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2 avril 2025
Opinions
par l'éditorialiste de seneplus, Amadou Elimane Kane
L'IMAGINAIRE EST L’ARCHITECTURE TISSEE DE NOTRE RECIT
EXCLUSIF SENEPLUS - Dans le contexte africain, l'imaginaire se révèle être plus qu'un refuge. C'est un outil de résistance et de reconstruction identitaire. Cette force vitale ancrée dans des traditions séculaires ouvre la voie à la renaissance
Amadou Elimane Kane de SenePlus |
Publication 11/11/2024
Si l’on considère la définition du mot imaginaire, celui-ci a évidemment plusieurs sens. En tant qu’adjectif, c’est ce qui est créé par l’imagination et qui n’a d’existence que dans l’imagination. Mais en tant que substantif, c’est une œuvre, un domaine ou un monde de l’imagination.
Si l’on va un peu plus loin car la notion d’imaginaire embrasse plusieurs champs disciplinaires. Dans le domaine philosophique et selon la théorie de Jean-Paul Sartre, c’est le domaine de l’imagination, posé comme intentionnalité de la conscience : Nous sommes à même, à présent, de comprendre le sens et la valeur de l'imaginaire. Tout imaginaire paraît « sur fond de monde », mais réciproquement toute appréhension du réel comme monde implique un dépassement caché vers l'imaginaire.
Dans le domaine de la psychanalyse et selon Lacan, c’est un registre essentiel (avec le réel et le symbolique) du champ psychanalytique, caractérisé par la prévalence de la relation à l’image du semblable.[1]
L’historien roumain Lucian Boia, quant à lui, retient huit structures archétypales qui sont autant de constantes des cultures : 1/ la conscience d’une réalité transcendante, qui recoupe le sacré ; 2/ le double, la mort et l’au-delà ; 3/ l’altérité, ouvrant sur l’animal et le divin ; 4/ la quête de l’unité (androgyne) ; 5/ l’actualisation des origines ; 6/ le déchiffrement de l’avenir ; 7/ l’évasion hors de la condition humaine (âge d’or, utopies) ; 8/ la lutte et la complémentarité des contraires.[2]
Ainsi, on voit bien que le caractère de l’imaginaire est multiple et façonné par plusieurs symboliques nécessaires à la condition humaine d’une communauté spécifique.
Dans le domaine de la littérature, l’imaginaire est au premier plan de l'œuvre créatrice car il s’appuie sur un ensemble articulé autour de l’histoire, des croyances, des mythes, des valeurs et des images d’un peuple ou d’une culture.
Ainsi, on peut se demander comment l’imaginaire s’articule au récit que nous bâtissons ? Car, selon moi, l’imaginaire est au cœur de notre narration collective. L’imaginaire est une construction culturelle qui s’associe à l'identité profonde, tout en se métamorphosant aux conjonctures du temps. Quand cette société, en communion unitaire, est constituée solidement, par l’histoire, par l’éducation, par la langue, par le social et par le culturel, elle demeure libre. Ainsi l’imaginaire, sûr de lui-même, peut voguer sur toutes les mers qui s'offrent au regard, il peut résister, s’échapper parfois, il peut même se soustraire pour vivre d’autres horizons, mais toujours pour mieux revenir sur les terres fondatrices. L’imaginaire, quand il est stable, peut être pluriel car il se construit avec d’autres empreintes culturelles qui viennent s'incruster et forment un diamant pur. Pourtant, celui-ci n’est ni figé ni travestissement et il est en quête d’unité tout en convoitant le singulier.
Toutefois, l’idéologie peut parfois cultiver les imaginaires, les détourner de leur essence première et les éloigner de la réalité des symboles constitutifs d’une culture. C’est souvent le cas des territoires colonisés par une civilisation extérieure. Dans le même temps, les racines identitaires sont des alliées puissantes pour résister à l’écrasement et à l’asservissement. C’est par l’imaginaire culturel que le cerveau et le corps se défendent. C’est par l’imaginaire et la connaissance de soi que la continuité culturelle s’organise et s’affirme.
Pour parler du récit africain, notre imaginaire culturel n’est pas né avec l’esclavage et la colonisation, loin de là. Il est bien antérieur et enraciné dans notre histoire, dans nos paysages, dans nos rites, dans notre culture, dans la cosmogonie et dans les rondes sociales que nous formons. Notre histoire et nos imaginaires sont multiformes et ils nous appartiennent amplement à la fois dans les fondations du sacré et l’ouverture d’un nouveau monde, autrement dit d’une renaissance.
Une terre africaine épanouie, abondante et concordante n’est pas une utopie. Elle est seulement le fruit d’un assemblage unitaire autour de nos valeurs, de notre culture féconde, de notre histoire réhabilitée, de la défense de notre patrimoine ancestral, de nos langues revitalisées par la transmission, d’une conduite politique citoyenne et responsable, en harmonie avec nos désirs d’avenir. C’est l’architecture de nos récits et de notre imaginaire que nous devons, ensemble, défendre pour faire vivre tous les soleils de nos libertés et voir fleurir tous les flamboyants de notre renaissance.
Amadou Elimane Kane est enseignant, poète écrivain et chercheur en sciences cognitives.
DONALD TRUMP, ETATS-UNIS, ET TRANSFORMATIONS GEOPOLITIQUES
Le poste ministériel le plus crucial dans le prochain gouvernement sénégalais ne sera pas la Primature, mais bien le ministère des Affaires étrangères.
Le poste ministériel le plus crucial dans le prochain gouvernement sénégalais ne sera pas la Primature, mais bien le ministère des Affaires étrangères.
Ne nous y trompons pas : Donald Trump va accélérer la cadence des transformations politiques et économiques mondiales, redéfinissant la géopolitique à un rythme inédit. Les citoyens américains en ont ainsi décidé, et les répercussions de cette dynamique seront ressenties partout.
L’ambiance de sectarisme croissant en Europe et l’affirmation sans complexe des «extrêmes droites» laissent entrevoir une disparition progressive des idéologies traditionnelles. Nous sommes face à une mutation profonde, un monde où les anciennes alliances se fragiliseront et où chacun agira d’abord dans son propre intérêt, pour sans doute encore plusieurs décennies.
Trump va précipiter cette reconfiguration géopolitique et économique en instaurant un réalisme économique plus brutal dans les relations internationales. En ce sens, le présent sera toujours façonné par nos actions, mais ce seront toujours les générations futures qui porteront leurs conséquences.
L’élection de Donald Trump annonce quatre années de douleur pour asseoir ce nouveau monde bipolaire. Les victimes immédiates seront l’Europe, Volodymyr Zelensky et les Palestiniens. Poutine et Netanyahou pourraient bien s’en réjouir, mais les Européens eux, paieront un lourd tribut, pris entre le fardeau de la bataille économique que les Etats-Unis et la Chine imposeront au reste du monde, et le coût de la guerre en Ukraine.
A travers des alliances comme les Brics, la Chine et la Russie formeront un front face aux Etats-Unis, forçant les grandes puissances à se repositionner dans cette reconfiguration mondiale.
Si les Brics, menés par la Chine, l’Inde, la Russie, le Brésil, l’Afrique du Sud et la Turquie, favorisent l’émergence d’un Front face aux Etats-Unis, les laissés-pour-compte qui devront se repositionner, est-ce les puissances intermédiaires (Allemagne, Japon, France) ou bien la masse critique des pays d’Afrique, d’Asie et d’Amérique latine ?
Dans la première moitié de ce siècle, les bases d’un nouvel ordre politique mondial seront, à n’en point douter, établies.
Dans la seconde moitié, l’économie numérique dominera et la technologie prendra de plus en plus de place. Le prochain siècle pourrait bien être celui du règne des machines, où les humains se contenteront d’observer un monde transformé.
Nous assistons à une fracture imminente
Les Etats-Unis et l’Europe d’un côté, les Brics de l’autre, chaque entité avec sa monnaie électronique et ses circuits économiques. Deux institutions mondiales émergeront pour coordonner les échanges : les Nations unies (refondées) et une organisation parallèle qui pourrait bien émaner des Brics.
L’Afrique se retrouvera au centre de cette rivalité pour les richesses naturelles de son sous-sol. Seule une unité politique africaine forte pourrait permettre au continent de faire face à ces puissances économiques dans un monde bipolaire.
La mission diplomatique à venir pour le Sénégal sera complexe et cruciale, marquée par une diplomatie économique subtile et stratégique. Il ne faudra surtout pas se tromper dans le choix du ministre qui dirigera ce poste.
Mamadou BAAL
Expert Communication Audiovisuel Consultant
Par Hamidou ANNE
AVEC LE RETOUR DE TRUMP, LE MOMENT POPULISTE DEMEURE
Ce retour de Trump est accompagné par des acclamations des masses et des élites dans toutes les parties du monde, séduites par le populisme et l’incarnation du virilisme au pouvoir.
