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30 novembre 2024
Opinions
par Jean Pierre Corréa
COMME UNE POULE QUI A TROUVÉ UN COUTEAU
Nous avons vu le 31 décembre un chef d’orchestre sans groove ni swing, aux allures d’automate, qui va dorénavant se faire déposer des « foules Potemkine », comme à Tambacounda, créant des opportunités pour les voleurs de ce qui reste à voler
Ce dernier jour de l’an 2022, les vœux les plus insignifiants de l'histoire du Sénégal, les plus convenus et les plus malvenus, ont été adressés au peuple Sénégalais par un président de la République, qui avait décidé, comme par défi, de ne pas libérer la pression qui fait du Sénégal une cocotte-minute turbulente, aux vapeurs dangereuses, en ne tenant aucun compte des colères qui grondent, émanant de citoyens qui pourtant très calmement et avec une grande dignité, lui avaient demandé la veille d’enfin siffler la fin d’une indécente récréation et d’une scandaleuse surprise party, organisée, toute honte bue par plusieurs de ses proches. « Circulez ! Il n’y a rien à voir », a rétorqué le chef de l’État, débitant en creux, un discours hors-sol, qui du coup, n’avait nul besoin d’un concert de casseroles pour être inaudible.
Pendant 20 minutes interminables, tant ce que les Sénégalais espéraient de sa parole était hors de son propos, le président Macky Sall a donné la pénible impression d'être fatigué de vivre et d'avoir peur de mourir... Aucun souffle porteur de vents favorables, lesquels, même s’ils survenaient, seraient sans effets, puisqu’aucun cap ne fut posé. Le chef de l’état nous distillé l’image d’un homme harassé, qui a « joué battu », et semblait porter sur ses épaules le lourd fardeau des tocards qui l'ont pris en otage et qui, voulant être sauvés vont le mener implacablement vers le Bûcher des Vanités. C'est triste vraiment pour ce pays lobotomisé par le feuilleton animé par une gourgandine, qui à chaque épisode, transforme l’Alliance pour la République, en « Benno Bokk Adji Sarr », dans une ambiance de « foutage de gueule » indécent.
Ce fut un indigeste discours de politique générale d'un Premier ministre, mais ce ne furent pas des vœux de Nouvel an. C’en était triste pour lui-même. Même s'il n'y avait eu que deux casseroles dans tout Dakar, il nous a donné l’image que cela, passez-moi l’expression, « l’emmerdait »... C’est lui qui symbolisait « la » casserole, celle que son régime traîne comme un boulet, et dont le contenu empeste sa gouvernance, qu’il nous a naguère vendue comme « sobre et vertueuse »… Il est probable que ses proches amis ont dû entendre « opprobre et tortueuse »…
Empêtré dans une litanie de projets dont les Sénégalais n'ont cure, même s’ils sont structurants pour notre nécessaire émergence, il avait, trottant dans sa tête, que même s’il leur avait ramené la Coupe du monde, en ayant lui-même marqué le but décisif, ils n’en n'avaient rien à faire... Au « Circulez ! Il n’y a rien à voir ! » dédaigneux de Macky Sall, une partie significative des Sénégalais a opposé un « Cause toujours ! » assourdissant.
Les Sénégalais, dans leur majorité, à défaut de retrouver l’homme qui les avait subjugués par son audace en 2011, avant de devenir le président le mieux élu de notre histoire, attendaient au moins de lui, qu’il évoque, n’eût été que du bout des lèvres, en les montrant du nez, ceux de ses proches qu’il ne compterait pas le moins du monde protéger des questionnements de nos magistrats. Les Sénégalais espéraient, même avec leurs casseroles bruyantes et effrontées, que l’homme qui avait écrit un chapitre de la vitalité de notre démocratie, allait prendre enfin, la mesure de l’histoire en maîtrisant sa partition, ainsi que le véritable sens du mot « responsabilité ». Au lieu de cela, ils ont eu droit au lénifiant discours d’un intendant en chef, qui a décliné la réfection de nos lycées aussi délabrés que les enseignements qu’on y dispense, qui a fait la liste des coûteux joujoux qui font « jolis » dans les pages spéciales très chères payées de Jeune Afrique, mais qui n’a à aucun moment diffusé ce souffle qui autorise ceux qui l’ont entendu sans l’écouter, à rêver de nouveau à un Sénégal en paix, et à se sentir considérés comme des citoyens dont on n’insulte pas les intelligences avec autant d’inélégance morale.
Les casseroles rythmaient en l’accompagnant, l’expression de ce désir de respect et de considération des désillusions des citoyens sénégalais, face à une kleptocratie décomplexée et désinvolte.
La prise en otage de notre vie politique, économique, sociale, citoyenne continue et nous allons aller de « Nemeku Tour » en Tagato Tour », dans le brouhaha médiatique du barnum politique, dans la fureur des insultes proférées dès qu’un avis s’énonce ou qu’une réflexion intelligente s’invite dans ce débat glauque, auquel ils nous convient tous régulièrement.
Nous avons vu le 31 décembre un chef d’orchestre sans groove ni swing, aux allures d’automate, qui va dorénavant se faire déposer des « foules Potemkine », comme à Tambacounda, y promettant d’improbables enveloppes de 800 milliards, créant des opportunités pour les voleurs de ce qui reste à voler, de s'en mettre derrière la cravate, sortant de son chapeau, lors de sa prochaine halte régionale, d’autres milliards magiques dont nous n’avons plus le premier fifrelin, et il va venir nous dire un jour, sans frémir, que sous l’insistante demande des Sénégalais, il s’est résolu à prendre la lourde décision de sauver notre pays du chaos, et blablabla et blablabla, et ainsi à continuer de parler, parler, parler, encore parler, jusqu’à temps…d’avoir quelque chose à dire !!!
Le malaise présidentiel provenait de ce manque de désir, et lui donnait l’air d’une poule qui a ramassé un couteau, et qui ne sait pas quoi faire avec. Comme piloter un avion sans ailes… Au Sénégal aujourd’hui, on ne vole plus… On n’y vole seulement.
Bonne année…
Post Scriptum.
Les concerts de casseroles, comme le brouhaha des « tournées économiques », créent les conditions d’un abêtissement des militants politiques, qui n’ont pas connu l’heureux temps des « écoles du parti », où on leur apprenait qu’une foule n’est pas une meute, et qu’on n’est pas obligé d’agresser Pape Djibril Fall, parce qu’il a le tort de revendiquer son libre-arbitre. Il ne faut pas que ceux qui rêvent d’être une solution deviennent le problème, en ne prenant pas des dispositions claires contre les abrutis qui leur servent parfois de militants. Wasalam !
par Felwine Sarr
CE MANDAT DE TROP QUI VOUS TENTE
EXCLUSIF SENEPLUS - Le fait même d’entretenir le clair-obscur est un aveu. La dérive autoritaire commence quand le prince peut faire dire au signe linguistique ce qu’il veut. L’esquif Sénégal ressemble à une barque qui a perdu son cap
Le président de la République en décembre 2019, à la question de savoir s’il allait se présenter ou pas pour un troisième mandat avait répondu par un ni oui ni non. Lors de son adresse à la nation du 31 décembre 2022, il n’a pas évoqué la question. Cependant, tous les actes qu’il a posés depuis indiquent qu’il se prépare à y aller (Lu Defu Waxu). Ne lui faisons pas de procès d’intention diront certains, pour l’heure il n’a rien dit de définitif. À une question dont la seule réponse possible est non, puisque la Constitution est claire sur ce point ; le fait même d’entretenir le clair-obscur est un aveu, au moins d’une tentation ou de l’évaluation des chances de réussite d’une telle entreprise. Par cette seule attitude de maintien du flou sur une question qui engage le destin de la collectivité entière, le contrat avec la nation noué en 2012 lors de sa prestation de serment, et renoué en 2016 à l’issue du referendum sur la Constitution est d’ores et déjà cisaillé.
Cette non-réponse a pour effet de prendre le peuple sénégalais en otage et de le maintenir dans l’expectative, pendant que ses partisans occupent l’espace médiatique et comme en 2012, tentent de nous faire comprendre que les mots n’ont plus le sens qui est le leur. La dérive autoritaire commence quand le prince peut faire dire au signe linguistique ce qu’il veut. Quand « Nul ne peut exercer plus de deux mandats consécutifs », ne signifie plus, « Nul ne peut exercer plus de deux mandats consécutifs ». Et c’est à cette opération de brouillage de sens que se livre le camp présidentiel. Car ici peu importe la durée du mandat, c’est la consécution de ces derniers qui est limitée à deux. C’était le sens de notre combat en 2012 contre le troisième mandat de Wade. Établir un rythme d’alternance inscrit dans le marbre de la Constitution qui assure une respiration démocratique, un renouvellement des élites gouvernantes, l’alternance des projets de sociétés et la transmission pacifique du pouvoir.
Quel recul, si nous nous retrouvions en 2024 dans la même situation qu’en 2012 ! Tout ceci pour cela ! Le procédé, nous le connaissons hélas, Wade l’avait déjà expérimenté. Nommer des juges acquis à sa cause au Conseil constitutionnel, lâcher ses propagandistes dans les médias et ses juristes qui tentent par une sophistique juridiciste (avec cette idée que le droit constitutionnel est complexe et ésotérique), de rendre acceptable une lecture de l’article 27 de la Constitution qui sémantiquement, éthiquement, politiquement, juridiquement ne l’est pas et fouler ainsi au sol le texte fondamental qui nous lie et qui fixe les règles qui gouvernent notre vivre-ensemble. Un seul individu, fut-il président de la République, ne peut confisquer un pouvoir que le peuple sénégalais lui a confié dans des termes qui étaient ceux d’un refus d’une dévolution monarchique du pouvoir, d’un troisième mandat et d’un désir de justice sociale et de redevabilité. La conséquence ultime d’un tel acte est de désacraliser la Constitution dans l’inconscient collectif. Toute communauté pour faire d’un tas un tout, se fonde sur des règles qu’elle met au-dessus d’elle-même, au-dessus des ambitions partisanes et des intérêts privés afin de garantir la poursuite de l’intérêt général. La Constitution reflète les règles qui fondent notre communauté politique et in fine, le peuple est le suprême constituant. Dire à ce dernier « cher peuple tu n’as pas compris ce que tu veux, nous les maîtres de la science constitutionnelle avons compris mieux que toi que Nul ne peut, ne signifie pas dans ce cas précis, Nul ne peut », en plus de ne pas faire cas de l’intelligence collective des Sénégalais quant au sens de leur histoire politique, relève d’un hold-up de notre volonté collective. Ce que le peuple veut (au moins sur cette question), il l’a exprimé clairement en 2012 dans la rue et dans les urnes.
M. le président de la République,
L’esquif Sénégal ressemble à une barque qui a perdu son cap et qui erre dans la brume. Un bateau en déréliction voguant dans des eaux troubles et s’apprêtant à affronter des tempêtes à venir. C’est un paquebot qui a perdu de sa superbe, dont le capitaine semble ne plus voir les nuages qui s’amoncellent, habité par le rêve (que légitimement on vous prête) de briguer un troisième mandat et peu importe si cette tentative nous plonge dans l’instabilité. Peu importe les 10 morts que ce combat pour la respiration démocratique et l’alternance au pouvoir nous ont coûté en 2012 ; peu importe si vous avez vous-même répété à plusieurs reprises urbi et orbi, que vous aviez verrouillé la Constitution ; que le mandat que les Sénégalais vous avaient confié en 2019 était votre second et dernier mandat. Peu importe que la région sahélienne soit instable et que l’ilot que le Sénégal constitue ne puisse s’offrir le luxe d’ouvrir la boîte de pandore. Les raisons sont nombreuses pour éviter que ce désir de briguer le mandat de trop, ne nous embarque collectivement dans une aventure des plus hasardeuses.
