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21 novembre 2024
LEOPOLD SENGHOR
Par Amadou Lamine SALL
QUELLE EST DONC CETTE TENACE QUERELLE TANT ENTRETENUE ENTRE SENGHOR ET CHEIKH ANTA DIOP ?
Enivrons-nous de leur héritage. Enseignons leurs œuvres à nos enfants. Méditons leurs pensées et servons-nous en, quand arrive la nuit de la peur et de l’angoisse. Ils ont, tous les deux, laissé la plus belle et la plus haute des pyramides dans la mémoire
Nous ne connaissons en Afrique, en son temps, exerçant une aussi profonde influence, aucun nom qui soit plus grand, plus doué, plus cultivé et plus étoffé que Senghor et Cheikh Anta Diop !
Comme Tocqueville en parlait pour le 18ème siècle, nous pouvons avouer aussi pour le 20ème siècle, qu’un immense homme de lettres et un savant, homme de pensées et de sciences de la recherche, Sédar Senghor et Cheikh Anta, sont «devenus les principaux hommes politiques du pays, et des effets qui en résultèrent.» Deux hommes qui ont forgé leur légende et « qui par le commerce de la pensée et de la plume, combiné avec l’intervention dans les affaires publiques, ont exercé la plus grande influence dans leur temps.» Cela relève de leur génie propre !Ils ont fait l’éclat du Sénégal !
Entre Senghor et Cheikh Anta, une «famille d’esprit» opposée, «mais au-delà de la diversité de leurs opinions, un esprit de famille qui fait de la politique, non une profession, mais un prolongement naturel de la vie intellectuelle et artistique d’une époque.» N’ont suivi et succédé à ces deux icônes que des «hommes politiques professionnels» et raides !»Avec eux, le Sénégal «a changé et nous a changés !» Il aurait même changé Dieu ! Nous semblons ne plus être doués que pour le malheur, l’inculture, la haine, l’indiscipline, l’insulte, l’indignité ! Nombre d’entre nous ont renoncé à nos valeurs ! Le peu qui nous sort encore la tête de l’eau, c’est cette honte de ne plus être les premiers, comme hier Senghor et Cheikh Anta l’étaient en Afrique ! Le Premier ministre du Mali, Choguel Kokalla Maïga, à sa manière, nous l’a rappelé en s’adressant à son petit frère, homologue du Sénégal, venu à Bamako leur rendre visite en ce mois d’août 2024. Son hommage à Senghor avec cette reconnaissance au pré-panafricaniste qui a inventé la Fédération du Mali et l’a mise en place avec Modibo Keïta, inaugurant ainsi l’unité régionale avec ses «cercles concentriques» avant l’unité panafricaniste à hauteur de tout le continent et aujourd’hui encore si lointaine, presque utopique. Choguel Maïga s’exprime devant Ousmane Sonko installé au pouvoir 65 ans après. Émouvant. Puisse Choguel Maïga, étiqueté brillantissime intellectuel à qui, vrai ou faux, Sédar avait attribué une bourse d’étude en France, lutter de toutes ses forces et au-delà, pour rendre aux Maliens la liberté des urnes etle chant de la démocratie.
Oui, certes Senghor n’a pas tout réussi, mais la démocratie sénégalaise tant chantée par le monde et qui a permis par des alternances apaisées à grandir le Sénégal, on la doit, si infime soit-elle, d’abord à Senghor qui a commencé par instituer des courants politiques au-delà du parti unique, courants qu’Abdou Diouf a ouvert et amplifié et qui ont fini par donner une République ouverte à tous, jusqu’à Diomaye aujourd’hui. Il fallait bien commencer par quelque chose ! Ne raccourcissons pas l’histoire ! Pour encore demain, la jeunesse doit savoir et ne rien ignorer de notre histoire démocratique ! «Le Noir est une couleur, le Nègre une culture. Il y a des Nègres qui ne sont pas des Noirs», dit-on. Depuis l’Égypte, les fils de l’Afrique prodigieuse n’ont pas encore construit plus grand que les pyramides ! Cheikh Anta Diop attend ! Puisse son mausolée à Thieytou être reconstruit sous forme de pyramide. Pour la mémoire et le symbole ! «Formez-vous, armez-vous de sciences jusqu’aux dents (…) et arrachez votre patrimoine culturel (…) La plénitude culturelle ne peut que rendre un peuple plus apte à contribuer au progrès général de l’humanité…» nous dit Cheikh Anta Diop ! «Accéder à la modernité sans piétiner notre authenticité», recommande Senghor. Sachons une fois pour toute que Senghor et Cheikh Anta Diop, sans l’affrontement politique de deux hommes différents de camp, mais intellectuellement «enflés » et complémentaires, se rencontrent, quelque part, dans leur théorie. Quand «l’humanisme de Senghor consiste à affirmer la complémentarité des cultures et des civilisations», Cheikh Anta Diop «rêvait d’une synthèse entre ancrage et métissage culturel ». Comme Sédar, il était à la fois marié avec l’Afrique et avec une française admirable. Cessons donc de les opposer, deux haches à la main, et prions pour avoir dans ce pays en mutation d’autres Cheikh Anta Diop à venir, d’autres Senghor à venir.
Les deux hommes s’appréciaient et se respectaient. Je les ai vu arriver au mariage de maître Boucounta Diallo. Ensemble, verre à la main, ils échangeaient. En paix et en fraternité. Sembene Ousmane, le rebelle, était là, lui aussi. Il fêtera Senghor au CICES, en maître de cérémonie, le recevant en grande pompe avec les écrivains membres de la section sénégalaise du Pen Club International. Sembene, ce jour-là, habilla Senghor, pour le symbole, d’un soyeux boubou de «maître des circoncis» Ramenons les choses au beau et pas toujours au laid et à la division !
Allez donc prendre connaissance également de l’émouvante dédicace de Cheikh Anta Diop à Senghor, en lui offrant un exemplaire de son mythique ouvrage : « Nations nègres et culture. » Lisez la touchante lettre de condoléance de Senghor à Madame Diop. Vous serez alors ému par le respect et l’affection qui unissaient les deux hommes ! C’est sur la ligne de feu de la politique pour accéder au pouvoir, qu’ils se sont opposés et avec un respect mutuel. Normal que Senghor défende son trône que Cheikh Anta Diop voulait conquérir. Normal que Cheikh Anta Diop marquât sa différence de programme politique avec Senghor pour conquérir et convaincre son propre électorat. Ce qui est la nature même de la lutte politique et de la conquête du pouvoir. D’ailleurs, à la vérité, que faisait Cheikh Anta Diop en politique ? Il était déjà entré dans l’histoire, grand dans l’histoire et plus grand encore que la politique !
Autre fait admirable que nous raconte feu Bara Diouf, patron du quotidien national Le Soleil, que je rapporte dans mon ouvrage «Senghor : ma part d’homme», édition 2006. C’était lors de sa conférence sur Senghor le 29 décembre 2006, à l’hôtel Novotel. Bara Diouf témoigne : « Cheikh Anta Diop me téléphone et me dit qu’il se rend au Caire, en Égypte, et qu’il souhaiterait être accompagné par la presse. Je lui réponds que je n’ai pas d’argent pour faire partir un journaliste pendant un mois. Voyez avec les Arabes s’ils ne peuvent pas faire un geste. – «Cela me sera difficile», me répond Cheikh Anta. Alors je prends mon téléphone et j’appelle Madame Alexandre la secrétaire du Président Senghor au Palais. Il me reçoit et je lui rends compte de la requête de Cheikh Anta. Il me remet cinq millions de Francs et me dit ceci : «Il faut couvrir son voyage et le faire accompagner. Je ne veux pas qu’il y ait des traces de mon intervention, donc je n’en parle pas à notre ambassadeur. Que tout soit discret. Vois-tu, mon cher Bara, je ne laisserais jamais seul Cheikh Anta sur les bords du Nil.»
En lieu et place de ceux qui, à longueur de cœur et de pensée, sont ensevelis dans la partialité, la rancœur et la revanche, et qui tentent, sans se lasser, de mettre en duel Senghor et Cheikh, de les opposer, de les séparer, de les diviser, prions plutôt pour que le Sénégal, ce grand petit pays dont la renommée dépasse ses frontières, voie naître d’autres Senghor et d’autres Cheikh Anta Diop. Enivrons-nous de leur héritage. Enseignons leurs œuvres à nos enfants. Méditons leurs pensées et servons-nous en, quand arrive la nuit de la peur et de l’angoisse. Ils ont, tous les deux, laissé la plus belle et la plus haute des pyramides dans la mémoire des hommes. Leur héritage est comme un puits inépuisable. Leur nom et leur contribution à la marche de l’humanité, sont entrés d’un même pas cadencé dans l’histoire et la postérité. Les opposer pour en faire un fonds de commerce intellectuel, ne conduit qu’au ridicule, à la petitesse, à l’oubli et au néant.