J’échangeais le mardi 5 novembre, jour d’élection aux EtatsUnis, avec mon ami l’écrivain Ta-Nehisi Coates. Nous disions notre espoir de voir Kamala Harris remporter la victoire, mais partagions tout de même une certaine appréhension sans qu’exactement je puisse en déceler l’origine concrète. Nous avons poursuivi une conversation au long cours, entamée en 2017 durant le premier mandat Trump. En effet, dans son livre «Huit-ans au pouvoir» (Présence Africaine, 2017), Ta-Nehisi analysait l’arrivée au pouvoir de Donald Trump comme la «revanche identitaire blanche» d’une partie de l’Amérique qui s’était assise sur son orgueil durant huit années pendant lesquelles un Noir était à la Maison Blanche. Pour lui, Trump n’était pas sorti du néant, mais incarnait une forme de régression morale et symbolique d’un pays qui a vécu sous une «bonne gouvernance noire». Ta-Nehisi rappelle que l’ascension de Trump est passée par des discours racistes, xénophobes, islamophobes et misogynes, explosant toutes les digues de la respectabilité en politique. L’homme avait financé une campagne niant l’américanité de Barack Obama qui ne serait pas né aux EtatsUnis. Tout ceci était naturellement faux.
L’accession de Trump à la Présidence des Etats-Unis en 2016 a été une surprise pour des centaines de millions de gens dont moi. Son côté loufoque et burlesque, ses idées rétrogrades et sa violence verbale n’ont pas empêché son sacre. Le mandat de Trump en 2017 a commencé par le «Muslim Ban», un décret interdisant aux réfugiés et aux ressortissants de sept pays à majorité musulmane l’accès au territoire américain. Il s’est achevé par une gestion catastrophique de la pandémie du Covid-19. Le 45ème Président américain a posé les ultimes actes de sa gouvernance en contestant les résultats de l’élection présidentielle et en appelant le secrétaire d’Etat de Géorgie pour lui demander de tripatouiller les résultats et de lui «trouver» 11 780 voix afin de renverser le cours d’une défaite.
Devant l’échec des manœuvres, Donald Trump a chauffé ses troupes le 6 janvier 2020 et les a incitées à envahir le Capitole. Des hordes de militants extrémistes ont réussi à rentrer dans l’enceinte du Congrès dont certains cherchaient le vice-président Mike Pence, pour le pendre afin de lui faire payer, disaient-ils, une trahison, car il avait entériné la défaite de son colistier. C’est du jamais vu dans l’histoire de ce pays. Une puissance symbolique comme l’Amérique, terre refuge de millions d’opprimés dans le monde, modèle ultime de démocratie et d’ouverture, se retrouve ainsi réduite à une banale république bananière dont le président refuse le verdict des urnes et appelle à confisquer le suffrage des électeurs par la violence la plus primitive.
Malgré les accusations, les enquêtes, les procédures de destitution et les procès, Trump a survécu. Après toutes ces péripéties, il a été même réélu, sauf que cette fois, contrairement à 2016, cela n’a rien de surprenant. Comme de nombreux pays, l’Amérique a décidé de porter un populiste dangereux au pouvoir. Ici pour la deuxième fois, avec cette fois davantage de moyens à sa disposition pour mener une politique enrobée dans la brutalité et la vulgarité. L’historienne américaniste Sylvie Laurent analysait récemment cette réélection de Trump, comme le parachèvement d’une contre-révolution réactionnaire portée par un Parti républicain, désormais radicalisé et entièrement soumis au courant Maga, pour Make America Great Again.
Un homme de 78 ans a flirté avec la fin de sa carrière, la prison et la ruine probablement, et redevient chef d’Etat de la première puissance mondiale. Ce retour de Trump risque d’être pour l’Amérique écartelée entre deux visions, l’une progressiste et l’autre radicalement refermée sur elle-même, et pour le monde au regard des visées isolationnistes de l’homme, encore plus pernicieux.
En plus des Grands électeurs, il remporte aussi le vote populaire, ce qui témoigne d’une victoire nette et sans bavure aucune. Le Parti républicain prend le contrôle du Sénat et de la Chambre des représentants, permettant ainsi à Trump de disposer de tous les pouvoirs pour mettre en œuvre une politique raciste, misogyne, islamophobe et réactionnaire.
Lors du premier mandat de Trump, il y a eu des «adultes dans la pièce», c’est-à-dire des personnes dans l’Administration américaine qui ont tenté de canaliser les excès du locataire du Bureau Ovale et d’éviter le pire. Trump a appris, et cette fois il s’est préparé davantage. En 4 ans au sein de la Heritage Foundation, think tank ultraconservateur, ont été incubés des milliers d’experts et d’idéologues qui vont occuper tous les postes de l’Administration et dérouler l’agenda intitulé Project 2025 dont les mesures incarnent un retour à une Amérique fermée sur elle-même et désireuse de mettre en œuvre une politique étrangère brutale et unilatérale. Sur Gaza où se déroule un massacre inqualifiable et innommable, comme sur l’Ukraine, les postures et les discours de Trump ne rassurent guère, tellement l’homme a habitué son monde à une désinvolture dangereuse.
En 2016, j’avais été particulièrement choqué le matin de l’élection de Donald Trump. Confier les rênes d’un pays à un tel personnage, fantasque, grossier, vulgaire et manifestement impréparé m’avait échappé. Ses quatre années ponctuées notamment par une déclaration sur les Etats africains, qualifiés de «pays de merde», et par sa gestion du Covid-19, ont confirmé mes craintes du début.
Ce retour de Trump est accompagné par des acclamations des masses et des élites dans toutes les parties du monde, séduites par le populisme et l’incarnation du virilisme au pouvoir.
Nous sommes dans un moment populiste qui touche divers pays et aux structures politiques, économiques et sociales différentes. Partout, des hommes qui ne s’érigent aucune limite arrivent au pouvoir et exercent les charges de l’Etat avec une brutalité dans les propos et dans les pratiques. Ils font preuve d’une vulgarité et d’une absence de tenue qui sidèrent toute personne qui pense que la politique ne devrait pas être le lieu des outrances et des outrages. Le Sénégal n’échappe pas depuis mars 2024, à la poussée populiste, qui plonge notre pays dans une ère d’incertitudes, d’abaissement, de violence et de vulgarité.
par Ousseynou Nar Gueye
HOMOSEXUELS ? RESTONS-EN AU STATU QUO ANTE
Il est tragique que l'on vive un Sénégal contemporain où l'on déterre les morts "soupçonnés" ou "avérés" avoir été homosexuels pour les brûler. Un pays où le leadership presque unanimement ne dit pas à la populace :"Tolérez ces gens, vivez votre vie'"
Oui, restons-en au statu quo ante en ce qui concerne les homosexuel(le)s : celui d'un Sénégal d'antan ou ils étaient tolérés et seulement gentiment chahutés; admis et non bannis. Celui du Sénégal de mon enfance, il y a quarante ans. Quand j'avais douze ans. Ceci est mon point de vue personnel et non pas celui de la Coalition candidate à la députation à laquelle j'appartiens.
Mais, je suis très peiné quand j'entends tous ces leaders de coalitions pour ces législatives, à qui mieux mieux, (à qui pis pis ?) en appeler à la criminalisation du délit d'homosexualité : Ousmane Sonko "Ouvrier Spécialisé"; mon ami et frère Bougane Gueye Dani; l'homme d'affaires analphabete-francophone-par-force Serigne Mboup...N'en jetez plus, la coupe est pleine !
Il est tragique que l'on vive un Sénégal contemporain où l'on déterre les morts "soupçonnés" ou "avérés" avoir été des homosexuels durant leur vie terrestre, pour les brûler et les jeter aux chiens. Un Sénégal où le leadership presque unanimement ne dit pas à la populace :"Tolérez ces gens, vivez votre vie et laisse-les vivre'. live and let live. Ce devrait être le mot d'ordre et le consensus de la classe politique, si elle était civilisée dans son ensemble. Mais il y aura toujours des histrions pour se singulariser en appelant à pis que pendre contre les "pédés", les "deux puces", les "borom niari tur yi" les goordjiguénes.
Justement, s'il y a un mot dans nos langues pour les désigner et s'ils sont mentionnés aussi bien dans la Bible que le Coran qui les condamnent et les vouent à la Géhenne éternelle, c'est parce que les homosexuels ont existé de tout temps, y compris au Sénégal. Ce n'est pas une importation des Toubabs dans ce pays. Faisons-nous en une religion : ils ont toujours été là et sont là pour y rester.
Parlant de livres sacrés, cette tendance sénégalaise à ne stigmatiser que les homosexuels hommes et à en appeler à leur empalement en place publique , montre le caractère sauvage, essentialiste et bestial de cette homophobie : on n'a pas peur des homosexuelles femmes, des lesbienness, dont on pense que le saphisme est juste une lubie temporaire de femmes qui ne trouvent pas d'hommes, de chaussures à leur pied, de mâles "pour leur faire prendre leur pied" (excuse my French...!) et qui en seront vite guéries, de ces jeux érotiques, dès qu'elles se (re)marieront tout naturellement.
Non, l'ennemi, c'est l'homosexuel homme, celui la qui est capable de pénétrer l'orifice honni et interdit ("Soubhannallah!' et "Jésus, Marie, Joseph!" horrifiés de tout ce beau monde, qui n'a d'autres occupations que de s'occuper de la vie privée des autres).
Grande tristesse et grande désolation, oui, devant cette psyché collective tribale et tripale.
Dans mon enfance, les gordjiguénes bénéficiaient d'un "tata ' devant leur prénom masculin et en étaient fiers. Dans les cérémonies familiales, engoncés dans leurs boubou amidonné en indigo, tie and dye ou autres teintures traditionnelles et s'activaient dans la preparation des mets en cuisine, tournant dimmenses ecumoires dans les imposantes marmites (les mbanas).Ensuite, ils faisaient passer les plats dans l'assemblée des convives. Dans les yebbi, ils faisaient le jottali réciproque des présents en concurrence. Dans les Tanneber et sabars, auxquels seuls étaient admis les enfants des deux sexes en bas âge, eux aussi, les homos, étaient admis, à regarder les femmes danser des sarabandes endiablées (et diaboliques?) en montrant leurs sous-vêtements de l'entre-jambe (ou bien plus).