Nous assistons médusés ces derniers temps à un détricotage systématique de nos acquis sociétaux et démocratiques. Des digues qui cèdent les unes après les autres. Une montée inexorable des eaux. François Mancabou mort dans les locaux de la police nationale. Deux gendarmes, le sergent Fulbert Sambou et l’Adjudant-chef Didier Badji qui disparaissent dans des circonstances troubles, dont le premier retrouvé mort, visiblement noyé, et le second dont nous sommes sans nouvelles. Des caricaturistes (Papito Kara) détournant des unes de journaux sur internet, emprisonnés, certains pour avoir liké des post avec des smileys. Pape Alé Niang, un journaliste emprisonné pour avoir effectué son travail (informer) et faisant l’objet d’un acharnement judiciaire. Une grande muette qui ne l’est plus et qui laisse fuiter des dossiers sensibles, afin que nul n’en ignore. Des jeunes que l’on interpelle lors de manifestations et à qui l’on demande leur patronyme ; et quand ceux-ci sont à consonance casamançaise, on les arrête et les embarque dans le panier à salade, direction la garde à vue. Un militant de l’APR qui appelle à défendre le troisième mandat avec des machettes, un député qui promet de marcher sur nos cadavres pour la réélection de son champion en 2024. Des citoyennes et citoyens que l’on intimide pour délit d’opinion et que l’on fait passer par la case prison, à chacun son tour, comme pour un tourne-manège. Après les émeutes de mars 2021, 14 personnes sont mortes, certaines tuées à bout portant (une des scènes a été filmée) ; aucune enquête ouverte, aucun procès, aucune responsabilité située jusqu’à ce jour. Une douleur des familles compensée à coups de liasses de CFA, que celles-ci acceptent faute de mieux en s’en remettant à Dieu et à la fatalité du destin. Une dégradation des mœurs politiques rarement vue dans ce pays. Une Assemblée nationale devenue une foire d’empoigne et une arène de chiffonniers. On s’y insulte copieusement, on y frappe une femme députée et pire certains trouvent le moyen de justifier l’injustifiable, et par ce fait même, l’abject patriarcat qui gangrène notre société. Des députés, à l’exception de quelques-uns, qui ne sont pas à la hauteur de l’exigence du débat républicain qui leur a été confié par un peuple, qui en votant aux dernières élections législatives comme il l’a fait, a souhaité équilibrer la parole et le pouvoir à l’Assemblée nationale et voir ses préoccupations fondamentales sereinement relayées et débattues. Au lieu de cela, nous assistons dans ce lieu et dans l’espace public à une dégradation générale de la parole devenue violente et ordurière.
Nous assistons incrédules à l’érosion de ce qui a fait de notre pays une nation qui a su éviter les conflits ethnico-religieux, les coups d’états militaires, les guerres civiles dans une Afrique postcoloniale aux prises avec des soubresauts multiples. Ce tissu social solide, en dépit de ses vulnérabilités, est le résultat d’une lente construction collective, faite de consensus sociaux, de combats politiques, de luttes citoyennes et syndicales, d’avancées démocratiques conquises de haute lutte, de cohabitation interreligieuse et inter-ethnique préservée par une ingénierie culturelle et sociale, des valeurs partagées ; mais aussi par l’édification lente et patiente d’institutions sociales et politiques jouant leur rôle. C’est de l’une de ces institutions - pierre angulaire, la Constitution, dont vous êtes le gardien et le garant.
M. le président de la République,
Vos prédécesseurs ont chacun à sa manière, en dépit des limites de leurs mandatures (et du forcing avorté de Wade), contribué à renforcer la démocratie sénégalaise en apportant leur pierre au difficile édifice. La vôtre, á ce moment de notre histoire politique, est de poser un acte qui contribuera à faire de notre nation de manière irréversible une démocratie majeure, qui a définitivement résolu la question de la transmission pacifique du pouvoir, et celle d’une alternance inscrite dans ses textes et surtout dans ses pratiques et ses traditions. Afin qu’enfin les élections deviennent des moments de débat sur le destin de la nation et plus ceux de nuages gros de risques, planant au-dessus de nos têtes.
Lorsqu’il y aura des manifestations et des troubles contre un troisième mandat - et il est à prévoir qu’il y en ait si vous vous présentez - car il n’y a aucune raison pour que le peuple sénégalais accepte en 2024 ce qu’il avait refusé en 2012 (souvenez-vous que c’est ce refus du troisième mandat que souhaitait Wade qui vous a porté au pouvoir en 2012) ; et que des vies humaines seront perdues, car vous avez surarmé la police et la gendarmerie. Vous en porterez la responsabilité. Nous attendons de vous que vous annonciez qu’après avoir été élu deux fois à la tête du Sénégal ; que vous ne vous porterez pas candidat une troisième fois à l’élection présidentielle ; et que ce faisant, vous respectiez votre serment, que vous rendiez au Sénégalais.e.s l’honneur qu’ils vous ont fait en vous confiant leur destin durant deux mandats, et que vous consolidiez et préserviez notre démocratie.
COLLECTIVE TEXT
TAKEN HOSTAGE, HAÏTI IS DYING, LET'S TAKE ACTION NOW
We launch this urgent appeal: let us act now, with a new and genuine benevolence, whatever the risks, and without individual geopolitical intentions. The Haitian populations are in danger. History will not be kind to those who remain inactive
beware above all of crossing your arms and assuming the sterile attitude of the spectator,
for life is not a spectacle,
a sea of grievances is not a proscenium,
and a man who wails is not a dancing bear.”
Aimé Césaire, from “Return to my Native Land” (first published in 1939)
Taken from the valleys once trodden by Afarensis, or from Zanzibar, Madagascar, Gorée, El Mina, Bimbia, Benguela, Luanda, Cabinda, from the savannahs and forests, Ségou, Benin, Sokoto, the shores of the Congo or the Ubangi, or along the other mighty rivers, Ogooué, Casamance, Niger, Sanaga, having left behind the cosmogony still binding them today to the mother of all continents, enslaved Africans arrived centuries ago in the Americas. In the worst forced migration of all times, the transatlantic slave trade took some of these men, women and children to Kiskeya, also known as Hispaniola, the island in the Caribbean Sea shared today by Haiti and the Dominican Republic.
A land immersed in African traditions, Haiti, the "Pearl of the Antilles" or "Mountain Country" in the Taino language is the nation where enslaved black people have shown the greatest resilience.
On August 14, 1791 in the forest of Bois Caïman, the voodoo priest Dutty Boukman organized a ceremony with the support of the priestess Cécile Fatiman, a “mambo” who performed sacrifices. On that memorable stormy night, enslaved participants solemnly vowed that servitude would be doomed, taking the oath to fight or die. They would later obey the orders of Toussaint Louverture in the revolt masterminded by the remarkable leader. His epic victory - rare, even unique - against one of the worst crime ever committed against humanity, continues to be narrated by many. Toussaint, a strategist and visionary Caribbean islander defeated the stubborn Napoleon, an islander hailing from Corsica. This historic victory was sung by great poets like Aimé Césaire.
On January 1, 2023 the first black republic celebrates the 219th anniversary of its glorious independence. However, the Pearl of the Antilles is dying.
Haiti was obliged to pay a ransom to France as a compensation to French slave owners for lost property, otherwise slavery would be re-imposed and Haiti invaded. In May 2022, the New York Times published a series of well researched articles titled “The Ransom: Haiti Lost Billions”, which narrates this perfidy. Port-au-Prince has so far paid up to $115 billion to France, a staggering sum for Haiti, a ransom that heavily indebted the poor country. Bad governance, corruption and invasions added to an already unbearable burden for the Haitian people. Moreover, the American military occupation, from 1915 to 1934 had a major bank in New York as its main financial backer. In the end, all these factors could only result in a failed state fed for many decades with the adrenaline of violence and the jolts of anarchy and chaos. The ravages of earthquakes, extensive deforestation and the exile of its citizens aggravated Haiti’s fate.
Tormented and neglected, settled in instability, Haiti seems close to sinking. The security situation is dire. Famine affects nearly five million people. Shortly after the 2010 earthquake, an epidemic of cholera imported by UN blue helmets broke out in Haiti when no case had been detected there for more than a century. Faced with these accusations, the then Secretary-General of the United Nations, Ban Ki-moon, had the courage and integrity to issue an official apology. Today, the resurgence of cholera brings more death. On December 21, 2022 speaking to the Security Council, the United Nations Deputy Secretary-General Amina J. Mohammed stated that “Haiti is in a deepening crisis of unprecedented scale and complexity that is cause for serious alarm.”
One of the greatest challenges is that much of Port-au-Prince - a capital of nearly 3 million people - is in the hands of gangs. Their names are drawn from urban tragedies - 400 Mawazos, Chen mechan (Naughty Dog), Cracheurs de feu (Fire Spitters)... The list of gang leaders includes Barbecue, Gaspiyai (Mr. Waste)... Their only motivation seems to be financial and criminal. Gangs have taken the country hostage: they kill; they rape; they steal. Sexual violence is a breeding ground for a future in which society may lack cohesion.
The police are either overwhelmed or complicit. The Haitian army, that not so distant Macoute memory, was dismantled by the international community in the 1990s. Demobilized soldiers were never adequately reinserted into society. The judicial system is moribund. To date, the international community has only been able to finance less than 20% of current humanitarian needs in Haiti, while elsewhere in the world, billions of dollars are generously flowing to alleviate other humanitarian crises.
Haiti, the poorest country in the Western Hemisphere is caught in a recurring nightmare, as if the country is re-experiencing the tales from "The Comedians", a masterpiece published by Graham Greene in 1966. The novel, located under the reign of François "Papa Doc" Duvalier and his Tontons Macoutes, explores the political repression and terrorism that raged in Haiti, and particularly in Port-au-Prince.
However, Haiti should not be seen only as a tragic and brutal tale. The land of Makandal, Toussaint, and Dessalines is blessed with magnificent creativity and sustained by remarkable hope. Haiti has always been culturally bright and intellectually challenging. The iconic Hotel Oloffson in Port-au-Prince once attracted bands such as the Rolling Stones. Thereafter, soul searching Ra-Ra processions by the "roots music" band RAM took over the hotel. Haiti is also the country of the talented musician Wycleff Jean; the band Tabou Combo; or the unforgettable Jean Gesner Henry, aka Coupé Cloué or "the African", the king of kompa mamba, a cool musical style widespread around the world. Writers, playwrights, filmmakers, poets, artists, educators, musicians and craftspeople abound. The superb beauty of the countryside is praised in the books of the Haitian neurologist, novelist and poet Jean Métellus (1937 - 2014), like in Jacmel au crépuscule or Jacmel at dusk. The tragic king Christophe is immortalized in a masterpiece by Aimé Césaire, the literary giant from neighboring Martinique. For more than a century, Haiti also gave birth to magnificent authors and poets: Joseph Anténor Firmin, Louis Joseph Janvier, Justin Lhérisson, Jean-Price Mars, Félix Morisseau-Leroy, Charles Moravia, Frankétienne, Anthony Phelps, Dany Laferrière , Louis-Philippe Dalembert, Edwige Danticat, René Depestre…and many others.
The greatest tragedies, such as the 2010 earthquake, have certainly killed and maimed many, destroying infrastructure. But these tragedies have not shaken the soul of this amazing and endearing country. Like the intrepid Haitian woman, Haiti astonishingly remains standing, and its culture vibrant.
The international community, sub-regional and regional organizations, academia, media, communications gatekeepers, the private sector, the Haitian comprador bourgeoisie: all have a responsibility for Haiti. This is not an easy conversation. Migration issues are a hot topic in most Western countries. In September 2021, images of US guards on horseback armed with whips pushing back Haitian migrants at the border with Mexico caused a great stir around the world. But these whiplashes from the slave trade era cannot rewrite the heroic history written by Haitians with their blood, sweat, tears and courage. Haiti is the only slave-led military uprising that was able to overthrow a slave-holding colonial power. Haitians are very brave people.
The international community was called upon to step in and fight the gangs. Just as the corrugated iron walls of Haiti's slums will not stop stray bullets, our physical distance from Haiti will not prevent tragedy from piercing our souls and comfort zones. In the light of past failures, one can honestly wonder if a foreign military intervention in Haiti would bring a lasting solution. Either way, inertia is not an option. Any intervention should revisit and learn from history, prioritize security, actively promote and support justice while helping to build trust and good governance. The situation must be tackled as a whole, without delay.
What the international community will do or will not do is critically important. Notwithstanding, we support Haitian citizens who want an end to anarchy and violence, who want justice. To assess the strength and the value of a family, one must observe the solidarity with which it protects the most vulnerable of its members. The first black republic, perhaps the most fragile within the family of Nations, is short of food, drinking water, fuel, peace, justice.
We launch this urgent appeal: let us act now, with a new and genuine benevolence, whatever the risks, and without individual geopolitical intentions. The Haitian populations are in danger. History will not be kind to those who remain inactive or who choose to look elsewhere.
