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27 novembre 2024
Opinions
Par Ibou FALL
UNE SI VIEILLE BAMBOULACRATIE
À quel moment, au pays de Mamadou Bitiké, la République décide-telle de se lâcher ? Pour rappel, Mamadou Bitiké est le gardien d’un commerce de Toubab auquel son employeur a le malheur de confier la boutique pendant les vacances.
À quel moment, au pays de Mamadou Bitiké, la République décide-telle de se lâcher ? Pour rappel, Mamadou Bitiké est le gardien d’un commerce de Toubab auquel son employeur a le malheur de confier la boutique pendant les vacances. Au retour du proprio, il ne reste plus qu’à constater les dégâts et déclarer faillite
Perso, en ce qui concerne la descente aux enfers de la République, je me dis que c’est quand des députés, en 1962, décident, entre eux et d’autorité, de s’octroyer des augmentations de salaires et quelques menus avantages. Le chef du Gouvernement d’alors, Mamadou Dia, est en voyage. On l’informe à son retour, et il décide de faire rapporter la décision par l’Ups
En ces temps-là, c’est le parti qui décide de ce que la République doit appliquer
Commence le bras de fer qui finit par une motion de censure contre le Gouvernement, tandis que se termine la cohabitation entre l’Exécutif et le Législatif : depuis lors, l’un tient l’autre en laisse.
Avant d’en arriver là, la République est au bord du chaos lorsque l’Armée fait face à la Gendarmerie, et que le président de la République et le président du Conseil de Gouvernement se tiennent tête…
Le 17 décembre 1962, lorsque l’on arrête Mamadou Dia à la Résidence de Médina, en plein quartier populeux s’il en est, il y aurait environ 170.000 francs dans son compte. Il n’a pas de maison et sans doute pas beaucoup de biens personnels. Des décennies plus tard, un de ses proches raconte comment, informé en catimini par l’épouse du tout puissant chef du Gouvernement, il prend sur lui de changer son mobilier et quelques gadgets électroménagers, ce qui lui vaut les foudres du patron que le gaspillage horripile.
Si ce n’était que ça…
Les consignes sont strictes au moment des indépendances : les officiels n’ont rien à faire avec l’argent des banques nationales de développement qui doivent financer l’économie, créer une bourgeoisie locale pour tenir tête aux traitants européens, les piliers de la colonisation, et redonner à notre économie des couleurs tropicales.
Des p’tits malins trouvent quand même des astuces pour emprunter sans en avoir l’air, et traînent des pieds quand il s’agit de rembourser.
Un authentique Sénégalais, ça ne se refait pas ?
Résultat des courses : au milieu des années quatre-vingts, les banques indigènes ferment les unes après les autres, pillées par ceux que l’on désigne pudiquement dans les années quatre-vingt-dix, comme «les gros débiteurs»…
Certes, il y en a dont la bedaine pendouille
Dakar n’est plus une place financière mais un cimetière de banques : ci-gisent l’Union sénégalaise de Banques (Usb), la Société Financière sénégalaise pour le Développement de l’Industrie et du Tourisme, (Sofisedit), la Banque internationale pour l’Afrique occidentale (Biao), la Banque sénégalo-tunisienne (Bst), la Banque commerciale du Sénégal (Bcs), la Banque sénégalo-koweitienne (Bsk), et la Banque nationale de Développement la (Bnds) qui abritera à ses heures de gloire le mythique compte K2.
Ah, le compte K2 : combien de fantasmes ? La légende veut que le ministre des Finances d’alors, Babacar Bâ, qui se rend tous les vendredis au cimetière de Soumbedioune où repose son épouse, subit les assauts de ses concitoyens aux aurores et s’oblige à des audiences à la sortie. Sa recommandation est le blanc-seing pour obtenir un crédit du fameux compte K2 dont bénéficient toutes sortes d’énergumènes, jusqu’aux artistes, ou les hommes politiques qui n’en ont rien à faire du remboursement.
Une redoutable arme politique que le Premier ministre d’alors, Abdou Diouf, finit par confisquer avant de l’enterrer : il y va alors de la succession du président Senghor.
Petite digression ?
Epilogue de la tragédie du 17 décembre 1962 : ce n’est qu’en 1968, durant la crise de Mai, que le salaire des députés sera revu à la baisse et ramené au SMIG… Cette réparation sera l’une des mesures préconisées par les officiers de l’Armée qui refusent de prendre le pouvoir que Senghor leur remet. Ils proposent en contrepartie de mesures drastiques pour ramener la paix civile. Ces braves soldats estiment que les parlementaires, qui se terrent quand le pays brûle, ne méritent pas de telles faveurs.
Revenons à nos banques…
Un ancien fondé de pouvoirs de l’Usb, blasé, me raconte comment, il y a de cela longtemps, pour permettre à un ponte du régime d’acquérir sa maison de fonction à Fann Résidence, il doit constituer un dossier de prêt et se rendre à la descente au domicile du veinard, qui n’a pas la tête à ces futilités, pour faire signer deux «demandes» de prêts : une pour lui et l’autre au profit de son épouse, leur permettant acquérir pour des prunes de superbes propriétés dans le quartier le plus huppé de Dakar. Ces opérations n’ont alors de demande que le surnom…
Il y a pire et la bamboula ne fait que commencer.
Les privilégiés du régime Ups-Ps, durant quarante interminables années, n’ont de cesse de se partager le butin Sénégal.
En 1960, lorsqu’ils prennent la place du Blanc, il y a quelques romantiques qui se persuadent que le sacerdoce est de porter notre République au sommet de la hiérarchie dans le concert des Nations. On compte ce genre de naïfs sur les doigts d’une main…
Ils ne savent pas à quel point ils sont seuls au monde. Les autres salivent d’avance.
Dans les années soixante-dix, l’opposant Abdoulaye Wade ne cherche pas ses mots pour dénoncer l’Office national de coopération au développement, l’Oncad, une monstrueuse machinerie à s’enrichir via l’économie de la cacahuète. Le bassin arachidier bruit encore de la légende de ses fastes, alors que Médina-Sabakh passe pour le Triangle des Bermudes des nouveaux riches où s’engloutissent leurs fortunes et vertus…
La Caisse de Péréquation et de Stabilisation des Prix, qui prend le relais, en dépit de son appellation ronflante, est la Caverne d’Ali Baba. Une autorisation d’importer du riz, parcimonieusement attribuée depuis les officines présidentielles, rapporte à son bénéficiaire jusqu’à quatre cent millions de francs rien qu’à la présenter aux grossistes de Sandiniéry. Ça servira longtemps à renflouer les militants dans le besoin, tout comme les pontes en crise de trésorerie, ou les opposants irascibles qui n’en demandent pas beaucoup pour transhumer.
Passons sur les monopoles de toutes sortes : la partouze de la mer, les orgies foncières, la nouba des travaux publics, dont le tristement célèbre «Canal de la Gueule-Tapée» lequel aura suscité tant d’appels d’offres, des décennies durant et n’aura, en réalité, créé que des millionnaires d’une saison.
Lorsque le «Sopi» établit ses quartiers dans la République, le 19 mars 2000, Wade traîne avec lui des gens qui ont vachement faim. Ils ne mettent pas de temps à prendre leurs aises. Rien n’est assez beau pour racheter leurs complexes d’infériorité, aucun pillage ne les rassasie. Lorsque Wade quitte le pouvoir en 2012 sous les huées, parmi les cris des enragés, on perçoit les accusations infâmantes de détournements de deniers publics, corruption, concussion et j’en passe. La Cour de Répression de l’Enrichissement illicite, la sinistre Crei, fera moins de victimes que l’on peut croire : un pelé, Karim Wade, et quelques tondus qui négocient en catimini et rendent gorge
La gestion sobre et vertueuse que nous promet Macky Sall en 2012 est de la poudre de perlimpinpin. Passons sur la boulimie foncière, la distribution des emplois fictifs depuis les ministères inutiles, jusqu’aux présidences de conseils d’administrations illusoires, le partage des dernières parcelles de terres dakaroises, et arrêtons-nous sur la ripaille avec les mille milliards de francs Cfa des fonds Covid qui illustrent à quel point cette race manque de sens de l’humain : ça grapille jusqu’au fond des tiroirs de caisse pendant que le Sénégalais ordinaire se meurt…
Ah, c’est du propre, les enfants de Mamadou Bitiké : ils n’auront pris la place du Blanc rien que pour ça !
