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28 novembre 2024
Culture
«CINÉ MIGRATION» MISE SUR L’ART COMME INSTRUMENT D’INFORMATION
La Caravane «Ciné Migration» de sensibilisation des populations sur les dangers et conséquences désastreuses de l’émigration clandestine et irrégulière au Sénégal, était avant-hier à Saint-Louis pour dérouler son activité.
La Caravane «Ciné Migration» de sensibilisation des populations sur les dangers et conséquences désastreuses de l’émigration clandestine et irrégulière au Sénégal, était avant-hier à Saint-Louis pour dérouler son activité. Celle-ci était marquée par une séance de mobilisation sociale et de projection d’un film sur les dures conditions de vie des jeunes candidats africains, à cette migration irrégulière. Ce film met en exergue les tranches de vies de ces derniers, confrontés à d’énormes difficultés pour traverser les frontières marocaines, mauritaniennes et algériennes dans le seul but de rallier les côtes espagnoles qu’ils considèrent comme étant l’eldorado.
En effet, Ciné migration vise à valoriser les communautés locales grâce à leur participation active aux activités et à soutenir la cohésion sociale et le dialogue intergénérationnel. Cette caravane s’inscrit dans le cadre du Projet «Gouvernance, Migrations et Développement» (GMD) qui est mis en œuvre par la Direction Générale d’Appui aux Sénégalais de l’Extérieur sur financement de l’Union Européenne.
Le représentant de GMD, Mamadou Diallo, a saisi l’occasion pour rappeler la mise en place d’un fonds d’un milliard de francs CFA pour renforcer la lutte contre la migration irrégulière. «Le projet GMD, prévoit, à travers des fonds régionaux et nationaux, d’appuyer les migrants de retour et les potentiels migrants issus de couches vulnérables, que sont les jeunes et les femmes mais aussi les associations de migrants. «Ces fonds pourront contribuer ainsi aux processus d’intégration et de réinsertion des migrants de retour et de potentiels migrants actifs dans les secteurs de l’agriculture, de l’artisanat entre autres. Ils seront octroyés suivant une procédure rigoureuse, et bien définie par un comité de sélection», a-t-il précisé tout en soutenant que cette vision de la lutte contre la migration irrégulière offre de «réelles perspectives aux populations pour renforcer leur formation, leur insertion professionnelle et contribuer également au développement du pays».
À en croire toujours Mamadou Diallo, l’art devient un instrument d’information pour transmettre des messages à un public très varié atteignant les communautés les plus sujettes à la migration, et informant aussi bien les jeunes que les familles, qui jouent généralement un rôle crucial dans la décision des migrants de partir. Le spectacle est poignant et désolant lorsqu’on les montre périr atrocement en haute mer, après avoir fait l’objet d’une surcharge inhumaine à bord des zodiacs vidés de leur air au bout d’un voyage d’une journée éprouvante en plein océan Atlantique.
LES ROMANS AFRICAINS DE LA RENTRÉE LITTÉRAIRE
Leurs nouveaux livres sont toujours très attendus : Jeune Afrique en a sélectionné cinq qui feront parler d’eux
Jeune Afrique |
Anne Bocandé, Fatoumata Diallo, Mabrouck Rachedi, Nicolas Michel |
Publication 25/08/2022
Que lire en cette rentrée littéraire ? Au milieu des 490 romans publiés, nous vous proposons cinq romans d’écrivains africains dont les signatures sont déjà des références.
À la vie, à la mort
« Tu ne cesses de te le répéter au point d’en être désormais convaincu : une nouvelle vie a débuté pour toi il y a moins d’une heure lorsqu’une secousse a écartelé la terre alentour et que tu as été comme aspiré par un cyclone avant d’être projeté là où tu te retrouves maintenant, au-dessus d’une éminence de terre dominée par une croix en bois toute neuve. Je respire ! Je vis ! T’étais-tu à ce moment-là murmuré en signe de victoire. Mais à présent, alors que la clarté du jour pointe à l’horizon, tu n’es plus du tout habité par cette certitude. Les images qui te hantent sont plutôt celles de tes dernières heures, celles d’un trépassé cloîtré dans un cercueil et conduit en grande pompe dans sa demeure finale, ici, au cimetière du Frère-Lachaise. »
Le décor est planté. C’est par un début tragique qu’Alain Mabanckou, prix Renaudot 2006, commence son roman. Liwa Ekimakingaï, un employé de cuisine d’un palace de Pointe-Noire connaît une fin tragique un soir du 15 août, fête d’indépendance du pays. Le jeune homme pense qu’il ne devait pas mourir ce jour-là et qu’il avait encore des affaires à régler sur terre. L’auteur remonte la vie et les heures qui ont précédé la mort de son personnage. Liwa cherche désespérément à comprendre pourquoi il a été si vite arraché à l’existence. Il assiste à sa veillée funèbre de quatre jours, ressent le chagrin de sa bien-aimée grand-mère Mâ Lembé, entend le chant des louanges de ses proches qui accompagnent son âme vers les cieux, et vit son propre enterrement.
Dans Le Commerce des Allongés, Mabanckou peint une société africaine où la vie et la mort se côtoient. Cette société qui mêle croyances ancestrales et religieuses, où le monde des vivants n’est pas l’aboutissement de l’existence. Fidèle à lui-même à travers son personnage, l’écrivain décrit également une société congolaise gangrenée par la pauvreté et où la lutte des classes fait rage.
Que peuvent les mots face aux guerres intimes et politiques ?
C’est l’histoire de trois amis d’enfance. Tarek, devenu berger, à qui les mots ont toujours manqué, contrairement à son frère de lait, Saïd, l’intellectuel parti étudier en Tunisie. À leurs côtés, Leïla, celle qui est restée dans leur village, El Zahra. Chacun vit ses guerres intimes parallèlement à celles traversées par l’Algérie entre 1920 et 1990. La colonisation, la Seconde Guerre mondiale, la guerre d’indépendance, le coup d’État de Boumédiene et l’arrivée au pouvoir des islamistes. Du village au Frontstalag allemand, du front de libération algérien, aux foyers de travailleurs migrants parisiens, Tarek choisit de cultiver le silence, jusqu’à le trouver pleinement lors d’une parenthèse italienne. Saïd, lui, écrit le premier roman algérien de langue arabe. Celui qui brise la vie de Leïla, sur le point de trouver refuge dans la lecture. « Dans tous mes romans, les générations n’arrivent pas à se parler », confiait Kaouther Adimi à propos de Nos richesses.
L’autrice algérienne continue de tirer le fil des mots qui manquent, à travers la solitude récurrente de ses personnages. Lesquels rencontrent, au cours de leurs vies, des figures réelles comme ici Pontecorvo et Saadi, co-réalisateurs du film mythique La Bataille d’Alger. Elle questionne aussi les mots qui trahissent, les récits qui déterminent et bouleversent les destinées. Comment, face au vent mauvais, tenir tête ? Avec une mise en abyme du roman qui se lit et celui qui s’écrit, dans un enchaînement de chapitres que l’on aurait parfois aimé voir se déployer davantage tant les riches références se succèdent, Kaouther Adimi signe un cinquième roman haletant et surprenant jusqu’à la toute dernière page.
