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1 avril 2025
LEOPOLD SENGHOR
par Abdoul Aziz Diop
LE TESTAMENT POLITIQUE DE MAMADOU DIA
Le désarroi d'Ousmane Camara face aux insuffisances du Sénégal contemporain le pousse à une relecture radicale de l'indépendance. Mais les témoignages historiques, notamment ceux de Mamadou Dia, révèlent une réalité plus nuancée
Prenant la parole à l’occasion de la cérémonie de présentation du rapport significatif d’étape – « Introspection, rétrospection et prospection : 50 ans d’indépendance en Afrique de l’Ouest » –, initié et réalisé par la Rencontre africaine pour la défense des droits de l’homme (RADDHO), l’ancien juge Ousmane Camara dit être « effrayé par ce qui est arrivé » au Sénégal pendant et après les événements de décembre 1962. L’ancien ministre dans les gouvernements des présidents Senghor et Diouf considère alors que « jusqu’à présent nous vivons la même chose ». Et Ousmane Camara d’ajouter qu’« en réalité, nous n’étions pas indépendants. Cette indépendance était un leurre. Tous nos problèmes découlent de cela ». C’est qu’à ses yeux, « Senghor et Dia n’étaient que des pions ». Cette sentence est d’un grand intérêt quoique confusément sévère et polémique. Son intérêt est tel qu’elle pousse son auteur à proposer au pays « la tenue d’états généraux de l’histoire du Sénégal ». Mais c’est là que tout se complique puisque « l’histoire, avertit le grand romancier Argentin Enesto Sabato, est faite d’oublis et de sophismes ».
Ce n’est qu’en 1979, cinq ans après sa libération de prison et trois ans après son amnistie, que l’instituteur Mamadou Dia - qui fut, pendant treize ans, le secrétaire général du Bloc démocratique sénégalais (BDS), sénateur, député à l’Assemblée nationale française, député du Sénégal, maire de Diourbel et président du Conseil du gouvernement du Sénégal –, céda à la pression d’amis et de jeunes pour apporter son témoignage sur l’histoire politique du Sénégal.
Déjà victime d’une « mesure de rétrogradation » dans sa carrière d’enseignant du fait de son hostilité manifeste aux autorités coloniales et de son refus des mots d’ordre du régime de Vichy, Dia donna à la création du BDS « le sens d’une protestation contre la politique de la SFIO, qui se traduisait par l’inféodation à un parti politique européen ». Pour, comme disait Senghor, « tuer le vieil homme sénégalais » plutôt tenté par le « parti de clients » et le « remaniement de l’idéal de jadis », Dia, animé d’une conviction profonde et d’un désintéressement absolu, suscita une véritable « autonomie de pensée et d’action » en récusant, dès la Libération, tout arrimage aux partis européens. Très tôt, Mamadou Dia cria son indignation contre les « effets regrettables des compromissions » qui firent de Dakar et de Thiès des villes d’occupation par suite de la mutation des bases de la Communauté en bases militaires punitives et d’agressions contre les peuples qui se révoltent. « Dès 1961, écrit Mamadou Dia dans ses Lettres d’un vieux militant (Compte d’auteur, 1991), il y a eu des négociations avec le gouvernement français pour l’évacuation totale des bases françaises ». « Dans le domaine monétaire, ajoute-t-il, nos négociations avaient prévu la création d’une zone monétaire dans la région, zone monétaire indépendante de la zone franc. » D’ores et déjà, il nous paraît impossible de ne pas nous interroger sur ce qui s’est passé par la suite au détour d’« états généraux de l’histoire du Sénégal ».
A la différence d’autres témoins de l’histoire, Dia accusa Senghor de son vivant, lui offrant ainsi la possibilité de répondre. « C’est bien aux mutations subies par l’homme Senghor que l’on doit les avatars du Sénégal de l’après indépendance », tranche Mamadou Dia dans les colonnes du mensuel d’expression et de combat Andë Sopi. Mais Dia ne se contente pas d’une accusation. Les témoignages de Senghor dans une interview accordée à Bara Diouf, fin 1978, lui font justice quand on lui jeta à la face l’action de son gouvernement contre la classe ouvrière, le Parti africain de l’indépendance (PAI), le pluralisme et la démocratie entre 1959 et 1960. Quid du « pion » ? Dia répond lui-même : « Oui, j’ai été toujours ami de la France, mais jamais son agent. » En 1959, Mamadou Dia adressa à De Gaulle « une vigoureuse lettre de protestation » - ce sont ses mots – et fit arrêter deux Français impliqués dans un complot contre la Guinée. Dia réagissait ainsi à un communiqué diffusé à l’époque par Radio-Conakry et dans lequel le président Ahmed Sékou Touré accusait le Sénégal preuves à l’appui. Dia agissait en ami de la France tout en se défendant d’en être l’agent ou le « pion ». C’est que « nulle part dans le bréviaire du politique, il n’est écrit l’incompatibilité entre le nationalisme en actes et l’amitié pour les autres peuples dont les dirigeants respectent votre personnalité et ne piétinent pas vos droits ». Dia s’efforça d’élargir le champ de la coopération du Sénégal avec le reste du monde. Il prôna aussi « une solidarité de condition avec le Tiers-monde » contre « la coopération extravertie », facteur de « servitude économique », perceptible à travers, entre autres, « le Programme général d’importation (PGI) selon lequel, sous prétexte d’économies des devises, les importations du Sénégal hors CEE sont soumises à licences ». L’élargissement des relations avec l’Afrique au sud du Sahara achoppa, lui, sur « le renversement de tendance ou l’ère de l’auto-colonisation ».
On connaît la suite qui révulse Ousmane Camara, le poussant à se demander : « pourquoi en 2011 nous n’avons ni eau ni électricité ? » Dia déplora aussi l’état d’arriération d’un pays qui fut « le fer de lance du développement de l’Afrique, à l’aube des indépendances nationales ». Nous devons commencer par le dire si nous voulons des « états généraux de l’histoire » pour l’action. Mamadou Dia y contribue à travers son œuvre « que l’on n’aura pas tort de lire comme un testament politique à l’adresse de la jeunesse d’Afrique ».
En image, au recto de la page vierge de mon recueil de chroniques (octobre, 2003), les mots du président Dia écrits par son épouse sous sa dictée et qu’il signa lui-même de sa main de patriarche des bonnes causes sénégalaises, africaines et mondiales.
par Birane Diop
LE TEMPS LONG DONNE RAISON À SENGHOR
Du Théâtre national Daniel Sorano aux écoles d'infirmiers, il a créé les institutions essentielles du pays. Son œuvre, aujourd'hui contestée, témoigne pourtant d'une vision universaliste plus que jamais d'actualité
En ces temps formidables marqués par l’ère de la post-vérité sans limites, il m’arrive de discuter avec des compatriotes de l’héritage de nos devanciers, notamment Cheikh Anta Diop et Léopold Sédar Senghor. Deux figures majeures de notre histoire intellectuelle, culturelle, sociale et politique, dont tout Sénégalais devrait être fier au regard de leur trajectoire, bien que leurs visions du monde fussent antagonistes, voire opposées. J’ai lu leurs œuvres et compris leurs désaccords ainsi que leurs petites querelles. Cheikh Anta prêchait la renaissance africaine, tandis que Senghor, dans la même veine que ses amis Damas et Césaire, militait en faveur de la négritude. Cependant, j’ai constaté que l’héritage de Senghor est parfois analysé avec un excès de mauvaise foi, peut-être lié à l’ignorance.
Certains affirment, sans nuance ni recul – des qualités pourtant nécessaires à toute analyse sérieuse et exempte de biais –, que Senghor était un suppôt de la France, un aliéné, un renégat, que sa vision du monde était bidouillée et qu’il serait la principale cause de notre « retard économique ». Pourtant, l’économiste et penseur décolonial sénégalais Felwine Sarr nous dit dans son essai Afrotopia (Philippe Rey, 2016) : « L’Afrique n’a personne à rattraper. » On impute aisément à Senghor une part démesurée de nos échecs. Quelle époque singulière !
Léopold Sédar Senghor était un grand homme d’État. Il a placé le Sénégal, petit pays niché en Afrique de l’Ouest, sur la carte du monde grâce à deux piliers : la culture et l’éducation. Il a fondé les premières institutions culturelles sénégalaises, notamment le Théâtre national Daniel Sorano et la Manufacture nationale de Tapisserie, et fut l’initiateur du Festival mondial des arts nègres. Il a également créé les écoles des agents sanitaires de Saint-Louis ainsi que celles des infirmiers et infirmières d’État, contribuant ainsi à renforcer les infrastructures éducatives et sanitaires du pays. Il avait compris, avant tout le monde, que la culture et l’éducation sont essentielles pour façonner des vies.
