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26 novembre 2024
Politique
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LE PACTE, UN ENGAGEMENT À CONCRÉTISER
EXCLUSIF SENEPLUS - Face au silence du nouveau régime sur le Pacte de bonne gouvernance démocratique, la société civile se remobilise. Objectif : rappeler aux décideurs leur promesse pour un Sénégal de démocratie participative et d'État de droit...
La Coalition pour le suivi du Pacte national de bonne gouvernance démocratique a tenu une conférence de presse mardi 30 juillet au Radisson Blu pour faire le point sur l'état d'avancement de ce texte signé par 13 candidats à l'élection présidentielle de 2024, dont le président élu Bassirou Diomaye Faye.
Plus de 100 jours après l'élection, la Coalition déplore ne pas avoir reçu de réponse à ses demandes répétées d'audience adressées aux nouvelles autorités. Si certaines mesures prises vont dans le sens du Pacte, le silence observé suscite des interrogations selon les responsables de la Coalition.
Celle-ci dit rester dans une démarche constructive, rappelant que le Pacte est l'expression d'une demande sociale ancrée dans les conclusions des Assises nationales et les recommandations de la CNRI. Elle dit sa volonté de poursuivre le dialogue et d'éclairer l'opinion sur les enjeux de ce texte visant une transformation institutionnelle et démocratique en profondeur.
Plusieurs actions ont été annoncées, notamment une campagne d'information et des travaux avec la société civile sur la méthodologie et les outils de suivi de la mise en œuvre effective du Pacte. La Coalition dit rester confiante dans la volonté de changement exprimée et attend désormais des signes concrets de la part des nouvelles autorités.
Retrouvez ci-dessous, la déclaration liminaire lue par l'ancien ministre et membre du mouvement Sursaut citoyen, Mamadou Ndoaye, à l'occasion de cette adresse à la presse :
"Mesdames, Messieurs les journalistes,
Chers amis des mouvements citoyens,
Nous sommes ravis, au nom du collectif des mouvements citoyens engagés pour l'application des conclusions des Assises Nationales (AN 2008/2009) ainsi que des recommandations de la Commission Nationale de Réforme des Institutions (CNRI/2013), de vous souhaiter la bienvenue à cette conférence de presse. Il s’agit essentiellement pour nous de porter à la connaissance de l’opinion publique nationale l’état actuel et les perspectives de portage du Pacte national de bonnegouvernance démocratique.
Permettez-nous tout d’abord de faire quelques brefs rappels qui permettent de situer le sens, la portée et les implications du Pacte.
Le Pacte s’origine dans les luttes contre les atteintes graves aux libertés individuelles et collectives ainsi que les dérives autoritaires qui ont marqué l’histoire récente du Sénégal sous le régime de Macky Sall. Au-delà de la résistance du moment, la durabilité des conquêtes exigeait de donner corps au « plus jamais ça dans notre pays » en promouvant un nouveau contrat social régulant un vivre ensemble basé sur quatre piliers : la démocratie participative, l’État de droit, la gouvernance responsable et la citoyenneté consciente et active.
Pour élaborer un tel contrat social, il n’était point besoin de réinventer la roue : les conclusions des Assises Nationales et les recommandations de la CNRI ont alimenté la substance du Pacte et du même coup fondé solidement sa légitimité dans ce large consensus national sur la demande sociale de transformation du pays, demande validée par les différents secteurs et niveaux de la société ainsi que par le leadership politique et syndical à l’exception du parti au pouvoir de l’époque.
L’opportunité offerte par les élections présidentielles de 2024 a été alors saisie pour lancer un processus de rencontres et de dialogue entre les candidats et le collectif des mouvements citoyens sur les orientations et le contenu de la transformation afin d’aboutir à un accord solennel. C’est ainsi que sur les 17 candidats aux élections, 13 ont signé le Pacte et pris l’engagement écrit de « traduire les principes, valeurs et objectifs du Pacte en plan d'actions à réaliser dans le courant de la première année de leur mandat en cas de victoire électorale à la présidentielle de février 2024. ». Principes, valeurs et objectifs que l’on peut résumer ainsi :
Une République laïque et démocratique organisée en un État unitaire décentralisé où la pleine reconnaissance et le respect des diversités qui composent la nation constituent le ciment de l'unité nationale et le fondement de toute prise de décision publique ;
Un État de droit qui assure la séparation et l’équilibre des pouvoirs, l’indépendance de la justice, l’effectivité de l’exercice des libertés individuelles et collectives et la primauté du droit en se dotant de dispositifs appropriés, notamment une Cour Constitutionnelle au pouvoir élargi et renforcé à la tête du système judiciaire ainsi qu’un Juge des libertés ayant la capacité d’ordonner des mesures diligentes et provisoires : tout cela implique aussi que l’Exécutif doit impérativement sortir du Conseil supérieur de la Magistrature ;
Une démocratie participative où, le peuple étant réellement source de tout pouvoir, la concertation et la participation sont érigées en principe constitutionnel, démocratie qui place le citoyen au centre du système en lui donnant, au-delà du droit de vote, des espaces d’initiative et des instruments de contrôle de l’action publique comme des prérogatives nouvelles en matière de pétition, de loi et d'accès à la justice : il s’agit là d’un renversement de paradigme et d’une véritable révolution copernicienne par rapport à l’hyper-présidentialisme régnant ;
Une gouvernance globale dévouée à l’intérêt général et basée sur l’éthique, la sacralisation des deniers et biens publics, la reddition des comptes et l’imputabilité constitutionnalisées, le traitement équitable des citoyens y compris l’égalité homme-femme ; qui érige la transparence, la consultation et la participation en mode de fonctionnement ; assure une gestion vertueuse, rationnelle et durable des ressources naturelles, en particulier foncières et minérales ; régule le jeu politique, électoral et économique de façon à en garantir la transparence, l’équité et le caractère pacifique ; rend effectif le principe constitutionnel d’une administration publique républicaine, impartiale et apolitique avec des appels à candidature pour pourvoir les postes de direction ; procède à une dévolution de pouvoirs significatifs et de ressources conséquentes renforçant les capacités de réalisation et l'autonomie financière actuellement trop faibles des collectivités territoriales tout en responsabilisant les citoyens à la base par des prérogatives de participation et de contrôle de la gestion locale ;
Réaménagement du dispositif de contrôle de l'État autour de la Cour des Comptes, institution supérieure de contrôle des finances publiques en vue de le rendre structuré à toutes les étapes et coordonné entre toutes les instances.
Développement d’un continuum éducatif dans les langues nationales permettant la maitrise par toutes et par toutes du nouveau contrat social afin de promouvoir une citoyenneté consciente et active pour l’exercice aussi bien de ses droits et libertés que de ses devoirs et obligations.
Voilà donc, pour l’essentiel, les orientations de transformation institutionnelle et de gouvernance que les 13 candidats, dont M. Bassirou Diomaye Faye qui a été élu président de la République, se sont engagés à mettre en œuvre.
En ce qui le concerne, le Collectif a pris également l’engagement écrit d’« accompagner l'évaluation et la promotion de la demande citoyenne et à concourir à parfaire son élaboration et sa formulation. ». Les deux parties se sont assignées une obligation de suivi des engagements respectifs « en mettant en place, en tant que de besoin, un Comité de suivi chargé d'apprécier l'évolution des questions faisant l’objet d'intérêt ou de préoccupations communes. »
Où en est-on aujourd’hui par rapport à tous ces engagements ?
Pour se conformer à la redevabilité mutuelle de suivi, le Collectif a adressé, dès le 25 mars 2024 donc avant même la proclamation officielle des résultats, une lettre de félicitations au nouveau Président de la République avec une demande d’audience pour un entretien sur le Pacte.
N’ayant pas reçu de réponse, le Collectif a écrit une seconde lettre au Président de la République en date du 19 avril 2024, cette fois-ci après son installation officielle, pour saluer les premières mesures prises par les nouvelles autorités allant dans le sens du Pacte et pour réitérer sa demande d’audience. Après plus de 100 jours, nous restons en attente d’une réponse.
Toutefois, il ne nous semble pas responsable, à partir de ce fait, de précipiter un bilan de déception dans un contexte où l’enjeu est vital : une opportunité historique pour le peuple sénégalais d’accomplir un saut qualitatif vers un vivre-ensemble de démocratie, de progrès social et prospérité partagée. L’espérance d’une véritable alternative a été si fortement exprimée par les Sénégalaises et les Sénégalais que notre rôle, voire notre devoir, est de la soutenir et de l’accompagner en tant que demande sociale afin qu’elle puisse aboutir.
Par ailleurs, après 100 jours, le temps relativement court de réalisation ne fournit pas d’éléments probants permettant une évaluation objective d’un processus de transformation ne serait-ce qu’institutionnelle et ce d’autant plus qu’en ce qui concerne spécifiquement le Pacte, l’engagement de le mettre en œuvre se situe dans la durée d’une année, la première du premier mandat.
En revanche, nous avons des sources sérieuses d’interrogation :
Pourquoi le président de la République prend-il plus de 100 jours sans répondre à notre correspondance ?
Pourquoi les mots Pacte et Assises nationales semblent bannis du discours des nouvelles autorités alors qu’ils foisonnaient dans leurs messages de la période préélectorale ?
Pourquoi les nouvelles autorités n’invitent pas le Collectif à leurs initiatives de dialogue sur les sujets qui le concernent à l’instar de celui initié sur la réforme de la Justice ?
Tout observateur objectif peut reconnaitre la légitimité de telles interrogations. Nous n’en tirons pas pour autant de conclusion hâtive pour les raisons suivantes :
L’enjeu tel que souligné ci-dessus dépasse nos egos et nos émotions car il s’agit du devenir du vivre ensemble au Sénégal.
Nous n’osons pas également croire que la démission du président du poste de secrétaire général de Pastef-Les Patriotes, son engagement à mettre fin à « l’hyper-présidentialisme » et à renforcer l’indépendance de la justice, sa décision d’initier les Assises de la justice ainsi que les actes posés par les nouvelles autorités pour une gouvernance éthique et sensible à la situation des plus démunis relèvent simplement d’éléments de communication et ne sont pas les signes d’une volonté de transformation dont nous ne doutons pas.
Nous n’osons surtout pas croire que les nouvelles autorités feront moins que Macky Sall qui, tout en disant qu’il avait émis des réserves lors de la signature de la Charte des Assises, a tout de même confié au bureau des Assises, la Commission nationale de réforme des institutions (CNRI) sans bien entendu adopter les recommandations transformationnelles qui en sont issues.