Zoom sur des artistes du continent- Un peu partout en France, des lieux d’exception braquent leurs projecteurs sur les artistes du continent. Suivez le mouvement.
Un peu partout en France, des lieux d’exception braquent leurs projecteurs sur les artistes du continent. Suivez le mouvement.
Le Musée des arts d’Afri¬que et d’Asie de Vichy fête ses 100 ans. A cette occasion, une grande rétrospective de ce siècle d’Histoire est proposée au public. Un retour sur la création du musée et l’origine des collections parmi lesquelles figurent près de 5000 objets d’art rapportés par des missionnaires mais aussi issus de donations. Statuettes, mas¬ques, photographies, venus du Maghreb, d’Afrique de l’Ouest et d’Afrique centrale, témoignent de la richesse et de la diversité des expressions artistiques du continent. «Aujourd’¬hui, avec toutes les études en histoire de l’art et en anthropologie, on a une meilleure connaissance de ces objets. Et puis surtout, les populations concernées participent à la connaissance de leurs arts», explique la directrice du musée, Marie-Line Therre.
En effet, chaque œuvre d’art donnée à découvrir est illustrée de la photo du missionnaire à l’origine de l’apport de l’objet, de sa signification et de sa provenance. Pour compléter cette célébration, le musée propose deux expositions temporaires autour de deux thèmes à l’honneur : «Voyages» et «Touaregs». Un parcours dans l’immensité du Sahara à travers les œuvres de trois pays, Algérie, Mali, Niger, c’est ce que propose l’exposition «Touaregs. Objets nomades». Le musée conserve depuis sa création, une riche collection d’art touareg dont des cuirs anciens et une donation récente de bijoux en provenance du Niger. Une plongée au cœur de cette culture et de ses valeurs dont la sobriété des formes, l’art épuré et raffiné ainsi que l’équilibre des décors correspondent à un idéal de retenue et de noblesse en société de ce peuple nomade.
Abbaye de Daoulas, «Afrique : les religions de l’extase» dans le Finistère
Quand un patrimoine tel que l’Abbaye de Daoulas et une exposition sur les richesses des religions africaines viennent à se rencontrer, l’expérience est tout simplement inédite et inoubliable. Situé sur les chemins du Patrimoine du Fi¬nistère, cet ancien monastère au charme et patrimoine exceptionnels, avec ses jardins botaniques et son architecture qui a su conserver sa splendeur initiale, accueille cette année le Musée d’ethnographie de Genève (Meg) pour une plongée dans le mysticisme et la ferveur religieuse africaine autour de l’angle central de l’extase. Une exposition qui invite au voyage des sens et de l’esprit et qui vise, pour Boris Wasttiau, le commissaire de l’exposition, à «faire réfléchir aux aspects subjectifs de l’expérience religieuse dans ce qu’elle a d’incarné individuellement ou collectivement, les sentiments et les émotions qu’elle procure».
La scénographie, qui a été confiée à Franck Houn¬dégla, propose ainsi un parcours visuel sur fond sonore, autour de quatre thématiques centrales : les religions monothéistes, les religions autochtones (divination, sacrifice, culte des ancêtres), les cultes de possession et, enfin, les cultes magico-religieux. Au total, ce sont près de 200 pièces venues de tout le continent, des portraits, des vidéos, des objets de culte de toutes sortes, d’artistes et d’ethnologues tels que Théo Eshehu, Jacques Faublée, Jean-Pierre Grand¬jean, Chris¬tina Lutz, Mahau Modisakeng. Plus qu’une exposition, «Afrique : les religions de l’extase» est une invitation à comprendre la puissance de l’élan religieux. Le public est amené à vivre et à ressentir au fur et à mesure de son parcours, la richesse des émotions que suscite l’extase religieuse : la contemplation, le ravissement, la béatitude, l’enivrement, l’exaltation et l’ivresse. Une immersion exceptionnelle au cœur des richesses et pratiques religieuses africaines.
La Grande Orangerie, «Congo Paintings, une autre vision du monde» à Dijon
La fine fleur de la scène artistique de Kinshasa est à l’honneur cet été à Dijon. A l’occasion de la 7e Biennale d’art singulier qui se déroule du 28 juin au 28 août 2022, l’exposition «Congo Paintings, une autre vision du monde», après Namur et Vichy, s’installe cette année à la Grande Orangerie à Dijon. Cette exposition, haute en couleur et en images, rassemble, grâce aux prêts de trois collectionneurs passionnés français, Philippe Pellering, Boris Vanhoutte et Bernard Sexe, les œuvres de plusieurs générations d’artistes majeurs qui témoignent de la vie bouillonnante de la scène artistique kinoise. En tout, ce sont 80 toiles exposées, des peintures qui osent tout : satire politique, érotisme, parodie sociale et religieuse, sous le regard corrosif d’artistes peintres talentueux et de renommée mondiale qui partagent leur regard sur Kinshasa, leur vision de l’art et leur rôle en tant qu’artiste. Parmi les artistes exposés : Mwenze Kibwanga, Cheri Cherin, Chéri Samba, Pierre Bodo…
Mudaac, Musée départemental d’art ancien et contemporain, Epinal
Quand on lui pose la question : «pourquoi l’Afrique ?», William Ropp raconte l’histoire de celui qui a construit son imaginaire, celle de son trisaïeul, Louis Jacolliot, et de ses voyages en Afrique, une légende dans sa famille. Voilà donc d’où lui vient cette envie irrépressible d’Afrique. Connu pour ses séries de portraits, ses photographies en noir et blanc et ses récits de voyage en Afrique consignés dans son livre Mémoires rêvées d’Afri¬que, il revient quelques années plus tard avec une série de portraits saisis cette fois-ci, dans la corne de l’Afrique, en Ethiopie. C’est là qu’il choisit de camper son appareil photo, sur cette terre qu’il considère comme le «berceau de l’humanité». Il y capture une terre faite de gris, un ciel rose, des forêts denses, des eaux profondes, des enfants, des vieillards, des autochtones. Des images hors du temps, autochromes réinventées, pensées, rêvées, imaginées par le portraitiste et accompagnées des poèmes de l’écrivain Philippe Claudel, pour une traversée onirique en «Uthiopie». Une exposition à découvrir au Musée départemental d’art ancien et contemporain d’Epinal, qui s’inscrit dans le cadre de l’édition 2022 du Festival des mondes imaginaires, Les Imaginales, organisé chaque année par la ville.