C’est pourquoi, durant son magistère, Senghor avait consacré plus d’un quart du budget de l’État à l’éducation et à la culture, convaincu que ces deux domaines constituaient les fondations indispensables d’une nation, qui irait au « rendez-vous du donner et du recevoir », par l’entremise de ses filles et fils bien instruits et éduqués. Le natif de Joal, ancien maire de Thiès – la ville rebelle –, profondément enraciné dans son royaume d’enfance, le pays sérère, mais ouvert aux influences du monde libre, savait que la construction de l’homme total, voire universel, passait par ces deux mamelles. À ce titre, je puis affirmer sans réserve qu’il était en avance sur son temps et sur son monde.
Face aux crises qui assaillent l’humanité et aux impasses de la mondialisation et du néolibéralisme, à la montée de la xénophobie et des passions tristes – ici comme ailleurs dans le corps social –, l’œuvre de Senghor nous invite à monter en humanité en plaçant l’humain au cœur de l’action publique afin qu’il accède au bonheur et au bien-être, quelle que soit sa langue, son origine, sa couleur de peau, son sexe ou sa religion. La pandémie de Covid-19 nous l’a appris à nos dépens. Revisiter son œuvre, bien qu’imparfaite – comme toute œuvre humaine –, nous arme pour résister aux discours de haine, aux assignations identitaires et aux ressentiments.
Par ailleurs, l’œuvre foisonnante de Senghor nous enseigne ceci : le Sénégalais est un être qui s’empêche. Il bâtit des ponts, mais n’érige jamais de barrières. Le Sénégalais est un citoyen du monde, qui a pour seule boussole l’altérité et doit toujours emprunter les voies de la créolisation. Les actualités géopolitiques, notamment ce qui se déroule à Gaza sous nos yeux, rappellent la portée de cette vision universaliste. Senghor, catholique mais avant tout Sénégalais, avait accordé à Yasser Arafat, alors président de l’Autorité palestinienne, un passeport diplomatique lui permettant de voyager sans entraves dans les aéroports du monde libre. Ce geste illustre sa conception d’un humanisme transcendant les frontières religieuses, culturelles et politiques.
L’autre leçon magistrale que nous prodigue le vieux savant sérère est celle-ci : le Sénégalais est animé par une mystique républicaine profondément enracinée en lui. Comme l’avait si bien formulé le philosophe catholique Charles Péguy, « la République est une mystique avant d’être une politique ». Ainsi, la République laïque doit être pour le Sénégalais sa seule patrie, sa seule certitude et le socle inébranlable de son unité.
Aujourd’hui, certains individus sans mesure ni retenue, prompts à invectiver devant l’éternel, s’acharnent encore dans une entreprise abjecte de diffamation, autrement dit, d’outrager sa mémoire. Senghor n’était pas parfait. Il était un simple homme, avec ses failles, ses zones d’ombre et ses erreurs. Cette humanité complexe et imparfaite avait d’ailleurs été mise en lumière lors de l’exposition « Senghor et les arts : réinventer l'universel », qui s’était tenue au Musée du quai Branly. J’ai eu la chance de visiter cette exposition un samedi matin ensoleillé d’août 2023, et elle m’a permis de mieux appréhender la richesse de son héritage, au-delà des critiques souvent réductrices dont il fait l’objet. Mais une chose demeure irréfutable : Senghor a construit l’État-nation, forgeant une identité nationale unifiée malgré la diversité linguistique, religieuse et ethnique qui caractérise le Sénégal. C’était cela, Senghor : un bâtisseur de ponts, un homme de vision. De surcroît, il n’était ni un démagogue, ni une élite désincarnée surfant sur les affects en politique.
Birane Diop est diplômé de l’Université Cheikh Anta Diop, de l’Université Jean Moulin Lyon 3 et du Conservatoire national des arts et métiers (CNAM Paris).
MAMADOU DIA ENFIN AU POUVOIR
L'homme qui fut emprisonné en 1962 pour avoir défié Senghor voit aujourd'hui ses idées triompher au sommet de l'État. Le nouveau régime assume pleinement cette filiation intellectuelle avec celui qui fut le premier président du Conseil
La crise de 1962 opposant Mamadou Dia et Senghor a été un tournant déterminant de l'histoire politique du Sénégal, voire économique. Et même si beaucoup d'eau a coulé depuis, une certaine frange de la nouvelle génération d'intellectuels, d'activistes et de politiques a "réhabilité" le président Mamadou Dia. Les nouveaux tenants du pouvoir revendiquent leur "affinité politique" avec Dia.
L'ancien président du Conseil du Sénégal a-t-il finalement pris sa revanche sur le président Léopold Sédar Senghor ? La réponse semble affirmative si l'on se fie aux bouleversements politiques de ces dernières années dans le pays et l'avènement d'une classe politique plus encline aux idéaux du président Mamadou Dia. Et 62 ans après la crise du 17 décembre 1962, l'héritage de cette personnalité emblématique de la lutte pour l'indépendance est remis au goût du jour, et on peut dire sans "risque de nous tromper" que les nouveaux tenants du pouvoir sont ses "fils spirituels".
En effet, le tandem Diomaye-Sonko arbore et assume certaines idées de Mamadou Dia depuis qu'ils étaient dans l'opposition. Dans un article du Monde datant de 2022, le directeur du parti Pastef d'alors devenu aujourd'hui le ministre de la formation professionnelle et porte-parole du gouvernement affirmait sans ambages : "La pensée de notre parti est influencée par son patriotisme et sa rigueur dans la gestion de l'État". Et le nouveau porte-parole du gouvernement ajoutait : "Dès 1957, il avait la volonté d'instaurer une souveraineté politique et économique et développer une politique de changement des structures sur le plan agricole, industriel et social. Par exemple, il avait pointé du doigt le problème du franc CFA et parlait d'indépendance monétaire pour laquelle nous militons aussi".
Il faut rappeler à ce titre que le siège du parti aujourd'hui au pouvoir porte le nom de "Kër Maodo" en hommage à Mamadou Dia. Dans le même ordre d'idées, force est de constater aussi que le nouveau gouvernement a repris les idées de Dia sur le système de coopératives, la seule voie selon Dia pour le Développement et l'émancipation des paysans. Ainsi le ministre de l'Agriculture annonce la création, dans les 5 ans, de Coopératives agricoles communales (Cac) dans chacune des 525 communes rurales pour permettre à la jeunesse de produire en quantité. Ses idées anti colonialistes sous-tendent aussi les idéaux de ce nouveau régime qui affirme ouvertement la lutte contre la Françafrique sous toutes ses formes au Sénégal.
"La nouvelle génération a choisi sans aucun doute le camp de Mamadou Dia"
C'est ce que le prospectiviste Cheikh Guèye confirme. "Il n'y a même de doute, la nouvelle génération a choisi le camp de Dia comme inspiration dans leur combat pour conquérir le pouvoir, comme une sorte de revanche due à Dia. Mais aussi en termes de modèle économique puisqu'ils font recours au modèle économique endogène et anti impérialiste", soutient Dr Cheikh Guèye dans un entretien accordé à l'AS non sans indiquer aussi que l'influence de la pensée de Dia se fait sentir sur le plan culturel. "Le complexe culturel qui était celui de la période des indépendances n'existe plus. La culture est devenue plus endogène", renchérit-il. Sur le plan religieux aussi, le chercheur à IPAR trouve aussi que la nouvelle génération de politiques a beaucoup de similitudes avec Mamadou Dia. "La posture de Dia par rapport aux autorités religieuses, on retrouve cette volonté de rentrer dans une relation plus sincère, plus transparente et plus institutionnalisée. Ça aussi, c'était la ligne de Dia", révèle Dr Cheikh Guèye. Il souligne tout de même que la seule différence, c'est que Dia avait fini par assumer cette relation avec les religieux de manière très forte. "Sans doute trop forte", précise-t-il.
Rappelons que la date du 17 décembre 1962 demeure une tache sombre dans l'histoire politique du Sénégal. Le lundi 17 décembre 1962, Mamadou Dia fait évacuer l'Assemblée et déploie un cordon de gendarmerie autour du bâtiment. Quatre députés sont arrêtés. Mais la motion est tout de même votée dans l'après-midi du 17 au domicile du président de l'Assemblée, maître Lamine Guèye. Le 18, Mamadou Dia et ses compagnons sont arrêtés par un détachement de paras-commandos. Mis en accusation, il est jugé du 9 au 13 mai 1963 par la Haute Cour. Il est condamné à la déportation perpétuelle. Il est transféré à Kédougou. Il sera libéré 12 ans après.