Par Cheikh Tidiane FALL
LES SECRETS DE LA COMMUNICATION DE LA FSF EN 2002
Parmi les acteurs qui contribuent à la bonne marche du football sénégalais, les journalistes jouent un rôle fondamental. Eux qui servent d’interface ou de relais, entre les pratiquants, le grand public et les autres acteur
Bés Bi le Jour |
Cheikh Tidiane Fall |
Publication 18/01/2024
La saison 2000-2002 a été exceptionnelle pour le Sénégal car marquée par la qualification historique à la Coupe du Monde Corée-Japon et l’épopée de Mali 2002. Ces événements ont polarisé l’attention des médias et de l’opinion publique sénégalaise et consacré, en conséquence, l’essentiel des activités en matière de communication de la Fédération sénégalaise de football.
Parmi les acteurs qui contribuent à la bonne marche du football sénégalais, les journalistes jouent un rôle fondamental. Eux qui servent d’interface ou de relais, entre les pratiquants, le grand public et les autres acteurs. Ce rôle est très exigeant lors des compétitions nationales et prend encore une dimension plus forte lors des grands événements internationaux qui suscitent beaucoup d’engouement et un grand impact médiatique. A ce propos, la Can est l’événement phare sur le continent, et il a fallu porter une attention particulière à la presse sénégalaise et internationale. L’expérience a été enrichissante et capitalisée par la Fédération pour les expéditions suivantes.
La communication pour susciter l’engouement
A Bamako, avec la délégation sénégalaise logée à l’Hôtel Mirabeau, nous avons dû mettre en place un dispositif approprié afin de mieux répondre aux exigences de communication liées aux facteurs suivant :
- Engouement extraordinaire suscité par le Sénégal désigné meilleure équipe africaine de l’année par la Fifa et la Caf.
- Une équipe entièrement constituée de professionnels (19 sur les 22 évoluent en D1 française) et qui allait jouer le match d’ouverture de la Coupe du Monde avec la France. Les Lions intéressaient particulièrement les médias occidentaux, surtout français.
- La proximité de l’événement avec le Sénégal qui a permis le déplacement d’un grand nombre de journalistes sénégalais, plus de 75 selon l’Anps.
Les modes de communication
Il était indispensable, tout en étant ouvert et accessible à la presse, d’éviter que les contacts avec les journalistes ne perturbent l’équipe dans sa préparation et sa concentration durant la compétition. En accord avec le Président El Hadj Malick Sy «Souris» et l’encadrement technique, des dispositions particulières avaient été prises afin que la communication soit bien gérée à Bamako. Cela s’est essentiellement traduit de la manière suivante :
Communiqués de presse : le Sénégal a été le seul pays à publier des communiqués de presse pour informer les journalistes sur les moments pendant lesquels l’équipe sera à leur disposition pour des interviews, à l’entraînement ou à l’hôtel. Six communiqués de presse ont été ainsi publiés correspondant au nombre de matches joués par l’équipe.
Rencontres avec la presse : systématiquement avant chaque match, une rencontre avec la presse nationale et internationale avait lieu le jour précédent les matches à l’hôtel Mirabeau, autour de la piscine. L’entraîneur national, quatre joueurs sélectionnés au moins, le médecin de l’équipe, etc., y participaient. Après le match, la presse avait aussi l’occasion de venir recueillir les impressions des joueurs et de l’encadrement à l’Hôtel Mirabeau.
Organisation d’interviews particulières: pour les journalistes désirant des rencontres avec les joueurs afin de réaliser de grandes interviews ou des papiers magazine, des rencontres étaient programmées. Elles se faisaient avec l’accord préalable du joueur et en tenant compte du programme global de l’équipe afin d’éviter les perturbations. J’assistai souvent les joueurs dans cet exercice quelquefois délicat.
Interviews au stade : après les matches, l’entraîneur national et les joueurs choisis par les responsables de presse de la Caf pour rencontrer les journalistes dans la zone mixte du stade étaient aussi assistés durant cet exercice médiatique.
Brochure de présentation du Sénégal : avec l’appui de Pamodzi, une brochure de 16 pages en quadrichromie a été réalisée avec un tirage de 3000 exemplaires. Distribué à Bamako, il a permis de faire la promotion des «Lions», du football sénégalais et du pays. Le Sénégal a été le seul pays sur les 16 présents au Mali à produire un tel document. Il a d’ailleurs été impossible de satisfaire toutes les demandes.
La censure «positive»
Censure «positive» : Par différents canaux, les journaux sénégalais parvenaient à la délégation. Il a fallu régulièrement les parcourir pour éviter de mettre à la disposition des joueurs ceux qui contenaient des articles pouvant avoir des conséquences psychologiques négatives ou contribuer à empoisonner les relations des joueurs avec les journalistes. Ex : certains articles relatifs à la sortie des joueurs après Sénégal-Egypte ou au débat suscité à Dakar par les déclarations de Mawade Wade. Par ailleurs, au lendemain de la publication à Dakar d’articles relatifs à la sortie des «Lions» après Sénégal-Egypte, j’ai demandé aux joueurs de ne pas s’expliquer sur la question pour éviter tout dérapage et des tensions avec les journalistes. Je me suis adressé à la presse pour dédramatiser la situation et ramener les choses à leurs justes proportions.
L’autre tâche du Chef de presse consistait à chercher quotidiennement sur internet, pour l’encadrement technique de l’équipe, des informations pouvant être utiles sur les adversaires des «Lions» et les articles sur l’équipe du Sénégal. Contacts suivis avec l’Anps : j’étais en permanence en contact avec l’Anps afin que les journalistes sénégalais soient en priorité informés sur le programme et les activités de la délégation sénégalaise. Le président de la Fédération et le ministre des Sports ont été d’ailleurs parmi les invités de l’Anps à la Maison de la presse sénégalaise. Dans l’ensemble, le Sénégal a géré d’une manière satisfaisante, selon les journalistes, ses relations médiatiques à Bamako. Cela n’a été possible qu’à partir de synergies développées au sein de la délégation avec l’encadrement technique, administratif, la sécurité, etc.
Les joueurs ont aussi, en dehors de quelques réticences -surtout le capitaine Aliou Cissé - rencontré régulièrement les journalistes et ainsi contribué à la réussite du dispositif mis en place. A ce propos, une mention spéciale pour Ferdinand Coly, Omar Daff, Sylvain Ndiaye et Amara Traoré qui ont été en permanence disponibles et fait preuve d’un grand professionnalisme dans la relation médiatique.