That would be non-assistance to a people in danger.
It is difficult to envisage the resolution of this Gordian knot without outside intervention. The Haitian people will only be able to vote and freely choose their leaders if there is security.
A member of the family of nations is being held hostage by the pitfalls of historical injustices, recurring bad governance and the brutality of armed gangs: the entire family must intervene so that this member is free from the hostage takers as well as from the contingencies of past failures. Haitians would fly with their wings towards the peaks of human development, we sincerely hope.
Sitting idly by is not an option.
Let us therefore gather our forces for a success in Haiti, and as Césaire predicted, there will be "room for everyone at the rendezvous of victory".
Otherwise, we will all be guilty of failing to assist this heroic people in danger.
Let us respond to the poetic exhortation of Jean Métellus. From his exile a few decades ago, his poem was a beautiful cry, "Au pipirite chantant" or “When the Pipirite Sings.” His lament has not aged a bit. It is the plea from the
Haitian peasant who at the singing pipirite,
despises memory and manufactures projects
Revokes the past braided by plagues and smokes
And from daybreak he tells his glory on the cool galleries of young shoots.
We stand with Haitians. Let us act now. For Haiti, for humanity.
(*) Signatories:
Adama Dieng, initiator of the Op-Ed, is a former United Nations Under Secretary-General. He also served in the UN as former Special Adviser on the Prevention of Genocide and Registrar of the International Criminal Tribunal for Rwanda. He is also a former board member of the International Institute for Democracy and Electoral Assistance.
Macky Sall, President of Senegal, Chairperson of the African Union.
José Ramos-Horta, President of the Democratic Republic of Timor-Leste; co-recipient of the 1996 Nobel Peace Prize.
Moussa Faki Mahamat, Chairperson of the African Union Commission, Former Prime Minister of Chad.
Alpha Oumar Konaré, former President of Mali; former Chairperson of the African Union Commission; former President of the Economic Community of West African States (Ecowas).
Goodluck Ebele Azikiwe Jonathan, Former President of Nigeria; Mediator of the Economic Community of West African States (ECOWAS).
Catherine Samba-Panza, former President of the Central African Republic.
The Right Honorable Michaëlle Jean, former Governor General of Canada, Former UNESCO’s Special Envoy to support reconstruction efforts in Haiti; Also served as Chancellor of the University of Ottawa. Former Secretary General of La Francophonie (OIF).
Phumzile Mlambo-Ngcuka, former Deputy President of South Africa; former Executive Director of UN Women. Former Co-Chair of the UN Senior Officials of African Descent Group (UNSAG).
Epsy Alejandra Campbell Barr, former Vice-President of Costa Rica, President of the Permanent Forum of People of African Descent.
Graça Machel, Chair of the Board, Graça Machel Trust.
Miguel Ángel Moratinos, former High Representative for the UN Alliance of Civilizations; OSCE Former Chairperson-in-Office; former Spanish Minister of Foreign Affairs and Co-operation.
Sir Dennis Byron, former President of the Caribbean Court of Justice; former President of the Commonwealth Judicial Education Institute; former President of the International Criminal Tribunal for Rwanda (ICTR); current Chairperson of the UN Internal Justice Council.
Serge Letchimy, President of the Executive Council of Martinique and former member of the National Assembly of France.
Brig. Mujahid Alam (Retired), Principal at Lawrence College, Ghora Gali, Murree, Pakistan.
Sonia Maria Barbosa Dias, Education Specialist, São Paulo, Brazil.
Mbaranga Gasarabwe, former Deputy Special Representative for the UN Multidimensional Integrated Stabilization Mission in Mali (MINUSMA); former UN Resident Coordinator in Mali; former UN Assistant Secretary-General for Safety and Security.
Souleymane Bachir Diagne, Philosopher; Director of the Institute of African Studies and Professor of French and Philosophy at Columbia University.
Andrew Thompson, Professor of Global Imperial History at the University of Oxford and Professorial Fellow at Nuffield College, Oxford.
Othman Mohamed, former Chief Justice of Tanzania and Chair of the Commission of Inquiry into the death of Dag Hammarskjöld.
Amadou Lamine Sall, Recipient of the 2018 edition of the Tchicaya U Tam'si Prize for African Poetry; Winner in 1991 of the Prix du rayonnement de la langue et de la littérature française, awarded by the French Academy.
Sheila Walker, PhD, Author; Cultural anthropologist and documentary filmmaker, Executive Director of Afrodiaspora, Inc.
Jean-Victor Nkolo, former Spokesperson for three Presidents of the UN General Assembly; Was assigned in ten UN peacekeeping operations, including in Haiti.
Euzhan Palcy, Film director, writer and producer (Martinique, France).
Bacre Waly Ndiaye, Lawyer at the Senegal Bar; Former member of the Truth and Justice Commission in Haiti. Willem Alves Dias, Film editor, Brazil.
René Lake, Journalist and expert in international development.
Doudou Diène, Senegalese jurist; former United Nations Special Rapporteur on contemporary forms of racism, racial discrimination, xenophobia and related intolerance.
Justice Ben Kioko, Former Vice President of the African Court of Human and Peoples Rights.
Aver-Dieng Ndaté, Lawyer at the Geneva Bar, Vice-President of the African Peace Conference.
Carol Christine Hilaria Pounder-Kone, aka CCH Pounder, Actress and philanthropist; art collector; HIV/AIDS activist; co-founder of the Boribana museum in Dakar.
Akere Tabeng Muna, Barrister and International Legal Consultant on Governance and Anti-Corruption; Former President if the Pan African Lawyers Union; Former President of the African Union’s Economic, Social and Cultural Council (ECOSOCC); Former Chair of the African Peer Review Mechanism (APRM) Eminent Persons Panel.
Texte Collectif
PRIS EN OTAGE, HAÏTI SE MEURT, AGISSONS MAINTENANT
L'inertie n'est pas une option. La première république noire manque de nourriture, d'eau potable, de carburant, de paix, de justice. Ce que la communauté internationale fera ou ne fera pas est d'une importance cruciale
Et surtout mon corps aussi bien que mon âme,
gardez-vous de vous croiser les bras
en l'attitude stérile du spectateur,
car la vie n’est pas un spectacle,
car une mer de douleurs n'est pas un proscenium,
car un homme qui crie n’est pas un ours qui danse.
Aimé Césaire, Extrait du Cahier d'un retour au pays natal (1939).
Capturés dans les vallées autrefois foulées par Afarensis, ou depuis Zanzibar, Madagascar, Gorée, El Mina, Bimbia, Benguela, Luanda, Cabinda, des savanes et forêts, Ségou, Bénin, Sokoto, des rives du Congo ou de l'Oubangui, ou le long d’autres grands fleuves, Ogooué, Casamance, Niger, Sanaga, ayant quitté la cosmogonie qui les lie encore aujourd'hui à la mère de tous les continents, les Africains réduits en esclavage sont arrivés il y a des siècles dans les Amériques. Dans la pire migration forcée de tous les temps, la traite transatlantique des esclaves a emmené certains de ces hommes, femmes et enfants à Kiskeya, également connue sous le nom d'Hispaniola, l'île que se partagent aujourd'hui Haïti et la République dominicaine dans la mer des Caraïbes.
Terre immergée dans les traditions africaines, Haïti, la "Perle des Antilles" ou "Pays de montagnes" en langue taïno, est la nation où les esclaves noirs ont fait preuve de la plus grande résilience.
Le 14 août 1791 dans la forêt de Bois Caïman, le prêtre vaudou Dutty Boukman organise une cérémonie avec le soutien de la prêtresse Cécile Fatiman, une « mambo » qui accomplit des sacrifices. Lors de cette nuit orageuse mémorable, les participants réduits en esclavage ont juré solennellement que la servitude serait condamnée, prêtant serment de se battre ou de mourir. Ils obéiront plus tard aux ordres de Toussaint Louverture dans la révolte orchestrée par le remarquable leader. Sa victoire épique - rare, voire unique - contre l'un des pires crimes jamais commis contre l'humanité, continue d'être racontée par beaucoup gens. Toussaint, stratège et visionnaire insulaire de la Caraïbe, a vaincu l'obstiné Napoléon, un insulaire originaire de Corse. Cette victoire historique a été chantée par de grands poètes comme Aimé Césaire.
Le 1er janvier 2023, la première république noire célèbre le 219e anniversaire de sa glorieuse indépendance. Pourtant, la Perle des Antilles se meurt.
Haïti a été obligé de payer une rançon à la France en compensation aux propriétaires d'esclaves français pour les biens perdus, sinon l'esclavage serait réimposé et Haïti envahi. En mai 2022, le New York Times a publié une série d'articles bien documentés intitulée « La Rançon : Les Milliards Perdus d’Haïti » [The Ransom : Haiti Lost Billions], qui raconte cette perfidie. Port-au-Prince a jusqu'à présent versé jusqu'à 115 milliards de dollars à la France, une somme faramineuse pour Haïti, une rançon qui a lourdement endetté ce pays pauvre. La mauvaise gouvernance, la corruption et les invasions s'ajoutent à un fardeau déjà insupportable pour le peuple haïtien. De plus, l'occupation militaire américaine, de 1915 à 1934, avait une grande banque de New York comme principal bailleur de fonds. En fin de compte, tous ces facteurs ne pouvaient qu'aboutir à un État défaillant alimenté pendant de nombreuses décennies par l'adrénaline de la violence et les soubresauts de l'anarchie et du chaos. Les ravages des tremblements de terre, la déforestation massive et l'exil de ses citoyens ont aggravé le sort d'Haïti.
Tourmentée et délaissée, installée dans l'instabilité, Haïti semble proche du naufrage. La situation sécuritaire est désastreuse. La famine touche près de cinq millions de personnes. Peu après le tremblement de terre de 2010, une épidémie de choléra importée par les casques bleus de l'ONU a éclaté en Haïti alors qu'aucun cas n'y avait été détecté depuis plus d'un siècle. Face à ces accusations, le Secrétaire général des Nations Unies de l'époque, Ban Ki-moon, a eu le courage et l'intégrité de présenter des excuses officielles. Aujourd'hui, la recrudescence du choléra cause plus de morts. Le 21 décembre 2022, s'adressant au Conseil de sécurité, la Vice-Secrétaire générale des Nations Unies, Amina J. Mohammed, a déclaré qu'"Haïti se trouve dans une crise qui s'aggrave, d'une ampleur et d'une complexité sans précédent, qui suscite de graves inquiétudes".
L'un des plus grands défis est qu'une grande partie de Port-au-Prince - une capitale de près de 3 millions d'habitants - est aux mains de gangs. Leurs noms sont tirés de tragédies urbaines - 400 Mawazos, Chen mechan, Cracheurs de feu.... La liste des chefs de gangs comprend Barbecue, Gaspiyai.... Leur seule motivation semble être financière et criminelle. Les gangs ont pris le pays en otage : ils tuent ; ils violent ; ils volent. La violence sexuelle est le terreau d'un avenir dans lequel la société risque de manquer de cohésion.
La police est soit débordée, soit complice. L'armée haïtienne, ce souvenir macoute pas si lointain, a été démantelée par la communauté internationale dans les années 1990. Les soldats démobilisés n'ont jamais été correctement réinsérés dans la société. Le système judiciaire est moribond. À ce jour, la communauté internationale n'a pu financer que moins de 20% des besoins humanitaires actuels en Haïti, alors qu'ailleurs dans le monde, des milliards de dollars affluent généreusement pour atténuer d'autres crises humanitaires.
Haïti, le pays le plus pauvre de l'hémisphère occidental est pris dans un cauchemar récurrent, comme si le pays revivait les aventures contées dans « Les Comédiens », chef-d'œuvre publié par Graham Greene en 1966. Le roman, situé sous le règne de François "Papa Doc" Duvalier et ses Tontons Macoutes, explore la répression politique et le terrorisme qui sévissent en Haïti, et particulièrement à Port-au-Prince.
Cependant, Haïti ne doit pas être considéré uniquement comme une histoire tragique et brutale. Le pays de Makandal, de Toussaint et de Dessalines est doté d’une créativité magnifique et soutenue par un espoir remarquable. Haïti a toujours été culturellement brillant et intellectuellement stimulant.