Au bilan, la balle se trouve aujourd’hui dans le camp des nouvelles autorités qui peuvent et doivent lever ces sources d’interrogation. Leur première différence par rapport à ce que le peuple a observé jusqu’ici doit être de montrer qu’elles respectent les engagements auxquels elles ont librement souscrit à travers le candidat Diomaye vis-à-vis du Pacte mais aussi d’Ousmane Sonko qui a signé la Charte des Assises nationales.
Pour sa part, le Collectif persévérera dans son approche pour faire comprendre aux nouvelles autorités que le Pacte qui repose sur les conclusions des AN et les recommandations de la CNRI n’est pas et ne saurait être traité comme une simple requête d’une coalition de la société civile et encore moins comme une exigence posée des individus (pour ne pas dire Massemba ou Mademba). Comme dirait l’autre, il n’est non plus ni le Coran, ni la Bible. Pas du tout un prêt-à-porter.
Le Pacte traduit, par son ancrage sur les AN, une demande sociale solidement établie par des consultations les plus larges possibles couvrant les différents secteurs et niveaux de la société et par des démarches de validation ascendantes tout en restant un document dont l’élaboration et la formulation restent ouvertes à l’amélioration à travers le dialogue et la co-construction.
Loin donc de toute déception, encore moins de capitulation, une telle approche ouvre plutôt des perspectives d’action avec les objectifs suivants :
Mieux faire connaitre à l’opinion le contenu et les objectifs du Pacte à travers une campagne d’information
- Conférence de presse le mardi 30 juillet 2024 de 11H à 12H30 au Radisson Blu (introduite avec un court documentaire d’une douzaine de minutes) ;
- Publication d’un texte collectif sur le Pacte qui sera signé et publié dans la presse nationale le 6 août 2024 ;
- Série d’interventions sur les plateaux télé et les radios par des membres désignés de la coalition ;
- Série de contributions écrites individuelles ou en comité spécialisé des membres de la Coalition ;
- Diffusion en « première » du film d’une heure 13 minutes sur notre mobilisation citoyenne « Fatéliku » de Joseph Gaye Ramaka le mardi 20 août 2024 à 11H au Radisson Blu. Cette première sera précédée de la rediffusion du court-documentaire sur le Sursaut Citoyen ;
- Réalisation d’un « cartoon » sur le modèle du Conseil Supérieur de la Magistrature en langues nationales et en Français.
Élaborer collectivement non seulement pour approfondir le contenu du Pacte mais aussi pour développer une compréhension partagée de la méthodologie, des instruments et une feuille de route pour la mise en œuvre du Pacte :
- Organisation d’un pré-colloque sur la méthodologie de la transformation
- Lancement de nouvelles conversations citoyennes pour approfondir les différents thèmes liés à la méthodologie de mise en œuvre
Promouvoir le dialogue avec les nouvelles autorités sur la mise en œuvre du Pacte
- Nouvelles initiatives pour des rencontres et des échanges
- Proposition de co-organisation avec l’administration Faye-Sonko d’un colloque sur la transformation
Poursuivre le travail entamé sur la stratégie et les instruments de suivi-évaluation de la mise en œuvre du Pacte
- Finalisation du cadre de mesure des avancées dans la mise en œuvre du Pacte : critères, indicateurs, moyens de vérification ;
- Séminaire de Réflexion sur les conditions de mise en place d’un Observatoire de la transformation et de suivi des politiques publiques.
En fin de compte, notre message est clair : quels que soient les obstacles, nous allons continuer d’avancer car nous luttons pour un nouveau vivre-ensemble que le peuple demande et pour lequel il s’est fortement exprimé le 24 mars 2024."
par Samba Buri Mboup
CONTRIBUTION AU DÉBAT SUR LE PANAFRICANISME COMME IDÉOLOGIE-DOCTRINE POUR LA RENAISSANCE AFRICAINE
Examen critique certains éléments soulevés par Félix Atchadé dans sa réflexion sur le panafricanisme, notamment le caractère historique plus large de ce mouvement
Cette réaction à l’article intéressant de Félix Atchadé, publié le 8 juillet dans les colonnes du quotidien YoorYoor est une contribution citoyenne au débat sur le panafricanisme ; il a été écrit par simple souci didactique à l’endroit de ces valeureuses cohortes de jeunes Africains et Sénégalais patriotes ayant contribué pour beaucoup au changement politique en cours dans notre pays. À l’endroit de cette jeunesse parfois en mal de repères historiques, culturels ou théoriques, notre rôle en tant qu’ainé(e)s est de les aider autant que nous pourrons, à combler les manques et vides constatés sur ce plan, afin de mieux les armer à remplir leur noble, élevée, difficile mission de parachever ou tout au moins de faire progresser de manière significative le combat pour la libération, l’unification, la souveraineté de l’Afrique et des Africains – « ceux/celles à la maison et ceux/celles à l’étranger », pour reprendre une formule chère à Marcus Garvey, pour l’avènement d’une ère durable de dignité recouvrée, de prospérité, d’équité, de justice, de paix pour tous/toutes, ce en restant ancrés à nous-mêmes et dans le respect de notre environnement.
Ce souci didactique me semble, du reste, partagé par Félix Atchadé, dont le moindre des mérites n’a pas été, entre autres : 1. de rappeler les conditions difficiles ainsi que le contenu, la signification, la portée du changement intervenu au Sénégal et en Afrique avec l’élection à la magistrature suprême du président Bassirou Diomaye Diakhar Faye, en tant qu’expression d’une « véritable révolution citoyenne, marquant une rupture décisive avec le passé et ouvrant la voie à un avenir plus juste » ;
2. de clarifier le rôle joué dans ce processus de changement par le Panafricanisme comme doctrine ayant permis de cibler les principaux objectifs, de définir et d’acter les modalités du changement en question ;
3. Tout en s’orientant sur « les valeurs de solidarité, d’unité et d’auto-détermination africaines » porteuses de « la vision d’une Afrique unie et prospère, libérée des contraintes néocoloniales ».
À mon avis, on pourrait également retenir :
4. l’alternance générationnelle opérée au niveau du leadership (et qui n’est pas réductible à une question d’âge stricto sensu) ; en sus
5. du souffle de fraîcheur dans le renouvellement de la culture organisationnelle ; et 6. de la maturité politique dont a fait montre notre peuple, son adhésion à des degrés divers, selon diverses modalités, à un projet politique qu’il comprend, qui lui ressemble ; avec 7. l’espoir que ce qui se passe chez nous a suscité et continue de susciter en Afrique et au-delà.
Cela dit, je souhaiterais revenir sur quelques inexactitudes voire des erreurs décelables dans le texte de Dr Atchadé, ainsi que sur un certain nombre d’assertions me paraissant discutables pour une raison ou une autre. Je commencerai par discuter la pertinence de l’assertion de Félix Atchadé concernant ce qu’il appelle « Le panafricanisme de Gauche » proposé comme « théorie révolutionnaire » pour le processus de changement intervenu récemment au Sénégal, notamment pour la vision politique sous-jacente à ce processus et au projet de société que Pastef, ses principaux leaders dont le président Bassirou Diomaye Diakhar Faye, le Premier ministre Ousmane Sonko entendent construire, avec le soutien des autres forces et protagonistes du changement en question.
Premièrement – je l’ai dit sur d’autres plateformes – non seulement je ne me retrouve pas dans ces dénominations de « Gauche », « Droite », « Centre » etc. venues d’ailleurs, et qui ne me semblent pas être d’une grande pertinence dans notre contexte socio-culturel sénégalais-africain, même si des leaders respectables des combats de notre peuple pour la liberté, la justice, le progrès social s’en sont réclamés. Je ne me souviens pas non plus – mon information ou ma mémoire pouvant être déficientes - d’avoir jamais entendu les dirigeants ou militants de Pastef se définir comme « panafricanistes de Gauche ».
Par contre, je me souviens avec amusement de la gêne manifestée une fois par un de mes amis tribun hors pair, communicateur avéré et qui est aussi l’un des adeptes et théoriciens avisés du « panafricanisme de Gauche », lorsqu’il a voulu s’essayer, lors d’une de ses interventions publiques, à la traduction en Walaf de ce concept à son auditoire ; finissant d’ailleurs par y renoncer, en réalisant le caractère ardu et surtout, les risques d’incongruité de son exercice de traduction, en rapport avec la gêne que sa traduction aurait pu causer au sein de son auditoire, pour des raisons propres au contexte socio-culturel sénégalais-africain de sa prise de parole publique…
Deuxièmement, à l’exception des protagonistes et leaders de la Révolution Tooroodo [graphie correcte] dans le Fouta sénégalais tel Abdel Kader Kane, les références citées par l’auteur comme repères historiques dans l’élaboration des théories du changement sont, pour l’essentiel, des auteurs occidentaux : Karl Marx, Anna Arendt, John Locke, Rousseau, Montesquieu dont certains contemporains du Siècle dit des Lumières, et dont la pensée est empreinte de nationalisme et/ou de racisme. Pour illustrer le contenu révolutionnaire, la portée opératoire de la pensée des auteurs occidentaux susmentionnés, Dr Atchadé cite des expériences de révolutions qui s’en sont inspirées, à l’instar de « la Révolution américaine, la Révolution française et la Révolution russe ».
Troisièmement, ce que l’auteur appelle le « panafricanisme identitaire et culturel » qui se concentre sur « la Renaissance culturelle » est présenté dans le même article comme une forme de panafricanisme moins pertinente, moins significative, plus limitée dans ses buts et ses exigences, et par conséquent, dotée d’une moindre capacité opérationnelle de transformation sociale et politique, pour ce qui concerne la prise en compte des besoins, des intérêts, des aspirations de l’Afrique et des Africains.
La tendance à accorder sans le recul critique nécessaire, certain crédit voire à privilégier des références et sources venues d’ailleurs notamment des sources occidentales empreintes à un degré ou un autre d’eurocentrisme, peut nous exposer au risque de tomber dans certains pièges voire nous mener à des errements au plan épistémologique et théorique auxquels l’auteur de l’article n’échappe pas toujours dans son propos et dans le traitement de faits cités ou évoqués à l’appui de ses thèses ou analyses. Pour ce qui concerne, par exemple, les références aux Révolutions française et américaine, je me bornerai à rappeler en substance, ce que j’en ai dit dans certains de mes travaux et publications, y compris lors d’un récent forum de dialogue avec la jeunesse organisé par l’Institut Mandela pour les Études de Développement (Mandela Institute for Development Studies/MINDS) de Johannesburg ; forum au cours duquel j’ai eu le privilège d’intervenir comme orateur principal (keynote speaker), et où fut largement débattue la récente alternance ou alternative politique survenue dans notre pays.