Le fait d’avoir vécu à Bamako dans un hôtel exclusivement réservé à l’équipe a aussi permis, avec l’appréciable concours du colonel Koné et des agents de la sécurité de bien maîtriser cet aspect essentiel de la compétition moderne qu’est l’ouverture aux médias.
par Alioune Wagane Ngom
SORTIR LE DROIT DE L’ABÎME À TRAVERS LE JUGE CONSTITUTIONNEL
EXCLUSIF SENEPLUS - Les lois de la République ne sont pas un échiquier ou un jeu de dés. Elles expriment un pacte national. Les carences de l’administration à fournir des pièces du dossier ne sauraient être un motif de rejet d’une candidature
Depuis quelques années, le Sénégal est caractérisé par une crise de l’État de droit. Cette crise est l’une des plus importantes. Si elle se manifestait par des pratiques drapées d’une certaine légalité formelle, elle est aujourd’hui manifeste. Jamais, l’État ne s’est autant soustrait à son rôle de protecteur des droits et libertés. Jamais il ne s’est autant soustrait au respect du droit. Pourtant, l’une des principales caractéristiques d’un État de droit est la soumission de l’État au droit.
L’État de droit n’est pas une imposition verticale d’un droit émanant de l’État et qui se déploierait sur les administrés. C’est un État dont la légitimité et l’action sont fondées sur le droit. Le droit, à travers la Constitution, est le garant premier du pacte liant l’État aux citoyens. Le premier et le dernier souverain étant le peuple. Les forces imaginaires de ce droit et sa consécration dans des textes ne sont que le reflet de cette souveraineté. L’État n’est donc pas au-dessus de cette souveraineté, ni au-dessus du droit qui est le reflet du transfert de cette souveraineté. Il n’est que le dépositaire de cette dernière.
Aujourd’hui, les atteintes aux droits et libertés des citoyens sur la base de notions juridiques instrumentalisées, sont légion. Il en est ainsi des « troubles à l’ordre public », des « atteintes à la sureté de l’État », de la « corruption de la jeunesse », de la « diffusion de fausses nouvelles », entre autres. Cette situation est accompagnée d’une perte de confiance en la justice. Voilà ce à quoi le droit est réduit sous nos tropiques. À la veille de l’élection présidentielle de février 2024, les épisodes judiciaires visant des opposants politiques confortent les soupçons d’une instrumentalisation de la justice. Plus grave encore, des décisions de justice sont ignorées par l’État et son administration.
Tous ces épisodes montrent que l’État de droit s’érode au Sénégal. Il appartient au juge constitutionnel de contribuer à le restaurer dans les prochains jours à travers ses décisions attendues sur la validation des candidatures à l’élection présidentielle.
Face à une administration refusant délibérément de se soumettre au droit, il appartient au juge constitutionnel de réhabiliter la confiance et la force du droit en affirmant l’importance des valeurs et principes dans le texte constitutionnel dont la séparation des pouvoirs, la souveraineté du peuple et la soumission de l’État au droit.
Le navire du droit tangue depuis plusieurs années, et semble donner raison à ceux qui se demandaient s’il ne fallait pas brûler les facultés de droit au Sénégal. Mais il faut, contre vent et marrées, garder le cap de l’État de droit, tenir son gouvernail et ne jamais laisser se perdre son sillage.
Lorsque l’État et son administration se trouvent être les premiers à ne pas appliquer des décisions de justice, il y a lieu de craindre pour la démocratie et pour l’Etat de droit. Pire, de telles dérives, présagent un Etat de nature où pourrait régner la loi du plus fort.
Dans les prochains jours, le juge constitutionnel aura une responsabilité non négligeable : celle de réhabiliter le droit et de renouer la confiance du peuple en son droit. La responsabilité de préserver ce qui reste, lie et assure l’égalité et la justice lorsque tout vacille : le droit. Préserver ce qui structure une société et dessine sa trajectoire. Car le droit n’est pas un condensé de simples énonciations consignées dans des textes. C’est un projet de société normatif. Il participe à la construction de l’imaginaire d’une société. A travers un texte constitutionnel, un Code pénal, un Code électoral ou une décision de justice, ne se manifestent pas seulement des dispositions légales. Il s’agit aussi de la traduction d’un ensemble d’imaginaires et de mythes, de valeurs et aspirations qui régissent une société.
Le juge constitutionnel doit réhabiliter le droit en l’appliquant. Mais il doit aller plus loin et ne pas se limiter à une interprétation littérale des dispositions de la Constitution et des autres textes législatifs. Le contexte social et politique du moment est important. Le juge et le Conseil constitutionnel ne doivent pas l’ignorer. Ces derniers sont aussi habités et influencés par ces réalités.
Les insuffisances remarquées lors des contrôles du parrainage par le Conseil nous interpellent. Elles montrent les limites du système de parrainage et la transparence douteuse du processus électoral.
Le cas de la candidature de Monsieur Ousmane Sonko ne concerne pas seulement un homme ou un parti politique. Admettre que des convictions politiques ne puissent pas s’exprimer est une atteinte grave à la démocratie et au pluralisme politique qui ait toujours caractérisé le Sénégal. Un État qui ne respecte plus des décisions de justice ou utilise l’administration pour orchestrer des insuffisances du service public afin d’empêcher des citoyens de présenter leur candidature est une atteinte des droits et libertés mais aussi une trahison du pacte qui lie les gouvernants et les gouvernés dont le droit et la justice sont les garants. Dans une démocratie, la bataille politique ne se gagne pas par un tripatouillage de la Constitution et des manœuvres dilatoires qui violent le droit. La bataille politique se gagne par des idées, des programmes, des forces de propositions et de convictions. Le droit étant ce qui organise une telle compétition en définissant les procédures, délais et conditions mais aussi et surtout en donnant des droits égaux à tous les candidats.
Par ailleurs, il y a lieu de préciser que la jurisprudence du Conseil constitutionnel a toujours considéré que les carences de l’administration pour fournir des pièces du dossier ne sauraient être un motif de rejet d’une candidature (Conseil constitutionnel, Décision no/E/3/98 du 15 avril 1998, affaire Insa Sangare). En outre, des éléments non essentiels comme la fourniture d’une attestation (non fournie par l’administration) ne sauraient être un motif pour invalider la candidature de l’opposant principal au régime actuel. Il s’agit, dans ce cas, de fausser le jeu démocratique et d’empêcher un choix libre du futur président de la République par les citoyens.
Il appartiendra au juge constitutionnel de maintenir debout le bouclier qui reste lorsque toutes les digues et barrières ont été franchies. La Constitution et les lois de la République ne sont pas un échiquier ou un jeu de dés. Elles expriment un pacte national. Le respect d’un tel pacte ne saurait se limiter aux seuls gouvernés. Il s’impose à l’État. Il appartient au Conseil constitutionnel d’entamer la marche vers une restauration d’un Etat de droit en crise.
Ce dont il est question pour le juge constitutionnel dans les jours à venir, c’est de rappeler que personne n’est au-dessus du pacte national y compris l’Etat. Il s’agit de faire comprendre que le respect d’une institution se forge à travers des décisions qui ne se fondent sur aucune légitimité autre que celle du peuple.
par Denis Ndour
L’OBSTACLE À L’ACCÈS AU LIBRE CHOIX RISQUE DE REMETTRE EN CAUSE LE DROIT DE VOTE DE CERTAINS CITOYENS
N’importe qui, à cause d’un tirage au sort, peut voir son candidat se retrouver en dernière position, donc avec moins de chance de passer à ce test de parrainage
Le processus du parrainage comme filtre pour réduire la pléthore de candidats à la candidature a soulevé un grand débat sur la pertinence et la fiabilité en tant qu’instrument électoral de régulation sur les critères de recevabilité de candidature.
En effet, cette situation était prévisible dans la mesure où les réformes sur le parrainage n’ont pas été faites en profondeur mais plutôt, elles ont été réalisées de façon superficielle, pour ne pas dire politicienne.