Par Amadou Lamine SALL
QUELLE EST DONC CETTE TENACE QUERELLE TANT ENTRETENUE ENTRE SENGHOR ET CHEIKH ANTA DIOP ?
Enivrons-nous de leur héritage. Enseignons leurs œuvres à nos enfants. Méditons leurs pensées et servons-nous en, quand arrive la nuit de la peur et de l’angoisse. Ils ont, tous les deux, laissé la plus belle et la plus haute des pyramides dans la mémoire
Nous ne connaissons en Afrique, en son temps, exerçant une aussi profonde influence, aucun nom qui soit plus grand, plus doué, plus cultivé et plus étoffé que Senghor et Cheikh Anta Diop !
Comme Tocqueville en parlait pour le 18ème siècle, nous pouvons avouer aussi pour le 20ème siècle, qu’un immense homme de lettres et un savant, homme de pensées et de sciences de la recherche, Sédar Senghor et Cheikh Anta, sont «devenus les principaux hommes politiques du pays, et des effets qui en résultèrent.» Deux hommes qui ont forgé leur légende et « qui par le commerce de la pensée et de la plume, combiné avec l’intervention dans les affaires publiques, ont exercé la plus grande influence dans leur temps.» Cela relève de leur génie propre !Ils ont fait l’éclat du Sénégal !
Entre Senghor et Cheikh Anta, une «famille d’esprit» opposée, «mais au-delà de la diversité de leurs opinions, un esprit de famille qui fait de la politique, non une profession, mais un prolongement naturel de la vie intellectuelle et artistique d’une époque.» N’ont suivi et succédé à ces deux icônes que des «hommes politiques professionnels» et raides !»Avec eux, le Sénégal «a changé et nous a changés !» Il aurait même changé Dieu ! Nous semblons ne plus être doués que pour le malheur, l’inculture, la haine, l’indiscipline, l’insulte, l’indignité ! Nombre d’entre nous ont renoncé à nos valeurs ! Le peu qui nous sort encore la tête de l’eau, c’est cette honte de ne plus être les premiers, comme hier Senghor et Cheikh Anta l’étaient en Afrique ! Le Premier ministre du Mali, Choguel Kokalla Maïga, à sa manière, nous l’a rappelé en s’adressant à son petit frère, homologue du Sénégal, venu à Bamako leur rendre visite en ce mois d’août 2024. Son hommage à Senghor avec cette reconnaissance au pré-panafricaniste qui a inventé la Fédération du Mali et l’a mise en place avec Modibo Keïta, inaugurant ainsi l’unité régionale avec ses «cercles concentriques» avant l’unité panafricaniste à hauteur de tout le continent et aujourd’hui encore si lointaine, presque utopique. Choguel Maïga s’exprime devant Ousmane Sonko installé au pouvoir 65 ans après. Émouvant. Puisse Choguel Maïga, étiqueté brillantissime intellectuel à qui, vrai ou faux, Sédar avait attribué une bourse d’étude en France, lutter de toutes ses forces et au-delà, pour rendre aux Maliens la liberté des urnes etle chant de la démocratie.
Oui, certes Senghor n’a pas tout réussi, mais la démocratie sénégalaise tant chantée par le monde et qui a permis par des alternances apaisées à grandir le Sénégal, on la doit, si infime soit-elle, d’abord à Senghor qui a commencé par instituer des courants politiques au-delà du parti unique, courants qu’Abdou Diouf a ouvert et amplifié et qui ont fini par donner une République ouverte à tous, jusqu’à Diomaye aujourd’hui. Il fallait bien commencer par quelque chose ! Ne raccourcissons pas l’histoire ! Pour encore demain, la jeunesse doit savoir et ne rien ignorer de notre histoire démocratique ! «Le Noir est une couleur, le Nègre une culture. Il y a des Nègres qui ne sont pas des Noirs», dit-on. Depuis l’Égypte, les fils de l’Afrique prodigieuse n’ont pas encore construit plus grand que les pyramides ! Cheikh Anta Diop attend ! Puisse son mausolée à Thieytou être reconstruit sous forme de pyramide. Pour la mémoire et le symbole ! «Formez-vous, armez-vous de sciences jusqu’aux dents (…) et arrachez votre patrimoine culturel (…) La plénitude culturelle ne peut que rendre un peuple plus apte à contribuer au progrès général de l’humanité…» nous dit Cheikh Anta Diop ! «Accéder à la modernité sans piétiner notre authenticité», recommande Senghor. Sachons une fois pour toute que Senghor et Cheikh Anta Diop, sans l’affrontement politique de deux hommes différents de camp, mais intellectuellement «enflés » et complémentaires, se rencontrent, quelque part, dans leur théorie. Quand «l’humanisme de Senghor consiste à affirmer la complémentarité des cultures et des civilisations», Cheikh Anta Diop «rêvait d’une synthèse entre ancrage et métissage culturel ». Comme Sédar, il était à la fois marié avec l’Afrique et avec une française admirable. Cessons donc de les opposer, deux haches à la main, et prions pour avoir dans ce pays en mutation d’autres Cheikh Anta Diop à venir, d’autres Senghor à venir.
Les deux hommes s’appréciaient et se respectaient. Je les ai vu arriver au mariage de maître Boucounta Diallo. Ensemble, verre à la main, ils échangeaient. En paix et en fraternité. Sembene Ousmane, le rebelle, était là, lui aussi. Il fêtera Senghor au CICES, en maître de cérémonie, le recevant en grande pompe avec les écrivains membres de la section sénégalaise du Pen Club International. Sembene, ce jour-là, habilla Senghor, pour le symbole, d’un soyeux boubou de «maître des circoncis» Ramenons les choses au beau et pas toujours au laid et à la division !
Allez donc prendre connaissance également de l’émouvante dédicace de Cheikh Anta Diop à Senghor, en lui offrant un exemplaire de son mythique ouvrage : « Nations nègres et culture. » Lisez la touchante lettre de condoléance de Senghor à Madame Diop. Vous serez alors ému par le respect et l’affection qui unissaient les deux hommes ! C’est sur la ligne de feu de la politique pour accéder au pouvoir, qu’ils se sont opposés et avec un respect mutuel. Normal que Senghor défende son trône que Cheikh Anta Diop voulait conquérir. Normal que Cheikh Anta Diop marquât sa différence de programme politique avec Senghor pour conquérir et convaincre son propre électorat. Ce qui est la nature même de la lutte politique et de la conquête du pouvoir. D’ailleurs, à la vérité, que faisait Cheikh Anta Diop en politique ? Il était déjà entré dans l’histoire, grand dans l’histoire et plus grand encore que la politique !
Autre fait admirable que nous raconte feu Bara Diouf, patron du quotidien national Le Soleil, que je rapporte dans mon ouvrage «Senghor : ma part d’homme», édition 2006. C’était lors de sa conférence sur Senghor le 29 décembre 2006, à l’hôtel Novotel. Bara Diouf témoigne : « Cheikh Anta Diop me téléphone et me dit qu’il se rend au Caire, en Égypte, et qu’il souhaiterait être accompagné par la presse. Je lui réponds que je n’ai pas d’argent pour faire partir un journaliste pendant un mois. Voyez avec les Arabes s’ils ne peuvent pas faire un geste. – «Cela me sera difficile», me répond Cheikh Anta. Alors je prends mon téléphone et j’appelle Madame Alexandre la secrétaire du Président Senghor au Palais. Il me reçoit et je lui rends compte de la requête de Cheikh Anta. Il me remet cinq millions de Francs et me dit ceci : «Il faut couvrir son voyage et le faire accompagner. Je ne veux pas qu’il y ait des traces de mon intervention, donc je n’en parle pas à notre ambassadeur. Que tout soit discret. Vois-tu, mon cher Bara, je ne laisserais jamais seul Cheikh Anta sur les bords du Nil.»
En lieu et place de ceux qui, à longueur de cœur et de pensée, sont ensevelis dans la partialité, la rancœur et la revanche, et qui tentent, sans se lasser, de mettre en duel Senghor et Cheikh, de les opposer, de les séparer, de les diviser, prions plutôt pour que le Sénégal, ce grand petit pays dont la renommée dépasse ses frontières, voie naître d’autres Senghor et d’autres Cheikh Anta Diop. Enivrons-nous de leur héritage. Enseignons leurs œuvres à nos enfants. Méditons leurs pensées et servons-nous en, quand arrive la nuit de la peur et de l’angoisse. Ils ont, tous les deux, laissé la plus belle et la plus haute des pyramides dans la mémoire des hommes. Leur héritage est comme un puits inépuisable. Leur nom et leur contribution à la marche de l’humanité, sont entrés d’un même pas cadencé dans l’histoire et la postérité. Les opposer pour en faire un fonds de commerce intellectuel, ne conduit qu’au ridicule, à la petitesse, à l’oubli et au néant.