Luma «Stories. Le portfolio 1947-1987», à Arles
C’est la première grande rétrospective en France de James Barnor. Présentée à Luma dans le cadre des Rencontres d’Arles, l’exposition, consacrée au photographe ghanéen, retrace 40 ans de l’œuvre de l’artiste à travers une sélection inédite de 100 ima¬ges choisies par l’artiste lui-même. «Un portfolio stories» délicieusement «barnorien» exceptionnel et unique que l’on découvre suivant un déroulé chronologique et sur fond de photographies de James Barnor, de tirages originaux, de documents d’époque, de revues et de magazines pour lesquels il a collaboré. D’Accra à Londres, de son studio Ever Young à sa collaboration avec le magazine sud-africain et anti-apartheid, Drum, en passant par les célèbres photographies d’un Swinging London joyeusement multiculturel, l’exposition offre un regard kaléidoscopique sur l’œuvre du photographe, sur sa vie, son histoire et tout simplement sur le témoignage d’une époque. Une exposition-hommage à cet artiste transcontinental qui continue à inspirer de nouvelles générations d’artistes.
Luberon : «Kaléidoscope», Apt
Une exposition sur l’art africain contemporain résolument urbaine, c’est ce que propose la Fondation Blachère à Apt, dans le Luberon. Et sous l’objectif, deux villes bouillonnantes : Dakar et Kinshasa. Thématique fortement appréciée de la création contemporaine, la ville est le lieu de tous les possibles, de tous les rêves éveillés. Elle se transforme, s’étend, se distend, elle est en perpétuel mouvement. Chaque artiste, au total 27 dont beaucoup de Séné¬galais et de Congolais, interprète à sa manière sa ville, tour à tour joyeuse, inquiétante, colorée et bruyante. Sculptures, maquettes, street art, peintures, photographies, mais aussi bande sonore et musique plongent le visiteur dans l’ambiance de ces deux capitales reflétant l’expérience kaléidoscopique et multisensorielle des villes par les artistes. Parmi les artistes présentés : Daouda Ba (Séné¬gal), Adama Bamba (Mali), Mamadou Cissé (Sénégal), Docta (Sénégal), Cheikh Ndiaye (Sénégal), Dawit Abebe (Ethiopie)…
Le Point
PETIT-PARIS DU BOUNDOU, UNE VILLE LUMIÈRE EN PLEINE BROUSSE
Dans ce village de Kidira, écoles, poste de santé, sièges administratifs, lieux de culte, logements des fonctionnaires… Tout est l’œuvre des émigrés. Un système de cotisation mensuelle permet notamment d’envoyer des fils du village en France
Comme les Almadies à Dakar, Petit-Paris est un paradis au cœur du Boundou. Une ville lumière en pleine brousse. Dans ce village de Kidira, écoles, poste de santé, sièges administratifs, lieux de culte, logements des fonctionnaires… Tout est l’œuvre des émigrés. Un système de cotisation mensuelle permet d’envoyer des fils du village en France, avec l’ordre d’inscription sur la liste, le seul et unique critère qui vaille.
En allant à Petit-Paris, on se perd facilement. Roulant à vive allure, le motocycliste, guide d’une journée de découvertes, finit sa course au village appelé Sinthiou Dialiguel. « Non, vous n’êtes pas à Petit-Paris », sourit un vieux mâchant sa cola. Puis, il entame une séance d’explications. « Si vous voyez une rangée d’étages, sachez que vous êtes arrivés à destination », indique-t-il. Il a fallu encore appuyer sur l’accélérateur. Après une course d’un quart d’heure, on finit par découvrir l’architecture décrite par le notable de Sinthiou Dialiguel. La température avoisine les 42 degrés en cette matinée du mardi. Un groupe de jeunes et de vieux profitent de l’ombre d’un grand arbre en face du poste de santé. Pendant ce temps, un bruit assourdissant provenant d’une menuiserie métallique rend difficile ou impossible toute discussion. Le vieux a raison. Le visiteur est tout de suite frappé par la floraison d’étages. Les ruelles sont ceinturées par des bâtiments en R2+, R+3, aux carreaux luisants et éclatants. Il n’y a plus de maison en paille ou en zinc dans ce village créé en 1840 sous l’appellation de Ouro Himadou. Ce nom est presque aux oubliettes depuis 2013. Et c’est grâce au génie d’une griotte venue de Kidira. « Avec toutes ces jolies villas, nous sommes à Petit-Paris », s’est-elle exclamée, selon les confidences d’un des notables. L’ancien ambassadeur de la France au Sénégal, Christophe Ruffin, en visite sur cette contrée du Boundou en 2014 est allé plus loin. « Ce n’est plus Petit Paris mais Grand Paris », avait dit le diplomate. Une réputation qui a failli leur priver d’une sélection au programme « L’eau pour tous ». « Quand le responsable est venu ici, il nous a dit ‘’mais vous, vous n’avez plus besoin de rien, vous avez tout’’ », rappelle l’un des notables du village, Sada Ly, par ailleurs secrétaire chargé des relations extérieures du village de Petit-Paris.
Méthode, organisation et une caisse pour l’émigration
« C’est le paradis en pleine forêt », rigole un vieux du nom de Demba Ly, en pleine discussion sous un arbre. Ainsi, l’homme en caftan blanc fait allusion à l’organisation et à la vie dans ce village de l’arrondissement de Bellé. Pour une population de 2.000 habitants, Petit-Paris compte plus de 150 émigrés en France. Amadou Tidiane Ly en est un. En djellaba noir, il mène une visite guidée du village commençant par sa propre demeure construite grâce à l’émigration. « Je suis cheminot en France. Ce qui m’a permis de construire cette terrasse entièrement carrelée », explique-t-il. La prochaine étape est la présentation du premier étage du village construit en 2002. La façade est carrelée en bleue, les pourtours peints en jaune et rouge. Ici, la première maison en dur a été construite en 1980, la deuxième en 1986. Le premier étage a été bâti en 2002. Aujourd’hui, on en compte plus de 50. Cette transformation fulgurante est propulsée par une organisation qui promeut la réussite sociale et un investissement dans la famille. Ainsi une caisse de solidarité est mise en place pour envoyer les jeunes en France. « La caisse est tout le temps alimentée. Quelqu’un qui veut aller trouver un emploi en France s’inscrit sur la liste. Le voyageur est choisi selon l’ordre d’inscription. La caisse gère tous les frais du voyage », explique M. Ly. À l’en croire, l’émigré prend ensuite le temps de travailler et de rembourser. « Il n’y a aucune pression, il rembourse à son rythme, car l’intégration n’est pas toujours facile », ajoute M. Ly.