M’inspirant de l’enseignement de Al Makhtoum, évitons ce qui est malencontreusement arrivé au Dieu unique ! Il nous a donné le prophète Mohamed. Il ne peut plus nous en donner un autre d’identique ou de plus grand. Le voudrait-il, il ne le pourrait ! Dieu ne peut plus le faire et ne le fera plus jamais, jusqu’à la fin des temps ! Comme Jésus ! C’est acté. C’est écrit ! C’est ainsi ! Par contre, nous ses si humbles, si fragiles, si éphémères sujets, avons, de par sa grace et sa Générosité sans fin, la force de prier pour que naissent d’autres Senghor, d’autres Cheikh Anta Diop. Il s’agit de grandir son pays, l’Afrique, le monde et de laisser un héritage digne de l’humanité comme celui de ses deux fils étoiles du Sénégal !
Bien des idées reçues et qui perdurent hélas encore, nous trompent et montrent du doigt tant de mensonges et de manipulations ! Tenez, comment par ailleurs interpréter cette posture de Mamadou Dia, qui, dès sa sortie de ses très longues années de prison par grâce présidentielle de Senghor, est allé de lui-même rencontrer «son ami» qui l’avait ainsi fait punir. Dia embrassa Senghor et le remercia. Mamadou Dia est un saint ! Cet acte émouvant et d’infinie humanité de sa part, dépassa un Senghor surpris ! Il ne peut exister plus touchante grandeur ! Et pourtant on en a voulu à Dia d’être allé au Palais embrasser Senghor «qui l’a poignardé dans le dos avec la complicité de la France», comme l’a craché, odieusement, en direct à la RTS, tel quel, bave et haine à la bouche, l’invité habile, hostile et vengeur du courtois et pudique journaliste d’une RTS pourtant si professionnelle, respectueuse et éthique qui, en ce douloureux dimanche du 28 juillet 2024, ne méritait pas de faire subir à son public, sur sa chaine, la diffusion d’une telle sortie haineuse et si violemment sectaire ! Feu Mamadou Dia ne serait pas d’accord !
L’invité délirant rempile de plus belle face au journaliste de la RTS, presque médusé, en vomissant encore ceci : «Il faut cesser d’avoir à la tête de nos pays des hommes d’État comme Senghor, Abdou Diouf, Abdoulaye Wade, Macky Sall… Senghor est une calamité, un dictateur, un grand Blanc… Senghor et tous les autres, c’est kif-kif bourico !» Un être normalement constitué ne peut pas ainsi s’exprimer sur la chaine nationale, face aux Sénégalais ! Cela ne doit plus arriver !
De cette émission de la RTS du dimanche 28 juillet 2024, si suivie par attachement à un journaliste solide et humble, nous en avons rapporté ici, par respect et pudeur, le moins pénible, le moins reptilien, le moins tragique et gluant, le moins répulsif et lépreux, le moins déshonorant et indigne, le moins indécent des propos de l’invité récidiviste ! Il creuse toujours, sans se lasser, pour déterrer Senghor et brûler ses os ! Mais la tombe de Sédar est un puits au fond inatteignable ! N’insulte pas Senghor qui veut pour aller dormir ensuite en ronflant ! Et dire que des liens de sang ont scellé par la volonté de Dieu les Senghor à sa famille ! Nul n’est un chef-d’œuvre achevé, hormis Dieu ! Senghor est déjà «mémorisé», «mémorialisé» avant toute mémoire. Il est «Onussisé». Il est «panafricanisé». Il est mondial Il est une histoire ineffaçable, une grande et très belle histoire. Comme Cheikh Anta Diop !
Nous nous inclinons respectueusement devant la famille de ce cruel et hérétique pourfendeur de métier, une famille où veille un homme hors du commun, un immense, intense et bel esprit. Il est dans l’ombre. Il est dans le silence, la paix, la méditation, la prière et la lumière des livres. Il est bon et affectueux. Et nous l’aimons de tout notre cœur. La revanche et les insultes aux morts, ne sont dignes d’aucune créature humaine, à moins de s’être éloigné et des hommes et même des bêtes, loin, très loin du divin ! Que le Seigneur veille sur cet homme pierreux, à l’âme sèche. Qu’Il lui ôte ce poison du cœur. Qu’il éteigne en lui cet incendie qui l’habite et le consume ! En paix, revenons à Senghor et à Cheikh Anta Diop ! On peut facilement penser que «Les deux hommes n’étaient pas faits pour se rencontrer, ni même pour s’estimer.» Et pourtant, c’est ce qui est arrivé. Cela est dû à un seul mot, une seule soif, une seule quête : la culture ! Senghor, poète et homme d’État, «homme du destin et de l’Histoire.» Cheikh Anta : «la permanence de l’intelligence», l’énergie et la rage du chercheur chevillé à rendre à l’Afrique prodigieuse son éclat et sa grandeur. Un temps jadis gouverné par deux grands penseurs et chercheurs ! Ce printemps si rare, à la fois ensoleillé et givré quelque part, reviendra-t-il ? Nous en sommes profondément nostalgique ! Le futur vaudra-t-il ce passé si rempli, si puissant, si nourrissant ? Nous en doutons au regard de la course folle des hommes vers l’argent, l’inculture, le pouvoir.
Par-dessus les générations, ce que nous avons vu et vécu au Sénégal avec Senghor, Cheikh Anta Diop, Pathé Diagne, Birago Diop, Sembene Ousmane, Majmouth Diop, Abdoulaye Ly, Amadou Mokhtar Mbow, Assane Seck, Alioune Diop de Présence africaine, Alioune Sène, Bara Diouf, Moustapha Niasse, Djibo Ka, Mame Less Dia, Doudou Sine, Abdou Anta Ka, le sociologue Pierre Fougeyrollas, le mathématicien Souleymane Niang, Sémou Pathé Guèye le philosophe, le Professeur Alassane Ndao, et tant d’autres, comme époque d’un foyer ardent de culture et d’esprit de révolte et de contestation, jusque dans l’arène politique aujourd’hui si rabougrie et miséreuse, ne peut être comparé à nul autre temps. Senghor resta intraitable avec ses brillantissimes opposants, intellectuels émérites. Répressif - au sens où on laisse l’individu exercer sa liberté tout en lui assignant des limites dont la transgression entraîne une sanction pénale prononcée par une juridiction-il ne lâcha rien. Les opposants non plus. Ce fut un temps de belles et grandes gueules, de «grandes plumes, de rigueur, de mentorat, de grande exigence !» Les têtes étaient pleines, les acteurs charismatiques et brillants, cultivés jusqu’à la moelle et rebelles. Nul n’entendait parler d’argent, de corruption, de manque d’éthique et de dignité ! Seules les idées portées par une immense culture, l’engagement intellectuel, le courage politique, dominaient. Respect !
Sous Senghor et Cheikh Anta, les relations, les luttes et les combats entre l’élite intellectuelle et le pouvoir, étaient une délicieuse confiture. Senghor prenait sa plume, comme intellectuel et non comme chef d’État, pour répondre directement par presse interposée, à ses détracteurs. Ce fait est rare et unique ! Il ne serait pas inintéressant de se poser aujourd’hui, depuis le départ de Senghor, la question du «rapport des intellectuels et des ‘écrivains’ au pouvoir, et quel est le rapport du pouvoir aux intellectuels, ‘aux écrivains ‘» Ne serait-il pas utile que « les intellectuels et les écrivains empêchent que la direction du changement soit exclusivement l’affaire des hommes au/du pouvoir ?»
Toujours ou très souvent, partout, «Les intellectuels mettent en cause l’ordre établi et contestent la gestion de la vie sociale en dénonçant le manque de démocratie et de liberté, l’injustice sociale, la domination extérieure acceptée selon eux par le pouvoir. Exclus des lieux des décisions nationales, ces intellectuels réagissent à cette exclusion en se repliant sur des idéologies ou des positions doctrinales…»
Cheikh Anta Diop restera Cheikh Anta Diop. Senghor restera Senghor. Immortels et éternels tous les deux. Prions pour Sédar et Cheikh Anta. Qu’ils reposent en paix. Apprenons à nous élever, à grandir et à servir le beau ! Seul le beau rend beau ! Août 2024.
Par Oumar Diaw SECK
SORANO TRAHIT SENGHOR
Pour la première fois de son histoire, l'Ensemble lyrique de Sorano s'est laissé entraîner sur la pente de l'occidentalisation. Il a repris des œuvres contemporaines en y intégrant des instruments modernes, rompant avec sa vocation originelle
Aussi bien que dans la politique, la culture peut vivre aussi la haute trahison. Tel est le cas de ce que le temple de la culture qu’est la Compagnie du Théâtre national Daniel Sorano a vécu ce jeudi 1er août 2024. Sur imposition du Directeur général de Sorano, El Hadj Ousmane Barro Dione avec la complicité de Ousmane Faye, manager de Oumar Pène, de Baboulaye Cissokho, directeur artistique par intérim (l’Ensemble), malgré la réticence de beaucoup d’artistes, l’Ensemble lyrique traditionnel a produit l’album « Senegal sunu réew » de 15 titres sorti, ce jeudi 1er août 2024, avec la prestation sur scène de l’Ensemble lyrique avec des guitaristes, clavistes et avec d’autres instruments occidentaux. L’album est constitué de reprises de Oumar Pène, Baaba Maal, Abdoulaye Mboup, Thione Seck, Mahawa Kouyaté, Khady Diouf, Kiné Lam entre autres. Cette production musicale et la prestation scénique constituent une haute trahison de l’esprit de Sorano et de la mission de l’Ensemble lyrique. Depuis 1966, tous les directeurs généraux et les artistes de Sorano ont respecté et développé l’âme, l’orientation et la mission sacerdotale de l’Ensemble lyrique traditionnel qui consiste exclusivement à la valorisation du patrimoine musical traditionnel du Sénégal. Et aussi la promotion et la vulgarisation des instruments traditionnels. Jamais d’instruments musicaux occidentaux-modernes à l’Ensemble lyrique traditionnel depuis son existence en 1966 tant dans la production que dans les prestations scéniques. Khalam, riti, balafon, djembé, sabar, kora, bougeur entre autres instruments traditionnels se sont toujours côtoyés pour produire des chefs-d’œuvre, de belles musiques.