Oui, restons-en au statu quo ante : nul, à commencer par moi, ne demande la légalisation totale de l'homosexualité au Sénégal (meme si le Cap-Vert voisin l'a fait) ; encore moins leur droit au mariage et à l'adoption d'enfants, ou qu'il soit toléré qu'ils se roulent des french kiss et se tripotent le corps en pleine place de l'Indépendance.
Mais quand ils vivent leur orientation sexuelle dans l'intimité, la pudicité, l'opacité aux autres de leurs préférences sexuelles et le silence social, ne les trouvez pas dans leurs derniers retranchements pour les en débusquer. Ce ne sont pas des rats, diantre ! Ce sont des êtres humains, comme nous, "dignes de dignité". Pour autant, je le dis haut et fort : "Jikko Sénégalais yi, yakkuwunniu !".
Personne ne se souhaite des enfants homosexuels. Aucun père de famille. Et j'en suis un, avec quatre bouts de bois de Dieu à mon actif. Ne serait-ce que pour la raison subjective de la perpétuation de son nom de famille et la raison objective de la perpétuation de la race humaine. Toutefois, si votre enfant devait se révéler etre homosexuel : après avoir tenté de le guérir à coups de bains mystiques, de coups de fouets, de ligotements en milieu domestique ou d'internements psychiatriques, allez-vous tout simplement, à la mode des papas fouettards quand ils nous soupçonnaient de vouloir dévier dans la voyoucratie majeure, les mettre à terre comme des moutons de Tabaski et menacer de les égorger fissa, à moins qu'ils ne viennent derechef à résipiscence ? Eh bien, non! J'espère bien que non !
Vous l'aurez compris, je me réclame politiquement du centre droit : de gauche, pour ce qui est des valeurs sociétales ; et libéral, pour ce qui est des options économiques et de développement humain.
Alors vivons seulement, et laissons vivre, car ce monde est formidable, de sa diversité justement. En ces temps de Biennale où l'Art adoucit les mœurs comme la musique le fait, art qui, comme la foi religieuse, donne un sens à la vie autre que la simple existence au jour le jour, j'espère être entendu, à tout le moins d'un nombre critique de mes compatriotes, d'ici et d'ailleurs. Et par un certain nombre de dirigeant.e.s politiques.
Ousseynou Nar Gueye est éditorialiste-communicant-écrivain, homme politique.
CHANGEMENT SYSTÉMIQUE ET ÉMIGRATION
Empêcher les jeunes de voyager ne devrait pas être une priorité de développement pour le Sénégal. Il faudrait l'encourager jusqu'à ce l'on puisse créer les conditions favorables pour que les jeunes puissent vivre et travailler dans la dignité chez eux
Le changement systémique n'est pas la continuation du présent ni la prolongation du passé. Le changement systémique implique une transformation profonde des manières de penser, des attitudes et des comportements. Dans ce cadre il est du devoir des intellectuels Sénégalais et Africains de repenser la question de l'émigration. Je vous dis d'emblée que l'émigration des jeunes vers l'Europe ou l'Amérique n'est pas le problème des États africains.
Empêcher les jeunes de voyager ne devrait pas être une priorité de développement pour le Sénégal. Au contraire, il faudrait l'encourager jusqu'à ce l'on puisse créer les conditions favorables pour que les jeunes puissent vivre et travailler dans la dignité dans leur propre pays. Leur demander de rester dans un pays sans emplois décents et sans revenus est une façon de les asphyxier.
Je suis pour l'émigration des jeunes à la recherche de meilleures conditions de vie. Si nous interrogeons l'histoire, les européens et les américains sont venus dans nos pays à la recherche de nouvelles richesses qu'ils ont trouvées, exploitées et continuent de le faire. Ils étaient venus avec des armes pour s'imposer. Si les Européens et les américains veulent se barricader, c'est leur problème et pas le nôtre. Nos enfants veulent seulement circuler librement et découvrir d'autres territoires du monde. N'est-ce pas noble ? Ils veulent jouir de leur dignité et de leurs droits humains.
Nos États devraient plutôt travailler avec les États Européens et Américains pour qu'ils cessent de faire chavirer les pirogues des jeunes provenant de nos pays. Ou alors lorsque les pirogues chavirent, que les secours soient rapides et efficaces. Il semble que les marines européennes peuvent créer des vagues pour décourager la traversée avec comme conséquences dramatiques le chavirement des pirogues et les nombreuses morts. Le Frontex est une réponse policière pour empêcher les jeunes de partir. Au lieu de cela il faudrait utiliser l'argent du Frontex pour délocaliser des usines et des technologies pouvant employer les jeunes sur place avec les mêmes avantages.
Avec 12,8 milliards d'euros de budget, le Frontex passe son temps à armer nos marines pour retenir nos jeunes dans la précarité. Comme dans tous les autres domaines de coopération, les européens décaissent de l'argent pour acheter des biens que seules leurs entreprises peuvent fabriquer. Les armes et encore les armes. L'argent reste donc chez eux, nous en avons quelques miettes qui paient la solde des agents de sécurité pour violenter nos propres jeunes. Cet argent est énorme et pourrait servir à la construction d'usines et aux transferts de technologies. Les jeunes resteront s'ils trouvent leur intérêt à rester et non si on les force. C'est cela qui serait une transformation systémique.
Continuer à interdire les jeunes de voyager est un non-sens sans issue car ils continueront de partir. Les chinois encouragent leurs jeunes à émigrer en leur soutenant. Les Allemands font de même en créant des fonds pour que leurs jeunes puissent entreprendre dans les pays en voie de développement. Pour réduire la pression liée à la démographie, au chômage, beaucoup de pays européens encouragent leurs gens à partir. Pourquoi devons-nous continuer à empêcher nos jeunes de tenter leurs chances ailleurs ?
Chers jeunes désirant émigrer, partez mais ne mourrez pas dans la mer. Si vous voyagez dans des conditions quasi certaines que vous allez mourir avant d'arriver à votre destination, alors vous aurez raté votre trajectoire de vie et votre ambition. Préparez-vous mieux sérieusement et ne partez pas à l'emporte-pièce. Aux piroguiers et capitaines, assurez-vous que vos embarcations sont solides et capables d'arriver à destination. Vous devez aussi être plus responsables et plus méticuleux dans la préparation des voyages.
Vous transportez des êtres humains qui représentent l'espoir de toute une communauté. Vous-mêmes, capitaines, vous avez un savoir-faire acquis sur de nombreuses années de durs labeurs. Préservez votre savoir-faire et vos vies. Encore une fois l'émigration n'est pas notre problème. C'est le problème de ceux qui veulent s'enfermer. Pourquoi devons-nous continuer à penser exactement comme le veulent les Européens et les Américains ?
Nous devons faire notre propre analyse des situations présentes et à venir, conceptualiser nos propres approches, les défendre et les mettre en œuvre sans complexe. L'émigration vers des territoires plus développés est bien pour nos jeunes et pour notre économie. Les montants annuels des transferts d'argents de nos expatriés sont supérieurs aux montants de l'aide au développement. Si toutes les frontières du monde étaient ouvertes comme Dieu l'a dessiné et voulu, les êtres humains seraient plus heureux, plus libres et plus épanouis. Eh oui Dieu a créé le monde ouvert sans barrières ni frontières.
Petit Gueye est auteur, consultant et coach de leadership transformationnel, ancien maire de Sokone.
PAR Boubacar Boris Diop
DE POUSSIÈRE ET D'ÉTERNITÉ : POUR OUZIN ET CHACUN
EXCLUSIF SENEPLUS - Nés à quelques maisons d'écart, Babacar Mbow et Ousseynou Bèye ont partagé bien plus qu'une enfance. De leur bibliothèque de quartier aux luttes politiques, ils ont tracé un profond sillon dans la conscience nationale
Ceux qui ont connu séparément ces deux êtres d'exception pourraient s'étonner de les voir associés dans un seul et même hommage. Rien n'est pourtant plus naturel car "Chacun" et "Ouzin", nés à quelques maisons l'un de l'autre, ont été façonnés dans le même moule. Et ce moule, c'est tout simplement notre enfance médinoise placée sous le signe d'une saine insolence et d'une curiosité intellectuelle précoce. Il est dès lors aisé de comprendre pourquoi je conçois avant tout cet exercice - dont l'impérieuse nécessité n'a jamais fait l'ombre d'un doute dans mon esprit - comme un amical devoir de mémoire.
C'est avec émotion que l'espace culturel "Kër Maam Sàmba" de Ngor a accueilli le 18 octobre 2024 une cérémonie du souvenir dédiée à Serigne Babacar Mbow. Le choix a été ainsi fait de marquer non pas l'anniversaire de sa disparition mais plutôt celui de sa naissance et l'événement a été un hymne à une vie où l'action a constamment été, pour parler comme le poète, "la sœur du rêve". Pape Samba Kane avait du reste donné le ton en rappelant dans un bel article les années libertaires de "Chacun", celles où, cheminant avec nonchalance parmi les gars de la marge, il s'était soudain mis à prendre plus au sérieux la solidarité avec les déclassés que la lutte des classes qui l'avait pourtant hanté pendant les décennies précédentes. En cette fin de journée à "Kër Maam Sàmba" il a certes été question du bâtisseur de Mbàkke-Kajoor mais aussi, bien évidemment, de celui que j'appelle "Ponkalum Ndeem-Maysa" dans Doomi Golo, autrement dit le géant de Ndem-Meissa, également glorifié par Seydina Insa Wade qui lui fut très proche. Et comme bien souvent, la phrase si inspirée de Mao Wane a été reprise en écho : "Nous avons tous fait un seul et même rêve et "Chacun" a réalisé ce rêve."