M’inspirant de l’enseignement de Al Makhtoum, évitons ce qui est malencontreusement arrivé au Dieu unique ! Il nous a donné le prophète Mohamed. Il ne peut plus nous en donner un autre d’identique ou de plus grand. Le voudrait-il, il ne le pourrait ! Dieu ne peut plus le faire et ne le fera plus jamais, jusqu’à la fin des temps ! Comme Jésus ! C’est acté. C’est écrit ! C’est ainsi ! Par contre, nous ses si humbles, si fragiles, si éphémères sujets, avons, de par sa grace et sa Générosité sans fin, la force de prier pour que naissent d’autres Senghor, d’autres Cheikh Anta Diop. Il s’agit de grandir son pays, l’Afrique, le monde et de laisser un héritage digne de l’humanité comme celui de ses deux fils étoiles du Sénégal !
Bien des idées reçues et qui perdurent hélas encore, nous trompent et montrent du doigt tant de mensonges et de manipulations ! Tenez, comment par ailleurs interpréter cette posture de Mamadou Dia, qui, dès sa sortie de ses très longues années de prison par grâce présidentielle de Senghor, est allé de lui-même rencontrer «son ami» qui l’avait ainsi fait punir. Dia embrassa Senghor et le remercia. Mamadou Dia est un saint ! Cet acte émouvant et d’infinie humanité de sa part, dépassa un Senghor surpris ! Il ne peut exister plus touchante grandeur ! Et pourtant on en a voulu à Dia d’être allé au Palais embrasser Senghor «qui l’a poignardé dans le dos avec la complicité de la France», comme l’a craché, odieusement, en direct à la RTS, tel quel, bave et haine à la bouche, l’invité habile, hostile et vengeur du courtois et pudique journaliste d’une RTS pourtant si professionnelle, respectueuse et éthique qui, en ce douloureux dimanche du 28 juillet 2024, ne méritait pas de faire subir à son public, sur sa chaine, la diffusion d’une telle sortie haineuse et si violemment sectaire ! Feu Mamadou Dia ne serait pas d’accord !
L’invité délirant rempile de plus belle face au journaliste de la RTS, presque médusé, en vomissant encore ceci : «Il faut cesser d’avoir à la tête de nos pays des hommes d’État comme Senghor, Abdou Diouf, Abdoulaye Wade, Macky Sall… Senghor est une calamité, un dictateur, un grand Blanc… Senghor et tous les autres, c’est kif-kif bourico !» Un être normalement constitué ne peut pas ainsi s’exprimer sur la chaine nationale, face aux Sénégalais ! Cela ne doit plus arriver !
De cette émission de la RTS du dimanche 28 juillet 2024, si suivie par attachement à un journaliste solide et humble, nous en avons rapporté ici, par respect et pudeur, le moins pénible, le moins reptilien, le moins tragique et gluant, le moins répulsif et lépreux, le moins déshonorant et indigne, le moins indécent des propos de l’invité récidiviste ! Il creuse toujours, sans se lasser, pour déterrer Senghor et brûler ses os ! Mais la tombe de Sédar est un puits au fond inatteignable ! N’insulte pas Senghor qui veut pour aller dormir ensuite en ronflant ! Et dire que des liens de sang ont scellé par la volonté de Dieu les Senghor à sa famille ! Nul n’est un chef-d’œuvre achevé, hormis Dieu ! Senghor est déjà «mémorisé», «mémorialisé» avant toute mémoire. Il est «Onussisé». Il est «panafricanisé». Il est mondial Il est une histoire ineffaçable, une grande et très belle histoire. Comme Cheikh Anta Diop !
Nous nous inclinons respectueusement devant la famille de ce cruel et hérétique pourfendeur de métier, une famille où veille un homme hors du commun, un immense, intense et bel esprit. Il est dans l’ombre. Il est dans le silence, la paix, la méditation, la prière et la lumière des livres. Il est bon et affectueux. Et nous l’aimons de tout notre cœur. La revanche et les insultes aux morts, ne sont dignes d’aucune créature humaine, à moins de s’être éloigné et des hommes et même des bêtes, loin, très loin du divin ! Que le Seigneur veille sur cet homme pierreux, à l’âme sèche. Qu’Il lui ôte ce poison du cœur. Qu’il éteigne en lui cet incendie qui l’habite et le consume ! En paix, revenons à Senghor et à Cheikh Anta Diop ! On peut facilement penser que «Les deux hommes n’étaient pas faits pour se rencontrer, ni même pour s’estimer.» Et pourtant, c’est ce qui est arrivé. Cela est dû à un seul mot, une seule soif, une seule quête : la culture ! Senghor, poète et homme d’État, «homme du destin et de l’Histoire.» Cheikh Anta : «la permanence de l’intelligence», l’énergie et la rage du chercheur chevillé à rendre à l’Afrique prodigieuse son éclat et sa grandeur. Un temps jadis gouverné par deux grands penseurs et chercheurs ! Ce printemps si rare, à la fois ensoleillé et givré quelque part, reviendra-t-il ? Nous en sommes profondément nostalgique ! Le futur vaudra-t-il ce passé si rempli, si puissant, si nourrissant ? Nous en doutons au regard de la course folle des hommes vers l’argent, l’inculture, le pouvoir.
Par-dessus les générations, ce que nous avons vu et vécu au Sénégal avec Senghor, Cheikh Anta Diop, Pathé Diagne, Birago Diop, Sembene Ousmane, Majmouth Diop, Abdoulaye Ly, Amadou Mokhtar Mbow, Assane Seck, Alioune Diop de Présence africaine, Alioune Sène, Bara Diouf, Moustapha Niasse, Djibo Ka, Mame Less Dia, Doudou Sine, Abdou Anta Ka, le sociologue Pierre Fougeyrollas, le mathématicien Souleymane Niang, Sémou Pathé Guèye le philosophe, le Professeur Alassane Ndao, et tant d’autres, comme époque d’un foyer ardent de culture et d’esprit de révolte et de contestation, jusque dans l’arène politique aujourd’hui si rabougrie et miséreuse, ne peut être comparé à nul autre temps. Senghor resta intraitable avec ses brillantissimes opposants, intellectuels émérites. Répressif - au sens où on laisse l’individu exercer sa liberté tout en lui assignant des limites dont la transgression entraîne une sanction pénale prononcée par une juridiction-il ne lâcha rien. Les opposants non plus. Ce fut un temps de belles et grandes gueules, de «grandes plumes, de rigueur, de mentorat, de grande exigence !» Les têtes étaient pleines, les acteurs charismatiques et brillants, cultivés jusqu’à la moelle et rebelles. Nul n’entendait parler d’argent, de corruption, de manque d’éthique et de dignité ! Seules les idées portées par une immense culture, l’engagement intellectuel, le courage politique, dominaient. Respect !
Sous Senghor et Cheikh Anta, les relations, les luttes et les combats entre l’élite intellectuelle et le pouvoir, étaient une délicieuse confiture. Senghor prenait sa plume, comme intellectuel et non comme chef d’État, pour répondre directement par presse interposée, à ses détracteurs. Ce fait est rare et unique ! Il ne serait pas inintéressant de se poser aujourd’hui, depuis le départ de Senghor, la question du «rapport des intellectuels et des ‘écrivains’ au pouvoir, et quel est le rapport du pouvoir aux intellectuels, ‘aux écrivains ‘» Ne serait-il pas utile que « les intellectuels et les écrivains empêchent que la direction du changement soit exclusivement l’affaire des hommes au/du pouvoir ?»
Toujours ou très souvent, partout, «Les intellectuels mettent en cause l’ordre établi et contestent la gestion de la vie sociale en dénonçant le manque de démocratie et de liberté, l’injustice sociale, la domination extérieure acceptée selon eux par le pouvoir. Exclus des lieux des décisions nationales, ces intellectuels réagissent à cette exclusion en se repliant sur des idéologies ou des positions doctrinales…»
Cheikh Anta Diop restera Cheikh Anta Diop. Senghor restera Senghor. Immortels et éternels tous les deux. Prions pour Sédar et Cheikh Anta. Qu’ils reposent en paix. Apprenons à nous élever, à grandir et à servir le beau ! Seul le beau rend beau ! Août 2024.