Pour rappel, dans son arrêt de 32 pages rendu le 28 avril, la Cour de justice de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) porte un coup sévère au Code électoral sénégalais, qui avait consacré, en février 2019, la réélection du président Macky Sall dès le premier tour, au milieu d’un désert de candidatures concurrentes. « La Cour décide que les formations politiques et les citoyens du Sénégal qui ne peuvent se présenter aux élections du fait de la modification de la loi électorale [en 2018] doivent être rétablis dans leurs droits par la suppression du système de parrainage, qui constitue un véritable obstacle à la liberté et au secret de l’exercice du droit de vote, d’une part, et une sérieuse atteinte au droit de participer aux élections en tant que candidat, d’autre part. »
En outre, si nous sommes d’accord qu’il n'y a pas de liberté sans lois, alors nous considérons aussi que les lois morales ou juridiques non seulement n'excluent pas la notion de liberté, mais sont en outre nécessaires pour qu'advienne une liberté authentique.
Or dans ce processus de parrainage, le libre choix du citoyen est compromis dans la mesure où n’importe quel citoyen, à cause d’un tirage au sort, peut voir son candidat se retrouver en dernière position, donc avec moins de chance de passer à ce test de parrainage. A cette situation anti-démocratique, il faut y ajouter le fait que le candidat ne puisse changer de type de parrainage en cas de premier rejet. Par conséquent le citoyen dans ce cas de figure, risque de ne pas voter puisque le système a limité ses choix, cela constitue une violation du droit de vote. Nous rappelons que voter est un droit, c'est un acte citoyen qui permet de choisir son(sa) ou ses représentants à l'occasion d'un scrutin. Au sein d'une démocratie, ce droit fondamental de participation permet d'exercer sa citoyenneté en participant à l'élection de son(sa) ou ses représentants.
L’inhérence des élections à la démocratie est du reste clairement affirmé par la Déclaration universelle des droits de l’homme : « La volonté du peuple est le fondement de l’autorité des pouvoirs publics ; cette volonté doit s’exprimer par des élections honnêtes, libres, transparentes, inclusives qui doivent avoir lieu périodiquement, au suffrage universel égal et au vote secret ou suivant une procédure assurant la liberté du vote »
Selon certains penseurs modernes du gouvernement représentatif, la désignation des gouvernants par une élection avait un caractère aristocratique : elle était destinée à sélectionner les meilleurs pour gouverner. C’est ainsi que, au début du XIX eme siècle, François Guizot pouvait encore écrire : « Le but de l’élection est évidemment d’envoyer au centre de l’État les hommes les plus capables et les plus accrédités du pays ; c’est une manière de découvrir mais aussi de constituer la véritable et la légitime aristocratie » L’ère de cette aristocratie est dépassée certes mais dans une vraie démocratie, la légitimité reste fondamentale. Qui doit posséder le pouvoir de prendre les décisions politiques au nom du ‘dèmos’, le pouvoir de gouverner ? Comment désigner et contrôler ceux qui auront ce pouvoir ? Nous sommes XVIII millions, mais combien de sénégalais auront le privilège de choisir le prochain président de la République ? Même si Alexis de Tocqueville soulignait que l’égalité politique est au cœur de la démocratie et implique le suffrage universel. Il faut reconnaitre aussi que la démocratie suppose avant toute chose des élections libres, mais de plus en plus il paraît cependant remis en question c’est pourquoi on parle de « la crise de la représentation ». Celle-ci est avant tout, une crise de la force légitimant l’élection. Aujourd’hui, nous nous rendons compte que de plus en plus, l’élection au suffrage universel n’est plus vraiment inclusive, non pas seulement à cause de subterfuges politico-judiciaires pouvant retenir des candidats, mais encore trois autres raisons sont souvent avancées :
a) de facto, la participation électorale est socialement biaisée : les citoyens plus scolarisés et issus de milieux plus favorisés votent davantage que ceux qui sont moins scolarisés et issus de milieux moins favorisés ;
b) le même biais social affecte, de manière encore plus marquée, l’accès aux mandats politiques : la grande majorité des élus ont un niveau de revenu et un niveau d’études supérieurs à la moyenne des citoyens ; ils ont souvent fréquenté les mêmes écoles, les mêmes cercles et sont parfois issus des mêmes familles ; c) enfin, la dynamique électorale conduit à une professionnalisation de la politique, à la constitution d’une « classe politique » dotée d’un certain pouvoir social et dont les intérêts et le mode de vie se distinguent de ceux du reste de la population.
Par ailleurs, une réflexion sur la légitimité démocratique ne peut en effet se focaliser exclusivement sur les conditions d’un rapport dialogique entre citoyens au sein d’un espace public ou d’une instance de délibération. Elle doit aussi penser à la phase consensuelle du processus qui constitue une base de confiance entre les acteurs. C’est pourquoi nous devons aujourd’hui nous assurer durant la prochaine élection que notre futur président ne souffre d’aucune légitimité et qu’il soit crédible aux yeux des sénégalais pour conduire en toute sérénité les destinées de notre cher pays.
Pour ce faire, le Conseil constitutionnel a un grand rôle à jouer pour que le droit soit objectivement lu, tous les recours traités selon les délais du code électoral et que toutes ses décisions pour le reste du processus, ne puissent souffrir d’aucune ambigüité juridique. Il faut le rappeler les juges constitutionnels qui ont pourtant des pouvoirs importants, ne sont pas élus. On peut néanmoins admettre qu’ils sont démocratiquement autorisés à exercer les pouvoirs que leur donne la Constitution en vertu du fait que les citoyens adhèrent à celle-ci, même si ce consentement est implicite. Mais aussi que tous les acteurs acceptent le fairplay après avoir épuisé tous les éventuels contentieux électoraux. Que la campagne électorale se fasse à travers la non-violence et qu’un véritable débat programmatique s’installe au détriment des invectives et attaques personnelles. Dans une perspective de période postélectorale, il nous faut une innovation démocratique qui traduise une volonté de mettre la participation directe des citoyens au cœur de l’élaboration des politiques, de dépasser ainsi les insuffisances de la démocratie électorale. Ainsi la présence de partis politiques est essentielle au déploiement des vertus de l’élection en tenant en compte : - Le consentement des citoyens à être gouvernés ; - L’inclusion égalitaire des citoyens dans le processus de décision ; - Le contrôle et la contestation des décisions et des décideurs par les citoyens ; - Les qualités épistémiques du processus de décision. Il nous faut une transition pour une refondation nationale basée sur des consensus forts comme les conclusions des Assises Nationales et celles de la CNRI.
Enfin, une procédure de vote est démocratique si elle est inclusive, c’est-à-dire : si elle assure à tous les citoyens, quelle que soit leur origine sociale, une possibilité égale de prendre part, directement ou indirectement, à la formation de la décision politique.
KARIM WADE DOIT ÊTRE RETIRÉ DE LA LISTE DES CANDIDATS
Il est étonnant qu’une candidature repêchée par le dialogue national, une forfaiture à laquelle nous avions refusé de participer, soit secourue in extremis par la France. La Françafrique doit mourir
L’immixtion flagrante de la France dans notre processus électoral pour tenter de sauver la candidature de M. Karim Meissa Wade traduit une solidarité entre les tenants de la Françafrique et du néocolonialisme.
Comme par magie, Karim Wade exhibe un décret daté du 16 janvier 2024, par lequel le gouvernement français le "libère de son allégeance à l'égard de la France", autrement dit lui retire la nationalité objet de controverses.
Plutôt que de le conforter, ce document le confond et l'enfonce.
En effet, il est aujourd’hui incontestable que :
- Lorsqu'il a officiellement présenté sa candidature en 2019, en accompagnant celle-ci d'une déclaration sur l'honneur affirmant qu'il était exclusivement de nationalité française, il était pleinement conscient de perpétrer un acte de parjure. Ce seul fait constitue un motif suffisant pour le Conseil constitutionnel de l'écarter définitivement ;
Il récidive dans sa compromission, en déposant, pour l'élection présidentielle de 2024, un dossier comprenant une nouvelle déclaration sur l'honneur contraire à la vérité. Karim Wade administre lui-même la preuve qu'à la date du 26 décembre 2023, à l'expiration des délais de dépôt de candidatures, son dossier était irrecevable, car il avait au moins deux nationalités.