Le très turbulent camarade Mao ne croyait pas si bien dire et je m'en vais expliquer ce que j'entends par là.
Autour de leur seizième année, des gamins de la rue 5 X Blaise Diagne et environs sont tombés amoureux d'un coin de terre dans un village de la Petite-Côte dénommé Samgedj - orthographe hélas non garantie - au point de vouloir faire de ces quelques hectares en friche une somptueuse latifundia. Pendant des nuits et des journées entières notre imagination quelque peu déréglée a fait s'élancer vers les cieux des milliers de plants d'orangers, de manguiers et même d'arbres fruitiers exotiques et nous avons discuté tout feu tout flamme de la meilleure manière de prendre soin de notre chimérique bétail et de rentabiliser la volaille qui ne l'était pas moins. C'était complètement fou car autant que je me souvienne nous ne nous sommes rendus sur place que deux fois. Qui étaient donc ces adolescents pas vraiment tranquilles ? Ouzin et son jumeau Assane alias "Grand Laze" étaient de l'aventure, de même que "Ben" Diogaye Bèye ou le regretté Makhtar Mbaye-Doyen ; votre humble serviteur était lui aussi dans le coup tout comme, bien entendu, "Chacun" ainsi que le plus sauvage anarchiste jamais enfanté par la Medinaa, feu Assane Preira Bèye qui avait d'ailleurs trouvé un nom assez conquérant pour notre juvénile utopie : "Ëllëg Samgedj !". Dans cette affaire, c'est Preira qui avait été à la manœuvre du début à la fin tandis que, chose intéressante, le futur Maître de Ndem restait plutôt en retrait. On peut même se demander si Babacar Mbow y a seulement repensé au moment où Sokhna Aïssa et lui faisaient d'un somnolent village du Bawol un formidable lieu de vie et d'initiatives sociales aussi originales les unes que les autres. C'est que le bien curieux épisode de Samgedj est probablement sorti de toutes les mémoires et il ne m'est revenu à l'esprit que ces jours-ci, lorsque ces adieux à deux amis très chers m'ont obligé à me replonger dans mes plus lointains souvenirs. Mais, même évanescent, ce moment reste capital en ce qu'il permet de mieux comprendre les fantastiques réalisations ultérieures du disciple de Cheikh Ibra Fall de même que le parcours militant exemplaire d'Ouzin.
Et nous n'en étions pas à une extravagance près : à une époque où la mode était aux "Assoc's" et où l'on ne pouvait presque draguer aucune fille si on ne se faisait pas appeler Bebel, Johnny ou Elvis, nous avons créé, bien avant les actuelles ASC, le "Culture et Loisirs Club". Les deux principaux animateurs du CLC étaient déjà "Chacun" et Ouzin. On aura peut-être du mal à le croire mais ce club d'enfants éditait un journal culturel - ronéoté, cela va de soi - qui affichait sur la couverture de chaque numéro la même phrase de David Diop, qui sonnait déjà comme le cri de ralliement de prétentieux artistes en herbe : "La littérature est l'expression d'une réalité en mouvement, elle part de la réalité, la capte, saisit ce qui n’est que bourgeon et l'aide à mûrir." On devinera sans peine pourquoi ce magazine s'appelait "Le bourgeon"... Peut-être s'en trouve-t-il encore deux ou trois exemplaires dans les archives de l'IFAN où, sérieux comme ce n'était pas permis, nous allions parfois le déposer.
Le CLC avait également monté une bibliothèque au domicile des Bèye et les samedis après-midi nous y organisions dans la cour des séances de lecture collective à haute voix. Nous choisissions de préférence de courts récits comme L'étranger de Camus ou Sous l'orage de Seydou Badian Kouyaté afin de nous réserver le temps d'en discuter un peu avant de clore la session. Je me souviens que La métamorphose de Kafka nous avait vivement impressionnés et que Tchen, le héros de La condition humaine fascinait tout particulièrement Ouzin. Je ne serai nullement surpris de l'entendre des années plus tard reprendre au détour d'une discussion philosophique la phrase que Malraux met dans la bouche de son jeune révolutionnaire tourmenté et impatient que l'on a d'ailleurs dit inspiré par Chou-En-Laï : "Heureusement, on peut agir..." Sacré camarade Ouzin ! Je peux témoigner que jusqu'aux dernières heures de ta vie, le 21 juillet 2024, tu ne t'es jamais réveillé un seul matin sans te demander ce que tu pourrais bien faire ce jour-là pour aider les personnes de ton entourage ou rendre meilleure la société sénégalaise.
Notre bibliothèque était cependant bien pauvre comparée à celle de la "Maison des Jeunes et de la Culture" - sise alors à l'actuel emplacement de la mosquée omarienne. Nous y avions pratiquement élu domicile. Ravis de notre assiduité, Médoune Diop, son directeur, membre actif de l'UPS que nous traitions de réactionnaire sans savoir exactement ce que cela voulait dire, nous avait autorisés à y monter un ciné-club. Si j'ai bonne mémoire, Et la neige n'était plus d'Ababacar Samb Makharam et Hiroshima, mon amour d'Alain Resnais furent les deux films les plus fréquemment mis en discussion lors de ces soirées ouvertes au public. C'est là que nous avons vu le maladroit Sarzan de Momar Thiam - d'après le conte éponyme de Birago Diop - et À bout de souffle de Godard. C'était quelque chose, sa séquence finale, cette fuite éperdue, apparemment vers nulle part, de Belmondo... Tant de romans et de films, objets de nos vives querelles, ont en grande partie contribué à faire de Ben Diogaye Bèye un cinéaste, de Serigne Babacar Mbow un essayiste et de moi-même un romancier.
C'était la grande époque du PAI clandestin et le fait que des gamins d'un quartier populaire aussi emblématique que la Medina aient un tel penchant pour les débats d'idées ne pouvait pas échapper à l'attention de ses chasseurs de têtes. C'était d'autant plus évident que Magatte Thiam, une des éminentes figures de ce parti marxiste-léniniste, était apparenté à la famille Bèye tout comme d'ailleurs un autre de ses camarades, le futur avocat Charles Guissé. Ils venaient nous initier patiemment aux splendeurs du matérialisme dialectique et dans la foulée un cercle de discussion plus politique et social que littéraire fut mis en place. En plus des visites régulières de Magatte Thiam et Charles Guissé, nous y reçûmes plusieurs fois un aîné comme Amady Ali Dieng et en une occasion au moins un certain Abdoulaye Wade. Aucun de nous n'a jamais milité au PAI mais c'est bien cette formation politique qui a envoyé notre ami Assane Preira, jeune scientifique surdoué, faire ses études d'ingénieur dans la petite ville de Lauchhammer en Allemagne communiste. Il lui avait fallu transiter par le Mali de Modibo Keita et je me souviens comme si c'était hier de nos adieux sur le quai de la gare de Dakar, une scène que j'ai du reste fidèlement rapportée dans Le Temps de Tamango.
Il est normal avec un tel départ dans la vie de se retrouver très vite pris dans le tourbillon de la politique et s'il est un moment de notre jeunesse où les destinées de "Chacun" et Ouzin se sont confondues au point de n'en faire qu'une, c'est bien celui-là. Tous deux ne croyaient qu'en l'action directe et n'ont jamais hésité à pousser ce désir de résultat concret et immédiat jusqu'à ses conséquences extrêmes. Le temps viendra où les énormes risques pris par Babacar Mbow pourront être racontés et - il est bon de le savoir - le frêle Ouzin a tenu tête des jours durant à des tortionnaires bien décidés à le faire passer à table. Ce qui différenciait ces deux-là, c'est que "Chacun" y allait toujours avec le cœur et une secrète conviction de la vanité de l'existence humaine alors que le "camarade Ouzin" était un pur cérébral, raisonneur en diable. Peu bavard mais trop humain pour être hautain, n'élevant jamais la voix, il n'en était pas moins animé en toutes circonstances par une viscérale envie de convaincre. Sa façon d'analyser avec une froide rigueur les phénomènes sociaux et les événements politiques, d'anticiper les probables contre-arguments de son interlocuteur pour les anéantir l'un après l'autre, forçait l'écoute de tous et sa capacité à emporter l'adhésion des uns et des autres en faisait rapidement un leader naturel dans les nombreux groupes dont il était toujours l'un des membres les plus déterminés. Lui et moi n'avons pas toujours été d'accord sur tout - loin s'en fallait - mais jusqu'à la fin j'ai accepté sans le moindre problème son autorité intellectuelle. Bien des fois il m'a dissuadé d'exprimer publiquement mes vues pas vraiment consensuelles sur tel ou tel sujet et a posteriori ses conseils, que j'ai toujours suivis sans rechigner, se sont avérés salvateurs. Merci, Maître, d'avoir si souvent su me retenir au moment où j'allais lâcher de grosses conneries. De n'être plus en mesure de me bagarrer avec toi sur telle ou telle question nationale m'amène parfois à douter, le temps d'un éclair, de la réalité de ta disparition. Cela cause une petite souffrance, fugace mais vive, qui donne presque envie de sourire de la bonne blague que pourrait bien être, à la fin des fins, notre présence sur cette terre.