L'emblématique hôtel Oloffson à Port-au-Prince attirait autrefois des groupes tels que les Rolling Stones. Par la suite, des processions infernales des Ra-Ra par le groupe de "musique racine" RAM ont envahi l'hôtel. Haïti est aussi le pays du talentueux musicien Wycleff Jean ; le groupe Tabou Combo ; ou encore l'inoubliable Jean Gesner Henry, alias Coupé Cloué ou "l'Africain", le roi du kompa mamba, un style musical entrainant répandu dans le monde entier. Écrivains, dramaturges, cinéastes, poètes, artistes, éducateurs, musiciens et artisans abondent. La superbe beauté de la campagne est louée dans les livres du neurologue, romancier et poète haïtien Jean Métellus (1937 - 2014), comme dans Jacmel au crépuscule. Christophe, roi tragique, est immortalisé dans un chef-d'œuvre d'Aimé Césaire, le géant littéraire de la Martinique voisine. Pendant plus d'un siècle, Haïti a aussi donné naissance à de magnifiques auteurs et poètes : Joseph Anténor Firmin, Louis Joseph Janvier, Justin Lhérisson, Jean-Price Mars, Félix Morisseau-Leroy, Charles Moravia, Frankétienne, Anthony Phelps, Dany Laferrière, Louis- Philippe Dalembert, Edwige Danticat, René Depestre… et bien d'autres.
Les plus grandes tragédies, comme le tremblement de terre de 2010, ont certainement tué et mutilé de nombreuses personnes, détruisant les infrastructures. Mais ces drames n'ont pas ébranlé l'âme de ce pays étonnant et attachant. Comme l'intrépide femme haïtienne, Haïti reste étonnamment debout, et sa culture vibrante.
La communauté internationale, les organisations sous-régionales et régionales, les universitaires, les médias, les communicateurs, le secteur privé, la bourgeoisie compradore haïtienne : tous ont une responsabilité envers Haïti. Ce n'est pas une conversation facile. Les questions migratoires sont un sujet brûlant dans la plupart des pays occidentaux. En septembre 2021, des images de gardes américains à cheval armés de fouets repoussant des migrants haïtiens à la frontière avec le Mexique ont fait grand bruit dans le monde. Mais ces coups de fouet de l'époque de la traite des esclaves ne peuvent pas réécrire l'histoire héroïque que les Haïtiens ont rédigé avec leur sang, leur sueur, leurs larmes et leur courage. Haïti est le seul soulèvement militaire dirigé par des esclaves qui a pu renverser une puissance coloniale esclavagiste. Les Haïtiens sont des gens très courageux.
La communauté internationale a été appelée à intervenir et à combattre les gangs. Tout comme les murs en tôle ondulée des bidonvilles d'Haïti n'arrêteront pas les balles perdues, notre éloignement physique d'Haïti n'empêchera pas la tragédie de percer nos âmes et nos zones de confort. À la lumière des échecs passés, on peut honnêtement se demander si une intervention militaire étrangère en Haïti apporterait une solution durable. Dans tous les cas, l'inertie n'est pas une option. Toute intervention doit revisiter l'histoire et en tirer les leçons, donner la priorité à la sécurité, promouvoir et soutenir activement la justice tout en contribuant à renforcer la confiance et la bonne gouvernance. La situation doit être abordée dans son ensemble, sans délai.
Ce que la communauté internationale fera ou ne fera pas est d'une importance cruciale. Néanmoins, nous soutenons les citoyens haïtiens qui veulent la fin de l'anarchie et de la violence, qui veulent la justice. Pour mesurer la force et la valeur d'une famille, il faut observer la solidarité avec laquelle elle protège les plus vulnérables de ses membres. La première république noire, peut-être la plus fragile de la famille des Nations, manque de nourriture, d'eau potable, de carburant, de paix, de justice.
Nous lançons cet appel urgent : agissons maintenant, avec une nouvelle et authentique bienveillance, quels que soient les risques, et sans intentions géopolitiques individuelles. Les populations haïtiennes sont en danger. L'histoire ne sera pas tendre avec ceux qui resteront inactifs ou qui choisiront de regarder ailleurs.
Ce serait de la non-assistance à un peuple en danger.
Il est difficile d'envisager la résolution de ce nœud gordien sans intervention extérieure. Le peuple haïtien ne pourra voter et choisir librement ses dirigeants que s'il y a la sécurité.
Un membre de la famille des nations est pris en otage par les contours des injustices historiques, de la mauvaise gouvernance récurrente et de la brutalité des gangs armés : toute la famille doit intervenir pour que ce membre soit libéré des preneurs d'otages ainsi que des contingences des échecs antérieurs. Les Haïtiens voleraient de leurs ailes vers les sommets du développement humain, nous l'espérons sincèrement.
Rester les bras croisés n'est pas une option.
Rassemblons donc nos forces pour un succès en Haïti, et comme l'avait prédit Césaire, il y aura de la place pour tout le monde au rendez-vous de la victoire.
Sinon, nous serons tous coupables de ne pas avoir aidé ce peuple héroïque en danger.
Répondons à l'exhortation poétique de Jean Métellus. De son exil il y a quelques décennies, son poème était un beau cri, "Au pipirite chantant". Sa complainte n'a pas pris une ride. C'est le plaidoyer du
« paysan haïtien qui au pipirite chantant,
méprise la mémoire et fabrique des projets
Il révoque le passé tressé par les fléaux et les fumées
Et dès le point du jour il conte sa gloire sur les galeries fraîches
des jeunes pousses»
Nous sommes aux côtés des Haïtiens. Agissons maintenant. Pour Haïti, pour l'humanité.
(*) Signataires :
Adama Dieng, l’initiateur de cette tribune, est ancien Secrétaire général adjoint des Nations Unies. Il a servi à l'ONU en tant qu'ancien Conseiller spécial pour la prévention du génocide et Greffier du Tribunal pénal international pour le Rwanda. Il est également un ancien membre du Conseil d'administration de l'Institut international pour la démocratie et l’assistance électorale (IDEA).
Macky Sall, Président du Sénégal, Président de l'Union Africaine.
José Ramos-Horta, Président de la République démocratique du Timor-Leste ; corécipiendaire du prix Nobel de la paix en 1996.
Moussa Faki Mahamat, Président de la Commission de l'Union Africaine ; Ancien Premier Ministre du Tchad.
Alpha Oumar Konaré, ancien Président du Mali; ancien Président de la Commission de l'Union africaine; ancien Président de la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO).
Goodluck Ebele Azikiwe Jonathan, ancien Président du Nigéria; Médiateur de la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO).
Catherine Samba-Panza, ancien Chef d’Etat, République Centrafricaine.
La Très Honorable Michaëlle Jean, ancienne gouverneure générale du Canada; ancienne envoyée spéciale de l'UNESCO pour soutenir les efforts de reconstruction en Haïti; ancienne Chancelière de l'Université d'Ottawa; ancienne Secrétaire générale de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF).
Phumzile Mlambo-Ngcuka, ancienne Vice-Présidente de l'Afrique du Sud ; ancienne Directrice exécutive d'ONU Femmes ; Ancienne coprésidente du Groupe des Hauts fonctionnaires d'ascendance africaine des Nations Unies (UNSAG).
Epsy Alejandra Campbell Barr, ancienne Vice-Présidente du Costa Rica ; Présidente du Forum permanent des personnes d'ascendance africaine.
Graça Machel, Présidente du conseil d'administration de la Fondation Graça Machel (Graça Machel Trust).
Miguel Ángel Moratinos, ancien Haut représentant de l'Alliance des civilisations des Nations Unies ; ancien Président en exercice de l'OSCE ; ancien ministre espagnol des Affaires étrangères et de la Coopération.
Sir Dennis Byron, ancien Président de la Cour de justice des Caraïbes ; ancien Président du Commonwealth Judicial Education Institute; ancien Président du Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR); Président du Conseil de justice interne des Nations Unies.
Serge Letchimy, Président du Conseil exécutif de la Martinique et ancien membre de l'Assemblée nationale française.
Mujahid Alam (Général à la retraite), Directeur du Lawrence College, Ghora Gali, Murree, Pakistan.
Sonia Maria Barbosa Dias, Spécialiste de l'éducation, São Paulo, Brésil.
Mbaranga Gasarabwe, ancienne Représentante spéciale adjoint de la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA) ; ancienne Coordonnatrice Résidente des Nations Unies au Mali; ancienne Sous-Secrétaire générale des Nations unies pour la sûreté et la sécurité.
Souleymane Bachir Diagne, Philosophe ; Directeur de l'Institut d'études africaines et professeur de français et de philosophie à l'Université de Columbia.
Andrew Thompson, Professeur d'histoire impériale mondiale à l'Université d'Oxford et professeur titulaire au Nuffield College d'Oxford.
Othman Mohamed, ancien Juge en chef de Tanzanie et président de la Commission d'enquête sur la mort de Dag Hammarskjöld.
Amadou Lamine Sall, Lauréat de l'édition 2018 du Prix Tchicaya U Tam'si de Poésie Africaine ; Lauréat en 1991 du Prix du rayonnement de la langue et de la littérature française, décerné par l'Académie française.
Sheila Walker, Ph. D., Auteure; Anthropologue culturelle et réalisatrice de documentaires; Directrice exécutive d'Afrodiaspora, Inc.
Jean-Victor Nkolo, ancien porte-parole de trois Présidents de l'Assemblée générale des Nations Unies ; A travaillé dans dix opérations de maintien de la paix de l'ONU, y compris en Haïti.
Euzhan Palcy, Réalisatrice, scénariste et productrice de films (Martinique, France).
Bacre Waly Ndiaye, Avocat au Barreau du Sénégal ; Ancien membre de la Commission Vérité et Justice en Haïti.
Willem Alves Dias, Monteur de films, Brésil.
René Lake, Journaliste et Expert en développement international.
Doudou Diène, Juriste sénégalais; ancien Rapporteur spécial des Nations unies sur les formes contemporaines de racisme, de discrimination raciale, de xénophobie et de l'intolérance qui y est associée.
Ben Kioko, Juge, ancien Vice-Président de la Cour africaine des droits de l'homme et des peuples.
Aver-Dieng Ndaté, Avocate au Barreau de Genève, Vice-Présidente de la Conférence Africaine de la Paix.
Carol Christine Hilaria Pounder-Kone, alias CCH Pounder, Actrice et philanthrope ; Collectionneuse d'art; activiste du VIH/Sida ; co-fondatrice du musée Boribana à Dakar.
Akere Tabeng Muna, Avocat et Consultant juridique international sur la gouvernance et la lutte contre la corruption ; ancien président de l'Union Panafricaine des Avocats ; ancien président du Conseil économique, social et culturel de l'Union africaine (ECOSOCC) ; ancien président du Groupe de personnalités éminentes du Mécanisme africain d’évaluation par les pairs (MAEP).
2023, ENTRE INQUIÉTUDES DE BONNE FOI ET ORACLES DE MAUVAISE FOI
EXCLUSIF SENEPLUS - Cette opposition-là a moins de problèmes avec Macky et sa probable candidature qu’avec elle-même, en commençant par celui qui est de retrouver sa position notable dans l’écosystème social et politique
L’année 2022 tire sa révérence, nous louons le bon Dieu pour notre survivance tout en regrettant ceux qui sont disparus au cours de l’année et pour qui nous prions pour que leur soit accorder le paradis.
Il est de coutume à cette occasion que les chroniqueurs et journalistes se livrent à un inventaire critique et détaillé des événements de tous types qui ont balisé l’année, étalant ainsi des opinions réductrices qui jurent les unes des autres. Ne vaut-il pas mieux pour plus de clarté choisir ce qu’il y a de plus marquant pour soi et ne parler que de cela ?
Pour ma part, il y a eu chez nous deux élections au cours de cette année (les élections municipales et législatives) très édifiantes en ce que leurs résultats surprenants, confirment la sincérité définitive de notre scrutin, dont il faut le rappeler, est auréolé de deux alternances pacifiques au poste présidentiel. Tout le monde s’accorde à dire que ces résultats sont déterminants pour l’élection présidentielle qui se profile en 2024, mais d’aucuns persistent curieusement à dénier à notre mode d’élection sa sincérité sécurisée. Pourtant, la réalité est avérée qu’aujourd’hui, en l’état des institutions en place, nul ne peut détourner le verdict des urnes, fût-il president de la République.