En conséquence de ce qui précède, notamment que la perte de sa nationalité française n'est intervenue que le 16 janvier 2024, la contestation de la liste provisoire est fondée. Non seulement cette contestation est fondée, mais Karim Wade doit être retiré de la liste définitive pour deux autres motifs :
- D'une part, les délais de dépôt de dossiers de candidatures ayant été épuisés le 26 décembre, il ne saurait lui être autorisé de compléter son dossier le 16 janvier 2024, soit 3 semaines plus tard, à sa propre initiative.
- D'autre part, le décret du 16 janvier 2024 de l'État français ne pouvant avoir des effets rétroactifs, il demeure constant que Karim Wade a été retenu sur la liste provisoire sans remplir une exigence majeure découlant de la Constitution. S'il avait révélé au Conseil constitutionnel la réalité à cette date de sa double nationalité, comme l'exige la déclaration sur l'honneur, il n'aurait pas été retenu dans la liste provisoire.
La Françafrique doit mourir. Il est étonnant qu’une candidature repêchée par le dialogue national, une forfaiture à laquelle nous avions refusé de participer, soit secourue in extremis par la France. Nous allons faire barrage, face à cette fraternité triangulaire entre la France, le candidat du camp présidentiel Amadou Ba, et le soldat Karim Wade qui ne peut être sauvé que par des manigances flagrantes.
Pour toutes ces raisons, je demeure convaincu que le Conseil constitutionnel tâchera d’honorer ses missions, notamment celle de défendre notre Constitution.
Thierno Alassane Sall est candidat à l'élection présidentielle, président du parti République des Valeurs/Réewum Ngor.
Par Mohamed GUEYE
LES PERTES POST-RECOLTES, FREIN AU DEVELOPPEMENT
Tout le monde reconnaît que si les pertes post-récoltes n’étaient pas si importantes, c’est un marché important qui pourrait s’ouvrir pour la transformation locale.
Depuis des années, les différents gouvernements qui se succèdent au Sénégal font de la sécurité alimentaire, ou même de l’autosuffisance alimentaire, l’un des piliers de leurs politiques. En 2007, après la crise alimentaire qui avait frappé le monde, provoquant des émeutes de la faim dans certains pays, le gouvernement du Président Abdoulaye Wade avait lancé sa fameuse Grande offensive agricole pour la nourriture et l’abondance (Goana), qui avait pour objectif assumé de doubler, voire de décupler les taux de production de certaines spéculations dont le riz, l’arachide et certaines céréales. Beaucoup d’argent a été mis dans ce projet, et plusieurs hectares de terres octroyés à des «entrepreneurs» qui, sautant sur l’occasion, se sont découvert une âme de paysan.
Au moment où le Président Wade quittait le pouvoir, les objectifs de la Goana n’étaient pas atteints. Ce qui a fait que dès son arrivée en 2012, le Président Macky Sall a enjoint à ses services de l’Agriculture, de dresser un programme pour réaliser l’autosuffisance en riz dans un délai de 3 ans au maximum. Il a ainsi été lancé le Programme national d’autosuffisance en riz (Pnar). Ce dernier a entamé un processus visant à acquérir des semences certifiées, à augmenter les surfaces cultivables, la modernisation des méthodes de culture et la transformation à terme de la production.
Bien que les différents ministres de l’Agriculture qui se succèdent à la tête de ce département assurent toujours que le pays a atteint l’autosuffisance dans la production de riz, c’est le riz importé qui est principalement consommé au Sénégal. D’ailleurs, on peut dire que d’une certaine manière, le riz local est un produit de niche, et les urbains qui en consomment passent pour des snobs prétentieux, tellement le produit n’est pas facile à trouver quand on n’habite pas près de la vallée du fleuve Sénégal.
Le même problème se pose avec la principale spéculation commerciale : l’arachide. Les chiffres officiels semblent toujours en déphasage avec les réalités perçues sur le terrain. Pourtant, personne ne conteste que, dans le domaine de nos productions agricoles, le Sénégal ait les moyens de réaliser l’autosuffisance dans tous les domaines. Et les producteurs font la plupart du temps, leur part de travail. C’est en aval que se pose le problème
Les pertes post-récoltes sont l’un des plus gros freins à l’atteinte de l’autosuffisance alimentaire au Sénégal. Elles bloquent aussi les tentatives de transformation industrielle de la plupart des spéculations, car les industriels ne sont pas assurés de pouvoir disposer chaque année, de la quantité de produits dont ils ont besoin. L’ennui est que les pouvoirs publics abordent rarement la question, sauf s’il s’agit d’encenser un projet dans ce domaine. Pourtant, les chiffres officiels disent que la part de la population qui vit de l’agriculture au Sénégal est de 22%. L’agriculture en elle-même représente, bon an mal an, 15% du Produit intérieur brut (Pib). Le Groupe consultatif pour la recherche agricole internationale (Cgiar en anglais) chiffre à plus de 100 milliards le coût annuel des pertes post-récoltes au Sénégal, soit entre 12 et 40% selon les produits.
On voit les dégâts de ces pertes en ce qui concerne plusieurs spéculations. L’une des plus symboliques est l’oignon. En 2022, les chiffres faisaient état de plus de 400 mille tonnes produites, pour un niveau de consommation ne dépassant pas 300 mille tonnes. Or, le pays a dû, cette année-là, importer près de 150 mille tonnes pour couvrir les besoins de la population. Une bonne partie de la production avait été perdue, faute de moyens de stockage. Une autre partie avait dû être bradée à vil prix, parce que les paysans ne voulaient pas voir leurs produits leur pourrir entre les mains. Les mêmes causes produisent les mêmes effets en ce qui concerne la mangue par exemple
Les récoltes peuvent atteindre 130 ou 150 mille tonnes. S’il n’y avait les pertes post-récoltes, dues à un déficit de lieux de stockage, les chiffres pourraient presque doubler, assurent les experts. Une manière de dire que si la mangue constitue 63% des produits horticoles exportés, son potentiel de production n’est pas atteint. Et tout le monde reconnaît que si les pertes post-récoltes n’étaient pas si importantes, c’est un marché important qui pourrait s’ouvrir pour la transformation locale.
Car le seul moyen d’espérer développer l’autosuffisance est de commencer à développer localement les productions agricoles, afin de booster l’emploi et rémunérer de manière convenable les paysans. Le dire de cette manière, ce n’est pas inventer le fil à couper le beurre. Cette évidence a été plusieurs fois déclamée au cours de séminaires et autres ateliers dans les hôtels de Dakar et de Saly Portudal, ou même ailleurs sur la Petite Côte. Des plans ont été élaborés pour la mise en œuvre des stratégies. Mais si rien n’est fait concrètement, le Sénégal sera toujours à la merci des producteurs étrangers, sur lesquels reposera l’essentiel de son alimentation. Et l’essentiel de l’argent que nous produisons dans ce pays, continuera à servir les programmes économiques des pays qui nous fournissent à manger
CNRA, LE REGULA-TUEUR
Le gendarme de l’audiovisuel va devoir d’abord élargir sa dénomination – Conseil national de régulation de l’audiovisuel – à la presse écrite et aux supports numériques.
Le gendarme de l’audiovisuel va devoir d’abord élargir sa dénomination – Conseil national de régulation de l’audiovisuel – à la presse écrite et aux supports numériques. Mais il y a lieu de revoir cette loi dépassée et quasi impraticable pour le privé notamment. Tout n’est quand même pas du génie de Joseph Goebbels. Et puis, l’audiovisuel et les médias en général sont victimes de la tyrannie des médias publics. Quand la Rts s’accapare de tout, y compris des fan zone, on prive le privé de toutes les mamelles. Et voilà un régulateur qui va tuer les médias.