Au moment où l’ère du souverainisme culturel c’est-à-dire la sauvegarde du patrimoine culturel est d’actualité, on assiste à une tentative d’agression de notre patrimoine immatériel par la nouvelle direction générale de Sorano.
Maurice Sédar Senghor, Pathé Gueye, Ousmane Diakhaté, Sahite Sarr Samb, Massamba Gueye, Abdoulaye Koundoul, tous ces directeurs généraux ont respecté et consolidé la mission de Sorano. Sauf Ousmane Barro Dione qui est en train de trahir l’esprit de Sorano. Et pourtant, il y a eu toujours des productions d’albums de Sorano avec des chanteurs comme El Hadj Faye, Thione Seck, Moussa Ngom et d’auteurs compositeurs comme Boucounta Ndiaye, mais toujours avec nos instruments traditionnels
Créé en 1965 par le poèteprésident Léopold Sédar Senghor, lancé en 1966 lors du premier Festival mondial des Arts nègres (Fesman 1), ainsi que le Ballet national La Linguère La Linguère et la troupe dramatique nationale, l’Ensemble lyrique traditionnel s’est assigné comme mission sacerdotale consistant à la valorisation du patrimoine musical traditionnel et oral du Sénégal. On a assisté froid dans le dos, avec cette production « soupe kandj » mi-figue-miraisin à la déviation de l’Ensemble lyrique traditionnel Daniel Sorano. Les nouvelles autorités en charge de la culture et l’opinion doivent prendre conscience de l’impérieuse nécessité de sauver Sorano pour la préservation de notre patrimoine immatériel traditionnel inestimable et aussi d’épargner Sorano des dérives culturelles et des déviances artistiques. Sauvons Sorano.
Oumar Diaw Seck est directeur artistique de l’Ensemble instrumental de l’Afrique de l’Ouest (USA), promoteur de la musique traditionnelle africaine aux Etats-Unis d’Amérique. oumardiawseck@gmail.com
L'ÉDITORIAL DE RENÉ LAKE
DÉCOLONISER LA JUSTICE
EXCLUSIF SENEPLUS - Dans un État démocratique et de droit, la séparation des pouvoirs entre l'exécutif, le législatif et le judiciaire est fondamentale pour assurer le bon fonctionnement et l'indépendance de chaque institution
Aller chercher le savoir jusqu’en…Chine ! Cette recommandation de bon sens est une invite à aller au-delà des frontières de la vieille métropole coloniale pour chercher les meilleures pratiques (best practices), surtout quand, dans un domaine particulier, celle de l’ex-colonisateur n’est pas le meilleur exemple pour la bonne gouvernance à laquelle les Sénégalaises et les Sénégalais aspirent. S’il y a bien un domaine où la France n’est pas une référence à l’échelle mondiale, c’est bien celui de la Justice dans son rapport avec l’Exécutif.
Dans un État démocratique et de droit, la séparation des pouvoirs entre l'exécutif, le législatif et le judiciaire est fondamentale pour assurer le bon fonctionnement et l'indépendance de chaque institution. Au lendemain de la remise au président Diomaye Faye du rapport général des Assises de la justice qui se sont tenues du 15 au 17 juin 2024, ce texte a l’ambition de mettre en lumière l'importance de cette séparation et pourquoi il est critiqué que le président de la République soit également le président du Conseil Supérieur de la Magistrature.
Prévention de l'abus de pouvoir. La séparation des pouvoirs empêche la concentration excessive de pouvoir entre les mains d'une seule personne ou d'un seul organe. Chaque branche agit comme un contrepoids aux autres, ce qui limite les abus potentiels et favorise la responsabilité.
Indépendance judiciaire. En particulier, l'indépendance du pouvoir judiciaire est essentielle pour garantir des décisions impartiales et justes. Les juges doivent être libres de toute influence politique ou pression externe afin de pouvoir appliquer la loi de manière équitable. En de bien nombreuses occasions, tout le contraire de ce que l’on a connu depuis plus de 60 ans au Sénégal et qui a culminé pendant les années Macky Sall avec une instrumentalisation politique outrancière de la justice.
Fonctionnement efficace du législatif. Le pouvoir législatif doit être libre de proposer, examiner et adopter des lois sans interférence de l'exécutif ou du judiciaire. Cela assure la représentation démocratique des intérêts de la population et la formulation de politiques publiques diverses et équilibrées.
Le président de la République et le Conseil Supérieur de la Magistrature -
Le Conseil Supérieur de la Magistrature (CSM) est souvent chargé de la nomination, de la promotion et de la discipline des magistrats. Dans de nombreux pays démocratiques, il est critiqué que le président de la République soit également le président de cet organe pour plusieurs raisons notamment celle du conflit d’intérêt potentiel et de la menace pour la séparation des pouvoirs.
En occupant simultanément ces deux fonctions, le président peut influencer directement les décisions judiciaires et les nominations de magistrats, compromettant ainsi l'indépendance judiciaire. Cette perversion n’a été que trop la réalité de la justice sénégalaise depuis les années 60 avec une accélération sur les deux dernières décennies avec les régimes libéraux arrivés au pouvoir après une alternance politique.
Cette situation a fortement affaibli la séparation des pouvoirs au Sénégal en concentrant trop de pouvoir entre les mains de l'exécutif, ce qui a régulièrement mené à des décisions politiquement motivées plutôt qu'à des décisions basées sur le droit.
La crainte d’une République des juges -
Les acteurs sociaux favorables à la présence du chef de l’État dans le CSM invoquent régulièrement la crainte d’une "République des Juges". Cette idée d'une "République des juges" où le pouvoir judiciaire dominerait les autres branches gouvernementales, n'est pas pertinente dans un système démocratique où il existe de multiples recours et des contrepoids aux potentiels abus des juges. Cette idée relève plus du fantasme jacobin que d’un risque réel dans une démocratie bien structurée, où il existe plusieurs niveaux de recours judiciaires permettant de contester les décisions des juges. Ces recours assurent que les décisions judiciaires peuvent être réexaminées et corrigées si nécessaire.
Par ailleurs, le pouvoir législatif a le rôle crucial de créer des lois et de superviser l'exécutif. En dernier ressort, le législatif peut modifier des lois pour contrer toute interprétation judiciaire excessive ou inappropriée, assurant ainsi un équilibre des pouvoirs.
Enfin, l'indépendance judiciaire signifie que les juges sont libres de rendre des décisions impartiales, mais cela ne signifie pas qu'ils sont au-dessus des lois ou qu'ils ne sont pas responsables. Les juges doivent toujours interpréter et appliquer les lois dans le cadre des normes constitutionnelles établies par le législatif.
La crainte d’une République des juges est un chiffon rouge agité en France depuis longtemps pour justifier un système judiciaire bien plus attaché à l’Exécutif que dans les autres démocraties occidentales.
Historiquement, le président de la République française a été le président du Conseil Supérieur de la Magistrature. Cette pratique a été critiquée pour son impact potentiel sur l'indépendance judiciaire. Actuellement, la réforme de 2016 a réduit le rôle direct du président dans le CSM, mais des questions persistent sur l'indépendance réelle.
De son côté, le système américain illustre une stricte séparation des pouvoirs, où le président n'a qu’un rôle indirect dans la nomination des juges fédéraux. Dans ce processus le président est chargé uniquement de nommer et seul le Sénat américain détient le pouvoir de rejet ou de confirmation. Cela vise à maintenir une certaine distance entre l'exécutif et le judiciaire.
L'Allemagne pour sa part maintient également une séparation rigoureuse des pouvoirs avec des organes distincts pour l'exécutif, le législatif et le judiciaire, évitant ainsi toute concentration excessive de pouvoir et préservant l'indépendance du pouvoir judiciaire.
Le modèle progressiste sud-africain -
L'Afrique du Sud offre un cas fascinant de respect de la séparation des pouvoirs, essentielle pour la stabilité démocratique et la protection des droits constitutionnels depuis la fin de l'apartheid. Suit une exploration de la manière dont la séparation des pouvoirs est respectée dans le système judiciaire sud-africain.
La Constitution sud-africaine, adoptée en 1996 après la fin de l'apartheid, établit clairement les pouvoirs et les fonctions de chaque institution de l’État : l'exécutif, le législatif et le judiciaire. Elle garantit également les droits fondamentaux des citoyens et définit les principes de gouvernance démocratique.