Qu’il s’agisse de l’expérience française de 1789, du modèle américain établi après la guerre d’Indépendance ou de la démocratie athénienne, il est indéniable que ce qui s’y est passé a été le résultat de luttes politiques et sociales dotées d’un contenu révolutionnaire et d’une portée historique incontestable. Néanmoins, chacune de ces expériences historiques présentées comme modèles de « démocratie à l’Occidentale » comporte des limites que nous gagnerions à mieux cerner en tant que panafricanistes. Par exemple, pour ce qui est du principe de « l’égalité entre tous », il faut rappeler qu’en réalité, dans le contexte de la France ou de l’Amérique en question, il s’agit essentiellement sinon exclusivement d’une égalité civile, et non point économique, sociale ou raciale. Autre fait marquant : ceux dont la devise était Liberté-Égalité-Fraternité sont les mêmes qui avaient tenté de rétablir l'esclavage dans la Caraïbe y compris dans la République Noire Indépendante d'Haïti, dont l'existence fut solennellement proclamée a Gonaïves le 1er janvier 1804, suite à la brillante victoire de l’armée de libération nationale dirigée par le général Jean-Jacques Dessalines, avec le soutien de toutes les forces militaires patriotiques mobilisées lors de la bataille de Vertières, le 18 novembre 1803, et qui a abouti à la capitulation du général français Rochambeau.
Toutefois, les premiers moments de l’existence de la jeune nation haïtienne sont loin d’avoir été un long fleuve au cours tranquille, pour avoir eu, notamment, à faire les frais de la Loi du plus fort, en l’occurrence celle d’une France esclavagiste impénitente, pourtant considérée par beaucoup – ce jusqu’à présent - comme “Patrie des Droits humains”. Pour ainsi dire, après l'indépendance d'Haïti, les colons français ont exigé des Réparations en invoquant le « préjudice » que leur faisait subir “la liberté nouvelle conquise par les esclaves”. En 1825, Charles X a donc envoyé une flotte de guerre de 14 navires. Pour éviter que son peuple ne retombât en esclavage, le président Boyer a dû alors se résoudre à « accepter » de payer un « tribut » de 150 millions de Francs-or imposé par la France : montant ramené ensuite à 90 millions (ce qui équivaudrait à environ 30 milliards € aujourd’hui) ; le peuple haïtien ayant dû s'endetter jusqu'en 1946 pour payer cette somme.
Au même forum, j’avais aussi réitéré mes réserves concernant une autre expérience de « démocratie à l’Occidentale » : le modèle athénien au sein duquel la majorité de la population était exclue de jure comme de facto du jeu démocratique, à en juger par les proportions démographiques dans cet ancien État-cite grec, et qui étaient de l’ordre d’un citoyen pour deux esclaves, ainsi que souligné par Cheikh Anta Diop qui rappelle que dès le VIème siècle av. J.C., Athènes s’était orienté « vers l’achat massif d’une main d’œuvre esclave, essentiellement importée de l’actuelle Russie (voir Civilisation ou Barbarie, Présence, 1981, pp. 139-267 ).
Quant à la Révolution américaine, Elizabeth Maddock Dillon & Michael Drexler, coéditeurs de The Haitian Revolution and the Early United States: Histories, Textualities, Geographies, publié en 2016, notent l’existence d’un « lien intime entre les histoires d'Haïti et des premiers USA » aux plans politique, économique et de la géographie ; ce en dépit de l’effet d’épouvantail (les auteurs n’hésitent pas à parler de « spectre terrifiant ») que le succès de la Révolution haïtienne exerçait notamment sur « les forces esclavagistes là-bas [et au-delà] .
Généralement célébrée comme la première révolution anti-esclavagiste, anticoloniale réussie dans l'hémisphère occidental, Haïti fut aussi la deuxième république indépendante, après les États-Unis, dans les Amériques ; mais contrairement à Haïti, les USA resteraient une république esclavagiste jusqu'en 1865. Et pourtant, la Révolution haïtienne était une source d’inspiration pour les Africains-Américains insurgés contre leur condition inacceptable, voire même pour certains abolitionnistes américains. Au niveau gouvernemental et étatique, on note toutefois : plusieurs actes d’hostilité diplomatique et politique à l’endroit de l’État haïtien, et de pillage de ses ressources économiques : le tout couronné par l’invasion de Haïti par les marines américains en 1915 ; par la mainmise sur toutes les réserves nationales d’or. Sans compter la promulgation d’une nouvelle Constitution écrite par F D Roosevelt ; le bradage des terres aux capitalistes américains ; une occupation coloniale marquée du sceau d’un terrorisme militaire sans partage ; par une volonté d’écraser toute velléité de résistance patriotique ; en plus du soutien au fascisme duvaliériste (années 1950/80) ; de l’héritage par les USA de la “Dette de Réparation” initialement imposée par la France ; de la perpétuation d’une tradition marquée par un interventionnisme insolent rythmé par des massacres, des coups d’État, des enlèvements politiques y compris jusqu’aux plus hautes sphères de l’État (enlèvements et exils du Président légitime Jean-Bertrand Aristide en 1990 et 2004) ; ainsi que par des élections truquées et l’imposition de leaders fantoches tels que Michel Martelly (2011), voire Jovenel Moïse (2015), lequel finira d’ailleurs par être assassiné…
Contrairement aux deux « Révolutions à l’Occidentale » citées par Dr Atchadé, la Révolution haïtienne a été une véritable muntucratie dans l’Hémisphère occidental ; le concept de Muntucratie véhiculant, à notre avis, un contenu plus révolutionnaire que celui de Démocratie, bien que la place nous manque ici pour étayer cette assertion sur laquelle nous comptons revenir prochainement.
Après ces quelques précisions et réserves, il est peut-être temps de présenter quelques points pour illustrer notre propre compréhension du concept de Panafricanisme que nous définirons, en accord avec la pensée, l’héritage politiques de Kwame Nkrumah et d’autres panafricanistes, comme « l’expression de la conscience, de la position politiques de l’ensemble des masses africaines dans le monde, dans leur combat pour la défense de leurs intérêts et de leurs aspirations ». En tant que tel, le Panafricanisme trouve son ancrage dans l’expérience historique de combat commune aux peuples africains sur le Continent et dans la Diaspora : combat contre l’oppression et pour la récupération de la souveraineté, de l’initiative historique sur leur propre destin. En ce sens, le Panafricanisme n’est pas seulement héritier « des luttes anticoloniales et mouvements panafricanistes du 20ème siècle », ainsi que noté par Dr Atchadé.
Son origine remonte en effet à des époque(s) beaucoup plus reculée(s) : celle(s) correspondant aux expériences des traites Negrières esclavagistes imposées aux peuples africains pendant de longs siècles d’asservissement et d’exploitation par les Arabes (Traite transsaharienne et sur l’Océan Indien), puis par les puissances occidentales (cas de la Traite atlantique) ; mais également et surtout par l’histoire de la résistance permanente, multiforme des peuples africains et communautés et personnes d’ascendance africaine, contre la domination, l’asservissement, l’exploitation. Il s’agit donc, en premier lieu, d’une prise de conscience d’une communauté de destin entre peuples africains et communautés d’ascendance africaine, qui s’enracine dans l’histoire de la résistance permanente aux agressions multiformes de la part de forces extérieures, tout en se nourrissant de toutes les expériences, tous les efforts d’élaboration de projets et initiatives d’émancipation, d’indépendance et d’unité politique.
En second lieu, et à ce sujet, je serais pour l’essentiel d’accord avec la perspective de Dr Atchadé, le Panafricanisme peut être défini comme idéologie et/ou doctrine pour la Renaissance Africaine ; les termes d’idéologie et de doctrine étant, a notre avis, complémentaires, a défaut d’être synonymes. De ce point de vue, le Panafricanisme constitue un instrument de connaissance de soi, d’identification et d’affirmation collectives permettant aux Africains de comprendre et d’assumer de façon holistique et critique, leur trajectoire historique et leur condition dans le monde ; tout en servant de guide pour l’action transformatrice du réel, pour leur combat commun en vue de retrouver leur souveraineté et leur dignité. En tant que tel, le panafricanisme est à la fois un héritage de lutte et une vision ainsi qu’un ensemble de principes directeurs, de valeurs et d’objectifs stratégiques qui animent la Renaissance africaine.
Un bref aperçu sur l’histoire et la sociologie politique du Panafricanisme, marquées entre autres par le rôle essentiel des femmes africaines, montre, selon Cedric Robinson [cf. Black Marxism, Zed Books Ltd, Londres, 1983], qu’il s’agit en réalité d’un seul et même combat ininterrompu : « L’histoire de la lutte émancipatrice des peuples africains du Continent américain et de la Diaspora peut être considérée comme un seul et même processus ininterrompu et multiforme, caractérisé notamment par une connexion idéologique indéniable, ainsi que par la complémentarité et l’interdépendance de ses diverses manifestations et modalités »: résistance anti-esclavagiste ; résistance et tentatives d'intégration africaine sous la houlette de dirigeants historiques tels que Samory Touré, Chaka ou (avant eux), Nzinga de Ngola (Ndongo) et Matamba. Il y a aussi les congrès panafricanistes ; les combats de décolonisation avec l’épisode des luttes de libération dans les ex-colonies portugaises et en Afrique australe etc., etc.
En effet, tous ces événements (et faits) « sont étroitement liés les uns aux autres en raison de la similitude de leurs caractéristiques sociales et de leur inspiration d’une expérience historique commune d’oppression et de la même idéologie sociale ». [C. Robinson]. Comme faits symptomatiques de cette réalité unitaire on peut citer par exemple : l'implantation ou les répercussions du mouvement garveyiste aux États-Unis, dans les Caraïbes, en Europe et en Afrique (Libéria, Ghana, Sénégal, Afrique du Sud, etc.) ; le caractère panafricain du secrétariat politique de Kwame Nkrumah, où se sont retrouvés des Africains du Continent comme Habib Niang (Sénégal) et surtout de la Diaspora comme W.E.B. Dubois (USA), Georges Padmore et C.L.R. James (Trinité & Tobago). Sans oublier : le rôle catalyseur incontestable des indépendances africaines dans le déclenchement du mouvement Black Power en Amérique et dans les Caraïbes ; et en retour, l'impact retentissant du mouvement Black Power des années soixante et des écrits de Frantz Fanon sur la conscience de la jeunesse africaine du Continent ; ni les dynamiques identitaires impliquées dans le processus d’identification de la même jeunesse africaine (Continent et Diaspora) à la lutte du peuple sud-africain et de ses héros, ainsi qu'avec le message et la pulsation du Reggae, avec la culture Rasta et le concept de Rastafari en général, considéré par Horace Campbell et Walter Rodney, comme l’une des expressions les plus fortes du Panafricanisme au XXème siècle.