Par Adama SAMBOU
DISSOLUTION DE LA CONFEDERATION DE LA SENEGAMBIE :
A l’origine, le match de foot Sénégal-Gambie organisé par l’Ufoa , . Un texte que Bés Bi publie in extenso.
Saviez-vous que c’est un match de football qui a été à l’origine de la dissolution de la Confédération de la Sénégambie ? C’est un rappel historique de Adama Sambou, un homme qui a vécu ces instants, au lendemain de la victoire des Lions sur les Scorpions pour leur premier match de la Can. Un texte que Bés bi publie in extenso.
Au milieu des années 80, l’Union des fédérations ouest africaines de football (Ufoa) organise à Banjul, capitale de la Gambie, son traditionnel tournoi de football réservé aux sélections locales des pays de l’Afrique de l’Ouest. Lors de ce tournoi, le Sénégal et la Gambie accèdent à la finale qui se jouera en nocturne au stadium de Bakau. Au terme d’un match âprement disputé, l’équipe du Sénégal vient à bout de son homologue gambienne sur le score d’un but à zéro (1- 0) à l’issue de la prolongation, but inscrit par Mbaye Fall, sociétaire du Jaraaf de Dakar, un des meilleurs joueurs de sa génération, sinon le meilleur. La déception fut grande côté gambien et la tension était palpable dans une atmosphère à couper au couteau.
Après la remise du trophée au capitaine de l’équipe sénégalaise, des supporters gambiens mal intentionnés menacent de s’attaquer aux joueurs sénégalais qui seront acheminés sous bonne escorte jusqu’à leur lieu d’hébergement. Devant la persistance de la menace, le Haut Commissaire du Sénégal en Gambie qui faisait office d’ambassadeur à l’époque, Alioune Badara Mbengue, un enseignant, antérieurement Directeur de l’école Thiers du nom de la rue (aujourd’hui Amadou Assane Ndoye) où était implantée l’école, nommé à ce poste par le Président Abdou Diouf, pris sur lui de réquisitionner le contingent militaire sénégalais, présent en Gambie dans le cadre de la Confédération afin qu’il sécurisé le lieu d’hébergement de la délégation sénégalaise.
Le prétexte
Cette décision irrita les autorités gambiennes jusqu’au plus haut niveau.
Le lendemain, le Président gambien, Sir Daouda Diawara, rétabli sur son fauteuil présidentiel par l’armée sénégalaise après une tentative de coup d’Etat menée par Kukoy Samba Saniang, proteste vivement auprès des autorités sénégalaises et accuse le Haut Commissaire du Sénégal en Gambie de se comporter «comme s’il était en territoire conquis». Quelques jours plus tard, le Président Abdou Diouf, prenant pour alibi l’attitude (ingrate, Nda) du Président décide, d’un commun accord avec son homologue gambien (selon les termes diplomatiques), de dissoudre la Confédération sénégambienne, une institution budgétivore qui a mis à rude épreuve les finances publiques sénégalaises.
Adama SAMBOU
par l'éditorialiste de seneplus, pierre sané
DE LA MÉLANCOLIE D’UN PRÉSIDENT MAL AIMÉ
EXCLUSIF SENEPLUS - Ayant pour l’instant emprisonné Ousmane Sonko, il cherche quand même à en découdre avec son nouvel ennemi : le "chaos" qui tarde à se matérialiser. Le refus de cette confrontation ajoute à son spleen
La mélancolie est un "état de dépression, de tristesse vague, de dégoût de la vie, accompagnée d’une propension habituelle au pessimisme”. (Larousse).Elle se traduit par un état de morosité permanent.
Le président Macky Sall est mélancolique.
Cette mélancolie est d’abord due à son renoncement à un troisième mandat "largement mérité" selon lui. La totale indifférence avec laquelle les Sénégalais accueillent ce bilan qu’il nous assène en toutes occasions, l’intrigue. Autant d’ingratitude l’attriste.
Ce troisième mandat, il y avait "droit", seul son "code d’honneur" l’a contraint à y renoncer. La faible mobilisation populaire en soutien à sa troisième candidature l’a certainement déçu et a porté gravement atteinte à son orgueil.
Tous les jours que Dieu fait, on le voit bien qu’il regrette cette décision. D’où cette mélancolie qu’il porte d’un pas lourd, le visage fermé, l’invective facile, le regard méprisant même quand il se retrouve uniquement entouré de ses collaborateurs et de ses fidèles. Surtout envers ceux qui l’ont encouragé à rester fidèle à son “code d”honneur”.
Son rêve d’instaurer une autocratie et pourquoi pas une présidence à vie a l’instar de ses homologues d’Afrique centrale est parti en fumée : Sénégal émirat pétrolier ? Infrastructures en chantier ? Réforme du système financier international ? Et non, ce ne sera pas sous son magistère. La déception est profonde.
Cette mélancolie nourrit la rancoeur inépuisable qu’il cultive à l’encontre d’Ousmane Sonko dont la popularité inébranlable malgré les complots, séquestrations et emprisonnements enrage un président mal aimé. Ce qui en retour alimente sa mélancolie. Il aura tout essayé depuis trois ans !
Le président se compare souvent à un champion de lutte défié par un jeune prétendant au titre de roi des arènes. Mais contrairement à la politique telle que la conçoit Macky Sall, les Sénégalais savent et apprécient que la lutte a des règles fixes connues d’avance. De plus, dans la lutte on n’élimine pas d’avance un adversaire par des complots extra sportifs et surtout, le champion ne peut pas être l’arbitre de ses propres combats. Ce champion ne sera donc pas légitime. Ça le rend désespérément triste de ne pas être encensé pour ses exploits dans l’arène politique.
Du bout des lèvres, il a désigné malgré tout un candidat, mais qui ne peut gagner que s’il réussit à écarter Ousmane Sonko.Et encore ! Le Pastef même dissous continue à hanter ses nuits. Il ne dirige plus le pays. Il inaugure y compris des premières pierres et des bus ! Et des avenues rebaptisées à son nom. Pathetique.
Ayant pour l’instant emprisonné Ousmane Sonko, il cherche quand même à en découdre avec son nouvel ennemi : le "chaos" qui tarde à se matérialiser. Pourtant, il s’y est préparé. On ne le prendra plus par « surprise », nous a-t-il prévenu. Il s’est armé, a remanié le commandement des forces de sécurité, a recruté ses nervis, a emprisonné à tour de bras, a refusé d’ouvrir des enquêtes sur les violations flagrantes des droits humains et a multiplié les provocations tel le blocus de la Casamance. Il a poursuivi l’acharnement judiciaire sur Ousmane Sonko, mais il n’est pas à l’abri de « petits juges » intègres.
Qu’a cela ne tienne. On ne lui fera pas le cadeau d’un “chaos” à six semaines de l’élection. A quoi bon ? Tout le monde en est conscient, car c’est le futur qui nous intéresse. Le refus de cette confrontation ajoute à son spleen.
D’autant plus que la vie d’un ancien président en Afrique de nos jours est remplie d’incertitudes.
C’est vrai, il y a de quoi sombrer dans la dépression.
par Edwy Plenel
L’AFRIQUE DU SUD AU SECOURS DE LA PALESTINE : LE RENVERSEMENT DU MONDE
L’Afrique du Sud apporte la réponse devant La Haye : l’origine ne protège de rien, il n’y a que de l’universalisable qui se joue à chaque épreuve concrète où le sort d’une humanité particulière met en péril celui de l’humanité tout entière
L’Europe et sa projection nord-américaine se revendiquent d’une universalité des droits humains que leurs actes n’ont cessé de contredire. Face à leur inaction devant la destruction de la Palestine par l’État d’Israël, c’est l’Afrique du Sud qui, aujourd’hui, défend cet universel.