La Constitution insiste sur l'indépendance du pouvoir judiciaire, affirmant que les tribunaux sont soumis uniquement à la Constitution et à la loi, et ne doivent pas être influencés par des intérêts politiques ou autres pressions externes. Les juges sont nommés de manière indépendante, et leurs décisions ne peuvent être annulées que par des procédures juridiques appropriées, garantissant ainsi leur autonomie dans l'interprétation et l'application de la loi.
La Cour constitutionnelle est la plus haute autorité judiciaire en matière constitutionnelle en Afrique du Sud. Elle est chargée de vérifier la constitutionnalité des lois et des actions du gouvernement, de protéger les droits fondamentaux des citoyens, et de maintenir l'équilibre entre les pouvoirs. La Cour constitutionnelle a le pouvoir de rendre des décisions contraignantes pour toutes les autres cours, garantissant ainsi l'uniformité et la primauté du droit constitutionnel.
En plus de la Cour constitutionnelle, l'Afrique du Sud dispose d'un système judiciaire complet avec des tribunaux inférieurs qui traitent des affaires civiles, pénales et administratives à différents niveaux. Chaque niveau de tribunal joue un rôle spécifique dans l'administration de la justice selon les lois applicables.
La Cour constitutionnelle a souvent été appelée à vérifier la constitutionnalité des lois adoptées par le Parlement sud-africain. Cela démontre son rôle crucial dans le maintien de la séparation des pouvoirs en s'assurant que les lois respectent les normes constitutionnelles et les droits fondamentaux.
Les juges en Afrique du Sud sont nommés sur la base de leur compétence professionnelle et ne sont pas soumis à des influences politiques directes. Cela garantit que leurs décisions sont prises en fonction du droit et non de considérations partisanes ou externes.
La séparation des pouvoirs renforce la protection des droits fondamentaux des citoyens en permettant au pouvoir judiciaire d'agir comme un contrepoids aux actions potentiellement inconstitutionnelles ou injustes du gouvernement ou du législateur.
En respectant la séparation des pouvoirs, l'Afrique du Sud renforce la confiance du public dans le système judiciaire, crucial pour la stabilité politique, économique et sociale du pays.
Se référer aux bonnes pratiques –
La Fondation Ford a joué un rôle significatif et historique dans le processus d'élaboration de la Constitution sud-africaine de 1996. Franklin Thomas, président de cette institution philanthropique américaine de 1979 à 1996, a été un acteur clé dans ce processus. Avant les négociations constitutionnelles officielles qui ont conduit à la Constitution de 1996, l’institution philanthropique américaine a soutenu financièrement des recherches approfondies et des débats critiques sur les principes et les modèles constitutionnels. Cela a permis de jeter les bases d'une réflexion constructive et informée parmi les diverses parties prenantes en Afrique du Sud.
Des rencontres et des dialogues ont été facilités entre les leaders politiques, les juristes, les universitaires, ainsi que les représentants de la société civile et des communautés marginalisées. Ces forums ont joué un rôle crucial en encourageant la participation démocratique et en favorisant la compréhension mutuelle nécessaire à la construction d'un consensus constitutionnel.
Par ailleurs, plusieurs organisations de la société civile en Afrique du Sud ont joué un rôle actif dans les négociations constitutionnelles. Cela comprenait des groupes de défense des droits humains, des organisations communautaires et des instituts de recherche juridique.
En encourageant des initiatives visant à promouvoir la justice sociale, l'équité raciale et les droits fondamentaux, ces efforts ont contribué à ancrer ces valeurs dans le processus constitutionnel sud-africain. Cela a été essentiel pour contrer les héritages de l'apartheid et pour établir un cadre constitutionnel solide basé sur les principes de l'État de droit et de la démocratie.
Le rôle de ces initiatives dans l'élaboration de la Constitution sud-africaine a laissé un héritage durable de liberté et de justice en Afrique du Sud. La Constitution de 1996 est largement reconnue comme l'une des plus progressistes au monde, protégeant une vaste gamme de droits et établissant des mécanismes forts pour la protection de la démocratie et de l'État de droit.
L'expérience sud-africaine a souvent été citée comme un modèle pour d'autres pays en transition ou confrontés à des défis de consolidation démocratique ou de rupture systémique. Elle démontre l'importance du partenariat entre les acteurs nationaux dans la promotion de la bonne gouvernance et des droits humains.
Nécessité d'une transformation systémique au Sénégal –
Avec l'arrivée au pouvoir du mouvement Pastef, il est crucial pour l’administration Faye-Sonko de ne pas tomber dans le piège des petites réformes qui maintiennent intact le système ancien mais d'envisager une réforme judiciaire qui s'inspire des meilleures pratiques internationales, telles que celles observées en Afrique du Sud.
Décoloniser et émanciper la justice au Sénégal implique de repenser et de réformer le système judiciaire de manière à renforcer l'indépendance, la transparence et l'efficacité. S'inspirer des meilleures pratiques internationales tout en adaptant ces modèles au contexte spécifique du Sénégal est essentiel pour promouvoir une gouvernance démocratique solide et durable, répondant aux aspirations des citoyens pour une justice juste et équitable. L’instrumentation politique de la Justice doit devenir une affaire du passé au Sénégal.
Réformer la Justice pour assurer la Rupture au Sénégal ne peut se concevoir que dans un cadre plus général de refondation des institutions. L’éditorial SenePlus publié sous le titre “Pour une théorie du changement“ développe cet aspect de manière explicite. L’ambition pastéfienne de sortir le Sénégal du système néocolonial est partagée par l’écrasante majorité des Sénégalais et des jeunesses africaines. Cette ambition doit cependant être exprimée dans la présentation d’un cadre général clair, discuté et élaboré avec les citoyens. Le processus doit être réfléchi, inclusif et sérieux. Cela aussi, c’est la Rupture exigée par les Sénégalaises et les Sénégalais le 24 mars 2024.
par vieux savané
VIE ET MORT D’OMAR BLONDIN DIOP
Tel un journaliste ou plutôt un historien, Florian Bobin exhume les traces de vie de ce brillant intellectuel sénégalais, politiquement engagé, « rouge et expert » comme s’exprimait l’idéal de l’époque
Editions Jimsaan Dakar, 2024 286 pages Préface de Boubacar Boris Diop
«Omar est mort »! « Ils ont tué Omar »! Ces cris de rage et d’horreur échappent de la poitrine de ses deux frères cadets, Cheikh et Auguste, venus lui apporter ses affaires après que les visites ont été à nouveau autorisées. Dès que la nouvelle a pu trouer la chape de silence dans laquelle ses geôliers voulaient la contenir, parents, amis, anonymes, ont convergé vers la maison familiale de la Sicap Darabis. La jeunesse urbaine s’insurge devant l’infamie, occupe le macadam par vagues successives, érige des barricades de fortune, brûle des pneus, s’oppose violemment à la police qui riposte avec la lancée de grenades lacrymogènes. La tension est à son paroxysme. Tel un journaliste ou plutôt un historien, Florian Bobin exhume les traces de vie de Omar Blondin Diop, brillant intellectuel sénégalais, politiquement engagé, « rouge et expert » comme s’exprimait l’idéal de l’époque.
Nous replongeant dans cette atmosphère, l’auteur, jeune étudiant chercheur en histoire à l’Université Cheikh Anta Diop, déroule dans un style flamboyant, vivace, vivant, l’itinérance d’un « Enfant du siècle ». Personnage central de l’ouvrage, Omar Blondin, brillant élève promu à un bel avenir, aîné devant protéger ses frères et donner l’exemple, suivant les recommandations du « paterfamilias », aura fréquenté en France des lycées prestigieux : Montaigne. Louis-leGrand. Il réussit au prestigieux concours de l’Ecole Normale de Saint-Cloud en dépit des exclusions temporaires pour avoir récidivé des sorties sans autorisations. Il avait 19 ans.
La militance s’éveille, avec ses impondérables qui s’expriment dans la conflictualité. « Le voilà » lance-t-il à son père, de retour au Sénégal, en lui « confiant un chiffon logé dans sa poche, plié en quatre : son certificat d’admission à Normale Sup’ ». Amoureux des livres qu’il dévorait avec gourmandise, lui qui essayait de se frayer un chemin à travers la musique, le cinéma, se sentait en déphasage avec la France, pays dans lequel il avait grandement vécu. Il éprouvait le besoin d’étreindre fortement ses terres dakaroises, de s’enraciner dans sa culture locale. Mais cela rencontre le difficile métier de parents, beaucoup plus préoccupés par le devenir de leur progéniture. Et le voilà de nouveau à Paris, pour la rentrée universitaire. En même temps que les cours assez prenants, il refait le monde aux sons des Rolling Stones, Miles Davis, Pink Floyd, etc. « Gouailleur, dont le rire explosif secoue les murs, tournant tout le monde en dérision à commencer par lui-même, il joue avec les codes, s’en imprègne, les détourne ». Anti autoritaire, allergique à l’embrigadement, Omar se révèle un militant atypique qui « choisit les moments et les formes de sa présence ». Au cœur de la révolte estudiantine de Mai 68 à la Sorbonne, il avait conscience de « vivre une belle illusion, l’illusion de la révolution ». S’est posé ensuite l’impératif du retour au bercail où il débarque par bateau. Fini les chemises à fleurs, les pantalons à pattes d’éléphant. Bienvenue au col Mao, au Blue Jean, à l’Anango. Attiré par les Etats-unis, il va devoir retourner à Paris. Au moment des formalités de police à l’aéroport Bordeaux Mérignac, il apprend son expulsion du territoire français par le ministre de l’Intérieur, Raymond Marcellin.