Les inquiétudes de bonne foi
Malgré cette réalité l’inquiétude atteint bizarrement son summum au sein de la population à l’aune de l’année 2023, savamment entretenue par des devins de mauvais génie, activistes et politiciens, qui n’auraient comme alibi que l’inacceptable existence imaginaire d’un risque de voir le scrutin de 2024 grugé. Ainsi, par la tyrannie d’une poignée de manipulateurs cherche à se substituer aux institutions qui ont fait leurs preuves, usant de la menace de mettre le pays à feu et à sang, si leur bon vouloir n’était pas de mise sur le déroulement des prochaines élections. Ce faisant l’on amalgame des éléments funestes et des condamnations n’ayant aucun lien, sinon un douteux entre eux et une quelconque élection. L’on ne se gêne pas de personnifier le pouvoir juste pour mieux le damner par des attaques ad hominem sur le président Macky Sall, avec le fallacieux prétexte que tout est complot émanant de sa personne afin d’écarter des concurrents politiques. Comme peut-on horripiler toute une population dans le but de se substituer aux institutions et décréter d’autorité la mise à l’écart préventive d’un candidat, juste parce qu’on aurait peur d’être soi-même victime de cette discrimination injuste qu’on prône. Cet appel à la popularité et à la pitié des protagonistes a tout d’un subterfuge illusoire de politiciens, pour barrer l’accès des électeurs aux critères d’évaluation nécessaires de leurs projets.
Des oracles en toute mauvaise foi
Les perspectives d’une élection présidentielle au Sénégal ne peuvent plus servir objectivement de prétexte pour des violences. Non ! Les 14 morts des manifestations du mois de mars 2021 et les condamnations antérieures de leaders politiques n’avaient de manière probante, pas de lien avec des élections données, ils ne peuvent par conséquent être convoqués d’emblée pour justifier des alertes. Il faut arrêter les amalgames manipulateurs de pyromanes douteux.
Ne nous y méprenons pas ! Un candidat a beau proclamer être le favori avéré de prochaines joutes, n’empêche l’option de la violence est révélatrice de facto de la présence de doutes troublants en celui qui l’exerce. Mieux vaut pour cette frange d’opposition, faire face à ces doutes et leurs trouver des solutions, que d’embraser inutilement le climat social. Cette opposition-là a moins de problèmes avec le président Macky et sa probable candidature qu’avec elle-même, en commençant par celui qui est de retrouver sa position notable dans l’écosystème social et politique, à la place de celle fantasmagorique d’élu avant l’heure qu’elle a enfourchée. La coalition géniale « YAW » d’antan articulée autour d’une solide solidarité entre plusieurs leaders d’égale dignité s’est transformée en esprit de meute dès les premiers succès qui lui ont donné des communes et un accès remarquable à l’hémicycle. L’acharnement à pris la place de la lucidité et la conférence des leaders s’est réduite à Ousmane Sonko, seul chef de la horde de factieux.
Nos institutions jouent leurs rôles de veille
La paix est notre projet le plus cher en tant que peuple. Toutes nos institutions ne sont fondées que pour la sécuriser et la parfaire. Il faut vraiment être gonflé de cynisme à bloc pour oser abuser de la propagation des réseaux sociaux et en user à mauvais escient à l’effet de provoquer une sédition avilissante, qui la compromettrait. Face à un tel projet la vigilance des institutions et autorités idoines doit être inouïe et les sanctions inéluctables et d’une sévérité suffisamment dissuasive. En tout état de cause, il est tant de sévir contre l’injure publique et gratuite, le mensonge éhonté, la calomnie infâme et nous débarrasser définitivement de cette violence qui ternit l’image de notre culture. Nous entre-déchirer n’est pas un choix lucide pour manifester notre amour au pays. Soumettons les cœurs à l’unisson et gardons la foi devant les défis, notre société s’en portera mieux.
Bonne année de paix 2023.
par Mamadou Abdoulaye Sow
À PROPOS DES RAPPORTS DE LA COUR DES COMPTES
EXCLUSIF SENEPLUS - Il semble inapproprié de rendre publics les noms des personnes concernées. Il conviendrait de rendre anonymes les recommandation au ministre de la Justice
À propos des rapports de la Cour des comptes à rendre publics sur le fondement du point 6.7 de l’Annexe du Code de Transparence dans la Gestion des Finances publiques
La Chambre des Affaires budgétaires et financières de la Cour des comptes a rendu public son rapport définitif, daté du 19 août 2022, consacré au contrôle de la gestion du Fonds de riposte et de solidarité contre les effets de la Covid-19 au titre des gestions 2020 et 2021. Il ressort du site internet de la juridiction des comptes que la publication du rapport en question est faite en application des dispositions du point 6.7 de l’Annexe de la loi portant Code de transparence dans la gestion des finances publiques[1].
Nous reviendrons dans un autre article sur le décret n° 2020-884 du 1er avril 2020, pris en violation de la loi organique relative aux lois de finances, qui est à l’origine des nombreuses irrégularités relevées par la Cour dans l’exécution des dépenses du Fonds précité.
Une seule question sera abordée ici : celle du champ d’application du point 6.7 de l’annexe du Code précité qui mérite d’être précisé. À cette occasion, nous tenterons d’identifier les catégories de rapports que la Cour transmet au président de la République, à l’Assemblée nationale et au gouvernement. Ensuite, nous parlerons de la question de l’organisation et du suivi des recommandations en direction du ministre de la Justice sur des faits susceptibles d’être qualifiés d’infractions pénales et, accessoirement, du cadre légal/règlementaire des communications entre la Cour des comptes et les autorités judiciaires qui est à définir.
Quels sont les rapports que la Cour transmet au président de la République, à l’Assemblée nationale et au gouvernement ?
Le point 6.7 de l’Annexe du Code dispose : « La Cour des comptes rend publics tous les rapports qu’elle transmet au président de la République, à l’Assemblée nationale et au gouvernement »[2].
Prise au mot, l’expression « tous les rapports qu’elle transmet au président de la République, à l’Assemblée nationale et au gouvernement » semble renvoyer à tout rapport transmis à ces trois pouvoirs publics constitutionnels.
L’absence de travaux préparatoires de la loi portant Code de transparence dans la gestion des finances publiques n’aide pas à déterminer la nature des rapports de la Cour qui entrent dans le champ d’application de la disposition 6.7. Cette imprécision ouvre la voie à diverses interprétations dont on peut se demander si elles sont conformes à l’esprit des rédacteurs du point 5.7 de l’Annexe de la Directive n° 1/2009/UEMOA.
En effet, dans la loi sénégalaise, l’exigence de rendre publics les rapports de la Cour relève d’une disposition insérée dans le chapitre « Information du public » alors que dans la Directive n° 1/2009/UEMOA et le Code de Transparence d’autres pays de l’UEMOA, la même disposition est placée dans le chapitre « De la mise en œuvre des recettes et des dépenses » qui renvoie à des rapports publics sur la situation d’exécution budgétaire et à des rapports sur les comptes définitifs à rendre publics avant la présentation du budget suivant.
Pour autant, trois questions peuvent être posées relativement à la mise en œuvre de cette disposition du Code dont l’applicabilité devrait trouver sa solution dans le droit interne.
1) Quels sont les rapports que la Cour produit sur le fondement des textes nationaux ?
Pour trouver une réponse à cette question, nous avons consulté le site internet de la Cour qui, dans la rubrique « Publications/ Rapports », fait ressortir quatre catégories de rapports :
Le rapport public général annuel à remettre au président de la République et au président de l’Assemblée nationale (articles 8,9, 19, 23, 24 de la loi organique sur la Cour de comptes).
Le rapport sur le projet de loi de règlement à déposer sur le Bureau du président de l’Assemblée nationale et à transmettre au ministre chargé des Finances. (articles 8 et 19 de la loi organique et articles 7 et 40 du décret d’application de loi organique)[3] .
Les rapports particuliers qui sont issus d’enquêtes et de contrôles de la Cour, notamment :
les rapports d’enquête complémentaire qui pourrait lui être demandée par l’Assemblée nationale à l’occasion de l’examen ou du vote du projet de loi de règlement (article 30 de la loi organique) ;
les rapports sur les comptes et le contrôle de la gestion des organismes publics en particulier les entreprises du secteur parapublic (article 48 du décret d’application).
Les rapports thématiques : aucun rapport de cette catégorie n’est publié sur le site internet de la Cour.
À ces quatre catégories de rapports, s’ajoutent les rapports prévus par la loi organique relative aux lois de finances en son article 71, à savoir :
Les rapports établis à la suite de la réalisation d’enquêtes nécessaires à l’information de l’Assemblée nationale ;
Les rapports sur le contrôle des résultats des programmes et l’évaluation de l’efficacité, l’économie et l’efficience desdits programmes.
Il importe de préciser que ces différents rapports se distinguent des documents non publics notamment les référés ([4].
Au final, il semble que tous les rapports de la Cour sont transmis à au moins l’un de ces trois pouvoirs publics qu’elle est chargée d’assister conformément à l’article 68 de la Constitution.
Tous les rapports de la Cour sont-ils publics ?
Nous répondons sans hésiter par la négative. À notre sens, le point 6.7 de l’annexe du Code renvoie aux « rapports publics » de la Cour suivant le sens qu’en donne Pierre Lalumière : « La Cour peut porter à la connaissance de l’opinion publique les résultats de ses investigations : c’est le procédé du rapport public [5]».
Notre position sur cette question est confortée par le fait que, s’agissant du rapport sur la force Covid-19, la Cour précise dans la partie « Avertissement » au dernier paragraphe de la page 3 : « Ce rapport définitif est strictement confidentiel et ne saurait être communiqué à des destinataires autres que ceux choisis par la Cour des comptes » (nous mettons en gras et soulignons).
3) Sur quelle base juridique, le rapport sur la force Covid-19 a-t-il été qualifié « confidentiel » ?
Si la base est légale ou règlementaire, il nous est d’avis que la Cour est liée. Seul un texte juridique de même portée peut déclassifier le rapport et permettre à la Cour de le rendre public ; à moins que la juridiction financière ait reçu une habilitation juridique à choisir, discrétionnairement, les rapports qu’elle peut rendre publics. Sauf à être mieux informé sur les bases juridiques sur lesquelles elle s’est fondée, l’absence d’une habilitation expresse nous semble être une interdiction faite à la Cour de publier ledit rapport.
Au Togo, la Cour des comptes n’aurait pas pris cette liberté parce que le législateur a pris la précaution de préciser que la publication des rapports transmis au président de la République, au Parlement et au gouvernement a lieu après leur avis et dans le respect des secrets protégés par la loi » (article 48 de la loi n° 2021-25 du 1er décembre 2021 portant organisation, attributions et fonctionnement de la Cour des comptes et des Cours régionales des comptes).
En résumé, la rédaction laconique de la disposition du point 6.7 de l’Annexe du Code est à l’origine de son interprétation extensive, voire permissive, par la Cour des comptes.
Les rapports considérés comme confidentiels, sauf déclassement, devraient être exclus du périmètre d’application du point 6.7 de l’Annexe.
Il est suggéré la prise d’un décret d’application du Code de transparence relatif à l’accès et à la publication de certains documents portant sur la gestion des finances publiques. On pourrait s’inspirer du décret malien n° 2014-66007/P-RM du 13 août 2014 en vue de définir avec précision la notion d’informations et documents administratifs relatifs aux finances publiques et les conditions de leur publication et d’accès [6].
La question de l’organisation et du suivi des recommandations à destination du ministre de la Justice
La disposition 6.7 de l’annexe précise qu’un suivi des recommandations de la Cour des comptes est organisé et « les résultats de ce suivi sont régulièrement portés à la connaissance du public ».
Si dans son principe, cette disposition répond à l’exigence de transparence, elle n’est pas sans soulever des problèmes relatifs à son périmètre d’application. Devrait-on l’appliquer à des recommandations à destination du ministre de la Justice ? Sans doute non. On peut penser que, dans l’esprit des rédacteurs du paragraphe 5.7 de l’Annexe de la Directive n° 1/2009/UEMOA, les recommandations dont il est question dans cette phrase viseraient celles consignées dans les rapports publics sur l’exécution des lois de finances et non celles portant sur des faits susceptibles d’être qualifiés d’infractions pénales.