2013, l’année des lumières
Avant 2013, ce n’était pas encore Petit-Paris, mais Ouro Himadou. Le changement n’est pas seulement que de nom. La localité a franchi un cap. L’émigration s’est développée. La lumière a jailli. Les rues et ruelles sont jalonnées de poteaux et de lampadaires. « La nuit, la lumière fuse de partout. Tous les coins sont éclairés », signale le jeune Moussa, à l’aise en face du Poste de santé. Sada Ly embouche la même trompette. « C’est en 2013 que nous avons eu l’électricité. Et nous sommes le premier village du département à en bénéficier. Avant 2013, nous avions des papiers sénégalais, mais nous ne nous sentions pas Sénégalais. C’est lors du Conseil des ministres décentralisés de Tambacounda que nous avons envoyé un mémorandum. Deux mois plus tard, notre requête a été satisfaite », souligne-t-il. Cette lumière, indique Amadou Tidiane Ly, a favorisé le développement économique avec l’installation de plusieurs ateliers et commerces. « On est passé de zéro à sept ateliers de couture. Ce qui constitue un record. Des salons de coiffure, des menuiseries s’installent presque tous les jours, sans oublier les restaurants et fast-food qu’on trouve rarement en brousse », explique l’émigré.
« De la glace partout »
À Petit-Paris, il ne neige pas, mais la glace est bien présente. Après l’électrification du village en 2013, le premier réflexe des émigrés était d’acheter 300 congélateurs pour permettre aux femmes de vendre de la glace aux villages environnants. Aujourd’hui, plus de 2000 congélateurs sont utilisés d’où l’expression « la glace partout » utilisée par les habitants. Les femmes s’épanouissent et se font de l’argent. Les principaux clients sont les villages maliens dépourvus d’électricité. « En période de chaleur, nous pouvons vendre le morceau entre 300 et 500 FCfa. Les Maliens traversent le fleuve pour venir s’approvisionner. C’est la principale activité des femmes qui gagnent bien leur vie », dit Aïssa Ly mobilisée par la préparation du déjeuner. Sa voisine va dans le même sens. À ses yeux, l’électricité contribue à l’autonomisation des femmes. « En période de chaleur ou durant le Ramadan, nous nous en sortons bien avec des gains journaliers supérieurs à 3000 FCfa », assure-t-elle.
«IL FAUT QUE LES CHIFFRES DE LA MORTALITÉ MATERNELLE NOUS REVOLTENT»
Engagée dans la lutte contre la mortalité maternelle, la Docteure (elle insiste sur le e) Ndèye Khady Babou, médecin spécialisée en santé publique, est indignée que les chiffres de la mortalité maternelle ne révoltent pas plus que cela les Sénégalais
La cause féministe embrasse de nombreux segments de la vie de la société. La première édition de «Jotaay ji», le festival féministe sénégalais, a installé le débat sur des questions qui touchent spécifiquement les femmes. Engagée dans la lutte contre la mortalité maternelle, la Docteure (elle insiste sur le e) Ndèye Khady Babou, médecin spécialisée en santé publique, est indignée que les chiffres de la mortalité maternelle ne révoltent pas plus que cela les Sénégalais. Un combat légitime dans un pays où, chaque année, ce sont 236 femmes qui meurent pour 100 000 naissances, alors que l’Oms attend un chiffre de 70 décès maternels pour 100 000 naissances.
Vos recherches portent surtout sur la problématique de la mortalité maternelle au Sénégal. Est-ce un engagement féministe pour vous ?
C’est un engagement féministe pour moi parce qu’à travers le monde, les femmes qui sont en état de grossesse et qui accouchent ont les mêmes complications que les femmes du Sénégal ou de l’Afrique. Mais ailleurs, les femmes n’en meurent pas et des solutions pratiques et peu coûteuses sont trouvées. Mais si aujourd’hui, dans nos pays, nous continuons à avoir des mortalités aussi élevées, autant chez la mère que chez l’enfant, c’est problématique. Il faut quand même qu’on se pose des questions par rapport aux politiques mises en place pour lutter contre cette mortalité maternelle, leur application et leur applicabilité et les ressources qui sont mises en place pour lutter contre ce fléau. C’est juste une aberration qu’en 2022, que l’on soit encore à 236 femmes qui meurent pour 100 000 naissances, là où on a promis à l’Oms d’être à 70 décès maternels.
Pour vous, l’Etat ne fait pas ce qu’il faut ?
Il y a des politiques mais derrière chaque politique, derrière chaque financement, il faut un suivi. Par exemple, sur plein d’études, on a montré que le fait de résoudre la problématique de la mortalité maternelle dans un pays résolvait presque tous les problèmes de santé. C’est un système tellement bien réfléchi, pensé et applicable que sa résolution améliorerait toutes les autres problématiques de santé. Pour la mortalité maternelle par exemple, il y a l’exemple des banques de sang. Parmi les causes de la mortalité maternelle, il y a les hémorragies de la femme enceinte pendant l’accouchement ou après. Et rien qu’en réglant ce problème de l’hémorragie, on règlerait tous les problèmes de banque de sang au Sénégal. Et là, il y a des politiques qui sont faisables. Pourquoi on ne les applique pas ? En tant que population sénégalaise, en tant qu’homme ou femme du Sénégal, on n’est pas plus exigent que ça par rapport à la mortalité maternelle. On a beau avoir réussi son système de santé, mis des choses en place, comme dans les pays du Nord par exemple, mais des gens vont quand même mourir du cancer. Mais la mortalité maternelle, on n’en meurt plus, c’est ça la différence. On a des morts évitables, des raisons pour lesquelles plus personne ne meurt aujourd’hui et nous, on continue d’en mourir. Des femmes continuent d’en mourir.
On continue encore d’évoquer le péché originel, les croyances culturelles pour expliquer ces morts…
Dans nos représentations populaires, quand une femme tombe enceinte, on commence déjà à formuler des prières pour elle, parce que sa vie serait en jeu. Mais ailleurs, c’est un évènement heureux que d’attendre un enfant. Parce que tu sais que tu ne vas pas en mourir, tu ne t’attends pas à mourir en donnant la vie. C’est dans nos cultures, dans nos sociétés, qu’on te dit : «Daguay mouth !» (Tu vas être sauvée). Du coup, on est tellement imprégné de ces notions de destinée qu’on ne se pose pas de questions. Et dès l’instant où on ne le fait pas, on remet tout entre les mains de Dieu. Et on ne se pose plus de questions sur nos responsabilités personnelles, sur celles de l’Etat, des professionnels de soins pour aujourd’hui oser se plaindre. Il faudrait que l’on puisse en arriver là parce que ça ne ferait qu’améliorer le système de santé.
Vous pensez à une action d’envergure des femmes ?