« Une écharde dans la blessure »
Son père qui ne se fait pas à l’idée de voir son fils arrêter si brutalement ses études va jouer de ses relations pour faire annuler l’ordre d’expulsion. Et l’histoire va s’emballer, empruntant des chemins tortueux, suite à l’arrestation de ses deux frères, Diallo et Mohamed, qui se retrouvent dans les geôles senghoriennes au début de l’année 1971, pour avoir incendié le CCF (Centre culturel français). En vue de libérer « le groupe des incendiaires », avec des camarades, ils nourrissent le projet de prendre en otage l’Ambassadeur de France au Sénégal. Après la Syrie pour se former à la lutte armée auprès des combattants palestiniens du Fattah, l’Algérie pour nouer des contacts avec l’aile internationale du Black Panther Party que dirigeait Eldridge Cleaver, ils cherchent ensuite à se procurer des armes au Libéria et avec Paloma, ils seront arrêtés à Bamako et jugés à Dakar par un Tribunal Spécial.
Soumis à un régime d’isolement total à Gorée, au cachot disciplinaire, Omar entame plusieurs grèves de la faim pour faire respecter ses droits et protester contre les brimades et les sévices dont il était victime. Mohamed qui se trouvait dans une autre cellule raconte les râles de son frère qui lui parvenaient alors qu’il agonisait à même le sol froid et humide de sa cellule après un violent coup à la nuque. Une exécution dénonce les parents. Un suicide réagit le gouvernement avec la publication d’un Livre Blanc. Certainement, un pan d’une histoire tragique qui dévoile une facette du régime de Senghor faite de brutalité, de cynisme. A l’image de Kédougou et Gorée. Deux lieux qui évoquent la torture morale et physique ainsi exercées.
« En vérité », comme le relève dans sa préface, l’immense écrivain Boubacar Boris Diop, « Omar survit dans nos mémoires comme cette « écharde dans la blessure » dont parle, à propos de l’Afrique, le poète David Diop, parti lui aussi à la fleur de l’âge ». Et « Cette si longue quête » rappelle que dans l’histoire politique du Sénégal, comme le souligne le préfacier , « Omar est bien la seule individualité qui ait, en elle-même, sans qu’on ne puisse jamais le relier à une structure formelle, une telle puissance d’évocation».
Porté par un éblouissant travail de documentation, d’entretiens compilés dans différents lieux, d’anecdotes inédites, le livre de Floran Bobin nous replonge dans une période insouciante, rebelle, généreuse et tragique, visitée par une irrépressible envie de transformer le monde, faire sauter les digues, déconstruire les traditions, les manières de faire et d’être, et tels des Dieux, façonner un homme et une femme nouveaux. Un monde nouveau.
L'OMBRE TUTÉLAIRE DE MAMADOU DIA PLANE SUR LA NOUVELLE PRÉSIDENCE
Longtemps occulté, ce "premier souverainiste sénégalais" fascine aujourd'hui la jeunesse panafricaine et anti-impérialiste. Cette tendance à la réhabilitation de l'ancien président du Conseil transparaît jusqu'au plus haut sommet de l'État
(SenePlus) - La figure de Mamadou Dia, président du Conseil de 1960 à 1962 avant d'être écarté du pouvoir par Léopold Sédar Senghor, connaît un regain d'intérêt ces dernières années, notamment auprès de la jeunesse. Depuis son élection à la présidence le 24 mars dernier, Bassirou Diomaye Faye, connu pour être un admirateur de Dia, semble vouloir s'inscrire dans l'héritage de cet homme politique emblématique, selon une analyse du site d'information Afrique XXI.
"Vous avez devant vous un diaïste convaincu !", s'exclame Ousmane Barro, militant du parti présidentiel Pastef, cité par Afrique XXI. Le siège même du parti à Dakar porte le nom de "Keur Mamadou Dia" (Maison Mamadou Dia) en hommage à celui qui incarna, l'espace de deux ans seulement, les aspirations d'indépendance réelle et de développement autocentré du Sénégal.
Si la jeunesse se réapproprie aujourd'hui Mamadou Dia, c'est que ce "premier souverainiste sénégalais", selon les termes d'Ousmane Barro, symbolise la lutte contre le néocolonialisme et pour un "développement par en bas des campagnes". Son programme d'"animation rurale" et de "politique autogestionnaire", inspiré du socialisme, l'avait rapidement mis en porte-à-faux avec les élites locales, de l'establishment politique aux marabouts mourides impliqués dans l'économie de l'arachide.
Arrêté en 1962 après une violente crise institutionnelle, Mamadou Dia fut condamné au bagne à Kédougou. Libéré en 1974, cet homme "réservé" et "rigoureux", décrit par Afrique XXI, continua d'influencer une partie de la jeunesse sénégalaise, attirée par ses idées réformistes en matière agricole et religieuse.
"Toutes ses réflexions sur le réformisme islamique, la revivification d'un message religieux de combativité sociale [...] intéressent de nombreux jeunes", souligne ainsi Dialo Diop, un dirigeant de Pastef cité par le média en ligne.
Au-delà de Dia, c'est "tout un pan de l'histoire" anticoloniale et contestataire du Sénégal qui resurgit aujourd'hui, des grèves cheminotes de 1947 immortalisées par Ousmane Sembène aux luttes syndicalistes marginalisées par le régime postrévolutionnaire. "À travers Mamadou Dia, c'est tout un pan de notre histoire qu'on soulève et redécouvre", se réjouit Ahmadou Djibril, jeune militant cité par Afrique XXI.
Cette soif de réhabilitation historique transparaît dans le programme de Pastef, qui promeut une "éthique du travail" et "la nécessité de démarchandiser la politique", autant de principes chers à Mamadou Dia. Si celui-ci a incarné un temps les espoirs d'émancipation du Sénégal postcolonial avant d'être écarté, son autoritarisme envers les franges radicales lui a aussi valu des inimitiés durables. Mais pour la nouvelle génération au pouvoir, brandir l'étendard diaïste semble désormais un moyen de se démarquer d'un "récit national lissé" et d'inscrire son action dans l'héritage historique des luttes pour l'indépendance réelle.
par Alymana Bathily de SenePlus
OMAR BLONDIN DIOP, IN MEMORIAM, ENCORE
EXCLUSIF SENEPLUS - Témoignage de l'engagement et des intuitions géniales de ce compagnon trop tôt disparu. Une figure majeure mais trop peu connue de la lutte anticoloniale
Alymana Bathily de SenePlus |
Publication 12/05/2024
Samedi 11 mai 2024, 51e anniversaire de son assassinat. Je n’arrive pas à parler de mort tout simplement, même si on n’en a toujours pas établi les circonstances.
Les éditions Jimsaan de Felwine Sarr ont saisi la date. Pour se joindre à la cérémonie d’hommage et de prières que la famille et les amis d’Omar organisent chaque année, en ce jour. Pour aussi présenter au public la biographie écrite par un jeune historien franco-canadien de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar, Florian Bobin, sous le titre « Cette si longue quête ».
J’ai été invité par Felwine Sarr pour parler de notre héros avec l’auteur, en compagnie de Dr Dialo Diop, frère cadet d’Omar et pour répondre aux questions du public.
J’ai souligné qu’Omar Blondin Diop avait été un intellectuel de haut vol, ce dont on ne parle pas assez. Ce qui n’est pourtant pas étonnant puisqu’il avait été formé dans les établissements d’élite français : lycée Montaigne, lycée Louis Legrand puis École Normale Supérieure de Saint Cloud.
J’ai rappelé qu’il projetait de soutenir une thèse sur Spinoza dans le sillage de son professeur Louis Althusser qui avait ouvert la voie à la recherche sur la relation entre le jeune Marx et Spinoza. Ce qui fera école plus tard en France et partout en Europe. Mais à l’époque, quand Omar s’y intéressait, le sujet ne faisait pas encore l’objet de recherches.
J’ai fait référence aussi à deux intuitions intellectuelles fulgurantes d’Omar : celle relative à son « projet de théâtre urbain » et celle sur la musique et sa consommation. A propos de son projet de théâtre, il écrivait : « Notre théâtre sera celui de la vie … ». « Rétablir le contact avec le peuple à partir de son expérience quotidienne, de son histoire et de son langage… », était un autre mot d’ordre de son manifeste.
J’ai suggéré que cette intuition d’Omar semblait avoir résonné comme en écho auprès de Ngugi Wa Thiogo qui allait expérimenter quelques années plus tard, au début des années 1970, avec ses collègues de l’Université de Nairobi, le Théâtre Itinérant Libre.