Concernant les recommandations au ministre de la Justice, il nous semble inapproprié de rendre publics les noms des personnes concernées d’abord parce que leur publication pourrait être considérée comme une violation de la présomption d’innocence et ensuite elle porterait atteinte à la protection de la confidentialité ou de la vie privée. Il conviendrait, à notre avis, de rendre anonymes de telles recommandations d’autant plus que la Cour dispose du référé pour saisir directement le Garde des Sceaux. En effet, selon l’article 79 de la loi organique sur la Cour des comptes, « si l’instruction ou la délibération sur l’affaire laisse apparaître des faits susceptibles de constituer un délit ou un crime, le Premier président de la Cour saisit, par référé, le Garde des Sceaux, ministre de la Justice et en informe le ministre chargé des Finances ». (Voir également l’article 30 alinéa 2 du décret d’application de la loi organique).
Au final, on se demande s’il est utile de détailler les recommandations en direction du Garde des Sceaux puisque, comme indiqué à la page 3 du rapport, « les faits relatés … présumés constitutifs de fautes de gestion ou d’infractions pénales ont fait l’objet, selon les cas, de projets de déférés ou de référés soumis aux autorités compétentes conformément aux règles et procédures prévues par la loi organique n°2012-23 du 27 décembre 2012 sur la Cour des comptes »,
Une dernière interrogation qui n’est pas sans intérêt : ne faudrait-il pas revoir la compétence donnée au premier président de la Cour des comptes par l’article 79 de la loi organique au regard des attributions du Procureur général qui exerce les fonctions de ministère public au sein de la Cour des comptes (article 12 loi organiques) ? Nous pensons que le ministère public devrait être l’intermédiaire exclusif entre la juridiction des comptes et les autorités judiciaires et, à ce titre, les informations et signalements de faits susceptibles de nature à motiver l’ouverture d’une action pénale devraient faire l’objet d’une seule saisine par le Procureur général près la Cour des comptes.
Enfin, il est important de définir le cadre légal/règlementaire des communications entre la Cour des comptes et les autorités judiciaires. À cet effet, un texte est à prendre pour préciser les modalités de transmission et de suivi des informations ou signalements entre la juridiction financière et les autorités judiciaires ainsi que les pièces communicables.
[2] Cette disposition est une reprise du point 5.7 de l’annexe de la Directive n° 1/2009/UEMOA
[3] L’article 7 du décret d’application mentionne unrapport sur l’exécution des lois de finances et non un rapport sur le projet de loi de règlement.
[4] Il s’agit des « lettres officielles du Premier président de la Cour adressées à un ministre pour l’informer de l’existence d’une série d’irrégularités graves ou de pratiques défectueuses dans le fonctionnement financier de ses services, qui appellent une remise en ordre de sa part”, selon Pierre Lalumière dans « Les finances publiques », Armand Colin, 1983, 8éme édition 1986, p.478.
[6] Le décret porte sur les modalités d’accès aux informations et documents administratifs relatifs à la gestion des finances publiques et de leur publication.
par Ndukur Kacc NDAO
LA DÉMOCRATIE, LE FAKE NEW LE PLUS VENDU DE NOTRE SIÈCLE ?
Notre pays est en pleine effervescence électorale. Certains louent la vitrine démocratique du Sénégal. D’autres le brocardent. Plus globalement, une partie de l’Afrique de l’ouest est en pleine tourmente sur la question du troisième mandat.
Notre pays est en pleine effervescence électorale. Certains louent la vitrine démocratique du Sénégal. D’autres le brocardent. Plus globalement, une partie de l’Afrique de l’ouest est en pleine tourmente sur la question du troisième mandat. Macky, lui, décident de ne rien dire sous prétexte que cela mettrait le pays dans l’instabilité. Entre tripatouillage et forcing, les forces démocratiques se mobilisent pour faire face. Les USA voient leurs mythes démocratiques s’effondrer même si les accusations de fraude sont connues à chaque élection au pays de l’Oncle Sam. La Chine, quant à elle, était dans la tourmente du Coronavirus, et s’est placée dans une autre dynamique depuis quelques années. En effet, le Parlement chinois a juste décidé d’abolir la limitation des mandats présidentiels pour permettre à Xi Jinpinh de réaliser sa vision à long terme. 2958 voix pour, seulement 2 contre et 3 abstentions. Un vote "massif" qui confirme la mainmise du PCC sur le pays et une confiscation des libertés. De manière décalée j’ai pensé à la partie de l’argumentaire qui affirme que c’est pour réaliser la vision à long terme. C’est sûrement un "alibi" pour justifier la confiscation des libertés démocratiques.
Se pose la question de fond. Comment aujourd’hui en 2022, un pays peut avoir et mettre en oeuvre une vision à 15 -20 ans et en même temps avoir un rythme électoral infernal quand même ! D’un côté on a cette tension permanente entre des gens qui, à peine élus par le processus "démocratique" (on le concède), sont obnubilés par les prochaines élections (c’est leur long terme, 5 à 7 ans au max). De l’autre un champ démocratique en constante ébullition qui t’accorde une période de grâce (de 100 jours symboliques) et qui s’évertue (avec les groupes d’intérêt, les réseaux sociaux, etc. ), à détruire et dégager celui qui est en place. Le seul consensus national porte sur des questions très graves de sécurité nationale ou sur les sujets tabous (comme certains groupes "intouchables").
Alors les seuls "leaders" sont soit des autocrates ou des dictateurs qui confisquent les libertés. Xi, Poutine, Salam, Ergodan, Ben Zayed aux Émirats. Pendant ce temps les "démocraties" imposent un "turn over" du personnel politique qui ne peut être efficaces que si les socles institutionnels sont très forts pour permettre de garder le cap malgré les "alternances". Hollande, Macron, Obama, Trump, Merkel en constante négociation avec les autres forces ou des leaders populistes sortis des urnes. Sinon le modèle africain avec ses deux faces de la même monnaie. Des élections régulières sans vrai alternance dans un cas et des présidents à vie. Mais ils sont tous incapables de réaliser ce qui fait un pays fort. Un passé, une ambition et une vision. En Chine Xi dit que 5 -10 ans ce n’est pas assez. Entre ça et faire sauter la clause limitative il y a du surréaliste. La clé c’est de bâtir des institutions fortes et résilientes face aux "aléas démocratiques ". Aux USA, le président a parfois deux ans sur 4 pour mettre en oeuvre sa politique. Car la première année, il apprend le job et la dernière année il prépare la réélection. Chez nous il a 5 ou 7 ans pour ...confisquer le pouvoir à jamais si possible !
Aujourd’hui, le Maroc est en train littéralement de bouffer l’Afrique subsaharienne. Comment ce pays, ce royaume parvient à cela ? Le roi est adossé à un pouvoir séculier qui lui offre la possibilité de se projeter et s’appuyer sur un socle tentaculaire au niveau national. Il peut imprimer une vision très nationaliste et à long terme. Mais le pays utilise les outils du management moderne. Beaucoup de ministères au Maroc ont recours aux meilleurs cabinets internationaux pour dresser leur tableau de bord et mettre en place des formes de reddition de comptes. Le roi n’hésite pas à sanctionner et même à bannir des ministres indélicats. Mais quand il voyage en Afrique, il débarque toujours avec une "cargaison " d’hommes d’affaires...marocains. Il leur offre l’environnement propice pour se déployer. Quand Erdorgan arrive à Dakar, il vient avec dans ses valises les businessmen turcs qui arrivent à introduire pour gagner des marchés. Macron le fait avec les entreprises françaises en Afrique. Et nos dirigeants alors ? Ils tuent les entreprises et les entrepreneurs nationaux (non affiliés à eux) et ils les mettent à la merci de la concurrence déloyale des firmes étrangères et on leur demande d’être compétitifs.
Revenons à la Chine. La Belt and Road Initiative est très ambitieuse certes, mais elle ne peut justifier une confiscation du processus démocratique. En même temps au-delà de cela il y a une réflexion à faire sur la manière de concilier les exigences de développement sur le long terme et le "cycle démocratique". Ce dernier n’a pas pour finalité de changer le leadership ou le faire alterner pour cliquer sur la case "élections organisées : Oui) mais bien de développer de manière durable et inclusive le pays. Il faut "requalifier" l’essence de la démocratie plutôt que sa forme. Quelqu’un disait qu’il faut désacraliser les élections en Afrique. Paul Collier en parle largement dans un de ses livres : "Wars, guns, and votes : Democracy in Dangerous Places". C’est un amplificateur de risques de violence dans beaucoup de pays. Mais une des pistes qui ressort de toutes ces études c’est qu’il faut se battre pour consolider les contre-pouvoirs. L’érosion des contre-pouvoirs est la mère de toutes les dérives. Et paradoxalement tout le monde se bat pour le pouvoir et très peu pour ériger et préserver les contre-pouvoirs.
Qui se bat au Sénégal pour rendre la représentation parlementaire plus exigeante et moins lucrative ? Moins de députés et moins d’avantages ? Si les députés devaient recevoir juste des indemnités de session on verra moins de bataille. Pour rester en chômage payé pendant une législature. Si on leur assigne une prime de performance, nombre d’initiatives parlementaires seraient abouties, par exemple. Ils dormiraient moins à l’Assemblée. Idem pour la séparation des pouvoirs, la limitation du nombre de partis, la régulation des médias de propagande publique, la démocratisation du droit de vote. Préserver la fonction publique des injonctions et du chantage politiques. Soumettre à la compétition tous les postes de direction et de chef d’agences. Réduire les mécanismes de distribution de carottes politiques que l’État utilise à des fins partisanes. Voilà ce qui pourrait constituer les bases d’un programme politique alternatif.
Les acteurs de tous bords sont obnubilés par les ’formes" de la démocratie. Alors qu’il faut vider la démocratie de ses formes ! Pour bâtir une "substance". Autrement cela devient un leurre avec ce cycle infernal. Surenchère pré-électorale, transhumance préventive -élections chaotiques-désillusions et déceptions post électorales- transhumance post traumatique - recomposition politique - contestation - surenchère à nouveau. Cette bande est usée. Elle se défile sous nos yeux depuis trop longtemps. La seule variante ce sont les formes de répression et la violence qui font des intrusions dans ce cycle.
L’ŒUVRE DE SAFI FAYE ET KHADY SYLLA, PAR rama salla dieng
MULTIPLE PHOTOS
FAD’JAL DE SAFI FAYE, UNE ETHNOGRAPHIE DU VIVRE EN COMMUN EN TERRE SEREER
EXCLUSIF SENEPLUS - Le film est un dialogue intergénérationnel en plusieurs parties, abordant des questions centrales comme l’histoire de Fad’jal, le rôle du travail dans la définition d’une identité personnelle et collective, la naissance et la mort...
Série de revues sur l’oeuvre des réalisatrices Safi Faye et Khady Sylla
Co-éditrices de la série : Tabara Korka Ndiaye et Rama Salla Dieng
Khady Sylla et Safi Faye, des noms qui devraient résonner dans notre imaginaire collectif tant elles ont été pionnières, dans leur art et dans leur vie parce que pour elles, l’art, c’est la vie. Leur vie et leur œuvre nous ont particulièrement ému. Pourtant, elles semblent porter en elles, la marque de celles vouées à être des égéries en avance sur leur temps ! Le tribut en est lourd. Si lourd! Et si dramatique. On demeure sur sa faim. Sur la promesse d’un potentiel. On reste sur le regret de ce qu’elles auraient pu être, auraient dû être, si célébrées comme le monstrueusement gigantesque Sembène. On reste sur les si…sur la fleur de toute l’œuvre dont elles étaient fécondes.
Safi Faye a en tout réalisé treize films : La Passante (1972), Revanche (1973), Kaddu Beykat (Lettre paysanne) (1975), Fad’jal Goob na nu (La Récolte est finie) (1979), Man Sa Yay (1980), Les Âmes au soleil (1981), Selbé et tant d’autres (1982), 3 ans 5 mois (1983), Ambassades Nourricières (1984), Racines noires (1985), Tesito (1989), Tournage Mossane (1990) et Mossane (1996).
Elle s’est surtout intéressée au monde rural, à l’émancipation de la femme comme à l’indépendance économique et au poids des traditions, le tout en pays Sereer.
Khady Sylla pour sa part, a été une férue de l’auto-exploration, pour théoriser depuis l’expérience propre. D’abord celle des marginalisés de la société avec Les bijoux (1998), Colobane Express (1999) qui capturent l’expérience du transport urbain avec un chauffeur de car rapide et son apprenti, puis la sienne avec Une fenêtre ouverte (2005) dans lequel elle parle de la santé mentale et enfin Le monologue de la muette (2008) qui parle des conditions de travail des ‘bonnes’. Auparavant, en 1992, Khady Sylla a publié chez L’Harmattan un superbe roman : le jeu de la mer. Les mots, Khady les jongle comme elle s’y accroche car ils la maintiennent en vie. Ainsi qu’elle le reconnaît dans Une fenêtre ouverte : ‘on peut guérir en marchant’.