Ainsi que nous y invite José do Nascimento, ne perdons pas de vue qu’en dépit de tout le bruit sur la « mondialisation », nous évoluons dans le contexte d’une civilisation mondiale encore dominée par des intérêts nationaux contradictoires; au sein duquel les questions de sécurité militaire déterminent la possibilité de succès ou d'échec des stratégies nationales de développement économique; tandis que la maitrise de l'information stratégique, des connaissances scientifiques, de la technologie, joue un rôle clé dans la richesse des nations ainsi que dans la géopolitique mondiale et dans l'équilibre géostratégique des pouvoirs dans le monde. Dans pareil contexte, la Renaissance Africaine comme réponse organisée de nos peuples aux défis d’une mondialisation asymétrique, hégémonique, oppressive, constitue un projet alternatif, global de société et de civilisation se fixant pour but (s) la création de conditions pour la renaissance de l'Afrique en tant que centre d'initiative et de décision indépendant et compétitif dans le monde d’aujourdhui et de demain. Il s’agit là d’un objectif stratégique à réaliser à long terme ; le terme de renaissance renvoyant également au processus à la fois de transformation, de refondation du tissu social, et d’auto-transformation des Africains, pour être à même d’accomplir cette mission, en se reconnectant à l’histoire comme agent producteur de sens, maîtres de leur destin, par le biais des « voies ascendantes de leur culture nationale », selon la formule de Amilcar Cabral.
Une autre question très importante est celle de la nécessité urgente d’une reconnexion avec la/les Diaspora(s) africaine(s) en tant que 6ème région, pour les opportunités d’investissements économiques mais aussi en termes de « gain de matière grise », d’expertise, de savoir-faire (brain gain) que cette reconnexion est susceptible de procurer pour un repositionnement stratégique du continent africain sur la carte du monde et dans l’Agenda géopolitique global, ainsi que pour l’avancée, la maturation du Mouvement panafricaniste en tant que tel. Pareille option stratégique implique un engagement ferme, une unité de pensée et d’action entre l’Afrique et sa/ses Diaspora(s) dans le cadre du Mouvement pour la Justice Réparatrice Globale. Il s’agit, entre autres, de se battre pour une réforme de l'OMC, de la CPI, du Système des Nations Unies (le Conseil de Sécurité notamment), et de construction de consensus forts, opérationnels sur la question des Réparations et du Rapatriement où s’accomplissent, de jour en jour, des progrès de plus en plus significatifs et notables.
On note pour les déplorer, la timidité, la relative réticence de certains Africains sur le continent à épouser ce mouvement, voire leur attitude suspicieuse à son égard. Pourtant, faut-il le rappeler, la légitimité de l’exigence de Réparations pour l’Afrique et les Africains est consacrée du point de vue de la légalité internationale, sur la base de la Loi Taubira de 2001 reconnaissant l’Esclavage et la Traite Négrière comme crime contre l’Humanité) ; le droit à réparation tel que défini par la Cour Permanente Internationale de Justice (1928) ayant du reste été bien reconnu en droit international, avec notamment la jurisprudence de précédents historiques connus de tous, sauf peut-être de certains esprits amnésiques ou à la mémoire historique sélective quand ils ne sont pas de mauvaise foi, y compris certains Africains.
Par-delà les Réparations induites (au plan politique, économique, sociétal), il convient de mettre aussi l’accent sur le contenu culturel et moral des Réparations en termes de réhabilitation des lieux de mémoire, et de restitution de biens culturels spoliés. Sans oublier la question fondamentale de l’autoréparation dont certains axes recoupent ceux de la renaissance culturelle telle que définie plus haut (Guérison psychologique, Régénération morale, Élévation spirituelle) ; et qui se pose en termes d’Auto-libération, de désaliénation mentale: c’est-à-dire de capacité a « décoder les formes, les comportements hérités de l’esclavage et de la colonisation, pour reprogrammer nos propres démarches – y compris notre vision du monde, nos images de Soi et d’Autrui, qui relèvent de notre autorité intérieure ».
C’est bien connu : les questions de souveraineté, de sécurité (militaire, politique, monétaire, alimentaire, sociale, humaine), celles relatives à l’Unification politique et au renouvellement qualitatif du leadership font partie des principaux enjeux et défis du Panafricanisme comme idéologie-doctrine pour le projet, le processus de renaissance, lequel se pose, entre autres, en termes de développement matériel des sociétés africaines et de renaissance culturelle. La renaissance culturelle implique aussi une véritable décolonisation linguistique, ainsi que la valorisation des cultures africaines par une refondation des systèmes d’information, d’éducation, de croyances, et de production des connaissances et des savoirs en Afrique : ce qui bien évidemment ne pourrait être réalisé sans autonomie de la conscience politique, ni renouvellement de l'intelligence politique, de l'inventivité et de la créativité intellectuelles et culturelles en Afrique.
Il est question, dans la présente contribution, de participer à l’effort de mise en ordre et de divulgation d’un corpus d’idées, de concepts et de conceptions de plus en plus affirmés ou réaffirmés dans divers débats, sur un certain nombre de plateformes et fora, de même que dans des documents tels que l’Acte Constitutif de l’Union Africaine ; mais souvent sans la cohérence et la prégnance susceptibles de conférer à une doctrine et/ou idéologie politique comme celle du Panafricanisme, la force d’ancrage nécessaire dans le terreau des luttes politiques et sociales porteuses des aspirations de l’Afrique et des Africains d’aujourd’hui et de demain. D’où la distinction opérée par Elenga Mbuyinga aka Mukoko Priso, entre d’une part, le « Panafricanisme révolutionnaire », celui des peuples, porteur d’espoir et de changement pour la situation et l’avenir des peuples africains et, de l’autre, ce qu’il appelle la « Politique de Démagogie panafricaine », caractéristique à bien des égards, de la vision et des pratiques de l’OUA et même de l’Union Africaine.
Je ne saurais conclure mon propos, sans mentionner une question anodine en apparence mais qui a son importance et sur laquelle je compte aussi revenir prochainement: la question de la graphie fautive de la devise-programme du nouveau leadership sénégalais, devise mal orthographiée par Dr Atchadé et qui devrait s’écrire, selon les normes orthographiques en vigueur : Jub, Jubal/Jubël, Jubbanti/Jubbënti, avec une gémination du graphème /b/ dans le dernier terme de ce tryptique, et dont la prononciation en Walaf standard - à ne confondre ni avec le Walaf pratiqué en Gambie ni avec celui parlé par un seereerophone d’origine, nécessitera une plus grande énergie articulatoire, ainsi qu’illustré dans ce quatrain célèbre extrait de Boroomam de Moussa Ka, dédié au Cheikh Ahmadou Bamba, et dont la beauté, la puissance expressive sont rehaussées par l’emploi judicieux de déterminants d’intensité gann, toyy, domm, sàpp:
« Diis ba ni gann
Wayaf ba ni toyy cik wet
Lewet ba ni domm
Saf sàpp ak boroomam »…
J’avais commencé à travailler sur la présente contribution avant la brillante, puissante conférence publique sur le Panafricanisme, prononcée par notre frère Joomaay Ndongo Faye à l’amphithéâtre Mbaye Guèye de l’Université Cheih Anta Diop (UCAD). Comme tant d’autres, j’y ai beaucoup appris. Néanmoins, j’ai choisi de m’en tenir à la première mouture de ce papier, pour le maintenir dans des proportions raisonnables.
par Malick Sy
OUSMANE SONKO OU L’ENGRENAGE PERMANENT
La politique est un humanisme. Lui en a fait un conflit. Plus préoccupé par l’assise de son hégémonie sur la marche du pays, il peine à dissiper les confusions entre ses habits d’opposant et ceux de chef de gouvernement
Il s’est opposé sur un flot de sang. Il est en train de gouverner sur un volcan. Une gestion sismique qui accumule jour après jour, les signes avant coureurs d’une éruption. Entre sa défiance à l’égard du parlement, ses menaces envers certains médias, ses immixtions présumées dans l’organisation de la grande muette, les sueurs fiscales froides administrées aux entrepreneurs et quelques perditions contre les magistrats, sa gouvernance n’en finit pas de s’installer dans l’engrenage.
À l’évidence, ce n’est pas qu’un simple bouquet de maladresses et de dérapages, mais une composante essentielle de la méthode Sonko qui a occasionné dans un passé encore récent, quelques commotions insurrectionnelles sans précédent au Sénégal.
Aujourd’hui, le contexte a changé. Pas les discours. La réthorique du chef de gouvernement n’est pas sans rappeler les diatribes du chef d’opposition. Cette stratégie de la tension est le cœur du réacteur d’un homme qui ne s’accomplit que dans le conflit. Elle est le marqueur politique d’un combattant qui s’oxygène à l’odeur du champ de bataille, le label d’un rentier de l’illusion qui a fait du vacarme, le terreau de sa spectaculaire ascension politique. Alors pour ceux qui l’imaginent en « casque bleu» du pacte républicain, il faudra certainement repasser.
Il a joué l’alternance sur un ring
Il a beau être chef de gouvernement, Ousmane Sonko ne semble pas prêt à modifier sa posture de «guérillero». Épauler, ajuster, tirer. L’homme n’a rien perdu de ses impulsions combattantes. On ne change surtout pas une stratégie qui gagne. Si la surenchère a catalysé son dessein politique, c’est son instinct guerrier qui a structuré sa lutte de haute intensité contre Macky Sall et son régime. Seul et sans gants, le président du Pastef a joué la troisième alternance sénégalaise sur un ring. Un affrontement périlleux contre un pouvoir qui ne lui a rien épargné, lui infligeant un déluge sans précédent.