« Le vrai langage du théâtre africain ne se trouve qu’auprès du peuple, surtout de la paysannerie, dans sa vie, son histoire et ses combats », écrira l’écrivain kenyan.
L’autre intuition intellectuelle étonnante d’Omar est esquissée dans ce texte intitulé « Esthétique de la destruction outre atlantique. Du développement de la nouvelle musique populaire » qui date de juillet-décembre 1968. Il l’introduit ainsi : « de la musique, on peut dire ce qu’Arthaud disait de la drogue, certains s’en servent pour guérir, d’autres pour en jouir… ».
Il y a encore ceci : « la musique pop est donc une entité hybride : elle est à la fois une industrie (mass-medium) et un lien culturel où on rencontre des individus qui se caractérisent par la communauté d’âge… ». Suivent des pages lumineuses sur « la mise en condition du public par les mass media », la filiation de la musique pop avec le rock n’ roll et le rythm and blues, la création du « public » et de « l’audience ».
On croirait entendre Stuart Hall et les théoriciens des media studies de l’Université de Birmingham qui pourtant, ne feront école qu’à partir des années 1980. L’un des mérites du livre de Florian Bobin, c’est d’avoir révélé toutes ces fulgurances intellectuelles d’Omar. D’autant que l’introduction de Boubacar Boris Diop a très bien mis l’homme en perspective.
Au sortir du panel, j’ai pourtant ressenti une certaine frustration avec l’impression de n’avoir pas dit l’essentiel sur mon compagnon. Comme toujours quand je parle de lui. Je me suis dit que j’aurais dû dire seulement qu’Omar Blondin Diop était en fait comme nous tous de cette génération qui a eu autour de vingt ans à la fin des années 1960. Nous ressentions tous cette humiliation de laissés pour compte de l’histoire que le lycée et l’université nous rappelait insidieusement. La révolution était pour beaucoup d’entre nous le seul horizon, le seul espoir.
Omar était seulement plus renseigné sur la réalité du monde, plus structuré, plus intelligent donc plus conscient de la domination et du racisme de la France et de l’Occident, et plus meurtri. Plus sensible et plus courageux certainement. C’est cela qui explique son destin d’étoile filante.
LA QUÊTE INACHEVÉE D'OMAR BLONDIN DIOP
Cinquante et un ans après sa mort dramatique dans les geôles du régime autoritaire de Léopold Sédar Senghor, une nouvelle biographie retrace le parcours épique du militant révolutionnaire sénégalais, sous la plume du chercheur Florian Bobin
(SenePlus) - Cinquante et un ans après sa mort dramatique dans les geôles du régime autoritaire de Léopold Sédar Senghor, une nouvelle biographie retrace le parcours épique du militant révolutionnaire sénégalais Omar Blondin Diop. Publiée le 11 mai 2022 chez Jimsaan, à l'occasion de l'anniversaire de sa disparition, "Cette si longue quête - Vie et mort d’Omar Blondin Diop" du chercheur Florian Bobin relève, à en croire le compte rendu du journal Le Monde, le défi de reconstituer avec minutie le destin hors du commun de cette icône de la lutte anti-impérialiste en Afrique.
Comme le souligne le préfacier Boubacar Boris Diop dans son hommage émouvant, Blondin Diop incarnait cette jeunesse africaine avide de changement social. Fils de médecins formés dans les prestigieuses Écoles normales coloniales, le brillant étudiant devient en 1965 le premier Sénégalais diplômé de l'École normale supérieure de Saint-Cloud, en France. C'est là qu'il noue des amitiés avec des intellectuels de renom comme Jean-Paul Sartre et fait la rencontre de Jean-Luc Godard qui le fait tourner dans son film "La Chinoise". Mais loin de la rendre conformiste, cette ascension sociale ne fait que conforter ses convictions marxistes-léninistes, comme le rapporte un ami inquiet de le voir s'opposer ouvertement au président Senghor.
En effet, Blondin Diop révèle au grand jour son militantisme radical lors des événements de Mai 68, pendant lesquels il se livre corps et âme aux côtés d'étudiants parisiens et dakarois réclamant plus de libertés politiques. Au Sénégal, la révolte étudiante est violemment matée par la police de Senghor. Dès lors, l'intellectuel ne cessera de dénoncer le caractère néo-colonial du régime, osant même affirmer à l'ULB que "l'indépendance de l'Afrique n'a jamais existé". Très documenté, le livre de Bobin restitue avec force détails les discours passionnés de Blondin Diop auxquels aucun auditoire ne résistait.
Mais l'engagement total du jeune homme ne s'arrête pas à la tribune. Comme le rapporte l'auteur après des années d'enquête, Blondin Diop part se former au combat armé auprès du Fatah et des Black Panthers, dans l'espoir de libérer des camarades emprisonnés. Une décision fatale, puisque le Mali l'extrade vers Dakar en 1971. Malgré un procès expéditif, il demeure droit et digne dans sa cellule, refusant de renier ses idées. Mais sa santé décline et il trouve tragiquement la mort à 26 ans seulement, sur l'île de Gorée.
Si le régime de Senghor prétend alors qu'il s'est suicidé, c'est bien le portrait du martyr révolutionnaire qui s’impose dans les mémoires. Ainsi, cette biographie rend hommage à la détermination d'Omar Blondin Diop, qui restera à jamais une figure emblématique de la lutte anti-impérialiste en Afrique. Cinquante ans plus tard, son héritage intellectuel et politique continue d'inspirer les nouvelles générations.
par Ngugi wa Thiong'o et Boubacar Boris Diop
LETTRE OUVERTE À BASSIROU DIOMAYE FAYE
EXCLUSIF SENEPLUS - Les langues sénégalaises doivent être au coeur du nouveau Sénégal. Cela doit commencer par l'abandon du préalable de la maîtrise du français par les candidats à la présidence
Ngugi wa Thiong'o et Boubacar Boris Diop |
Publication 09/05/2024
Excellence, Monsieur le président de la République,
Permettez-nous de nous présenter avant d'en venir au cœur de notre propos. Nous sommes Ngugi Wa Thiong'o du Kenya et Boubacar Boris Diop du Sénégal. Tous deux romanciers et essayistes, nos œuvres les plus connues sont respectivement Decolonizing the Mind : The Politics of Language in African Literature (1986) et Murambi, le livre des ossements (2000), consacré au génocide perpétré en 1994 contre les Tutsi au Rwanda. Ce qu'il importe toutefois de souligner au regard de la motivation principale de cette lettre ouverte, c'est qu'en plus de notre production littéraire en anglais et en français - les langues des anciens colonisateurs - nous avons publié des ouvrages dans nos langues maternelles, le Kikuyu et le Wolof parmi lesquels Matigari (1986) et Bàmmeelu Kocc Barma (2017).
Nous vous félicitons sincèrement pour votre investiture en tant que nouveau président de la République du Sénégal. Nos félicitations vont également à votre Premier ministre et compagnon de lutte, M. Ousmane Sonko. Par cette brillante élection qui n'a été contestée par aucun de vos rivaux, le peuple sénégalais ne vous a pas choisi comme son maître mais comme l'esclave de ses rêves. Il ne fait aucun doute à nos yeux que vous saurez vous hisser à la hauteur de ses espérances.
Nous ne nous sommes certes jamais rencontrés en personne mais toute l'Afrique, en vérité le monde entier, vous connaît et nous savons que votre jeunesse même a fait souffler un vent d'optimisme sur le continent africain. C'est du reste pour cette raison que nous avons pris la liberté de nous adresser aujourd'hui à vous en tant que vos aînés, à l'africaine en quelque sorte, mais aussi en tant que deux de vos admirateurs.
Si l'Afrique va aujourd'hui encore si mal, c'est la faute de ses leaders politiques qui, à quelques exceptions près, comme Kwame Nkrumah, ont trahi les populations africaines. De mauvais dirigeants ont tout simplement normalisé les anomalies du colonialisme et du néo-colonialisme, qui n'est rien d'autre que l'africanisation du système colonial. Voilà pourquoi nos ressources naturelles continuent depuis si longtemps à enrichir l'Europe et l'Occident. Au moment où les regards de ces complexés restent obsessionnellement tournés vers l'Occident, on ne peut manquer de s'interroger : où sont donc nos inventeurs ? Nos ingénieurs ? Nos explorateurs spatiaux ? L'Afrique aspire à un leadership capable d'enflammer l'imagination de sa jeunesse. Mais cela ne pourra jamais se faire avec des présidents qui ne savent qu'imiter l'Occident, des présidents qui ne croient ni en eux-mêmes ni en leurs peuples. Vous, Excellence, vous avez la possibilité d'ouvrir pour votre peuple des sentiers nouveaux, vous pouvez lui redonner une telle confiance en lui-même qu'il traitera, tout naturellement, d'égal à égal avec toutes les autres nations de la terre. Gardez cependant à l'esprit que si vous choisissez cette voie, vous vous ferez bien des ennemis en Occident. Ce que l'Europe et l'Occident attendent de l'Afrique, c'est qu'elle n'arrête jamais de mettre ses matières premières à leur disposition sans rien recevoir en contrepartie. N'acceptez pas une telle iniquité. Et s'ils vous diabolisent pour cela, et ils ne manqueront pas de le faire, ne vous en souciez pas, car seul doit compter pour vous le jugement du peuple sénégalais.
