG de la place est aujourd’hui signée, engageant leur fondation familiale mondialement connue dans un financement gratuit. J’ai compris alors combien la situation des enfants en bas âge mendiants dans la rue était d’une extrême violence. Aussi devons-nous en prendre la pleine mesure au lieu de tourner le regard ailleurs, aidés en cela par le terme euphémique de “talibé”. Ces victimes de notre société n’en sont pas moins membres à part entière, d’égale dignité et droit que n’importe quel autre fils du pays, fut-il haut dignitaire. Et quand abandonnés comme ils sont à ce cruel sort, ils sont torturés, violés et tués, quelles qu’en soient les circonstances, chacun de nous commet solidairement un fratricide ou un parricide. Soixante-quatre ans d’indépendance, cinq présidents qui se sont succédés et toujours une aggravation de la situation en lieu et place d’une solution. Tant qu’on n’a pas trouvé une solution fondée sur une éducation égalitaire de qualité pour l’ensemble de nos enfants sans exception, nous demeurons dans un perpétuel système, générateur par défaut de désordre et violence.
Dans une société humaine, les sorts et activités sont liés les uns les autres
Juste ! Il y a une interconnexion de tout ce monde qui n’exclut rien qui en fasse partie. Ce phénomène des enfants dans la rue est là depuis le temps de Senghor et il faut se poser la question de savoir où sont passés ceux qui alors avaient cinq ans, il y a quinze ans et avant. Notre encombrement des rues vient plutôt de là. Nombre d’entre eux, vous pouvez les retrouver “coxeurs” dans tous les lieux où s’activent des marchands ambulants où dans les marchés et les garages de transports en commun. Ils se sont connectés à cette communauté sans normes, snobée par l’élite et qui joue sa survie en comptant surtout sur la force d’une masse critique intimidante, plutôt que de se conformer tout simplement aux règles. Enfin, ces enfants défavorisés ne sont pas des idiots. Ne pas leur offrir les mêmes opportunités que leurs concitoyens privilégiés est une ultime tare qui plombe notre système économique. L’effectif des filles dans nos écoles, la place des femmes dans notre économie aujourd’hui, alors que ce genre était proscrit d’enseignement tout comme ces mendiants il y a à peine quelques décennies, suffit à valider mon propos.
Cette situation obère nos chances de juguler la montée de la violence dans nos cités, car elle est la base d’un écosystème social tapis de souffrance rageante et d’injustice.
À ces pauvres enfants, pourvu que la récente alternance politique soit pour eux et notre pays le rendez-vous avec la chance de tourner définitivement cette page de notre histoire.
Au président de la République, je voudrais l’inviter humblement à prendre cette situation pour chose inacceptable, incompatible avec l’écosystème moderne juste et émancipateur que l’on attend de son magistère, sans quoi il ne réussira qu’à faire pire que ses prédécesseurs.
Ibe Niang Ardo est président du Mouvement citoyen Jog Ci.