Au milieu des années soixante, chaque fois qu'il y avait des troubles à l'université de Dakar, des réunions supposées clandestines se tenaient dans la vaste concession des Bèye dont une entrée donnait sur la rue 3 et l'autre sur la rue 5. J'ai le très net souvenir d'Abdoulaye Bathily, leader estudiantin en vue de l'époque, venant présider l'une d'elles. Les relations entre Ouzin et Bathily se sont prolongées bien au-delà de cette période, dans le feu des luttes syndicales, et l'ancien Secrétaire général de la LD a été l'un des premiers à m'appeler le matin même de la disparition d'Ouzin. Notre ami commun René Lake venait de l'informer de mes liens particuliers avec le défunt et il avait réussi par mon entremise à présenter directement ses condoléances à la famille, ce à quoi il tenait tout particulièrement. Les textes d'adieu de Bathily et Mansour Aw, écrits pour toute une génération, ont su dire avec force l'abnégation d'un citoyen à l'engagement sincère que chaque frère d'armes pouvait si aisément prendre pour un confident ou même pour un quasi frère de sang.
Quant à Serigne Babacar Mbow, il faut remonter aux toutes premières années de sa vie pour avoir une idée claire de son singulier destin. Je crois bien que c'est un de nos "grands" de la Médina du nom de Lamine Gaye qui, le voyant passer avec une jeune fille, lui a lancé sur un ton moqueur : "Ah ! C'est chacun avec sa chacune !" Cette innocente taquinerie allait être l'acte de naissance d'un surnom de légende. Ceux qui s'émerveillent aujourd'hui de son exceptionnel parcours doivent savoir que dès sa plus tendre enfance tout a réussi à "Chacun". En voilà un qui était vraiment né sous une bonne étoile ! Son père, l'austère et grave Omar Ndoya Mbow, était un entrepreneur prospère - je crois me rappeler qu'il avait construit entre autres le cinéma Al Akbar - et puisque nos parents à nous peinaient à joindre les deux bouts, nous n'étions pas loin de le considérer comme l'homme le plus riche du monde. Il y avait de quoi : alors que nous devions nous contenter de nos anangoo délavés et de nos culottes courtes, "Chacun" se pavanait déjà en costard et cravate dans les rues du quartier. En ce temps-là on croisait d'illustres basketteurs, footballeurs ou athlètes à chaque coin de la Medinaa - Ouzin et Grand Laze ont du reste été des internationaux de volley-ball et notre ami Djiby Diop passe aujourd'hui encore pour le plus grand handballeur sénégalais, voire africain, de tous les temps. Si je rappelle cette réputation de vivier de sportifs de la Medinaa, c'est pour montrer qu'il suffisait à "Chacun", ailier au pied gauche magique, de le vouloir pour devenir une des légendes du football sénégalais. Lamine Diack l'avait bien compris, qui s'arrangeait pour l'emmener lui-même tous les jours à l'entraînement du Foyer France Sénégal, revenant avec lui à "Niangène" après chaque séance. Mais Babacar Mbow, qui n'était pas du genre à laisser qui que ce soit décider de son itinéraire de vie, a très vite dévié de la voie ainsi tracée pour lui. Faire une carrière de footballeur ne l'intéressait juste pas et par la suite il a complètement cessé d'y penser. En voici une preuve parmi d'autres : alors que la passion du foot accompagne la plupart des fils de la Medinaa pendant toute leur existence, lui le plus doué d'entre tous ne savait sans doute plus distinguer à la fin de sa vie entre le grand Barça et l'Olympique de Ngor. Ce n'était cependant pas par arrogance car il ne se serait jamais permis de mépriser les choix des autres. Il était tout simplement passé à une autre dimension du réel, non pas supérieure - il n'y a aucune hiérarchie en matière de passions humaines - mais radicalement différente. Au plan politique aussi, Serigne Babacar avait complètement cessé d'être de notre bas monde. Ce n'est pas lui qu'on aurait pu intéresser aux querelles politiciennes qui nous excitent bien plus que nous ne voulons l'admettre. Je m'en suis bien rendu compte à l'occasion d'un séjour à Mbàkke-Kajoor en compagnie de Ndiack Seck, Pape Samba Kane et Ouzin. Au cours d'un petit aparté, il m'avait annoncé la visite d'une personnalité politique vouée aux gémonies - à tort ou à raison - par la rumeur publique. J'ai essayé de l'inviter à la prudence mais c'était peine perdue car il n'avait jamais entendu parler de ce monsieur dont le nom avait pourtant été sur toutes les lèvres au cours des mois précédents !
Dans notre génération, les choix partisans définitifs ont été souvent précédés ou accompagnés par la mise en place de clubs culturels très politisés, "Lat-Dior" chez Ouzin à la Medinaa, "Africa" chez Ousmane William Mbaye à Jëppël et "Frantz Fanon", sans aucun doute le plus important et le mieux organisé, à notre maison familiale des HLM1. Babacar Mbow résidait toujours à la Medinaa et était donc théoriquement membre de "Lat-Dior". Mais il refusait déjà de se laisser brider et circulait librement d'un club à l'autre. Il était accueilli partout à bras ouverts et se comportait non pas comme le copain de tout le monde mais bien comme le meilleur copain de chacun, soit dit sans jeu de mots. Il faut savoir que le "Chacun" de ce temps-là respirait la joie de vivre avec ses moqueries, sa tendance à foutre le bordel et ses formidables éclats de rire. Il n'en était pas moins fasciné par des forces secrètes soupçonnées d'on ne sait quelles sombres manigances pour infléchir nos choix de vie. Quand donc avait-il pris la décision de ne jamais se laisser impressionner par personne ? Cette force de caractère se traduisait par un goût prononcé pour les défis plus ou moins absurdes. C'est ainsi qu'au cours de "vacances révolutionnaires" dans un village du Saalum, voyant un charmeur de serpents à l'œuvre, il fendit la foule et sous le regard ahuri du magicien, s'empara du reptile et se mit à l'enrouler autour de son cou. La légende s'en est un peu mêlée puisqu'on a affirmé par la suite que le charmeur de serpents est mystérieusement décédé au cours de la même nuit ! Ce qu'il faut surtout retenir de cette histoire, c'est la force mentale de "Chacun" qui lui a permis, dans les moments cruciaux de son existence, d'imposer sa volonté aux êtres et aux événements. En tant qu'écrivain, je peux bien avouer aujourd'hui que je n'ai pas eu à aller chercher bien loin les personnages les plus désaxés - au sens le plus strict, et pas forcément péjoratif, du terme - de mes romans. J'avais pour ainsi dire "Chacun" à portée de plume. Ou Assane Preira. Ou "Ben". Et la Léna de mon premier livre de fiction s'inspire d'une militante à la beauté quasi surréelle avec son éternelle coiffure afro, une pasionara en quelque sorte, dont nous étions tous follement amoureux. Eh bien, "Chacun" en était plus follement amoureux que nous tous au point de la surnommer dans ses moments de rêverie poétique "La femme sans chair".
Un autre souvenir de ces années tout à fait spéciales.
En 72 ou 73, "Chacun" est venu passer près d'un mois à la maison que Souleymane Ndiaye "Jules" et moi-même avions louée sur la rue de France à Saint-Louis. La police était sur ses traces à l'époque et il devait poursuivre sa route vers la Mauritanie où il comptait se faire oublier. Tout s'est bien passé et à vrai dire Jules et moi n'étions de dangereux agitateurs qu'entre les murs de nos salles de classe du lycée Charles de Gaulle. L'histoire aurait toutefois pu se terminer par un désastre puisque, via un cousin inspecteur au commissariat de la Pointe-Nord que nous hébergions, notre domicile était très fréquenté par des policiers et l'un d'eux, devenu un copain, ne nous quittait presque jamais, campant littéralement chez nous de l'aube à minuit. Eh bien, j'apprendrai quelque trente ans plus tard, en lisant un article de Mamadou Oumar Ndiaye, que le bonhomme était accusé d'avoir battu à mort Omar Blondin Diop à la prison de Gorée et que les potentiels commanditaires de son crime l'avaient affecté à Saint Louis pour qu'il s'y fasse oublier ! Cela faisait éprouver un sentiment étrange de se rappeler après plusieurs décennies à quel point "Chacun" - qui de toute façon ne nourrissait jamais de préjugés envers un être humain - appréciait ce policier. Je tiens à ajouter pour être juste que ce dernier, décédé lui aussi il y a quelque temps, a toujours nié les accusations formulées contre lui.
Si Babacar Mbow a su enfanter des mondes, c'est parce qu'il était fondamentalement un poète. Parmi les vers qu'il aimait marteler avec une force inouïe, pour son propre plaisir ou celui de son entourage, ceux-ci sont restés gravés dans ma mémoire : "Affaires en foule/Remue-ménage et phénomènes/Le jour s'en va peu à peu déclinant/J'aime la patrie de Lénine au bord de la Volga/J'aime la patrie de Lénine militante et combattante." Que pouvait bien signifier ce bout de texte si délicieusement rythmé ? Selon "Chacun", il provenait d'un poème de Maïakovski mais je ne le croyais qu'à moitié. Il y avait sûrement un peu de lui là-dedans. Quoi qu'il en soit, j'ai toujours trouvé une si mystérieuse beauté à ces vers que j'ai profité du premier prétexte narratif pour les glisser tels quels dans Le Cavalier et son ombre.