Nous aimerions à présent partager avec vous quelques brèves réflexions sur la question linguistique qui nous est très familière en tant qu'écrivains. Nous avons choisi de nous concentrer sur ce problème particulier parce que, à notre humble avis, sa résolution est un préalable à toute révolution économique, politique, sociale et culturelle, et donc au bien-être de vos compatriotes.
Voici quelques points que nous tenons à souligner :
Votre pouvoir tire sa force des citoyens sénégalais. Vous les défendez, ils vous défendent. Vous leur parlez, ils vous parlent. Mais vous ne pouvez pas le faire en utilisant une langue qu'ils ne comprennent pas. N'est-ce pas là une évidence, M. le président ?
Les langues sénégalaises doivent être la pierre angulaire du nouveau Sénégal. Chaque Sénégalais a le droit d'exiger le respect de sa langue maternelle. Évitez toute hiérarchisation des langues. Priorité donc à la langue maternelle, qu'elle soit le pulaar, le seereer, le soninke, le wolof, le mandinka, le joolaa ou toute autre langue parlée au Sénégal. Mais si une langue sénégalaise, par exemple le wolof, devient celle qui permet la communication entre tous les Sénégalais, cela ne doit poser aucun problème. Voici notre conception de la politique linguistique : la langue maternelle d'abord. Ensuite, disons, le wolof. Ensuite, disons le swahili, le français, etc. Si vous connaissez toutes les langues du monde sans connaître votre langue maternelle, vous êtes en état d'esclavage mental. En revanche si après avoir maîtrisé votre langue maternelle vous y ajoutez toutes les autres langues du monde, vous n'en serez que plus riche et plus fort.
Encouragez les traductions entre les langues sénégalaises. C'est à nos yeux un point fondamental. Nous proposons à cet effet la mise en place d'un centre national d'interprétation et de traduction qui permettrait une symbiose et une fertilisation croisée entre les langues de votre pays et entre celles-ci et les langues de l'Afrique et du monde. Votre Excellence, de nombreux Africains ont apprécié le fait que lors de votre première visite officielle en Gambie, vous et le président Barrow avez échangé directement en wolof. Nous savons également que, contrairement à vos prédécesseurs, vous prononcez la plupart de vos discours à la fois en français et en wolof et nous pensons que c'est exactement ce qu'il faut faire. Faites votre discours dans une langue sénégalaise, puis mettez-le à disposition dans toutes les autres langues sénégalaises avant de le faire traduire en français. Aux Nations Unies, parlez dans une langue sénégalaise et votre propos pourra faire l'objet d'une traduction simultanée dans les langues de travail de cette organisation internationale. En d'autres termes, faites comme tous les autres présidents du monde, prononcez vos discours dans votre langue. En visite en France par exemple, faites-vous accompagner d'un interprète et adressez-vous dans une langue sénégalaise à votre homologue de l'Élysée. En bref, veillez à faire respecter partout les langues sénégalaises. Et cela doit commencer par l'abrogation dès que possible de l'étrange et embarrassant article 28 de la Constitution sénégalaise, qui exige de tout candidat à la présidence qu'il sache lire, écrire et parler couramment le français.
Organisez les paysans et les ouvriers sénégalais. Stimulez leur créativité. Ils seront vos plus ardents défenseurs. Ne vous préoccupez pas des soi-disant élites intellectuelles qui, parce qu'elles auraient tant à perdre dans le développement des langues de votre pays, multiplient les manœuvres et les arguments fallacieux pour faire dérailler le train de l'Histoire.
Les œuvres de Sembène Ousmane, notamment Les Bouts-de-bois-de-Dieu, et celles d'autres grands noms de la littérature comme Cheikh Hamidou Kane, devraient être disponibles dans toutes les langues sénégalaises. Quant à Cheikh Anta Diop, il est temps que ses livres soient au programme de toutes les écoles de votre pays.
Nous souhaitons aussi que les littératures progressistes d'Afrique et du reste du monde soient disponibles dans les langues sénégalaises et enseignées dans vos écoles et dans vos universités.
Nous savons bien que le Sénégal sera votre priorité. Mais il faudra ensuite vous tourner vers l'Afrique puis vers l'Asie et l'Amérique latine avant de penser à l'Europe. Et cette option devrait se refléter dans le système éducatif.
Faites du Sénégal une nation de penseurs, d'inventeurs, d'artisans, d'explorateurs, une nation de créateurs, ouverte à tous les vents du monde et capable de faire respecter ses intérêts vitaux.
En espérant que ces idées et suggestions de deux compatriotes africains de bonne volonté retiendront votre attention, nous vous prions de croire, Excellence, à notre profond respect.
Your Excellency President Bassirou Diomaye Diakhar Faye
Allow us to introduce ourselves to you before getting to the heart of what we have to say. We are Ngugi Wa Thiong'o from Kenya and Boubacar Boris Diop from Senegal. Both novelists and essayists, our best-known books are respectively Decolonizing the Mind: The Politics of Language in African Literature. (1986) and Murambi, le livre des ossements (2000), about the genocide perpetrated in 1994 against the Tutsis in Rwanda. But the most important thing to emphasize with regard to the motivations behind this open letter is that we have not exclusively published works in English and French - the languages of the former colonizers - but also novels - including Matigari (1986) and Bàmmeelu Kocc Barma (2017) - in our mother tongues, Kikuyu and Wolof.
Congratulations on your assumption of power as the new President of the Republic of Senegal. Our congratulations also go to your Prime Minister and brother in arms, Mr. Ousmane Sonko. With this brilliant election, which not one of your rivals contested, the Senegalese people have not chosen you as its master but as its servant. We have no doubt whatsoever that you will live up to this expectation. We have never met in person but all Africa, indeed the world, has met you and we know that your youth gives Africa hope. That's why we are writing to you as both your African elders and admirers.
Up to now, except for a few leaders like Kwame Nkrumah, the African leadership has betrayed African people. They have simply normalized the abnormalities of Colonialism and neo-colonialism which is simply the Africanization of the colonial system. Our resources have continued to develop Europe and the West. As we only look up to the West, one wonders where our inventors are? Our engineers? Our space explorers? Africa longs for a leadership that can fire the imagination of the continent’s youth. But we cannot do that when our leadership simply mimics, always imitating the West, with no belief in ourselves, in our people. You are in a position to steer Senegal onto a new and different path towards a collective self-confidence, relating to the world on the basis of equal give and take. But if you choose that path, you will create enemies in the West. The West wants an Africa that always gives to Europe and the West. Don't accept an inequity which will be at the expense of your people. And if they demonize you for that, just don't care, don't accept any other judge than the Senegalese people.
Let us now share a few thoughts. We 've chosen to focus on the language problem, because as writers we're familiar with it, but also because, in our humble opinion, the resolution of the language problem is a prerequisite for any economic, political, social, and cultural revolution, and therefore for the well-being of your compatriots.
These are some points we want to stress:
1.Your Power is the Senegalese people. You defend them, they defend you. You speak to them they speak to you. But you cannot do that using a language they can't understand. It is as simple and self-evident as that.
2. Senegalese languages must be the bedrock of the new Senegal. Every Senegalese has a right to their mother tongue. Avoid hierarchy of languages. So, mother tongue first, be it Pulaar, Seereer, Soninke, Wolof Mandinka or Joolaa or any other language spoken in Senegal. But if one Senegalese language, say Wolof, becomes the language that enables conversation among all the other Senegalese languages, that is good. The language policy: Mother tongue first. Then say, Wolof. Then say Swahili, French etc. If you know all the languages of the world, and you don’t know your mother tongue, that is mental enslavement. But if you know your mother tongue, and add all the languages of the world to it, that is empowerment.
3. Encourage translations among Senegalese languages. This is a particularly important point for us. To that end, set up a national interpreting and translation center that would enable a symbiosis and a cross-fertilization between the languages of your country, and between them and the languages of Africa and the world. His Excellency, many Africans appreciated the fact that during your first official visit to the Gambia, you and President Barrow spoke directly to each other in Wolof. We also know that, unlike your predecessors, you make most of your speeches in both French and Wolof, and we think that's exactly the right thing to do. Make your speech in a Senegalese language and then make it available in all the other Senegalese languages. And then in French etc. At the United Nations, speak in a Senegalese language. You can have it translated and or interpreted into French or English, as necessary. In other words, do what all other Presidents in the world do; they make their speeches in their languages. In France, with a French President, speak to him in a Senegalese language. You have an interpreter with you etc.
In short, please invest in the Senegalese languages. And this must start with the repeal at the earliest opportunity of the strange article 28 of the Senegalese Constitution, which requires all presidential candidates to be able not only to speak but also to read and write French.
4. Organize the Senegalese farmers and workers. Fire their imagination. They are your defenders. Don't worry about all the self-proclaimed elites who have so much to lose in the development of your country's languages, and who are multiplying maneuvers and specious arguments to derail the train of History.