Par Oumar Diaw SECK
SORANO TRAHIT SENGHOR
Pour la première fois de son histoire, l'Ensemble lyrique de Sorano s'est laissé entraîner sur la pente de l'occidentalisation. Il a repris des œuvres contemporaines en y intégrant des instruments modernes, rompant avec sa vocation originelle
Aussi bien que dans la politique, la culture peut vivre aussi la haute trahison. Tel est le cas de ce que le temple de la culture qu’est la Compagnie du Théâtre national Daniel Sorano a vécu ce jeudi 1er août 2024. Sur imposition du Directeur général de Sorano, El Hadj Ousmane Barro Dione avec la complicité de Ousmane Faye, manager de Oumar Pène, de Baboulaye Cissokho, directeur artistique par intérim (l’Ensemble), malgré la réticence de beaucoup d’artistes, l’Ensemble lyrique traditionnel a produit l’album « Senegal sunu réew » de 15 titres sorti, ce jeudi 1er août 2024, avec la prestation sur scène de l’Ensemble lyrique avec des guitaristes, clavistes et avec d’autres instruments occidentaux. L’album est constitué de reprises de Oumar Pène, Baaba Maal, Abdoulaye Mboup, Thione Seck, Mahawa Kouyaté, Khady Diouf, Kiné Lam entre autres. Cette production musicale et la prestation scénique constituent une haute trahison de l’esprit de Sorano et de la mission de l’Ensemble lyrique. Depuis 1966, tous les directeurs généraux et les artistes de Sorano ont respecté et développé l’âme, l’orientation et la mission sacerdotale de l’Ensemble lyrique traditionnel qui consiste exclusivement à la valorisation du patrimoine musical traditionnel du Sénégal. Et aussi la promotion et la vulgarisation des instruments traditionnels. Jamais d’instruments musicaux occidentaux-modernes à l’Ensemble lyrique traditionnel depuis son existence en 1966 tant dans la production que dans les prestations scéniques. Khalam, riti, balafon, djembé, sabar, kora, bougeur entre autres instruments traditionnels se sont toujours côtoyés pour produire des chefs-d’œuvre, de belles musiques.
Au moment où l’ère du souverainisme culturel c’est-à-dire la sauvegarde du patrimoine culturel est d’actualité, on assiste à une tentative d’agression de notre patrimoine immatériel par la nouvelle direction générale de Sorano.
Maurice Sédar Senghor, Pathé Gueye, Ousmane Diakhaté, Sahite Sarr Samb, Massamba Gueye, Abdoulaye Koundoul, tous ces directeurs généraux ont respecté et consolidé la mission de Sorano. Sauf Ousmane Barro Dione qui est en train de trahir l’esprit de Sorano. Et pourtant, il y a eu toujours des productions d’albums de Sorano avec des chanteurs comme El Hadj Faye, Thione Seck, Moussa Ngom et d’auteurs compositeurs comme Boucounta Ndiaye, mais toujours avec nos instruments traditionnels
Créé en 1965 par le poèteprésident Léopold Sédar Senghor, lancé en 1966 lors du premier Festival mondial des Arts nègres (Fesman 1), ainsi que le Ballet national La Linguère La Linguère et la troupe dramatique nationale, l’Ensemble lyrique traditionnel s’est assigné comme mission sacerdotale consistant à la valorisation du patrimoine musical traditionnel et oral du Sénégal. On a assisté froid dans le dos, avec cette production « soupe kandj » mi-figue-miraisin à la déviation de l’Ensemble lyrique traditionnel Daniel Sorano. Les nouvelles autorités en charge de la culture et l’opinion doivent prendre conscience de l’impérieuse nécessité de sauver Sorano pour la préservation de notre patrimoine immatériel traditionnel inestimable et aussi d’épargner Sorano des dérives culturelles et des déviances artistiques. Sauvons Sorano.
Oumar Diaw Seck est directeur artistique de l’Ensemble instrumental de l’Afrique de l’Ouest (USA), promoteur de la musique traditionnelle africaine aux Etats-Unis d’Amérique. oumardiawseck@gmail.com
L'ÉDITORIAL DE RENÉ LAKE
DÉCOLONISER LA JUSTICE
EXCLUSIF SENEPLUS - Dans un État démocratique et de droit, la séparation des pouvoirs entre l'exécutif, le législatif et le judiciaire est fondamentale pour assurer le bon fonctionnement et l'indépendance de chaque institution
Aller chercher le savoir jusqu’en…Chine ! Cette recommandation de bon sens est une invite à aller au-delà des frontières de la vieille métropole coloniale pour chercher les meilleures pratiques (best practices), surtout quand, dans un domaine particulier, celle de l’ex-colonisateur n’est pas le meilleur exemple pour la bonne gouvernance à laquelle les Sénégalaises et les Sénégalais aspirent. S’il y a bien un domaine où la France n’est pas une référence à l’échelle mondiale, c’est bien celui de la Justice dans son rapport avec l’Exécutif.
Dans un État démocratique et de droit, la séparation des pouvoirs entre l'exécutif, le législatif et le judiciaire est fondamentale pour assurer le bon fonctionnement et l'indépendance de chaque institution. Au lendemain de la remise au président Diomaye Faye du rapport général des Assises de la justice qui se sont tenues du 15 au 17 juin 2024, ce texte a l’ambition de mettre en lumière l'importance de cette séparation et pourquoi il est critiqué que le président de la République soit également le président du Conseil Supérieur de la Magistrature.
Prévention de l'abus de pouvoir. La séparation des pouvoirs empêche la concentration excessive de pouvoir entre les mains d'une seule personne ou d'un seul organe. Chaque branche agit comme un contrepoids aux autres, ce qui limite les abus potentiels et favorise la responsabilité.
Indépendance judiciaire. En particulier, l'indépendance du pouvoir judiciaire est essentielle pour garantir des décisions impartiales et justes. Les juges doivent être libres de toute influence politique ou pression externe afin de pouvoir appliquer la loi de manière équitable. En de bien nombreuses occasions, tout le contraire de ce que l’on a connu depuis plus de 60 ans au Sénégal et qui a culminé pendant les années Macky Sall avec une instrumentalisation politique outrancière de la justice.
Fonctionnement efficace du législatif. Le pouvoir législatif doit être libre de proposer, examiner et adopter des lois sans interférence de l'exécutif ou du judiciaire. Cela assure la représentation démocratique des intérêts de la population et la formulation de politiques publiques diverses et équilibrées.
Le président de la République et le Conseil Supérieur de la Magistrature -
Le Conseil Supérieur de la Magistrature (CSM) est souvent chargé de la nomination, de la promotion et de la discipline des magistrats. Dans de nombreux pays démocratiques, il est critiqué que le président de la République soit également le président de cet organe pour plusieurs raisons notamment celle du conflit d’intérêt potentiel et de la menace pour la séparation des pouvoirs.
En occupant simultanément ces deux fonctions, le président peut influencer directement les décisions judiciaires et les nominations de magistrats, compromettant ainsi l'indépendance judiciaire. Cette perversion n’a été que trop la réalité de la justice sénégalaise depuis les années 60 avec une accélération sur les deux dernières décennies avec les régimes libéraux arrivés au pouvoir après une alternance politique.
Cette situation a fortement affaibli la séparation des pouvoirs au Sénégal en concentrant trop de pouvoir entre les mains de l'exécutif, ce qui a régulièrement mené à des décisions politiquement motivées plutôt qu'à des décisions basées sur le droit.
La crainte d’une République des juges -
Les acteurs sociaux favorables à la présence du chef de l’État dans le CSM invoquent régulièrement la crainte d’une "République des Juges". Cette idée d'une "République des juges" où le pouvoir judiciaire dominerait les autres branches gouvernementales, n'est pas pertinente dans un système démocratique où il existe de multiples recours et des contrepoids aux potentiels abus des juges. Cette idée relève plus du fantasme jacobin que d’un risque réel dans une démocratie bien structurée, où il existe plusieurs niveaux de recours judiciaires permettant de contester les décisions des juges. Ces recours assurent que les décisions judiciaires peuvent être réexaminées et corrigées si nécessaire.
Par ailleurs, le pouvoir législatif a le rôle crucial de créer des lois et de superviser l'exécutif. En dernier ressort, le législatif peut modifier des lois pour contrer toute interprétation judiciaire excessive ou inappropriée, assurant ainsi un équilibre des pouvoirs.