Ce jour là, le calendrier indique 24 mars 2024. Les Sénégalais sont appelés aux urnes. Ousmane Sonko, fraîchement élargi de prison, vient de faire basculer tout un système lors d’un scrutin historique. La vague Pastef inonde le pays, provoquant un véritable tsunami électoral. Bassirou Diomaye Faye est élu dès le premier tour. Il devient le cinquième Président de la République du Sénégal. Ce sera le point culminant de l’épopée Sonko. Le PROS comme on l’appelle, entre dans ces instants qui font l’histoire d’un pays pour avoir été l’architecte en chef de la stratégie de conquête du pouvoir par son parti.
Pour un homme qui était sous numéro d’écrou quelques jours plus tôt, personne n'imaginait que cela allait arriver si paisiblement. Surtout si rapidement. À l'échelle de la politique sénégalaise, c’est un fait historique inédit. Jamais, la marche de notre nation n’aura été à ce point, soumise à la volonté et à l’influence d’un seul homme, devenu le principe actif de la scène politique sénégalaise. Alors qu’on l’aime ou pas, Ousmane Sonko, c’est avant tout la force d’une destinée personnelle au service du destin politique du Sénégal.
D’un humanisme, il a fait un conflit
Pour le reste, pas grand chose à voir. Voire rien à signaler. Hier opposant, Ousmane Sonko a compilé promesses mirobolantes et engagements saisissants. Normal qu’en les portant lui et son candidat à la tête du pays, de nombreux Sénégalais espéraient « enfin » voir des remèdes à leur désespoir. Mais plus de 100 jours plus tard, ils sont de moins en moins à trouver des débuts de solution à leurs problèmes. La gouvernance Diomaye-Sonko est déjà source de déception chez de plus en plus de Sénégalais. Une partie de l’opinion, pas encore majoritaire, commence à se retourner contre le régime. Une colère qui s’entend encore de très loin, mais qui pourrait se rapprocher très rapidement, surtout chez les jeunes, qui ont été les moteurs de l’alternance. La réalité du pouvoir a rattrapé le sommet de l’exécutif qui est en train de payer l’addition de longues années de propagande populiste.
À cela, s’ajoute la méconnaissance de l’État. Il y a des fonctions qui requièrent le sens des responsabilités. Celle, particulière qu’occupe Ousmane Sonko, en fait partie. Être Premier ministre oblige à prendre de la hauteur et à respecter les exigences républicaines liées à ce poste. Lui est entré dans la fonction exactement comme il a quitté l’opposition, pénétré de l’illusion de puissance et d’ambitions impériales. Plus préoccupé par l’assise de son hégémonie sur la marche du pays, il peine à dissiper les confusions entre ses habits d’opposant et ceux de chef de gouvernement.
La politique est un humanisme. Lui en a fait un conflit. Vaguement démocrate, infiniment rebelle, plutôt radical et un rien autoritaire, l’homme change si souvent de costume et de posture qu’il est devenu de plus en plus difficile de définir Ousmane Sonko.
La République c’est presque lui
Depuis sa nomination, il sature médias et réseaux sociaux. Il ne compte pas ses mots et parle autant qu’il fait parler. Cette obsession patibulaire d’attirer la lumière et les attentions ont fait d’Ousmane Sonko, l’épicentre du pouvoir. Il a cassé tous les codes de la relation au sein du couple exécutif. Aujourd’hui c’est le Premier ministre qui incarne l’âme de la République, parasitant par la même occasion, la fonction présidentielle.
Ses immixtions dans la politique étrangère, domaine réservé de Bassirou Diomaye Faye ont été décriées. Le sublime est atteint avec l’annonce de sa tournée dans les pays de l’AES. L’affaire du « Général Kande » dans laquelle son nom est cité avait aussi scandalisé et déclenché une forte polémique. L’affectation-éloignement de ce général, tourment selon la clameur populaire des indépendantistes de la Casamance, s’est alourdie du soupçon prêté au Premier ministre de redessiner la carte des alliances militaires sénégalaises.
Cette prérogative qui relève exclusivement du président de la République, chef suprême des armées est au cœur du système nerveux républicain. Si l’épisode du Général Kandé a exposé aux torches médiatiques les secrets militaires. Il fut surtout interprété comme le symbole d’un Premier ministre « jupitérien», affranchi de tout et dont la toute puissance est à la mesure de la concentration inédite de pouvoirs entre ses mains.
Enlisé hors du champ républicain, Ousmane Sonko agit comme s’il était « La République». Une attitude qui rappelle étrangement celle de son tribun d’ami populiste, Jean-Luc Mélenchon, qui s’était opposé à des policiers venus perquisitionner le quartier général de son parti en vitupérant : «la République, c’est moi ». Si toute proximité idéologique entre les deux hommes n’est que fortuite, il faut dire que personne, avant Ousmane Sonko n’a osé rabaisser, à un tel niveau plancher, le seuil du respect que ses prédécesseurs, sans exception, ont manifesté aux institutions de la République.
Le patron du Pastef restera certainement et pour longtemps encore, le seul premier Premier ministre à avoir osé affubler publiquement un chef d’Etat sénégalais, d’un sobriquet (Serigne Ngundu) pour le moins irrespectueux dans l’imaginaire populaire national, comme s’il voulait dynamiter l’autorité et la sacralité de la clé de voûte de nos institutions.
Dans le même registre, jamais aucun Premier ministre en exercice n’avait critiqué aussi violemment les plus hauts gradés de la magistrature sénégalaise. Ousmane Sonko a t-il oublié qu’il ne pouvait plus désormais dire tout ce qui traverse son esprit ? Que ses discours au canon contre les juges, n’étaient désormais plus ceux d’un opposant mais engageaient désormais tout l’Etat ?
Dans sa posture, on doit apprendre à parler bien et à agir juste. Aujourd’hui chef du gouvernement, il devrait ranger son agenda du chaos et éviter de se laisser aller à des outrances qui fragilisent les organismes de notre système immunitaire démocratique.
Pas de honte à se tromper
Tout encore à la propagation de sa geste populiste et à l’élargissement de son périmètre d’influence, l’homme s’est placé à contrepied des espoirs placés en lui. Il a oublié ruptures et promesses. Chef d’un gouvernement qui doit faire face à d’innombrables urgences, lui qui avait promis de guérir les mal voyants et marcher sur Mars au lendemain de sa victoire, est encore loin de là où il est attendu.
Le populisme génère la déception comme l’autoritarisme forme la résistance. À force, le discours de Ousmane Sonko hier, est aujourd’hui perçu comme un catalogue d’illusions. Pape Alé Niang, très proche du Premier ministre, Directeur de la télé nationale et non moins actionnaire certifié du « Projet Pastef », à récemment fait entendre sa voix en demandant au pouvoir « de dire la vérité au sénégalais ». A juste raison.
Car il n’y a pas d’infaillibilité absolue en politique. Il n’y a pas de honte à se tromper. Le «Projet» n’est pas un théorème. Trafiquer la vérité pour des profits politiques participe à alimenter le populisme qui est un fusil à un seul coup. Ousmane Sonko a déjà tiré le sien. Il est désarmé après avoir épuisé tous les champs lexicaux de la conquête des suffrages. Aujourd’hui, les VAR sont là pour saccager une bonne partie de ce qui lui restait de crédibilité aux yeux de l’opinion.
Le Premier ministre ne dispose pas de beaucoup de marge de manœuvre face à l’ampleur de la demande sociale et à l’espérance qu’il a suscitées. Il n’y a pas de croissance magique comme il n’y aura pas d’emplois magiques.
Le vrai combat de Ousmane Sonko est économique et social. Et ce n’est certainement pas dans ses guerres de tranchées avec les patrons de presse, l’Assemblée nationale, l’opposition ou la magistrature, que la jeunesse sénégalaise risque de trouver solution à ses problèmes d’emploi et de formation.
L’effondrement programmé du binôme Diomaye-Sonko ?
L’élection a rendu son office. Le pays a aujourd’hui besoin de calme après avoir été traumatisé et fracturé par un combat sans merci pour le contrôle du pouvoir. Des dizaines de jeunes y ont perdu la vie. Des familles se sont disloquées. Des mariages se sont fracassées. Des amitiés se sont brisées. Des entreprises ont fermé leurs portes. De nombreux sénégalais et étrangers ont perdu leur travail. Plus grave encore, la «dérépublicanisation» de pans importants de notre haute administration, voire de certaines forces de sécurité et de défense qui ont piétiné leur serment de loyauté vis à vis de l’État.
Les piliers de la République ont chancellé. Les fondements de la nation ont vacillé. C’est tout le sens du chantier du président Faye qui doit remettre côte à côte un peuple que le combat sanglant entre Macky Sall et Ousmane Sonko a mis face à face.Le Sénégal a besoin d’un exécutif capable de s'élever à la hauteur de la grandeur démocratique de notre pays et des espérances de son peuple. Pour le coup, on ne peut pas encore dire qu’il y a de la lumière à tous les étages du pouvoir Diomaye-Sonko.
Ce qui détermine souvent la longévité d’un couple se trouve dans l’équilibre des responsabilités. Nous sommes loin du compte avec ce qui ressemble à aujourd’hui une subordination du président à son Premier ministre. Une inversion inédite des pouvoirs entre « deux amis » qui incarnent l’état au plus haut niveau.
Aux antipodes l’un de l’autre, entre le président et le Premier ministre, c’est l’entente politique cordiale sur fond de mise en scène médiatique. Le duo est sans heurts. Tout au moins our le moment. Aujourd’hui chacun sert de bouclier à l’autre, même si nous sommes loin des effusions théâtralisées d’antan. Mais une un chose est sûre, cette union sacrée de circonstance, n’est pas exempte de calculs politiques. Tous ont 2029 en ligne de mire. « Mais trop tôt pour en parler », dixit le président face à la presse senegalaise le 13 juillet dernier. Alors, trop tôt pour parler de rivalité entre lui et son Premier ministre ? Peut être. Trop tôt pour écrire l’oraison funèbre de la saga Diomaye-Sonko ? Certainement.
Sauf que derrière le rideau des convenances entre amis, Diomaye et Sonko pensent aussi à demain. Et pas que devant leur miroir. Le seul suspense concerne qui pliera devant l’autre. Qui laissera le champ libre à l’autre. Le moment de la sonnerie du glas, qui sera indexé sur le ballet de leurs ambitions respectives, alimente déjà toutes les spéculations autour de l’espérance de vie du « ticket Bassirou-Ousmane ».