Dans cette série, nous vous proposons nos regards croisés sur l’oeuvre de Safi Faye et de Khady Sylla, ceux d’une curatrice, créative et chercheuse Tabara Korka Ndiaye dont le projet s’intitule ‘Sulli Ndaanaan’ et celle d’une auteure, créative et universitaire, Rama Salla Dieng, passionnée de documenter la vie et l’oeuvre des oublié.e.s, marginalisée.e.s et silencié.e.s, toutes les deux férues de film, de musique et de littérature.
Fad’jal de Safi Faye, une ethnographie du vivre en commun en terre Sereer
Autrice : Rama Salla Dieng
Une cloche résonne alors que la bâtisse de l’église se dessine sous des chants chrétiens qui recouvrent les voix des écoliers dans une classe fermée.
Ces enfants récitent inlassablement la leçon du jour :
‘Louis 14 est le plus grand roi de France
On l’appelait Roi-soleil
Sous son règne fleurirent les lettres et les arts’
À leur sortie de l’école française, les jeunes écoliers, dans un contraste saisissant d’avec la retenue de leur tenue en classe, sont libres de redevenir eux-mêmes : des enfants, mais plus important encore, des enfants Sereer.
Les écoliers se dépêchent d’aller rejoindre les anciens sur la place du village sous deux arbres symboliques : le baobab et le kapok. Ils interrogent leur grand-père sur l’histoire (cosaan) de Fad’jal. C’est ainsi que commence Fad’jal, long métrage de 108 minutes réalisé par Safi Faye et paru en cinéma en 1979. Comme une célébration du syncrétisme culturel et cultuel, à moins d’être une critique du colonialisme, le reste du film s’évertue à déconstruire la leçon d’histoire qui se racontait en classe sous le regard bienveillant du maître d’école. Tout au long du film, l’église et la salle de classe seront les seuls espaces fermés, contrastant d’avec l’ouverture des autres lieux de vie et de communion à ciel ouvert (concessions et dans la nature). Le film chronique le quotidien des habitants du village en combinant savamment des séquences documentaires avec du matériel de fiction, symbole d’une technique ethnographique distinctive et alors nouvelle qui exerce encore une certaine influence.
Le titre français de ce film ‘Grand-père raconte’ nous renseigne alors mieux sur le sens de la citation d’Amadou Hampâté Bâ écrit en gros caractères au début du film : ‘En Afrique un vieillard qui meurt est une bibliothèque qui brûle’ qui fait écho au proverbe Wolof: ‘mag mat na bayi cim reew. De la citation de Amadou Hampâté Bâ, le philosophe Souleymane Bachir Diagne dira qu’il y a quelque chose de paradoxal dans l’affirmation qu’il faut vite transcrire et archiver l’oralité avant qu’elle ne meurt avec les vieillards. Pour lui, ‘on admet qu'elle est de toute façon déjà morte comme oralité et que la transcription se fait dans la tristesse des adieux et de la lecture des testaments : post mortem’. Le défunt Amady Aly Dieng est moins philosophe lorsqu’il rétorque à Amadou Hampâté Bâ : ‘Il faut voir de quelle catégorie de vieillards. Est-ce le bon vieillard ou le mauvais vieillard ?’ (L'entretien, 2Stv).
Quoiqu’il en soit de ce débat, la mise en scène reflète bien la volonté de Safi Faye de retracer et raconter l’histoire de son village natal Fad’jal tout en honorant la tradition orale et la parole des ancien.ne.s. Le film est en fait un dialogue intergénérationnel en plusieurs parties, sous l’arbre à palabres, abordant des questions centrales comme l’histoire de Fad’jal, le rôle du travail dans la définition d’une identité personnelle et collective, la naissance et la mort, les rites, l’héritage, de même que la transmission selon que l’on suit la lignée maternelle ou paternelle. En terre Sereer, les lignages matrilinéaires prédominent malgré l'évolution du système de parenté : ‘C'est un bâton maternel qui a tracé le Sine’ ainsi que l’explique le Professeur Pathé Diagne.
L’on apprend que le village de Fad’jal a été fondé par une femme : Mbang Fad’jal. Par la voix du griot, l’on découvre que sa petite fille Moussou s’était mariée à Kessine Jogoye, un chasseur d’éléphants. À L’origine, le village était formé d’une constellation d’habitations avec sept places publiques (penc) dont Ngakaane constituait la plus grande place. Le village n’avait ni roi ni reine. Toute son économie prospère reposait alors sur la production et le troc du mil, du riz, et du bétail. La nature généreuse offrait ses ressources aux villageois.e.s : la mer pour pêcher et les forêts pour chasser.
L’histoire de Fad’jal est aussi inextricablement liée à celle du buur Sin (Roi du Sine), Latsouk Fagnam. Ce roi jaloux savait qu’il ne manquait rien à Fad’jal qui était un village autonome et cela lui déplaisait. Il prit donc la ferme décision de détruire Fad’jal sans coup de fusil. Il voyage à Fad’jal avec toute sa suite dans chacune des sept places du village pour se faire célébrer et entretenir. Ce faisant, il épuise les réserves de Fad’jal en se faisant accueillir en grandes pompes. Les habitant.e.s de Fad’jal contraint.e.s à migrer par vagues successives furent appauvri.e.s par les sécheresses et le changement climatique.
Quelques années plus tard, deux jumeaux Ngo décidèrent d’aider les villageois à retourner sur les terres de leurs ancêtres cependant ce fut une tâche ardue qui ne put se faire qu’après moults péripéties dont les jeunes se rappellent aujourd’hui avec humour.
L’on apprend aussi du grand-père que ‘Fad’jal’ veut littéralement dire ‘travail’ montrant toute l’éthique conférée à cet aspect de la vie sociale selon le proverbe Sereer :
'Qui travaille, rit et sera heureux, qui ne travaille pas, on rira de lui.’
Pour le professeur Madior Diouf, sept cadres éducatifs définissent la culture Sereer : la case, la maison, l’arbre à palabres ou place publique, le troupeau, l’enclos d’initiation, les jeux de lutte et l’association villageoise. Le colonel Mamadou Lamine Sarr y ajoute d’autres chantiers-écoles : la construction de grandes pirogues, la navigation sur l’océan avec la capacité de s’orienter de jour comme de nuit, dans son ouvrage sur L’éducation du jeune Sereer Ñominka.
Dans Fad’jal, Safi Faye choisit de s’appesantir sur trois aspects fondamentaux : un jeune Sereer doit savoir travailler, danser et lutter. Le travail est d’abord organisé autour d’une division sociale nette comme Safi Faye nous le montre dans Kaddu Beykat, paru quatre ans plus tôt. L’on montre les femmes chantant pendant qu’elles cultivent l’arachide. L’histoire racontée dans le chant est une recommandation à la femme enceinte de se faire aider d’une jeune femme jusqu’à ce que son bébé soit assez solide pour qu’elle retourne à son travail aux champs. La danse et la lutte, sport traditionnel important, occupent aussi une place de choix dans la vie sociale à Fad’jal. La lutte est un jeu d’adresse, d’habileté et d’intelligence plus qu’elle n’est un jeu de rivalité ou de force. Les rituels et invocations aux aïeux occupent aussi une place considérable dans ce sport. Sous le battement des tambours rythmé au gré des chants et des applaudissements des femmes et des jeunes filles, des personnes âgées nostalgiques de leur vigueur et de leur habileté d’antan initient les plus jeunes à la lutte à la fin des récoltes.
La question des acquisitions de terres est abordée. Le patriarche explique que jadis celles-ci se faisaient de manière consensuelle avec le Jaraaf jouant un rôle clé. Cependant, avec la loi sur le domaine national entrée en vigueur en 1964, l'État gère les terres au nom des populations. Les populations de Fad’jal semblent dubitatives : ‘Maintenant, on dit que toutes terres appartiennent à l’Etat depuis la loi sur le domaine national de 1964.’ D’aucuns témoignent : ‘Cette terre qui appartenait à ma famille depuis quatorze générations, j’en ai hérité de mon aïeul qui l’a reçu du roi en contrepartie d’un sabre en argent que ce dernier lui a offert.’ Les terres de Fad’jal sont alors menacées par un nouveau projet de développement touristique qui verrait les populations recevoir 6000 francs de compensation contre la construction d’une case. Cette situation crée une tension intergénérationnelle avec d’un côté les vieux qui refusent de céder et de l’autre, les jeunes qui leur répondent : ‘allez-vous-en ! Votre temps est révolu !’
Un vieux leur intime de se taire et répond cyniquement : ‘Si l’État dit que la terre lui appartient et que nous aussi nous disons la même chose, notre terre, personne ne le volera, personne ne s’en appropriera tant que nous l’occuperons ! Ce clin d'œil fait sûrement référence au concept flou ‘mise en valeur’ de la terre pour éviter d’en être expulsé sans que pour autant les contours du concept ne soient juridiquement clarifiés par le législateur.
Lapidaire et ironique alors que l’interjection d’un villageois : ‘Mais que faisait cette loi quand nos aïeuls cherchaient à sécuriser leurs terres ? Cette loi n’a-t-elle pas de proches de qui hériter ?’
Dès le lendemain, un après-midi d’octobre 1977, des lotisseurs viennent mais font face à la résistance paysanne.
Ethnologue de formation, Safi Faye s’applique à documenter tous les aspects de la vie sociale de Fad’jal y compris et surtout des histoires de vie personnelles. Ce qui se passe à l’intérieur des cases, autre espace d’éducation et de vie, est montré : des scènes de vie ordinaires, la naissance, le décès. Ainsi donc, la caméra de Safi Faye lève le voile sur un autre aspect peu souvent montré dans les films africains : l’accouchement.
Dans une case donc, une femme : Coumba, se fait aider de deux matrones. L’attente de cette naissance imminente est longue et douloureuse pour celle qui va donner la vie et qui reste d’un calme étonnant. Coumba va et vient, s’accroche au toit de la case. Le silence troublé par ses gémissements lors des contractions et ses lamentations. Elle est maintenant assise, ses deux aides ajustant le pagne qui enserre savamment son ventre pour aider la descente du bébé.
D’un coup, la délivrance, lorsque le moment venu les deux matrones tirent sur les jambes du bébé qui hurle. Elles la font s’asseoir sur ce qui ressemble à du mil pour l’aider à faire descendre le reste de sang et lui remettent son bébé dans le bras.
Cette délivrance heureuse sonne le coup d’envoi des préparatifs pour la fête ! Une chèvre est égorgée pour l’occasion, les griottes chantent Coumba, la nouvelle maman tandis que les griots congratulent Ndick le nouveau père en louant sa lignée. Rien n’est occulté des rituels qui suivent la naissance : du premier port du bébé à sa première sortie et au plantage d’arbuste en l’honneur du bébé.
Fad’jal montre aussi les rituels d’enterrement et de deuil. Parallèlement, c’est aussi dans une case qu’une veuve en noir se retire après la perte de son époux, le vieux Waly. Tout comme la nouvelle maman, elle n’est jamais seule, mais est accompagnée d’autres femmes. Même dans le silence du deuil, les femmes sont en communauté.
Sous un baobab, un homme d’âge mûr rend hommage à son ami décédé. Détenteur du bâton symbolique du pouvoir dans la culture Sereer, il fait aussi un témoignage sur la qualité du travail de ce dernier, son amour pour les champs, pour les animaux et enfin pour sa famille tout en martelant le sol du bâton pour appuyer son propos. Enfin, il prononce des prières à l’endroit du défunt alors qu’au loin les cris des pleureuses se font entendre. Les chants résonnent :
‘Un bout de bois ne souffre pas, souffrir reste propre à l’homme’
Une pause puis ils reprennent de plus belle :
‘Chef de famille, tu es mort, à qui as-tu confié tes enfants ?
Chef de famille, oh toi qui as quitté les tiens, à qui as-tu confié tes orphelins ?’