Enfin, l'indépendance judiciaire signifie que les juges sont libres de rendre des décisions impartiales, mais cela ne signifie pas qu'ils sont au-dessus des lois ou qu'ils ne sont pas responsables. Les juges doivent toujours interpréter et appliquer les lois dans le cadre des normes constitutionnelles établies par le législatif.
La crainte d’une République des juges est un chiffon rouge agité en France depuis longtemps pour justifier un système judiciaire bien plus attaché à l’Exécutif que dans les autres démocraties occidentales.
Historiquement, le président de la République française a été le président du Conseil Supérieur de la Magistrature. Cette pratique a été critiquée pour son impact potentiel sur l'indépendance judiciaire. Actuellement, la réforme de 2016 a réduit le rôle direct du président dans le CSM, mais des questions persistent sur l'indépendance réelle.
De son côté, le système américain illustre une stricte séparation des pouvoirs, où le président n'a qu’un rôle indirect dans la nomination des juges fédéraux. Dans ce processus le président est chargé uniquement de nommer et seul le Sénat américain détient le pouvoir de rejet ou de confirmation. Cela vise à maintenir une certaine distance entre l'exécutif et le judiciaire.
L'Allemagne pour sa part maintient également une séparation rigoureuse des pouvoirs avec des organes distincts pour l'exécutif, le législatif et le judiciaire, évitant ainsi toute concentration excessive de pouvoir et préservant l'indépendance du pouvoir judiciaire.
Le modèle progressiste sud-africain -
L'Afrique du Sud offre un cas fascinant de respect de la séparation des pouvoirs, essentielle pour la stabilité démocratique et la protection des droits constitutionnels depuis la fin de l'apartheid. Suit une exploration de la manière dont la séparation des pouvoirs est respectée dans le système judiciaire sud-africain.
La Constitution sud-africaine, adoptée en 1996 après la fin de l'apartheid, établit clairement les pouvoirs et les fonctions de chaque institution de l’État : l'exécutif, le législatif et le judiciaire. Elle garantit également les droits fondamentaux des citoyens et définit les principes de gouvernance démocratique.
La Constitution insiste sur l'indépendance du pouvoir judiciaire, affirmant que les tribunaux sont soumis uniquement à la Constitution et à la loi, et ne doivent pas être influencés par des intérêts politiques ou autres pressions externes. Les juges sont nommés de manière indépendante, et leurs décisions ne peuvent être annulées que par des procédures juridiques appropriées, garantissant ainsi leur autonomie dans l'interprétation et l'application de la loi.
La Cour constitutionnelle est la plus haute autorité judiciaire en matière constitutionnelle en Afrique du Sud. Elle est chargée de vérifier la constitutionnalité des lois et des actions du gouvernement, de protéger les droits fondamentaux des citoyens, et de maintenir l'équilibre entre les pouvoirs. La Cour constitutionnelle a le pouvoir de rendre des décisions contraignantes pour toutes les autres cours, garantissant ainsi l'uniformité et la primauté du droit constitutionnel.
En plus de la Cour constitutionnelle, l'Afrique du Sud dispose d'un système judiciaire complet avec des tribunaux inférieurs qui traitent des affaires civiles, pénales et administratives à différents niveaux. Chaque niveau de tribunal joue un rôle spécifique dans l'administration de la justice selon les lois applicables.
La Cour constitutionnelle a souvent été appelée à vérifier la constitutionnalité des lois adoptées par le Parlement sud-africain. Cela démontre son rôle crucial dans le maintien de la séparation des pouvoirs en s'assurant que les lois respectent les normes constitutionnelles et les droits fondamentaux.
Les juges en Afrique du Sud sont nommés sur la base de leur compétence professionnelle et ne sont pas soumis à des influences politiques directes. Cela garantit que leurs décisions sont prises en fonction du droit et non de considérations partisanes ou externes.
La séparation des pouvoirs renforce la protection des droits fondamentaux des citoyens en permettant au pouvoir judiciaire d'agir comme un contrepoids aux actions potentiellement inconstitutionnelles ou injustes du gouvernement ou du législateur.
En respectant la séparation des pouvoirs, l'Afrique du Sud renforce la confiance du public dans le système judiciaire, crucial pour la stabilité politique, économique et sociale du pays.
Se référer aux bonnes pratiques –
La Fondation Ford a joué un rôle significatif et historique dans le processus d'élaboration de la Constitution sud-africaine de 1996. Franklin Thomas, président de cette institution philanthropique américaine de 1979 à 1996, a été un acteur clé dans ce processus. Avant les négociations constitutionnelles officielles qui ont conduit à la Constitution de 1996, l’institution philanthropique américaine a soutenu financièrement des recherches approfondies et des débats critiques sur les principes et les modèles constitutionnels. Cela a permis de jeter les bases d'une réflexion constructive et informée parmi les diverses parties prenantes en Afrique du Sud.
Des rencontres et des dialogues ont été facilités entre les leaders politiques, les juristes, les universitaires, ainsi que les représentants de la société civile et des communautés marginalisées. Ces forums ont joué un rôle crucial en encourageant la participation démocratique et en favorisant la compréhension mutuelle nécessaire à la construction d'un consensus constitutionnel.
Par ailleurs, plusieurs organisations de la société civile en Afrique du Sud ont joué un rôle actif dans les négociations constitutionnelles. Cela comprenait des groupes de défense des droits humains, des organisations communautaires et des instituts de recherche juridique.
En encourageant des initiatives visant à promouvoir la justice sociale, l'équité raciale et les droits fondamentaux, ces efforts ont contribué à ancrer ces valeurs dans le processus constitutionnel sud-africain. Cela a été essentiel pour contrer les héritages de l'apartheid et pour établir un cadre constitutionnel solide basé sur les principes de l'État de droit et de la démocratie.
Le rôle de ces initiatives dans l'élaboration de la Constitution sud-africaine a laissé un héritage durable de liberté et de justice en Afrique du Sud. La Constitution de 1996 est largement reconnue comme l'une des plus progressistes au monde, protégeant une vaste gamme de droits et établissant des mécanismes forts pour la protection de la démocratie et de l'État de droit.
L'expérience sud-africaine a souvent été citée comme un modèle pour d'autres pays en transition ou confrontés à des défis de consolidation démocratique ou de rupture systémique. Elle démontre l'importance du partenariat entre les acteurs nationaux dans la promotion de la bonne gouvernance et des droits humains.
Nécessité d'une transformation systémique au Sénégal –
Avec l'arrivée au pouvoir du mouvement Pastef, il est crucial pour l’administration Faye-Sonko de ne pas tomber dans le piège des petites réformes qui maintiennent intact le système ancien mais d'envisager une réforme judiciaire qui s'inspire des meilleures pratiques internationales, telles que celles observées en Afrique du Sud.
Décoloniser et émanciper la justice au Sénégal implique de repenser et de réformer le système judiciaire de manière à renforcer l'indépendance, la transparence et l'efficacité. S'inspirer des meilleures pratiques internationales tout en adaptant ces modèles au contexte spécifique du Sénégal est essentiel pour promouvoir une gouvernance démocratique solide et durable, répondant aux aspirations des citoyens pour une justice juste et équitable. L’instrumentation politique de la Justice doit devenir une affaire du passé au Sénégal.
Réformer la Justice pour assurer la Rupture au Sénégal ne peut se concevoir que dans un cadre plus général de refondation des institutions. L’éditorial SenePlus publié sous le titre “Pour une théorie du changement“ développe cet aspect de manière explicite. L’ambition pastéfienne de sortir le Sénégal du système néocolonial est partagée par l’écrasante majorité des Sénégalais et des jeunesses africaines. Cette ambition doit cependant être exprimée dans la présentation d’un cadre général clair, discuté et élaboré avec les citoyens. Le processus doit être réfléchi, inclusif et sérieux. Cela aussi, c’est la Rupture exigée par les Sénégalaises et les Sénégalais le 24 mars 2024.
par vieux savané
VIE ET MORT D’OMAR BLONDIN DIOP
Tel un journaliste ou plutôt un historien, Florian Bobin exhume les traces de vie de ce brillant intellectuel sénégalais, politiquement engagé, « rouge et expert » comme s’exprimait l’idéal de l’époque
Editions Jimsaan Dakar, 2024 286 pages Préface de Boubacar Boris Diop
«Omar est mort »! « Ils ont tué Omar »! Ces cris de rage et d’horreur échappent de la poitrine de ses deux frères cadets, Cheikh et Auguste, venus lui apporter ses affaires après que les visites ont été à nouveau autorisées. Dès que la nouvelle a pu trouer la chape de silence dans laquelle ses geôliers voulaient la contenir, parents, amis, anonymes, ont convergé vers la maison familiale de la Sicap Darabis. La jeunesse urbaine s’insurge devant l’infamie, occupe le macadam par vagues successives, érige des barricades de fortune, brûle des pneus, s’oppose violemment à la police qui riposte avec la lancée de grenades lacrymogènes. La tension est à son paroxysme. Tel un journaliste ou plutôt un historien, Florian Bobin exhume les traces de vie de Omar Blondin Diop, brillant intellectuel sénégalais, politiquement engagé, « rouge et expert » comme s’exprimait l’idéal de l’époque.