Le risque pourrait être alors grand de voir le pays entrer dans une sorte de cohabitation à fleuret moucheté, à la sénégalaise, avec deux acteurs du même bord politique. Le début d’une guerre d’usure inédite au sommet de l’état dans laquelle, le contrôle de l’arme du temps sera décisif entre un Sonko conquérant mais à l’activisme frénétique et autodestructeur et un Diomaye sans étincelle, à la tempérance de cardinal mais qui pique de plus en plus, le cœur des Sénégalais.
Malick Sy est journaliste, conseiller en communication.
UN COLLOQUE POUR FAIRE REVIVRE LA MÉMOIRE DU MASSACRE DE THIAROYE
Ce rendez-vous scientifique prévu les 2 et 3 décembre 2024 va rassembler historiens, littéraires, politologues, artistes et acteurs locaux autour du crime perpétré par l'armée française contre des tirailleurs sénégalais désarmés en 1944
À l'approche du 80ème anniversaire du drame de Thiaroye, l'Université Cheikh Anta Diop de Dakar organise un colloque interdisciplinaire les 2 et 3 décembre 2024 pour revisiter cet événement majeur de l'histoire coloniale. Intitulé "Le massacre du Camp de Thiaroye en 1944 : enjeux historiographiques, fictions et imaginaires politiques", ce rendez-vous scientifique rassemblera historiens, littéraires, politologues, artistes et acteurs locaux autour du massacre perpétré par l'armée française contre des tirailleurs sénégalais désarmés le 1er décembre 1944.
Longtemps occulté, ce drame qui a fait des centaines de victimes a progressivement émergé dans les recherches historiques, mais aussi dans les œuvres artistiques et le débat public. Le colloque explorera ainsi les nouvelles pistes de recherche historique, les représentations culturelles variées inspirées par le massacre, ainsi que les enjeux politiques et mémoriels qu'il soulève encore.
Une journée sera dédiée aux populations de Thiaroye afin de recueillir leurs témoignages et leurs perspectives spécifiques. L'événement donnera lieu à la rédaction d'un "Appel de Thiaroye" visant à perpétuer le travail de mémoire autour de cette tragédie. Historiens, artistes et militants de diverses disciplines croiseront ainsi leurs regards pluriels sur un pan douloureux mais essentiel de l'histoire.
Retrouvez ci-dessous l'appel à communications de cet événement.
APPEL À COMMUNICATIONS
Colloque interdisciplinaire et international organisé dans le cadre du 80 ème anniversaire du massacre de Thiaroye en 1944
Thème : « Le massacre du Camp de Thiaroye en 1944 : enjeux historiographiques, fictions et imaginaires politiques »
Dates : 2-3 décembre 2024 à Thiaroye et à la Faculté des Lettres et Sciences Humaines de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar (Sénégal)
Organisateurs : Faculté des Lettres et Sciences Humaines (UCAD), Festival Thiaroye 44, Mairie de Thiaroye Gare, Mairie de Thiaroye-sur-Mer
Argumentaire :
Depuis quelques années, à Thiaroye même, cadre en 1944 de l’horrible massacre perpétré par les soldats de l’armée coloniale française contre des tirailleurs sénégalais de retour de la Deuxième Guerre Mondiale, des initiatives sont prises par des groupes et individus qui se battent pour sauver de l’oubli ce pan honteux de l’histoire franco-africaine. Festival, représentations théâtrales, fresques murales, chansons sont autant de forme d’expression ayant permis aux habitants de cette localité de raviver la mémoire du massacre. Au-delà de cette commune de la banlieue dakaroise, dans le reste du Sénégal et de l’Afrique, dès la fin des années 1940, d’autres voix, artistes engagés et militants politiques, se sont faites entendre pour dénoncer cette injustice et demander des explications sur le funeste sort des soldats africains tués à Thiaroye, signe que très tôt cet événement est devenu un symbole de la violence coloniale. Après le poème Tyaroye de Léopold Sédar Senghor, il aura fallu attendre les années 1970 pour que des recherches historiques et des textes littéraires relevant de genres et de disciplines différents, fassent de ce triste évènement le sujet de leur discours scientifique. Des années 1970 aux années 2000 des historiens, sénégalais et canadiens notamment, vont chercher à documenter ce qu'il s'est passé ce matin du 1er décembre 1944 (Faye, 1970, Echenberg, 1978, Diop 1993 ; Guèye, 1995). Ces travaux scientifiques se sont entremêlés avec des œuvres d'art, produisant un mélange des genres comme, par exemple, la pièce de théâtre de l'historien Cheikh Faty Faye reproduite dans le journal And Sopi de la gauche des années 1970 et parue en 2005. Si de nombreuses œuvres comme Aube Africaine du Guinéen Keita Fodéba s’étaient déjà emparées du drame de Thiaroye, ce qui allait véritablement faire connaitre cet événement au grand public fut le film d’Ousmane Sembène et Thierno Faty Sow, Camp de Thiaroye, sorti en 1988 (Parent, 2014). Notons enfin, que, par d’autres voies, les populations de Thiaroye et d’autres contrées ont toujours essayé à leur tour de produire un discours testimonial ou de remémoration qui nourrit encore un riche imaginaire et des représentations insuffisamment exploitées par la recherche universitaire.
La trajectoire de la mémoire culturelle de Thiaroye est bien sûr indissociable de celle, plus large, des tirailleurs dit sénégalais. Celle-ci, après avoir été plus ou moins enfouie aux lendemains des indépendances ré-émerge, au Sénégal, à la fin des années 1990 avec la disparition du dernier tirailleur de la Première Guerre mondiale en 1998, puis avec l’instauration d’une Journée du tirailleur en 2004 par le président Abdoulaye Wade. De manière concomitante, dans les années 1990 et 2000, plusieurs travaux d’historiens – notamment nord-américains – s’intéressent aux tirailleurs, et plus spécifiquement à ceux de la Seconde Guerre mondiale, évoquant alors le massacre du 1er décembre 1944 en quelques lignes (Echenberg, 1991, Lawler, 1996, Mann 2006). Mais c’est à partir des années 2010 que les recherches les plus conséquentes sur Thiaroye ont lieu. Elles montrent particulièrement la trajectoire de ces soldats avant leur arrivée au Sénégal (Cousin, 2011 ; Scheck, 2012), la manière dont Thiaroye pouvait s’insérer dans une histoire orale des tirailleurs (Sow, 2018), les injustices de la captivité en France puis les spoliations que ces hommes avaient subies de la part de l’administration française et même les tentatives pour dissimuler ce qu’il s’était produit (Mabon, 2010 ; Mourre 2022), ou encore les enjeux de reconstructions mémorielles auxquelles cet événement a donné lieu sur le temps long (Mourre, 2017). Parallèlement à ces travaux d’historiens, citons les nombreuses œuvres culturelles qui produisent différentes représentations de ce massacre, qu’elles soient musicales ( Niominka Bi, Adioa, Mao Sidibé, Wa BMG 44), théâtrales, avec des pièces écrites (Aïcha Euzet, Alice Carré, ou Alexandrea Badea) ou jouées (par le rappeur Stomy Bugsy) ou encore le film de François-Xavier Destors et Marie-Thomas Penette, Thiaroye 44, sorti en 2021. Ces exemples, loin d’être exhaustifs, montrent à quel point Thiaroye occupe une place à part dans les représentations coloniales, en France et au Sénégal. Ces représentations ont souvent eu un caractère politique. C’est cette dimension qui explique la décision des nouvelles autorités politiques du Sénégal qui se sont ainsi emparées de cette question en voulant faire du 80ème anniversaire du massacre un événement mémorable dix ans après que, en 2014, le président français François Hollande soit venu dans l’enceinte du cimetière militaire prononcer un discours.
Ce colloque, qui se déroulera sur deux jours à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar et à Thiaroye même, ambitionne donc de faire dialoguer des historiens attentifs à de nouveaux questionnements sur le déroulement des événements, des littéraires s’intéressant à cet incessant travail de création et de récréation autour de Thiaroye, des politistes travaillant sur les usages de l’histoire de Thiaroye, que ceux-ci soient le fait de gouvernements ou de militants, des acteurs du monde des arts (cinéastes, musiciens, peintres, photographes, graffeurs) et de l’éducation. En organisant une journée sur les lieux même du massacre, les organisateurs, dans une perspective de recherche participative, ont pour ambition d’impliquer les populations de Thiaroye et des localités environnantes et d’être à l’écoute de leurs discours spécifiques sur cet événement. Ce sont tous ces discours historiographiques, œuvres de fictions et imaginaires politiques que les participants de ce colloque interdisciplinaire chercheront à analyser. Pour cela, les communications pourraient s’inscrire dans l’un des axes suivants bien que des interventions inscrites dans d’autres thématiques seront aussi les bienvenues :
Axe 1. Nouvelles pistes historiques sur le massacre de Thiaroye
État des recherches historiques
Quelles nouvelles sources (orales, archives administrative) pour travailler sur le massacre
Histoires de rescapés et de descendants de victimes
Techniques archéologiques et pistes pour procéder à l’exhumation des victimes
Au-delà de Thiaroye : perspectives comparatives, héritage et continuité historique
Axe 2. Représentations artistiques, imaginaires autour du massacre et transmission
Les œuvres littéraires et artistiques (cinéma, musique, peinture, etc.)
La mémoire du massacre chez les populations thiaroyoises
Thiaroye et mémoire familiale
Enseigner Thiaroye 44
Axe 3. Thiaroye comme objet politique
Les discours officiels sur Thiaroye
Les discours militants autour de Thiaroye
Thiaroye parmi les anciens combattants
Ce colloque sera clôturé par un appel de Thiaroye qui sera rédigé et signé par l’ensemble des participants.
Les propositions de communication seront reçues jusqu’au 15 septembre 2024 à minuit à l’adresse suivante : colloquethiaroye44@gmail.com
La réponse du comité sera donnée 15 jours plus tard.
Bibliographie indicative
Beye Ben Diogaye, Diop Boubacar Boris et Little Roger, Thiaroye 44 : scénario inédit, édité par Martin Mourre et Roger Little, L’Harmattan, 2018
Diallo Doudou, « L’aube tragique du 1er décembre 1944 à Thiaroye », Afrique Histoire n° 7, 1983, p. 49-51.
Diop Samba, « ‘Thiaroye 1944’, massacre de tirailleurs, ex-prisonniers de guerre », mémoire de maitrise d’histoire, Université Cheikh Anta Diop, non publié, 1993.