Pas porter plainte à proprement parler, mais être plus exigent. J’évoquais tantôt les décès liés au manque de sang. Le sang n’est pas produit par l’Etat. Mais ce que peut faire l’Etat, c’est de mettre sur pied des centres de transfusion, les fonds nécessaires pour rendre disponibles les poches de sang et pour que la population à son tour, aille donner du sang de manière régulière et ne pas seulement attendre que les banques soient vides pour le faire. Il faut qu’on ait cette culture et c’est ce qu’on appelle responsabilité partagée. Il y a une part que l’Etat doit faire, il y a une part que la gouvernance sanitaire doit faire et il y a notre responsabilité. Moi, en tant qu’homme dont la femme est en état, qu’est-ce que je fais pour concourir à son bien être ? Est-ce qu’elle fait ses consultations ? Son alimentation, sa prise en charge ? Il faut qu’on apprenne à être exigent et que les chiffres de la mortalité maternelle nous révoltent. Tant qu’on n’en sera pas là, on risque de ne pas changer les choses. On risque de penser que c’est la destinée, que c’est Dieu. C’est prouvé maintenant qu’une femme qui meurt, c’est une grosse perte pour l’économie parce qu’elle pèse très lourd pour tout ce qui concerne la prise en charge de la famille, le développement économique du pays.
Est-ce la même chose pour les violences conjugales ? Vous disiez dans votre intervention qu’il y a un protocole de prise en charge et une autre paneliste disait qu’il n’y en a pas…
Il y a un protocole par rapport à la prise en charge des violences basées sur le genre. C’est un modèle qui a repris ce que l’Oms avait mis en place mais que les autorités ont adapté à nos réalités. Main¬tenant, il faudrait juste démocratiser cela. Ces protocoles doivent pouvoir être fonctionnels pour tout le personnel médical et paramédical. Aujourd’hui, vu le nombre de personnes victimes de violences basées sur le genre, il ne devrait plus seulement s’agir de dire qu’on va former un groupe de personnel et laisser les autres. Cela devrait même être dans les curricula du personnel soignant de manière générale. Et qu’on puisse l’appliquer. Sinon, si une personne n’est pas outillée pour diagnostiquer ou détecter ces violences faites à une victime, celle-ci n’est pas prise en charge à temps ou n’est pas prise en charge du tout. Et c’est ce qui explique parfois les cas de féminicide ou de violences physiques beaucoup plus graves et qu’on aurait peut-être pu éviter.
Une femme victime de violence, il y a moyen de la repérer ? Comment ?
Au niveau du personnel médical par exemple, ce qui est sûr, c’est que quand il y a des victimes qui ont été brutalement abusées, il y a des signes physiques. Pour ces victimes-là, prendre le temps de discuter avec elles et voir les causes de ces blessures pourraient être plus faciles que pour une victime qui est sous le coup de violences verbales, psychologiques ou économiques. Et par rapport à ça, il y a aussi des choses à faire, pas seulement par le personnel médical, mais par tous les relais communautaires comme les badienou gox, etc. Pour le médecin par exemple, ce serait de se dire que cette femme, c’est la 3e ou la 5e fois que je la vois. Et chaque fois, ce sont des céphalées alors qu’au niveau physique, il n’y a rien. Peut-être qu’il y a autre chose. Et il prend le temps de l’écouter et de l’examiner, de chercher des blessures de défense qui sont localisées sur certaines parties du corps quand la personne essaie de se protéger des coups. Ce sont des formations à avoir avec le personnel médical mais surtout les déconstruire. Nous appartenons tous à un système où, plus ou moins, on banalise la violence et le personnel médical n’est pas épargné. Il faut donc faire en sorte que toutes les personnes, qui sont dans le circuit de prise en charge, puissent accéder à ces modules et prendre en charge d’éventuelles victimes. Parce que rien que dans l’écoute, l’information, dire à la victime ses possibilités, c’est un grand pas. Et les victimes de violence n’ont pas cela actuellement.
LE GRAND BOND DE LA PRODUCTION LOCALE DE SÉRIES TÉLÉVISÉES
Les séries sénégalaises connaissent une forte ascension. Elles sont très suivies et même parfois au-delà du territoire national. Les vues sur YouTube, aidant, le secteur est devenu est véritable business
Les séries sénégalaises connaissent une forte ascension. Elles sont très suivies et même parfois au-delà du territoire national. Les vues sur YouTube, aidant, le secteur est devenu est véritable business. Elles seraient même en passe de supplanter les telenovelas et feuilletons hindous.
Le temps où les télénovelas sud-américaines et autres feuilletons hindous crevaient les petits écrans sénégalais en s’invitant dans nos salons semble révolu. Depuis quelques années, le cinéma local est en pleine effervescence avec des produits qui sont consommés même en dehors du territoire national.
Après la série «Un Café Avec», le premier long métrage diffusé par une télévision privée nationale (TFM), la naissance de la maison de production Marodi Tv a placé le Sénégal parmi les pays à grande production après le Nigéria et le Ghana. Maitresse d’un homme marié (2STV) écrit par le journaliste Kalista Sy et produite par cette maison de production, a porté au pinacle le cinéma sénégalais. Traduite en français en diffusée même sur A+, maitresse d’un homme marié, a conquis le public africain même si sa troisième saison n’a pas été au top.
Toujours pour le compte de Marodi, des séries comme Karma, Impact, l’Or de Ninki Nanka ou encore Virginie, ont eu une grande audience. Il y a aussi Emprise en encore Golden. Cependant, le reproche fait à Marodi est que souvent ses séries ne sont pas développées jusqu’à terme. Marodi n’est pas seule structure de production qui est sortie du lot. Il y a également Evenprod dont les réalisations accrochent. Après la série Idoles qui a laissé ses marques après la diffusion de ses saisons 1 et 2, Evenprod a bien assuré ses débuts. Sa transmission sur Wido a freiné sa popularité avant la mise en ligne de ses dernières saisons sur YouTube.
Mœurs, la brigade des femmes est arrivée par la suite, moins populaire mais, a été une réalisation suivie. Avec Infidèles, Evenprod, a réussi à ressortir la présence de la sexualité dans la société. Malgré les critiques et réticences, Infidèles continue d’être diffusé. L’activité de cette maison de production reste aussi marquée par des séries comme Ndiabaar, Vantours et tout récemment Munal. A côté de ces maisons de production, il y a des structures qui s’activent dans le domaine et qui visent plus l’audience locale.
Avec la diffusion de Dikoon, Famille Sénégalaise entre autres, Pikini production, s’est fait une place dans le secteur. Seulement, ses séries qui abordent souvent les faits de la société sénégalaise, ne sont pas traduites en français et ne peuvent donc, être s’exporter facilement. A travers son jeu d’acteurs, la simplicité du décor et le sujet abordé, le Polygame de senepeople, en un peu de temps, a accroché les Sénégalais. Récemment, la série Salma, une chronique whatpad transformée en une production audiovisuelle aiguise les appétits. Sa force, la présence remarquée de la religion dans le scénario.
Après maitresse d’un homme marié, Kalista Sy est revenue sur scène avec un nouveau concept Yaye2.0. Miroir d’une société trop existante envers les femmes, fait son bonhomme de chemin. La liste des séries très suivies d’ailleurs, est loin d’être exhaustive.