Tout cela montre pourquoi l'idée d'un colloque sur Serigne Babacar Mbow, soulevée à "Kër Maam Sàmba", fait si pleinement sens. Il avait réussi sans se forcer à faire de sa vie réelle une œuvre d'art tout en transformant ses cogitations parfois délirantes en œuvres concrètes, d'une remarquable utilité publique.
Il paraît que quand Ouzin nous a quittés, Djiby Diop - l'ex-champion de handball mentionné plus haut - a interpellé les compagnons d'enfance présents : "Qui d'entre nous a jamais entendu Ousseynou Bèye sortir une insulte de sa bouche ?" (Kan ci nun moo mas a dégg Uséynu Béey mu saaga ?) C'était une question à la fois simple et extrêmement brillante, du genre de celles qui vous imposent un temps d'arrêt pour faire défiler dans votre esprit les scènes de la vie d'un être humain et dans ce cas précis finir par admettre que eh bien, aussi incroyable que cela puisse paraître, personne n'a jamais vu Ouzin s'emporter ou encore moins se laisser aller à proférer des obscénités. Cela s'appelle avoir de la classe. J'ajouterai simplement que c'était tout aussi inconcevable pour "Chacun" et ce, longtemps avant qu'il ne devienne Serigne Babacar Mbow. Bien que fermement attaché à ses certitudes, il jugeait indigne de lui de se montrer agressif et on pouvait même parler à son propos d'une certaine douceur. S'il a très tôt considéré Assane Preira Bèye comme son frère jumeau - par l'âge et par un goût partagé pour les dérapages métaphysiques - "Chacun" avait le plus grand respect pour la puissance intellectuelle et la force de conviction d'Ouzin.
Quelques semaines après la disparition de Serigne Babacar, Codou, Ndiack et moi-même avons rendu visite à Ouzin et Penda à Kër-Masaar. Ils nous ont alors appris que "Chacun" et Sokhna Aïssa étaient venus y passer une journée avec eux. À l'évocation de ce qui avait été de toute évidence une pudique cérémonie des adieux, le regard d'Ouzin a brillé d'un singulier éclat - je ne l'oublierai jamais - et nous avons tous reparlé ce dimanche-là de "Harlem", de Ndeem-Maysa et de Mbàkke-Kajoor, c'est-à-dire de l'essentiel. De ce qui, en triomphant du temps et de la mort, donne paradoxalement à toute vie humaine du sens et un parfum d'éternité.
Par Assane SECK (Seckane)
TRANSFORMER LES RISQUES DE SUBMERSION MARINE, D’EROSION COTIERE ET DE DEBORDEMENTS DE FLEUVES OU DE LACS EN OPPORTUNITES MAJEURES ET PAR DIFFERENTS NIVEAUX
La transformation en opportunités va au-delà de la lutte contre des menaces. Ceci, grâce au renforcement de la concentration ou centralisation, de la déconcentration et de la décentralisation.
1. Contexte Le risque peut être considéré comme étant le danger face à l’exposition.
La submersion marine (inondation temporaire des zones côtières) et l’érosion côtière (recul du trait de côte) sont des menaces majeures d’une ampleur mondiale et d’une gravité à la fois aiguë et chronique parce que pouvant détruire dans le court au long terme des maisons, écoles, routes, rails, usines, hôtels, lieux de culte, cimetières… Les débordements de fleuves (fleuves qui quittent leur lit naturel) ou de lacs, eux, causent, entre autres, des inondations, des destructions de maisons, des pertes de cultures agricoles et de bétail, des décès. Les changements climatiques à causes anthropiques font partie des causes de ces problèmes. Mais à problèmes anthropiques d’une rare ampleur et gravité, solutions anthropiques appropriées majeures. Pour lutter contre la submersion marine et l’érosion côtière, Castelle (2024) donne quatre (4) solutions consistant à mettre en place des ouvrages de défense : lutte active avec des digues de protection et autres ; des mesures souples qui accompagnent les processus naturels : gestion des dunes, rechargement de plages… ; des solutions fondées sur la nature : restauration des écosystèmes littoraux ; des replis stratégiques : relogement des populations pour qu’elles ne soient plus exposées à la submersion marine et à l’érosion côtière. Nous pensons que ces solutions sont applicables aux débordements de fleuves ou de lacs.
En plus de ces solutions, nous proposons de transformer les risques de submersion marine, d’érosion côtière et de débordements de fleuves ou de lacs en opportunités majeures et par différents niveaux. Pour ce faire il faut, entre autres, créer des structures gouvernementales dédiées et renforcer les collectivités territoriales. Ceci, parce qu’il faut, entre autres, du personnel aux niveaux central et déconcentré (les agents ou soldats des côtes et des rives par exemple) pour travailler en synergie avec les populations, les autorités locales ; il faut aussi rechercher davantage de financements qui impliqueront les populations dans les activités ; last but not least, il faut aussi renforcer la décentralisation territoriale car les collectivités territoriales sont aussi des acteurs-clés de la lutte contre la submersion marine, l’érosion côtière et les débordements de fleuves ou de lacs. Donc une lutte par différents niveaux.
2. Lutte par différents niveaux
2.1. Niveau central
A défaut d’un ministère dédié, avoir une direction générale des côtes et des rives par exemple, composée de directions et chargées de transformer en opportunités les risques de submersion marine, d’érosion côtière et de débordements de fleuves ou de lacs vu leurs enjeux ou problématiques aigus et chroniques. Cette structure centralisera des données afférentes comme les localités touchées ou exposées, recherchera des partenaires avec qui mener le travail dont des paysagistes et des aménagistes, recherchera des financements, accompagnera les collectivités territoriales concernées. Au niveau national, un centre de formation pourrait former, renforcer les capacités dans la lutte contre la submersion marine, l’érosion côtière et les débordements de fleuves ou de lacs, développer le capital humain dans ce domaine.
2.2. Niveau déconcentré
Avoir des structures, des agents au niveau déconcentré chargés de transformer en opportunités les risques de submersion marine, d’érosion côtière et de débordements de fleuves ou de lacs en faisant un travail de proximité avec les populations, les autorités locales et autres structures déconcentrées. Ces agents ou soldats des côtes et des rives mettront en œuvre les solutions de terrain en rapport avec les acteurs concernés, rechercheront des financements aussi. Ces agents essaieront, entre autres, de reprendre à la mer, par exemple, les portions de plage pouvant être reprises, ils maîtriseront continuellement des longueurs et largueurs des plages et des rives touchées, ils œuvreront pour l’hygiène et la salubrité publique des plages et des rives en rapport avec les populations et les structures concernées.
2.3. Niveau décentralisé
Au niveau des collectivités territoriales, des municipalités comme des conseils départementaux luttent activement contre la submersion marine et l’érosion côtière. Au Sénégal par exemple, la localité de Djifer fait partie du département de Fatick. Dans ce département, «le Conseil départemental a un projet de réalisation de 40 digues anti-sel pour lutter contre l’avancée de la mer…» (Aps, 2024, 6 sept). Le Conseil départemental de Keur Massar est en train de consolider les dunes de ses côtes avec des plantations d’arbres sur des kilomètres, en rapport avec les Eaux et forêts. Ces bonnes et belles actions sont à accompagner par qui de droit, doivent faire tache d’huile. Toujours au Sénégal, pour la commune de Bargny et la ville de Rufisque par exemple, toutes les deux sont exposées et luttent contre la submersion marine et l’érosion côtière avec les moyens disponibles. Pour renforcer les collectivités territoriales, nous proposons que les communes de Bargny, Diamniadio, Minam, Sendou, Sébikhotane, Yenn… soient regroupées dans un nouveau département qui sera le sixième département de la région de Dakar. Ce nouveau département pourra lutter aussi contre la submersion marine et l’érosion côtière. En effet, vu les infrastructures que les communes de Bargny et Diamniadio accueillent ou accueilleront, ces communes, dans un nouveau département, pourront devenir des villes avec des communes d’arrondissement. Ces nouvelles collectivités territoriales démultipliées seront des forces majeures dans la transformation en opportunités majeures des risques de submersion marine, d’érosion côtière et de débordements de fleuves ou de lacs. Même si les côtes de la ville de Rufisque sont protégées par de gros galets (grosses pierres), les mesures de défense sont toujours à renforcer (il n’y a pas de risque zéro) et des brise-lames (par exemple) par endroits pour cette belle côte ne sont pas à exclure. Tout ceci nécessitera des recherches de financement du côté des collectivités territoriales (municipalités de communes et de villes, conseils départementaux). Ces communes, villes et départements seuls ou en intercommunalité, en inter-ville ou en interdépartementalité transformeront en opportunités majeures les risques de submersion marine, d’érosion côtière et de débordements de fleuves ou de lacs. Lou kéna mane, niar loumou néw néw nio koko dakh.
Aussi par différents niveaux, la transformation en opportunités majeures des risques de submersion marine, d’érosion côtière et de débordements de fleuves ou de lacs créera aussi des emplois, des revenus pour les populations. La transformation en opportunités va au-delà de la lutte contre des menaces. Ceci, grâce au renforcement de la concentration ou centralisation, de la déconcentration et de la décentralisation.