Echenberg Myron « The Senegalese Soldiers' Uprising of 1944 » in African Labor History, Beverly, Hills/Londres, Sage, 1978, pp. 109-128
Faye Cheikh Faty, « L’opinion publique dakaroise (1940-1944) », mémoire de maitrise d’histoire, Université Cheikh Anta Diop, non publié, 1970
Faye Cheikh Faty, Aube de sang, Paris, L’Harmattan, 2005
Gueye M’Baye, « Le 1er décembre 1944 à Thiaroye, ou le massacre des tirailleurs sénégalais anciens prisonniers de guerre », Revue sénégalaise d'histoire, n°1, 1995, pp. 3 -23.
Kamian Bakary, Des tranchées de Verdun à l’église Saint-Bernard. 80 000 combattants maliens au secours de la France, 1914-1918 et 1939-1945, Paris, Karthala, 2001
Jennings Eric, La France libre fut africaine, Paris, Perrin, 2014.
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Van den Avenne Cécile, « ‘Les petits noirs du type y a bon banania, messieurs, c’est terminé’. La contestation du pouvoir colonial dans la langue de l’autre, ou l’usage subversif du français-tirailleur dans Camp de Thiaroye de Sembene Ousmane », Glottopol n°12, 2008, p. 111-122.
La publication de la déclaration de patrimoine du président a suscité de nombreuses interrogations quant aux privilèges accordés à certains fonctionnaires. Les experts appellent à plus de transparence et d'équité dans le traitement des agents publics
La déclaration de patrimoine du président de la République Bassirou Diomaye Faye a été rendue publique. Et si plusieurs observateurs saluent l'acte qui obéit à un besoin de transparence, cette déclaration soulève beaucoup de questions sur les privilèges comme les fonds communs accordés à certains agents de la fonction publique.
Salaire, immeubles bâtis, immeubles non bâtis. ..La déclaration de patrimoine du nouveau président de la République Bassirou Diomaye Faye, faite le 2 juillet passé devant le Conseil constitutionnel, a été rendue publique. Le chef de l'Etat donne ainsi l'exemple et cette publication a été accueillie favorablement par plusieurs membres de la société civile qui saluent l'effort de transparence.
Toutefois, cette déclaration qui met en exergue l'attestation de revenus annuels extra salariaux comme les fonds communs et les primes d'incitation au rendement fait couler beaucoup d'encre et remet au goût du jour la sempiternelle question du traitement à géométrie variable dans l'administration, décrié par certains agents.
De ce fait, à la lumière de la déclaration de patrimoine du président Bassirou Diomaye Faye, force est de constater que sa maison à Mermoz, bâtie sur une parcelle de 200 m2, est attribuée par le syndicat des Impôts. Ainsi au-delà de la déclaration qui est salutaire au demeurant, la réflexion ne consistera-t-elle pas à revoir la justice distributive au sein de l'administration comme le suggère le directeur de Legs Africa.
Réagissant à la publication de cette déclaration de patrimoine du cinquième président de la République, Elimane Kane est en effet sans ambages sur la question. ''Traiter la question des revenus, c'est aussi attaquer le défi des inégalités, en plus de l'obligation de transparence des finances publiques'', soutient-il. Il faut en profiter, d'après lui, pour poser la question de la transparence, de la Justice et de l'équité dans la détermination des revenus des agents publics. ''C'est la question de la Justice distributive des ressources publiques'', fulmine-t-il.
Élimane Kane, Legs Africa : ''les inspecteurs des impôts sont injustement privilégiés''
Signalant dans la foulée que la publication de la déclaration de patrimoine du Président par le Conseil constitutionnel est devenue un acte élémentaire de gouvernance, '' elle est prévue par la loi depuis 2013'', renchérit-il. Poursuivant son analyse suscitée visiblement par cette déclaration, il pense que les inspecteurs des Impôts et autres corps liés aux régies financières sont non seulement injustement privilégiés, mais, note-t-il, il y a même un conflit d'intérêts dans la définition des fonds communs et des primes de performance par arrêté, ''quand on sait que le plus souvent, le ministre des Finances est lui-même inspecteur des Impôts'', se désole Élimane Kane répondant aux questions de l'AS.
Cheikh Guèye : '' On ne peut pas reprocher au président de la République d'être dans une bourgeoisie, ce que reflète sa déclaration de patrimoine ''
De son côté, le chercheur Cheikh Guèye estime que le président de la République l'avait promis, il l'a fait. '' Mais il ne faut pas que cette déclaration de patrimoine soit interprétée comme quelque chose d'exceptionnel'', relativise le cadre à IPAR. Donnant son avis en outre sur le contenu de la déclaration de patrimoine, il indique qu'il ne peut pas reprocher au chef de l'Etat d'être dans une bourgeoisie. ''Ou dans la classe moyenne supérieure, ce que reflète effectivement sa déclaration de patrimoine'', renseigne-t-il non sans affirmer néanmoins qu'au regard de cette déclaration, le président de la République n'est pas aussi dans le cas d'une personne qui n'a pas plus que ce qu'il devrait avoir. ''C'est l'objet aussi de la déclaration ; c'est de voir si à travers les choses qu'il a déclarées, il y a des biens illicites ou immoraux'', précise le prospectiviste. Il salue toutefois cette décision du Président Bassirou Diomaye Faye. ''Je considère qu'il donne l'exemple. Le plus important, ce n'est pas la déclaration de patrimoine mais qu'il soit une locomotive pour que non seulement ses ministres mais aussi ses directeurs puissent faire leur déclaration'', se réjouit-il avant d'ajouter : ''Cela nous permet de voir aussi qu'on n’a pas confié le pays à des voleurs et dans quelques années, on pourra voir qu'ils se sont ou pas enrichis''.
Élargir le champ des personnes assujetties à la déclaration de patrimoine. Par ailleurs, il faut signaler qu'aux termes des dispositions de l’article 2 alinéa 1 de la loi n°2014-17, la déclaration de situation patrimoniale doit être faite par le président de la République, le président de l’Assemblée nationale, le Premier Questeur de l’Assemblée nationale ; Le Premier ministre et les ministres ; le président du Conseil économique, social et environnemental. Et beaucoup d’analystes pensent que les personnes qui doivent être assujetties en vertu du critère institutionnel sont insuffisantes. Des autorités comme le président du Haut Conseil des Collectivités territoriales (HCCT) doivent y figurer. En outre, sur la liste des autorités assujetties, en vertu du critère institutionnel, à la déclaration de patrimoine, on doit y inscrire les présidents des autres institutions de la République. Il s’agit du président du Conseil constitutionnel, du président de la Cour suprême, du président de la Cour des Comptes et ceux de l’ensemble des Cours et Tribunaux. .
LES SALAIRES DES DIRECTEURS D'AGENCES CONNUS
Les salaires des directeurs ont été échelonnés en 4 catégories. En première catégorie se trouvent les directions les plus importantes de l’État comme l’ARTP, ADIE avec un salaire de 5 millions.
Dans une perspective d’une gestion transparente, le nouveau régime a publié les salaires des directeurs généraux, Présidents de Conseil d’Administration (PCA) et président de conseil de surveillance. Selon un communiqué publié, les salaires des directeurs ont été échelonnés en 4 catégories. En première catégorie se trouvent les directions les plus importantes de l’État comme l’ARTP, ADIE avec un salaire de 5 millions. La deuxième catégorie, ARM, ADPME dont les directeurs touchent 4 millions par mois. Les directeurs des agences de troisième catégorie touchent 3 millions par mois. Et enfin ceux de la quatrième catégorie touchent 2 millions par mois.
Les membres du conseil de surveillance de la première catégorie perçoivent 300.000 FCFA par session et non un salaire. Ceux de la deuxième catégorie 250.000 FCFA par session. Les membres du conseil de surveillance des troisième et quatrième catégorie perçoivent respectivement 200.000 FCFA et 150.000 FCFA par session.
À noter que le journal officiel a publié ce 29 juillet la déclaration de patrimoine du chef de l’État fait au Conseil constitutionnel. On peut y voir le montant du salaire du Président Bassirou Diomaye Faye qui est à un peu moins 5 millions de FCFA.
LE FRAPP DÉPOSE UNE LETTRE POUR LA DÉCOLONISATION DES RUES DE DAKAR-PLATEAU
Le Front pour une Révolution Anti-impérialiste Populaire et Panafricaniste avait déposé, le 15 avril 2022, une demande pour que le conseil communal rebaptise les avenues portant des noms de colonisateurs, mais en vain.
Le Front pour une Révolution Anti-impérialiste Populaire et Panafricaniste (FRAPP)/France-dégage annonce dans un communiqué qu’il va déposer des lettres auprès des mairies de Dakar-plateau ce mardi 30 juillet à partir de 10 heures
Ce, pour demander la décolonisation des rues, avenues et places publiques portant des noms de colons.
A part l’avenue Macky Sall qui a été rebaptisé, bon nombre des rues de Dakar-plateau portent le nom de colons et autres hommes politiques français.
Pour rappel, le FRAPP avait déposé, le 15 avril 2022, une demande à la mairie de Dakar Plateau pour que le conseil communal rebaptise toutes les rues et avenues portant des noms de colonisateurs, mais en vain.
« Nous ne voulons plus qu’il y ait des noms de tortionnaires français et européens pour nos rues. Nous avons suffisamment de fils sénégalais et africains qui ont fait beaucoup de choses pour leur pays et à qui nous pouvons donner le nom de ces rues et avenues », a déclaré le coordonnateur de FRAPP Dakar.
LES JEUX, LE VACARME, NOTRE LASSITUDE
La cérémonie d’ouverture des Jo, par sa célébration du métissage et du progressisme, a été une réponse intelligente et fine aux fantasmes morbides d’un pays fermé, vieillot et rabougri
Les Jeux Olympiques d’été célèbrent tous les quatre ans les valeurs de l’Olympisme, que sont l’excellence, le respect et l’amitié. Des athlètes de tous les coins du monde se retrouvent pour des compétitions à travers lesquelles on promeut la tolérance, l’ouverture et le respect de l’autre. Je suis un spectateur attentif des Jeux depuis toujours, car j’aime le sport, la magie qu’il véhicule et aussi parce que j’admire le dépassement de soi des athlètes, les belles histoires qui accompagnent certaines destinées ainsi que la célébration de l’universel.
Cette année, le Comité d’organisation de Paris 2024 a réussi une belle prouesse, digne des plus grands moments festifs de l’histoire. Le choix opéré par l’organisation de rompre avec la tradition des festivités dans un stade a été une idée de génie. La Seine dont la beauté et le cours silencieux sont parmi les trésors de Paris, a servi de cadre à un spectacle féérique. Paris 2024 fera date, comme en témoignent les recensions de la presse internationale, qui n’a pas tari d’éloges devant une si belle organisation.