LES MOTEURS DE LA VIOLENCE CONJUGALE
Toutes les six heures, une femme décède sous les coups de son conjoint dans le monde. Des chiffres qui renseignent sur une réalité effarante que vivent les femmes
Toutes les six heures, une femme décède sous les coups de son conjoint dans le monde. Des chiffres qui renseignent sur une réalité effarante que vivent les femmes. A l’occasion du 1er Festival féministe «Jotaay Ji», la discussion a porté sur les mécanismes des violences conjugales. Au Sénégal, force est de constater que la société est souvent complice des bourreaux.
Chaque six heures dans le monde, une femme décède sous les coups de son conjoint. Dans chacun de nos quartiers, il y a une famille dont le chef «bat» sa femme. Il arrive qu’au cœur de la nuit, des cris déchirants s’échappent de cette chaumière. Et très souvent, quand ces cris fusent, beaucoup de ceux qui auraient pu porter secours, choisissent de détourner le regard. Parce que l’on reste encore convaincu qu’un mari a le pouvoir de «corriger» sa femme. Certains se poseront d’abord la question «qu’est-ce qu’elle a fait pour mériter ces coups ?».
Et selon la réponse qu’ils sont prêts à donner, ils prendront parti pour le mari violent ou pour la femme battue. Mais comment les couples basculent dans ce cycle de violence ? La question a été abordée ce dimanche au dernier jour du Festival féministe de Dakar. Layti Fary Ndiaye, Aminata Libain Mbengue et Alima Diallo ont tenu une discussion sur la question. Les trois féministes ont présenté les différentes étapes du cycle de la violence conjugale. Ce cycle que les spécialistes ont étudié et schématisé, tente de dégager les processus répétitifs liés à la violence entre partenaires. Tension, explosion, justification et lune de miel sont des étapes qui se manifestent de diverses façons dans le couple. Mais dans toutes ces étapes, le conjoint violent est toujours à la baguette jouant d’effets psychologiques pour mieux dominer sa victime.
Dans les familles sénégalaises ou le «mougn» et le «soutoura», en clair l’endurance et la culture du secret, sont des règles que l’on rappelle toujours aux épouses et aux filles, les maris violents n’ont pas beaucoup d’efforts à faire pour maintenir leurs victimes sous une cloche. Le terme de «kilifeu» que porte le mari oblige même à se soumettre aux ordres suivant des normes culturelles ou religieuses. «Ce qui se passe entre le couple découle des rapports sociaux», rappelle de ce fait la sociologue Layti Fary Ndiaye.
Dans la phase de tensions, explique-t-elle, la personne violente utilise divers mécanismes. Silence lourd, regard menaçant, irritation, augmentation des conflits, impatience de plus en plus présente, mise en avant des erreurs, etc. Tout cela concourant à saper l’estime et la confiance de la victime qui cherche avant tout à apaiser les tensions. Quand arrive la phase de justification, c’est la même personne qui va chercher à se déresponsabiliser. «Tu ne m’écoute pas quand je parle, j’ai beaucoup de travail» sont autant de manipulations qui vont marcher puisque la victime va elle-même chercher des explications pour justifier les tensions. Entre la phase dite de la lune de miel et la phase de violence proprement dite, les situations se multiplient et la victime perd de plus en plus confiance. Mais toujours, la famille est là pour apaiser et convaincre la femme de redoubler d’efforts. «Il y a une sublimation de la violence féminine et on pense que c’est normal pour une femme de souffrir», évoque une paneliste en citant certains adages qui vont dans le même sens.
La question de la prise en charge
Comment reconnaître et prendre en charge ces victimes de violence ? La question est loin d’être tranchée. Et pour Dr Ndèye Khady Babou, il y a encore un énorme travail à faire sur la détection de ces cas. Elle estime en effet que le personnel médical ne sait pas écouter ou n’a pas été formé à écouter les signes de détresse physique ou psychologique. «Pour le médecin par exemple, c’est de se dire que cette femme, c’est la 3e ou la 5e fois que je la vois. Et chaque fois, ce sont des céphalées alors qu’au niveau physique, il n’y a rien. Peut-être qu’il y a autre chose. Et il prend le temps de l’écouter et de l’examiner, de chercher des blessures de défense qui sont localisées sur certaines parties du corps quand la personne essaie de se protéger des coups». Mais plus globalement, la spécialiste en santé publique estime que le personnel médical doit être formé. «Il y a des victimes qui ont été brutalement abusées et là, il y a des signes physiques.
Pour les victimes sous le coup de violences verbales, psychologiques ou économiques, il y a aussi des choses à faire, pas seulement par le personnel médical, mais par tous les relais communautaires comme les badienou gox, etc.». Le Sénégal a adopté le protocole de prise en charge des violences basées sur le genre défini par l’Organisation mondiale de la santé (Oms) en l’adaptant aux réalités du pays. «Maintenant il faudrait juste démocratiser ça. Ces protocoles doivent pouvoir être fonctionnels pour tout le personnel médical et paramédical. Aujourd’hui, vu le nombre de personnes victimes de violences basées sur le genre, il ne devrait plus seulement s’agir de dire qu’on va former un groupe de personnel et laisser les autres. Cela devrait même être dans le curricula du personnel soignant de manière générale», souligne-t-elle. Le danger étant que quand une personne victime de violence n’est pas prise en charge ou que cette prise en charge est tardive, des dénouements tragiques ne sont pas à exclure. Et ces dernières années, le Sénégal a vécu son lot de féminicides, des femmes tuées par leurs con-joints.
Le festival Jotaay Ji a posé le débat sur un certain nombre de problématiques qui plombent l’épanouissement des femmes dans la société. Mais il ressort de ces discussions que c’est la société sénégalaise elle-même qui doit être refondée. Cela passe par une éducation plus appropriée pour faire comprendre aux jeunes générations qu’homme ou femme, les mêmes règles d’humanité s’appliquent. «Dans cette société, quand les femmes ne doutent pas, les hommes ont un problème», fustige Aminata Libain Mben¬gue.
WEEK-END TRES FEMINISTE AU MUSEE DE LA FEMME
Le Musée de la femme Henriette Bathily de la Place du Souvenir africain de Dakar a accueilli vendredi soir, l’ouverture de la première édition de «Jotaay ji», le festival féministe sénégalais.
Le Musée de la femme Henriette Bathily de la Place du Souvenir africain de Dakar a accueilli vendredi soir, l’ouverture de la première édition de «Jotaay ji», le festival féministe sénégalais. L’évènement, qui avait pour but de remettre l’égalité entre les hommes et les femmes au cœur des préoccupations sociales, a connu son clap de fin hier.