La requête de l’Afrique du Sud devant la Cour internationale de justice (CIJ) des Nations unies contre l’État d’Israël, sur le « caractère génocidaire » de sa guerre contre les Palestiniens et Palestiniennes de Gaza, n’est pas seulement un événement juridique sans précédent. Elle marque un renversement géopolitique : tandis que tous les peuples du monde constatent, à travers la tragédie palestinienne, l’usage à géométrie variable par l’Europe et les États-Unis d’Amérique des valeurs universalistes dont ils se réclament, c’est un pays emblématique des causes émancipatrices du tiers-monde, anticoloniales et antiracistes, qui en reprend le flambeau.
Il suffit de lire l’exceptionnel document produit par la diplomatie sud-africaine et d’écouter l’exposé (voir ci-dessous, d’autant que nos médias audiovisuels ne l’ont guère relayé), jeudi 11 janvier, de ses arguments devant la CIJ pour prendre la mesure de l’éclipse intellectuelle d’un continent, le nôtre, dont les États-nations ont si longtemps prétendu dire, codifier et imposer le bien, le juste et le vrai.
Car, en temps réel et sous le regard du monde entier, face au martyre de Gaza, ils n’ont rien dit – ou si peu : quelques appels hypocrites à la retenue – et rien fait – ou pis : fait tout le contraire en livrant massivement et tout récemment encore, à l’instar des États-Unis, armes et munitions à Israël. Rien dit et rien fait quand la population de l’un des territoires les plus densément peuplés de la planète est attaquée par l’une des armées les plus puissantes au monde, celle de l’État qui l’assiège après l’avoir occupé, dans une campagne de bombardements la plus intensive de l’histoire militaire moderne.
Pire qu’Alep en Syrie, pire que Marioupol en Ukraine, pour s’en tenir à deux références contemporaines qui mettent en cause la Russie, mais proportionnellement pire aussi, en intensité, que les bombardements alliés sur l’Allemagne nazie.
Une punition indiscriminée
Par les actes de son armée comme par les paroles de ses dirigeants, c’est bien un peuple qu’a ciblé l’État d’Israël dans sa riposte vengeresse à l’attaque du 7 octobre 2023 menée par le Hamas et à ses massacres de civils israéliens. Loin d’une réplique proportionnée, c’est une punition indiscriminée qui a été mise en œuvre contre une population à raison de son origine, de son identité, de sa culture, de son histoire.
C’est le peuple palestinien de Gaza, et, à travers lui, l’idée même d’une Palestine viable, d’une vie et d’une existence sous ce nom, avec ce qu’il charrie de sociabilité et de citoyenneté, qui a été désigné comme le coupable qu’il fallait châtier, sans discernement aucun. Et ceci, de façon explicite au premier jour, par la voix du premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou lui-même, appelant à une guerre sainte en faisant référence à Amalek, ce peuple que, dans la Bible (I Samuel XV, 3), Dieu ordonne d’exterminer – « Tu ne l’épargneras point, et tu feras mourir hommes et femmes, enfants et nourrissons, bœufs et brebis, chameaux et ânes ».
En à peine trois mois de guerre, on compte déjà des dizaines de milliers de morts, de disparus et de blessés, des civils pour l’essentiel, en majorité des enfants et des femmes. Tout un monde a été détruit à jamais, les habitations et les hôpitaux, les lieux de vie et de culte, les écoles et les universités, les administrations, les magasins, les monuments, les bibliothèques, les cimetières même.
« Aucun endroit n’est sûr à Gaza », n’a pas hésité à affirmer le secrétaire général des Nations unies António Guterres, le 6 décembre 2023 dans sa lettre solennelle au Conseil de sécurité. Depuis, les humanitaires des ONG et les agences de l’ONU ne cessent d’alerter sur l’eau polluée, le risque de famine, la misère incommensurable et le désespoir infini, bref la destruction sans retour d’une partie de la Palestine occupée.
Sinistre retournement : l’État dont la légitimité initiale est fondée sur la conscience du crime de génocide commis contre les Juifs par le nazisme et ses alliés est aujourd’hui confronté à l’accusation de le reproduire contre les Palestiniens. Dans la Convention de 1948 invoquée par l’Afrique du Sud, le crime de génocide désigne des actes « commis dans l’intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux, comme tel ». Rafaël Lemkin, l’inventeur du mot – du grec genos et du latin cide –, le définissait comme « un complot visant à annihiler ou affaiblir des groupes d’ordre national, religieux ou racial ».
Le débat juridique sera mené au fond mais, dans l’immédiat – et c’est l’enjeu de la procédure d’urgence devant la CIJ –, il s’agit d’interrompre au plus vite un processus d’annihilation, d’épuration, d’expulsion, d’effacement et de destruction des Palestiniens et Palestiniennes de Gaza qui a des caractéristiques génocidaires.
Comme l’ont tragiquement rappelé les génocides commis au Rwanda en 1994 et en Bosnie en 1995, ce n’est en rien relativiser l’unicité de la Shoah, ce plan concerté par le régime nazi d’une extermination industrielle de millions d’êtres humains, que d’entretenir une vigilance universelle sur la répétition, dans d’autres contextes et sous des formes différentes, de cet incommensurable crime de l’humanité contre elle-même.
Mais l’histoire retiendra que les puissances qui incarnent l’Occident, cette réalité politique née de la projection de l’Europe sur le monde, alors même qu’elles se font gloire d’avoir proclamé l’universalité et l’égalité des droits, se sont dérobées à cette vigilance en abandonnant la Palestine à son triste sort. À travers l’audace sud-africaine, ce sont dès lors les peuples et les nations ayant pâti de cette appropriation dominatrice de l’universel par les puissances occidentales qui s’en font aujourd’hui les meilleurs défenseurs. Qui, en somme, rappellent à l’Europe la promesse qu’elle a trahie.
« Si nous voulons répondre à l’attente de nos peuples, il faut chercher ailleurs qu’en Europe » : ce sont presque les derniers mots des Damnés de la terre (1961), cet essai de Frantz Fanon qui, depuis sa parution, a fait le tour de la planète, et ils peuvent se lire comme la prédiction du renversement qui, aujourd’hui, s’accomplit. Cet appel à « changer de bord » revendiquait une échappée émancipatrice dans la quête d’un humanisme véritable, où le souci de l’humanité ne soit plus éclipsé par les intérêts de nations dominatrices ou par les identités de peuples conquérants. Dans le sillage du Discours sur le colonialisme (1955) de son compatriote martiniquais Aimé Césaire, Les Damnés de la terre magnifiait un universalisme véritable, sans nation propriétaire, sans frontière identitaire.
« Qu’il me soit permis de découvrir et de vouloir l’homme, où qu’il se trouve », avait écrit Fanon en conclusion de son premier livre, Peau noire, masques blancs (1952), où il rappelait cette mise en garde de « [son] professeur de philosophie, d’origine antillaise : “Quand vous entendez dire du mal des Juifs, dressez l’oreille, on parle de vous” », avec ce commentaire : « Un antisémite est forcément négrophobe. » En exergue d’un des chapitres, il avait placé ces mots d’Aimé Césaire : « Il n’y a pas dans le monde un pauvre type lynché, un pauvre homme torturé, en qui je ne sois assassiné et humilié. »
L’Europe s’est refusée à toute humilité, à toute modestie, mais aussi à toute sollicitude, à toute tendresse.