Nous replongeant dans cette atmosphère, l’auteur, jeune étudiant chercheur en histoire à l’Université Cheikh Anta Diop, déroule dans un style flamboyant, vivace, vivant, l’itinérance d’un « Enfant du siècle ». Personnage central de l’ouvrage, Omar Blondin, brillant élève promu à un bel avenir, aîné devant protéger ses frères et donner l’exemple, suivant les recommandations du « paterfamilias », aura fréquenté en France des lycées prestigieux : Montaigne. Louis-leGrand. Il réussit au prestigieux concours de l’Ecole Normale de Saint-Cloud en dépit des exclusions temporaires pour avoir récidivé des sorties sans autorisations. Il avait 19 ans.
La militance s’éveille, avec ses impondérables qui s’expriment dans la conflictualité. « Le voilà » lance-t-il à son père, de retour au Sénégal, en lui « confiant un chiffon logé dans sa poche, plié en quatre : son certificat d’admission à Normale Sup’ ». Amoureux des livres qu’il dévorait avec gourmandise, lui qui essayait de se frayer un chemin à travers la musique, le cinéma, se sentait en déphasage avec la France, pays dans lequel il avait grandement vécu. Il éprouvait le besoin d’étreindre fortement ses terres dakaroises, de s’enraciner dans sa culture locale. Mais cela rencontre le difficile métier de parents, beaucoup plus préoccupés par le devenir de leur progéniture. Et le voilà de nouveau à Paris, pour la rentrée universitaire. En même temps que les cours assez prenants, il refait le monde aux sons des Rolling Stones, Miles Davis, Pink Floyd, etc. « Gouailleur, dont le rire explosif secoue les murs, tournant tout le monde en dérision à commencer par lui-même, il joue avec les codes, s’en imprègne, les détourne ». Anti autoritaire, allergique à l’embrigadement, Omar se révèle un militant atypique qui « choisit les moments et les formes de sa présence ». Au cœur de la révolte estudiantine de Mai 68 à la Sorbonne, il avait conscience de « vivre une belle illusion, l’illusion de la révolution ». S’est posé ensuite l’impératif du retour au bercail où il débarque par bateau. Fini les chemises à fleurs, les pantalons à pattes d’éléphant. Bienvenue au col Mao, au Blue Jean, à l’Anango. Attiré par les Etats-unis, il va devoir retourner à Paris. Au moment des formalités de police à l’aéroport Bordeaux Mérignac, il apprend son expulsion du territoire français par le ministre de l’Intérieur, Raymond Marcellin.
« Une écharde dans la blessure »
Son père qui ne se fait pas à l’idée de voir son fils arrêter si brutalement ses études va jouer de ses relations pour faire annuler l’ordre d’expulsion. Et l’histoire va s’emballer, empruntant des chemins tortueux, suite à l’arrestation de ses deux frères, Diallo et Mohamed, qui se retrouvent dans les geôles senghoriennes au début de l’année 1971, pour avoir incendié le CCF (Centre culturel français). En vue de libérer « le groupe des incendiaires », avec des camarades, ils nourrissent le projet de prendre en otage l’Ambassadeur de France au Sénégal. Après la Syrie pour se former à la lutte armée auprès des combattants palestiniens du Fattah, l’Algérie pour nouer des contacts avec l’aile internationale du Black Panther Party que dirigeait Eldridge Cleaver, ils cherchent ensuite à se procurer des armes au Libéria et avec Paloma, ils seront arrêtés à Bamako et jugés à Dakar par un Tribunal Spécial.
Soumis à un régime d’isolement total à Gorée, au cachot disciplinaire, Omar entame plusieurs grèves de la faim pour faire respecter ses droits et protester contre les brimades et les sévices dont il était victime. Mohamed qui se trouvait dans une autre cellule raconte les râles de son frère qui lui parvenaient alors qu’il agonisait à même le sol froid et humide de sa cellule après un violent coup à la nuque. Une exécution dénonce les parents. Un suicide réagit le gouvernement avec la publication d’un Livre Blanc. Certainement, un pan d’une histoire tragique qui dévoile une facette du régime de Senghor faite de brutalité, de cynisme. A l’image de Kédougou et Gorée. Deux lieux qui évoquent la torture morale et physique ainsi exercées.
« En vérité », comme le relève dans sa préface, l’immense écrivain Boubacar Boris Diop, « Omar survit dans nos mémoires comme cette « écharde dans la blessure » dont parle, à propos de l’Afrique, le poète David Diop, parti lui aussi à la fleur de l’âge ». Et « Cette si longue quête » rappelle que dans l’histoire politique du Sénégal, comme le souligne le préfacier , « Omar est bien la seule individualité qui ait, en elle-même, sans qu’on ne puisse jamais le relier à une structure formelle, une telle puissance d’évocation».
Porté par un éblouissant travail de documentation, d’entretiens compilés dans différents lieux, d’anecdotes inédites, le livre de Floran Bobin nous replonge dans une période insouciante, rebelle, généreuse et tragique, visitée par une irrépressible envie de transformer le monde, faire sauter les digues, déconstruire les traditions, les manières de faire et d’être, et tels des Dieux, façonner un homme et une femme nouveaux. Un monde nouveau.
L'OMBRE TUTÉLAIRE DE MAMADOU DIA PLANE SUR LA NOUVELLE PRÉSIDENCE
Longtemps occulté, ce "premier souverainiste sénégalais" fascine aujourd'hui la jeunesse panafricaine et anti-impérialiste. Cette tendance à la réhabilitation de l'ancien président du Conseil transparaît jusqu'au plus haut sommet de l'État
(SenePlus) - La figure de Mamadou Dia, président du Conseil de 1960 à 1962 avant d'être écarté du pouvoir par Léopold Sédar Senghor, connaît un regain d'intérêt ces dernières années, notamment auprès de la jeunesse. Depuis son élection à la présidence le 24 mars dernier, Bassirou Diomaye Faye, connu pour être un admirateur de Dia, semble vouloir s'inscrire dans l'héritage de cet homme politique emblématique, selon une analyse du site d'information Afrique XXI.
"Vous avez devant vous un diaïste convaincu !", s'exclame Ousmane Barro, militant du parti présidentiel Pastef, cité par Afrique XXI. Le siège même du parti à Dakar porte le nom de "Keur Mamadou Dia" (Maison Mamadou Dia) en hommage à celui qui incarna, l'espace de deux ans seulement, les aspirations d'indépendance réelle et de développement autocentré du Sénégal.
Si la jeunesse se réapproprie aujourd'hui Mamadou Dia, c'est que ce "premier souverainiste sénégalais", selon les termes d'Ousmane Barro, symbolise la lutte contre le néocolonialisme et pour un "développement par en bas des campagnes". Son programme d'"animation rurale" et de "politique autogestionnaire", inspiré du socialisme, l'avait rapidement mis en porte-à-faux avec les élites locales, de l'establishment politique aux marabouts mourides impliqués dans l'économie de l'arachide.
Arrêté en 1962 après une violente crise institutionnelle, Mamadou Dia fut condamné au bagne à Kédougou. Libéré en 1974, cet homme "réservé" et "rigoureux", décrit par Afrique XXI, continua d'influencer une partie de la jeunesse sénégalaise, attirée par ses idées réformistes en matière agricole et religieuse.
"Toutes ses réflexions sur le réformisme islamique, la revivification d'un message religieux de combativité sociale [...] intéressent de nombreux jeunes", souligne ainsi Dialo Diop, un dirigeant de Pastef cité par le média en ligne.
Au-delà de Dia, c'est "tout un pan de l'histoire" anticoloniale et contestataire du Sénégal qui resurgit aujourd'hui, des grèves cheminotes de 1947 immortalisées par Ousmane Sembène aux luttes syndicalistes marginalisées par le régime postrévolutionnaire. "À travers Mamadou Dia, c'est tout un pan de notre histoire qu'on soulève et redécouvre", se réjouit Ahmadou Djibril, jeune militant cité par Afrique XXI.