Pendant trois jours, du 19 au 21 août 2022, le Musée de la femme Henriette Bathily a vécu au rythme de la première édition de Jotaay ji, le festival féministe sénégalais. Organisé par le collectif Jama, Jotaay ji, cet évènement «innovant» a rassemblé des sociologues, journalistes, juristes, activistes, féministes et écrivaines, dans le but de remettre la question de l’égalité entre les femmes et les hommes au cœur des préoccupations sociales, mais aussi d’aider à vulgariser les connaissances sur le féminisme. Durant l’ouverture, vendredi dernier, dans une salle remplie, les violences sexistes, la question du consentement, la parité, la santé et la sexualité ainsi que la religion et le féminisme, en somme tout ce qui fait la condition de la femme, ont été abordées. Autre moment fort de cette cérémonie d’ouverture, le vibrant hommage rendu à Co¬dou Bop, sociologue et deuxième génération de journalistes féministes, par ailleurs membre de différents groupes de femmes et consultante pour des organisations internationales.
Pendant trois jours, les membres du collectif et leurs partenaires ont proposé une programmation festive et artistique pour éduquer petit.e.s et grand.e.s au féminisme, au respect de l’égalité ainsi qu’à des sujets qui touchent majoritairement les femmes au Sénégal, mais aussi et surtout déconstruire les stéréotypes sexistes et créer des liens entre féministes. Avec des tables rondes, ateliers, projections… Bref, une programmation pluridisciplinaire et des réflexions fortes ont été proposées pour vivre la révolution féministe. «Tata Henriette Bathily aurait été très fière de vous, si elle était là», a introduit Awa Cheikh Diouf, directrice du Musée de la femme Henriette Bathily, lors de la cérémonie d’ouverture. D’après elle, beaucoup de femmes de médias sont aujourd’hui engagées dans le mouvement féministe. «Je crois que c’est en réalité un métier qui vous ouvre l’esprit et vous permet de comprendre énormément de choses», a-t-elle fait savoir.
Etablir des ponts avec les hommes qui sont des féministes…
En écho, Codou Bop, chercheure et féministe qui croit en la défense des droits des femmes, à l’égalité entre les femmes et les hommes, entre toutes les nations et générations, se dit absolument contre toute forme de discrimination sociale et de rapport social inégalitaire. Codou Bop n’a pas l’habitude de mâcher ses mots. Elle brise les stéréotypes surtout quand elle parle de féminisme. «Vous voyez, nous, dans notre génération de féministes, on n’était pas comme vous. Vous êtes bien habillées, vous avez les rouges à lèvres. Je suis extrêmement impressionnée», a-t-elle lancé à l’endroit de la jeune génération féministe. Tout en les invitant à aller dans les industries minières, à Sabo¬dala, et dans les marchés hebdomadaires communément appelés loumas. «Il faut y aller. Vous vous asseyez devant un puits parce qu’on cherche l’argent et l’or dans les puits. Les conditions de travail de ces femmes-là, personne ne peut vous les raconter», a-t-elle révélé. Elle animait un panel sur le concept de «pouvoir».
Le pouvoir, dit-elle, c’est la possibilité de contrôler sa vie. Aujourd’hui, les contextes ont changé mais les objectifs du féminisme reste les mêmes : c’est d’instaurer une société d’égalité, sans discrimination, sans violence. Et donc pour Codou Bop, «il faut que les femmes, si elles constituent le groupe qui a pris conscience le plus rapidement et le plus profondément, essayent d’établir des ponts, de faire des alliances si c’est possible avec des hommes qui sont des féministes pour changer notre société», a préconisé la sociologue, affirmant qu’elle n’a aucun mérite à être féministe. «Je suis née et j’ai grandi dans un milieu extrêmement ouvert. Donc le terrain était balisé. L’autre chance, j’ai connu Tata Annette. Bien sûr, on n’était pas de la même génération mais elle m’a ouvert l’esprit sur des tas de choses, mais surtout a eu confiance en moi», témoigne Codou Bop.
Réviser le Code de la famille pour plus d’égalité…
Membre fondatrice du collectif Jama, Jotaay ji, Fatou Kiné Diouf estime que dans les sociétés dites patriarcales, les droits des femmes sont bafoués parce qu’elles sont dans un rôle de soumission. «Tant qu’on est dans des sociétés patriarcales, les femmes ne seront pas mises au même niveau que les hommes», a soutenu Fatou Kiné Diouf. D’après elle, quand il s’agit de féminisme, c’est un combat sur le long terme. «A chaque fois qu’il y a une petite victoire, il y a d’autres combats derrière qui nous attendent», a rappelé la curatrice. Elle enchaîne : «Ces dernières années, on a beaucoup discuté des questions de violences basées sur le genre parce que c’était vraiment ce qui était mis en avant dans la sphère publique. Mais en ce moment, on a beaucoup de discussions sur le Code de la famille, sur la possibilité de le réviser pour plus d’égalité», a-t-elle renchéri dans la foulée.
TOI ET MOI VIENT DE PARAÎTRE
Passionnée par la lecture et l’écriture, l’écrivaine Marie Cabou vient de faire paraître aux Editions Baobab son premier roman. « De toi à moi » plonge dans une idylle entre Syma et Aladji, un amour passionnant au goût inachevé.
Passionnée par la lecture et l’écriture, l’écrivaine Marie Cabou vient de faire paraître aux Editions Baobab son premier roman. « De toi à moi » plonge dans une idylle entre Syma et Aladji, un amour passionnant au goût inachevé qui sera marqué par une rupture douloureuse.
En amour, pour trouver le délicat équilibre du bonheur, il faut savoir faire de sorte que le négatif ne surpasse point le positif. Mais cette recherche de l’idéal rencontre parfois, malheureusement, la réalité de la vie qui corrompt l’enchantement tant rêvé dans un couple. Dans son premier roman, l’écrivaine Marie Cabou met en scène une histoire passionnante invitant à méditer sur le sens même de l’amour. Cette dualité, ce conflit entre le cœur et la raison au sein d’une personne. Sentiment et concept universel, l’amour demeure une question complexe dont il est presque impossible de saisir. « De toi à moi » paru aux Editions Baobab est la peinture d’une relation amoureuse qui, malgré son intensité, finit mal. Cœur en lambeaux, douleurs, pleurs et complaintes… saturent la fin de cette belle aventure conçue dans la douceur d’une soirée parisienne où il y a eu, pour la première fois, la rencontre entre les deux âmes.
Le récit, à travers la première personne du singulier, évoque la relation entre le personnage principal Syma et son compagnon Aladji. En rencontrant ce dernier, la dame de cinquante ans, qui vit en France avec son fils de 15 ans, pensait pourtant trouvait enfin l’amour de sa vie. Et cela, malgré son âge. Mais, c’était sans compter avec l’impitoyabilité du destin. Après avoir vécu des moments d’affectation forts, de bonheur féerique, Syma est larguée par son amant, à la surprise générale. La désillusion est totale. C’est le revers de l’amour. Un sacrilège fait aux projets et aux promesses.