5. The works of Sembène Ousmane, especially God’s Bits of Wood, and those of other literary giants like Cheikh Hamidou Kane should be available in all Senegalese languages. As for Cheikh Anta Diop, his books should be taught in all Senegalese schools
6. Progressive literatures from Africa and the rest of the world should be made available in Senegalese languages and also taught in Senegalese schools and universities
7. Senegal first. Then Africa. Then Asia and Latin America. Then Europe etc. This should be reflected in the country’s educational system.
8. Senegal must become a nation of thinkers, inventors, manufacturers, explorers, a nation of makers of things, relating to the world on the basis of equal give and take.
These are, His Excellency, just a few thoughts from two African compatriots and well-wishers from Kenya and your beloved Senegal.
Respectfully yours,
QUAND LE SÉNÉGAL RACHÈTE SON DÛ
Comment les biens du premier président du Sénégal ont été mis en vente par une gouvernante française anonyme ? Qu’est-ce que les autres présidents du Sénégal ont fait des largesses et gratifications reçues au nom de la République ?
Les cadeaux offerts aux Présidents dans l’exercice de leurs fonctions se sont invités à deux reprises dans l’actualité sénégalaise. D’abord, il y a eu les cadeaux reçus par le Président Bassirou Diomaye Faye à Touba et à Tivaouane. Puis, il y a eu la mise en vente de la bibliothèque de Senghor. Comment les biens du 1er Président du Sénégal ont été mis en vente par une gouvernante française anonyme ? Qu’est-ce que les autres présidents du Sénégal ont fait des largesses et gratifications reçues au nom de la République ? Quels sont les efforts déployés par le Sénégal pour conserver son patrimoine et son intégrité ? Bés bi revient sur ce qu’il advient des cadeaux présidentiels.
Février 1967. Le Président Senghor effectue une visite officielle au Caire où il est reçu par son homologue égyptien Gamal Abdel Nasser. Au cours de cette visite, le Président-poète est amené à prononcer un discours sur «la négritude et l’arabité» à l’Université du Caire. Pour mieux sceller l’amitié entre les deux peuples et honorer son hôte de marque, l’Egypte lui décerne l’une de ses plus prestigieuses distinctions : L’Ordre du Nil. Il s’agit d’un collier en or 18 carats comportant des symboles de l’Egypte antique. Plus de 50 ans plus tard, ce collier s’est retrouvé entre les mains d’une française parente de l’épouse du Président Senghor. Le collier faisait partie d’une collection de 41 objets ayant appartenu à Senghor et qui devaient être vendus aux enchères par la dame dont l’identité n’est pas révélée. Outre le collier du Caire, il y avait aussi un collier de l’Ordre remis par l’Arabie Saoudite, des médailles remises par l’Espagne et la Finlande, une médaille en métal doré du Festival des arts et de la culture, un stylo en or, etc. Autant d’objets qui ne revêtaient pas une valeur particulière pour elle en dehors de leur coût financier. Pour le Sénégal, cette collection est un pan de son patrimoine national qui n’aurait jamais dû se retrouver en Normandie.
Le patrimoine de Senghor revient à son épouse à son décès
Les cadeaux offerts aux présidents dans l’exercice de leurs fonctions sont en effet considérés comme étant une propriété du pays devant être gardée dans ses musées et non bradée sur la place publique. En octobre 2023, le Sénégal a dû débourser 240 000 euros (161 millions de francs CFA) pour s’adjuger un dû. Comment le patrimoine du 1er Président du Sénégal s’est-il retrouvé entre les mains d’une française anonyme ? Après avoir quitté la Présidence en 1980, Senghor s’est installé à Verson en Normandie dans une résidence bourgeoise appartenant à son épouse Collette Senghor. Le couple soudé par un amour fusionnel et le chagrin d’avoir perdu leur unique enfant y mène une existence paisible faite d’études, de poésie et de promenades en campagne. A son décès en 2001, un seul des enfants de Senghor est encore vivant. Il s’agit de son ainé FrancisArfang Senghor, 76 ans, né d’une précédente union et qui serait confronté à des problèmes psychiatriques. Le patrimoine du défunt revient donc à l’épouse.
Un pan du patrimoine du Sénégal légué à la ville de Verson et à des parents de Colette Senghor
Affectée par le deuil et plus tard la maladie, Colette Senghor a de plus en plus de mal à entretenir la demeure et ce qu’elle abrite de mobilier, d’objets de valeurs, d’œuvres d’art, d’archives, de livres, etc. Dès 2004, elle s’engage à léguer ses biens à la commune de Verson à condition que la maison soit accessible au public. Marché conclu. Mais entretemps, les archives se dégradent et il devient urgent d’agir. En 2015, la ville vote un budget de 180 000 euros (117 millions FCFA) destiné à dépoussiérer, restaurer et conserver les archives du Président. Le philosophe sénégalais Souleymane Bachir Diagne est d’ailleurs impliqué dans ce travail titanesque. Pour le maire de Verson, cette collection a une valeur inestimable : «Nous avons ouvert des caisses et des caisses d’archives ! Certaines comprennent notamment des photos, où M. Senghor pose avec Gandhi, Kennedy, la Reine d’Angleterre, etc… C’est un homme qui a traversé les siècles!», relate-t-il à Normandie Actu. Colette Senghor décède finalement en 2019. Son patrimoine qui inclut aussi celui de Senghor est partagé en deux. Une part considérable dont la maison revient à la ville tandis que l’autre part est reversée à sa sœur. Les 41 objets rachetés par le Sénégal faisaient partie de la collection léguée à la sœur décédée deux ans après. Les biens sont par la suite revenus à la gouvernante de Mme Senghor, nous renseigne Sally Alassane Thiam, Directeur d’Afrique Patrimoine. Les cabinets chargés de la vente ne révèlent cependant pas l’identité de la vendeuse pour préserver son anonymat. A noter qu’auparavant, un tableau d’art acquis par Senghor en 1956 a été légué à la sœur de son épouse qui l’a légué à une amie. Le tableau signé Pierre Soulages a été vendu aux enchères en 2023 pour la somme de 1,5 millions d’euros (près de 1 milliards de FCFA).
Le Sénégal hérite de la dépouille de Senghor en attendant sa bibliothèque
22% de la somme versée par le Sénégal est revenue aux cabinets français de commissaires-priseurs qui ont procédé à la négociation et à la vente. On est face au même schéma avec la vente de la bibliothèque que le Sénégal est en train de négocier. Il s’agit de 340 œuvres comportant des dédicaces à l’honneur de Senghor. Le catalogue de vente consulté par le journal Le Monde renseigne sur le prix des livres estimé entre 10 et 40 euros chacun (entre 5000 et 20 000 FCFA). Les 41 biens acquis en 2023 ont été attribués au Musée Senghor et au Musée des Civilisations noires. La bibliothèque pourrait connaitre le même sort, si le Sénégal parvient à l’acquérir. Il ne s’agit pas dans ce cas-ci de restitution d’œuvres africaines pillées mais de rachat d’un patrimoine culturel délibérément offert par le Président Senghor et son épouse. Dans le testament de Senghor, la part qui revient au Sénégal est sa dépouille inhumée au Cimetière de Bel-Air et rejointe près de 20 ans plus tard par celle de son épouse. Le couple est réuni pour l’éternité au Sénégal. En attendant d’être rejoint par son patrimoine ?
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APPEL RÉTENTANT POUR SAUVER L'HÉRITAGE DE SENGHOR
La vente aux enchères en France de la bibliothèque du premier président sénégalais fait rugir d'indignation. Romuald Fonkoua s'élève contre la dispersion aux quatre vents d'ouvrages rares, de classiques anciens et d'écrits inestimables
La vente aux enchères en France de la bibliothèque de Léopold Sédar Senghor, premier président du Sénégal indépendant, soulève une vive polémique. Dans un entretien musclé sur TV5 Monde, Romuald Fonkoua, éminent écrivain et professeur de littératures francophones à la Sorbonne, a lancé un vibrant appel aux autorités sénégalaises.
Fonkoua, également rédacteur en chef de la prestigieuse Revue Présence Africaine, n'a pas mâché ses mots. "C'est un trésor national qui pourrait servir de levier pour une politique d'acquisition par un grand État comme le Sénégal", at-il martelé, évoquant les quelque 600 ouvrages rares de Senghor bientôt dispersés.
Parmi les lots, on trouve des classiques de Kant, Dante ainsi que d'anciens écrits latins d'Église, "une base importante pour la recherche de qualité mondiale" selon Fonkoua. Une perte "sèche" pour le Sénégal et "les enfants d'Afrique" d'après un ancien ministre.
"C'est une question de souveraineté culturelle", a insisté le professeur, rappelant le combat d'Alioune Diop, fondateur de Présence Africaine, pour qui "derrière un homme politique, il y a un homme de culture à défendre".
Fonkoua exhorte le nouveau pouvoir à Dakar à se "saisir du dossier" comme son précédent l'avait fait pour d'autres objets de Senghor. "Pensez à la culture ! Nos discours économiques n'auront pas de portée sans elle".