Cette soif de réhabilitation historique transparaît dans le programme de Pastef, qui promeut une "éthique du travail" et "la nécessité de démarchandiser la politique", autant de principes chers à Mamadou Dia. Si celui-ci a incarné un temps les espoirs d'émancipation du Sénégal postcolonial avant d'être écarté, son autoritarisme envers les franges radicales lui a aussi valu des inimitiés durables. Mais pour la nouvelle génération au pouvoir, brandir l'étendard diaïste semble désormais un moyen de se démarquer d'un "récit national lissé" et d'inscrire son action dans l'héritage historique des luttes pour l'indépendance réelle.
par Alymana Bathily de SenePlus
OMAR BLONDIN DIOP, IN MEMORIAM, ENCORE
EXCLUSIF SENEPLUS - Témoignage de l'engagement et des intuitions géniales de ce compagnon trop tôt disparu. Une figure majeure mais trop peu connue de la lutte anticoloniale
Alymana Bathily de SenePlus |
Publication 12/05/2024
Samedi 11 mai 2024, 51e anniversaire de son assassinat. Je n’arrive pas à parler de mort tout simplement, même si on n’en a toujours pas établi les circonstances.
Les éditions Jimsaan de Felwine Sarr ont saisi la date. Pour se joindre à la cérémonie d’hommage et de prières que la famille et les amis d’Omar organisent chaque année, en ce jour. Pour aussi présenter au public la biographie écrite par un jeune historien franco-canadien de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar, Florian Bobin, sous le titre « Cette si longue quête ».
J’ai été invité par Felwine Sarr pour parler de notre héros avec l’auteur, en compagnie de Dr Dialo Diop, frère cadet d’Omar et pour répondre aux questions du public.
J’ai souligné qu’Omar Blondin Diop avait été un intellectuel de haut vol, ce dont on ne parle pas assez. Ce qui n’est pourtant pas étonnant puisqu’il avait été formé dans les établissements d’élite français : lycée Montaigne, lycée Louis Legrand puis École Normale Supérieure de Saint Cloud.
J’ai rappelé qu’il projetait de soutenir une thèse sur Spinoza dans le sillage de son professeur Louis Althusser qui avait ouvert la voie à la recherche sur la relation entre le jeune Marx et Spinoza. Ce qui fera école plus tard en France et partout en Europe. Mais à l’époque, quand Omar s’y intéressait, le sujet ne faisait pas encore l’objet de recherches.
J’ai fait référence aussi à deux intuitions intellectuelles fulgurantes d’Omar : celle relative à son « projet de théâtre urbain » et celle sur la musique et sa consommation. A propos de son projet de théâtre, il écrivait : « Notre théâtre sera celui de la vie … ». « Rétablir le contact avec le peuple à partir de son expérience quotidienne, de son histoire et de son langage… », était un autre mot d’ordre de son manifeste.
J’ai suggéré que cette intuition d’Omar semblait avoir résonné comme en écho auprès de Ngugi Wa Thiogo qui allait expérimenter quelques années plus tard, au début des années 1970, avec ses collègues de l’Université de Nairobi, le Théâtre Itinérant Libre.
« Le vrai langage du théâtre africain ne se trouve qu’auprès du peuple, surtout de la paysannerie, dans sa vie, son histoire et ses combats », écrira l’écrivain kenyan.
L’autre intuition intellectuelle étonnante d’Omar est esquissée dans ce texte intitulé « Esthétique de la destruction outre atlantique. Du développement de la nouvelle musique populaire » qui date de juillet-décembre 1968. Il l’introduit ainsi : « de la musique, on peut dire ce qu’Arthaud disait de la drogue, certains s’en servent pour guérir, d’autres pour en jouir… ».
Il y a encore ceci : « la musique pop est donc une entité hybride : elle est à la fois une industrie (mass-medium) et un lien culturel où on rencontre des individus qui se caractérisent par la communauté d’âge… ». Suivent des pages lumineuses sur « la mise en condition du public par les mass media », la filiation de la musique pop avec le rock n’ roll et le rythm and blues, la création du « public » et de « l’audience ».
On croirait entendre Stuart Hall et les théoriciens des media studies de l’Université de Birmingham qui pourtant, ne feront école qu’à partir des années 1980. L’un des mérites du livre de Florian Bobin, c’est d’avoir révélé toutes ces fulgurances intellectuelles d’Omar. D’autant que l’introduction de Boubacar Boris Diop a très bien mis l’homme en perspective.
Au sortir du panel, j’ai pourtant ressenti une certaine frustration avec l’impression de n’avoir pas dit l’essentiel sur mon compagnon. Comme toujours quand je parle de lui. Je me suis dit que j’aurais dû dire seulement qu’Omar Blondin Diop était en fait comme nous tous de cette génération qui a eu autour de vingt ans à la fin des années 1960. Nous ressentions tous cette humiliation de laissés pour compte de l’histoire que le lycée et l’université nous rappelait insidieusement. La révolution était pour beaucoup d’entre nous le seul horizon, le seul espoir.
Omar était seulement plus renseigné sur la réalité du monde, plus structuré, plus intelligent donc plus conscient de la domination et du racisme de la France et de l’Occident, et plus meurtri. Plus sensible et plus courageux certainement. C’est cela qui explique son destin d’étoile filante.
LA QUÊTE INACHEVÉE D'OMAR BLONDIN DIOP
Cinquante et un ans après sa mort dramatique dans les geôles du régime autoritaire de Léopold Sédar Senghor, une nouvelle biographie retrace le parcours épique du militant révolutionnaire sénégalais, sous la plume du chercheur Florian Bobin
(SenePlus) - Cinquante et un ans après sa mort dramatique dans les geôles du régime autoritaire de Léopold Sédar Senghor, une nouvelle biographie retrace le parcours épique du militant révolutionnaire sénégalais Omar Blondin Diop. Publiée le 11 mai 2022 chez Jimsaan, à l'occasion de l'anniversaire de sa disparition, "Cette si longue quête - Vie et mort d’Omar Blondin Diop" du chercheur Florian Bobin relève, à en croire le compte rendu du journal Le Monde, le défi de reconstituer avec minutie le destin hors du commun de cette icône de la lutte anti-impérialiste en Afrique.
Comme le souligne le préfacier Boubacar Boris Diop dans son hommage émouvant, Blondin Diop incarnait cette jeunesse africaine avide de changement social. Fils de médecins formés dans les prestigieuses Écoles normales coloniales, le brillant étudiant devient en 1965 le premier Sénégalais diplômé de l'École normale supérieure de Saint-Cloud, en France. C'est là qu'il noue des amitiés avec des intellectuels de renom comme Jean-Paul Sartre et fait la rencontre de Jean-Luc Godard qui le fait tourner dans son film "La Chinoise". Mais loin de la rendre conformiste, cette ascension sociale ne fait que conforter ses convictions marxistes-léninistes, comme le rapporte un ami inquiet de le voir s'opposer ouvertement au président Senghor.
En effet, Blondin Diop révèle au grand jour son militantisme radical lors des événements de Mai 68, pendant lesquels il se livre corps et âme aux côtés d'étudiants parisiens et dakarois réclamant plus de libertés politiques. Au Sénégal, la révolte étudiante est violemment matée par la police de Senghor. Dès lors, l'intellectuel ne cessera de dénoncer le caractère néo-colonial du régime, osant même affirmer à l'ULB que "l'indépendance de l'Afrique n'a jamais existé". Très documenté, le livre de Bobin restitue avec force détails les discours passionnés de Blondin Diop auxquels aucun auditoire ne résistait.
Mais l'engagement total du jeune homme ne s'arrête pas à la tribune. Comme le rapporte l'auteur après des années d'enquête, Blondin Diop part se former au combat armé auprès du Fatah et des Black Panthers, dans l'espoir de libérer des camarades emprisonnés. Une décision fatale, puisque le Mali l'extrade vers Dakar en 1971. Malgré un procès expéditif, il demeure droit et digne dans sa cellule, refusant de renier ses idées. Mais sa santé décline et il trouve tragiquement la mort à 26 ans seulement, sur l'île de Gorée.
Si le régime de Senghor prétend alors qu'il s'est suicidé, c'est bien le portrait du martyr révolutionnaire qui s’impose dans les mémoires. Ainsi, cette biographie rend hommage à la détermination d'Omar Blondin Diop, qui restera à jamais une figure emblématique de la lutte anti-impérialiste en Afrique. Cinquante ans plus tard, son héritage intellectuel et politique continue d'inspirer les nouvelles générations.