Pourtant, la belle dame rêvait d’une relation d’éternité avec celui qu’elle aime « au-delà des étoiles », celui qu’elle a aimé d’un « amour inconditionnel ». Le changement brusque de Aladji provoque une onde de choc terrible chez Syma qui n’a plus que ses yeux pour pleurer. Son homme a décidé de la quitter pour une autre. Il a choisi de rejeter cet amour « intense pour les plaisirs de la chair ». Aveuglée par la force de la passion, sa conjointe va « ressentir tant de souffrances, non pas » pour elle-même, « mais surtout pour lui, qui pour les plaisirs ponctuels, lui tourne aujourd’hui le dos à cause d’une autre femme qu’il pense aimer ».
Thème classique de l’amour
Elle souffre aussi pour sa famille qui avait déjà conçu des liens si particuliers avec son amant. D’ailleurs, pour n’avoir pas vécu avec son père, son fils Momo voyait même en tonton Aladji le papa qui lui manquait depuis des années. Malgré la déception qu’elle a subie, Syma va reconstruire son cœur et elle finit même par pardonner à son amant. Dans cette œuvre, l’écrivaine sénégalaise Marie Cabou revient sur le thème classique de l’amour, mais avec une approche pédagogique destinée à toutes les générations, car on aime à tout âge.
L’histoire de Syma et de Aladji est celle de milliers de femmes et d’hommes qui, souvent, en espérant trouver l’amour de leur vie, tombe sur des partenaires aux intentions inavouées. C’est alors le début d’une descente aux enfers à travers de longues nuits d’insomnie et de douleurs. S’il est presque impossible d’échapper aux flèches de Cupidon, l’auteur révèle l’importance d’être bien entouré par la famille, les amis. Dans sa détresse, Syma a été très vite sauvée par la solidarité familiale qui s’est construite en un laps de temps. Le soutien de sa famille et sa foi en Dieu ont été les éléments déterminants lui permettant de panser vite ses blessures. Dans son livre, Marie Cabou lève aussi un coin du voile sur la rupture amoureuse, engageant une vision de la société, mais aussi de la famille.
Dans ce roman de 106 pages, l’auteur, au-delà de narrer une histoire passionnante que partagent deux âmes, a voulu mettre le relief sur une femme forte. Une dame de fer qui, en dépit des douleurs que suscite la trahison, a résisté pour reprendre sa vie en main, poursuivre son petit bonhomme de chemin. Syma a continué de nourrir la ferme conviction que l’amour « véritable et inconditionnel est au bout de son chemin ». Dans « De toi à moi », nous fait découvrir le portrait d’une femme téméraire, avec un fort caractère ; une femme combattante et de principe.
Née à Dakar, Marie Cabou a passé son adolescence en France. L’écrivaine est passionnée de danse, de musique et de mannequinat. Elle a été animatrice de radio, puis présentatrice-vedette du journal « Maïsha Tv », première chaîne panafricaine basée au Mali, et dédiée aux femmes. Ce récit marque ses débuts prometteurs dans l’univers romanesque.
PAR Emmanuel Dongala
PLEINE LUMIÈRE SUR LA LITTÉRATURE AFRICAINE
Désormais émancipés de la tutelle intellectuelle occidentale, décolonisés d’esprit, les écrivains africains saisissent à bras-le-corps leur(s) histoire(s) dans toute leur complexité et la racontent sans concession, en créant leur propre esthétique
La déferlante des écrivains d’Afrique et de la diaspora, déjà présente depuis une décennie au moins, s’est transformée cette saison en tsunami. Abdulrazak Gurnah (Prix Nobel 2021), Damon Galgut (Booker Prize 2022), David Diop (International Booker Prize 2021), Boubacar Boris Diop (Neustadt International Prize for Literature 2021), Djaïli Amadou Amal (Goncourt des lycéens 2020), sans oublier bien sûr Mohamed Mbougar Sarr (Prix Goncourt 2021).
D’aucuns peuvent penser que cette belle moisson 2021-2022 n’est qu’un hasard heureux, dû à la publication simultanée de quelques bons livres. Il n’en est rien. La réalité est que ces prix ne dévoilent que la partie émergée de l’iceberg de l’immense réservoir d’écrivains talentueux originaires du continent et de sa diaspora. Pour preuve, dans la plupart des cas, d’autres auteurs africains figurent dans la liste des finalistes. Ainsi, sur la liste finale du Booker Prize dont Damon Galgut est sorti vainqueur, se trouvait également une écrivaine somalienne, Nadifa Mohamed. Plus parlant encore, deux des cinq de la short list du Booker 2020 étaient Africaines, la Zimbabwéenne Tsitsi Dangarembga et l’Ethiopienne Maaza Mengiste.
Une explosion sur la totalité du continent
Dans le même sens, il faut aussi prendre en compte tous ces écrivains dont les ouvrages sont retenus dans la liste des «Meilleurs livres de l’année» établie chaque année par des grands magazines littéraires. Ainsi, pour le New York Times Book Review, le meilleur roman 2021 a été celui de l’écrivaine camerounaise Imbolo Mbue. Ces talents se retrouvent également dans les domaines dont on parle moins: citons la Nigériane Nnedi Okorafor, couronnée deux fois, respectivement par le Hugo Award et le Nebula Award, les deux prix les plus prestigieux de la science-fiction.
Enfin, il faut rappeler que bien avant Abdulrazak Gurnah et Damon Galgut, les Nigérians Wole Soyinka et Ben Okri ont été respectivement lauréats du Prix Nobel (1986) et du Booker Prize (1991). Je ne peux m’empêcher ici de mentionner un prix non littéraire, le Prix Pritzker d’architecture, considéré comme l’équivalent du Nobel de la discipline, attribué au Burkinabé Diébédo Francis Kéré, une première pour un Africain.
L’un des aspects les plus gratifiants de cette explosion littéraire à laquelle nous assistons est qu’elle se manifeste sur la totalité du continent, du Cap à Dakar, de Yaoundé à Addis-Abeba, de Zanzibar au Mozambique. Elle touche aussi bien les aires anglophone que francophone et lusophone où le Prémio Camões, le prix le plus prestigieux dans cette langue, a été décerné à la Mozambicaine Paulina Chiziane pour l’ensemble de son œuvre. Je ne peux que recommander la lecture de son roman Le Parlement conjugal: une histoire de polygamie (Actes Sud, 2006).
Pourquoi la reconnaissance a-t-elle attendu?
Une chose d’importance à noter également: la contribution à ce boom littéraire est paritaire, les écrivaines y participent autant que les écrivains, comme le démontrent les quelques exemples que j’ai cités plus haut.
Pourquoi cette littérature n’acquiert-elle cette haute visibilité que maintenant? Cela est dû à la conjonction de plusieurs facteurs. D’abord, le monde est plus ouvert à la diversité. Il fut un temps où, en France, seule Présence Africaine (et peut-être un peu Le Seuil) publiait les auteurs africains. Aujourd’hui, toutes les grandes maisons françaises d’édition les publient, non pas en leur offrant une niche en tant qu’«auteurs africains», mais en les traitant comme tout auteur, sur le seul critère de la valeur littéraire de l’œuvre. Cela a permis de susciter une riche émulation créatrice.