Le droit international est la traduction juridique de cet humanisme essentiel. Un humanisme dont Fanon, une décennie plus tard, celle des guerres coloniales françaises, du Vietnam à l’Algérie, constatait rageusement que l’Europe l’avait renié.
« Quittons, écrit-il alors dans Les Damnés de la terre, cette Europe qui n’en finit pas de parler de l’homme tout en le massacrant partout où elle le rencontre, à tous les coins de ses propres rues, à tous les coins du monde. […] L’Europe s’est refusée à toute humilité, à toute modestie, mais aussi à toute sollicitude, à toute tendresse. Elle ne s’est montrée parcimonieuse qu’avec l’homme, mesquine, carnassière homicide qu’avec l’homme. Alors, frères, comment ne pas comprendre que nous avons mieux à faire que de suivre cette Europe-là. »
Dans ce réquisitoire où il dresse l’Europe contre elle-même, Fanon en brandit la promesse trahie pour mieux revendiquer un dépassement qui, enfin, l’accomplisse. Cette Europe qui a proclamé l’égalité naturelle, puis édicté l’universalité des droits, piétinait et saccageait l’une et l’autre par le colonialisme et l’impérialisme, les déniant aux peuples et aux humanités qu’elle opprimait et exploitait.
Poison mortel
Et c’est cette imposture dévastatrice que la longue injustice faite à la Palestine par l’occupation et la colonisation de ses territoires depuis 1967, la ségrégation et la discrimination de son peuple qui en découlent, ont perpétuée jusque dans notre présent, diffusant au sein même de la société israélienne un poison mortel pour les idéaux démocratiques dont témoigne l’ascension de forces juives d’extrême droite, aussi racistes que le sont des antisémites.
La résonance actuelle de ce livre-manifeste prouve que l’espérance internationaliste et humaniste de la décolonisation n’est pas une vieillerie révolue, mais toujours une promesse active. Paru quelques jours avant le décès de son auteur, qui avait épousé la cause indépendantiste algérienne, Les Damnés de la terre fut publié fin 1961, soit l’année même où Nelson Mandela, renonçant à la stratégie non violente de l’ANC sud-africaine face au régime d’apartheid, alla s’entraîner à la lutte armée auprès du FLN algérien dans ses bases clandestines au Maroc, quelques mois avant son arrestation le 5 août 1962.
Mais la résonance va encore au-delà : l’apartheid, régime de ségrégation raciale, fut institué en 1948, l’année où, à la fois, fut adoubée par les Nations unies la création de l’État d’Israël, proclamée la Déclaration universelle des droits de l’homme et approuvée la Convention sur le génocide.
Les principes, valeurs et droits fondamentaux qu’invoque l’Afrique du Sud face aux actes de l’État d’Israël à Gaza ne valent pas seulement pour la Palestine.
Relire Frantz Fanon, c’est donc prendre la mesure de ce qui se joue pour notre futur autour de ce que la Palestine dit au monde depuis que son droit à exister en tant qu’État souverain lui est dénié, alors qu’avec Yasser Arafat à sa tête, elle a fini par concéder ce droit à l’État d’Israël, malgré l’expulsion – la Nakba – dont une partie de son peuple a été la victime en 1948. Qui, aujourd’hui, va sauver l’universalité et, surtout, l’universalisable – au sens d’un partage et d’une solidarité – des droits, de la justice et de l’égalité, échappant ainsi à leur appropriation prédatrice par des États, des peuples et des nations qui se prétendent propriétaires légitimes d’un universel au point de s’autoriser à le contredire et à le bafouer dès que leurs égoïsmes, notamment économiques, sont en péril ?
L’Afrique du Sud apporte la réponse devant la Cour de La Haye : l’origine ne protège de rien, il n’y a pas d’universel dont telle nation, civilisation, culture, etc., aurait le monopole ou le privilège, il n’y a que de l’universalisable qui se joue à chaque épreuve concrète où le sort d’une humanité particulière – agressée, persécutée, violentée, discriminée, effacée, exterminée, etc. – met en péril celui de l’humanité tout entière. Rigoureusement juridique sur le terrain du droit international, cette requête devant la CIJ pose la question politiquement décisive de l’universalité sans frontières des valeurs supranationales dont se réclament, du moins sur le papier, les États-nations de notre continent et l’Union européenne qui les regroupe.
Les principes, valeurs et droits fondamentaux qu’invoque l’Afrique du Sud face aux actes de l’État d’Israël à Gaza ne valent pas seulement pour la Palestine. Ils valent, au même instant, pour l’Ukraine victime d’une guerre d’agression de l’impérialisme russe, avec son cortège de crimes de guerre et contre l’humanité – et ce rappel vaut pour les dirigeants sud-africains qui, à ce jour, n’ont pas condamné Moscou. Mais ils valent aussi pour le peuple de Syrie, hier et toujours martyr du régime dictatorial qui l’opprime avec l’appui de l’Iran et de la Russie. De même qu’ils valent pour les Ouïghours, ce peuple turcophone majoritairement musulman persécuté par la Chine au Xinjiang. Tout comme ils valent pour tous les peuples qui subissent le joug de pouvoirs étatiques dont l’apparent soutien à la cause palestinienne sert de diversion par rapport au sort inique qu’ils leur imposent, de l’Iran à la Turquie, sans oublier les absolutismes monarchiques qui règnent sur la péninsule arabique.
Il n’est d’humanisme qu’internationaliste. C’est ce que signifiait Nelson Mandela en disant sa reconnaissance envers le peuple palestinien pour son aide dans le combat contre l’apartheid : « Nous savons très bien que notre liberté est incomplète sans la liberté des Palestiniens », confiait-il. À l’inverse, l’indifférence de la plupart des dirigeants européens envers le sort de la Palestine met en péril l’idée que l’Europe se fait d’elle-même, de ses valeurs et de ses principes.
Que pourra-t-elle dire demain face à des violations du droit international qui l’alarment ou la menacent, à l’instar de la guerre d’agression de la Russie contre l’Ukraine, après n’avoir pas su venir au secours de la Palestine ? Comment osera-t-elle faire la leçon à d’autres puissances, autoritaires et impérialistes, qui rejettent tout droit supranational pouvant contrarier leurs ambitions quand elle n’a pas su le défendre face à l’État d’Israël, voire quand elle y a tout simplement renoncé par la voix de certains de ses responsables assumant un soutien « inconditionnel » à cet État, quels que soient ses actes ?
Il y a un peu plus d’un an, le 13 octobre 2022, Josep Borrell, vice-président de la Commission européenne et haut représentant de l’Union européenne pour les affaires étrangères, prononçait le discours d’ouverture de la nouvelle Académie diplomatique européenne à Bruges.
« L’Europe », a-t-il alors expliqué non sans fierté, « est un jardin » où « tout fonctionne », « la meilleure combinaison de liberté politique, de prospérité économique et de cohésion sociale que l’humanité ait pu construire ». À l’inverse, s’inquiétait-il, « la plus grande partie du reste du monde est une jungle, et la jungle pourrait envahir le jardin ». « Les jardiniers [européens] doivent aller dans la jungle, recommandait-il alors. Les Européens doivent être beaucoup plus engagés avec le reste du monde. Sinon, le reste du monde nous envahira, de différentes manières et par différents moyens. »
À l’aune de Gaza ravagé et de la Palestine meurtrie, où est le jardin, où est la jungle ? Et où sont passés ces officiels « jardiniers » européens qui, ces derniers mois, ont déserté le souci du monde et de l’humanité ? Loin de nous être étrangère, la jungle prolifère par les aveuglements de la conquête et de la puissance, de l’exploitation et de la domination. Quant au jardin, aussi propre soit-il en apparence, il peut être le terreau des pires barbaries, celles qui, au nom d’identités, d’origines, de civilisations se croyant supérieures à d’autres, mènent au crime de génocide.