Suiveur attentif des grands événements sportifs et des célébrations festives qui les ponctuent, j’ai rarement vu quelque chose d’aussi beau que la cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques de Paris.
Les Jo sont un grand moment sportif, mais ils sont aussi, pendant quelques semaines, le prétexte de la monstration de ce qu’un pays a à offrir au monde. On profite de cette fenêtre pour montrer la culture, l’histoire, le patrimoine. A ce sujet, il faut relever que Paris a des atouts. Elle dispute sans doute le titre de plus belle ville au monde à quelques autres dont Rome et Saint-Louis du Sénégal. Il est d’ailleurs dommage que cette dernière soit si mal tenue…
Paris fut donc un magnifique écrin pour la cérémonie d’ouverture. La France a une vieille et riche histoire, faite de moments fastes comme de périodes sombres. Thomas Jolly, metteur en scène du spectacle, et ses équipes ont eu raison de ne pas se censurer et de montrer dans leurs différents tableaux l’histoire de leur pays dans sa complexité. D’ailleurs, aucun pays ne peut se glorifier d’une histoire sans tache, mais il faut du courage et un grand sens de l’honnêteté pour ne pas céder à la réécriture historique qui cache une partie pour n’en valoriser qu’une autre.
Le symbole donne à penser, disait Ricoeur. Les Jo sont organisés au moment où la France traverse une crise de régime, avec une confusion issue d’élections législatives, qui ont fait d’un parti nationaliste et à la souche raciste, antisémite et islamophobe, la première formation politique dans le pays en termes de suffrages et de parlementaires. C’est dans un pays fracturé où les atteintes à la dignité des personnes noires, arabes et musulmanes sont quotidiennes que sont célébrées en ce moment les valeurs d’ouverture et de tolérance prônées par l’Olympisme.
J’ai toujours été convaincu que dans les moments sombres et de doute, la culture et le sport restent des réponses pertinentes à la fermeture des esprits et au rejet de l’autre. La cérémonie d’ouverture des Jo, par sa célébration du métissage et du progressisme, a été une réponse intelligente et fine aux fantasmes morbides d’un pays fermé, vieillot et rabougri ; un pays dont certains voudraient qu’il s’abaisse au tri systématique des hommes et des femmes selon leur origine, leur couleur ou leur religion.
J’ai été touché par la prestation sublime de notre compatriote Guillaume Diop, premier noir à accéder au statut de danseur étoile de l’Opéra de Paris. Celle de Aya Nakamura, sortant du siège de l’Académie française entourée par la Garde républicaine, revêt aussi un sens symbolique particulier tellement cette femme talentueuse subit des insultes racistes depuis des années. Le choix de deux personnes non blanches, Marie-José Pérec et Teddy Riner, pour allumer la flamme olympique constitue le clou d’un spectacle qui a fait rager les racistes et les identitaires partisans d’une France blanche et chrétienne, désormais disparue, à juste titre.
La cérémonie est une claque monumentale à tous les racistes, engoncés dans leur bêtise pour toujours voir l’autre selon le prisme du sectarisme. Je n’ai pu m’empêcher de penser au choix du Comité olympique sénégalais de désigner la sénégalaise d’origine française Jeanne Boutbien comme porte-drapeau du Sénégal à Tokyo. Sur les réseaux sociaux et dans certains médias bruissait la sotte parole sectaire et exclusive. Ceux qui la traitaient vulgairement de toubab pour la délégitimer refusent encore d’accepter que le Sénégal soit un pays dont la vocation est de faire mélange. Celles et ceux qui conspuaient Mlle Boutbien sont ici les pendants de ceux qui là-bas excluent Aya Nakamura et lui refusent d’exister. Ils sont des militants de la sottise et de l’ignorance constante.
Pendant que les athlètes sénégalais comme Oumy Diop, Yves Bourhis, et leurs camarades honorent, par leur hargne et leur talent, le drapeau national à Paris, le vacarme des pseudo-panafricanistes, antiFrance, en vrai des complexés, nous importune. Leurs complaintes, leurs appels à en découdre avec la France relèvent davantage de la névrose. Ils s’enferment dans une camisole de colonisés, qui refusent de penser en dehors du prisme de l’opposition avec la France alors que le monde est vaste et les opportunités nombreuses. Comme pour ne rien arranger, le fou du village s’en est mêlé. Vraisemblablement peu familier des livres d’histoire, pour ne pas dire pas du tout, il s’invite à...Thiaroye. Heureusement qu’entre l’escrime, la natation et le basket, nos yeux et nos oreilles sont occupés à des choses bien plus dignes d’intérêt…
Post-scriptum : ici s’achève la quatrième saison de «Traverses». Le retour de la chronique est prévu en septembre, sauf changement
BIRAM SENGHOR, LA VOIX DU DEVOIR DE MÉMOIRE
La France ne peut plus ignorer son passé colonial. Le témoignage de Biram Senghor, dont le père a été exécuté à Thiaroye en 1944, résonne comme un appel à la reconnaissance des responsabilités et à la publication des archives
(SenePlus) - À 86 ans, Biram Senghor n'a jamais renoncé à obtenir justice pour son père, M'Bap Senghor, l'un des six tirailleurs sénégalais exécutés à Thiaroye le 1er décembre 1944 par des officiers de l'armée française. Un combat de plusieurs décennies qui vient de connaître une avancée significative, comme le rapporte RFI.
Le 28 juillet 2024, le gouvernement français a reconnu que ces six tirailleurs, dont quatre Sénégalais, étaient "Morts pour la France". Une décision saluée par Biram Senghor comme "une victoire", mais qui n'efface en rien les blessures encore vives laissées par ce drame sanglant de l'époque coloniale.
"En novembre 1944, il restait seulement à leur reverser leur pécule. Ils l'ont réclamé à l'autorité coloniale et le gouverneur général a donné l'ordre de les abattre. C'est comme ça qu'il est mort assassiné par la France parce que les autorités françaises ont donné l'ordre de les tuer", témoigne M. Senghor à RFI avec une émotion palpable.
Depuis le jour tragique où son père, alors âgé de 42 ans, a perdu la vie sous les balles des troupes coloniales, Biram Senghor n'a eu de cesse de réclamer la vérité et la reconnaissance des responsabilités. "Vous savez, la France n'a jamais été tendre avec moi. Depuis cette date de 1944, j'ai suivi cette affaire", confie-t-il à la radio internationale française.
Dès 1948, les autorités coloniales ont tenté de clore le dossier en le convoquant, ainsi que sa mère. Mais Biram Senghor a opposé un refus catégorique à tout classement précipité de cette affaire. "En 1953, ils ont voulu classer et j'ai dit non", affirme-t-il avec fermeté à RFI.
Au fil des décennies, l'obstination de cet homme a fini par payer. Aujourd'hui, il attend désormais que la France aille plus loin en réparant le préjudice subi par sa famille. Mais son combat dépasse son cas personnel.
"La France, dans ses documents, elle sait combien d'individus elle a tué ici à Thiaroye en 1944. Les Français ne peuvent pas ne pas connaître. Je trouve que ça, ce n'est pas sérieux", dénonce-t-il avec force à RFI.
Biram Senghor appelle ainsi à la publication intégrale des archives de l'époque, persuadé que les autorités françaises détiennent des informations cruciales sur l'ampleur réelle du massacre. Une quête de vérité qu'il poursuit inlassablement, porté par la mémoire tenace d'un fils qui n'a jamais pu faire son deuil.
"Leurs corps ont été jetés dans une fosse commune sans la moindre sépulture décente. C'est une insulte suprême à leur mémoire et à leur sacrifice", déplore-t-il avec amertume à RFI, citant les mots d'un survivant de cette tragédie.
À l'instar de nombreuses voix qui s'élèvent aujourd'hui pour demander des comptes à l'ancien pouvoir colonial, Biram Senghor incarne la détermination inflexible à faire reconnaître les souffrances trop longtemps tues. Son témoignage, relayé par RFI, est un puissant rappel des blessures encore à panser et du devoir de mémoire qui incombe à la France.
VIDEO
UN MENSONGE VIEUX DE 80 ANS S'EFFONDRE
La France reconnaît enfin la vérité sur le massacre de Thiaroye. Six tirailleurs, jadis qualifiés de mutins, sont désormais reconnus morts pour la France. Cela ouvre la voie à un procès en révision crucial, comme le révèle l'historienne Armelle Mabon
Dans une interview accordée à TV5 Monde dimanche 28 juillet 2024, l'historienne Armelle Mabon lève le voile sur l'un des épisodes les plus sombres de l'histoire coloniale française. Le massacre de Thiaroye, longtemps dissimulé sous les apparences d'une mutinerie, refait surface avec la reconnaissance posthume de six tirailleurs sénégalais morts pour la France.
"C'est un crime d'État", affirme sans détour Mabon, auteur de "Prisonniers de guerre indigènes : visages oubliés de la France occupée". Selon elle, ce massacre prémédité par l'armée française en 1944 a fait bien plus que les 35 victimes prétendument reconnues. Les estimations parlent de jusqu'à 400 morts, un chiffre dissimulé par la falsification systématique des archives.
Cette reconnaissance tardive ouvre enfin la voie à un procès en révision tant attendu. "Grâce à cette mention 'mort pour la France', le procès en révision va pouvoir aboutir", explique l'historienne. Ce processus juridique pourrait non seulement innocenter les 34 tirailleurs injustement condamnés à l'époque, mais aussi ouvrir la porte à des réparations pour les familles des victimes.
Mabon insiste sur l'importance de ce tournant : "Le garde des Sceaux a maintenant tout pouvoir pour faire le nécessaire afin que le procès en révision aboutisse." Cette avancée, bien que significative, n'est qu'un premier pas. L'historienne appelle à la divulgation complète de la liste des victimes et des rapatriés, ainsi qu'à la reconnaissance officielle du mensonge d'État qui a perduré pendant huit décennies.
Alors que la France commence à peine à affronter ce chapitre douloureux de son passé colonial, l'interview d'Armelle Mabon sur TV5 Monde souligne l'urgence de la vérité et de la justice pour les tirailleurs sénégalais et leurs descendants. Le procès en révision à venir pourrait marquer un tournant décisif dans la reconnaissance et la réparation de ce crime longtemps occulté.