Mame Boye Diao, Doura Baldé et 6 autres maires du département de Kolda, ou les 14 du département de Mbacké, dont Gallo Ba, ancien ministre de la Fonction publique, Papa Banda Dièye de Tambacounda, Malick Sall, …, telle est la liste non exhaustive
Mame Boye Diao, Doura Baldé et 6 autres maires du département de Kolda, ou les 14 du département de Mbacké, dont Gallo Ba, ancien ministre de la Fonction publique, Papa Banda Dièye de Tambacounda, Malick Sall, ancien ministre de la Justice…, telle est la liste non exhaustive de transfuges de l’ancien parti au pouvoir pour les nouvelles prairies vertes de Pastef. Adji Mbergane Kanouté est, pour l’instant, la dernière d’une longue liste de responsables du pouvoir défait en mars 2024 qui ont décidé de soutenir la liste de Pastef aux Législatives. Vu les positions antérieures qu’elle tenait, notamment quand le Premier ministre refusait de faire sa Déclaration de politique générale, et surtout le respect et la considération qu’elle avait gagnés aux yeux de l’opinion, sa transhumance en a surpris plus d’un et les arguments avancés sont plus légers qu’un duvet de canard. Dire que le Doyen Alla Kane «mérite un soutien sans réserve pour représenter le Peuple qu’il n’a jamais cessé de défendre», c’est quand même prendre les enfants du Bon Dieu pour des canards sauvages.
Mais au fond, Pastef est resté constant dans sa démarche abjecte consistant à conquérir le pouvoir par tous les moyens, y compris des moyens immoraux. Et ce, malgré les déclarations par-ci et par-là de rejet du nomadisme politique. «S’il faille s’allier avec ceux pour qui nous sommes entrés en politique, mieux vaut abandonner la politique et aller faire autre chose.» Cette déclaration du leader de Pastef à la veille des Législatives en 2017 sera pourtant suivie d’une alliance avec Khalifa Sall et Karim Wade, après avoir chanté les louanges de Wade-Père, à qui la guillotine avait été promise pour avoir mal géré ce pays, comme tous les anciens présidents de la République entre 2019 et 2024. Et l’on tentera de tout justifier par le «contexte».
Les discours de circonstance est le propre de Pastef. «Je rappelle la position historique de notre parti. Pastef reste ouvert à collaborer avec tous les Sénégalais convaincus par le projet et soucieux de son succès. En revanche, il reste fermé à toute personne impliquée dans une gestion scandaleuse d’une responsabilité publique ou ayant fait montre d’un zèle excessif dans l’inimitié contre le parti, ses leaders ou ses membres.» Puis le discours devient plus conciliant : «Que ceux qui veulent nous rejoindre restent dans leur base.» Mais au fond, qui a décidé qu’un tel a les mains propres ou les mains sales ?
La peur de perdre les Législatives…
Face au rejet systématique du phénomène, Pastef veut nous vendre qu’un «cercle est un carré» en faisant de la sémantique. Aujourd’hui, dans le camp présidentiel, les transhumants sont appelés «alliés», «soutiens». Fadilou Keïta est même monté au créneau pour préciser que «Pastef n’a pas accueilli de nouvelles adhésions. Pastef n’a enregistré aucune transhumance. En revanche, le mouvement a reçu plusieurs soutiens, notamment de la part d’élus et d’acteurs politiques issus du Pds, de l’Apr et d’autres partis». C’est vrai. Entre péripatéticienne, prostituée, racoleuse, on ne parle pas de la même chose. Pastef se voulait chantre de la restauration de la morale et de l’éthique en politique, et de ne jamais accepter la transhumance. Mais aujourd’hui, Sonko et ses partisans ont hissé la transhumance à une échelle qui pourrait tuer pour longtemps la morale, l’honneur et la dignité des hommes politiques. Pastef est en effet devenu le Mbeubeuss (décharge d’ordures) de l’espace politique au point de travestir la dynamique de JubJubal-Jubanti prônée par le Président Bassirou Diomaye Faye en se lançant dans une course effrénée à l’adoption et à la domestication de fauves et reptiles qui ont parcouru et dragué tous les partis aux alentours. On est en droit de se demander pour qui se prennent ces acteurs politiques qui se livrent poings et pieds liés à l’ennemi à abattre il y a seulement quelques mois ? On doit aussi se demander pour qui ces mêmes acteurs prennent leurs militants, compagnons et électeurs ? Ou la peur de perdre les Législatives pour Pastef vaut-elle toutes ces contorsions pour ravaler son vomi en ouvrant le bal de la racaille ?
Au fond, Pastef a beau chercher à se démarquer, mais la réalité est simple et déconcertante à la fois : même pipe, même tabac. En effet, la politique au Sénégal, ce n’est pas une affaire d’idéologies ou de conviction. Le projet de société, le programme économique, n’en parlons même pas ! C’est toujours une affaire d’hommes ! Il y a juste deux partis au Sénégal: le Parti au pouvoir (Pap) et le Parti des opposés (Pdo). Le Pap, c’est aujourd’hui Pastef et ses alliés qui attendent leurs «pastilles». Ceux qui partent les rejoindre attendent leur «part du gâteau» au nez et à la barbe des «défenseurs historiques du Projet». Et, en face du Pap, il y a le Pdo dispersé, désorganisé, qui se cherche et qui se cherche un leader ou un guide. Macky Sall aurait pu être ce bon guide, mais il a préféré faire une campagne électorale WhatsApp. C’est-à-dire faire du télétravail. Et bizarrement, cela semble satisfaire ses partisans.
Au Sénégal personne ne veut changer le système
Finalement, ce n’est pas une affaire d’hommes, c’est une affaire de système. Effectivement, ce sont les hommes qui font le système, mais au Sénégal personne ne veut changer le système. C’est du «ôte-toi de là que je m’y mette» seulement. Ceux qui combattent le pouvoir, pour l’écrasante majorité, ils ne cherchent qu’à s’emparer du système pour perpétuer ce qu’ils avaient dénoncé hier. N’at-on pas dénoncé les chargés de mission des institutions hier pour voir aujourd’hui Pastef en nommer presque une cinquantaine d’un seul coup ?
Et tant que le système ne change pas, les acteurs politiques seront toujours attirés par les lambris dorés du pouvoir, perçu comme un moyen de se servir plutôt que servir la collectivité, l’intérêt général. Les hommes au pouvoir seront toujours tentés de conserver ce pouvoir, quitte à faire les choses les plus abominables. Ansoumana Dionne, président de l’Assam, a bien raison de pointer la transhumance comme «une autre forme de maladie mentale». «En politique, si la fidélité ou le respect de la parole donnée sont totalement bafoués par les personnes qui sont censées diriger notre pays, il y a de quoi s’inquiéter concernant la stabilité, la cohésion sociale dans la Nation.» Et d’ajouter : «Et, ce sont nos acteurs politiques qui, malheureusement, sont à l’origine de la promotion du mensonge et d’autres contre-valeurs qui, sans nul doute, risquent de plonger notre pays dans une catastrophe économique. Il faut d’abord être un hypocrite, au vrai sens du terme, pour accepter de vendre son propre honneur pour des privilèges (…). Notre société d’aujourd’hui, fondée sur la promotion de la médiocrité, l’injustice, la méchanceté, entre autres, est à revoir en profondeur.»
La politique est noble, mais les politiciens sénégalais sont ignobles. Et il ne faut pas désespérer de vivre dans une République où les valeurs sont au centre de la gouvernance politique. Mais ce n’est pas avec Pastef, malheureusement.
POST SCRIPTUM
C’est le lieu de rendre hommage à Mamadou Moustapha Ba. Ce grand commis de l’Etat qui a consacré sa vie à servir son pays. Les hommages fusent de partout, l’ancien comme l’actuel président de la République, Amadou Ba, de même que de haut responsables du Fmi. C’est le lieu aussi de distinguer l’hommage que le Cemga Mbaye Cissé lui a rendu parmi le lot. Mais également de s’interroger sur le silence de Cheikh Diba et du ministère de l’Economie. Peuvent-ils rendre hommage à quelqu’un que, il n’y a guère longtemps, le chef du gouvernement taxait de faussaire sous leur silence approbateur ?
par Fatoumata Hane
DE LA CENSURE DE LA RECHERCHE ACADÉMIQUE EN DÉMOCRATIE
EXCLUSIF SENEPLUS - Le livre de Séverine Awenengo Dalberto, que j’ai lu, est loin d’être le brûlot que l’on décrit. Cette censure contribue au particularisme de la Casamance, nourrissant les imaginaires que ce livre s’attache à déconstruire
Le livre de Séverine Awenengo Dalberto, que j’ai pris le temps de lire, est bien loin d’être le brûlot que l’on veut nous présenter ! Ces dernières années, le « pluriversalisme décolonial » a conduit de nombreux chercheurs, africains comme européens, à interroger la fabrique des savoirs et la production des connaissances sans avoir à se justifier ou risquer d’apparaître comme des imposteurs.
S’appuyer sur des théories complotistes ou des arguments misogynes et racistes est la posture la plus simple pour imposer une position, influencer l’opinion ou promouvoir une censure inconcevable dans une démocratie qui se revendique ouverte et majeure. Cette censure contribue au particularisme de la Casamance, nourrissant les « imaginaires » que ce livre s’attache à déconstruire. Elle participe également de la servitude intellectuelle à laquelle la politique cherche à nous contraindre. Cette menace pèse non seulement sur le métier d’historien, mais sur l’ensemble des sciences humaines et sociales, marquant un déclassement de la production intellectuelle.