L’on sacrifie un bœuf devant les proches qui témoignent sous les regards perdus et attristés des autres proches. Une autre ‘vache de dette’ est remise à la famille du défunt Waly en reconnaissance du geste que ce dernier avait fait pour cette famille. Le partage de la viande et du mil se fait sous le regard et les délibérations de tous et de toutes. Mais à Fad’jal, comme dans d’autres cultures ouest-africaines (comme au Ghana), la mort n’est pas un épisode triste, mais une occasion de célébrer la personne défunte. L’on danse, rit, boit de l’alcool en psalmodiant des prières et en partageant des souvenirs de la personne disparue. Les femmes de la classe d’âge du défunt Waly surtout, chantent et dansent en son honneur : ‘la saveur du mil que tu cultivais nous manquera.’
Dans les dernières scènes, des enfants sont les porteurs des paroles de sagesse Sereer, symbole d’une écoute attentive de leur grand-père et d’une transmission fructueuse et réussie.
La scène finale montre le détenteur du bâton invoquant la pluie pour une bonne récolte auprès des Pangool sous le kapok, symbole du syncrétisme spirituel dans le Sine-Saloum et mieux encore, au Sénégal.
Une trentaine d’années plus tard, comme en écho à Safi Faye, une autre écrivaine, d’origine Sereer et citoyenne du monde dira : ‘Je viens d 'une civilisation où les hommes se transmettent leur histoire familiale, leurs traditions, leur culture, simplement en se les racontant, de génération en génération’ (Kétala, 2006). Elle s’appelle Fatou Diome.
par Momar Dieng
CES LARCINS À GRANDE ÉCHELLE QUI N'ÉMEUVENT PLUS LE GOUVERNEMNT
Minimiser le saccage démentiel de fonds publics anti-Covid dont une bonne partie a profité à des intérêts privés de manière scandaleuse est une faute politique qui hantera durablement le gouvernement
La communication lancée par le Gouvernement pour tourner en dérision la gravité des constats faits par la Cour des comptes sur l’ampleur et la gravité de la prédation des ressources opérée par des autorités d’Etat sur les fonds de la Force Covid-19 a ses limites. Deux « soldats » ont été envoyés au front pour soliloquer : le ministre des Finances et du Budget (MFB) Mamadou Moustapha Bâ et son collègue du Commerce Abdou Karim Fofana, porte-parole du Gouvernement. A tout hasard, rappeler que tous deux ont été épinglés sur le sujet par la Cour des comptes dans leurs fonctions antérieures.
Le discours technocratique du MFB a globalement consisté à se satisfaire que les malversations dénichées n’aient concerné que « 0,7% seulement » des fonds mobilisés pour la riposte anti-Covid. « Seulement » moins de 7 milliards de nos pauvres FCFA ont été joyeusement dilapidés entre les poches de hauts fonctionnaires couverts par des ministres, et d’un cartel d’hommes/femmes d’affaires qui avaient déjà une fine connaissance des coins, recoins, couloirs et bureaux des ministères pour savoir à quelles portes frapper pour capturer des marchés.
Mais toutes choses étant égales par ailleurs – heureusement d’ailleurs ! - cette posture politique des deux ministres renseigne à 100% sur les liens que nos autorités entretiennent avec les deniers publics.
Porteur de la « riposte » gouvernementale au Rapport définitif de la Cour des comptes et quasiment célébré dans une bonne partie de la presse, le technocrate MFB, flanqué du porte-parole du Gouvernement, s’est extirpé du scandale du carnage des fonds Covid-19 pour se payer à moindre frais un long monologue sur les bienfaits du Programme de résilience économique et sociale (PRES) lancé par l’Etat pour amoindrir les effets de la pandémie à coronavirus. Au passage, il a quand même pris l’engagement que des suites seront données à l’affaire.
Le ministre porteur de la riposte épinglé par la Cour des comptes
Or, le PRES en tant que tel n’était pas l’objet de la mission de la Cour des comptes. « L’audit a pour objectif général de vérifier si les ressources mobilisées dans le cadre de la riposte contre la Covid-19 ont été utilisées conformément à la réglementation en vigueur et aux principes de bonne gestion », lit-on à la page 10 du Rapport. Et les objectifs spécifiques cités par la suite confirment cette direction des enquêtes.
Alors qu’il était Directeur général du Budget, Mamadou Moustapha Bâ avait été interpellé sur l’existence d’un écart de 8,182 milliards FCFA entre les transferts annoncés par le MFB au profit du ministère de la Santé et le montant qui figure dans le relevé du compte de dépôt du ministère des Finances. Sa réponse n’a pas convaincu la Cour des comptes qui a maintenu son audit sur ce point précis. Ceci n’est-il pas un camouflet qui poursuit le DG du Budget devenu ministre des Finances et du Budget en septembre dernier ?
A côté de l’ex DG du Budget ainsi épinglé par l’audit, la Cour des comptes signale aussi que « le ministère de la Santé et de l’Action sociale n’a pas répondu aux observations et projets de recommandation contenus dans le chapitre portant sur le pilotage stratégique de la pandémie. » Cette double défiance à l’endroit d’un organe de contrôle d’Etat n’explique-t-elle pas en partie cette opiniâtre entreprise de carnage des ressources financières publiques ?
« 0,7% seulement…»
« Seulement » 239 millions 733 mille FCFA ont été engloutis par le ministère de l’Urbanisme, de l’Habitat et de l’Hygiène publique pour « production de bacs à fleurs et travaux d’aménagement et de sécurisation ». Une folie qui n’a rien à voir avec la lutte contre la Covid-19, note la Cour des comptes. Des broutilles, peste le ministre des Finances et du Budget, qui avait à ses côtés son collègue alors à la tête de ce ministère, Abdou Karim Fofana !
« Seulement » 24 millions 588 mille FCFA ont été piqués des fonds Covid-19 attribués au ministère de la Fonction publique et dépensés sans liens avec la pandémie au titre de « la ligne matériels et produits d’entretien ». Encore des broutilles chez la plus inamovible des ministres depuis 2012, Mariama Sarr !
« Seulement » 141 millions 980 mille FCFA ont servi à organiser des « séminaires de formation et de renforcement des capacités et frais et de réception et de tenue de CRD » au ministère du Commerce et des Petites et Moyennes Entreprises sous Aminata Assome Diatta. Evidemment, tout était lié à la Covid-19 !
« Seulement » 49 millions 587 mille FCFA ont été vendangés par le ministère de la Microfinance dirigé par Zahra Iyane Thiam entre « perdiems et autres frais de communication, location, entretien et réparation de véhicules, location d’avions, frais d’hébergement…»
« Seulement » 800 millions 461 mille FCFA. Le ministère des Mines et de la Géologie du Docteur en informatique Oumar Sarr a trouvé ici l’aubaine de se servir des fonds Covid-19 en s’équipant de logiciels et de matériels techniques divers !
« Seulement » 140 millions FCFA comme « écart entre les montants reversés par la FSB (Fédération sénégalaise de basket-ball) et le total des décharges produites par le DAGE » Mamadou Niang Ngom sous le regard de son patron, l’ex ministre des Sports Matar Bâ. Encore que ledit DAGE a humblement fait son mea culpa quand il est épinglé pour le paiement en espèces de 190 millions FCFA comme subventions à des « associations légalement constituées » : « (…) Nous sollicitons votre tolérance administrative par rapport à la violation des dispositions de l’article 104 du RGCP…»
Au total, c’est « seulement » 20 milliards FCFA environ qui ont été dépensés sans lien avec la Covid-19, dans des conditions générales de non transparence « révélateur d’une absence de rationalisation des dépenses », relève la Cour des comptes.
« Cette situation découle des insuffisances notées dans le pilotage stratégique de la lutte contre la pandémie, particulièrement de l’inexistence d’un cadre de dialogue de gestion efficace entre le MFB et les ministères dépensiers qui ne se sont pas dotés de plans de résilience sectoriels pertinents pour une gestion efficiente des ressources dédiées à la riposte. »
Un régime dérogatoire au Code des marchés publics a été institué par le décret n°2020-781 du 18 mars 2020 afin d’accélérer la passation et l’exécution des marchés. Cette décision présidentielle a-t-elle ouvert la boîte de pandores en libérant les malversations et les cupidités de toutes sortes ?
Les enquêteurs de la Cour des comptes ne sont pas des illuminés. Ils jugent « compréhensible » l’institution de ce régime dérogatoire pour une « exécution diligente des dépenses » et une réduction des « délais d’acquisition des biens et services. » Néanmoins, cette dérogation devient vite « problématique » en l’absence d’un encadrement strict des procédures et de la bonne foi des acteurs. Deux cas concrets, entre autres, concernent le ministère de la Santé et de l’Action sociale.
En privilégiant ses propres fournisseurs au détriment de la Pharmacie nationale d’approvisionnement (PNA) « pour les mêmes types d’équipement et la même quantité », ce ministère alors dirigé par Abdoulaye Diouf Sarr a infligé à l’Etat un manque à gagner estimé à 983 millions 450 mille FCFA, note la Cour des comptes.
Pour la construction d’un CTE (Centre de traitement épidémiologique) anti-Covid-19 à l’hôpital Dalal Jamm de Guédiawaye, le marché est attribué à l’entreprise SONABI pour un montant de 1 milliard 614 millions 616 mille FCFA. Mais alors qu’aucun contrat n’est encore signé, le ministère de la Santé verse quand même à l’entreprise une avance de démarrage de 726 millions 577 mille 200 FCFA (45% du montant) en deux tranches : 315 millions 682 FCFA payée le 27 mars 2020, puis 410 millions 894 payée le 30 juin 2020.
Le contrat sera signé a posteriori en date du 13 juillet 2020 « soit quatre mois après le versement de la première tranche de l’avance de démarrage. »
Entre amis affairistes, on se rend services comme on peut, là où on est ! De telles histoires méritent que le Premier ministre Amadou Bâ vienne à son tour éclairer la lanterne des Sénégalais devant l'Assemblée nationale. A moins qu'il préfère continuer à s'en laver les mains !
PAR Charles Faye
PELÉ
Pelé n’est pas mort Edson si. Beaucoup ne connaitront pas l’éternité de Pelé, tant ils seront tristement passés à côté de leur sphère, laissant pour seule trace une épitaphe illisble sur une dalle érodée.
Pour une trajectoire mal ajustée, des principes tombant telles des feuilles mortes, des ambitions s’écrasant sur des montants, ils auront raté les multiples occasions d’écrire leur histoire dans les lucanes béantes.
Comment ne pas voir comment Pelé a construit sa légende pour ne pas s’en inspirer et ne pas se retrouver dans le cercle des grands, des plus grands ?
Savoir s’arreter, pour que s’installe le mythe. S’en aller sans jamais partir.
Le monde pleure. Le football est en deuil. Son roi est mort. Quelle vie ! Quelle fin !
De quoi nous interroger en cette fin d’année tristounette, marquée par des histoires d’hormones débridées, de détournements de deniers publics, d’inélégance, d’arrogance.
2022 se meurt, dans la tourmente, sans gloire, sans promesses sinon annonciatrice d’une année encore plus sombre, porteuse de craintes de lendemains incertains, de films aux séquences X à faire tomber, de germes de la division.
La gloire n’est pas partout, pas chez nous en tout cas en ce 2022 à l’agonie, avec ses casseroles. Excit l’année, vive 2023, qui ne nous demandera pas du reste notre avis.
Aussi sûre que l’incertain, elle arrive avec son lot de surprises et d’incertitudes, dans notre rectangle de vie sec et chaud. A nous de faire en sorte qu’elle ne nous tombe pas dessus, qu’elle ne nous aspire pas dans ses angles morts, pour s’offrir, à nos dépens, des coups francs imparables.
C’est en ce sens que les arabesques de l’enfant Dico devenu Pelé, doivent nous livrer leurs secrets, pour dribbler les plans des infortunes se dessinant sous nos yeux.
Ces hasards subséquents, devant lesquels devront s’affirmer et s’assumer des responsabilités individuelles et collectives, afin que le Sénégal ne sombre pas dans la genèse d’un autre monde, auquel le renvoie quasiment son anagramme.
Entouré par une ceinture de feu djihadiste, convoité par la nouvelle géopolitique mondiale, éprouvé par le radicalisme et le populisme, aveuglé par le communautarisme et l’obscurantisme, traversé par l’onde de choc jeunesse, mis à rude épreuve par l’extrémisme politique, le Sénégal peine à se rassurer et assurer une bonne nouvelle année.
Pelé nous dira qu’on ne récolte que ce que l’on a semé, encore que les Lions nous ont donné de grandes joies en 2022.
Mais là n’est pas la question. C’est le mythe Sénégal qui s’effrite et ça, ce n’est pas possible.