Instrumentaliser un objet de recherche revient à construire un récit biaisé, bien plus dangereux que de simplement interdire la commercialisation d’un livre – qui, paradoxalement, bénéficie d’une promotion accrue – dans un pays où peu de gens lisent et dans un contexte où les plateformes numériques facilitent la diffusion des publications. Au point que certains témoins ayant participé à l’ouvrage hésitent aujourd’hui, invoquant une temporalité mal adaptée au contexte actuel du Sénégal. Je reprends à mon compte ce que dit Mbougar Sarr sur le temps: il n’y a pas de moment idéal pour publier. Le temps politique n’est pas celui de la science, pas plus que le temps qui rythme la société. Cette recherche a débuté en 2000, et certains aspects ont déjà fait l’objet de publications par la même autrice ainsi que par d’autres collègues chercheurs.
Va-t-on reprocher à Armelle Mabon son livre sur le massacre de Thiaroye ? Assurément, non ! Les enjeux sont ailleurs : le Sénégal devrait, sur cette question, exiger la déclassification des rapports militaires afin que cette histoire soit connue et que la France s’acquitte de ses dettes matérielles et morales.
Pour en revenir à mon propos, ce livre dont je ne ferai pas une note de lecture, interroge l’historicité de l’idée d’autonomie de la Casamance dans les imaginaires coloniaux. Les sources utilisées (archives offrant diverses interprétations) contribuent à façonner et figer l’unité territoriale du Sénégal. L’idée d’autonomie, soutenue dans une perspective utilitariste et économique par les colons, nourrit en retour les imaginaires de la « différence casamançaise » qu’elle consolide. Le refus de l’autonomie est sans cesse réaffirmé, car elle ne servait que des ambitions personnelles, politiques et économiques. L’autonomie reste donc une hypothèse théorique ; les politiques actuelles rappellent à bien des égards les dispositifs mis en place pour consacrer l’unité territoriale et l’ancrage de la Casamance au Sénégal.
On observe une concordance entre les politiques de désenclavement et la valorisation du potentiel économique, ayant valu à la région le premier plan quadriennal du Sénégal en 1959 et, plus récemment, les importants programmes d’investissement au cours de ces vingt dernières années. Les politiques successives de décentralisation se basent sur cette autonomie des territoires qui en font des possibles territoriaux. L’Acte III de la décentralisation le consacre à travers trois de ces principes que sont la subsidiarité, la péréquation et l’autonomie de chacune des collectivités territoriales. Il y a une différence, plus que conceptuelle, entre autonomie et indépendance. Je passe sur la contribution des élus de la Casamance aux manifestations politiques : leur vote pour le « Oui » à l’indépendance du Sénégal révèle l’unicité de notre histoire politique et sociale. Qu’est-ce qui fait peur dans l’interprétation des archives et des sources historiques : la réactivation des imaginaires sur le rattachement de la Casamance au Sine-Saloum, ou l’effort de construction d’un récit et de production d’une histoire qui nous libèrent de toutes sortes de mystifications ?
Professeure Fatoumata Hane est Socio-anthropologue, Uasz.
Par Fadel DIA
TRUMP: LE TRIOMPHE DE LA BOUFFONNERIE !
Comment expliquer que dans le pays où on est le mieux informé du monde, plus de 70 millions de citoyens aient, aussi inconsidérément, accordé leurs votes à un homme au discours décousu et au ras des pâquerettes, truffé d’âneries et de non-sens ?
C’était l’évènement médiatique - et pas seulement- du moment, scruté par des centaines de millions de personnes dans le monde, dont certaines avaient la boule au ventre, et voilà qu’il s’achève par la victoire de Donald Trump ! Il a donc gagné, plus vite et plus largement que prévu par les instituts de sondage, et son retour ne nous rassure guère, ne serait-ce que parce que le premier à s’en réjouir est Benyamin Netanyahou qui est comme lui, sous le coup de poursuites judiciaires, si enthousiaste qu’il affirme que c’est « le plus grand retour de l’histoire ».
La victoire de Trump nous surprend et nous laisse sur notre faim, et avec des questions dont nous n’avons pas les réponses. Comment expliquer que dans le pays où on est le mieux informé du monde, plus de 70 millions de citoyens aient, aussi inconsidérément, accordé leurs votes à un homme qui n’est pas seulement le plus vieux président élu à la tête de leur pays, mais un homme au discours décousu et au ras des pâquerettes, truffé d’âneries et de non-sens ? Même si Trump a fait ses meilleurs scores chez ses concitoyens les moins instruits, tous ceux qui ont voté pour lui ont fait ce choix en connaissance de cause. Ils l’avaient vu à l’œuvre pendant quatre ans s’amuser à ébranler les fondements de leur démocratie et à saper leur cohésion, à renier tous les engagements souscrits par leur pays et à donner des cauchemars au climat et à la science.
Comment comprendre que Trump ait été porté au pouvoir par un vote populaire et recueilli l’adhésion des jeunes et celle, comme jamais avant lui, des minorités afro-américaine et hispanique ? Pourtant ce milliardaire, né avec une cuillère en argent dans la bouche, ne s’intéresse qu’à lui-même et est incapable d’appréhender la détresse des plus démunis et il a martelé des diatribes contre les immigrés traités « d’animaux qui souillent le sang des Américains » et les a menacés d’expulsions massives, quitte à enfreindre la loi et les règles humanitaires !
Comment comprendre que le jeu électoral se soit autant dégradé aux Etats-Unis, au point de se transformer en foire d’empoigne et en bataille de chiffonniers ? Tout au long de la campagne électorale, longue et ennuyeuse, rien pratiquement n’a été dit sur la nécessité de préserver la paix dans le monde et de mettre fin aux injustices quand on est la première puissance du monde, sur la jeunesse ou sur la culture, sur les menaces qui pèsent sur notre environnement, alors que nous vivons les plus grandes catastrophes naturelles de ces dernières années. Elle n’a pas été l’occasion d’un débat d’idées, d’une confrontation de projets comme il sied à une démocratie mais, du moins de la part de Trump, celle de déverser des injures, des insanités ou des arguments phalliques, par la parole et les gestes, des mensonges grossiers et des accusations sans fondement. Le plus étonnant c’est que Trump n’a pas pâti de ses excès de langages, sans doute parce qu’il est, avec Netanyahu, le seul homme politique dont les outrances passent comme lettres à la poste. Il a en tout cas fait la preuve qu’en politique, du moins avec lui aux Etats-Unis, les c......., ça marche ! A ce jeu-là, Kamala Harris ne pouvait que perdre, elle, partie si tard avec le triple handicap d’être femme, noire et fille d’immigrés !
Comment comprendre ce dévoiement de la démocratie qui fait que de plus en plus aux Etats-Unis, ce n’est pas celui qui a le meilleur programme, le plus honnête ou le plus compétent, qui a des chances d’être élu, mais qu’il faut d’abord être riche à millions ? Plus de 17 milliards de dollars (soit plus d’une fois et demi le budget du Sénégal ) ont été dilapidés pendant la campagne électorale, dont un tiers dans la publicité, 1 milliard pour la bataille électorale dans le « swing state » le plus disputé, la Pennsylvanie ! La victoire de Trump c’est le résultat de la coalition de deux milliardaires : l’homme le plus riche du monde, l’ancien immigré irrégulier Elon Musk, n’est pas seulement l’homme qui murmure à l’oreille de Trump, il a mis à son service son réseau X et ses 200.000 followers, il a injecté à lui seul 200 millions de dollars dans sa campagne qu’il a tenté de transformer en jeu de course hippique.
Comment comprendre, enfin, qu’au moins depuis l’intrusion de Donald Trump sur la scène politique, que ce soit la démocratie américaine tout entière qui se décrédibilise au point que ses citoyens ont l’impression de vivre dans une vulgaire république bananière ? La campagne électorale comme le vote, se sont déroulés dans la violence et le déni dans un pays qui compte autant d’armes que de citoyens, marqués de tentatives d’assassinat, de paranoïa de la fraude électorale, de querelles d’avocats, d’infox et de fake news, avec caméras de surveillance, snipers sur les toits et déploiement du FBI... Il y a quatre ans les Etats-Unis n’ont pas pu faire ce que le Cap-Vert ou Maurice font depuis leur indépendance, ce que le Botswana a fait il y a quelques jours : une transition courtoise, un passage de pouvoirs respectueux des règles de la démocratie.
Donald Trump avait promis que s’il était réélu, il se ferait « dictateur » pendant un jour, et force est de lui reconnaitre qu’il fait souvent ce qu’il avait dit qu’il ferait. Mais ça, c’était avant. C’était avant qu’il ne se retrouve à la Maison Blanche avec une majorité populaire alors qu’il se préparait à contester les résultats, et qu’il a l’assurance d’avoir à sa botte le Sénat, la Chambre des Représentants et la Cour Suprême, cela peut donner des idées quand on a un ego comme le sien. Alors si Wall Street jubile, après avoir retenu son souffle, nous n’avons pour notre part, nous le reste du monde, mais aussi les femmes américaines et les étrangers installés aux Etats-Unis, et de manière générale tous ceux qui sont épris de paix, de liberté et de justice, aucune raison de sauter de joie…
A moins qu’un grand miracle ne se produise : Donald Trump est fondamentalement un homme imprévisible, il est capable du pire et il l’a prouvé, et s’il faisait son Thomas Beckett et devenait capable du meilleur ?